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Dans l’ombre

#4 - Violette Perrotte - L’engagement sans relâche face aux violences faites aux femmes

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32min |18/04/2025
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32min |18/04/2025
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Description

Ce mois-ci, nous recevons une femme de terrain et d’impact : Violette Perrotte, ancienne cheffe de cabinet du maire de Saint-Denis et aujourd’hui pilier de la Maison des Femmes, structure pionnière dans la prise en charge des violences sexistes et sexuelles. De l’engagement associatif au jeu politique, des colères froides aux petites victoires du quotidien, Violette raconte sans détour la difficulté (et la nécessité) de faire avancer les choses — dans une société qui n’a pas encore tourné la page du patriarcat.
Pourquoi c’est si dur d’obtenir des financements ? Peut-on vraiment prévenir les violences dès la maternelle ? MeToo a-t-il tout changé ou presque rien ?
Un épisode sensible, engagé, lucide… et profondément humain.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre, un podcast produit par We Are et Time to Sign Off.

  • Speaker #1

    Bonsoir et bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, bref, toutes celles et ceux qui tirent les ficelles mais évitent la lumière. Ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off, TPSO, et ce soir, je reçois une femme qui travaille sur ce qui est probablement la part d'ombre la plus noire et la plus étendue de nos sociétés, la violence faite aux femmes. Bonsoir Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Bonsoir.

  • Speaker #1

    Violette, vous êtes la directrice générale de la Maison des Femmes, un projet né en 2016 sur le terrain vague d'un hôpital de Seine-Saint-Denis. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce que fait la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La Maison des Femmes, c'est un centre de santé qui accueille les femmes victimes de violences. Les maisons des femmes sont toujours rattachées à des hôpitaux et sont des unités d'hôpitaux comme la maternité, la pédiatrie, la cancéro. Alors,

  • Speaker #1

    avant d'en venir sur le détail de l'action des maisons des femmes et sur le progrès ou non de l'action contre les violences faites aux femmes, quelques mots sur vous, Violette. Vous avez un parcours académique axé sur la santé publique et les relations internationales. Je préviens nos auditeurs, c'est assez impressionnant. Vous êtes titulaire d'un double diplôme en études internationales et en santé publique de l'université Johns Hopkins aux États-Unis. Johns Hopkins, c'est vraiment l'université qui fait référence en la matière. Et par la suite, excusez du peu, vous avez un master en santé publique à la Harvard School of Public Health, se concentrant sur la santé mondiale et la santé des populations avec une spécialisation en santé maternelle. Vous vous êtes engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes et vous avez débuté votre carrière au programme alimentaire mondial au Sénégal. Alors, ma première question quand même, c'est comment est-ce qu'on passe d'études américaines du Sénégal à la Seine-Saint-Denis ?

  • Speaker #0

    Une très bonne question et c'est une transition qui a surpris beaucoup de gens. Mon engagement militant dans la question des droits des femmes, il est vraiment passé d'abord par la question de la santé, donc en découvrant qu'il y avait vraiment des inégalités profondes de santé si on est femme et notamment dans les pays en développement et notamment par le biais de pratiques culturelles néfastes comme l'excision dont on parlera un peu après. Et donc moi je me suis intéressée... directement à la question de la santé dans les pays en développement, en me disant, je vais faire une grande carrière à l'international, c'est ce qui est attendu de moi un petit peu aussi. J'ai fait des études aux États-Unis, je me suis intéressée aux pays en développement, notamment au continent africain, donc je travaillerai comme diplomate, comme expat dans des pays en développement, et j'irai faire plein de belles choses, comme on peut l'être un peu idéaliste à 20 ans. Et donc je suis partie au Sénégal travailler un an au programme alimentaire mondial, où là... J'ai eu peut-être ce qu'on peut appeler un peu une crise existentielle, si on peut en avoir une à 22 ans, où je me suis dit en fait qu'il y avait des systèmes qui étaient en place dans ces grands organismes internationaux qui n'étaient pas toujours au bénéfice des populations locales. J'avais 22 ans, je n'avais pas énormément de compétences, mais j'étais payée bien mieux parfois que les équipes locales sur place qui étaient tout autant, voire plus compétentes que moi. Et en fait, j'étais à la recherche de terrain, mais je me sentais très loin du terrain. J'avais l'impression de ne pas forcément faire avancer grand-chose là où j'étais, alors que le programme alimentaire mondial en tant que tel fait un travail incroyable. Mais moi, là où j'étais, je me demandais un peu pourquoi j'avais choisi de travailler dans des pays en développement et pourquoi je ne m'attaquais pas d'abord de là où je venais en France et là où il y avait aussi énormément de problèmes. Donc j'ai décidé de rentrer au bout d'un an. Encore une fois, à la surprise un peu de tous, puisqu'on pensait que j'étais partie pour les 20 prochaines années à travailler un peu partout. Et j'ai entendu parler de ce projet qui venait d'ouvrir ses portes, la Maison des Femmes à Saint-Denis, où je suis allée voir sa fondatrice, la médecin Dr Radha Athem, en lui disant, je ne sais pas trop ce que je veux faire pour l'instant, mais est-ce que je pourrais venir vous aider à ouvrir ce projet ? Elle m'a dit, bah... Avec grand plaisir, mais un, on ne peut pas te payer. Et de deux, je ne sais pas très bien ce que tu vas faire, parce qu'il n'y a que des médecins ou des assistantes sociales ou des psychologues. Donc, on verra ce que tu fais. Je suis venue tous les jours en tant que bénévole au début. Et très rapidement, c'était juste au moment de MeToo. Et donc, en fait, extrêmement rapidement, la structure a fait appel d'air. Beaucoup de patientes sont arrivées. Et ensuite, beaucoup de journalistes, beaucoup d'attention des pouvoirs publics. Et donc, la nécessité de structurer ce modèle qui, en fait... était assez révolutionnaire en tant que telle. Et donc, je suis devenue sa chargée de projet, ce que j'ai fait pendant deux ans. Et en fait, j'ai trouvé un sens à ce que j'avais étudié à quelques stations de métro de chez moi, beaucoup plus qu'à plusieurs heures d'avion.

  • Speaker #1

    Là, on était en 2016. Expliquez-nous comment ça s'est structuré. Quelle est la genèse ? Revenez sur la fondatrice. Et quelle est la genèse du projet et quel est le début de son envol avec MeToo en particulier ?

  • Speaker #0

    Docteur Atem, c'est une gynécologue obstétricienne. Elle était à l'époque chef de la maternité de l'hôpital de La Fontaine, qui est le grand hôpital à Saint-Denis, hôpital public. Et en tant que gynéco, elle a fait un constat qui était assez simple, qui était de se dire en fait les patientes viennent me voir pour des motifs médicaux, mais dévoilent dans le cadre de la consultation médicale beaucoup d'autres choses qui dépassent le motif médical. Donc elles viennent pour une PMA. une IVG, un suivi de grossesse, et elle me parle de violences passées dans l'enfance, de violences actuelles, de difficultés, de cauchemars, de psychotraumatismes, etc. Et le deuxième constat qu'elle a fait, c'était qu'elle, en tant que médecin, elle ne pouvait pas bien diagnostiquer quelqu'un si elle ne posait pas la question des violences. Aujourd'hui, si on va chez le médecin généraliste, on nous demande « est-ce que vous fumez ? Est-ce que vous buvez ? » Ce sont des questions qui nous paraissent totalement normales, pas intrusives de notre intimité, parce qu'on sait que c'est relié à notre santé. En revanche, on nous pose... pas ou peu la question du traumatisme ou des violences subies aux hommes comme aux femmes, alors qu'on sait aujourd'hui que ça a un vrai impact sur la santé d'avoir subi un traumatisme dans sa vie. Et donc elle s'est dit, moi je suis praticien hospitalier, on a une maternité, on a une pédiatrie, on a une unité gastro, on a une unité cancéro, on traite les maladies, pourquoi est-ce qu'on ne traite pas les violences qui ont un impact sur la santé comme n'importe quelle autre maladie ? Donc elle a voulu créer une unité de l'hôpital qui prendrait en charge les violences. de manière pluridisciplinaire, et c'est la Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Une manière pluridisciplinaire, ça veut dire de multiples intervenants. Concrètement, on les avait au sein de l'hôpital ou une structure qui doit appeler et recruter des profils différents ?

  • Speaker #0

    C'est une structure qui est au sein de l'hôpital. Toutes les Maisons des Femmes, parce que maintenant il y en a 30 en France, sont dans les hôpitaux, donc sont des unités fonctionnelles des hôpitaux, elles dépendent d'hôpitaux, et les professionnels viennent dans les Maisons des Femmes, donc viennent dans les hôpitaux, et c'est ça la particularité. Dans une maison des femmes, il y a des psychologues, des sexologues, des psychiatres, des juristes, des policiers, des assistantes sociales. Mais la patiente, elle n'a pas à aller chercher ses services dans tous les lieux où ses professionnels sont d'habitude, un commissariat, un service social. Ses professionnels viennent à la maison des femmes et donc ça évite que la femme ait à aller chercher ses services et ça évite aussi surtout qu'elle ait à répéter son histoire plusieurs fois parce qu'on travaille avec le secret médical partagé, donc tous les professionnels qui travaillent au sein des maisons des femmes. ont accès à l'historique de la patiente. Et donc, elle n'a pas à recommencer dès le début un récit traumatique. Et elle peut reprendre là où elle l'a laissé avec un autre professionnel. Et c'est très utile pour les pros, notamment, qui sont contents de travailler non plus en silo, mais vraiment en collaboration les uns avec les autres.

  • Speaker #1

    Mais vous dites qu'il y a des policiers, ça va jusqu'au juridique, jusqu'aux relations avec le parquet ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. Les femmes peuvent porter plainte dans les maisons des femmes, ce qui était aussi quelque chose de révolutionnaire en tant que tel, parce que pendant longtemps, on ne pouvait porter plainte. que dans un commissariat, mais le ministère de la Justice a voulu tester un nouvel moyen de faire avec le ministère de l'Intérieur, où les femmes pouvaient porter plainte dans les maisons des femmes et ne pas aller au commissariat pour porter plainte. Ça change énormément de choses, le policier étant civil, ce n'est pas du tout la même expérience que dans un commissariat, où on est avec d'autres personnes qui viennent pour des raisons très différentes. Ça crée un environnement beaucoup plus sécurisant pour les patients. Donc oui, c'est fait en lien avec tous les ministères. Autre chose qu'on a fait avec le ministère de la Justice notamment, c'est d'accepter les femmes qui viennent pour des viols ou des agressions sexuelles récentes, dans les cinq jours précédents, et collecter les preuves de cette agression sans qu'elles aient eu à porter plainte. Normalement en France, pour pouvoir collecter des preuves, il faut d'abord avoir porté plainte, il faut aller dans une unité médico-judiciaire, c'est un processus qui est assez compliqué. Et là, à la Maison des Femmes, elles peuvent venir, on collecte les preuves de l'agression sans réquisition, et on peut préserver ces preuves jusqu'à trois ans. donc comme ça si les femmes décident de porter plainte plus tard elles ont accès aux preuves de leur agression qui sont dans les maisons des femmes C'est une structure d'accueil hospitalière où les femmes peuvent rester ou c'est une structure d'accueil de jour ? C'est une structure d'accueil de jour comme une structure hospitalière la seule différence c'est qu'il y a deux ans on a ouvert un centre d'hébergement qui n'est pas à Saint-Denis qui est à Bagnolet aujourd'hui et qui n'est pas pour toutes les patientes de la maison des femmes il s'applique seulement ... Aux jeunes femmes qui ont entre 18 et 25 ans, victimes de violences sans enfants. Parce qu'on a réalisé qu'il y avait un trou dans la raquette de la prise en charge pour cette tranche d'âge de ces jeunes femmes qui sont soit en sortie de placement en dette sociale à l'enfance, soit en foyer violent, donc avec des parents qui sont violents, soit victimes de violences conjugales. Il y a beaucoup de victimes de violences conjugales mineures, on en parle peu, mais qui sont victimes de violences de leurs petits copains, qui peuvent être soit mineurs aussi, soit majeurs. et qui sont donc à grand risque de rue, de prostitution et de violences aggravées. Donc on a ouvert un centre d'hébergement pour cette tranche d'âge spécifique.

  • Speaker #1

    Vous commencez dans ce projet à son commencement en 2016 et en 2024 vous en êtes nommée directrice générale. Est-ce que vous pouvez nous dire le quotidien de votre mission en tant que directrice générale de la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La structure maintenant est bien différente que celle que j'ai occupée en 2018.

  • Speaker #1

    Excusez-moi de vous interrompre, on l'a dit mais je voudrais le redire. On est percée d'une Maison des Femmes, d'un projet pilote. à 30 maisons des femmes, y compris à La Réunion. L'idée étant de faire une maison des femmes par département ?

  • Speaker #0

    L'idée est de faire une maison des femmes par département, de vraiment quadriller le territoire français. Et en fait, énormément de médecins sont en demande d'ouvrir des maisons des femmes dans leurs hôpitaux. On a beaucoup d'équipes médicales qui nous écrivent pour dire qu'on reçoit beaucoup de violences. On est déjà en lien avec les unités médico-judiciaires, avec la Gynéco, avec le service des urgences. On veut juste le formaliser, le cadrer. Donc nous, on les aide à en faire un vrai projet en tant que tel. Donc oui, moi, j'ai quitté la Maison des Femmes en 2018. Au début, il y avait deux Maisons des Femmes, une à Saint-Denis, une à Bruxelles, qui est le deuxième hôpital à s'être motivé pour ouvrir une Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que c'est une organisation à vocation internationale ? Oui.

  • Speaker #0

    Au bout d'un moment, sûrement, on va déjà quadriller le territoire français et ensuite on verra pour l'international. Mais il s'avère que l'équipe de l'hôpital Saint-Pierre en Belgique, à Bruxelles, était la deuxième à nous appeler en disant on a vu ce que vous avez fait, on veut faire la même chose. Ils ont aussi beaucoup d'excisions, ce qu'on a pas mal à Saint-Denis et donc on prend en charge aussi à la Maison des Femmes. Et donc ils voulaient faire une structure similaire où on prenait en charge les violences, dont l'excision. Et donc ils ont ouvert la deuxième Maison des Femmes. Voilà. Alors la volonté de s'étendre à l'international, elle est présente, notamment parce que, tout comme en France, il y a beaucoup d'équipes médicales d'autres pays, Londres, l'Arabie Saoudite plus récemment, Mexico, qui nous contactent pour ouvrir des structures similaires. L'avantage du modèle Maison des Femmes, c'est qu'il est basé sur la santé, et la santé c'est universel partout, il y a des hôpitaux partout dans le monde, donc même si les services de justice sont différents, même si les services sociaux sont différents, il y a des médecins dans tous les pays. Il suffit qu'ils arrivent à adapter le modèle à leurs problématiques locales, mais c'est un modèle qui est extrêmement duplicable partout.

  • Speaker #1

    En tant que directrice générale de la Maison des Femmes, c'est quoi votre quotidien ? Quelles sont vos interactions ? Avec qui vous interagissez ?

  • Speaker #0

    Il y a deux interlocuteurs importants. Le premier, c'est les fondations, puisqu'on est presque entièrement financés par des fondations privées. C'est un travail de tous les instants de lever des fonds, d'aller démontrer la pertinence du modèle et la nécessité de le financer, de financer. La Maison des Femmes de Saint-Denis, qui est un peu notre maison mère, mais aussi toutes les autres maisons des femmes qui ouvrent, qu'on finance toujours pendant leurs trois premières années d'existence, de financer le centre d'hébergement qui accueille 28 jeunes femmes. Et le deuxième interlocuteur, c'est les pouvoirs publics, pour aller leur démontrer à eux aussi la pertinence de ce modèle et la nécessité de le prendre en charge de manière toujours plus importante. Parce qu'aujourd'hui, c'est les ARS, les agences régionales de santé, qui financent en partie les nouvelles maisons des femmes. mais on est toujours dans l'optique d'en faire des structures publiques, comme toutes les unités d'hôpitaux, et qui dépendraient de moins en moins du privé, pour que l'idée de la maison des femmes, qui est de dire que les violences sont un problème de santé et de santé publique, que les violences soient prises en charge, comme n'importe quelle autre problématique de santé qui est prise en charge. Donc c'est un peu les deux, mon travail est divisé entre ces deux-là.

  • Speaker #1

    À l'heure actuelle, les masses de financement se répartissent comment entre le privé et le public ?

  • Speaker #0

    On est à 60% sur du privé et à 40% sur du public, avec la différence qu'au sein des maisons des femmes, le financement se fait aussi par le remboursement d'actes médicaux, presque à un tiers, un tiers, un tiers. Donc un tiers privé, un tiers public via les ARS et un tiers remboursement par la Sécurité sociale des actes médicaux.

  • Speaker #1

    Dans le contexte budgétaire à l'heure actuelle, Est-ce que c'est plus difficile ? Est-ce que vous avez l'impression que les choses, au contraire, avancent ? Où en êtes-vous sur votre cheminement vers le public ?

  • Speaker #0

    Je pense que le financement, il y a une partie qui restera toujours privée, parce que le financement privé permet une flexibilité que le financement public ne permet pas. Le projet de la Maison des Femmes, il a vu le jour parce que des fondations privées l'ont soutenu, notamment la fondation Kering, Accor, AXA, parce que ce sont des gens qui ont vu cette vision qui ne rentrait pas dans les cases. Aujourd'hui, quand on va à l'ARS, au gouvernement, avec un projet qui n'est pas dans une de leurs cases très strictes, c'est compliqué de faire bouger ces lignes. Le docteur Athème est allé voir le ministère de la Santé au début. On lui a dit que c'était un projet droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. On lui a dit que c'était un projet les pouvoirs publics, c'est de leur faire comprendre qu'on peut avoir un projet qui est basé sur la santé mais qui s'adresse à plein d'autres sujets. Donc on veut préserver ce côté privé parce que ça nous donne une flexibilité et qu'il y a des choses qu'on fait qui ne sont pas de l'ordre aujourd'hui des ARS et de la santé. Par exemple, on a des ateliers psychocorporels, etc. Ça, d'être financé par le privé, ça me paraît normal. En revanche, par exemple, un axe de plaidoyer très important, on essaie de convaincre... l'assurance maladie de prendre en charge les consultations de psychologues dans les maisons des femmes. Parce qu'aujourd'hui, une femme qui va voir un psychologue dans une maison des femmes, c'est parce qu'elle a un besoin très important de soigner son psychotrauma. Et donc, il faut que ça soit pris en charge par l'assurance maladie. Donc, c'est ce genre de dossier sur lequel on va voir les pouvoirs publics. Même chose pour notre centre d'hébergement. Aujourd'hui, quand vous êtes un mineur et que vous êtes placé dans un centre d'aide sociale à l'enfance, Les personnes qui gèrent ce centre ont une dotation qui est d'environ 150 euros par jour par enfant, il me semble. Et quand vous passez majeur, donc quand vous avez 18 ans, ce taux descend à 30 euros par jour par personne. Nous, les jeunes filles qu'on accueille, elles ont moins de 25 ans, la plupart ont à peu près 19 ans. Elles ont des besoins qui relèvent d'un enfant, puisqu'elles ont été victimes de violences toute leur jeunesse, beaucoup victimes d'inceste. Et donc on essaye de convaincre aussi les pouvoirs publics de dire qu'il faut que vous créez un statut intermédiaire pour la prise en charge de ces jeunes qui ne sont certes plus des enfants aux yeux de la société mais qui ont des besoins tellement importants qu'il faut augmenter la dotation journalière de ces jeunes filles.

