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#8 SARAH CARP / Spécial Rencontres de la photographie d'Arles 2025 cover
#8 SARAH CARP / Spécial Rencontres de la photographie d'Arles 2025 cover
DES CLICS

#8 SARAH CARP / Spécial Rencontres de la photographie d'Arles 2025

#8 SARAH CARP / Spécial Rencontres de la photographie d'Arles 2025

32min |22/07/2025
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#8 SARAH CARP / Spécial Rencontres de la photographie d'Arles 2025

#8 SARAH CARP / Spécial Rencontres de la photographie d'Arles 2025

32min |22/07/2025
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Description

C'est l'été. Sur l'Atlantique, le vent souffle et une certaine fraîcheur s'est installée sur les côtes. Il y a pourtant juste quelques jours, à l'occasion de la semaine professionnelle des rencontres de la photographie d'Arles, j'ai eu l'immense chance de pouvoir m'installer sur une terrasse inondée de soleil, à l'ombre des platanes, bercée par le chant des cigales. A ma plus grande joie, pour la première fois depuis la naissance de DES CLICS, j'ai transporté mon studio d'enregistrement hors les murs et j'ai chéri ces rencontres sonores si précieuses.


Sans Visage est une exposition présentée à l'espace Croisière des Rencontres de la photographie d'Arles 2025 ainsi qu'un livre publié aux Editions Actes Sud en juin 2025. La photographe Sarah Carp, cantonnée dans son appartement, se met à photographier ses enfants pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19. Le père des filles s’en prend à ces photographies et empêche leur publication, arguant la protection de l’enfant. Sarah Carp rejoue alors les scènes avec d’autres enfants, mais la spontanéité se perd, les expressions ne sont plus les mêmes. Elle habille de points colorés la tête des enfants-comédiens. L’artifice fait office de masque.

J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer Sarah à l'ombre des platanes, bercées par les cigales, sur une petite terrasse d'Arles. Elle se livre ici sur son parcours, son approche très intime de la photographie, la maternité, la censure, et nous donne son coup de coeur et son coup de gueule du moment.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Nous sommes aux 56e rencontres de photographie d'Arles qui ont lieu du 7 juillet au 5 octobre et on inaugure aujourd'hui le deuxième jour de la semaine, nous sommes mardi, Arles se réveille doucement, il y a une petite brise, il ne fait pas trop chaud, c'est très agréable une fois de plus et j'avais rendez-vous ce matin avec Sarah Karp à Croisière. Mais il va y avoir une conférence, donc on a dû s'éloigner de Croisière. On est dans un petit café Cocorico à côté des arènes, confortablement installé avec un café et un jus d'orange. Et je suis ravie d'accueillir Sarah, qui est exposée pendant toute la durée du festival. Et son exposition s'appelle « Sans visage » . C'est une exposition et c'est aussi un livre qui vient de sortir aux éditions. Actes Sud. Pour commencer cette matinée, j'aimerais bien que tu me dises ce que tu sens quand tu es à Arles, ce que tu aimes à Arles, ce que représente Arles pour toi.

  • Speaker #1

    Alors Arles, c'est un rendez-vous chaque année, c'est un rendez-vous où je me sens maintenant un peu à la maison. C'est vrai que je vois tous mes amis, je vois mes collègues photographes, je viens ici pour puiser de l'inspiration, voir... Tout un tas d'images et me plonger dans mon univers intérieur aussi. Mon quotidien, il est fait principalement de ma vie de maman actuellement. Et puis de me replonger une semaine à Arles, c'est me replonger à ce qui m'anime.

  • Speaker #0

    Seule, sans enfant ? Oui,

  • Speaker #1

    seule, sans enfant. Alors, il m'est arrivé de venir à Arles enceinte. Il m'est arrivé de venir à Arles avec ma fille, ma petite. que je portais dans mes bras pendant une semaine. Mais c'est vrai que c'est plutôt assez agréable d'avoir une semaine sans enfant, à pouvoir manger de l'image, regarder, discuter, échanger.

  • Speaker #0

    Sarah, tu es diplômée de l'école de photographie de Vevey. Tu es lauréate du prix Focal de la ville de Nyon en 2019 et lauréate du Swiss Press Award en 2021 avec ta série qui s'appelle ou qui s'appelait, parenthèse, et dont on va reparler indirectement après. Comment es-tu arrivée à la photo, Sarah ?

  • Speaker #1

    Je pense que je suis arrivée à la photographie dans l'adolescence. C'est un médium qui est venu à moi aussi parce que dans mon environnement proche, proche de ma grand-maman, il y avait une femme photographe qui s'appelait Monique Jacot. Et j'ai tout de suite été sensibilisée à son travail. Et probablement que... D'un côté plus personnel, le fait que j'avais un petit frère qui est né avec une malformation du cœur m'a plongée aussi dans une angoisse du quotidien de savoir à quel moment il allait partir et que la photographie me permettait de capter chacun des moments qu'on avait ensemble, chaque souvenir, chaque instant. et j'ai été vite... amener à photographier mon quotidien, les gens qui étaient proches de moi, les gens que j'aime et qui ont de la valeur à mes yeux.

  • Speaker #0

    Dans la préface de ton livre « Sans visage » , c'est une préface magnifique d'ailleurs, je le précise, Julie Henkel écrit « La photo de Sarah Karp serait une histoire d'air, de souffle et de soupir, une atmosphère tantôt faite d'inspiration, tantôt de suffocation. » Et j'ai vu qu'il y avait une phrase qui t'accompagnait et je pense qui est tout à fait liée à ton petit frère dont tu viens de parler et qui explique ta démarche de création très clairement et qui est dans son carnet de notes. J'ai trouvé ce dessin avec cette phrase qui m'accompagne depuis ce jour dans toute ma démarche de création. L'inspiration, deux points. Si on n'exprime pas son inspiration, on finit par suffoquer, inspirer, expirer.

  • Speaker #1

    Cette phrase, c'est vrai qu'elle m'a toujours accompagnée, et puis de manière beaucoup plus significative depuis son décès. Quand mon frère Alain est décédé, j'ai photographié tout. C'était une émotion tellement forte que j'ai... Le premier réflexe, quand ma maman m'a téléphoné pour me dire « Alain, il est décédé, il faut que tu viennes » , j'ai pris mon polaroïd et puis je suis allée... au bord de son lit funéraire, et j'ai fait quelques images au polaroïd. Mais ça me permettait aussi d'avoir une distance par rapport à ce que je voyais, et puis de pouvoir aussi... me protéger de ce que la vie me montrait, ce que je n'avais pas envie de voir, et de le transformer en image aussi, en le captant, puis en le gardant en souvenir. Et ça m'a permis justement de traverser tout ce moment de deuil. C'est comme si je vivais cette vie, mais pas vraiment, à distance, à travers le prisme de la photo. Je me souviens à l'époque, j'avais parlé avec, quelques années avant, j'avais parlé avec Monique Jacot, puis elle me disait, mais t'as un sujet au nord, ton petit frère, il faut que tu le photographies. Puis moi, je voulais pas du tout le photographier. Je voulais pas entrer dans sa vie et photographier sa cicatrice, etc. Et puis un jour, en fait, je lui ai quand même demandé, c'était à peu près une année avant son décès, et j'ai dit, Alain, est-ce que je peux photographier une fois ton... torse, ta cicatrice, faire des portraits de toi. J'ai été étonnamment surprise qu'en fait, pour lui, il vivait avec ça. Il était hyper content que je m'intéresse à lui, que je le photographie. Et aussi, ça m'a montré qu'au travers de mon regard de photographe, je pouvais aussi valoriser l'autre et apporter quelque chose à la personne que je photographiais. Ce n'était pas que... que prendre son image, mais c'était aussi lui apporter une attention.

  • Speaker #0

    Et peut-être même l'aider.

  • Speaker #1

    Et peut-être l'aider, oui, effectivement. Puis c'était hyper précieux justement d'avoir ces images-là et capter ce souvenir.

  • Speaker #0

    Cette série avec Alain s'intitule Funambule. Et tu as une autre série qui s'appelle Donneuse apparentée et qui parle de ton autre frère. Je ne sais pas si c'était aussi un petit frère.

  • Speaker #1

    C'était aussi un petit frère. En fait, ce qui s'est passé, c'était qu'une année après le décès d'Alain, on apprend que mon autre frère, Henri, a eu le CMI. Alors après, on ne se remet même pas tout à fait d'un premier drame, qu'on arrive vers un deuxième drame. Et puis là, la question ne s'est même pas posée. J'ai été... pris mon appareil photo, je suis allée dans sa chambre d'hôpital, j'ai commencé à faire des images et puis c'était... Et puis mon petit frère, il m'a dit « Ah non, tu ne vas pas faire des photos ! » Et puis moi, j'ai dit « Mais tu sais, Henri, pour moi, c'est hyper important, c'est hyper dur ce que je viens d'apprendre, c'est hyper dur de le voir là, à l'hôpital. Et puis la photographie, pour moi, c'est un petit peu comme... Pour toi, la musique, ça me permet de... de transformer et puis de m'échapper de la réalité. Il faisait beaucoup de musique. Puis en fait, chaque rendez-vous, j'ai été le voir dans sa chambre d'hôpital, à chaque fois, il y avait un petit moment d'image. Moi, ça me donnait la force aussi d'aller le rencontrer. C'est vrai que danser dans un lieu hospitalier, ce n'est pas très drôle. Et lui, il m'avait demandé de... de faire une exposition de photographie dans sa chambre. J'ai installé un petit dispositif d'images. C'était des images... Il m'avait demandé mes premières images. Alors, il y avait des images que j'avais faites en République dominicaine, il y a plusieurs années. Il aimait beaucoup ces images. Et puis, autrement d'autres images, qui étaient plus une échappée des arcs-en-ciel, des petits moments, des petits riens, en fait, de la vie qui... Ils m'ont beaucoup amenée dans les années qui ont précédé, c'est-à-dire chercher aussi à trouver un souffle, un autre souffle, regarder le beau, regarder ce qui fait du bien. Et puis après, ce qui s'est passé, c'est que pour soigner la leucémie, on cherche des donneurs apparentés. Et il s'est trouvé que moi, j'étais combattible. Ensuite, dès le moment que j'ai été donneuse de cellules souches, du coup, j'ai photographié mon dent. Je me rappelle que je n'avais pas demandé d'autorisation. Donc, en fait, le jour où je devais faire la récolte des cellules souches, alors j'étais avec un assistant qui était là pour placer l'appareil. Mais d'abord, au premier abord, ils m'ont dit non, vous n'avez pas le droit de photographier la scène. Vous n'avez pas le droit d'entrer avec votre appareil photo. Puis moi, je me suis énervée. J'ai dit, bon, dans ce cas-là, moi, je ne fais pas le don. C'est hors de question. Et puis voilà, finalement, ils ont accepté. que je poursuive ma démarche et que je continue à photographier et à faire le don en même temps. Bien sûr que j'aurais fait le don de toute manière, mais c'est vrai que sur le moment, pour moi, c'était vraiment très, très important.

  • Speaker #0

    C'était capital, vital presque.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    C'est une espèce de triangle avec tes deux frères et la photographie, une correspondance, en fait, entre vous trois, finalement. Parce que l'histoire s'est répétée avec Henri. qui avait déjà vu ton acte créatif avec Alain. Donc il y a une espèce de transmission aussi, tous les trois, à travers la photographie.

  • Speaker #1

    Ça permet en fait de garder la mémoire. Et ça permet de partager une histoire, ça permet de la revisiter aussi. C'est vrai que quand on a des pertes, on a besoin de retourner dans son histoire, de comprendre. et Et ça permet de les garder encore présents ici. Au niveau personnel, c'est vrai que moi, ça m'a énormément aidée de traverser tout ça et de trouver un autre sens à la vie, à la mort, à la maladie. Mais ça permet aussi à donner aux autres, aux gens qui traverseraient une histoire comme ça, du... comment dire...

  • Speaker #0

    un drame.

  • Speaker #1

    Qui traverse un drame, mais aussi peut-être des pistes ou bien des échanges. Parce qu'en fait, quand on vit des choses comme ça, aussi difficiles, c'est vrai qu'à cet âge-là, j'étais plutôt assez jeune. Donc en fait, mes amis étaient dans d'autres dynamiques. À 20 ans, on est complètement ailleurs.

  • Speaker #0

    On n'est pas forcément dans la mort.

  • Speaker #1

    Non, on n'est pas forcément dans la mort. Mais voilà, moi, ça m'a permis vraiment de transformer tout ça.

  • Speaker #0

    De donner un souffle de vie ?

  • Speaker #1

    Un souffle de vie, une nouvelle vie, une autre vie, au travers des images, des expositions, des échanges qui ont été partagés après ça.

  • Speaker #0

    Et qui continuent.

  • Speaker #1

    Et qui continuent. Exactement. Et c'est vrai que la création, elle vient vraiment d'un besoin. Tout d'un coup, je me sens animée. Et puis, je pense que tout d'un coup, je sens qu'est-ce que je dois faire et comment. Comment le faire ?

  • Speaker #0

    Oui, après ces deux séries, c'est peut-être pas vraiment exactement chronologique, mais en tout cas, tout d'un coup, on parle de souffle, on parle de souffle de vie, on parle de mort, on parle de naissance, on parle de renaissance. Et après, il y a eu la naissance d'une fille, la naissance... d'une autre fille, je crois qu'aujourd'hui tu as deux enfants d'à peu près 8 ans et 12 ans. Et Renaissance, c'est une série que tu as faite il y a quelques années, qui est un voyage au cœur de la maternité, où le sentiment de solitude et d'isolement est très présent. Dans cette série, il y a pas mal de murs qui représentent l'enfermement, il y a beaucoup de nature aussi, il y a des mains. Une petite fille qui se cache le visage avec un carton et qui résonne beaucoup avec ta série actuelle qui s'appelle « Sans visage » . Il y a des résonances déjà à l'époque. Il y a toi qui tournes le dos avec tes deux petites filles dans la glace, dans un paysage enneigé, je pense, après une séparation et un retour en Suisse. Il y a beaucoup de choses dans « Renaissance » . Comment s'est passé l'arrivée d'un enfant dans ton parcours ? Est-ce que ça t'a aidé à créer ? Est-ce que tu as créé de la même façon ? Est-ce que ça a complètement modifié ton acte photographique ?

