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#6 CHLOÉ JAFÉ cover
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DES CLICS

#6 CHLOÉ JAFÉ

#6 CHLOÉ JAFÉ

36min |27/05/2025|

73

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#6 CHLOÉ JAFÉ

#6 CHLOÉ JAFÉ

36min |27/05/2025|

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Description

J’ai découvert Chloé Jafé à Paris Photo en novembre 2023. 

Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise éditée par une tout aussi magnifique maison d’édition, The (M).

Cette trilogie, intitulée Sakasa et composée de trois chapitres, met en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon où Chloé a vécu pendant dix ans. 

Une immersion dans le monde des femmes de yakuzas, une errance sentimentale qui prend la forme d’un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au coeur de l’un des quartiers les plus dangereux d’Osaka, 

Les vies et les sujets de Chloé s’entremêlent. La frontière est poreuse.

Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture photographique à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle.


Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge à travers le prisme souverain de l’iconographie religieuse propre à ce pays. 


Dans cet épisode, nous parlerons du Japon et du Mexique, de la liberté et de la peinture et bien sûr des femmes.


Des Clics, un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour ce sixième épisode de Déclic, et oui, ça fait déjà six mois, je reçois Chloé Jaffé dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. C'est la première fois que l'on se rencontre, mais ça fait très longtemps que je voulais l'interviewer. Depuis le début, je crois, car nos premiers échanges datent d'il y a tout juste un an. J'ai découvert Chloé à Paris Photo en novembre 2023. Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise édité par une tout aussi magnifique maison d'édition, VM. Cette trilogie, intitulée Sakasa, est composée de trois chapitres, mais en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon, où Chloé a vécu pendant dix ans. Une immersion dans le monde des femmes de Yakuza, une errance sentimentale qui prend la forme d'un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au cœur de l'un des quartiers les plus dangereux d'Osaka, Les vies et les sujets de Chloé s'entremêlent. Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle. Ses proches disent d'elle qu'elle photographie avec son ventre, je m'aventurerais même à dire qu'elle photographie avec ses tripes. Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge, à travers le prisme souverain de l'iconographie religieuse propre à ce pays. Notre rendez-vous est fixé au retour de son dernier voyage mexicain. Je suis donc très heureuse de l'entendre frapper à la porte du studio, heureuse et impatiente. Elle apparaît, petit brin de femme, cheveux longs et noirs, regard perçant. Je suis tout de suite frappée par ce mélange improbable de charisme et de pudeur, et je l'imagine parfaitement, tel un petit caméléon, vivre toutes ses vies intenses et passionnantes. Je vous souhaite une très bonne écoute en notre compagnie.

  • Speaker #1

    Bonjour Chloé, je suis ravie de t'accueillir aujourd'hui à la Cité Audacieuse. Ça fait plusieurs mois qu'on échange et on a attendu le bon moment pour se retrouver. Et le bon moment, c'est un début d'année 2025, après une fin d'année 2024 que tu as passé au Mexique pour travailler sur ta prochaine série. Qu'est-ce qui t'empêche de dormir à la nuit, Chloé ?

  • Speaker #2

    C'est une question intéressante parce que j'ai toujours plutôt très bien dormi. Et c'est vrai que ces derniers temps, je fais pas mal d'insomnie. Je me réveille au milieu de la nuit et je perds le sommeil. Je crois qu'il y a plusieurs choses. Je crois qu'effectivement, l'actualité déjà, le climat... qu'il y a en ce moment. Et puis évidemment, mes problématiques, on va dire, personnelles qui tournent un peu. On n'est jamais très loin de l'angoisse quand même.

  • Speaker #1

    Sans te connaître personnellement à travers ton œuvre, les sujets que tu traites, la façon de les traiter et ta présence sur les réseaux sociaux, parce que c'est aussi comme ça que je t'ai un peu découvert. Je me suis faite l'image d'une femme extrêmement libre et d'une femme qui lutte pour sa liberté et qui revendique sa liberté. Est-ce que je suis dans le juste ?