  • Speaker #1

    Quelles sont les grandes pathologies auxquelles vous vous êtes confrontée à la maison des femmes ? Qu'est-ce que c'est le cas typique ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, avec la violence, il y a rarement de cas typiques, puisque la violence a plusieurs formes. Il y a des femmes qui sont victimes de violences physiques, actuelles, et donc la problématique n'est pas du tout la même que si c'est une femme qui a subi, par exemple, de l'inceste dans sa jeunesse et aujourd'hui elle a 50, 60 ans. Ce ne sont pas les mêmes problématiques. Ce qui est assez commun aux femmes, c'est ce qu'on appelle le syndrome du stress post-traumatique, qui maintenant est un peu plus connu, qui est le résultat d'années et d'années de violences et donc de manières pour le corps et le cerveau de se protéger comme on peut et qui créent beaucoup de symptômes qui peuvent aller de cauchemars, d'oubli, de nécessité de se blesser soi-même aussi. Il y a un très large... malheureusement, spectre de conséquences du stress post-traumatique, mais c'est difficile de définir les violences en un mot et leurs conséquences aussi, parce qu'elles sont vraiment plurielles et diverses. Et une chose qui est importante aussi et dont on parle beaucoup, c'est que certes, la première maison des femmes est à Saint-Denis et souvent ça vient avec une certaine stigmatisation de ce que sont les violences, mais aujourd'hui, le fait qu'on ait 30 structures et qu'il y a Aidebourg-en-Bresse, à Tours, à Marseille... Les violences sont plurielles et elles sont dans tous les milieux sociaux et elles sont de plein de manières différentes aussi.

  • Speaker #1

    Si vous aviez une mesure ou deux mesures ou trois mesures d'urgence à prendre pour la protection des femmes à l'heure actuelle, qu'est-ce que ce serait ?

  • Speaker #0

    Ma première mesure pour moi, ce serait d'appliquer la loi qui impose trois cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle de la maternelle à la terminale pour tous les enfants. Parce que ce serait une mesure de prévention d'abord, dans un monde idéal. C'est inscrit... dans la loi, cette nécessité, et ce n'est pas pour rien. C'est parce que nous, on arrive après. On arrive quand les femmes sont déjà blessées, quand les agresseurs sont déjà devenus des agresseurs. Et ce n'est pas trop tard, parce que tout le monde peut être soigné comme n'importe quelle autre maladie. Mais c'est vrai que ce manque de prévention, je pense que c'est ce qui nous frustre le plus. C'est vraiment de se dire comment est-ce qu'on prévient ces violences. Et les cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, c'est des cours où on... On parle beaucoup plus de ces sujets que de contraception, d'IVG, de MST, comme on le faisait à une époque. On parle de consentement, on parle de jalousie, on parle de c'est quoi une fille bien, c'est quoi un mec bien. Et c'est des questions qui interrogent énormément les enfants. Donc je dirais ça. Et la deuxième mesure, ce serait de pouvoir permettre aux médecins de pratiquer le questionnement systématique. Donc dès qu'on va chez un médecin, qu'on pose la question des violences. Parce que... Ça déstigmatise énormément les violences quand on le fait dans le cadre d'un diagnostic médical. C'est de dire, je vous demande si vous avez des antécédents familiaux, parce que ça a un impact sur votre santé. Je vous demande aussi si vous avez vécu un traumatisme, parce que ça aura un impact sur votre santé aussi.

  • Speaker #1

    Vous sentez une résistance des médecins à cet égard ?

  • Speaker #0

    Pas une résistance, une difficulté de le faire dans le contexte actuel, où chaque médecin a très peu de temps avec chaque patient. Les médecins ne sont pas formés et ce n'est pas facile d'entendre un récit de violence. Et donc la nécessité de... les former pour pouvoir entendre ce récit et le faire dans le cadre de leur consultation. Si on est médecin généraliste, on n'est pas psychologue, on n'est pas psychiatre. Et donc il faut leur apprendre à avoir les quelques éléments un peu importants pour pouvoir poser la question et le cadrer dans le cadre de son entretien de médecine générale. Donc il n'y a pas de résistance, on forme beaucoup de médecins, ils ont envie, c'est eux qui en souffrent les premiers, de voir des femmes qui reviennent avec les mêmes récits, des diagnostics. qui ne mènent à rien parce qu'on n'est pas allé à la source du problème, mais on continue à faire les mêmes analyses tout le temps. Et donc, ils ne sont pas résistants, c'est juste qu'ils ont un quotidien qui n'est pas facile aussi.

  • Speaker #1

    Quelles sont justement les grandes difficultés auxquelles vous vous heurtez ? Elles sont d'ordre financier, elles sont d'ordre organisationnel, elles sont d'ordre politique ?

  • Speaker #0

    Alors, les changements successifs de gouvernement n'aident pas pour implanter des changements dans le long terme, c'est clair, parce que quand on commence à faire du plaidoyer sur un dossier, assez rapidement la personne qui est notre interlocuteur ou interlocutrice change, et donc c'est difficile. Et après, effectivement, c'est plutôt d'ordre financier pour permettre le maintien de l'intérêt collectif sur ces questions. Moi, mon inquiétude, c'est que maintenant que MeToo est un peu passé, comment est-ce qu'on continue à faire comprendre aux gens que c'est une priorité importante et que ça a un impact sur la santé, au-delà du fait que... Si les violences en tant que telles ne nous choquent pas plus que ça, ce qui est le cas pour beaucoup de gens, de se dire, en tant que société, d'avoir une prise en charge faible des violences, ça a un coût énorme sur notre système de santé, ça a un coût énorme sur notre système éducatif, et donc ça nous concerne tous.

  • Speaker #1

    Justement, vous disiez « MeToo retombe » . En tant que journaliste, je vois plus que ça, je vois plus qu'une retombée MeToo, je vois une montée très forte de l'illibéralisme, d'une certaine revanche masculiniste, d'une certaine manière. qu'on voit, alors je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes avec Trump, mais je le fais quand même, et qu'on voit aussi ressurgir en Europe de manière de plus en plus manifeste. Est-ce que vous avez l'impression que votre combat est plus difficile à l'heure actuelle de ce point de vue-là, ou que quand même MeToo a un peu nivelé le niveau de conscience de chacun sur la nécessité de prendre en compte les violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura toujours un avant et un après, parce que... Pour vous donner un exemple, on était il n'y a pas si longtemps, parce qu'on a signé une convention entre la Maison des Femmes et le ministère des Armées, et on était au ministère des Armées avec des colonels de l'armée de terre qui nous parlaient de VSS, de prise en charge du viol, de violences sexistes et sexuelles. Et je me suis dit qu'il y a dix ans, je ne pense pas qu'on se serait retrouvés dans une pièce avec des hauts représentants de l'armée. qui n'ont pas envoyé la personne référente dans leur équipe, mais qui viennent eux-mêmes et qui utilisent des termes et qui ont une conscientisation de ce qui se passe au sein de leurs effectifs aussi. Donc je me suis dit qu'il y avait un vrai avant-après. Et je pense qu'on reviendra difficilement à l'avant, une sorte de prise de conscience. En revanche, dans l'associatif et dans les questions un peu militantes, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Et la question de l'avortement aux États-Unis, dont on a un peu parlé, mais... C'est un peu un réveil aussi de se dire en fait, certes, il y a une prise de conscience, notamment parce qu'il y a toujours des choses comme le procès Mazan, qui nous rappellent aussi l'actualité de ces problématiques qui sont toujours réelles. La jeune fille qui a disparu il y a quelques jours près de Poitiers. Tout ça, ce sont des choses qui nous rappellent que les violences sont encore très présentes. En revanche, il y a aussi une multiplicité de causes associatives. sont anxieux quant à leur futur à eux. On leur parle d'environnement, on leur parle de violence, on leur parle d'agression sur les enfants, on leur parle de droits des animaux. Et donc, c'est aussi difficile de continuer à faire émerger autant de sujets dans la société quand le monde ne va pas bien non plus, qu'il y a des guerres, qu'il y a des conflits. Et donc, c'est aussi une réaction un peu humaine et normale de ne plus trop savoir où mettre son militantisme et ne plus savoir par où commencer pour s'inquiéter. Par exemple, on a fait une campagne d'arrondi en caisse dans des supermarchés il n'y a pas si longtemps. Et on a levé énormément d'argent parce que les gens continuent à être très généreux. Donc je m'accroche à ça. Je m'accroche à la volonté individuelle de continuer à s'engager par des petits gestes pour pallier au fait que la société nous dépasse et que le monde court à sa perte.

  • Speaker #1

    Alors justement, dans l'engagement, il y a plusieurs formes d'engagement. Et en regardant votre CV, j'ai quand même constaté que vous aviez été... chef de cabinet du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin. Et pour faire bouger les choses, vous vous êtes placé du côté du politique et vous vous êtes placé maintenant du côté de l'associatif ou du sanitaire, je ne sais pas comment vous le définissez. Est-ce que vous pensez que vous pouvez rester du côté opérationnel et que la possibilité de faire bouger les choses ne va pas vous obliger à un moment à passer du côté politique ?

  • Speaker #0

    C'est une très bonne question. Vous êtes dans mes pensées existentielles de tous les jours. Au niveau politique local, j'ai eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir. Et j'ai énormément de respect et d'admiration pour les politiques locales, pour les hommes et les femmes politiques locales, parce que je pense que c'est probablement le travail le plus dur qu'on peut avoir, d'être maire, d'être adjoint au maire, parce qu'on peut avoir un impact très important sur la vie des gens. Et notre vie appartient à celle de nos concitoyens. On ne peut pas descendre au supermarché sans que quelqu'un vienne nous parler de sa place en crèche. d'un désert médical, de la rue qui n'est pas bien éclairée, d'une problématique culturelle. Et ils vivent ça à bras-le-corps. Et donc à la mairie de Saint-Denis, j'ai vraiment vu un mélange d'impact énorme et une volonté d'aider sa ville sur le long terme, d'avoir réussi les Jeux Olympiques à Saint-Denis. Ça peut paraître anodin, mais c'est un succès énorme pour ce que ça dit de la ville, pour ce que ça renvoie comme image d'une banlieue. Et donc, moi, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir au niveau politique local. Et je pense que les maires et les adjoints aux maires peuvent vraiment changer la vie des gens. Donc, je n'ai pas du tout ressenti cette frustration de te dire, il faut aller plus haut, il faut taper plus haut. Évidemment, la question des financements, c'est celle qui nous régit tous, que ce soit au niveau mairie ou au niveau associatif. C'est de te dire, comment est-ce qu'on débloque des financements plus importants pour aider les gens qu'on aide ? Mais aujourd'hui, j'ai l'impression de continuer à avoir cet impact. Et pour vous dire, en fait, les politiques... au bout d'un moment, sont obligés d'écouter la société civile et la société civile. C'est aussi les associations. Et le jour où les fondations privées décident qu'ils n'ont plus assez de financement et qu'on doit fermer, j'ose espérer que, alors j'aimerais ne pas en venir à ça, mais j'ose espérer que les pouvoirs publics se diront qu'on ne peut pas fermer une structure comme ça qui aide tant de gens et qui est tellement hors des cases justement. Donc on va trouver un moyen de le financer et c'est ce qui est arrivé. pour que l'ARS commence à financer les maisons des femmes. Au début, l'ARS a dit que ce n'est pas un modèle qui rentre dans nos cases, on ne peut pas le financer. On a ouvert grâce aux fonds privés. MeToo est arrivé. Au bout d'un moment, les fonds privés baissaient un peu. Donc on a dit, écoutez, si vous voulez, on arrête. On arrête, on ferme, mais ce n'est pas grave. Et là, le ministère de la Santé, à l'époque, a dit, non, on va dédier une enveloppe des ARS à celle de Saint-Denis, mais aussi au déploiement d'autres maisons des femmes. Donc je pense qu'on peut y arriver à faire changer les pouvoirs publics de là où on est. Il faut juste qu'on trouve les bons interlocuteurs qui arrivent à avoir cette vision transverse, innovante. Et dans la santé, c'est... pas toujours facile. Donc je pense que c'est ça qu'on recherche, c'est au niveau politique d'avoir ces interlocuteurs un peu visionnaires.

  • Speaker #1

    Et alors justement, la place du visionnaire, vous n'envisagez pas de la prendre ?

  • Speaker #0

    Peut-être un jour, peut-être un jour. Il faut que je... J'ai besoin d'abord d'avoir l'impression de réussir la mission qui m'est donnée, notamment par le docteur Athème, à la Maison des Femmes, et ensuite peut-être que j'irais m'intéresser... J'ai étudié la santé publique et pas la médecine parce que je m'intéressais au plus grand nombre, donc oui.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, je voudrais conclure là-dessus. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens sur les violences faites aux femmes ? Objectivement, vous en parliez, les faits divers sont de plus en plus éclairés. La violence de la société est de plus en plus éclairée avec ce que les politiques ont appelé l'ensauvagement, trop éclairé pour des raisons de manipulation ou pas. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens pour ce qui est des femmes, pour la conscientisation de la violence faite aux femmes et pour la résolution de la violence faite aux femmes ? Oui. Question de follow-up, avant même que vous commenciez, est-ce que vous pensez que vous verrez de votre vivant la fin de la violence faite aux femmes, de la spécificité des violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Non. Oui, il y a un changement qui est indéniable et on le voit et c'est ce dont je vous parlais avec le ministère des Armées par exemple, d'aller former des corps constitués, d'aller former la police, l'armée, les pompiers qui sont des milieux essentiellement masculins qui usent de la force et donc d'aller leur parler. de mécanismes de l'emprise, de masculinité, de comprendre quelle est la différence entre la force et la violence. Tout ça, c'est des choses qui, je pense, encore une fois, il y a dix ans, seraient impossibles. Est-ce qu'on ne peut pas revenir en arrière et annuler tout ce qu'on a mis en place ? C'est toujours possible. Moi, je pense que la manière dont s'organise la société civile, et notamment en France, fait qu'on arrivera à faire barrage à ça. Et donc que la question des violences ne sera jamais invisibilisée, notamment parce qu'encore une fois, avec des choses comme le procès Mazan, on est toujours rappelé au fait qu'elle est partout, elle est présente, et que des choses qui nous paraissent atroces sont en fait relativement quotidiennes, dans ce que moi j'entends dans le cadre de la prise en charge des patients de victimes de violences. En revanche... Les violences faites aux femmes, c'est seulement le résultat d'une société très patriarcale et qui accepte et qui passe sous silence énormément de formes de violences et l'emprise, la manière dont ces violences se mettent en place. Et c'est pour ça qu'on insiste sur le fait qu'elles sont applicables dans tous les milieux sociaux. C'est quelque chose qui est très difficile à démanteler. C'est pour ça que je parlais de prévention avant. Une femme... ne se fait jamais frapper au premier rendez-vous. Il n'y a jamais une claque qui part comme ça avec un mec qu'elles viennent d'accueillir chez elles. Enfin voilà, ça n'arrive pas, les violences. C'est un mécanisme insidieux qui est très lent. Il y a des violences administratives, il y a des violences économiques, il y a beaucoup de violences psychologiques qui se mettent en place avant que tout ça arrive. Et donc ça, c'est très difficile à démanteler parce que c'est un mélange de conséquences de la société dans laquelle on vit où il y a toujours ce déséquilibre de pouvoir, ce déséquilibre... dans l'idée qu'on se fait des relations hommes-femmes, et ça c'est très difficile à démanteler, ça prend énormément de temps. Et je pense que, évidemment que je prêche pour ma paroisse, et que je pense qu'il faut des maisons des femmes partout, mais encore une fois, la prévention, c'est ce qu'il y a de plus important, c'est d'aller dès la maternelle, parler de mon corps c'est mon corps, de parler de consentement dès la petite enfance, de dire qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui n'est pas acceptable quand on est un enfant, qu'est-ce qu'un adulte a le droit de faire sur nous et pas le droit de faire sur nous. Et ensuite, entre jeunes, et notamment avec les réseaux sociaux, comment est-ce qu'on change la perception de si une fille couche avec plein de mecs, c'est une salope, mais si un mec couche avec plein de filles, c'est un mec bien. Tout ça, ça commence tellement tôt. Et ensuite, quand on a 30, 40, 50 ans, c'est plus difficile de défaire ça. Parce que moi, je le vois bien quand je vais dans des dîners un peu mondains, un peu plus chics, et que je parle de violence, c'est tout de suite un peu rabat-joie, on plombe l'ambiance. Et puis de toute façon, ce que tu fais, c'est à Saint-Denis, et c'est très bien parce que là-bas, il y a beaucoup de violence. Mais de faire comprendre que c'est quelque chose de société, qui s'applique à tous. Et que ça passe par ne pas rire de la petite blague sexiste au bureau, répondre quand une collègue plus jeune se fait, avec un commentaire désobligeant juste parce qu'elle est jeune et que c'est une femme. Ça passe par plein de petites choses et ça, ça prend énormément de temps. Et même si je suis jeune, je crains que tout ça ne se termine pas dans les 50 prochaines années. Mais si déjà on peut stagner et ne pas revenir en arrière,

  • Speaker #1

    je prends. Terminons sur... Qu'est-ce qui vous rend optimiste sur le combat pour l'égalité des femmes à l'heure actuelle ?

  • Speaker #0

    Les personnes avec qui je travaille et notamment les jeunes personnes avec qui je travaille, puisque je suis assez jeune, mais dans mon équipe, j'ai des jeunes femmes qui ont 22-23 ans et qui sont extrêmement motivées et aussi extrêmement lucides sur la manière dont aborder les questions pour les faire comprendre au plus grand nombre. Nous, on est une structure de santé, donc on s'adresse à des professionnels qui ne sont pas... pas militants, pas engagés, qui ne se considèrent pas toujours comme féministes, mais en les abordant dans un sujet qu'ils connaissent, la santé, ça parle aussi à un plus grand monde. Et donc, on essaye de s'adresser à chaque personne d'une manière qu'il va comprendre pour parler des violences. Donc, ce qui me rend optimiste, c'est les infirmières, les aides-soignantes, les médecins, ma RH qui travaillent sur ces questions et qui ne sont peut-être pas des militantes de naissance, mais qui voient un problème et veulent le régler. Donc, il y a deux. de quoi être très optimiste quand on voit ça.