  • Speaker #1

    Déjà, j'avais envie d'avoir des enfants, donc c'était absolument quelque chose qui était important pour moi. Je sais que ce n'est pas forcément important pour toutes les femmes, mais pour moi, c'était important. Et je pense que ça fait partie aussi de ces thématiques de la vie, de la mort. de la maladie, de ce qui se passe, c'est fondamental. Et j'avais vraiment envie déjà de photographier toute l'étape de la grossesse. Dès le moment que je suis tombée enceinte, de manière tout à fait naturelle, j'ai commencé à faire des images. Alors, je ne savais pas du tout l'aboutissement. C'est vrai que c'était de manière tout à fait instinctive et tellement réfléchie, en fait, que j'ai créé ces premières images. On a déménagé au Bengal quand ma fille était toute petite et je me suis retrouvée en fait très isolée, isolée de ma famille, isolée de mon environnement. Et je pense que je n'avais pas mesuré à quel point... D'avoir un petit enfant au quotidien qui nous réveille la nuit, qui a besoin en permanence d'attention, nous plongeait un petit peu dans une bulle. Dans une bulle où finalement, on est un peu dans la survie. Moi, j'avais un enfant qui ne dormait pas de la nuit, donc j'étais hyper fatiguée. Et finalement, il n'y avait plus beaucoup de place à la... à la création, parce qu'en fait, le temps que je prenais pour créer, pour travailler, parce que moi, je travaillais 7 jours sur 7 comme photographe, je travaillais énormément et tout d'un coup, je n'avais plus le temps. Je n'avais plus le temps de photographier. Et je pense que le grand changement, c'est que maintenant, même maintenant, je suis avec deux enfants dont je m'occupe seule au quotidien, le temps de création, il est vraiment court. Et puis, je dois être beaucoup plus... plus efficace et puis j'ai beaucoup moins de temps pour réfléchir, pour me nourrir. Alors donc cette semaine à Arles, elle me fait beaucoup de bien aussi pour ça, mais dans le quotidien, je suis prise par un autre quotidien qui n'est pas forcément l'image, qui est un quotidien avec des enfants, avec une organisation, avec tout ce que la vie de mère et la charge mentale, que tout ça implique.

  • Speaker #0

    Après Renaissance, il y a eu le confinement. Et pas longtemps après le confinement, en 2021, tu as gagné le Swiss Press Award, si je ne me trompe pas, avec une série qui s'appelle Parenthèses, et qui sont des photographies de tes filles dans la vie, dans la nature. À la suite de Parenthèses, la série commençait à vivre une très belle vie avec ce prix. et Ton ex-compagnon, le père des filles, s'est opposé à la diffusion de ces images,

  • Speaker #1

    arguant le principe d'autorité parentale conjointe et de droit à l'image.

  • Speaker #0

    Et de droit à l'image, voilà. Donc ça a complètement modifié l'évolution de cette série parenthèse. Et le résultat ? et cette série qui s'appelle « Son visage » exposée à Croisière jusqu'à la fin de l'été et où tu as, afin de pouvoir continuer ce travail, tu as trouvé un chemin parallèle, tu as trouvé un nouveau souffle en pointillant les visages de tes filles à la manière de Roy Lichtenstein.

  • Speaker #1

    Je te... mais en fait ça va beaucoup plus loin que ça. C'est à dire qu'en fait pendant le confinement, j'ai photographié mes filles et suite à mon Suisse Press, je voulais faire un livre, une publication de ce livre, de ce projet Parenthèse et je me suis retrouvée face à une interdiction du père de mes filles. Et voilà alors après j'ai essayé dans un premier temps de de discuter avec lui, voir s'il y avait quand même moyen d'échanger, parce que c'est vrai que, et pour moi, et pour elle, c'était quelque chose d'important. Je me suis retrouvée face à cette interdiction, puis dans un premier temps, je me suis dit que j'allais justement faire de la censure le sujet de mon nouveau projet. Et j'ai proposé en fait à... au papa de mes filles de mettre cette trame d'impression sur les images initiales, et il a refusé. Et puis à ce moment-là, je suis allée voir une avocate spécialisée dans le droit à l'image pour voir jusqu'où je pouvais aller, s'il avait le droit d'interdire la publication, même le visage tramé. Et ce qu'elle m'expliquait, c'est qu'au travers de l'histoire et du texte, et de l'autorité parentale qui était conjointe, il aurait pu décider potentiellement d'annuler cette publication de livres. Et puis on sait à quel point faire un livre est un grand travail. Et puis avec mes filles, là au milieu, qui étaient dans un conflit aussi de loyauté entre les deux parents, c'était très compliqué de continuer dans cette direction-là. Et j'ai dû trouver une stratégie. Je ne pouvais pas juste photographier des fleurs ou partir dans une photo de paysage parce qu'on m'avait intéressée. Et en fait, j'ai cherché des modèles et j'ai photographié toutes les scènes pour refaire toutes ces images. Il fallait que les parents aient aussi une certaine sensibilité à l'art, à la photographie. Et voilà, j'ai trouvé mes deux petits modèles pour rejouer toutes ces scènes. Il fallait recopier des images et puis on arrive dans des images beaucoup plus statiques avec déjà des enfants avec qui je connaissais peu au départ ou pas du tout, avec qui j'ai dû créer un lien pour faire ces premières images. Et enfin, ces nouvelles images, ça demande de la patience et de la persévérance.

  • Speaker #0

    Il y a beaucoup, beaucoup de thématiques et de questions qui me viennent à l'esprit. mais la première c'est Comment se sont senties tes filles par rapport à toute cette histoire ? Parce que tes filles, c'était vraiment une histoire de famille, de tendresse, d'amour maternel, de partage, de complicité, de confinement. Et elles étaient les héroïnes des photos. Donc je crois qu'elles étaient très contentes, comme tu l'as précisé dans ton livre. Et puis tout d'un coup, il y a une espèce de l'extérieur, de dépossession. Tu remplaces ta fille par d'autres...

  • Speaker #1

    Alors il y a eu un peu de... temps, de la temporalité a fait son chemin. Je les ai aussi beaucoup accompagnées là-dedans. C'est vrai que pour elles, c'était difficile. Mais je pense que... Alors moi, ce que j'ai expliqué aux filles, c'est que j'ai dit pour ce travail-là, c'est vos doublures. J'ai pas le droit de vous photographier. Et puis même, vous savez, les plus grandes stars. Certaines scènes, elles ont des doublures parce qu'elles ne peuvent pas être présentes ou pas faire telle ou telle cascade. Et puis voilà, dans ce travail-là, comme votre papa n'est pas d'accord et que je suis obligée de respecter ça, vous avez des doublures pour faire ce travail. Et puis elles sont là, en fait, par leur absence. Chaque image a été inspirée d'elles. Et puis j'ai dit, on sait que plus tard... potentiellement il y a un autre travail qu'on fera ensemble, mais ce n'est pas encore l'heure, ce n'est pas encore maintenant. Mais moi j'aime regarder la vie du beau côté, et puis voir ce qui m'aspire, et puis ce qui va me donner de la force.

  • Speaker #0

    Il y a aussi la question justement du droit à l'enfant, de juger et de décider pour lui-même, qui aurait pu faire qu'elles auraient presque pu décider elles-mêmes si elles étaient OK ou pas.

  • Speaker #1

    Lina avait 6 ans et Anna 3 ans à peu près. On était dans un autre âge. C'est vrai que maintenant, ma fille qui a 11 ans, à partir de 12 ans, elle a son mot à dire. L'enfant, avant, c'est compliqué pour lui de vraiment s'exprimer. La question, c'est de toute façon, il va être très embêté dans une décision. Est-ce qu'il va suivre la vie ? de papa ou suivre la vie de maman. Je ne voulais pas confronter mes filles à être dans ce dilemme, parce que c'est insoutenable.

  • Speaker #0

    Je crois que c'est toujours Julien Gale qui, dans sa préface, en parlant de son visage et de tout ce qui s'est passé autour de cette histoire, parle d'une histoire de respiration filtrée et contrôlée. d'une tentative de fragilisation de sa relation à l'art, de négation de la chambre à soi qu'elle a trouvée dans son appartement, lieu de la liberté d'expression de la femme et de la mère, un lieu normalement hors de contrôle de la société des hommes. En dehors de la préface et de cette phrase de Julie que je trouve très juste et très pertinente, c'est comment être mère et ne pas faire de ce bouleversement la matière de son art. Tu es mère, il y a le confinement, tu es avec tes deux filles, tu es photographe. C'est ton âme et tes tripes de faire des photos à ce moment-là. Donc interdire ça, c'est...

  • Speaker #1

    Alors ça m'a valu beaucoup de nuits blanches. C'est vrai que ça a été très très difficile au niveau personnel. C'est vrai que ça a attaqué mon statut de mère, mon statut d'artiste, mon statut de femme. Justement, je ne sais pas comment on peut faire ça.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu as réussi à faire avec l'exposition parce que tu as trouvé le ressort et les moyens de passer outre et de continuer et c'est ce qui montre que on ne peut pas te couper tes ailes.

  • Speaker #1

    Non, on ne peut pas me couper mes ailes. J'avais besoin de... Et je me les réapproprie. Et c'est vrai que... Et aussi, le texte de Julie m'a beaucoup réconciliée avec mon travail de création autour de l'intime. Cet intime qui est aussi politique, qui permet de donner une voix aux femmes. Je me suis demandé si tout d'un coup, si j'avais photographié des... Si j'avais eu des garçons et que j'avais photographié des garçons, est-ce qu'il aurait aussi posé cette interdiction ? Ou si c'est parce que c'est des petites filles qui posent une interdiction, les petites filles on ne peut pas les montrer, et la mère n'a pas le droit de s'exprimer. C'est vrai que le travail de création autour de la maternité de mes filles... Il me nourrit, quoi. C'est mon quotidien. Donc, en fait, je suis nourrie créativement par ce que je vis dans mon quotidien en tant que femme, en tant que mère. Et ça, j'ai besoin de le transformer. Alors maintenant, je me suis retrouvée face à cette interdiction. Alors, je pense que fondamentalement, ça va aussi changer un peu ma manière de photographier et d'appréhender mes prochains projets qui... qui sont en gestation, mais qui ne sont pas encore... que je n'ai pas encore senti dans quelle direction j'allais aller. Parce que c'est vrai que pour moi, il y a beaucoup... Le travail de création, il part vraiment d'un ressenti ou d'un besoin. Et puis tout d'un coup, je fais. Mais je pense que ça va pas mal perturber. Puis c'est vrai que potentiellement, mes filles, ma grande, elle a maintenant presque 12 ans. Donc elle est beaucoup plus sensible aussi à cette problématique. Et puis c'est vrai qu'elle a plus de jugement par rapport à ça. Et puis elle, elle aimerait bien qu'on refasse un projet. Mais puis peut-être que plus tard, il y aura de nouveau un projet. Mais je ne sais pas encore quelle nature et quelle substance tout ça va prendre. Parce que c'est vrai, d'avoir une telle interdiction, ça m'a aussi... passablement transformée, j'ai beaucoup réfléchi à la problématique. Et c'est vrai que cette problématique de droit à l'image, de droit à l'image des enfants, de droit à l'image en général, elle transforme notre métier maintenant. Alors évidemment, un travail artistique qui est aussi d'une réflexion, qui vient de... raconter une histoire, raconter le monde n'a pas tout à fait le même statut qu'une image de profusion sur les réseaux sociaux, d'échanges sur facebook etc. Mais quand on isole et qu'on... Voilà je pense qu'en fait surtout je pense que alors nous on a en tant qu'artiste photographe on a une responsabilité de ce qu'on montre mais les autres ils ont aussi une responsabilité de comment ils regardent et qu'est ce qu'ils font de... de ce qu'ils voient et comment... Voilà. Voilà. Une responsabilité face à ces images.

  • Speaker #0

    Et sans visage, j'allais dire sans images.

  • Speaker #1

    On n'est pas très loin, c'est un joli laps,

  • Speaker #0

    c'est ça ? Sans visage. Sans visage et vraiment à la croisée de tout ce que tu viens de citer. Les réseaux sociaux, la profusion d'images, l'IA, le... Il y a toutes ces thématiques-là, alors qu'à l'origine, c'était juste un acte très naturel de maman photographe avec ses enfants. Donc c'est intéressant aussi de relever ça. En tout cas, tu as relevé le défi avec brio et j'ai l'impression que tu as des ailes beaucoup plus grandes qu'en 2021. Je pense que ça t'a donné des ailes.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. C'est vrai que dans le...

  • Speaker #0

    Dans ce travail, son visage, j'avais envie de garder la poésie. Pour moi, c'est important de garder toute cette dimension narrative, poétique, qui fait partie de mon travail. Et de mettre ces personnages, oui, il y a de la censure, mais ils restent dans leur caractère d'enfants, ça reste dans un univers onirique.

  • Speaker #1

    Joyeux, poétique, enfantin. Est-ce que tu peux, pour finir cette interview, cette conversation, avec le soleil qui commence à brûler sur nos visages, me donner, me dire ton coup de cœur et ton coup de gueule de la semaine ou du moment.

  • Speaker #0

    Alors mon coup de cœur, ça va être cette série Father de Diana Marcossian.

  • Speaker #1

    Diana Marcossian.

  • Speaker #0

    Diana Marcossian, que je trouve magnifique. Alors j'ai découvert son travail au travers du livre. Je n'ai pas encore vu l'exposition, que je ne vais pas manquer ici à Arles. Mais c'est aussi un projet de l'intime autour d'un divorce, d'une problématique familiale, d'une photographe qui va retrouver son père au travers aussi de la photographie. Je me retrouve aussi beaucoup dans... Voilà, c'est un univers qui est proche du mien parce que ça parle d'une histoire intime qui nous amène vers de l'universel. pour moi c'est vraiment ces histoires-là qui me touchent profondément et qui pour moi ont une très grande puissance.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. L'expo est magnifique, magnifique, magnifique. Je me permets de le dire parce que Sarah en parle, c'est magnifique et c'est... J'avais presque les larmes aux yeux, je suis restée je crois 50 minutes, moi ça ne m'est jamais arrivé de rester aussi longtemps dans une expo et... Je vais acheter le livre, évidemment.

  • Speaker #0

    Vraiment aussi, je vais acheter le livre. Mais voilà, c'est vrai qu'on est le premier jour des rencontres. Enfin, le deuxième jour de mon arrivée, je n'ai pas encore eu le temps. Et je vais faire ça. Et puis, dans le coup de gueule, je pense qu'en tant que femme, en tant que mère, je dois continuer mon combat au quotidien. Et je pense que beaucoup de femmes ont besoin d'avoir encore beaucoup, se justifier deux fois plus que les hommes. pour se faire entendre, pour se faire écouter.

  • Speaker #1

    Pour ne pas se faire censurer.

  • Speaker #0

    Pour ne pas se faire censurer. J'ai l'impression que les justificatifs doivent être deux fois plus fondés pour être entendus. Ça va être mon coup de gueule. J'aimerais bien que ça change.

  • Speaker #1

    Ça va changer petit à petit. C'est en train de changer.

  • Speaker #0

    Ça prend du temps.