  • Speaker #2

    C'est plutôt pas mal. Je ne sais pas si je la revendique cette liberté, mais je crois que depuis que je suis petite, j'y ai pas mal goûté et que c'est assez addictif. C'est assez dur de s'en séparer. Bien que la liberté puisse avoir un goût un peu amer parfois aussi, ou puisse être aussi un peu douloureuse. Ce n'est pas une solution, mais c'est aussi magnifique, la liberté. Je veux dire, c'est une chance et c'est aussi un choix. C'est pas mal de choses.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que c'est pour toi la liberté ?

  • Speaker #2

    La liberté, c'est de pouvoir monter dans un avion demain, si j'ai envie, ou si j'ai besoin. C'est de ne pas avoir trop d'attaches ou de contraintes.

  • Speaker #1

    Et quels sont les choix ? que t'as fait dans ta vie pour être libre ou pour rester libre jusqu'à aujourd'hui ?

  • Speaker #2

    Déjà, je pense que j'ai fait le choix de ce métier qui est très insécurisant. J'ai fait le choix de ne pas être... salarié dans un bureau. Je ne sais pas, en fait, c'est un peu un tout. Je n'ai pas eu d'adresse depuis que je suis rentrée du Japon. Ce qui est à la fois très excitant et très riche, et à la fois très inconfortable et très insécurisant. En fait, il y a pas mal de paradoxes dans cette liberté. Bien que moi, en tout cas, je la choisirais toujours, cette liberté, parce qu'elle me permet d'avancer. C'est comme ça que je me sens vivante. Je ne pourrais pas vivre autrement, mais elle a un prix. Elle a forcément un prix, comme tout. Il n'y a pas de solution. On finit toujours par payer ce qu'on choisit.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu pourrais me parler de ta découverte de la photographie ? Comment t'es arrivée à la photographie ?

  • Speaker #2

    Moi j'ai un père photographe, donc ça a été forcément une première introduction, notamment dans son labo, où j'ai pu découvrir la magie de la photographie noir et blanc avec lui. et puis Assez rapidement, je me suis plutôt tournée vers les arts plastiques. J'ai un peu hésité entre les beaux-arts de Lyon et puis une école de photo. Et à l'époque, il y avait encore une dimension très artisanale de la photo. Et donc je me suis tournée vers une école de photo à Lyon, sachant que le numérique était assez nouveau et qu'on n'y croyait pas trop encore. Donc, on apprenait le labo, les flashs, la lumière, tout ça.

  • Speaker #1

    Et après ton école, tu as commencé directement à te lancer ?

  • Speaker #2

    Et après l'école, en fait, à l'époque, on disait que c'était bien d'apprendre des autres, d'être sur le terrain. Donc, je m'étais fait conseiller, il fallait absolument que je me fasse embaucher au studio Pin-Up à Paris, qui était quand même une référence. Et donc, j'ai été embauchée comme assistante de plateau pendant deux ans. C'est un job un peu particulier. On arrive, on est les premiers sur le plateau le matin. Il faut aussi bien faire, je veux dire, installer la lumière, faire le ménage, gérer les cafés, la lumière. C'est un peu un job couteau suisse, où on apprend beaucoup, mais qui reste quand même assez ingrat. Et j'ai fait cette expérience pendant deux ans. Donc c'était surtout, on faisait beaucoup de mode. donc j'ai pu voir Pierrot Tuscany, des grands photographes, Mondino. Bref, j'en passe. Vraiment, il y avait les pointures de l'époque qui venaient shooter. Mais c'est vrai que je me suis vite sentie quand même un peu... Je ne me reconnaissais pas dans ce milieu de la mode. Il me manquait quand même quelque chose. Donc, j'ai eu envie de partir. Et puis j'ai fait cette rencontre avec une photographe lyonnaise qui était de passage à Paris et au cours d'un apéritif qui a un peu trop duré, elle m'a fait la proposition un peu délirante de l'accompagner, de partir ensemble au Japon. Donc ça a été le premier départ et je pense le début d'une page dont je n'aurais pas imaginé les conséquences.