  • Speaker #1

    Merci Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

Description

Ce mois-ci, nous recevons une femme de terrain et d’impact : Violette Perrotte, ancienne cheffe de cabinet du maire de Saint-Denis et aujourd’hui pilier de la Maison des Femmes, structure pionnière dans la prise en charge des violences sexistes et sexuelles. De l’engagement associatif au jeu politique, des colères froides aux petites victoires du quotidien, Violette raconte sans détour la difficulté (et la nécessité) de faire avancer les choses — dans une société qui n’a pas encore tourné la page du patriarcat.
Pourquoi c’est si dur d’obtenir des financements ? Peut-on vraiment prévenir les violences dès la maternelle ? MeToo a-t-il tout changé ou presque rien ?
Un épisode sensible, engagé, lucide… et profondément humain.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre, un podcast produit par We Are et Time to Sign Off.

  • Speaker #1

    Bonsoir et bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, bref, toutes celles et ceux qui tirent les ficelles mais évitent la lumière. Ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off, TPSO, et ce soir, je reçois une femme qui travaille sur ce qui est probablement la part d'ombre la plus noire et la plus étendue de nos sociétés, la violence faite aux femmes. Bonsoir Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Bonsoir.

  • Speaker #1

    Violette, vous êtes la directrice générale de la Maison des Femmes, un projet né en 2016 sur le terrain vague d'un hôpital de Seine-Saint-Denis. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce que fait la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La Maison des Femmes, c'est un centre de santé qui accueille les femmes victimes de violences. Les maisons des femmes sont toujours rattachées à des hôpitaux et sont des unités d'hôpitaux comme la maternité, la pédiatrie, la cancéro. Alors,

  • Speaker #1

    avant d'en venir sur le détail de l'action des maisons des femmes et sur le progrès ou non de l'action contre les violences faites aux femmes, quelques mots sur vous, Violette. Vous avez un parcours académique axé sur la santé publique et les relations internationales. Je préviens nos auditeurs, c'est assez impressionnant. Vous êtes titulaire d'un double diplôme en études internationales et en santé publique de l'université Johns Hopkins aux États-Unis. Johns Hopkins, c'est vraiment l'université qui fait référence en la matière. Et par la suite, excusez du peu, vous avez un master en santé publique à la Harvard School of Public Health, se concentrant sur la santé mondiale et la santé des populations avec une spécialisation en santé maternelle. Vous vous êtes engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes et vous avez débuté votre carrière au programme alimentaire mondial au Sénégal. Alors, ma première question quand même, c'est comment est-ce qu'on passe d'études américaines du Sénégal à la Seine-Saint-Denis ?

  • Speaker #0

    Une très bonne question et c'est une transition qui a surpris beaucoup de gens. Mon engagement militant dans la question des droits des femmes, il est vraiment passé d'abord par la question de la santé, donc en découvrant qu'il y avait vraiment des inégalités profondes de santé si on est femme et notamment dans les pays en développement et notamment par le biais de pratiques culturelles néfastes comme l'excision dont on parlera un peu après. Et donc moi je me suis intéressée... directement à la question de la santé dans les pays en développement, en me disant, je vais faire une grande carrière à l'international, c'est ce qui est attendu de moi un petit peu aussi. J'ai fait des études aux États-Unis, je me suis intéressée aux pays en développement, notamment au continent africain, donc je travaillerai comme diplomate, comme expat dans des pays en développement, et j'irai faire plein de belles choses, comme on peut l'être un peu idéaliste à 20 ans. Et donc je suis partie au Sénégal travailler un an au programme alimentaire mondial, où là... J'ai eu peut-être ce qu'on peut appeler un peu une crise existentielle, si on peut en avoir une à 22 ans, où je me suis dit en fait qu'il y avait des systèmes qui étaient en place dans ces grands organismes internationaux qui n'étaient pas toujours au bénéfice des populations locales. J'avais 22 ans, je n'avais pas énormément de compétences, mais j'étais payée bien mieux parfois que les équipes locales sur place qui étaient tout autant, voire plus compétentes que moi. Et en fait, j'étais à la recherche de terrain, mais je me sentais très loin du terrain. J'avais l'impression de ne pas forcément faire avancer grand-chose là où j'étais, alors que le programme alimentaire mondial en tant que tel fait un travail incroyable. Mais moi, là où j'étais, je me demandais un peu pourquoi j'avais choisi de travailler dans des pays en développement et pourquoi je ne m'attaquais pas d'abord de là où je venais en France et là où il y avait aussi énormément de problèmes. Donc j'ai décidé de rentrer au bout d'un an. Encore une fois, à la surprise un peu de tous, puisqu'on pensait que j'étais partie pour les 20 prochaines années à travailler un peu partout. Et j'ai entendu parler de ce projet qui venait d'ouvrir ses portes, la Maison des Femmes à Saint-Denis, où je suis allée voir sa fondatrice, la médecin Dr Radha Athem, en lui disant, je ne sais pas trop ce que je veux faire pour l'instant, mais est-ce que je pourrais venir vous aider à ouvrir ce projet ? Elle m'a dit, bah... Avec grand plaisir, mais un, on ne peut pas te payer. Et de deux, je ne sais pas très bien ce que tu vas faire, parce qu'il n'y a que des médecins ou des assistantes sociales ou des psychologues. Donc, on verra ce que tu fais. Je suis venue tous les jours en tant que bénévole au début. Et très rapidement, c'était juste au moment de MeToo. Et donc, en fait, extrêmement rapidement, la structure a fait appel d'air. Beaucoup de patientes sont arrivées. Et ensuite, beaucoup de journalistes, beaucoup d'attention des pouvoirs publics. Et donc, la nécessité de structurer ce modèle qui, en fait... était assez révolutionnaire en tant que telle. Et donc, je suis devenue sa chargée de projet, ce que j'ai fait pendant deux ans. Et en fait, j'ai trouvé un sens à ce que j'avais étudié à quelques stations de métro de chez moi, beaucoup plus qu'à plusieurs heures d'avion.

  • Speaker #1

    Là, on était en 2016. Expliquez-nous comment ça s'est structuré. Quelle est la genèse ? Revenez sur la fondatrice. Et quelle est la genèse du projet et quel est le début de son envol avec MeToo en particulier ?

  • Speaker #0

    Docteur Atem, c'est une gynécologue obstétricienne. Elle était à l'époque chef de la maternité de l'hôpital de La Fontaine, qui est le grand hôpital à Saint-Denis, hôpital public. Et en tant que gynéco, elle a fait un constat qui était assez simple, qui était de se dire en fait les patientes viennent me voir pour des motifs médicaux, mais dévoilent dans le cadre de la consultation médicale beaucoup d'autres choses qui dépassent le motif médical. Donc elles viennent pour une PMA. une IVG, un suivi de grossesse, et elle me parle de violences passées dans l'enfance, de violences actuelles, de difficultés, de cauchemars, de psychotraumatismes, etc. Et le deuxième constat qu'elle a fait, c'était qu'elle, en tant que médecin, elle ne pouvait pas bien diagnostiquer quelqu'un si elle ne posait pas la question des violences. Aujourd'hui, si on va chez le médecin généraliste, on nous demande « est-ce que vous fumez ? Est-ce que vous buvez ? » Ce sont des questions qui nous paraissent totalement normales, pas intrusives de notre intimité, parce qu'on sait que c'est relié à notre santé. En revanche, on nous pose... pas ou peu la question du traumatisme ou des violences subies aux hommes comme aux femmes, alors qu'on sait aujourd'hui que ça a un vrai impact sur la santé d'avoir subi un traumatisme dans sa vie. Et donc elle s'est dit, moi je suis praticien hospitalier, on a une maternité, on a une pédiatrie, on a une unité gastro, on a une unité cancéro, on traite les maladies, pourquoi est-ce qu'on ne traite pas les violences qui ont un impact sur la santé comme n'importe quelle autre maladie ? Donc elle a voulu créer une unité de l'hôpital qui prendrait en charge les violences. de manière pluridisciplinaire, et c'est la Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Une manière pluridisciplinaire, ça veut dire de multiples intervenants. Concrètement, on les avait au sein de l'hôpital ou une structure qui doit appeler et recruter des profils différents ?

  • Speaker #0

    C'est une structure qui est au sein de l'hôpital. Toutes les Maisons des Femmes, parce que maintenant il y en a 30 en France, sont dans les hôpitaux, donc sont des unités fonctionnelles des hôpitaux, elles dépendent d'hôpitaux, et les professionnels viennent dans les Maisons des Femmes, donc viennent dans les hôpitaux, et c'est ça la particularité. Dans une maison des femmes, il y a des psychologues, des sexologues, des psychiatres, des juristes, des policiers, des assistantes sociales. Mais la patiente, elle n'a pas à aller chercher ses services dans tous les lieux où ses professionnels sont d'habitude, un commissariat, un service social. Ses professionnels viennent à la maison des femmes et donc ça évite que la femme ait à aller chercher ses services et ça évite aussi surtout qu'elle ait à répéter son histoire plusieurs fois parce qu'on travaille avec le secret médical partagé, donc tous les professionnels qui travaillent au sein des maisons des femmes. ont accès à l'historique de la patiente. Et donc, elle n'a pas à recommencer dès le début un récit traumatique. Et elle peut reprendre là où elle l'a laissé avec un autre professionnel. Et c'est très utile pour les pros, notamment, qui sont contents de travailler non plus en silo, mais vraiment en collaboration les uns avec les autres.

  • Speaker #1

    Mais vous dites qu'il y a des policiers, ça va jusqu'au juridique, jusqu'aux relations avec le parquet ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. Les femmes peuvent porter plainte dans les maisons des femmes, ce qui était aussi quelque chose de révolutionnaire en tant que tel, parce que pendant longtemps, on ne pouvait porter plainte. que dans un commissariat, mais le ministère de la Justice a voulu tester un nouvel moyen de faire avec le ministère de l'Intérieur, où les femmes pouvaient porter plainte dans les maisons des femmes et ne pas aller au commissariat pour porter plainte. Ça change énormément de choses, le policier étant civil, ce n'est pas du tout la même expérience que dans un commissariat, où on est avec d'autres personnes qui viennent pour des raisons très différentes. Ça crée un environnement beaucoup plus sécurisant pour les patients. Donc oui, c'est fait en lien avec tous les ministères. Autre chose qu'on a fait avec le ministère de la Justice notamment, c'est d'accepter les femmes qui viennent pour des viols ou des agressions sexuelles récentes, dans les cinq jours précédents, et collecter les preuves de cette agression sans qu'elles aient eu à porter plainte. Normalement en France, pour pouvoir collecter des preuves, il faut d'abord avoir porté plainte, il faut aller dans une unité médico-judiciaire, c'est un processus qui est assez compliqué. Et là, à la Maison des Femmes, elles peuvent venir, on collecte les preuves de l'agression sans réquisition, et on peut préserver ces preuves jusqu'à trois ans. donc comme ça si les femmes décident de porter plainte plus tard elles ont accès aux preuves de leur agression qui sont dans les maisons des femmes C'est une structure d'accueil hospitalière où les femmes peuvent rester ou c'est une structure d'accueil de jour ? C'est une structure d'accueil de jour comme une structure hospitalière la seule différence c'est qu'il y a deux ans on a ouvert un centre d'hébergement qui n'est pas à Saint-Denis qui est à Bagnolet aujourd'hui et qui n'est pas pour toutes les patientes de la maison des femmes il s'applique seulement ... Aux jeunes femmes qui ont entre 18 et 25 ans, victimes de violences sans enfants. Parce qu'on a réalisé qu'il y avait un trou dans la raquette de la prise en charge pour cette tranche d'âge de ces jeunes femmes qui sont soit en sortie de placement en dette sociale à l'enfance, soit en foyer violent, donc avec des parents qui sont violents, soit victimes de violences conjugales. Il y a beaucoup de victimes de violences conjugales mineures, on en parle peu, mais qui sont victimes de violences de leurs petits copains, qui peuvent être soit mineurs aussi, soit majeurs. et qui sont donc à grand risque de rue, de prostitution et de violences aggravées. Donc on a ouvert un centre d'hébergement pour cette tranche d'âge spécifique.

  • Speaker #1

    Vous commencez dans ce projet à son commencement en 2016 et en 2024 vous en êtes nommée directrice générale. Est-ce que vous pouvez nous dire le quotidien de votre mission en tant que directrice générale de la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La structure maintenant est bien différente que celle que j'ai occupée en 2018.

  • Speaker #1

    Excusez-moi de vous interrompre, on l'a dit mais je voudrais le redire. On est percée d'une Maison des Femmes, d'un projet pilote. à 30 maisons des femmes, y compris à La Réunion. L'idée étant de faire une maison des femmes par département ?

  • Speaker #0

    L'idée est de faire une maison des femmes par département, de vraiment quadriller le territoire français. Et en fait, énormément de médecins sont en demande d'ouvrir des maisons des femmes dans leurs hôpitaux. On a beaucoup d'équipes médicales qui nous écrivent pour dire qu'on reçoit beaucoup de violences. On est déjà en lien avec les unités médico-judiciaires, avec la Gynéco, avec le service des urgences. On veut juste le formaliser, le cadrer. Donc nous, on les aide à en faire un vrai projet en tant que tel. Donc oui, moi, j'ai quitté la Maison des Femmes en 2018. Au début, il y avait deux Maisons des Femmes, une à Saint-Denis, une à Bruxelles, qui est le deuxième hôpital à s'être motivé pour ouvrir une Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que c'est une organisation à vocation internationale ? Oui.

  • Speaker #0

    Au bout d'un moment, sûrement, on va déjà quadriller le territoire français et ensuite on verra pour l'international. Mais il s'avère que l'équipe de l'hôpital Saint-Pierre en Belgique, à Bruxelles, était la deuxième à nous appeler en disant on a vu ce que vous avez fait, on veut faire la même chose. Ils ont aussi beaucoup d'excisions, ce qu'on a pas mal à Saint-Denis et donc on prend en charge aussi à la Maison des Femmes. Et donc ils voulaient faire une structure similaire où on prenait en charge les violences, dont l'excision. Et donc ils ont ouvert la deuxième Maison des Femmes. Voilà. Alors la volonté de s'étendre à l'international, elle est présente, notamment parce que, tout comme en France, il y a beaucoup d'équipes médicales d'autres pays, Londres, l'Arabie Saoudite plus récemment, Mexico, qui nous contactent pour ouvrir des structures similaires. L'avantage du modèle Maison des Femmes, c'est qu'il est basé sur la santé, et la santé c'est universel partout, il y a des hôpitaux partout dans le monde, donc même si les services de justice sont différents, même si les services sociaux sont différents, il y a des médecins dans tous les pays. Il suffit qu'ils arrivent à adapter le modèle à leurs problématiques locales, mais c'est un modèle qui est extrêmement duplicable partout.

  • Speaker #1

    En tant que directrice générale de la Maison des Femmes, c'est quoi votre quotidien ? Quelles sont vos interactions ? Avec qui vous interagissez ?

  • Speaker #0

    Il y a deux interlocuteurs importants. Le premier, c'est les fondations, puisqu'on est presque entièrement financés par des fondations privées. C'est un travail de tous les instants de lever des fonds, d'aller démontrer la pertinence du modèle et la nécessité de le financer, de financer. La Maison des Femmes de Saint-Denis, qui est un peu notre maison mère, mais aussi toutes les autres maisons des femmes qui ouvrent, qu'on finance toujours pendant leurs trois premières années d'existence, de financer le centre d'hébergement qui accueille 28 jeunes femmes. Et le deuxième interlocuteur, c'est les pouvoirs publics, pour aller leur démontrer à eux aussi la pertinence de ce modèle et la nécessité de le prendre en charge de manière toujours plus importante. Parce qu'aujourd'hui, c'est les ARS, les agences régionales de santé, qui financent en partie les nouvelles maisons des femmes. mais on est toujours dans l'optique d'en faire des structures publiques, comme toutes les unités d'hôpitaux, et qui dépendraient de moins en moins du privé, pour que l'idée de la maison des femmes, qui est de dire que les violences sont un problème de santé et de santé publique, que les violences soient prises en charge, comme n'importe quelle autre problématique de santé qui est prise en charge. Donc c'est un peu les deux, mon travail est divisé entre ces deux-là.

  • Speaker #1

    À l'heure actuelle, les masses de financement se répartissent comment entre le privé et le public ?

  • Speaker #0

    On est à 60% sur du privé et à 40% sur du public, avec la différence qu'au sein des maisons des femmes, le financement se fait aussi par le remboursement d'actes médicaux, presque à un tiers, un tiers, un tiers. Donc un tiers privé, un tiers public via les ARS et un tiers remboursement par la Sécurité sociale des actes médicaux.

  • Speaker #1

    Dans le contexte budgétaire à l'heure actuelle, Est-ce que c'est plus difficile ? Est-ce que vous avez l'impression que les choses, au contraire, avancent ? Où en êtes-vous sur votre cheminement vers le public ?

  • Speaker #0

    Je pense que le financement, il y a une partie qui restera toujours privée, parce que le financement privé permet une flexibilité que le financement public ne permet pas. Le projet de la Maison des Femmes, il a vu le jour parce que des fondations privées l'ont soutenu, notamment la fondation Kering, Accor, AXA, parce que ce sont des gens qui ont vu cette vision qui ne rentrait pas dans les cases. Aujourd'hui, quand on va à l'ARS, au gouvernement, avec un projet qui n'est pas dans une de leurs cases très strictes, c'est compliqué de faire bouger ces lignes. Le docteur Athème est allé voir le ministère de la Santé au début. On lui a dit que c'était un projet droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. On lui a dit que c'était un projet les pouvoirs publics, c'est de leur faire comprendre qu'on peut avoir un projet qui est basé sur la santé mais qui s'adresse à plein d'autres sujets. Donc on veut préserver ce côté privé parce que ça nous donne une flexibilité et qu'il y a des choses qu'on fait qui ne sont pas de l'ordre aujourd'hui des ARS et de la santé. Par exemple, on a des ateliers psychocorporels, etc. Ça, d'être financé par le privé, ça me paraît normal. En revanche, par exemple, un axe de plaidoyer très important, on essaie de convaincre... l'assurance maladie de prendre en charge les consultations de psychologues dans les maisons des femmes. Parce qu'aujourd'hui, une femme qui va voir un psychologue dans une maison des femmes, c'est parce qu'elle a un besoin très important de soigner son psychotrauma. Et donc, il faut que ça soit pris en charge par l'assurance maladie. Donc, c'est ce genre de dossier sur lequel on va voir les pouvoirs publics. Même chose pour notre centre d'hébergement. Aujourd'hui, quand vous êtes un mineur et que vous êtes placé dans un centre d'aide sociale à l'enfance, Les personnes qui gèrent ce centre ont une dotation qui est d'environ 150 euros par jour par enfant, il me semble. Et quand vous passez majeur, donc quand vous avez 18 ans, ce taux descend à 30 euros par jour par personne. Nous, les jeunes filles qu'on accueille, elles ont moins de 25 ans, la plupart ont à peu près 19 ans. Elles ont des besoins qui relèvent d'un enfant, puisqu'elles ont été victimes de violences toute leur jeunesse, beaucoup victimes d'inceste. Et donc on essaye de convaincre aussi les pouvoirs publics de dire qu'il faut que vous créez un statut intermédiaire pour la prise en charge de ces jeunes qui ne sont certes plus des enfants aux yeux de la société mais qui ont des besoins tellement importants qu'il faut augmenter la dotation journalière de ces jeunes filles.