  • Speaker #1

    Ça prend beaucoup de temps. Merci beaucoup, Sarah, pour ce moment à part dans cette petite terrasse qui était un peu plus bruyante que prévu. Mais merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci pour ta rencontre, pour notre échange, pour ce podcast, pour donner une voix aux femmes photographes.

  • Speaker #1

    Merci,

  • Speaker #0

    Sarah.

Description

C'est l'été. Sur l'Atlantique, le vent souffle et une certaine fraîcheur s'est installée sur les côtes. Il y a pourtant juste quelques jours, à l'occasion de la semaine professionnelle des rencontres de la photographie d'Arles, j'ai eu l'immense chance de pouvoir m'installer sur une terrasse inondée de soleil, à l'ombre des platanes, bercée par le chant des cigales. A ma plus grande joie, pour la première fois depuis la naissance de DES CLICS, j'ai transporté mon studio d'enregistrement hors les murs et j'ai chéri ces rencontres sonores si précieuses.


Sans Visage est une exposition présentée à l'espace Croisière des Rencontres de la photographie d'Arles 2025 ainsi qu'un livre publié aux Editions Actes Sud en juin 2025. La photographe Sarah Carp, cantonnée dans son appartement, se met à photographier ses enfants pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19. Le père des filles s’en prend à ces photographies et empêche leur publication, arguant la protection de l’enfant. Sarah Carp rejoue alors les scènes avec d’autres enfants, mais la spontanéité se perd, les expressions ne sont plus les mêmes. Elle habille de points colorés la tête des enfants-comédiens. L’artifice fait office de masque.

J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer Sarah à l'ombre des platanes, bercées par les cigales, sur une petite terrasse d'Arles. Elle se livre ici sur son parcours, son approche très intime de la photographie, la maternité, la censure, et nous donne son coup de coeur et son coup de gueule du moment.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Nous sommes aux 56e rencontres de photographie d'Arles qui ont lieu du 7 juillet au 5 octobre et on inaugure aujourd'hui le deuxième jour de la semaine, nous sommes mardi, Arles se réveille doucement, il y a une petite brise, il ne fait pas trop chaud, c'est très agréable une fois de plus et j'avais rendez-vous ce matin avec Sarah Karp à Croisière. Mais il va y avoir une conférence, donc on a dû s'éloigner de Croisière. On est dans un petit café Cocorico à côté des arènes, confortablement installé avec un café et un jus d'orange. Et je suis ravie d'accueillir Sarah, qui est exposée pendant toute la durée du festival. Et son exposition s'appelle « Sans visage » . C'est une exposition et c'est aussi un livre qui vient de sortir aux éditions. Actes Sud. Pour commencer cette matinée, j'aimerais bien que tu me dises ce que tu sens quand tu es à Arles, ce que tu aimes à Arles, ce que représente Arles pour toi.

  • Speaker #1

    Alors Arles, c'est un rendez-vous chaque année, c'est un rendez-vous où je me sens maintenant un peu à la maison. C'est vrai que je vois tous mes amis, je vois mes collègues photographes, je viens ici pour puiser de l'inspiration, voir... Tout un tas d'images et me plonger dans mon univers intérieur aussi. Mon quotidien, il est fait principalement de ma vie de maman actuellement. Et puis de me replonger une semaine à Arles, c'est me replonger à ce qui m'anime.

  • Speaker #0

    Seule, sans enfant ? Oui,

  • Speaker #1

    seule, sans enfant. Alors, il m'est arrivé de venir à Arles enceinte. Il m'est arrivé de venir à Arles avec ma fille, ma petite. que je portais dans mes bras pendant une semaine. Mais c'est vrai que c'est plutôt assez agréable d'avoir une semaine sans enfant, à pouvoir manger de l'image, regarder, discuter, échanger.

  • Speaker #0

    Sarah, tu es diplômée de l'école de photographie de Vevey. Tu es lauréate du prix Focal de la ville de Nyon en 2019 et lauréate du Swiss Press Award en 2021 avec ta série qui s'appelle ou qui s'appelait, parenthèse, et dont on va reparler indirectement après. Comment es-tu arrivée à la photo, Sarah ?

  • Speaker #1

    Je pense que je suis arrivée à la photographie dans l'adolescence. C'est un médium qui est venu à moi aussi parce que dans mon environnement proche, proche de ma grand-maman, il y avait une femme photographe qui s'appelait Monique Jacot. Et j'ai tout de suite été sensibilisée à son travail. Et probablement que... D'un côté plus personnel, le fait que j'avais un petit frère qui est né avec une malformation du cœur m'a plongée aussi dans une angoisse du quotidien de savoir à quel moment il allait partir et que la photographie me permettait de capter chacun des moments qu'on avait ensemble, chaque souvenir, chaque instant. et j'ai été vite... amener à photographier mon quotidien, les gens qui étaient proches de moi, les gens que j'aime et qui ont de la valeur à mes yeux.

  • Speaker #0

    Dans la préface de ton livre « Sans visage » , c'est une préface magnifique d'ailleurs, je le précise, Julie Henkel écrit « La photo de Sarah Karp serait une histoire d'air, de souffle et de soupir, une atmosphère tantôt faite d'inspiration, tantôt de suffocation. » Et j'ai vu qu'il y avait une phrase qui t'accompagnait et je pense qui est tout à fait liée à ton petit frère dont tu viens de parler et qui explique ta démarche de création très clairement et qui est dans son carnet de notes. J'ai trouvé ce dessin avec cette phrase qui m'accompagne depuis ce jour dans toute ma démarche de création. L'inspiration, deux points. Si on n'exprime pas son inspiration, on finit par suffoquer, inspirer, expirer.

  • Speaker #1

    Cette phrase, c'est vrai qu'elle m'a toujours accompagnée, et puis de manière beaucoup plus significative depuis son décès. Quand mon frère Alain est décédé, j'ai photographié tout. C'était une émotion tellement forte que j'ai... Le premier réflexe, quand ma maman m'a téléphoné pour me dire « Alain, il est décédé, il faut que tu viennes » , j'ai pris mon polaroïd et puis je suis allée... au bord de son lit funéraire, et j'ai fait quelques images au polaroïd. Mais ça me permettait aussi d'avoir une distance par rapport à ce que je voyais, et puis de pouvoir aussi... me protéger de ce que la vie me montrait, ce que je n'avais pas envie de voir, et de le transformer en image aussi, en le captant, puis en le gardant en souvenir. Et ça m'a permis justement de traverser tout ce moment de deuil. C'est comme si je vivais cette vie, mais pas vraiment, à distance, à travers le prisme de la photo. Je me souviens à l'époque, j'avais parlé avec, quelques années avant, j'avais parlé avec Monique Jacot, puis elle me disait, mais t'as un sujet au nord, ton petit frère, il faut que tu le photographies. Puis moi, je voulais pas du tout le photographier. Je voulais pas entrer dans sa vie et photographier sa cicatrice, etc. Et puis un jour, en fait, je lui ai quand même demandé, c'était à peu près une année avant son décès, et j'ai dit, Alain, est-ce que je peux photographier une fois ton... torse, ta cicatrice, faire des portraits de toi. J'ai été étonnamment surprise qu'en fait, pour lui, il vivait avec ça. Il était hyper content que je m'intéresse à lui, que je le photographie. Et aussi, ça m'a montré qu'au travers de mon regard de photographe, je pouvais aussi valoriser l'autre et apporter quelque chose à la personne que je photographiais. Ce n'était pas que... que prendre son image, mais c'était aussi lui apporter une attention.

  • Speaker #0

    Et peut-être même l'aider.

  • Speaker #1

    Et peut-être l'aider, oui, effectivement. Puis c'était hyper précieux justement d'avoir ces images-là et capter ce souvenir.

  • Speaker #0

    Cette série avec Alain s'intitule Funambule. Et tu as une autre série qui s'appelle Donneuse apparentée et qui parle de ton autre frère. Je ne sais pas si c'était aussi un petit frère.

  • Speaker #1

    C'était aussi un petit frère. En fait, ce qui s'est passé, c'était qu'une année après le décès d'Alain, on apprend que mon autre frère, Henri, a eu le CMI. Alors après, on ne se remet même pas tout à fait d'un premier drame, qu'on arrive vers un deuxième drame. Et puis là, la question ne s'est même pas posée. J'ai été... pris mon appareil photo, je suis allée dans sa chambre d'hôpital, j'ai commencé à faire des images et puis c'était... Et puis mon petit frère, il m'a dit « Ah non, tu ne vas pas faire des photos ! » Et puis moi, j'ai dit « Mais tu sais, Henri, pour moi, c'est hyper important, c'est hyper dur ce que je viens d'apprendre, c'est hyper dur de le voir là, à l'hôpital. Et puis la photographie, pour moi, c'est un petit peu comme... Pour toi, la musique, ça me permet de... de transformer et puis de m'échapper de la réalité. Il faisait beaucoup de musique. Puis en fait, chaque rendez-vous, j'ai été le voir dans sa chambre d'hôpital, à chaque fois, il y avait un petit moment d'image. Moi, ça me donnait la force aussi d'aller le rencontrer. C'est vrai que danser dans un lieu hospitalier, ce n'est pas très drôle. Et lui, il m'avait demandé de... de faire une exposition de photographie dans sa chambre. J'ai installé un petit dispositif d'images. C'était des images... Il m'avait demandé mes premières images. Alors, il y avait des images que j'avais faites en République dominicaine, il y a plusieurs années. Il aimait beaucoup ces images. Et puis, autrement d'autres images, qui étaient plus une échappée des arcs-en-ciel, des petits moments, des petits riens, en fait, de la vie qui... Ils m'ont beaucoup amenée dans les années qui ont précédé, c'est-à-dire chercher aussi à trouver un souffle, un autre souffle, regarder le beau, regarder ce qui fait du bien. Et puis après, ce qui s'est passé, c'est que pour soigner la leucémie, on cherche des donneurs apparentés. Et il s'est trouvé que moi, j'étais combattible. Ensuite, dès le moment que j'ai été donneuse de cellules souches, du coup, j'ai photographié mon dent. Je me rappelle que je n'avais pas demandé d'autorisation. Donc, en fait, le jour où je devais faire la récolte des cellules souches, alors j'étais avec un assistant qui était là pour placer l'appareil. Mais d'abord, au premier abord, ils m'ont dit non, vous n'avez pas le droit de photographier la scène. Vous n'avez pas le droit d'entrer avec votre appareil photo. Puis moi, je me suis énervée. J'ai dit, bon, dans ce cas-là, moi, je ne fais pas le don. C'est hors de question. Et puis voilà, finalement, ils ont accepté. que je poursuive ma démarche et que je continue à photographier et à faire le don en même temps. Bien sûr que j'aurais fait le don de toute manière, mais c'est vrai que sur le moment, pour moi, c'était vraiment très, très important.

  • Speaker #0

    C'était capital, vital presque.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    C'est une espèce de triangle avec tes deux frères et la photographie, une correspondance, en fait, entre vous trois, finalement. Parce que l'histoire s'est répétée avec Henri. qui avait déjà vu ton acte créatif avec Alain. Donc il y a une espèce de transmission aussi, tous les trois, à travers la photographie.

  • Speaker #1

    Ça permet en fait de garder la mémoire. Et ça permet de partager une histoire, ça permet de la revisiter aussi. C'est vrai que quand on a des pertes, on a besoin de retourner dans son histoire, de comprendre. et Et ça permet de les garder encore présents ici. Au niveau personnel, c'est vrai que moi, ça m'a énormément aidée de traverser tout ça et de trouver un autre sens à la vie, à la mort, à la maladie. Mais ça permet aussi à donner aux autres, aux gens qui traverseraient une histoire comme ça, du... comment dire...

  • Speaker #0

    un drame.

  • Speaker #1

    Qui traverse un drame, mais aussi peut-être des pistes ou bien des échanges. Parce qu'en fait, quand on vit des choses comme ça, aussi difficiles, c'est vrai qu'à cet âge-là, j'étais plutôt assez jeune. Donc en fait, mes amis étaient dans d'autres dynamiques. À 20 ans, on est complètement ailleurs.

  • Speaker #0

    On n'est pas forcément dans la mort.

  • Speaker #1

    Non, on n'est pas forcément dans la mort. Mais voilà, moi, ça m'a permis vraiment de transformer tout ça.

  • Speaker #0

    De donner un souffle de vie ?

  • Speaker #1

    Un souffle de vie, une nouvelle vie, une autre vie, au travers des images, des expositions, des échanges qui ont été partagés après ça.

  • Speaker #0

    Et qui continuent.

  • Speaker #1

    Et qui continuent. Exactement. Et c'est vrai que la création, elle vient vraiment d'un besoin. Tout d'un coup, je me sens animée. Et puis, je pense que tout d'un coup, je sens qu'est-ce que je dois faire et comment. Comment le faire ?

  • Speaker #0

    Oui, après ces deux séries, c'est peut-être pas vraiment exactement chronologique, mais en tout cas, tout d'un coup, on parle de souffle, on parle de souffle de vie, on parle de mort, on parle de naissance, on parle de renaissance. Et après, il y a eu la naissance d'une fille, la naissance... d'une autre fille, je crois qu'aujourd'hui tu as deux enfants d'à peu près 8 ans et 12 ans. Et Renaissance, c'est une série que tu as faite il y a quelques années, qui est un voyage au cœur de la maternité, où le sentiment de solitude et d'isolement est très présent. Dans cette série, il y a pas mal de murs qui représentent l'enfermement, il y a beaucoup de nature aussi, il y a des mains. Une petite fille qui se cache le visage avec un carton et qui résonne beaucoup avec ta série actuelle qui s'appelle « Sans visage » . Il y a des résonances déjà à l'époque. Il y a toi qui tournes le dos avec tes deux petites filles dans la glace, dans un paysage enneigé, je pense, après une séparation et un retour en Suisse. Il y a beaucoup de choses dans « Renaissance » . Comment s'est passé l'arrivée d'un enfant dans ton parcours ? Est-ce que ça t'a aidé à créer ? Est-ce que tu as créé de la même façon ? Est-ce que ça a complètement modifié ton acte photographique ?