  • Speaker #1

    Quelles sont les grandes pathologies auxquelles vous vous êtes confrontée à la maison des femmes ? Qu'est-ce que c'est le cas typique ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, avec la violence, il y a rarement de cas typiques, puisque la violence a plusieurs formes. Il y a des femmes qui sont victimes de violences physiques, actuelles, et donc la problématique n'est pas du tout la même que si c'est une femme qui a subi, par exemple, de l'inceste dans sa jeunesse et aujourd'hui elle a 50, 60 ans. Ce ne sont pas les mêmes problématiques. Ce qui est assez commun aux femmes, c'est ce qu'on appelle le syndrome du stress post-traumatique, qui maintenant est un peu plus connu, qui est le résultat d'années et d'années de violences et donc de manières pour le corps et le cerveau de se protéger comme on peut et qui créent beaucoup de symptômes qui peuvent aller de cauchemars, d'oubli, de nécessité de se blesser soi-même aussi. Il y a un très large... malheureusement, spectre de conséquences du stress post-traumatique, mais c'est difficile de définir les violences en un mot et leurs conséquences aussi, parce qu'elles sont vraiment plurielles et diverses. Et une chose qui est importante aussi et dont on parle beaucoup, c'est que certes, la première maison des femmes est à Saint-Denis et souvent ça vient avec une certaine stigmatisation de ce que sont les violences, mais aujourd'hui, le fait qu'on ait 30 structures et qu'il y a Aidebourg-en-Bresse, à Tours, à Marseille... Les violences sont plurielles et elles sont dans tous les milieux sociaux et elles sont de plein de manières différentes aussi.

  • Speaker #1

    Si vous aviez une mesure ou deux mesures ou trois mesures d'urgence à prendre pour la protection des femmes à l'heure actuelle, qu'est-ce que ce serait ?

  • Speaker #0

    Ma première mesure pour moi, ce serait d'appliquer la loi qui impose trois cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle de la maternelle à la terminale pour tous les enfants. Parce que ce serait une mesure de prévention d'abord, dans un monde idéal. C'est inscrit... dans la loi, cette nécessité, et ce n'est pas pour rien. C'est parce que nous, on arrive après. On arrive quand les femmes sont déjà blessées, quand les agresseurs sont déjà devenus des agresseurs. Et ce n'est pas trop tard, parce que tout le monde peut être soigné comme n'importe quelle autre maladie. Mais c'est vrai que ce manque de prévention, je pense que c'est ce qui nous frustre le plus. C'est vraiment de se dire comment est-ce qu'on prévient ces violences. Et les cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, c'est des cours où on... On parle beaucoup plus de ces sujets que de contraception, d'IVG, de MST, comme on le faisait à une époque. On parle de consentement, on parle de jalousie, on parle de c'est quoi une fille bien, c'est quoi un mec bien. Et c'est des questions qui interrogent énormément les enfants. Donc je dirais ça. Et la deuxième mesure, ce serait de pouvoir permettre aux médecins de pratiquer le questionnement systématique. Donc dès qu'on va chez un médecin, qu'on pose la question des violences. Parce que... Ça déstigmatise énormément les violences quand on le fait dans le cadre d'un diagnostic médical. C'est de dire, je vous demande si vous avez des antécédents familiaux, parce que ça a un impact sur votre santé. Je vous demande aussi si vous avez vécu un traumatisme, parce que ça aura un impact sur votre santé aussi.

  • Speaker #1

    Vous sentez une résistance des médecins à cet égard ?

  • Speaker #0

    Pas une résistance, une difficulté de le faire dans le contexte actuel, où chaque médecin a très peu de temps avec chaque patient. Les médecins ne sont pas formés et ce n'est pas facile d'entendre un récit de violence. Et donc la nécessité de... les former pour pouvoir entendre ce récit et le faire dans le cadre de leur consultation. Si on est médecin généraliste, on n'est pas psychologue, on n'est pas psychiatre. Et donc il faut leur apprendre à avoir les quelques éléments un peu importants pour pouvoir poser la question et le cadrer dans le cadre de son entretien de médecine générale. Donc il n'y a pas de résistance, on forme beaucoup de médecins, ils ont envie, c'est eux qui en souffrent les premiers, de voir des femmes qui reviennent avec les mêmes récits, des diagnostics. qui ne mènent à rien parce qu'on n'est pas allé à la source du problème, mais on continue à faire les mêmes analyses tout le temps. Et donc, ils ne sont pas résistants, c'est juste qu'ils ont un quotidien qui n'est pas facile aussi.

  • Speaker #1

    Quelles sont justement les grandes difficultés auxquelles vous vous heurtez ? Elles sont d'ordre financier, elles sont d'ordre organisationnel, elles sont d'ordre politique ?

  • Speaker #0

    Alors, les changements successifs de gouvernement n'aident pas pour implanter des changements dans le long terme, c'est clair, parce que quand on commence à faire du plaidoyer sur un dossier, assez rapidement la personne qui est notre interlocuteur ou interlocutrice change, et donc c'est difficile. Et après, effectivement, c'est plutôt d'ordre financier pour permettre le maintien de l'intérêt collectif sur ces questions. Moi, mon inquiétude, c'est que maintenant que MeToo est un peu passé, comment est-ce qu'on continue à faire comprendre aux gens que c'est une priorité importante et que ça a un impact sur la santé, au-delà du fait que... Si les violences en tant que telles ne nous choquent pas plus que ça, ce qui est le cas pour beaucoup de gens, de se dire, en tant que société, d'avoir une prise en charge faible des violences, ça a un coût énorme sur notre système de santé, ça a un coût énorme sur notre système éducatif, et donc ça nous concerne tous.

  • Speaker #1

    Justement, vous disiez « MeToo retombe » . En tant que journaliste, je vois plus que ça, je vois plus qu'une retombée MeToo, je vois une montée très forte de l'illibéralisme, d'une certaine revanche masculiniste, d'une certaine manière. qu'on voit, alors je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes avec Trump, mais je le fais quand même, et qu'on voit aussi ressurgir en Europe de manière de plus en plus manifeste. Est-ce que vous avez l'impression que votre combat est plus difficile à l'heure actuelle de ce point de vue-là, ou que quand même MeToo a un peu nivelé le niveau de conscience de chacun sur la nécessité de prendre en compte les violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura toujours un avant et un après, parce que... Pour vous donner un exemple, on était il n'y a pas si longtemps, parce qu'on a signé une convention entre la Maison des Femmes et le ministère des Armées, et on était au ministère des Armées avec des colonels de l'armée de terre qui nous parlaient de VSS, de prise en charge du viol, de violences sexistes et sexuelles. Et je me suis dit qu'il y a dix ans, je ne pense pas qu'on se serait retrouvés dans une pièce avec des hauts représentants de l'armée. qui n'ont pas envoyé la personne référente dans leur équipe, mais qui viennent eux-mêmes et qui utilisent des termes et qui ont une conscientisation de ce qui se passe au sein de leurs effectifs aussi. Donc je me suis dit qu'il y avait un vrai avant-après. Et je pense qu'on reviendra difficilement à l'avant, une sorte de prise de conscience. En revanche, dans l'associatif et dans les questions un peu militantes, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Et la question de l'avortement aux États-Unis, dont on a un peu parlé, mais... C'est un peu un réveil aussi de se dire en fait, certes, il y a une prise de conscience, notamment parce qu'il y a toujours des choses comme le procès Mazan, qui nous rappellent aussi l'actualité de ces problématiques qui sont toujours réelles. La jeune fille qui a disparu il y a quelques jours près de Poitiers. Tout ça, ce sont des choses qui nous rappellent que les violences sont encore très présentes. En revanche, il y a aussi une multiplicité de causes associatives. sont anxieux quant à leur futur à eux. On leur parle d'environnement, on leur parle de violence, on leur parle d'agression sur les enfants, on leur parle de droits des animaux. Et donc, c'est aussi difficile de continuer à faire émerger autant de sujets dans la société quand le monde ne va pas bien non plus, qu'il y a des guerres, qu'il y a des conflits. Et donc, c'est aussi une réaction un peu humaine et normale de ne plus trop savoir où mettre son militantisme et ne plus savoir par où commencer pour s'inquiéter. Par exemple, on a fait une campagne d'arrondi en caisse dans des supermarchés il n'y a pas si longtemps. Et on a levé énormément d'argent parce que les gens continuent à être très généreux. Donc je m'accroche à ça. Je m'accroche à la volonté individuelle de continuer à s'engager par des petits gestes pour pallier au fait que la société nous dépasse et que le monde court à sa perte.

  • Speaker #1

    Alors justement, dans l'engagement, il y a plusieurs formes d'engagement. Et en regardant votre CV, j'ai quand même constaté que vous aviez été... chef de cabinet du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin. Et pour faire bouger les choses, vous vous êtes placé du côté du politique et vous vous êtes placé maintenant du côté de l'associatif ou du sanitaire, je ne sais pas comment vous le définissez. Est-ce que vous pensez que vous pouvez rester du côté opérationnel et que la possibilité de faire bouger les choses ne va pas vous obliger à un moment à passer du côté politique ?

  • Speaker #0

    C'est une très bonne question. Vous êtes dans mes pensées existentielles de tous les jours. Au niveau politique local, j'ai eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir. Et j'ai énormément de respect et d'admiration pour les politiques locales, pour les hommes et les femmes politiques locales, parce que je pense que c'est probablement le travail le plus dur qu'on peut avoir, d'être maire, d'être adjoint au maire, parce qu'on peut avoir un impact très important sur la vie des gens. Et notre vie appartient à celle de nos concitoyens. On ne peut pas descendre au supermarché sans que quelqu'un vienne nous parler de sa place en crèche. d'un désert médical, de la rue qui n'est pas bien éclairée, d'une problématique culturelle. Et ils vivent ça à bras-le-corps. Et donc à la mairie de Saint-Denis, j'ai vraiment vu un mélange d'impact énorme et une volonté d'aider sa ville sur le long terme, d'avoir réussi les Jeux Olympiques à Saint-Denis. Ça peut paraître anodin, mais c'est un succès énorme pour ce que ça dit de la ville, pour ce que ça renvoie comme image d'une banlieue. Et donc, moi, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir au niveau politique local. Et je pense que les maires et les adjoints aux maires peuvent vraiment changer la vie des gens. Donc, je n'ai pas du tout ressenti cette frustration de te dire, il faut aller plus haut, il faut taper plus haut. Évidemment, la question des financements, c'est celle qui nous régit tous, que ce soit au niveau mairie ou au niveau associatif. C'est de te dire, comment est-ce qu'on débloque des financements plus importants pour aider les gens qu'on aide ? Mais aujourd'hui, j'ai l'impression de continuer à avoir cet impact. Et pour vous dire, en fait, les politiques... au bout d'un moment, sont obligés d'écouter la société civile et la société civile. C'est aussi les associations. Et le jour où les fondations privées décident qu'ils n'ont plus assez de financement et qu'on doit fermer, j'ose espérer que, alors j'aimerais ne pas en venir à ça, mais j'ose espérer que les pouvoirs publics se diront qu'on ne peut pas fermer une structure comme ça qui aide tant de gens et qui est tellement hors des cases justement. Donc on va trouver un moyen de le financer et c'est ce qui est arrivé. pour que l'ARS commence à financer les maisons des femmes. Au début, l'ARS a dit que ce n'est pas un modèle qui rentre dans nos cases, on ne peut pas le financer. On a ouvert grâce aux fonds privés. MeToo est arrivé. Au bout d'un moment, les fonds privés baissaient un peu. Donc on a dit, écoutez, si vous voulez, on arrête. On arrête, on ferme, mais ce n'est pas grave. Et là, le ministère de la Santé, à l'époque, a dit, non, on va dédier une enveloppe des ARS à celle de Saint-Denis, mais aussi au déploiement d'autres maisons des femmes. Donc je pense qu'on peut y arriver à faire changer les pouvoirs publics de là où on est. Il faut juste qu'on trouve les bons interlocuteurs qui arrivent à avoir cette vision transverse, innovante. Et dans la santé, c'est... pas toujours facile. Donc je pense que c'est ça qu'on recherche, c'est au niveau politique d'avoir ces interlocuteurs un peu visionnaires.

  • Speaker #1

    Et alors justement, la place du visionnaire, vous n'envisagez pas de la prendre ?

  • Speaker #0

    Peut-être un jour, peut-être un jour. Il faut que je... J'ai besoin d'abord d'avoir l'impression de réussir la mission qui m'est donnée, notamment par le docteur Athème, à la Maison des Femmes, et ensuite peut-être que j'irais m'intéresser... J'ai étudié la santé publique et pas la médecine parce que je m'intéressais au plus grand nombre, donc oui.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, je voudrais conclure là-dessus. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens sur les violences faites aux femmes ? Objectivement, vous en parliez, les faits divers sont de plus en plus éclairés. La violence de la société est de plus en plus éclairée avec ce que les politiques ont appelé l'ensauvagement, trop éclairé pour des raisons de manipulation ou pas. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens pour ce qui est des femmes, pour la conscientisation de la violence faite aux femmes et pour la résolution de la violence faite aux femmes ? Oui. Question de follow-up, avant même que vous commenciez, est-ce que vous pensez que vous verrez de votre vivant la fin de la violence faite aux femmes, de la spécificité des violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Non. Oui, il y a un changement qui est indéniable et on le voit et c'est ce dont je vous parlais avec le ministère des Armées par exemple, d'aller former des corps constitués, d'aller former la police, l'armée, les pompiers qui sont des milieux essentiellement masculins qui usent de la force et donc d'aller leur parler. de mécanismes de l'emprise, de masculinité, de comprendre quelle est la différence entre la force et la violence. Tout ça, c'est des choses qui, je pense, encore une fois, il y a dix ans, seraient impossibles. Est-ce qu'on ne peut pas revenir en arrière et annuler tout ce qu'on a mis en place ? C'est toujours possible. Moi, je pense que la manière dont s'organise la société civile, et notamment en France, fait qu'on arrivera à faire barrage à ça. Et donc que la question des violences ne sera jamais invisibilisée, notamment parce qu'encore une fois, avec des choses comme le procès Mazan, on est toujours rappelé au fait qu'elle est partout, elle est présente, et que des choses qui nous paraissent atroces sont en fait relativement quotidiennes, dans ce que moi j'entends dans le cadre de la prise en charge des patients de victimes de violences. En revanche... Les violences faites aux femmes, c'est seulement le résultat d'une société très patriarcale et qui accepte et qui passe sous silence énormément de formes de violences et l'emprise, la manière dont ces violences se mettent en place. Et c'est pour ça qu'on insiste sur le fait qu'elles sont applicables dans tous les milieux sociaux. C'est quelque chose qui est très difficile à démanteler. C'est pour ça que je parlais de prévention avant. Une femme... ne se fait jamais frapper au premier rendez-vous. Il n'y a jamais une claque qui part comme ça avec un mec qu'elles viennent d'accueillir chez elles. Enfin voilà, ça n'arrive pas, les violences. C'est un mécanisme insidieux qui est très lent. Il y a des violences administratives, il y a des violences économiques, il y a beaucoup de violences psychologiques qui se mettent en place avant que tout ça arrive. Et donc ça, c'est très difficile à démanteler parce que c'est un mélange de conséquences de la société dans laquelle on vit où il y a toujours ce déséquilibre de pouvoir, ce déséquilibre... dans l'idée qu'on se fait des relations hommes-femmes, et ça c'est très difficile à démanteler, ça prend énormément de temps. Et je pense que, évidemment que je prêche pour ma paroisse, et que je pense qu'il faut des maisons des femmes partout, mais encore une fois, la prévention, c'est ce qu'il y a de plus important, c'est d'aller dès la maternelle, parler de mon corps c'est mon corps, de parler de consentement dès la petite enfance, de dire qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui n'est pas acceptable quand on est un enfant, qu'est-ce qu'un adulte a le droit de faire sur nous et pas le droit de faire sur nous. Et ensuite, entre jeunes, et notamment avec les réseaux sociaux, comment est-ce qu'on change la perception de si une fille couche avec plein de mecs, c'est une salope, mais si un mec couche avec plein de filles, c'est un mec bien. Tout ça, ça commence tellement tôt. Et ensuite, quand on a 30, 40, 50 ans, c'est plus difficile de défaire ça. Parce que moi, je le vois bien quand je vais dans des dîners un peu mondains, un peu plus chics, et que je parle de violence, c'est tout de suite un peu rabat-joie, on plombe l'ambiance. Et puis de toute façon, ce que tu fais, c'est à Saint-Denis, et c'est très bien parce que là-bas, il y a beaucoup de violence. Mais de faire comprendre que c'est quelque chose de société, qui s'applique à tous. Et que ça passe par ne pas rire de la petite blague sexiste au bureau, répondre quand une collègue plus jeune se fait, avec un commentaire désobligeant juste parce qu'elle est jeune et que c'est une femme. Ça passe par plein de petites choses et ça, ça prend énormément de temps. Et même si je suis jeune, je crains que tout ça ne se termine pas dans les 50 prochaines années. Mais si déjà on peut stagner et ne pas revenir en arrière,

  • Speaker #1

    je prends. Terminons sur... Qu'est-ce qui vous rend optimiste sur le combat pour l'égalité des femmes à l'heure actuelle ?

  • Speaker #0

    Les personnes avec qui je travaille et notamment les jeunes personnes avec qui je travaille, puisque je suis assez jeune, mais dans mon équipe, j'ai des jeunes femmes qui ont 22-23 ans et qui sont extrêmement motivées et aussi extrêmement lucides sur la manière dont aborder les questions pour les faire comprendre au plus grand nombre. Nous, on est une structure de santé, donc on s'adresse à des professionnels qui ne sont pas... pas militants, pas engagés, qui ne se considèrent pas toujours comme féministes, mais en les abordant dans un sujet qu'ils connaissent, la santé, ça parle aussi à un plus grand monde. Et donc, on essaye de s'adresser à chaque personne d'une manière qu'il va comprendre pour parler des violences. Donc, ce qui me rend optimiste, c'est les infirmières, les aides-soignantes, les médecins, ma RH qui travaillent sur ces questions et qui ne sont peut-être pas des militantes de naissance, mais qui voient un problème et veulent le régler. Donc, il y a deux. de quoi être très optimiste quand on voit ça.

  • Speaker #1

    Merci Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

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Description

Ce mois-ci, nous recevons une femme de terrain et d’impact : Violette Perrotte, ancienne cheffe de cabinet du maire de Saint-Denis et aujourd’hui pilier de la Maison des Femmes, structure pionnière dans la prise en charge des violences sexistes et sexuelles. De l’engagement associatif au jeu politique, des colères froides aux petites victoires du quotidien, Violette raconte sans détour la difficulté (et la nécessité) de faire avancer les choses — dans une société qui n’a pas encore tourné la page du patriarcat.
Pourquoi c’est si dur d’obtenir des financements ? Peut-on vraiment prévenir les violences dès la maternelle ? MeToo a-t-il tout changé ou presque rien ?
Un épisode sensible, engagé, lucide… et profondément humain.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre, un podcast produit par We Are et Time to Sign Off.

  • Speaker #1

    Bonsoir et bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, bref, toutes celles et ceux qui tirent les ficelles mais évitent la lumière. Ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off, TPSO, et ce soir, je reçois une femme qui travaille sur ce qui est probablement la part d'ombre la plus noire et la plus étendue de nos sociétés, la violence faite aux femmes. Bonsoir Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Bonsoir.

  • Speaker #1

    Violette, vous êtes la directrice générale de la Maison des Femmes, un projet né en 2016 sur le terrain vague d'un hôpital de Seine-Saint-Denis. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce que fait la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La Maison des Femmes, c'est un centre de santé qui accueille les femmes victimes de violences. Les maisons des femmes sont toujours rattachées à des hôpitaux et sont des unités d'hôpitaux comme la maternité, la pédiatrie, la cancéro. Alors,

  • Speaker #1

    avant d'en venir sur le détail de l'action des maisons des femmes et sur le progrès ou non de l'action contre les violences faites aux femmes, quelques mots sur vous, Violette. Vous avez un parcours académique axé sur la santé publique et les relations internationales. Je préviens nos auditeurs, c'est assez impressionnant. Vous êtes titulaire d'un double diplôme en études internationales et en santé publique de l'université Johns Hopkins aux États-Unis. Johns Hopkins, c'est vraiment l'université qui fait référence en la matière. Et par la suite, excusez du peu, vous avez un master en santé publique à la Harvard School of Public Health, se concentrant sur la santé mondiale et la santé des populations avec une spécialisation en santé maternelle. Vous vous êtes engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes et vous avez débuté votre carrière au programme alimentaire mondial au Sénégal. Alors, ma première question quand même, c'est comment est-ce qu'on passe d'études américaines du Sénégal à la Seine-Saint-Denis ?

  • Speaker #0

    Une très bonne question et c'est une transition qui a surpris beaucoup de gens. Mon engagement militant dans la question des droits des femmes, il est vraiment passé d'abord par la question de la santé, donc en découvrant qu'il y avait vraiment des inégalités profondes de santé si on est femme et notamment dans les pays en développement et notamment par le biais de pratiques culturelles néfastes comme l'excision dont on parlera un peu après. Et donc moi je me suis intéressée... directement à la question de la santé dans les pays en développement, en me disant, je vais faire une grande carrière à l'international, c'est ce qui est attendu de moi un petit peu aussi. J'ai fait des études aux États-Unis, je me suis intéressée aux pays en développement, notamment au continent africain, donc je travaillerai comme diplomate, comme expat dans des pays en développement, et j'irai faire plein de belles choses, comme on peut l'être un peu idéaliste à 20 ans. Et donc je suis partie au Sénégal travailler un an au programme alimentaire mondial, où là... J'ai eu peut-être ce qu'on peut appeler un peu une crise existentielle, si on peut en avoir une à 22 ans, où je me suis dit en fait qu'il y avait des systèmes qui étaient en place dans ces grands organismes internationaux qui n'étaient pas toujours au bénéfice des populations locales. J'avais 22 ans, je n'avais pas énormément de compétences, mais j'étais payée bien mieux parfois que les équipes locales sur place qui étaient tout autant, voire plus compétentes que moi. Et en fait, j'étais à la recherche de terrain, mais je me sentais très loin du terrain. J'avais l'impression de ne pas forcément faire avancer grand-chose là où j'étais, alors que le programme alimentaire mondial en tant que tel fait un travail incroyable. Mais moi, là où j'étais, je me demandais un peu pourquoi j'avais choisi de travailler dans des pays en développement et pourquoi je ne m'attaquais pas d'abord de là où je venais en France et là où il y avait aussi énormément de problèmes. Donc j'ai décidé de rentrer au bout d'un an. Encore une fois, à la surprise un peu de tous, puisqu'on pensait que j'étais partie pour les 20 prochaines années à travailler un peu partout. Et j'ai entendu parler de ce projet qui venait d'ouvrir ses portes, la Maison des Femmes à Saint-Denis, où je suis allée voir sa fondatrice, la médecin Dr Radha Athem, en lui disant, je ne sais pas trop ce que je veux faire pour l'instant, mais est-ce que je pourrais venir vous aider à ouvrir ce projet ? Elle m'a dit, bah... Avec grand plaisir, mais un, on ne peut pas te payer. Et de deux, je ne sais pas très bien ce que tu vas faire, parce qu'il n'y a que des médecins ou des assistantes sociales ou des psychologues. Donc, on verra ce que tu fais. Je suis venue tous les jours en tant que bénévole au début. Et très rapidement, c'était juste au moment de MeToo. Et donc, en fait, extrêmement rapidement, la structure a fait appel d'air. Beaucoup de patientes sont arrivées. Et ensuite, beaucoup de journalistes, beaucoup d'attention des pouvoirs publics. Et donc, la nécessité de structurer ce modèle qui, en fait... était assez révolutionnaire en tant que telle. Et donc, je suis devenue sa chargée de projet, ce que j'ai fait pendant deux ans. Et en fait, j'ai trouvé un sens à ce que j'avais étudié à quelques stations de métro de chez moi, beaucoup plus qu'à plusieurs heures d'avion.

  • Speaker #1

    Là, on était en 2016. Expliquez-nous comment ça s'est structuré. Quelle est la genèse ? Revenez sur la fondatrice. Et quelle est la genèse du projet et quel est le début de son envol avec MeToo en particulier ?

  • Speaker #0

    Docteur Atem, c'est une gynécologue obstétricienne. Elle était à l'époque chef de la maternité de l'hôpital de La Fontaine, qui est le grand hôpital à Saint-Denis, hôpital public. Et en tant que gynéco, elle a fait un constat qui était assez simple, qui était de se dire en fait les patientes viennent me voir pour des motifs médicaux, mais dévoilent dans le cadre de la consultation médicale beaucoup d'autres choses qui dépassent le motif médical. Donc elles viennent pour une PMA. une IVG, un suivi de grossesse, et elle me parle de violences passées dans l'enfance, de violences actuelles, de difficultés, de cauchemars, de psychotraumatismes, etc. Et le deuxième constat qu'elle a fait, c'était qu'elle, en tant que médecin, elle ne pouvait pas bien diagnostiquer quelqu'un si elle ne posait pas la question des violences. Aujourd'hui, si on va chez le médecin généraliste, on nous demande « est-ce que vous fumez ? Est-ce que vous buvez ? » Ce sont des questions qui nous paraissent totalement normales, pas intrusives de notre intimité, parce qu'on sait que c'est relié à notre santé. En revanche, on nous pose... pas ou peu la question du traumatisme ou des violences subies aux hommes comme aux femmes, alors qu'on sait aujourd'hui que ça a un vrai impact sur la santé d'avoir subi un traumatisme dans sa vie. Et donc elle s'est dit, moi je suis praticien hospitalier, on a une maternité, on a une pédiatrie, on a une unité gastro, on a une unité cancéro, on traite les maladies, pourquoi est-ce qu'on ne traite pas les violences qui ont un impact sur la santé comme n'importe quelle autre maladie ? Donc elle a voulu créer une unité de l'hôpital qui prendrait en charge les violences. de manière pluridisciplinaire, et c'est la Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Une manière pluridisciplinaire, ça veut dire de multiples intervenants. Concrètement, on les avait au sein de l'hôpital ou une structure qui doit appeler et recruter des profils différents ?

  • Speaker #0

    C'est une structure qui est au sein de l'hôpital. Toutes les Maisons des Femmes, parce que maintenant il y en a 30 en France, sont dans les hôpitaux, donc sont des unités fonctionnelles des hôpitaux, elles dépendent d'hôpitaux, et les professionnels viennent dans les Maisons des Femmes, donc viennent dans les hôpitaux, et c'est ça la particularité. Dans une maison des femmes, il y a des psychologues, des sexologues, des psychiatres, des juristes, des policiers, des assistantes sociales. Mais la patiente, elle n'a pas à aller chercher ses services dans tous les lieux où ses professionnels sont d'habitude, un commissariat, un service social. Ses professionnels viennent à la maison des femmes et donc ça évite que la femme ait à aller chercher ses services et ça évite aussi surtout qu'elle ait à répéter son histoire plusieurs fois parce qu'on travaille avec le secret médical partagé, donc tous les professionnels qui travaillent au sein des maisons des femmes. ont accès à l'historique de la patiente. Et donc, elle n'a pas à recommencer dès le début un récit traumatique. Et elle peut reprendre là où elle l'a laissé avec un autre professionnel. Et c'est très utile pour les pros, notamment, qui sont contents de travailler non plus en silo, mais vraiment en collaboration les uns avec les autres.

  • Speaker #1

    Mais vous dites qu'il y a des policiers, ça va jusqu'au juridique, jusqu'aux relations avec le parquet ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. Les femmes peuvent porter plainte dans les maisons des femmes, ce qui était aussi quelque chose de révolutionnaire en tant que tel, parce que pendant longtemps, on ne pouvait porter plainte. que dans un commissariat, mais le ministère de la Justice a voulu tester un nouvel moyen de faire avec le ministère de l'Intérieur, où les femmes pouvaient porter plainte dans les maisons des femmes et ne pas aller au commissariat pour porter plainte. Ça change énormément de choses, le policier étant civil, ce n'est pas du tout la même expérience que dans un commissariat, où on est avec d'autres personnes qui viennent pour des raisons très différentes. Ça crée un environnement beaucoup plus sécurisant pour les patients. Donc oui, c'est fait en lien avec tous les ministères. Autre chose qu'on a fait avec le ministère de la Justice notamment, c'est d'accepter les femmes qui viennent pour des viols ou des agressions sexuelles récentes, dans les cinq jours précédents, et collecter les preuves de cette agression sans qu'elles aient eu à porter plainte. Normalement en France, pour pouvoir collecter des preuves, il faut d'abord avoir porté plainte, il faut aller dans une unité médico-judiciaire, c'est un processus qui est assez compliqué. Et là, à la Maison des Femmes, elles peuvent venir, on collecte les preuves de l'agression sans réquisition, et on peut préserver ces preuves jusqu'à trois ans. donc comme ça si les femmes décident de porter plainte plus tard elles ont accès aux preuves de leur agression qui sont dans les maisons des femmes C'est une structure d'accueil hospitalière où les femmes peuvent rester ou c'est une structure d'accueil de jour ? C'est une structure d'accueil de jour comme une structure hospitalière la seule différence c'est qu'il y a deux ans on a ouvert un centre d'hébergement qui n'est pas à Saint-Denis qui est à Bagnolet aujourd'hui et qui n'est pas pour toutes les patientes de la maison des femmes il s'applique seulement ... Aux jeunes femmes qui ont entre 18 et 25 ans, victimes de violences sans enfants. Parce qu'on a réalisé qu'il y avait un trou dans la raquette de la prise en charge pour cette tranche d'âge de ces jeunes femmes qui sont soit en sortie de placement en dette sociale à l'enfance, soit en foyer violent, donc avec des parents qui sont violents, soit victimes de violences conjugales. Il y a beaucoup de victimes de violences conjugales mineures, on en parle peu, mais qui sont victimes de violences de leurs petits copains, qui peuvent être soit mineurs aussi, soit majeurs. et qui sont donc à grand risque de rue, de prostitution et de violences aggravées. Donc on a ouvert un centre d'hébergement pour cette tranche d'âge spécifique.

  • Speaker #1

    Vous commencez dans ce projet à son commencement en 2016 et en 2024 vous en êtes nommée directrice générale. Est-ce que vous pouvez nous dire le quotidien de votre mission en tant que directrice générale de la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La structure maintenant est bien différente que celle que j'ai occupée en 2018.

  • Speaker #1

    Excusez-moi de vous interrompre, on l'a dit mais je voudrais le redire. On est percée d'une Maison des Femmes, d'un projet pilote. à 30 maisons des femmes, y compris à La Réunion. L'idée étant de faire une maison des femmes par département ?

  • Speaker #0

    L'idée est de faire une maison des femmes par département, de vraiment quadriller le territoire français. Et en fait, énormément de médecins sont en demande d'ouvrir des maisons des femmes dans leurs hôpitaux. On a beaucoup d'équipes médicales qui nous écrivent pour dire qu'on reçoit beaucoup de violences. On est déjà en lien avec les unités médico-judiciaires, avec la Gynéco, avec le service des urgences. On veut juste le formaliser, le cadrer. Donc nous, on les aide à en faire un vrai projet en tant que tel. Donc oui, moi, j'ai quitté la Maison des Femmes en 2018. Au début, il y avait deux Maisons des Femmes, une à Saint-Denis, une à Bruxelles, qui est le deuxième hôpital à s'être motivé pour ouvrir une Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que c'est une organisation à vocation internationale ? Oui.

  • Speaker #0

    Au bout d'un moment, sûrement, on va déjà quadriller le territoire français et ensuite on verra pour l'international. Mais il s'avère que l'équipe de l'hôpital Saint-Pierre en Belgique, à Bruxelles, était la deuxième à nous appeler en disant on a vu ce que vous avez fait, on veut faire la même chose. Ils ont aussi beaucoup d'excisions, ce qu'on a pas mal à Saint-Denis et donc on prend en charge aussi à la Maison des Femmes. Et donc ils voulaient faire une structure similaire où on prenait en charge les violences, dont l'excision. Et donc ils ont ouvert la deuxième Maison des Femmes. Voilà. Alors la volonté de s'étendre à l'international, elle est présente, notamment parce que, tout comme en France, il y a beaucoup d'équipes médicales d'autres pays, Londres, l'Arabie Saoudite plus récemment, Mexico, qui nous contactent pour ouvrir des structures similaires. L'avantage du modèle Maison des Femmes, c'est qu'il est basé sur la santé, et la santé c'est universel partout, il y a des hôpitaux partout dans le monde, donc même si les services de justice sont différents, même si les services sociaux sont différents, il y a des médecins dans tous les pays. Il suffit qu'ils arrivent à adapter le modèle à leurs problématiques locales, mais c'est un modèle qui est extrêmement duplicable partout.

  • Speaker #1

    En tant que directrice générale de la Maison des Femmes, c'est quoi votre quotidien ? Quelles sont vos interactions ? Avec qui vous interagissez ?

  • Speaker #0

    Il y a deux interlocuteurs importants. Le premier, c'est les fondations, puisqu'on est presque entièrement financés par des fondations privées. C'est un travail de tous les instants de lever des fonds, d'aller démontrer la pertinence du modèle et la nécessité de le financer, de financer. La Maison des Femmes de Saint-Denis, qui est un peu notre maison mère, mais aussi toutes les autres maisons des femmes qui ouvrent, qu'on finance toujours pendant leurs trois premières années d'existence, de financer le centre d'hébergement qui accueille 28 jeunes femmes. Et le deuxième interlocuteur, c'est les pouvoirs publics, pour aller leur démontrer à eux aussi la pertinence de ce modèle et la nécessité de le prendre en charge de manière toujours plus importante. Parce qu'aujourd'hui, c'est les ARS, les agences régionales de santé, qui financent en partie les nouvelles maisons des femmes. mais on est toujours dans l'optique d'en faire des structures publiques, comme toutes les unités d'hôpitaux, et qui dépendraient de moins en moins du privé, pour que l'idée de la maison des femmes, qui est de dire que les violences sont un problème de santé et de santé publique, que les violences soient prises en charge, comme n'importe quelle autre problématique de santé qui est prise en charge. Donc c'est un peu les deux, mon travail est divisé entre ces deux-là.

  • Speaker #1

    À l'heure actuelle, les masses de financement se répartissent comment entre le privé et le public ?

  • Speaker #0

    On est à 60% sur du privé et à 40% sur du public, avec la différence qu'au sein des maisons des femmes, le financement se fait aussi par le remboursement d'actes médicaux, presque à un tiers, un tiers, un tiers. Donc un tiers privé, un tiers public via les ARS et un tiers remboursement par la Sécurité sociale des actes médicaux.

  • Speaker #1

    Dans le contexte budgétaire à l'heure actuelle, Est-ce que c'est plus difficile ? Est-ce que vous avez l'impression que les choses, au contraire, avancent ? Où en êtes-vous sur votre cheminement vers le public ?

  • Speaker #0

    Je pense que le financement, il y a une partie qui restera toujours privée, parce que le financement privé permet une flexibilité que le financement public ne permet pas. Le projet de la Maison des Femmes, il a vu le jour parce que des fondations privées l'ont soutenu, notamment la fondation Kering, Accor, AXA, parce que ce sont des gens qui ont vu cette vision qui ne rentrait pas dans les cases. Aujourd'hui, quand on va à l'ARS, au gouvernement, avec un projet qui n'est pas dans une de leurs cases très strictes, c'est compliqué de faire bouger ces lignes. Le docteur Athème est allé voir le ministère de la Santé au début. On lui a dit que c'était un projet droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. On lui a dit que c'était un projet les pouvoirs publics, c'est de leur faire comprendre qu'on peut avoir un projet qui est basé sur la santé mais qui s'adresse à plein d'autres sujets. Donc on veut préserver ce côté privé parce que ça nous donne une flexibilité et qu'il y a des choses qu'on fait qui ne sont pas de l'ordre aujourd'hui des ARS et de la santé. Par exemple, on a des ateliers psychocorporels, etc. Ça, d'être financé par le privé, ça me paraît normal. En revanche, par exemple, un axe de plaidoyer très important, on essaie de convaincre... l'assurance maladie de prendre en charge les consultations de psychologues dans les maisons des femmes. Parce qu'aujourd'hui, une femme qui va voir un psychologue dans une maison des femmes, c'est parce qu'elle a un besoin très important de soigner son psychotrauma. Et donc, il faut que ça soit pris en charge par l'assurance maladie. Donc, c'est ce genre de dossier sur lequel on va voir les pouvoirs publics. Même chose pour notre centre d'hébergement. Aujourd'hui, quand vous êtes un mineur et que vous êtes placé dans un centre d'aide sociale à l'enfance, Les personnes qui gèrent ce centre ont une dotation qui est d'environ 150 euros par jour par enfant, il me semble. Et quand vous passez majeur, donc quand vous avez 18 ans, ce taux descend à 30 euros par jour par personne. Nous, les jeunes filles qu'on accueille, elles ont moins de 25 ans, la plupart ont à peu près 19 ans. Elles ont des besoins qui relèvent d'un enfant, puisqu'elles ont été victimes de violences toute leur jeunesse, beaucoup victimes d'inceste. Et donc on essaye de convaincre aussi les pouvoirs publics de dire qu'il faut que vous créez un statut intermédiaire pour la prise en charge de ces jeunes qui ne sont certes plus des enfants aux yeux de la société mais qui ont des besoins tellement importants qu'il faut augmenter la dotation journalière de ces jeunes filles.