  • Speaker #1

    Déjà, j'avais envie d'avoir des enfants, donc c'était absolument quelque chose qui était important pour moi. Je sais que ce n'est pas forcément important pour toutes les femmes, mais pour moi, c'était important. Et je pense que ça fait partie aussi de ces thématiques de la vie, de la mort. de la maladie, de ce qui se passe, c'est fondamental. Et j'avais vraiment envie déjà de photographier toute l'étape de la grossesse. Dès le moment que je suis tombée enceinte, de manière tout à fait naturelle, j'ai commencé à faire des images. Alors, je ne savais pas du tout l'aboutissement. C'est vrai que c'était de manière tout à fait instinctive et tellement réfléchie, en fait, que j'ai créé ces premières images. On a déménagé au Bengal quand ma fille était toute petite et je me suis retrouvée en fait très isolée, isolée de ma famille, isolée de mon environnement. Et je pense que je n'avais pas mesuré à quel point... D'avoir un petit enfant au quotidien qui nous réveille la nuit, qui a besoin en permanence d'attention, nous plongeait un petit peu dans une bulle. Dans une bulle où finalement, on est un peu dans la survie. Moi, j'avais un enfant qui ne dormait pas de la nuit, donc j'étais hyper fatiguée. Et finalement, il n'y avait plus beaucoup de place à la... à la création, parce qu'en fait, le temps que je prenais pour créer, pour travailler, parce que moi, je travaillais 7 jours sur 7 comme photographe, je travaillais énormément et tout d'un coup, je n'avais plus le temps. Je n'avais plus le temps de photographier. Et je pense que le grand changement, c'est que maintenant, même maintenant, je suis avec deux enfants dont je m'occupe seule au quotidien, le temps de création, il est vraiment court. Et puis, je dois être beaucoup plus... plus efficace et puis j'ai beaucoup moins de temps pour réfléchir, pour me nourrir. Alors donc cette semaine à Arles, elle me fait beaucoup de bien aussi pour ça, mais dans le quotidien, je suis prise par un autre quotidien qui n'est pas forcément l'image, qui est un quotidien avec des enfants, avec une organisation, avec tout ce que la vie de mère et la charge mentale, que tout ça implique.

  • Speaker #0

    Après Renaissance, il y a eu le confinement. Et pas longtemps après le confinement, en 2021, tu as gagné le Swiss Press Award, si je ne me trompe pas, avec une série qui s'appelle Parenthèses, et qui sont des photographies de tes filles dans la vie, dans la nature. À la suite de Parenthèses, la série commençait à vivre une très belle vie avec ce prix. et Ton ex-compagnon, le père des filles, s'est opposé à la diffusion de ces images,

  • Speaker #1

    arguant le principe d'autorité parentale conjointe et de droit à l'image.

  • Speaker #0

    Et de droit à l'image, voilà. Donc ça a complètement modifié l'évolution de cette série parenthèse. Et le résultat ? et cette série qui s'appelle « Son visage » exposée à Croisière jusqu'à la fin de l'été et où tu as, afin de pouvoir continuer ce travail, tu as trouvé un chemin parallèle, tu as trouvé un nouveau souffle en pointillant les visages de tes filles à la manière de Roy Lichtenstein.

  • Speaker #1

    Je te... mais en fait ça va beaucoup plus loin que ça. C'est à dire qu'en fait pendant le confinement, j'ai photographié mes filles et suite à mon Suisse Press, je voulais faire un livre, une publication de ce livre, de ce projet Parenthèse et je me suis retrouvée face à une interdiction du père de mes filles. Et voilà alors après j'ai essayé dans un premier temps de de discuter avec lui, voir s'il y avait quand même moyen d'échanger, parce que c'est vrai que, et pour moi, et pour elle, c'était quelque chose d'important. Je me suis retrouvée face à cette interdiction, puis dans un premier temps, je me suis dit que j'allais justement faire de la censure le sujet de mon nouveau projet. Et j'ai proposé en fait à... au papa de mes filles de mettre cette trame d'impression sur les images initiales, et il a refusé. Et puis à ce moment-là, je suis allée voir une avocate spécialisée dans le droit à l'image pour voir jusqu'où je pouvais aller, s'il avait le droit d'interdire la publication, même le visage tramé. Et ce qu'elle m'expliquait, c'est qu'au travers de l'histoire et du texte, et de l'autorité parentale qui était conjointe, il aurait pu décider potentiellement d'annuler cette publication de livres. Et puis on sait à quel point faire un livre est un grand travail. Et puis avec mes filles, là au milieu, qui étaient dans un conflit aussi de loyauté entre les deux parents, c'était très compliqué de continuer dans cette direction-là. Et j'ai dû trouver une stratégie. Je ne pouvais pas juste photographier des fleurs ou partir dans une photo de paysage parce qu'on m'avait intéressée. Et en fait, j'ai cherché des modèles et j'ai photographié toutes les scènes pour refaire toutes ces images. Il fallait que les parents aient aussi une certaine sensibilité à l'art, à la photographie. Et voilà, j'ai trouvé mes deux petits modèles pour rejouer toutes ces scènes. Il fallait recopier des images et puis on arrive dans des images beaucoup plus statiques avec déjà des enfants avec qui je connaissais peu au départ ou pas du tout, avec qui j'ai dû créer un lien pour faire ces premières images. Et enfin, ces nouvelles images, ça demande de la patience et de la persévérance.

  • Speaker #0

    Il y a beaucoup, beaucoup de thématiques et de questions qui me viennent à l'esprit. mais la première c'est Comment se sont senties tes filles par rapport à toute cette histoire ? Parce que tes filles, c'était vraiment une histoire de famille, de tendresse, d'amour maternel, de partage, de complicité, de confinement. Et elles étaient les héroïnes des photos. Donc je crois qu'elles étaient très contentes, comme tu l'as précisé dans ton livre. Et puis tout d'un coup, il y a une espèce de l'extérieur, de dépossession. Tu remplaces ta fille par d'autres...

  • Speaker #1

    Alors il y a eu un peu de... temps, de la temporalité a fait son chemin. Je les ai aussi beaucoup accompagnées là-dedans. C'est vrai que pour elles, c'était difficile. Mais je pense que... Alors moi, ce que j'ai expliqué aux filles, c'est que j'ai dit pour ce travail-là, c'est vos doublures. J'ai pas le droit de vous photographier. Et puis même, vous savez, les plus grandes stars. Certaines scènes, elles ont des doublures parce qu'elles ne peuvent pas être présentes ou pas faire telle ou telle cascade. Et puis voilà, dans ce travail-là, comme votre papa n'est pas d'accord et que je suis obligée de respecter ça, vous avez des doublures pour faire ce travail. Et puis elles sont là, en fait, par leur absence. Chaque image a été inspirée d'elles. Et puis j'ai dit, on sait que plus tard... potentiellement il y a un autre travail qu'on fera ensemble, mais ce n'est pas encore l'heure, ce n'est pas encore maintenant. Mais moi j'aime regarder la vie du beau côté, et puis voir ce qui m'aspire, et puis ce qui va me donner de la force.

  • Speaker #0

    Il y a aussi la question justement du droit à l'enfant, de juger et de décider pour lui-même, qui aurait pu faire qu'elles auraient presque pu décider elles-mêmes si elles étaient OK ou pas.

  • Speaker #1

    Lina avait 6 ans et Anna 3 ans à peu près. On était dans un autre âge. C'est vrai que maintenant, ma fille qui a 11 ans, à partir de 12 ans, elle a son mot à dire. L'enfant, avant, c'est compliqué pour lui de vraiment s'exprimer. La question, c'est de toute façon, il va être très embêté dans une décision. Est-ce qu'il va suivre la vie ? de papa ou suivre la vie de maman. Je ne voulais pas confronter mes filles à être dans ce dilemme, parce que c'est insoutenable.

  • Speaker #0

    Je crois que c'est toujours Julien Gale qui, dans sa préface, en parlant de son visage et de tout ce qui s'est passé autour de cette histoire, parle d'une histoire de respiration filtrée et contrôlée. d'une tentative de fragilisation de sa relation à l'art, de négation de la chambre à soi qu'elle a trouvée dans son appartement, lieu de la liberté d'expression de la femme et de la mère, un lieu normalement hors de contrôle de la société des hommes. En dehors de la préface et de cette phrase de Julie que je trouve très juste et très pertinente, c'est comment être mère et ne pas faire de ce bouleversement la matière de son art. Tu es mère, il y a le confinement, tu es avec tes deux filles, tu es photographe. C'est ton âme et tes tripes de faire des photos à ce moment-là. Donc interdire ça, c'est...

  • Speaker #1

    Alors ça m'a valu beaucoup de nuits blanches. C'est vrai que ça a été très très difficile au niveau personnel. C'est vrai que ça a attaqué mon statut de mère, mon statut d'artiste, mon statut de femme. Justement, je ne sais pas comment on peut faire ça.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu as réussi à faire avec l'exposition parce que tu as trouvé le ressort et les moyens de passer outre et de continuer et c'est ce qui montre que on ne peut pas te couper tes ailes.

  • Speaker #1

    Non, on ne peut pas me couper mes ailes. J'avais besoin de... Et je me les réapproprie. Et c'est vrai que... Et aussi, le texte de Julie m'a beaucoup réconciliée avec mon travail de création autour de l'intime. Cet intime qui est aussi politique, qui permet de donner une voix aux femmes. Je me suis demandé si tout d'un coup, si j'avais photographié des... Si j'avais eu des garçons et que j'avais photographié des garçons, est-ce qu'il aurait aussi posé cette interdiction ? Ou si c'est parce que c'est des petites filles qui posent une interdiction, les petites filles on ne peut pas les montrer, et la mère n'a pas le droit de s'exprimer. C'est vrai que le travail de création autour de la maternité de mes filles... Il me nourrit, quoi. C'est mon quotidien. Donc, en fait, je suis nourrie créativement par ce que je vis dans mon quotidien en tant que femme, en tant que mère. Et ça, j'ai besoin de le transformer. Alors maintenant, je me suis retrouvée face à cette interdiction. Alors, je pense que fondamentalement, ça va aussi changer un peu ma manière de photographier et d'appréhender mes prochains projets qui... qui sont en gestation, mais qui ne sont pas encore... que je n'ai pas encore senti dans quelle direction j'allais aller. Parce que c'est vrai que pour moi, il y a beaucoup... Le travail de création, il part vraiment d'un ressenti ou d'un besoin. Et puis tout d'un coup, je fais. Mais je pense que ça va pas mal perturber. Puis c'est vrai que potentiellement, mes filles, ma grande, elle a maintenant presque 12 ans. Donc elle est beaucoup plus sensible aussi à cette problématique. Et puis c'est vrai qu'elle a plus de jugement par rapport à ça. Et puis elle, elle aimerait bien qu'on refasse un projet. Mais puis peut-être que plus tard, il y aura de nouveau un projet. Mais je ne sais pas encore quelle nature et quelle substance tout ça va prendre. Parce que c'est vrai, d'avoir une telle interdiction, ça m'a aussi... passablement transformée, j'ai beaucoup réfléchi à la problématique. Et c'est vrai que cette problématique de droit à l'image, de droit à l'image des enfants, de droit à l'image en général, elle transforme notre métier maintenant. Alors évidemment, un travail artistique qui est aussi d'une réflexion, qui vient de... raconter une histoire, raconter le monde n'a pas tout à fait le même statut qu'une image de profusion sur les réseaux sociaux, d'échanges sur facebook etc. Mais quand on isole et qu'on... Voilà je pense qu'en fait surtout je pense que alors nous on a en tant qu'artiste photographe on a une responsabilité de ce qu'on montre mais les autres ils ont aussi une responsabilité de comment ils regardent et qu'est ce qu'ils font de... de ce qu'ils voient et comment... Voilà. Voilà. Une responsabilité face à ces images.

  • Speaker #0

    Et sans visage, j'allais dire sans images.

  • Speaker #1

    On n'est pas très loin, c'est un joli laps,

  • Speaker #0

    c'est ça ? Sans visage. Sans visage et vraiment à la croisée de tout ce que tu viens de citer. Les réseaux sociaux, la profusion d'images, l'IA, le... Il y a toutes ces thématiques-là, alors qu'à l'origine, c'était juste un acte très naturel de maman photographe avec ses enfants. Donc c'est intéressant aussi de relever ça. En tout cas, tu as relevé le défi avec brio et j'ai l'impression que tu as des ailes beaucoup plus grandes qu'en 2021. Je pense que ça t'a donné des ailes.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. C'est vrai que dans le...

  • Speaker #0

    Dans ce travail, son visage, j'avais envie de garder la poésie. Pour moi, c'est important de garder toute cette dimension narrative, poétique, qui fait partie de mon travail. Et de mettre ces personnages, oui, il y a de la censure, mais ils restent dans leur caractère d'enfants, ça reste dans un univers onirique.

  • Speaker #1

    Joyeux, poétique, enfantin. Est-ce que tu peux, pour finir cette interview, cette conversation, avec le soleil qui commence à brûler sur nos visages, me donner, me dire ton coup de cœur et ton coup de gueule de la semaine ou du moment.

  • Speaker #0

    Alors mon coup de cœur, ça va être cette série Father de Diana Marcossian.

  • Speaker #1

    Diana Marcossian.

  • Speaker #0

    Diana Marcossian, que je trouve magnifique. Alors j'ai découvert son travail au travers du livre. Je n'ai pas encore vu l'exposition, que je ne vais pas manquer ici à Arles. Mais c'est aussi un projet de l'intime autour d'un divorce, d'une problématique familiale, d'une photographe qui va retrouver son père au travers aussi de la photographie. Je me retrouve aussi beaucoup dans... Voilà, c'est un univers qui est proche du mien parce que ça parle d'une histoire intime qui nous amène vers de l'universel. pour moi c'est vraiment ces histoires-là qui me touchent profondément et qui pour moi ont une très grande puissance.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. L'expo est magnifique, magnifique, magnifique. Je me permets de le dire parce que Sarah en parle, c'est magnifique et c'est... J'avais presque les larmes aux yeux, je suis restée je crois 50 minutes, moi ça ne m'est jamais arrivé de rester aussi longtemps dans une expo et... Je vais acheter le livre, évidemment.

  • Speaker #0

    Vraiment aussi, je vais acheter le livre. Mais voilà, c'est vrai qu'on est le premier jour des rencontres. Enfin, le deuxième jour de mon arrivée, je n'ai pas encore eu le temps. Et je vais faire ça. Et puis, dans le coup de gueule, je pense qu'en tant que femme, en tant que mère, je dois continuer mon combat au quotidien. Et je pense que beaucoup de femmes ont besoin d'avoir encore beaucoup, se justifier deux fois plus que les hommes. pour se faire entendre, pour se faire écouter.

  • Speaker #1

    Pour ne pas se faire censurer.

  • Speaker #0

    Pour ne pas se faire censurer. J'ai l'impression que les justificatifs doivent être deux fois plus fondés pour être entendus. Ça va être mon coup de gueule. J'aimerais bien que ça change.

  • Speaker #1

    Ça va changer petit à petit. C'est en train de changer.

  • Speaker #0

    Ça prend du temps.

  • Speaker #1

    Ça prend beaucoup de temps. Merci beaucoup, Sarah, pour ce moment à part dans cette petite terrasse qui était un peu plus bruyante que prévu. Mais merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci pour ta rencontre, pour notre échange, pour ce podcast, pour donner une voix aux femmes photographes.