  • Speaker #1

    Quelles sont les grandes pathologies auxquelles vous vous êtes confrontée à la maison des femmes ? Qu'est-ce que c'est le cas typique ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, avec la violence, il y a rarement de cas typiques, puisque la violence a plusieurs formes. Il y a des femmes qui sont victimes de violences physiques, actuelles, et donc la problématique n'est pas du tout la même que si c'est une femme qui a subi, par exemple, de l'inceste dans sa jeunesse et aujourd'hui elle a 50, 60 ans. Ce ne sont pas les mêmes problématiques. Ce qui est assez commun aux femmes, c'est ce qu'on appelle le syndrome du stress post-traumatique, qui maintenant est un peu plus connu, qui est le résultat d'années et d'années de violences et donc de manières pour le corps et le cerveau de se protéger comme on peut et qui créent beaucoup de symptômes qui peuvent aller de cauchemars, d'oubli, de nécessité de se blesser soi-même aussi. Il y a un très large... malheureusement, spectre de conséquences du stress post-traumatique, mais c'est difficile de définir les violences en un mot et leurs conséquences aussi, parce qu'elles sont vraiment plurielles et diverses. Et une chose qui est importante aussi et dont on parle beaucoup, c'est que certes, la première maison des femmes est à Saint-Denis et souvent ça vient avec une certaine stigmatisation de ce que sont les violences, mais aujourd'hui, le fait qu'on ait 30 structures et qu'il y a Aidebourg-en-Bresse, à Tours, à Marseille... Les violences sont plurielles et elles sont dans tous les milieux sociaux et elles sont de plein de manières différentes aussi.

  • Speaker #1

    Si vous aviez une mesure ou deux mesures ou trois mesures d'urgence à prendre pour la protection des femmes à l'heure actuelle, qu'est-ce que ce serait ?

  • Speaker #0

    Ma première mesure pour moi, ce serait d'appliquer la loi qui impose trois cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle de la maternelle à la terminale pour tous les enfants. Parce que ce serait une mesure de prévention d'abord, dans un monde idéal. C'est inscrit... dans la loi, cette nécessité, et ce n'est pas pour rien. C'est parce que nous, on arrive après. On arrive quand les femmes sont déjà blessées, quand les agresseurs sont déjà devenus des agresseurs. Et ce n'est pas trop tard, parce que tout le monde peut être soigné comme n'importe quelle autre maladie. Mais c'est vrai que ce manque de prévention, je pense que c'est ce qui nous frustre le plus. C'est vraiment de se dire comment est-ce qu'on prévient ces violences. Et les cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, c'est des cours où on... On parle beaucoup plus de ces sujets que de contraception, d'IVG, de MST, comme on le faisait à une époque. On parle de consentement, on parle de jalousie, on parle de c'est quoi une fille bien, c'est quoi un mec bien. Et c'est des questions qui interrogent énormément les enfants. Donc je dirais ça. Et la deuxième mesure, ce serait de pouvoir permettre aux médecins de pratiquer le questionnement systématique. Donc dès qu'on va chez un médecin, qu'on pose la question des violences. Parce que... Ça déstigmatise énormément les violences quand on le fait dans le cadre d'un diagnostic médical. C'est de dire, je vous demande si vous avez des antécédents familiaux, parce que ça a un impact sur votre santé. Je vous demande aussi si vous avez vécu un traumatisme, parce que ça aura un impact sur votre santé aussi.

  • Speaker #1

    Vous sentez une résistance des médecins à cet égard ?

  • Speaker #0

    Pas une résistance, une difficulté de le faire dans le contexte actuel, où chaque médecin a très peu de temps avec chaque patient. Les médecins ne sont pas formés et ce n'est pas facile d'entendre un récit de violence. Et donc la nécessité de... les former pour pouvoir entendre ce récit et le faire dans le cadre de leur consultation. Si on est médecin généraliste, on n'est pas psychologue, on n'est pas psychiatre. Et donc il faut leur apprendre à avoir les quelques éléments un peu importants pour pouvoir poser la question et le cadrer dans le cadre de son entretien de médecine générale. Donc il n'y a pas de résistance, on forme beaucoup de médecins, ils ont envie, c'est eux qui en souffrent les premiers, de voir des femmes qui reviennent avec les mêmes récits, des diagnostics. qui ne mènent à rien parce qu'on n'est pas allé à la source du problème, mais on continue à faire les mêmes analyses tout le temps. Et donc, ils ne sont pas résistants, c'est juste qu'ils ont un quotidien qui n'est pas facile aussi.

  • Speaker #1

    Quelles sont justement les grandes difficultés auxquelles vous vous heurtez ? Elles sont d'ordre financier, elles sont d'ordre organisationnel, elles sont d'ordre politique ?

  • Speaker #0

    Alors, les changements successifs de gouvernement n'aident pas pour implanter des changements dans le long terme, c'est clair, parce que quand on commence à faire du plaidoyer sur un dossier, assez rapidement la personne qui est notre interlocuteur ou interlocutrice change, et donc c'est difficile. Et après, effectivement, c'est plutôt d'ordre financier pour permettre le maintien de l'intérêt collectif sur ces questions. Moi, mon inquiétude, c'est que maintenant que MeToo est un peu passé, comment est-ce qu'on continue à faire comprendre aux gens que c'est une priorité importante et que ça a un impact sur la santé, au-delà du fait que... Si les violences en tant que telles ne nous choquent pas plus que ça, ce qui est le cas pour beaucoup de gens, de se dire, en tant que société, d'avoir une prise en charge faible des violences, ça a un coût énorme sur notre système de santé, ça a un coût énorme sur notre système éducatif, et donc ça nous concerne tous.

  • Speaker #1

    Justement, vous disiez « MeToo retombe » . En tant que journaliste, je vois plus que ça, je vois plus qu'une retombée MeToo, je vois une montée très forte de l'illibéralisme, d'une certaine revanche masculiniste, d'une certaine manière. qu'on voit, alors je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes avec Trump, mais je le fais quand même, et qu'on voit aussi ressurgir en Europe de manière de plus en plus manifeste. Est-ce que vous avez l'impression que votre combat est plus difficile à l'heure actuelle de ce point de vue-là, ou que quand même MeToo a un peu nivelé le niveau de conscience de chacun sur la nécessité de prendre en compte les violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura toujours un avant et un après, parce que... Pour vous donner un exemple, on était il n'y a pas si longtemps, parce qu'on a signé une convention entre la Maison des Femmes et le ministère des Armées, et on était au ministère des Armées avec des colonels de l'armée de terre qui nous parlaient de VSS, de prise en charge du viol, de violences sexistes et sexuelles. Et je me suis dit qu'il y a dix ans, je ne pense pas qu'on se serait retrouvés dans une pièce avec des hauts représentants de l'armée. qui n'ont pas envoyé la personne référente dans leur équipe, mais qui viennent eux-mêmes et qui utilisent des termes et qui ont une conscientisation de ce qui se passe au sein de leurs effectifs aussi. Donc je me suis dit qu'il y avait un vrai avant-après. Et je pense qu'on reviendra difficilement à l'avant, une sorte de prise de conscience. En revanche, dans l'associatif et dans les questions un peu militantes, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Et la question de l'avortement aux États-Unis, dont on a un peu parlé, mais... C'est un peu un réveil aussi de se dire en fait, certes, il y a une prise de conscience, notamment parce qu'il y a toujours des choses comme le procès Mazan, qui nous rappellent aussi l'actualité de ces problématiques qui sont toujours réelles. La jeune fille qui a disparu il y a quelques jours près de Poitiers. Tout ça, ce sont des choses qui nous rappellent que les violences sont encore très présentes. En revanche, il y a aussi une multiplicité de causes associatives. sont anxieux quant à leur futur à eux. On leur parle d'environnement, on leur parle de violence, on leur parle d'agression sur les enfants, on leur parle de droits des animaux. Et donc, c'est aussi difficile de continuer à faire émerger autant de sujets dans la société quand le monde ne va pas bien non plus, qu'il y a des guerres, qu'il y a des conflits. Et donc, c'est aussi une réaction un peu humaine et normale de ne plus trop savoir où mettre son militantisme et ne plus savoir par où commencer pour s'inquiéter. Par exemple, on a fait une campagne d'arrondi en caisse dans des supermarchés il n'y a pas si longtemps. Et on a levé énormément d'argent parce que les gens continuent à être très généreux. Donc je m'accroche à ça. Je m'accroche à la volonté individuelle de continuer à s'engager par des petits gestes pour pallier au fait que la société nous dépasse et que le monde court à sa perte.

  • Speaker #1

    Alors justement, dans l'engagement, il y a plusieurs formes d'engagement. Et en regardant votre CV, j'ai quand même constaté que vous aviez été... chef de cabinet du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin. Et pour faire bouger les choses, vous vous êtes placé du côté du politique et vous vous êtes placé maintenant du côté de l'associatif ou du sanitaire, je ne sais pas comment vous le définissez. Est-ce que vous pensez que vous pouvez rester du côté opérationnel et que la possibilité de faire bouger les choses ne va pas vous obliger à un moment à passer du côté politique ?

  • Speaker #0

    C'est une très bonne question. Vous êtes dans mes pensées existentielles de tous les jours. Au niveau politique local, j'ai eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir. Et j'ai énormément de respect et d'admiration pour les politiques locales, pour les hommes et les femmes politiques locales, parce que je pense que c'est probablement le travail le plus dur qu'on peut avoir, d'être maire, d'être adjoint au maire, parce qu'on peut avoir un impact très important sur la vie des gens. Et notre vie appartient à celle de nos concitoyens. On ne peut pas descendre au supermarché sans que quelqu'un vienne nous parler de sa place en crèche. d'un désert médical, de la rue qui n'est pas bien éclairée, d'une problématique culturelle. Et ils vivent ça à bras-le-corps. Et donc à la mairie de Saint-Denis, j'ai vraiment vu un mélange d'impact énorme et une volonté d'aider sa ville sur le long terme, d'avoir réussi les Jeux Olympiques à Saint-Denis. Ça peut paraître anodin, mais c'est un succès énorme pour ce que ça dit de la ville, pour ce que ça renvoie comme image d'une banlieue. Et donc, moi, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir au niveau politique local. Et je pense que les maires et les adjoints aux maires peuvent vraiment changer la vie des gens. Donc, je n'ai pas du tout ressenti cette frustration de te dire, il faut aller plus haut, il faut taper plus haut. Évidemment, la question des financements, c'est celle qui nous régit tous, que ce soit au niveau mairie ou au niveau associatif. C'est de te dire, comment est-ce qu'on débloque des financements plus importants pour aider les gens qu'on aide ? Mais aujourd'hui, j'ai l'impression de continuer à avoir cet impact. Et pour vous dire, en fait, les politiques... au bout d'un moment, sont obligés d'écouter la société civile et la société civile. C'est aussi les associations. Et le jour où les fondations privées décident qu'ils n'ont plus assez de financement et qu'on doit fermer, j'ose espérer que, alors j'aimerais ne pas en venir à ça, mais j'ose espérer que les pouvoirs publics se diront qu'on ne peut pas fermer une structure comme ça qui aide tant de gens et qui est tellement hors des cases justement. Donc on va trouver un moyen de le financer et c'est ce qui est arrivé. pour que l'ARS commence à financer les maisons des femmes. Au début, l'ARS a dit que ce n'est pas un modèle qui rentre dans nos cases, on ne peut pas le financer. On a ouvert grâce aux fonds privés. MeToo est arrivé. Au bout d'un moment, les fonds privés baissaient un peu. Donc on a dit, écoutez, si vous voulez, on arrête. On arrête, on ferme, mais ce n'est pas grave. Et là, le ministère de la Santé, à l'époque, a dit, non, on va dédier une enveloppe des ARS à celle de Saint-Denis, mais aussi au déploiement d'autres maisons des femmes. Donc je pense qu'on peut y arriver à faire changer les pouvoirs publics de là où on est. Il faut juste qu'on trouve les bons interlocuteurs qui arrivent à avoir cette vision transverse, innovante. Et dans la santé, c'est... pas toujours facile. Donc je pense que c'est ça qu'on recherche, c'est au niveau politique d'avoir ces interlocuteurs un peu visionnaires.

  • Speaker #1

    Et alors justement, la place du visionnaire, vous n'envisagez pas de la prendre ?

  • Speaker #0

    Peut-être un jour, peut-être un jour. Il faut que je... J'ai besoin d'abord d'avoir l'impression de réussir la mission qui m'est donnée, notamment par le docteur Athème, à la Maison des Femmes, et ensuite peut-être que j'irais m'intéresser... J'ai étudié la santé publique et pas la médecine parce que je m'intéressais au plus grand nombre, donc oui.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, je voudrais conclure là-dessus. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens sur les violences faites aux femmes ? Objectivement, vous en parliez, les faits divers sont de plus en plus éclairés. La violence de la société est de plus en plus éclairée avec ce que les politiques ont appelé l'ensauvagement, trop éclairé pour des raisons de manipulation ou pas. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens pour ce qui est des femmes, pour la conscientisation de la violence faite aux femmes et pour la résolution de la violence faite aux femmes ? Oui. Question de follow-up, avant même que vous commenciez, est-ce que vous pensez que vous verrez de votre vivant la fin de la violence faite aux femmes, de la spécificité des violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Non. Oui, il y a un changement qui est indéniable et on le voit et c'est ce dont je vous parlais avec le ministère des Armées par exemple, d'aller former des corps constitués, d'aller former la police, l'armée, les pompiers qui sont des milieux essentiellement masculins qui usent de la force et donc d'aller leur parler. de mécanismes de l'emprise, de masculinité, de comprendre quelle est la différence entre la force et la violence. Tout ça, c'est des choses qui, je pense, encore une fois, il y a dix ans, seraient impossibles. Est-ce qu'on ne peut pas revenir en arrière et annuler tout ce qu'on a mis en place ? C'est toujours possible. Moi, je pense que la manière dont s'organise la société civile, et notamment en France, fait qu'on arrivera à faire barrage à ça. Et donc que la question des violences ne sera jamais invisibilisée, notamment parce qu'encore une fois, avec des choses comme le procès Mazan, on est toujours rappelé au fait qu'elle est partout, elle est présente, et que des choses qui nous paraissent atroces sont en fait relativement quotidiennes, dans ce que moi j'entends dans le cadre de la prise en charge des patients de victimes de violences. En revanche... Les violences faites aux femmes, c'est seulement le résultat d'une société très patriarcale et qui accepte et qui passe sous silence énormément de formes de violences et l'emprise, la manière dont ces violences se mettent en place. Et c'est pour ça qu'on insiste sur le fait qu'elles sont applicables dans tous les milieux sociaux. C'est quelque chose qui est très difficile à démanteler. C'est pour ça que je parlais de prévention avant. Une femme... ne se fait jamais frapper au premier rendez-vous. Il n'y a jamais une claque qui part comme ça avec un mec qu'elles viennent d'accueillir chez elles. Enfin voilà, ça n'arrive pas, les violences. C'est un mécanisme insidieux qui est très lent. Il y a des violences administratives, il y a des violences économiques, il y a beaucoup de violences psychologiques qui se mettent en place avant que tout ça arrive. Et donc ça, c'est très difficile à démanteler parce que c'est un mélange de conséquences de la société dans laquelle on vit où il y a toujours ce déséquilibre de pouvoir, ce déséquilibre... dans l'idée qu'on se fait des relations hommes-femmes, et ça c'est très difficile à démanteler, ça prend énormément de temps. Et je pense que, évidemment que je prêche pour ma paroisse, et que je pense qu'il faut des maisons des femmes partout, mais encore une fois, la prévention, c'est ce qu'il y a de plus important, c'est d'aller dès la maternelle, parler de mon corps c'est mon corps, de parler de consentement dès la petite enfance, de dire qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui n'est pas acceptable quand on est un enfant, qu'est-ce qu'un adulte a le droit de faire sur nous et pas le droit de faire sur nous. Et ensuite, entre jeunes, et notamment avec les réseaux sociaux, comment est-ce qu'on change la perception de si une fille couche avec plein de mecs, c'est une salope, mais si un mec couche avec plein de filles, c'est un mec bien. Tout ça, ça commence tellement tôt. Et ensuite, quand on a 30, 40, 50 ans, c'est plus difficile de défaire ça. Parce que moi, je le vois bien quand je vais dans des dîners un peu mondains, un peu plus chics, et que je parle de violence, c'est tout de suite un peu rabat-joie, on plombe l'ambiance. Et puis de toute façon, ce que tu fais, c'est à Saint-Denis, et c'est très bien parce que là-bas, il y a beaucoup de violence. Mais de faire comprendre que c'est quelque chose de société, qui s'applique à tous. Et que ça passe par ne pas rire de la petite blague sexiste au bureau, répondre quand une collègue plus jeune se fait, avec un commentaire désobligeant juste parce qu'elle est jeune et que c'est une femme. Ça passe par plein de petites choses et ça, ça prend énormément de temps. Et même si je suis jeune, je crains que tout ça ne se termine pas dans les 50 prochaines années. Mais si déjà on peut stagner et ne pas revenir en arrière,

  • Speaker #1

    je prends. Terminons sur... Qu'est-ce qui vous rend optimiste sur le combat pour l'égalité des femmes à l'heure actuelle ?

  • Speaker #0

    Les personnes avec qui je travaille et notamment les jeunes personnes avec qui je travaille, puisque je suis assez jeune, mais dans mon équipe, j'ai des jeunes femmes qui ont 22-23 ans et qui sont extrêmement motivées et aussi extrêmement lucides sur la manière dont aborder les questions pour les faire comprendre au plus grand nombre. Nous, on est une structure de santé, donc on s'adresse à des professionnels qui ne sont pas... pas militants, pas engagés, qui ne se considèrent pas toujours comme féministes, mais en les abordant dans un sujet qu'ils connaissent, la santé, ça parle aussi à un plus grand monde. Et donc, on essaye de s'adresser à chaque personne d'une manière qu'il va comprendre pour parler des violences. Donc, ce qui me rend optimiste, c'est les infirmières, les aides-soignantes, les médecins, ma RH qui travaillent sur ces questions et qui ne sont peut-être pas des militantes de naissance, mais qui voient un problème et veulent le régler. Donc, il y a deux. de quoi être très optimiste quand on voit ça.

  • Speaker #1

    Merci Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

Description

Ce mois-ci, nous recevons une femme de terrain et d’impact : Violette Perrotte, ancienne cheffe de cabinet du maire de Saint-Denis et aujourd’hui pilier de la Maison des Femmes, structure pionnière dans la prise en charge des violences sexistes et sexuelles. De l’engagement associatif au jeu politique, des colères froides aux petites victoires du quotidien, Violette raconte sans détour la difficulté (et la nécessité) de faire avancer les choses — dans une société qui n’a pas encore tourné la page du patriarcat.
Pourquoi c’est si dur d’obtenir des financements ? Peut-on vraiment prévenir les violences dès la maternelle ? MeToo a-t-il tout changé ou presque rien ?
Un épisode sensible, engagé, lucide… et profondément humain.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Dans l'ombre, un podcast produit par We Are et Time to Sign Off.