  • Speaker #1

    Merci,

  • Speaker #0

    Sarah.

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C'est l'été. Sur l'Atlantique, le vent souffle et une certaine fraîcheur s'est installée sur les côtes. Il y a pourtant juste quelques jours, à l'occasion de la semaine professionnelle des rencontres de la photographie d'Arles, j'ai eu l'immense chance de pouvoir m'installer sur une terrasse inondée de soleil, à l'ombre des platanes, bercée par le chant des cigales. A ma plus grande joie, pour la première fois depuis la naissance de DES CLICS, j'ai transporté mon studio d'enregistrement hors les murs et j'ai chéri ces rencontres sonores si précieuses.


Sans Visage est une exposition présentée à l'espace Croisière des Rencontres de la photographie d'Arles 2025 ainsi qu'un livre publié aux Editions Actes Sud en juin 2025. La photographe Sarah Carp, cantonnée dans son appartement, se met à photographier ses enfants pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19. Le père des filles s’en prend à ces photographies et empêche leur publication, arguant la protection de l’enfant. Sarah Carp rejoue alors les scènes avec d’autres enfants, mais la spontanéité se perd, les expressions ne sont plus les mêmes. Elle habille de points colorés la tête des enfants-comédiens. L’artifice fait office de masque.

J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer Sarah à l'ombre des platanes, bercées par les cigales, sur une petite terrasse d'Arles. Elle se livre ici sur son parcours, son approche très intime de la photographie, la maternité, la censure, et nous donne son coup de coeur et son coup de gueule du moment.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Nous sommes aux 56e rencontres de photographie d'Arles qui ont lieu du 7 juillet au 5 octobre et on inaugure aujourd'hui le deuxième jour de la semaine, nous sommes mardi, Arles se réveille doucement, il y a une petite brise, il ne fait pas trop chaud, c'est très agréable une fois de plus et j'avais rendez-vous ce matin avec Sarah Karp à Croisière. Mais il va y avoir une conférence, donc on a dû s'éloigner de Croisière. On est dans un petit café Cocorico à côté des arènes, confortablement installé avec un café et un jus d'orange. Et je suis ravie d'accueillir Sarah, qui est exposée pendant toute la durée du festival. Et son exposition s'appelle « Sans visage » . C'est une exposition et c'est aussi un livre qui vient de sortir aux éditions. Actes Sud. Pour commencer cette matinée, j'aimerais bien que tu me dises ce que tu sens quand tu es à Arles, ce que tu aimes à Arles, ce que représente Arles pour toi.

  • Speaker #1

    Alors Arles, c'est un rendez-vous chaque année, c'est un rendez-vous où je me sens maintenant un peu à la maison. C'est vrai que je vois tous mes amis, je vois mes collègues photographes, je viens ici pour puiser de l'inspiration, voir... Tout un tas d'images et me plonger dans mon univers intérieur aussi. Mon quotidien, il est fait principalement de ma vie de maman actuellement. Et puis de me replonger une semaine à Arles, c'est me replonger à ce qui m'anime.

  • Speaker #0

    Seule, sans enfant ? Oui,

  • Speaker #1

    seule, sans enfant. Alors, il m'est arrivé de venir à Arles enceinte. Il m'est arrivé de venir à Arles avec ma fille, ma petite. que je portais dans mes bras pendant une semaine. Mais c'est vrai que c'est plutôt assez agréable d'avoir une semaine sans enfant, à pouvoir manger de l'image, regarder, discuter, échanger.

  • Speaker #0

    Sarah, tu es diplômée de l'école de photographie de Vevey. Tu es lauréate du prix Focal de la ville de Nyon en 2019 et lauréate du Swiss Press Award en 2021 avec ta série qui s'appelle ou qui s'appelait, parenthèse, et dont on va reparler indirectement après. Comment es-tu arrivée à la photo, Sarah ?

  • Speaker #1

    Je pense que je suis arrivée à la photographie dans l'adolescence. C'est un médium qui est venu à moi aussi parce que dans mon environnement proche, proche de ma grand-maman, il y avait une femme photographe qui s'appelait Monique Jacot. Et j'ai tout de suite été sensibilisée à son travail. Et probablement que... D'un côté plus personnel, le fait que j'avais un petit frère qui est né avec une malformation du cœur m'a plongée aussi dans une angoisse du quotidien de savoir à quel moment il allait partir et que la photographie me permettait de capter chacun des moments qu'on avait ensemble, chaque souvenir, chaque instant. et j'ai été vite... amener à photographier mon quotidien, les gens qui étaient proches de moi, les gens que j'aime et qui ont de la valeur à mes yeux.

  • Speaker #0

    Dans la préface de ton livre « Sans visage » , c'est une préface magnifique d'ailleurs, je le précise, Julie Henkel écrit « La photo de Sarah Karp serait une histoire d'air, de souffle et de soupir, une atmosphère tantôt faite d'inspiration, tantôt de suffocation. » Et j'ai vu qu'il y avait une phrase qui t'accompagnait et je pense qui est tout à fait liée à ton petit frère dont tu viens de parler et qui explique ta démarche de création très clairement et qui est dans son carnet de notes. J'ai trouvé ce dessin avec cette phrase qui m'accompagne depuis ce jour dans toute ma démarche de création. L'inspiration, deux points. Si on n'exprime pas son inspiration, on finit par suffoquer, inspirer, expirer.

  • Speaker #1

    Cette phrase, c'est vrai qu'elle m'a toujours accompagnée, et puis de manière beaucoup plus significative depuis son décès. Quand mon frère Alain est décédé, j'ai photographié tout. C'était une émotion tellement forte que j'ai... Le premier réflexe, quand ma maman m'a téléphoné pour me dire « Alain, il est décédé, il faut que tu viennes » , j'ai pris mon polaroïd et puis je suis allée... au bord de son lit funéraire, et j'ai fait quelques images au polaroïd. Mais ça me permettait aussi d'avoir une distance par rapport à ce que je voyais, et puis de pouvoir aussi... me protéger de ce que la vie me montrait, ce que je n'avais pas envie de voir, et de le transformer en image aussi, en le captant, puis en le gardant en souvenir. Et ça m'a permis justement de traverser tout ce moment de deuil. C'est comme si je vivais cette vie, mais pas vraiment, à distance, à travers le prisme de la photo. Je me souviens à l'époque, j'avais parlé avec, quelques années avant, j'avais parlé avec Monique Jacot, puis elle me disait, mais t'as un sujet au nord, ton petit frère, il faut que tu le photographies. Puis moi, je voulais pas du tout le photographier. Je voulais pas entrer dans sa vie et photographier sa cicatrice, etc. Et puis un jour, en fait, je lui ai quand même demandé, c'était à peu près une année avant son décès, et j'ai dit, Alain, est-ce que je peux photographier une fois ton... torse, ta cicatrice, faire des portraits de toi. J'ai été étonnamment surprise qu'en fait, pour lui, il vivait avec ça. Il était hyper content que je m'intéresse à lui, que je le photographie. Et aussi, ça m'a montré qu'au travers de mon regard de photographe, je pouvais aussi valoriser l'autre et apporter quelque chose à la personne que je photographiais. Ce n'était pas que... que prendre son image, mais c'était aussi lui apporter une attention.

  • Speaker #0

    Et peut-être même l'aider.

  • Speaker #1

    Et peut-être l'aider, oui, effectivement. Puis c'était hyper précieux justement d'avoir ces images-là et capter ce souvenir.

  • Speaker #0

    Cette série avec Alain s'intitule Funambule. Et tu as une autre série qui s'appelle Donneuse apparentée et qui parle de ton autre frère. Je ne sais pas si c'était aussi un petit frère.

  • Speaker #1

    C'était aussi un petit frère. En fait, ce qui s'est passé, c'était qu'une année après le décès d'Alain, on apprend que mon autre frère, Henri, a eu le CMI. Alors après, on ne se remet même pas tout à fait d'un premier drame, qu'on arrive vers un deuxième drame. Et puis là, la question ne s'est même pas posée. J'ai été... pris mon appareil photo, je suis allée dans sa chambre d'hôpital, j'ai commencé à faire des images et puis c'était... Et puis mon petit frère, il m'a dit « Ah non, tu ne vas pas faire des photos ! » Et puis moi, j'ai dit « Mais tu sais, Henri, pour moi, c'est hyper important, c'est hyper dur ce que je viens d'apprendre, c'est hyper dur de le voir là, à l'hôpital. Et puis la photographie, pour moi, c'est un petit peu comme... Pour toi, la musique, ça me permet de... de transformer et puis de m'échapper de la réalité. Il faisait beaucoup de musique. Puis en fait, chaque rendez-vous, j'ai été le voir dans sa chambre d'hôpital, à chaque fois, il y avait un petit moment d'image. Moi, ça me donnait la force aussi d'aller le rencontrer. C'est vrai que danser dans un lieu hospitalier, ce n'est pas très drôle. Et lui, il m'avait demandé de... de faire une exposition de photographie dans sa chambre. J'ai installé un petit dispositif d'images. C'était des images... Il m'avait demandé mes premières images. Alors, il y avait des images que j'avais faites en République dominicaine, il y a plusieurs années. Il aimait beaucoup ces images. Et puis, autrement d'autres images, qui étaient plus une échappée des arcs-en-ciel, des petits moments, des petits riens, en fait, de la vie qui... Ils m'ont beaucoup amenée dans les années qui ont précédé, c'est-à-dire chercher aussi à trouver un souffle, un autre souffle, regarder le beau, regarder ce qui fait du bien. Et puis après, ce qui s'est passé, c'est que pour soigner la leucémie, on cherche des donneurs apparentés. Et il s'est trouvé que moi, j'étais combattible. Ensuite, dès le moment que j'ai été donneuse de cellules souches, du coup, j'ai photographié mon dent. Je me rappelle que je n'avais pas demandé d'autorisation. Donc, en fait, le jour où je devais faire la récolte des cellules souches, alors j'étais avec un assistant qui était là pour placer l'appareil. Mais d'abord, au premier abord, ils m'ont dit non, vous n'avez pas le droit de photographier la scène. Vous n'avez pas le droit d'entrer avec votre appareil photo. Puis moi, je me suis énervée. J'ai dit, bon, dans ce cas-là, moi, je ne fais pas le don. C'est hors de question. Et puis voilà, finalement, ils ont accepté. que je poursuive ma démarche et que je continue à photographier et à faire le don en même temps. Bien sûr que j'aurais fait le don de toute manière, mais c'est vrai que sur le moment, pour moi, c'était vraiment très, très important.

  • Speaker #0

    C'était capital, vital presque.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    C'est une espèce de triangle avec tes deux frères et la photographie, une correspondance, en fait, entre vous trois, finalement. Parce que l'histoire s'est répétée avec Henri. qui avait déjà vu ton acte créatif avec Alain. Donc il y a une espèce de transmission aussi, tous les trois, à travers la photographie.

  • Speaker #1

    Ça permet en fait de garder la mémoire. Et ça permet de partager une histoire, ça permet de la revisiter aussi. C'est vrai que quand on a des pertes, on a besoin de retourner dans son histoire, de comprendre. et Et ça permet de les garder encore présents ici. Au niveau personnel, c'est vrai que moi, ça m'a énormément aidée de traverser tout ça et de trouver un autre sens à la vie, à la mort, à la maladie. Mais ça permet aussi à donner aux autres, aux gens qui traverseraient une histoire comme ça, du... comment dire...

  • Speaker #0

    un drame.

  • Speaker #1

    Qui traverse un drame, mais aussi peut-être des pistes ou bien des échanges. Parce qu'en fait, quand on vit des choses comme ça, aussi difficiles, c'est vrai qu'à cet âge-là, j'étais plutôt assez jeune. Donc en fait, mes amis étaient dans d'autres dynamiques. À 20 ans, on est complètement ailleurs.

  • Speaker #0

    On n'est pas forcément dans la mort.

  • Speaker #1

    Non, on n'est pas forcément dans la mort. Mais voilà, moi, ça m'a permis vraiment de transformer tout ça.

  • Speaker #0

    De donner un souffle de vie ?

  • Speaker #1

    Un souffle de vie, une nouvelle vie, une autre vie, au travers des images, des expositions, des échanges qui ont été partagés après ça.

  • Speaker #0

    Et qui continuent.

  • Speaker #1

    Et qui continuent. Exactement. Et c'est vrai que la création, elle vient vraiment d'un besoin. Tout d'un coup, je me sens animée. Et puis, je pense que tout d'un coup, je sens qu'est-ce que je dois faire et comment. Comment le faire ?

  • Speaker #0

    Oui, après ces deux séries, c'est peut-être pas vraiment exactement chronologique, mais en tout cas, tout d'un coup, on parle de souffle, on parle de souffle de vie, on parle de mort, on parle de naissance, on parle de renaissance. Et après, il y a eu la naissance d'une fille, la naissance... d'une autre fille, je crois qu'aujourd'hui tu as deux enfants d'à peu près 8 ans et 12 ans. Et Renaissance, c'est une série que tu as faite il y a quelques années, qui est un voyage au cœur de la maternité, où le sentiment de solitude et d'isolement est très présent. Dans cette série, il y a pas mal de murs qui représentent l'enfermement, il y a beaucoup de nature aussi, il y a des mains. Une petite fille qui se cache le visage avec un carton et qui résonne beaucoup avec ta série actuelle qui s'appelle « Sans visage » . Il y a des résonances déjà à l'époque. Il y a toi qui tournes le dos avec tes deux petites filles dans la glace, dans un paysage enneigé, je pense, après une séparation et un retour en Suisse. Il y a beaucoup de choses dans « Renaissance » . Comment s'est passé l'arrivée d'un enfant dans ton parcours ? Est-ce que ça t'a aidé à créer ? Est-ce que tu as créé de la même façon ? Est-ce que ça a complètement modifié ton acte photographique ?

  • Speaker #1

    Déjà, j'avais envie d'avoir des enfants, donc c'était absolument quelque chose qui était important pour moi. Je sais que ce n'est pas forcément important pour toutes les femmes, mais pour moi, c'était important. Et je pense que ça fait partie aussi de ces thématiques de la vie, de la mort. de la maladie, de ce qui se passe, c'est fondamental. Et j'avais vraiment envie déjà de photographier toute l'étape de la grossesse. Dès le moment que je suis tombée enceinte, de manière tout à fait naturelle, j'ai commencé à faire des images. Alors, je ne savais pas du tout l'aboutissement. C'est vrai que c'était de manière tout à fait instinctive et tellement réfléchie, en fait, que j'ai créé ces premières images. On a déménagé au Bengal quand ma fille était toute petite et je me suis retrouvée en fait très isolée, isolée de ma famille, isolée de mon environnement. Et je pense que je n'avais pas mesuré à quel point... D'avoir un petit enfant au quotidien qui nous réveille la nuit, qui a besoin en permanence d'attention, nous plongeait un petit peu dans une bulle. Dans une bulle où finalement, on est un peu dans la survie. Moi, j'avais un enfant qui ne dormait pas de la nuit, donc j'étais hyper fatiguée. Et finalement, il n'y avait plus beaucoup de place à la... à la création, parce qu'en fait, le temps que je prenais pour créer, pour travailler, parce que moi, je travaillais 7 jours sur 7 comme photographe, je travaillais énormément et tout d'un coup, je n'avais plus le temps. Je n'avais plus le temps de photographier. Et je pense que le grand changement, c'est que maintenant, même maintenant, je suis avec deux enfants dont je m'occupe seule au quotidien, le temps de création, il est vraiment court. Et puis, je dois être beaucoup plus... plus efficace et puis j'ai beaucoup moins de temps pour réfléchir, pour me nourrir. Alors donc cette semaine à Arles, elle me fait beaucoup de bien aussi pour ça, mais dans le quotidien, je suis prise par un autre quotidien qui n'est pas forcément l'image, qui est un quotidien avec des enfants, avec une organisation, avec tout ce que la vie de mère et la charge mentale, que tout ça implique.

  • Speaker #0

    Après Renaissance, il y a eu le confinement. Et pas longtemps après le confinement, en 2021, tu as gagné le Swiss Press Award, si je ne me trompe pas, avec une série qui s'appelle Parenthèses, et qui sont des photographies de tes filles dans la vie, dans la nature. À la suite de Parenthèses, la série commençait à vivre une très belle vie avec ce prix. et Ton ex-compagnon, le père des filles, s'est opposé à la diffusion de ces images,

  • Speaker #1

    arguant le principe d'autorité parentale conjointe et de droit à l'image.

  • Speaker #0

    Et de droit à l'image, voilà. Donc ça a complètement modifié l'évolution de cette série parenthèse. Et le résultat ? et cette série qui s'appelle « Son visage » exposée à Croisière jusqu'à la fin de l'été et où tu as, afin de pouvoir continuer ce travail, tu as trouvé un chemin parallèle, tu as trouvé un nouveau souffle en pointillant les visages de tes filles à la manière de Roy Lichtenstein.

  • Speaker #1

    Je te... mais en fait ça va beaucoup plus loin que ça. C'est à dire qu'en fait pendant le confinement, j'ai photographié mes filles et suite à mon Suisse Press, je voulais faire un livre, une publication de ce livre, de ce projet Parenthèse et je me suis retrouvée face à une interdiction du père de mes filles. Et voilà alors après j'ai essayé dans un premier temps de de discuter avec lui, voir s'il y avait quand même moyen d'échanger, parce que c'est vrai que, et pour moi, et pour elle, c'était quelque chose d'important. Je me suis retrouvée face à cette interdiction, puis dans un premier temps, je me suis dit que j'allais justement faire de la censure le sujet de mon nouveau projet. Et j'ai proposé en fait à... au papa de mes filles de mettre cette trame d'impression sur les images initiales, et il a refusé. Et puis à ce moment-là, je suis allée voir une avocate spécialisée dans le droit à l'image pour voir jusqu'où je pouvais aller, s'il avait le droit d'interdire la publication, même le visage tramé. Et ce qu'elle m'expliquait, c'est qu'au travers de l'histoire et du texte, et de l'autorité parentale qui était conjointe, il aurait pu décider potentiellement d'annuler cette publication de livres. Et puis on sait à quel point faire un livre est un grand travail. Et puis avec mes filles, là au milieu, qui étaient dans un conflit aussi de loyauté entre les deux parents, c'était très compliqué de continuer dans cette direction-là. Et j'ai dû trouver une stratégie. Je ne pouvais pas juste photographier des fleurs ou partir dans une photo de paysage parce qu'on m'avait intéressée. Et en fait, j'ai cherché des modèles et j'ai photographié toutes les scènes pour refaire toutes ces images. Il fallait que les parents aient aussi une certaine sensibilité à l'art, à la photographie. Et voilà, j'ai trouvé mes deux petits modèles pour rejouer toutes ces scènes. Il fallait recopier des images et puis on arrive dans des images beaucoup plus statiques avec déjà des enfants avec qui je connaissais peu au départ ou pas du tout, avec qui j'ai dû créer un lien pour faire ces premières images. Et enfin, ces nouvelles images, ça demande de la patience et de la persévérance.

  • Speaker #0

    Il y a beaucoup, beaucoup de thématiques et de questions qui me viennent à l'esprit. mais la première c'est Comment se sont senties tes filles par rapport à toute cette histoire ? Parce que tes filles, c'était vraiment une histoire de famille, de tendresse, d'amour maternel, de partage, de complicité, de confinement. Et elles étaient les héroïnes des photos. Donc je crois qu'elles étaient très contentes, comme tu l'as précisé dans ton livre. Et puis tout d'un coup, il y a une espèce de l'extérieur, de dépossession. Tu remplaces ta fille par d'autres...

  • Speaker #1

    Alors il y a eu un peu de... temps, de la temporalité a fait son chemin. Je les ai aussi beaucoup accompagnées là-dedans. C'est vrai que pour elles, c'était difficile. Mais je pense que... Alors moi, ce que j'ai expliqué aux filles, c'est que j'ai dit pour ce travail-là, c'est vos doublures. J'ai pas le droit de vous photographier. Et puis même, vous savez, les plus grandes stars. Certaines scènes, elles ont des doublures parce qu'elles ne peuvent pas être présentes ou pas faire telle ou telle cascade. Et puis voilà, dans ce travail-là, comme votre papa n'est pas d'accord et que je suis obligée de respecter ça, vous avez des doublures pour faire ce travail. Et puis elles sont là, en fait, par leur absence. Chaque image a été inspirée d'elles. Et puis j'ai dit, on sait que plus tard... potentiellement il y a un autre travail qu'on fera ensemble, mais ce n'est pas encore l'heure, ce n'est pas encore maintenant. Mais moi j'aime regarder la vie du beau côté, et puis voir ce qui m'aspire, et puis ce qui va me donner de la force.

  • Speaker #0

    Il y a aussi la question justement du droit à l'enfant, de juger et de décider pour lui-même, qui aurait pu faire qu'elles auraient presque pu décider elles-mêmes si elles étaient OK ou pas.

  • Speaker #1

    Lina avait 6 ans et Anna 3 ans à peu près. On était dans un autre âge. C'est vrai que maintenant, ma fille qui a 11 ans, à partir de 12 ans, elle a son mot à dire. L'enfant, avant, c'est compliqué pour lui de vraiment s'exprimer. La question, c'est de toute façon, il va être très embêté dans une décision. Est-ce qu'il va suivre la vie ? de papa ou suivre la vie de maman. Je ne voulais pas confronter mes filles à être dans ce dilemme, parce que c'est insoutenable.

  • Speaker #0

    Je crois que c'est toujours Julien Gale qui, dans sa préface, en parlant de son visage et de tout ce qui s'est passé autour de cette histoire, parle d'une histoire de respiration filtrée et contrôlée. d'une tentative de fragilisation de sa relation à l'art, de négation de la chambre à soi qu'elle a trouvée dans son appartement, lieu de la liberté d'expression de la femme et de la mère, un lieu normalement hors de contrôle de la société des hommes. En dehors de la préface et de cette phrase de Julie que je trouve très juste et très pertinente, c'est comment être mère et ne pas faire de ce bouleversement la matière de son art. Tu es mère, il y a le confinement, tu es avec tes deux filles, tu es photographe. C'est ton âme et tes tripes de faire des photos à ce moment-là. Donc interdire ça, c'est...

  • Speaker #1

    Alors ça m'a valu beaucoup de nuits blanches. C'est vrai que ça a été très très difficile au niveau personnel. C'est vrai que ça a attaqué mon statut de mère, mon statut d'artiste, mon statut de femme. Justement, je ne sais pas comment on peut faire ça.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu as réussi à faire avec l'exposition parce que tu as trouvé le ressort et les moyens de passer outre et de continuer et c'est ce qui montre que on ne peut pas te couper tes ailes.

  • Speaker #1

    Non, on ne peut pas me couper mes ailes. J'avais besoin de... Et je me les réapproprie. Et c'est vrai que... Et aussi, le texte de Julie m'a beaucoup réconciliée avec mon travail de création autour de l'intime. Cet intime qui est aussi politique, qui permet de donner une voix aux femmes. Je me suis demandé si tout d'un coup, si j'avais photographié des... Si j'avais eu des garçons et que j'avais photographié des garçons, est-ce qu'il aurait aussi posé cette interdiction ? Ou si c'est parce que c'est des petites filles qui posent une interdiction, les petites filles on ne peut pas les montrer, et la mère n'a pas le droit de s'exprimer. C'est vrai que le travail de création autour de la maternité de mes filles... Il me nourrit, quoi. C'est mon quotidien. Donc, en fait, je suis nourrie créativement par ce que je vis dans mon quotidien en tant que femme, en tant que mère. Et ça, j'ai besoin de le transformer. Alors maintenant, je me suis retrouvée face à cette interdiction. Alors, je pense que fondamentalement, ça va aussi changer un peu ma manière de photographier et d'appréhender mes prochains projets qui... qui sont en gestation, mais qui ne sont pas encore... que je n'ai pas encore senti dans quelle direction j'allais aller. Parce que c'est vrai que pour moi, il y a beaucoup... Le travail de création, il part vraiment d'un ressenti ou d'un besoin. Et puis tout d'un coup, je fais. Mais je pense que ça va pas mal perturber. Puis c'est vrai que potentiellement, mes filles, ma grande, elle a maintenant presque 12 ans. Donc elle est beaucoup plus sensible aussi à cette problématique. Et puis c'est vrai qu'elle a plus de jugement par rapport à ça. Et puis elle, elle aimerait bien qu'on refasse un projet. Mais puis peut-être que plus tard, il y aura de nouveau un projet. Mais je ne sais pas encore quelle nature et quelle substance tout ça va prendre. Parce que c'est vrai, d'avoir une telle interdiction, ça m'a aussi... passablement transformée, j'ai beaucoup réfléchi à la problématique. Et c'est vrai que cette problématique de droit à l'image, de droit à l'image des enfants, de droit à l'image en général, elle transforme notre métier maintenant. Alors évidemment, un travail artistique qui est aussi d'une réflexion, qui vient de... raconter une histoire, raconter le monde n'a pas tout à fait le même statut qu'une image de profusion sur les réseaux sociaux, d'échanges sur facebook etc. Mais quand on isole et qu'on... Voilà je pense qu'en fait surtout je pense que alors nous on a en tant qu'artiste photographe on a une responsabilité de ce qu'on montre mais les autres ils ont aussi une responsabilité de comment ils regardent et qu'est ce qu'ils font de... de ce qu'ils voient et comment... Voilà. Voilà. Une responsabilité face à ces images.

  • Speaker #0

    Et sans visage, j'allais dire sans images.

  • Speaker #1

    On n'est pas très loin, c'est un joli laps,

  • Speaker #0

    c'est ça ? Sans visage. Sans visage et vraiment à la croisée de tout ce que tu viens de citer. Les réseaux sociaux, la profusion d'images, l'IA, le... Il y a toutes ces thématiques-là, alors qu'à l'origine, c'était juste un acte très naturel de maman photographe avec ses enfants. Donc c'est intéressant aussi de relever ça. En tout cas, tu as relevé le défi avec brio et j'ai l'impression que tu as des ailes beaucoup plus grandes qu'en 2021. Je pense que ça t'a donné des ailes.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. C'est vrai que dans le...

  • Speaker #0

    Dans ce travail, son visage, j'avais envie de garder la poésie. Pour moi, c'est important de garder toute cette dimension narrative, poétique, qui fait partie de mon travail. Et de mettre ces personnages, oui, il y a de la censure, mais ils restent dans leur caractère d'enfants, ça reste dans un univers onirique.

  • Speaker #1

    Joyeux, poétique, enfantin. Est-ce que tu peux, pour finir cette interview, cette conversation, avec le soleil qui commence à brûler sur nos visages, me donner, me dire ton coup de cœur et ton coup de gueule de la semaine ou du moment.

  • Speaker #0

    Alors mon coup de cœur, ça va être cette série Father de Diana Marcossian.

  • Speaker #1

    Diana Marcossian.

  • Speaker #0

    Diana Marcossian, que je trouve magnifique. Alors j'ai découvert son travail au travers du livre. Je n'ai pas encore vu l'exposition, que je ne vais pas manquer ici à Arles. Mais c'est aussi un projet de l'intime autour d'un divorce, d'une problématique familiale, d'une photographe qui va retrouver son père au travers aussi de la photographie. Je me retrouve aussi beaucoup dans... Voilà, c'est un univers qui est proche du mien parce que ça parle d'une histoire intime qui nous amène vers de l'universel. pour moi c'est vraiment ces histoires-là qui me touchent profondément et qui pour moi ont une très grande puissance.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. L'expo est magnifique, magnifique, magnifique. Je me permets de le dire parce que Sarah en parle, c'est magnifique et c'est... J'avais presque les larmes aux yeux, je suis restée je crois 50 minutes, moi ça ne m'est jamais arrivé de rester aussi longtemps dans une expo et... Je vais acheter le livre, évidemment.

  • Speaker #0

    Vraiment aussi, je vais acheter le livre. Mais voilà, c'est vrai qu'on est le premier jour des rencontres. Enfin, le deuxième jour de mon arrivée, je n'ai pas encore eu le temps. Et je vais faire ça. Et puis, dans le coup de gueule, je pense qu'en tant que femme, en tant que mère, je dois continuer mon combat au quotidien. Et je pense que beaucoup de femmes ont besoin d'avoir encore beaucoup, se justifier deux fois plus que les hommes. pour se faire entendre, pour se faire écouter.

  • Speaker #1

    Pour ne pas se faire censurer.

  • Speaker #0

    Pour ne pas se faire censurer. J'ai l'impression que les justificatifs doivent être deux fois plus fondés pour être entendus. Ça va être mon coup de gueule. J'aimerais bien que ça change.

  • Speaker #1

    Ça va changer petit à petit. C'est en train de changer.

  • Speaker #0

    Ça prend du temps.

  • Speaker #1

    Ça prend beaucoup de temps. Merci beaucoup, Sarah, pour ce moment à part dans cette petite terrasse qui était un peu plus bruyante que prévu. Mais merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci pour ta rencontre, pour notre échange, pour ce podcast, pour donner une voix aux femmes photographes.

  • Speaker #1

    Merci,

  • Speaker #0

    Sarah.