  • Speaker #1

    Bonsoir et bienvenue dans Dans l'ombre, le podcast produit par We Are et Time to Sign Off, où on reçoit ceux qui, par vocation, ne parlent jamais. Visiteurs du soir, hommes et femmes de l'ombre, agents secrets ou agents de stars, bref, toutes celles et ceux qui tirent les ficelles mais évitent la lumière. Ce sont eux que nous recevons dans Dans l'ombre pour qu'ils nous expliquent leur rôle et leur méthode et qu'ils nous racontent leur histoire. Je suis Romain Dossal, fondateur de la newsletter d'information Time to Sign Off, TPSO, et ce soir, je reçois une femme qui travaille sur ce qui est probablement la part d'ombre la plus noire et la plus étendue de nos sociétés, la violence faite aux femmes. Bonsoir Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Bonsoir.

  • Speaker #1

    Violette, vous êtes la directrice générale de la Maison des Femmes, un projet né en 2016 sur le terrain vague d'un hôpital de Seine-Saint-Denis. Est-ce que vous pouvez nous expliquer en quelques mots ce que fait la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La Maison des Femmes, c'est un centre de santé qui accueille les femmes victimes de violences. Les maisons des femmes sont toujours rattachées à des hôpitaux et sont des unités d'hôpitaux comme la maternité, la pédiatrie, la cancéro. Alors,

  • Speaker #1

    avant d'en venir sur le détail de l'action des maisons des femmes et sur le progrès ou non de l'action contre les violences faites aux femmes, quelques mots sur vous, Violette. Vous avez un parcours académique axé sur la santé publique et les relations internationales. Je préviens nos auditeurs, c'est assez impressionnant. Vous êtes titulaire d'un double diplôme en études internationales et en santé publique de l'université Johns Hopkins aux États-Unis. Johns Hopkins, c'est vraiment l'université qui fait référence en la matière. Et par la suite, excusez du peu, vous avez un master en santé publique à la Harvard School of Public Health, se concentrant sur la santé mondiale et la santé des populations avec une spécialisation en santé maternelle. Vous vous êtes engagé dans la lutte contre les violences faites aux femmes et vous avez débuté votre carrière au programme alimentaire mondial au Sénégal. Alors, ma première question quand même, c'est comment est-ce qu'on passe d'études américaines du Sénégal à la Seine-Saint-Denis ?

  • Speaker #0

    Une très bonne question et c'est une transition qui a surpris beaucoup de gens. Mon engagement militant dans la question des droits des femmes, il est vraiment passé d'abord par la question de la santé, donc en découvrant qu'il y avait vraiment des inégalités profondes de santé si on est femme et notamment dans les pays en développement et notamment par le biais de pratiques culturelles néfastes comme l'excision dont on parlera un peu après. Et donc moi je me suis intéressée... directement à la question de la santé dans les pays en développement, en me disant, je vais faire une grande carrière à l'international, c'est ce qui est attendu de moi un petit peu aussi. J'ai fait des études aux États-Unis, je me suis intéressée aux pays en développement, notamment au continent africain, donc je travaillerai comme diplomate, comme expat dans des pays en développement, et j'irai faire plein de belles choses, comme on peut l'être un peu idéaliste à 20 ans. Et donc je suis partie au Sénégal travailler un an au programme alimentaire mondial, où là... J'ai eu peut-être ce qu'on peut appeler un peu une crise existentielle, si on peut en avoir une à 22 ans, où je me suis dit en fait qu'il y avait des systèmes qui étaient en place dans ces grands organismes internationaux qui n'étaient pas toujours au bénéfice des populations locales. J'avais 22 ans, je n'avais pas énormément de compétences, mais j'étais payée bien mieux parfois que les équipes locales sur place qui étaient tout autant, voire plus compétentes que moi. Et en fait, j'étais à la recherche de terrain, mais je me sentais très loin du terrain. J'avais l'impression de ne pas forcément faire avancer grand-chose là où j'étais, alors que le programme alimentaire mondial en tant que tel fait un travail incroyable. Mais moi, là où j'étais, je me demandais un peu pourquoi j'avais choisi de travailler dans des pays en développement et pourquoi je ne m'attaquais pas d'abord de là où je venais en France et là où il y avait aussi énormément de problèmes. Donc j'ai décidé de rentrer au bout d'un an. Encore une fois, à la surprise un peu de tous, puisqu'on pensait que j'étais partie pour les 20 prochaines années à travailler un peu partout. Et j'ai entendu parler de ce projet qui venait d'ouvrir ses portes, la Maison des Femmes à Saint-Denis, où je suis allée voir sa fondatrice, la médecin Dr Radha Athem, en lui disant, je ne sais pas trop ce que je veux faire pour l'instant, mais est-ce que je pourrais venir vous aider à ouvrir ce projet ? Elle m'a dit, bah... Avec grand plaisir, mais un, on ne peut pas te payer. Et de deux, je ne sais pas très bien ce que tu vas faire, parce qu'il n'y a que des médecins ou des assistantes sociales ou des psychologues. Donc, on verra ce que tu fais. Je suis venue tous les jours en tant que bénévole au début. Et très rapidement, c'était juste au moment de MeToo. Et donc, en fait, extrêmement rapidement, la structure a fait appel d'air. Beaucoup de patientes sont arrivées. Et ensuite, beaucoup de journalistes, beaucoup d'attention des pouvoirs publics. Et donc, la nécessité de structurer ce modèle qui, en fait... était assez révolutionnaire en tant que telle. Et donc, je suis devenue sa chargée de projet, ce que j'ai fait pendant deux ans. Et en fait, j'ai trouvé un sens à ce que j'avais étudié à quelques stations de métro de chez moi, beaucoup plus qu'à plusieurs heures d'avion.

  • Speaker #1

    Là, on était en 2016. Expliquez-nous comment ça s'est structuré. Quelle est la genèse ? Revenez sur la fondatrice. Et quelle est la genèse du projet et quel est le début de son envol avec MeToo en particulier ?

  • Speaker #0

    Docteur Atem, c'est une gynécologue obstétricienne. Elle était à l'époque chef de la maternité de l'hôpital de La Fontaine, qui est le grand hôpital à Saint-Denis, hôpital public. Et en tant que gynéco, elle a fait un constat qui était assez simple, qui était de se dire en fait les patientes viennent me voir pour des motifs médicaux, mais dévoilent dans le cadre de la consultation médicale beaucoup d'autres choses qui dépassent le motif médical. Donc elles viennent pour une PMA. une IVG, un suivi de grossesse, et elle me parle de violences passées dans l'enfance, de violences actuelles, de difficultés, de cauchemars, de psychotraumatismes, etc. Et le deuxième constat qu'elle a fait, c'était qu'elle, en tant que médecin, elle ne pouvait pas bien diagnostiquer quelqu'un si elle ne posait pas la question des violences. Aujourd'hui, si on va chez le médecin généraliste, on nous demande « est-ce que vous fumez ? Est-ce que vous buvez ? » Ce sont des questions qui nous paraissent totalement normales, pas intrusives de notre intimité, parce qu'on sait que c'est relié à notre santé. En revanche, on nous pose... pas ou peu la question du traumatisme ou des violences subies aux hommes comme aux femmes, alors qu'on sait aujourd'hui que ça a un vrai impact sur la santé d'avoir subi un traumatisme dans sa vie. Et donc elle s'est dit, moi je suis praticien hospitalier, on a une maternité, on a une pédiatrie, on a une unité gastro, on a une unité cancéro, on traite les maladies, pourquoi est-ce qu'on ne traite pas les violences qui ont un impact sur la santé comme n'importe quelle autre maladie ? Donc elle a voulu créer une unité de l'hôpital qui prendrait en charge les violences. de manière pluridisciplinaire, et c'est la Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Une manière pluridisciplinaire, ça veut dire de multiples intervenants. Concrètement, on les avait au sein de l'hôpital ou une structure qui doit appeler et recruter des profils différents ?

  • Speaker #0

    C'est une structure qui est au sein de l'hôpital. Toutes les Maisons des Femmes, parce que maintenant il y en a 30 en France, sont dans les hôpitaux, donc sont des unités fonctionnelles des hôpitaux, elles dépendent d'hôpitaux, et les professionnels viennent dans les Maisons des Femmes, donc viennent dans les hôpitaux, et c'est ça la particularité. Dans une maison des femmes, il y a des psychologues, des sexologues, des psychiatres, des juristes, des policiers, des assistantes sociales. Mais la patiente, elle n'a pas à aller chercher ses services dans tous les lieux où ses professionnels sont d'habitude, un commissariat, un service social. Ses professionnels viennent à la maison des femmes et donc ça évite que la femme ait à aller chercher ses services et ça évite aussi surtout qu'elle ait à répéter son histoire plusieurs fois parce qu'on travaille avec le secret médical partagé, donc tous les professionnels qui travaillent au sein des maisons des femmes. ont accès à l'historique de la patiente. Et donc, elle n'a pas à recommencer dès le début un récit traumatique. Et elle peut reprendre là où elle l'a laissé avec un autre professionnel. Et c'est très utile pour les pros, notamment, qui sont contents de travailler non plus en silo, mais vraiment en collaboration les uns avec les autres.

  • Speaker #1

    Mais vous dites qu'il y a des policiers, ça va jusqu'au juridique, jusqu'aux relations avec le parquet ?

  • Speaker #0

    Tout à fait. Les femmes peuvent porter plainte dans les maisons des femmes, ce qui était aussi quelque chose de révolutionnaire en tant que tel, parce que pendant longtemps, on ne pouvait porter plainte. que dans un commissariat, mais le ministère de la Justice a voulu tester un nouvel moyen de faire avec le ministère de l'Intérieur, où les femmes pouvaient porter plainte dans les maisons des femmes et ne pas aller au commissariat pour porter plainte. Ça change énormément de choses, le policier étant civil, ce n'est pas du tout la même expérience que dans un commissariat, où on est avec d'autres personnes qui viennent pour des raisons très différentes. Ça crée un environnement beaucoup plus sécurisant pour les patients. Donc oui, c'est fait en lien avec tous les ministères. Autre chose qu'on a fait avec le ministère de la Justice notamment, c'est d'accepter les femmes qui viennent pour des viols ou des agressions sexuelles récentes, dans les cinq jours précédents, et collecter les preuves de cette agression sans qu'elles aient eu à porter plainte. Normalement en France, pour pouvoir collecter des preuves, il faut d'abord avoir porté plainte, il faut aller dans une unité médico-judiciaire, c'est un processus qui est assez compliqué. Et là, à la Maison des Femmes, elles peuvent venir, on collecte les preuves de l'agression sans réquisition, et on peut préserver ces preuves jusqu'à trois ans. donc comme ça si les femmes décident de porter plainte plus tard elles ont accès aux preuves de leur agression qui sont dans les maisons des femmes C'est une structure d'accueil hospitalière où les femmes peuvent rester ou c'est une structure d'accueil de jour ? C'est une structure d'accueil de jour comme une structure hospitalière la seule différence c'est qu'il y a deux ans on a ouvert un centre d'hébergement qui n'est pas à Saint-Denis qui est à Bagnolet aujourd'hui et qui n'est pas pour toutes les patientes de la maison des femmes il s'applique seulement ... Aux jeunes femmes qui ont entre 18 et 25 ans, victimes de violences sans enfants. Parce qu'on a réalisé qu'il y avait un trou dans la raquette de la prise en charge pour cette tranche d'âge de ces jeunes femmes qui sont soit en sortie de placement en dette sociale à l'enfance, soit en foyer violent, donc avec des parents qui sont violents, soit victimes de violences conjugales. Il y a beaucoup de victimes de violences conjugales mineures, on en parle peu, mais qui sont victimes de violences de leurs petits copains, qui peuvent être soit mineurs aussi, soit majeurs. et qui sont donc à grand risque de rue, de prostitution et de violences aggravées. Donc on a ouvert un centre d'hébergement pour cette tranche d'âge spécifique.

  • Speaker #1

    Vous commencez dans ce projet à son commencement en 2016 et en 2024 vous en êtes nommée directrice générale. Est-ce que vous pouvez nous dire le quotidien de votre mission en tant que directrice générale de la Maison des Femmes ?

  • Speaker #0

    La structure maintenant est bien différente que celle que j'ai occupée en 2018.

  • Speaker #1

    Excusez-moi de vous interrompre, on l'a dit mais je voudrais le redire. On est percée d'une Maison des Femmes, d'un projet pilote. à 30 maisons des femmes, y compris à La Réunion. L'idée étant de faire une maison des femmes par département ?

  • Speaker #0

    L'idée est de faire une maison des femmes par département, de vraiment quadriller le territoire français. Et en fait, énormément de médecins sont en demande d'ouvrir des maisons des femmes dans leurs hôpitaux. On a beaucoup d'équipes médicales qui nous écrivent pour dire qu'on reçoit beaucoup de violences. On est déjà en lien avec les unités médico-judiciaires, avec la Gynéco, avec le service des urgences. On veut juste le formaliser, le cadrer. Donc nous, on les aide à en faire un vrai projet en tant que tel. Donc oui, moi, j'ai quitté la Maison des Femmes en 2018. Au début, il y avait deux Maisons des Femmes, une à Saint-Denis, une à Bruxelles, qui est le deuxième hôpital à s'être motivé pour ouvrir une Maison des Femmes.

  • Speaker #1

    Ça veut dire que c'est une organisation à vocation internationale ? Oui.

  • Speaker #0

    Au bout d'un moment, sûrement, on va déjà quadriller le territoire français et ensuite on verra pour l'international. Mais il s'avère que l'équipe de l'hôpital Saint-Pierre en Belgique, à Bruxelles, était la deuxième à nous appeler en disant on a vu ce que vous avez fait, on veut faire la même chose. Ils ont aussi beaucoup d'excisions, ce qu'on a pas mal à Saint-Denis et donc on prend en charge aussi à la Maison des Femmes. Et donc ils voulaient faire une structure similaire où on prenait en charge les violences, dont l'excision. Et donc ils ont ouvert la deuxième Maison des Femmes. Voilà. Alors la volonté de s'étendre à l'international, elle est présente, notamment parce que, tout comme en France, il y a beaucoup d'équipes médicales d'autres pays, Londres, l'Arabie Saoudite plus récemment, Mexico, qui nous contactent pour ouvrir des structures similaires. L'avantage du modèle Maison des Femmes, c'est qu'il est basé sur la santé, et la santé c'est universel partout, il y a des hôpitaux partout dans le monde, donc même si les services de justice sont différents, même si les services sociaux sont différents, il y a des médecins dans tous les pays. Il suffit qu'ils arrivent à adapter le modèle à leurs problématiques locales, mais c'est un modèle qui est extrêmement duplicable partout.

  • Speaker #1

    En tant que directrice générale de la Maison des Femmes, c'est quoi votre quotidien ? Quelles sont vos interactions ? Avec qui vous interagissez ?

  • Speaker #0

    Il y a deux interlocuteurs importants. Le premier, c'est les fondations, puisqu'on est presque entièrement financés par des fondations privées. C'est un travail de tous les instants de lever des fonds, d'aller démontrer la pertinence du modèle et la nécessité de le financer, de financer. La Maison des Femmes de Saint-Denis, qui est un peu notre maison mère, mais aussi toutes les autres maisons des femmes qui ouvrent, qu'on finance toujours pendant leurs trois premières années d'existence, de financer le centre d'hébergement qui accueille 28 jeunes femmes. Et le deuxième interlocuteur, c'est les pouvoirs publics, pour aller leur démontrer à eux aussi la pertinence de ce modèle et la nécessité de le prendre en charge de manière toujours plus importante. Parce qu'aujourd'hui, c'est les ARS, les agences régionales de santé, qui financent en partie les nouvelles maisons des femmes. mais on est toujours dans l'optique d'en faire des structures publiques, comme toutes les unités d'hôpitaux, et qui dépendraient de moins en moins du privé, pour que l'idée de la maison des femmes, qui est de dire que les violences sont un problème de santé et de santé publique, que les violences soient prises en charge, comme n'importe quelle autre problématique de santé qui est prise en charge. Donc c'est un peu les deux, mon travail est divisé entre ces deux-là.

  • Speaker #1

    À l'heure actuelle, les masses de financement se répartissent comment entre le privé et le public ?

  • Speaker #0

    On est à 60% sur du privé et à 40% sur du public, avec la différence qu'au sein des maisons des femmes, le financement se fait aussi par le remboursement d'actes médicaux, presque à un tiers, un tiers, un tiers. Donc un tiers privé, un tiers public via les ARS et un tiers remboursement par la Sécurité sociale des actes médicaux.

  • Speaker #1

    Dans le contexte budgétaire à l'heure actuelle, Est-ce que c'est plus difficile ? Est-ce que vous avez l'impression que les choses, au contraire, avancent ? Où en êtes-vous sur votre cheminement vers le public ?

  • Speaker #0

    Je pense que le financement, il y a une partie qui restera toujours privée, parce que le financement privé permet une flexibilité que le financement public ne permet pas. Le projet de la Maison des Femmes, il a vu le jour parce que des fondations privées l'ont soutenu, notamment la fondation Kering, Accor, AXA, parce que ce sont des gens qui ont vu cette vision qui ne rentrait pas dans les cases. Aujourd'hui, quand on va à l'ARS, au gouvernement, avec un projet qui n'est pas dans une de leurs cases très strictes, c'est compliqué de faire bouger ces lignes. Le docteur Athème est allé voir le ministère de la Santé au début. On lui a dit que c'était un projet droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. Allez voir le ministère droit des femmes. On lui a dit que c'était un projet les pouvoirs publics, c'est de leur faire comprendre qu'on peut avoir un projet qui est basé sur la santé mais qui s'adresse à plein d'autres sujets. Donc on veut préserver ce côté privé parce que ça nous donne une flexibilité et qu'il y a des choses qu'on fait qui ne sont pas de l'ordre aujourd'hui des ARS et de la santé. Par exemple, on a des ateliers psychocorporels, etc. Ça, d'être financé par le privé, ça me paraît normal. En revanche, par exemple, un axe de plaidoyer très important, on essaie de convaincre... l'assurance maladie de prendre en charge les consultations de psychologues dans les maisons des femmes. Parce qu'aujourd'hui, une femme qui va voir un psychologue dans une maison des femmes, c'est parce qu'elle a un besoin très important de soigner son psychotrauma. Et donc, il faut que ça soit pris en charge par l'assurance maladie. Donc, c'est ce genre de dossier sur lequel on va voir les pouvoirs publics. Même chose pour notre centre d'hébergement. Aujourd'hui, quand vous êtes un mineur et que vous êtes placé dans un centre d'aide sociale à l'enfance, Les personnes qui gèrent ce centre ont une dotation qui est d'environ 150 euros par jour par enfant, il me semble. Et quand vous passez majeur, donc quand vous avez 18 ans, ce taux descend à 30 euros par jour par personne. Nous, les jeunes filles qu'on accueille, elles ont moins de 25 ans, la plupart ont à peu près 19 ans. Elles ont des besoins qui relèvent d'un enfant, puisqu'elles ont été victimes de violences toute leur jeunesse, beaucoup victimes d'inceste. Et donc on essaye de convaincre aussi les pouvoirs publics de dire qu'il faut que vous créez un statut intermédiaire pour la prise en charge de ces jeunes qui ne sont certes plus des enfants aux yeux de la société mais qui ont des besoins tellement importants qu'il faut augmenter la dotation journalière de ces jeunes filles.