Description

C'est l'été. Sur l'Atlantique, le vent souffle et une certaine fraîcheur s'est installée sur les côtes. Il y a pourtant juste quelques jours, à l'occasion de la semaine professionnelle des rencontres de la photographie d'Arles, j'ai eu l'immense chance de pouvoir m'installer sur une terrasse inondée de soleil, à l'ombre des platanes, bercée par le chant des cigales. A ma plus grande joie, pour la première fois depuis la naissance de DES CLICS, j'ai transporté mon studio d'enregistrement hors les murs et j'ai chéri ces rencontres sonores si précieuses.


Sans Visage est une exposition présentée à l'espace Croisière des Rencontres de la photographie d'Arles 2025 ainsi qu'un livre publié aux Editions Actes Sud en juin 2025. La photographe Sarah Carp, cantonnée dans son appartement, se met à photographier ses enfants pendant le confinement lié à la pandémie de Covid-19. Le père des filles s’en prend à ces photographies et empêche leur publication, arguant la protection de l’enfant. Sarah Carp rejoue alors les scènes avec d’autres enfants, mais la spontanéité se perd, les expressions ne sont plus les mêmes. Elle habille de points colorés la tête des enfants-comédiens. L’artifice fait office de masque.

J'ai eu la chance de pouvoir rencontrer Sarah à l'ombre des platanes, bercées par les cigales, sur une petite terrasse d'Arles. Elle se livre ici sur son parcours, son approche très intime de la photographie, la maternité, la censure, et nous donne son coup de coeur et son coup de gueule du moment.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Nous sommes aux 56e rencontres de photographie d'Arles qui ont lieu du 7 juillet au 5 octobre et on inaugure aujourd'hui le deuxième jour de la semaine, nous sommes mardi, Arles se réveille doucement, il y a une petite brise, il ne fait pas trop chaud, c'est très agréable une fois de plus et j'avais rendez-vous ce matin avec Sarah Karp à Croisière. Mais il va y avoir une conférence, donc on a dû s'éloigner de Croisière. On est dans un petit café Cocorico à côté des arènes, confortablement installé avec un café et un jus d'orange. Et je suis ravie d'accueillir Sarah, qui est exposée pendant toute la durée du festival. Et son exposition s'appelle « Sans visage » . C'est une exposition et c'est aussi un livre qui vient de sortir aux éditions. Actes Sud. Pour commencer cette matinée, j'aimerais bien que tu me dises ce que tu sens quand tu es à Arles, ce que tu aimes à Arles, ce que représente Arles pour toi.

  • Speaker #1

    Alors Arles, c'est un rendez-vous chaque année, c'est un rendez-vous où je me sens maintenant un peu à la maison. C'est vrai que je vois tous mes amis, je vois mes collègues photographes, je viens ici pour puiser de l'inspiration, voir... Tout un tas d'images et me plonger dans mon univers intérieur aussi. Mon quotidien, il est fait principalement de ma vie de maman actuellement. Et puis de me replonger une semaine à Arles, c'est me replonger à ce qui m'anime.

  • Speaker #0

    Seule, sans enfant ? Oui,

  • Speaker #1

    seule, sans enfant. Alors, il m'est arrivé de venir à Arles enceinte. Il m'est arrivé de venir à Arles avec ma fille, ma petite. que je portais dans mes bras pendant une semaine. Mais c'est vrai que c'est plutôt assez agréable d'avoir une semaine sans enfant, à pouvoir manger de l'image, regarder, discuter, échanger.

  • Speaker #0

    Sarah, tu es diplômée de l'école de photographie de Vevey. Tu es lauréate du prix Focal de la ville de Nyon en 2019 et lauréate du Swiss Press Award en 2021 avec ta série qui s'appelle ou qui s'appelait, parenthèse, et dont on va reparler indirectement après. Comment es-tu arrivée à la photo, Sarah ?

  • Speaker #1

    Je pense que je suis arrivée à la photographie dans l'adolescence. C'est un médium qui est venu à moi aussi parce que dans mon environnement proche, proche de ma grand-maman, il y avait une femme photographe qui s'appelait Monique Jacot. Et j'ai tout de suite été sensibilisée à son travail. Et probablement que... D'un côté plus personnel, le fait que j'avais un petit frère qui est né avec une malformation du cœur m'a plongée aussi dans une angoisse du quotidien de savoir à quel moment il allait partir et que la photographie me permettait de capter chacun des moments qu'on avait ensemble, chaque souvenir, chaque instant. et j'ai été vite... amener à photographier mon quotidien, les gens qui étaient proches de moi, les gens que j'aime et qui ont de la valeur à mes yeux.

  • Speaker #0

    Dans la préface de ton livre « Sans visage » , c'est une préface magnifique d'ailleurs, je le précise, Julie Henkel écrit « La photo de Sarah Karp serait une histoire d'air, de souffle et de soupir, une atmosphère tantôt faite d'inspiration, tantôt de suffocation. » Et j'ai vu qu'il y avait une phrase qui t'accompagnait et je pense qui est tout à fait liée à ton petit frère dont tu viens de parler et qui explique ta démarche de création très clairement et qui est dans son carnet de notes. J'ai trouvé ce dessin avec cette phrase qui m'accompagne depuis ce jour dans toute ma démarche de création. L'inspiration, deux points. Si on n'exprime pas son inspiration, on finit par suffoquer, inspirer, expirer.

  • Speaker #1

    Cette phrase, c'est vrai qu'elle m'a toujours accompagnée, et puis de manière beaucoup plus significative depuis son décès. Quand mon frère Alain est décédé, j'ai photographié tout. C'était une émotion tellement forte que j'ai... Le premier réflexe, quand ma maman m'a téléphoné pour me dire « Alain, il est décédé, il faut que tu viennes » , j'ai pris mon polaroïd et puis je suis allée... au bord de son lit funéraire, et j'ai fait quelques images au polaroïd. Mais ça me permettait aussi d'avoir une distance par rapport à ce que je voyais, et puis de pouvoir aussi... me protéger de ce que la vie me montrait, ce que je n'avais pas envie de voir, et de le transformer en image aussi, en le captant, puis en le gardant en souvenir. Et ça m'a permis justement de traverser tout ce moment de deuil. C'est comme si je vivais cette vie, mais pas vraiment, à distance, à travers le prisme de la photo. Je me souviens à l'époque, j'avais parlé avec, quelques années avant, j'avais parlé avec Monique Jacot, puis elle me disait, mais t'as un sujet au nord, ton petit frère, il faut que tu le photographies. Puis moi, je voulais pas du tout le photographier. Je voulais pas entrer dans sa vie et photographier sa cicatrice, etc. Et puis un jour, en fait, je lui ai quand même demandé, c'était à peu près une année avant son décès, et j'ai dit, Alain, est-ce que je peux photographier une fois ton... torse, ta cicatrice, faire des portraits de toi. J'ai été étonnamment surprise qu'en fait, pour lui, il vivait avec ça. Il était hyper content que je m'intéresse à lui, que je le photographie. Et aussi, ça m'a montré qu'au travers de mon regard de photographe, je pouvais aussi valoriser l'autre et apporter quelque chose à la personne que je photographiais. Ce n'était pas que... que prendre son image, mais c'était aussi lui apporter une attention.

  • Speaker #0

    Et peut-être même l'aider.

  • Speaker #1

    Et peut-être l'aider, oui, effectivement. Puis c'était hyper précieux justement d'avoir ces images-là et capter ce souvenir.

  • Speaker #0

    Cette série avec Alain s'intitule Funambule. Et tu as une autre série qui s'appelle Donneuse apparentée et qui parle de ton autre frère. Je ne sais pas si c'était aussi un petit frère.

  • Speaker #1

    C'était aussi un petit frère. En fait, ce qui s'est passé, c'était qu'une année après le décès d'Alain, on apprend que mon autre frère, Henri, a eu le CMI. Alors après, on ne se remet même pas tout à fait d'un premier drame, qu'on arrive vers un deuxième drame. Et puis là, la question ne s'est même pas posée. J'ai été... pris mon appareil photo, je suis allée dans sa chambre d'hôpital, j'ai commencé à faire des images et puis c'était... Et puis mon petit frère, il m'a dit « Ah non, tu ne vas pas faire des photos ! » Et puis moi, j'ai dit « Mais tu sais, Henri, pour moi, c'est hyper important, c'est hyper dur ce que je viens d'apprendre, c'est hyper dur de le voir là, à l'hôpital. Et puis la photographie, pour moi, c'est un petit peu comme... Pour toi, la musique, ça me permet de... de transformer et puis de m'échapper de la réalité. Il faisait beaucoup de musique. Puis en fait, chaque rendez-vous, j'ai été le voir dans sa chambre d'hôpital, à chaque fois, il y avait un petit moment d'image. Moi, ça me donnait la force aussi d'aller le rencontrer. C'est vrai que danser dans un lieu hospitalier, ce n'est pas très drôle. Et lui, il m'avait demandé de... de faire une exposition de photographie dans sa chambre. J'ai installé un petit dispositif d'images. C'était des images... Il m'avait demandé mes premières images. Alors, il y avait des images que j'avais faites en République dominicaine, il y a plusieurs années. Il aimait beaucoup ces images. Et puis, autrement d'autres images, qui étaient plus une échappée des arcs-en-ciel, des petits moments, des petits riens, en fait, de la vie qui... Ils m'ont beaucoup amenée dans les années qui ont précédé, c'est-à-dire chercher aussi à trouver un souffle, un autre souffle, regarder le beau, regarder ce qui fait du bien. Et puis après, ce qui s'est passé, c'est que pour soigner la leucémie, on cherche des donneurs apparentés. Et il s'est trouvé que moi, j'étais combattible. Ensuite, dès le moment que j'ai été donneuse de cellules souches, du coup, j'ai photographié mon dent. Je me rappelle que je n'avais pas demandé d'autorisation. Donc, en fait, le jour où je devais faire la récolte des cellules souches, alors j'étais avec un assistant qui était là pour placer l'appareil. Mais d'abord, au premier abord, ils m'ont dit non, vous n'avez pas le droit de photographier la scène. Vous n'avez pas le droit d'entrer avec votre appareil photo. Puis moi, je me suis énervée. J'ai dit, bon, dans ce cas-là, moi, je ne fais pas le don. C'est hors de question. Et puis voilà, finalement, ils ont accepté. que je poursuive ma démarche et que je continue à photographier et à faire le don en même temps. Bien sûr que j'aurais fait le don de toute manière, mais c'est vrai que sur le moment, pour moi, c'était vraiment très, très important.

  • Speaker #0

    C'était capital, vital presque.

  • Speaker #1

    Exactement.

  • Speaker #0

    C'est une espèce de triangle avec tes deux frères et la photographie, une correspondance, en fait, entre vous trois, finalement. Parce que l'histoire s'est répétée avec Henri. qui avait déjà vu ton acte créatif avec Alain. Donc il y a une espèce de transmission aussi, tous les trois, à travers la photographie.

  • Speaker #1

    Ça permet en fait de garder la mémoire. Et ça permet de partager une histoire, ça permet de la revisiter aussi. C'est vrai que quand on a des pertes, on a besoin de retourner dans son histoire, de comprendre. et Et ça permet de les garder encore présents ici. Au niveau personnel, c'est vrai que moi, ça m'a énormément aidée de traverser tout ça et de trouver un autre sens à la vie, à la mort, à la maladie. Mais ça permet aussi à donner aux autres, aux gens qui traverseraient une histoire comme ça, du... comment dire...

  • Speaker #0

    un drame.

  • Speaker #1

    Qui traverse un drame, mais aussi peut-être des pistes ou bien des échanges. Parce qu'en fait, quand on vit des choses comme ça, aussi difficiles, c'est vrai qu'à cet âge-là, j'étais plutôt assez jeune. Donc en fait, mes amis étaient dans d'autres dynamiques. À 20 ans, on est complètement ailleurs.

  • Speaker #0

    On n'est pas forcément dans la mort.

  • Speaker #1

    Non, on n'est pas forcément dans la mort. Mais voilà, moi, ça m'a permis vraiment de transformer tout ça.

  • Speaker #0

    De donner un souffle de vie ?

  • Speaker #1

    Un souffle de vie, une nouvelle vie, une autre vie, au travers des images, des expositions, des échanges qui ont été partagés après ça.

  • Speaker #0

    Et qui continuent.

  • Speaker #1

    Et qui continuent. Exactement. Et c'est vrai que la création, elle vient vraiment d'un besoin. Tout d'un coup, je me sens animée. Et puis, je pense que tout d'un coup, je sens qu'est-ce que je dois faire et comment. Comment le faire ?

  • Speaker #0

    Oui, après ces deux séries, c'est peut-être pas vraiment exactement chronologique, mais en tout cas, tout d'un coup, on parle de souffle, on parle de souffle de vie, on parle de mort, on parle de naissance, on parle de renaissance. Et après, il y a eu la naissance d'une fille, la naissance... d'une autre fille, je crois qu'aujourd'hui tu as deux enfants d'à peu près 8 ans et 12 ans. Et Renaissance, c'est une série que tu as faite il y a quelques années, qui est un voyage au cœur de la maternité, où le sentiment de solitude et d'isolement est très présent. Dans cette série, il y a pas mal de murs qui représentent l'enfermement, il y a beaucoup de nature aussi, il y a des mains. Une petite fille qui se cache le visage avec un carton et qui résonne beaucoup avec ta série actuelle qui s'appelle « Sans visage » . Il y a des résonances déjà à l'époque. Il y a toi qui tournes le dos avec tes deux petites filles dans la glace, dans un paysage enneigé, je pense, après une séparation et un retour en Suisse. Il y a beaucoup de choses dans « Renaissance » . Comment s'est passé l'arrivée d'un enfant dans ton parcours ? Est-ce que ça t'a aidé à créer ? Est-ce que tu as créé de la même façon ? Est-ce que ça a complètement modifié ton acte photographique ?

  • Speaker #1

    Déjà, j'avais envie d'avoir des enfants, donc c'était absolument quelque chose qui était important pour moi. Je sais que ce n'est pas forcément important pour toutes les femmes, mais pour moi, c'était important. Et je pense que ça fait partie aussi de ces thématiques de la vie, de la mort. de la maladie, de ce qui se passe, c'est fondamental. Et j'avais vraiment envie déjà de photographier toute l'étape de la grossesse. Dès le moment que je suis tombée enceinte, de manière tout à fait naturelle, j'ai commencé à faire des images. Alors, je ne savais pas du tout l'aboutissement. C'est vrai que c'était de manière tout à fait instinctive et tellement réfléchie, en fait, que j'ai créé ces premières images. On a déménagé au Bengal quand ma fille était toute petite et je me suis retrouvée en fait très isolée, isolée de ma famille, isolée de mon environnement. Et je pense que je n'avais pas mesuré à quel point... D'avoir un petit enfant au quotidien qui nous réveille la nuit, qui a besoin en permanence d'attention, nous plongeait un petit peu dans une bulle. Dans une bulle où finalement, on est un peu dans la survie. Moi, j'avais un enfant qui ne dormait pas de la nuit, donc j'étais hyper fatiguée. Et finalement, il n'y avait plus beaucoup de place à la... à la création, parce qu'en fait, le temps que je prenais pour créer, pour travailler, parce que moi, je travaillais 7 jours sur 7 comme photographe, je travaillais énormément et tout d'un coup, je n'avais plus le temps. Je n'avais plus le temps de photographier. Et je pense que le grand changement, c'est que maintenant, même maintenant, je suis avec deux enfants dont je m'occupe seule au quotidien, le temps de création, il est vraiment court. Et puis, je dois être beaucoup plus... plus efficace et puis j'ai beaucoup moins de temps pour réfléchir, pour me nourrir. Alors donc cette semaine à Arles, elle me fait beaucoup de bien aussi pour ça, mais dans le quotidien, je suis prise par un autre quotidien qui n'est pas forcément l'image, qui est un quotidien avec des enfants, avec une organisation, avec tout ce que la vie de mère et la charge mentale, que tout ça implique.

  • Speaker #0

    Après Renaissance, il y a eu le confinement. Et pas longtemps après le confinement, en 2021, tu as gagné le Swiss Press Award, si je ne me trompe pas, avec une série qui s'appelle Parenthèses, et qui sont des photographies de tes filles dans la vie, dans la nature. À la suite de Parenthèses, la série commençait à vivre une très belle vie avec ce prix. et Ton ex-compagnon, le père des filles, s'est opposé à la diffusion de ces images,

  • Speaker #1

    arguant le principe d'autorité parentale conjointe et de droit à l'image.

  • Speaker #0

    Et de droit à l'image, voilà. Donc ça a complètement modifié l'évolution de cette série parenthèse. Et le résultat ? et cette série qui s'appelle « Son visage » exposée à Croisière jusqu'à la fin de l'été et où tu as, afin de pouvoir continuer ce travail, tu as trouvé un chemin parallèle, tu as trouvé un nouveau souffle en pointillant les visages de tes filles à la manière de Roy Lichtenstein.

  • Speaker #1

    Je te... mais en fait ça va beaucoup plus loin que ça. C'est à dire qu'en fait pendant le confinement, j'ai photographié mes filles et suite à mon Suisse Press, je voulais faire un livre, une publication de ce livre, de ce projet Parenthèse et je me suis retrouvée face à une interdiction du père de mes filles. Et voilà alors après j'ai essayé dans un premier temps de de discuter avec lui, voir s'il y avait quand même moyen d'échanger, parce que c'est vrai que, et pour moi, et pour elle, c'était quelque chose d'important. Je me suis retrouvée face à cette interdiction, puis dans un premier temps, je me suis dit que j'allais justement faire de la censure le sujet de mon nouveau projet. Et j'ai proposé en fait à... au papa de mes filles de mettre cette trame d'impression sur les images initiales, et il a refusé. Et puis à ce moment-là, je suis allée voir une avocate spécialisée dans le droit à l'image pour voir jusqu'où je pouvais aller, s'il avait le droit d'interdire la publication, même le visage tramé. Et ce qu'elle m'expliquait, c'est qu'au travers de l'histoire et du texte, et de l'autorité parentale qui était conjointe, il aurait pu décider potentiellement d'annuler cette publication de livres. Et puis on sait à quel point faire un livre est un grand travail. Et puis avec mes filles, là au milieu, qui étaient dans un conflit aussi de loyauté entre les deux parents, c'était très compliqué de continuer dans cette direction-là. Et j'ai dû trouver une stratégie. Je ne pouvais pas juste photographier des fleurs ou partir dans une photo de paysage parce qu'on m'avait intéressée. Et en fait, j'ai cherché des modèles et j'ai photographié toutes les scènes pour refaire toutes ces images. Il fallait que les parents aient aussi une certaine sensibilité à l'art, à la photographie. Et voilà, j'ai trouvé mes deux petits modèles pour rejouer toutes ces scènes. Il fallait recopier des images et puis on arrive dans des images beaucoup plus statiques avec déjà des enfants avec qui je connaissais peu au départ ou pas du tout, avec qui j'ai dû créer un lien pour faire ces premières images. Et enfin, ces nouvelles images, ça demande de la patience et de la persévérance.

  • Speaker #0

    Il y a beaucoup, beaucoup de thématiques et de questions qui me viennent à l'esprit. mais la première c'est Comment se sont senties tes filles par rapport à toute cette histoire ? Parce que tes filles, c'était vraiment une histoire de famille, de tendresse, d'amour maternel, de partage, de complicité, de confinement. Et elles étaient les héroïnes des photos. Donc je crois qu'elles étaient très contentes, comme tu l'as précisé dans ton livre. Et puis tout d'un coup, il y a une espèce de l'extérieur, de dépossession. Tu remplaces ta fille par d'autres...

  • Speaker #1

    Alors il y a eu un peu de... temps, de la temporalité a fait son chemin. Je les ai aussi beaucoup accompagnées là-dedans. C'est vrai que pour elles, c'était difficile. Mais je pense que... Alors moi, ce que j'ai expliqué aux filles, c'est que j'ai dit pour ce travail-là, c'est vos doublures. J'ai pas le droit de vous photographier. Et puis même, vous savez, les plus grandes stars. Certaines scènes, elles ont des doublures parce qu'elles ne peuvent pas être présentes ou pas faire telle ou telle cascade. Et puis voilà, dans ce travail-là, comme votre papa n'est pas d'accord et que je suis obligée de respecter ça, vous avez des doublures pour faire ce travail. Et puis elles sont là, en fait, par leur absence. Chaque image a été inspirée d'elles. Et puis j'ai dit, on sait que plus tard... potentiellement il y a un autre travail qu'on fera ensemble, mais ce n'est pas encore l'heure, ce n'est pas encore maintenant. Mais moi j'aime regarder la vie du beau côté, et puis voir ce qui m'aspire, et puis ce qui va me donner de la force.

  • Speaker #0

    Il y a aussi la question justement du droit à l'enfant, de juger et de décider pour lui-même, qui aurait pu faire qu'elles auraient presque pu décider elles-mêmes si elles étaient OK ou pas.

  • Speaker #1

    Lina avait 6 ans et Anna 3 ans à peu près. On était dans un autre âge. C'est vrai que maintenant, ma fille qui a 11 ans, à partir de 12 ans, elle a son mot à dire. L'enfant, avant, c'est compliqué pour lui de vraiment s'exprimer. La question, c'est de toute façon, il va être très embêté dans une décision. Est-ce qu'il va suivre la vie ? de papa ou suivre la vie de maman. Je ne voulais pas confronter mes filles à être dans ce dilemme, parce que c'est insoutenable.

  • Speaker #0

    Je crois que c'est toujours Julien Gale qui, dans sa préface, en parlant de son visage et de tout ce qui s'est passé autour de cette histoire, parle d'une histoire de respiration filtrée et contrôlée. d'une tentative de fragilisation de sa relation à l'art, de négation de la chambre à soi qu'elle a trouvée dans son appartement, lieu de la liberté d'expression de la femme et de la mère, un lieu normalement hors de contrôle de la société des hommes. En dehors de la préface et de cette phrase de Julie que je trouve très juste et très pertinente, c'est comment être mère et ne pas faire de ce bouleversement la matière de son art. Tu es mère, il y a le confinement, tu es avec tes deux filles, tu es photographe. C'est ton âme et tes tripes de faire des photos à ce moment-là. Donc interdire ça, c'est...

  • Speaker #1

    Alors ça m'a valu beaucoup de nuits blanches. C'est vrai que ça a été très très difficile au niveau personnel. C'est vrai que ça a attaqué mon statut de mère, mon statut d'artiste, mon statut de femme. Justement, je ne sais pas comment on peut faire ça.

  • Speaker #0

    C'est ce que tu as réussi à faire avec l'exposition parce que tu as trouvé le ressort et les moyens de passer outre et de continuer et c'est ce qui montre que on ne peut pas te couper tes ailes.

  • Speaker #1

    Non, on ne peut pas me couper mes ailes. J'avais besoin de... Et je me les réapproprie. Et c'est vrai que... Et aussi, le texte de Julie m'a beaucoup réconciliée avec mon travail de création autour de l'intime. Cet intime qui est aussi politique, qui permet de donner une voix aux femmes. Je me suis demandé si tout d'un coup, si j'avais photographié des... Si j'avais eu des garçons et que j'avais photographié des garçons, est-ce qu'il aurait aussi posé cette interdiction ? Ou si c'est parce que c'est des petites filles qui posent une interdiction, les petites filles on ne peut pas les montrer, et la mère n'a pas le droit de s'exprimer. C'est vrai que le travail de création autour de la maternité de mes filles... Il me nourrit, quoi. C'est mon quotidien. Donc, en fait, je suis nourrie créativement par ce que je vis dans mon quotidien en tant que femme, en tant que mère. Et ça, j'ai besoin de le transformer. Alors maintenant, je me suis retrouvée face à cette interdiction. Alors, je pense que fondamentalement, ça va aussi changer un peu ma manière de photographier et d'appréhender mes prochains projets qui... qui sont en gestation, mais qui ne sont pas encore... que je n'ai pas encore senti dans quelle direction j'allais aller. Parce que c'est vrai que pour moi, il y a beaucoup... Le travail de création, il part vraiment d'un ressenti ou d'un besoin. Et puis tout d'un coup, je fais. Mais je pense que ça va pas mal perturber. Puis c'est vrai que potentiellement, mes filles, ma grande, elle a maintenant presque 12 ans. Donc elle est beaucoup plus sensible aussi à cette problématique. Et puis c'est vrai qu'elle a plus de jugement par rapport à ça. Et puis elle, elle aimerait bien qu'on refasse un projet. Mais puis peut-être que plus tard, il y aura de nouveau un projet. Mais je ne sais pas encore quelle nature et quelle substance tout ça va prendre. Parce que c'est vrai, d'avoir une telle interdiction, ça m'a aussi... passablement transformée, j'ai beaucoup réfléchi à la problématique. Et c'est vrai que cette problématique de droit à l'image, de droit à l'image des enfants, de droit à l'image en général, elle transforme notre métier maintenant. Alors évidemment, un travail artistique qui est aussi d'une réflexion, qui vient de... raconter une histoire, raconter le monde n'a pas tout à fait le même statut qu'une image de profusion sur les réseaux sociaux, d'échanges sur facebook etc. Mais quand on isole et qu'on... Voilà je pense qu'en fait surtout je pense que alors nous on a en tant qu'artiste photographe on a une responsabilité de ce qu'on montre mais les autres ils ont aussi une responsabilité de comment ils regardent et qu'est ce qu'ils font de... de ce qu'ils voient et comment... Voilà. Voilà. Une responsabilité face à ces images.

  • Speaker #0

    Et sans visage, j'allais dire sans images.

  • Speaker #1

    On n'est pas très loin, c'est un joli laps,

  • Speaker #0

    c'est ça ? Sans visage. Sans visage et vraiment à la croisée de tout ce que tu viens de citer. Les réseaux sociaux, la profusion d'images, l'IA, le... Il y a toutes ces thématiques-là, alors qu'à l'origine, c'était juste un acte très naturel de maman photographe avec ses enfants. Donc c'est intéressant aussi de relever ça. En tout cas, tu as relevé le défi avec brio et j'ai l'impression que tu as des ailes beaucoup plus grandes qu'en 2021. Je pense que ça t'a donné des ailes.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. C'est vrai que dans le...

  • Speaker #0

    Dans ce travail, son visage, j'avais envie de garder la poésie. Pour moi, c'est important de garder toute cette dimension narrative, poétique, qui fait partie de mon travail. Et de mettre ces personnages, oui, il y a de la censure, mais ils restent dans leur caractère d'enfants, ça reste dans un univers onirique.

  • Speaker #1

    Joyeux, poétique, enfantin. Est-ce que tu peux, pour finir cette interview, cette conversation, avec le soleil qui commence à brûler sur nos visages, me donner, me dire ton coup de cœur et ton coup de gueule de la semaine ou du moment.

  • Speaker #0

    Alors mon coup de cœur, ça va être cette série Father de Diana Marcossian.

  • Speaker #1

    Diana Marcossian.

  • Speaker #0

    Diana Marcossian, que je trouve magnifique. Alors j'ai découvert son travail au travers du livre. Je n'ai pas encore vu l'exposition, que je ne vais pas manquer ici à Arles. Mais c'est aussi un projet de l'intime autour d'un divorce, d'une problématique familiale, d'une photographe qui va retrouver son père au travers aussi de la photographie. Je me retrouve aussi beaucoup dans... Voilà, c'est un univers qui est proche du mien parce que ça parle d'une histoire intime qui nous amène vers de l'universel. pour moi c'est vraiment ces histoires-là qui me touchent profondément et qui pour moi ont une très grande puissance.

  • Speaker #1

    C'est magnifique. L'expo est magnifique, magnifique, magnifique. Je me permets de le dire parce que Sarah en parle, c'est magnifique et c'est... J'avais presque les larmes aux yeux, je suis restée je crois 50 minutes, moi ça ne m'est jamais arrivé de rester aussi longtemps dans une expo et... Je vais acheter le livre, évidemment.

  • Speaker #0

    Vraiment aussi, je vais acheter le livre. Mais voilà, c'est vrai qu'on est le premier jour des rencontres. Enfin, le deuxième jour de mon arrivée, je n'ai pas encore eu le temps. Et je vais faire ça. Et puis, dans le coup de gueule, je pense qu'en tant que femme, en tant que mère, je dois continuer mon combat au quotidien. Et je pense que beaucoup de femmes ont besoin d'avoir encore beaucoup, se justifier deux fois plus que les hommes. pour se faire entendre, pour se faire écouter.

  • Speaker #1

    Pour ne pas se faire censurer.

  • Speaker #0

    Pour ne pas se faire censurer. J'ai l'impression que les justificatifs doivent être deux fois plus fondés pour être entendus. Ça va être mon coup de gueule. J'aimerais bien que ça change.

  • Speaker #1

    Ça va changer petit à petit. C'est en train de changer.

  • Speaker #0

    Ça prend du temps.

  • Speaker #1

    Ça prend beaucoup de temps. Merci beaucoup, Sarah, pour ce moment à part dans cette petite terrasse qui était un peu plus bruyante que prévu. Mais merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci pour ta rencontre, pour notre échange, pour ce podcast, pour donner une voix aux femmes photographes.

  • Speaker #1

    Merci,

  • Speaker #0

    Sarah.

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