  • Speaker #1

    Quelles sont les grandes pathologies auxquelles vous vous êtes confrontée à la maison des femmes ? Qu'est-ce que c'est le cas typique ?

  • Speaker #0

    Malheureusement, avec la violence, il y a rarement de cas typiques, puisque la violence a plusieurs formes. Il y a des femmes qui sont victimes de violences physiques, actuelles, et donc la problématique n'est pas du tout la même que si c'est une femme qui a subi, par exemple, de l'inceste dans sa jeunesse et aujourd'hui elle a 50, 60 ans. Ce ne sont pas les mêmes problématiques. Ce qui est assez commun aux femmes, c'est ce qu'on appelle le syndrome du stress post-traumatique, qui maintenant est un peu plus connu, qui est le résultat d'années et d'années de violences et donc de manières pour le corps et le cerveau de se protéger comme on peut et qui créent beaucoup de symptômes qui peuvent aller de cauchemars, d'oubli, de nécessité de se blesser soi-même aussi. Il y a un très large... malheureusement, spectre de conséquences du stress post-traumatique, mais c'est difficile de définir les violences en un mot et leurs conséquences aussi, parce qu'elles sont vraiment plurielles et diverses. Et une chose qui est importante aussi et dont on parle beaucoup, c'est que certes, la première maison des femmes est à Saint-Denis et souvent ça vient avec une certaine stigmatisation de ce que sont les violences, mais aujourd'hui, le fait qu'on ait 30 structures et qu'il y a Aidebourg-en-Bresse, à Tours, à Marseille... Les violences sont plurielles et elles sont dans tous les milieux sociaux et elles sont de plein de manières différentes aussi.

  • Speaker #1

    Si vous aviez une mesure ou deux mesures ou trois mesures d'urgence à prendre pour la protection des femmes à l'heure actuelle, qu'est-ce que ce serait ?

  • Speaker #0

    Ma première mesure pour moi, ce serait d'appliquer la loi qui impose trois cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle de la maternelle à la terminale pour tous les enfants. Parce que ce serait une mesure de prévention d'abord, dans un monde idéal. C'est inscrit... dans la loi, cette nécessité, et ce n'est pas pour rien. C'est parce que nous, on arrive après. On arrive quand les femmes sont déjà blessées, quand les agresseurs sont déjà devenus des agresseurs. Et ce n'est pas trop tard, parce que tout le monde peut être soigné comme n'importe quelle autre maladie. Mais c'est vrai que ce manque de prévention, je pense que c'est ce qui nous frustre le plus. C'est vraiment de se dire comment est-ce qu'on prévient ces violences. Et les cours d'éducation à la vie affective, relationnelle et sexuelle, c'est des cours où on... On parle beaucoup plus de ces sujets que de contraception, d'IVG, de MST, comme on le faisait à une époque. On parle de consentement, on parle de jalousie, on parle de c'est quoi une fille bien, c'est quoi un mec bien. Et c'est des questions qui interrogent énormément les enfants. Donc je dirais ça. Et la deuxième mesure, ce serait de pouvoir permettre aux médecins de pratiquer le questionnement systématique. Donc dès qu'on va chez un médecin, qu'on pose la question des violences. Parce que... Ça déstigmatise énormément les violences quand on le fait dans le cadre d'un diagnostic médical. C'est de dire, je vous demande si vous avez des antécédents familiaux, parce que ça a un impact sur votre santé. Je vous demande aussi si vous avez vécu un traumatisme, parce que ça aura un impact sur votre santé aussi.

  • Speaker #1

    Vous sentez une résistance des médecins à cet égard ?

  • Speaker #0

    Pas une résistance, une difficulté de le faire dans le contexte actuel, où chaque médecin a très peu de temps avec chaque patient. Les médecins ne sont pas formés et ce n'est pas facile d'entendre un récit de violence. Et donc la nécessité de... les former pour pouvoir entendre ce récit et le faire dans le cadre de leur consultation. Si on est médecin généraliste, on n'est pas psychologue, on n'est pas psychiatre. Et donc il faut leur apprendre à avoir les quelques éléments un peu importants pour pouvoir poser la question et le cadrer dans le cadre de son entretien de médecine générale. Donc il n'y a pas de résistance, on forme beaucoup de médecins, ils ont envie, c'est eux qui en souffrent les premiers, de voir des femmes qui reviennent avec les mêmes récits, des diagnostics. qui ne mènent à rien parce qu'on n'est pas allé à la source du problème, mais on continue à faire les mêmes analyses tout le temps. Et donc, ils ne sont pas résistants, c'est juste qu'ils ont un quotidien qui n'est pas facile aussi.

  • Speaker #1

    Quelles sont justement les grandes difficultés auxquelles vous vous heurtez ? Elles sont d'ordre financier, elles sont d'ordre organisationnel, elles sont d'ordre politique ?

  • Speaker #0

    Alors, les changements successifs de gouvernement n'aident pas pour implanter des changements dans le long terme, c'est clair, parce que quand on commence à faire du plaidoyer sur un dossier, assez rapidement la personne qui est notre interlocuteur ou interlocutrice change, et donc c'est difficile. Et après, effectivement, c'est plutôt d'ordre financier pour permettre le maintien de l'intérêt collectif sur ces questions. Moi, mon inquiétude, c'est que maintenant que MeToo est un peu passé, comment est-ce qu'on continue à faire comprendre aux gens que c'est une priorité importante et que ça a un impact sur la santé, au-delà du fait que... Si les violences en tant que telles ne nous choquent pas plus que ça, ce qui est le cas pour beaucoup de gens, de se dire, en tant que société, d'avoir une prise en charge faible des violences, ça a un coût énorme sur notre système de santé, ça a un coût énorme sur notre système éducatif, et donc ça nous concerne tous.

  • Speaker #1

    Justement, vous disiez « MeToo retombe » . En tant que journaliste, je vois plus que ça, je vois plus qu'une retombée MeToo, je vois une montée très forte de l'illibéralisme, d'une certaine revanche masculiniste, d'une certaine manière. qu'on voit, alors je ne veux pas enfoncer des portes ouvertes avec Trump, mais je le fais quand même, et qu'on voit aussi ressurgir en Europe de manière de plus en plus manifeste. Est-ce que vous avez l'impression que votre combat est plus difficile à l'heure actuelle de ce point de vue-là, ou que quand même MeToo a un peu nivelé le niveau de conscience de chacun sur la nécessité de prendre en compte les violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Je pense qu'il y aura toujours un avant et un après, parce que... Pour vous donner un exemple, on était il n'y a pas si longtemps, parce qu'on a signé une convention entre la Maison des Femmes et le ministère des Armées, et on était au ministère des Armées avec des colonels de l'armée de terre qui nous parlaient de VSS, de prise en charge du viol, de violences sexistes et sexuelles. Et je me suis dit qu'il y a dix ans, je ne pense pas qu'on se serait retrouvés dans une pièce avec des hauts représentants de l'armée. qui n'ont pas envoyé la personne référente dans leur équipe, mais qui viennent eux-mêmes et qui utilisent des termes et qui ont une conscientisation de ce qui se passe au sein de leurs effectifs aussi. Donc je me suis dit qu'il y avait un vrai avant-après. Et je pense qu'on reviendra difficilement à l'avant, une sorte de prise de conscience. En revanche, dans l'associatif et dans les questions un peu militantes, il ne faut jamais se reposer sur ses lauriers. Et la question de l'avortement aux États-Unis, dont on a un peu parlé, mais... C'est un peu un réveil aussi de se dire en fait, certes, il y a une prise de conscience, notamment parce qu'il y a toujours des choses comme le procès Mazan, qui nous rappellent aussi l'actualité de ces problématiques qui sont toujours réelles. La jeune fille qui a disparu il y a quelques jours près de Poitiers. Tout ça, ce sont des choses qui nous rappellent que les violences sont encore très présentes. En revanche, il y a aussi une multiplicité de causes associatives. sont anxieux quant à leur futur à eux. On leur parle d'environnement, on leur parle de violence, on leur parle d'agression sur les enfants, on leur parle de droits des animaux. Et donc, c'est aussi difficile de continuer à faire émerger autant de sujets dans la société quand le monde ne va pas bien non plus, qu'il y a des guerres, qu'il y a des conflits. Et donc, c'est aussi une réaction un peu humaine et normale de ne plus trop savoir où mettre son militantisme et ne plus savoir par où commencer pour s'inquiéter. Par exemple, on a fait une campagne d'arrondi en caisse dans des supermarchés il n'y a pas si longtemps. Et on a levé énormément d'argent parce que les gens continuent à être très généreux. Donc je m'accroche à ça. Je m'accroche à la volonté individuelle de continuer à s'engager par des petits gestes pour pallier au fait que la société nous dépasse et que le monde court à sa perte.

  • Speaker #1

    Alors justement, dans l'engagement, il y a plusieurs formes d'engagement. Et en regardant votre CV, j'ai quand même constaté que vous aviez été... chef de cabinet du maire de Saint-Denis, Mathieu Hanotin. Et pour faire bouger les choses, vous vous êtes placé du côté du politique et vous vous êtes placé maintenant du côté de l'associatif ou du sanitaire, je ne sais pas comment vous le définissez. Est-ce que vous pensez que vous pouvez rester du côté opérationnel et que la possibilité de faire bouger les choses ne va pas vous obliger à un moment à passer du côté politique ?

  • Speaker #0

    C'est une très bonne question. Vous êtes dans mes pensées existentielles de tous les jours. Au niveau politique local, j'ai eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir. Et j'ai énormément de respect et d'admiration pour les politiques locales, pour les hommes et les femmes politiques locales, parce que je pense que c'est probablement le travail le plus dur qu'on peut avoir, d'être maire, d'être adjoint au maire, parce qu'on peut avoir un impact très important sur la vie des gens. Et notre vie appartient à celle de nos concitoyens. On ne peut pas descendre au supermarché sans que quelqu'un vienne nous parler de sa place en crèche. d'un désert médical, de la rue qui n'est pas bien éclairée, d'une problématique culturelle. Et ils vivent ça à bras-le-corps. Et donc à la mairie de Saint-Denis, j'ai vraiment vu un mélange d'impact énorme et une volonté d'aider sa ville sur le long terme, d'avoir réussi les Jeux Olympiques à Saint-Denis. Ça peut paraître anodin, mais c'est un succès énorme pour ce que ça dit de la ville, pour ce que ça renvoie comme image d'une banlieue. Et donc, moi, j'ai vraiment eu l'impression d'avoir beaucoup de pouvoir au niveau politique local. Et je pense que les maires et les adjoints aux maires peuvent vraiment changer la vie des gens. Donc, je n'ai pas du tout ressenti cette frustration de te dire, il faut aller plus haut, il faut taper plus haut. Évidemment, la question des financements, c'est celle qui nous régit tous, que ce soit au niveau mairie ou au niveau associatif. C'est de te dire, comment est-ce qu'on débloque des financements plus importants pour aider les gens qu'on aide ? Mais aujourd'hui, j'ai l'impression de continuer à avoir cet impact. Et pour vous dire, en fait, les politiques... au bout d'un moment, sont obligés d'écouter la société civile et la société civile. C'est aussi les associations. Et le jour où les fondations privées décident qu'ils n'ont plus assez de financement et qu'on doit fermer, j'ose espérer que, alors j'aimerais ne pas en venir à ça, mais j'ose espérer que les pouvoirs publics se diront qu'on ne peut pas fermer une structure comme ça qui aide tant de gens et qui est tellement hors des cases justement. Donc on va trouver un moyen de le financer et c'est ce qui est arrivé. pour que l'ARS commence à financer les maisons des femmes. Au début, l'ARS a dit que ce n'est pas un modèle qui rentre dans nos cases, on ne peut pas le financer. On a ouvert grâce aux fonds privés. MeToo est arrivé. Au bout d'un moment, les fonds privés baissaient un peu. Donc on a dit, écoutez, si vous voulez, on arrête. On arrête, on ferme, mais ce n'est pas grave. Et là, le ministère de la Santé, à l'époque, a dit, non, on va dédier une enveloppe des ARS à celle de Saint-Denis, mais aussi au déploiement d'autres maisons des femmes. Donc je pense qu'on peut y arriver à faire changer les pouvoirs publics de là où on est. Il faut juste qu'on trouve les bons interlocuteurs qui arrivent à avoir cette vision transverse, innovante. Et dans la santé, c'est... pas toujours facile. Donc je pense que c'est ça qu'on recherche, c'est au niveau politique d'avoir ces interlocuteurs un peu visionnaires.

  • Speaker #1

    Et alors justement, la place du visionnaire, vous n'envisagez pas de la prendre ?

  • Speaker #0

    Peut-être un jour, peut-être un jour. Il faut que je... J'ai besoin d'abord d'avoir l'impression de réussir la mission qui m'est donnée, notamment par le docteur Athème, à la Maison des Femmes, et ensuite peut-être que j'irais m'intéresser... J'ai étudié la santé publique et pas la médecine parce que je m'intéressais au plus grand nombre, donc oui.

  • Speaker #1

    D'accord. Alors, je voudrais conclure là-dessus. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens sur les violences faites aux femmes ? Objectivement, vous en parliez, les faits divers sont de plus en plus éclairés. La violence de la société est de plus en plus éclairée avec ce que les politiques ont appelé l'ensauvagement, trop éclairé pour des raisons de manipulation ou pas. Est-ce que vous avez l'impression que les choses vont dans le bon sens pour ce qui est des femmes, pour la conscientisation de la violence faite aux femmes et pour la résolution de la violence faite aux femmes ? Oui. Question de follow-up, avant même que vous commenciez, est-ce que vous pensez que vous verrez de votre vivant la fin de la violence faite aux femmes, de la spécificité des violences faites aux femmes ?

  • Speaker #0

    Non. Oui, il y a un changement qui est indéniable et on le voit et c'est ce dont je vous parlais avec le ministère des Armées par exemple, d'aller former des corps constitués, d'aller former la police, l'armée, les pompiers qui sont des milieux essentiellement masculins qui usent de la force et donc d'aller leur parler. de mécanismes de l'emprise, de masculinité, de comprendre quelle est la différence entre la force et la violence. Tout ça, c'est des choses qui, je pense, encore une fois, il y a dix ans, seraient impossibles. Est-ce qu'on ne peut pas revenir en arrière et annuler tout ce qu'on a mis en place ? C'est toujours possible. Moi, je pense que la manière dont s'organise la société civile, et notamment en France, fait qu'on arrivera à faire barrage à ça. Et donc que la question des violences ne sera jamais invisibilisée, notamment parce qu'encore une fois, avec des choses comme le procès Mazan, on est toujours rappelé au fait qu'elle est partout, elle est présente, et que des choses qui nous paraissent atroces sont en fait relativement quotidiennes, dans ce que moi j'entends dans le cadre de la prise en charge des patients de victimes de violences. En revanche... Les violences faites aux femmes, c'est seulement le résultat d'une société très patriarcale et qui accepte et qui passe sous silence énormément de formes de violences et l'emprise, la manière dont ces violences se mettent en place. Et c'est pour ça qu'on insiste sur le fait qu'elles sont applicables dans tous les milieux sociaux. C'est quelque chose qui est très difficile à démanteler. C'est pour ça que je parlais de prévention avant. Une femme... ne se fait jamais frapper au premier rendez-vous. Il n'y a jamais une claque qui part comme ça avec un mec qu'elles viennent d'accueillir chez elles. Enfin voilà, ça n'arrive pas, les violences. C'est un mécanisme insidieux qui est très lent. Il y a des violences administratives, il y a des violences économiques, il y a beaucoup de violences psychologiques qui se mettent en place avant que tout ça arrive. Et donc ça, c'est très difficile à démanteler parce que c'est un mélange de conséquences de la société dans laquelle on vit où il y a toujours ce déséquilibre de pouvoir, ce déséquilibre... dans l'idée qu'on se fait des relations hommes-femmes, et ça c'est très difficile à démanteler, ça prend énormément de temps. Et je pense que, évidemment que je prêche pour ma paroisse, et que je pense qu'il faut des maisons des femmes partout, mais encore une fois, la prévention, c'est ce qu'il y a de plus important, c'est d'aller dès la maternelle, parler de mon corps c'est mon corps, de parler de consentement dès la petite enfance, de dire qu'est-ce qui est acceptable, qu'est-ce qui n'est pas acceptable quand on est un enfant, qu'est-ce qu'un adulte a le droit de faire sur nous et pas le droit de faire sur nous. Et ensuite, entre jeunes, et notamment avec les réseaux sociaux, comment est-ce qu'on change la perception de si une fille couche avec plein de mecs, c'est une salope, mais si un mec couche avec plein de filles, c'est un mec bien. Tout ça, ça commence tellement tôt. Et ensuite, quand on a 30, 40, 50 ans, c'est plus difficile de défaire ça. Parce que moi, je le vois bien quand je vais dans des dîners un peu mondains, un peu plus chics, et que je parle de violence, c'est tout de suite un peu rabat-joie, on plombe l'ambiance. Et puis de toute façon, ce que tu fais, c'est à Saint-Denis, et c'est très bien parce que là-bas, il y a beaucoup de violence. Mais de faire comprendre que c'est quelque chose de société, qui s'applique à tous. Et que ça passe par ne pas rire de la petite blague sexiste au bureau, répondre quand une collègue plus jeune se fait, avec un commentaire désobligeant juste parce qu'elle est jeune et que c'est une femme. Ça passe par plein de petites choses et ça, ça prend énormément de temps. Et même si je suis jeune, je crains que tout ça ne se termine pas dans les 50 prochaines années. Mais si déjà on peut stagner et ne pas revenir en arrière,

  • Speaker #1

    je prends. Terminons sur... Qu'est-ce qui vous rend optimiste sur le combat pour l'égalité des femmes à l'heure actuelle ?

  • Speaker #0

    Les personnes avec qui je travaille et notamment les jeunes personnes avec qui je travaille, puisque je suis assez jeune, mais dans mon équipe, j'ai des jeunes femmes qui ont 22-23 ans et qui sont extrêmement motivées et aussi extrêmement lucides sur la manière dont aborder les questions pour les faire comprendre au plus grand nombre. Nous, on est une structure de santé, donc on s'adresse à des professionnels qui ne sont pas... pas militants, pas engagés, qui ne se considèrent pas toujours comme féministes, mais en les abordant dans un sujet qu'ils connaissent, la santé, ça parle aussi à un plus grand monde. Et donc, on essaye de s'adresser à chaque personne d'une manière qu'il va comprendre pour parler des violences. Donc, ce qui me rend optimiste, c'est les infirmières, les aides-soignantes, les médecins, ma RH qui travaillent sur ces questions et qui ne sont peut-être pas des militantes de naissance, mais qui voient un problème et veulent le régler. Donc, il y a deux. de quoi être très optimiste quand on voit ça.

  • Speaker #1

    Merci Violette Perrotte.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

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