  • Speaker #1

    Tu es restée quelques mois au cours de ce premier voyage et après tu es tout de suite repartie vivre au Japon pendant longtemps ?

  • Speaker #2

    On est partie effectivement je crois à peu près trois mois en sac à dos. A l'époque je photographiais à la chambre donc avec un sac à dos pas très lourd, ça je ne le referais plus. Et puis finalement j'ai fait assez peu de photos mais c'était le... je crois que ça a été le... Le début de la fascination pour le Japon, pour moi, avec le désir très fort d'y retourner. Donc entre-temps, je suis quand même retournée aussi à l'école, avant de retourner vivre au Japon. J'ai vécu à Londres pendant quatre ans, et donc je suis retournée dans une école. C'était une école d'art, c'était la Saint-Martin School. Ça m'a permis d'avoir, je ne sais pas, une autre ouverture, un autre regard sur la photo, comme une mise à jour un peu. Et puis, suite à ça, j'ai fait un petit passage à Paris Express. Et après une rupture, je me suis envolée pour le Japon avec un visa vacances-travail. Et donc, j'ai été censée partir un an dans l'idée de faire ce premier travail sur les femmes de Yakuza.

  • Speaker #1

    Ok, tu avais déjà en tête ce projet que tu avais mûri après ton premier voyage de trois mois.

  • Speaker #2

    C'est ça. Entre temps, je suis repartie une fois pour mon projet de fin d'année à l'école de Londres. Je suis repartie quelques semaines. J'avais fait deux voyages au Japon.

  • Speaker #1

    Tu as travaillé pendant une grosse dizaine d'années au Japon sur trois grandes séries qui existent en tant que trilogie chez Viam Edition.

  • Speaker #2

    est-ce que tu pourrais juste me faire un petit résumé assez succinct de tes trois séries japonaises alors je vais essayer d'être succincte le plus possible le premier volet ça s'appelle I give you my life et c'est sur mon immersion dans le monde des femmes de Yakuza le deuxième volet s'appelle Okinawa mon amour et comme son nom l'indique ça se passe à Okinawa et c'est un petit peu mon errance, une espèce d'errance romantique à Okinawa. Et le troisième volet s'appelle How I Met Jiro. Et cette fois-ci, on se retrouve à Osaka, dans le quartier de Kamagasaki, qui est un quartier qui a été surtout reconnu comme étant un des quartiers les plus dangereux du Japon, notamment parce qu'il y a beaucoup de gens qui vivent... dans la rue.

  • Speaker #1

    Qui est Giro ?

  • Speaker #2

    Gigi. C'est un ami. Ça a été un guide pour moi. Giro, c'est un ancien... C'est un monsieur qui travaillait pour l'organisation, qui a démissionné.

  • Speaker #1

    Ce que tu appelles l'organisation, c'est pour les Yakuza ?

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. Et puis, il s'est réorienté comme... Je ne sais pas comment on traduit ça. En fait, il fait des yakitoris, donc c'est des petites brochettes de poulet. Il a un stand dans le quartier. Et c'est un cœur sur pattes, tout simplement. Quand on s'est rencontrés, ça a tout de suite... Je ne sais pas. Il y a tout de suite eu une espèce de connexion assez évidente. Et quelque chose d'assez beau. En fait, il a... Il a eu envie de me... Je ne sais pas, peut-être qu'il a vu ma vulnérabilité, je ne sais pas. Enfin, il a eu envie de me protéger. Il y a eu ce rapport-là, en fait, assez vite. Et donc, c'est le lien de tous mes allers-retours dans ce quartier. C'est lui qui m'a guidée. Et puis, c'est le personnage principal de l'histoire. C'était très fort avec Giro. Et puis c'était aussi très... Comment dire ? Les gens nous regardaient beaucoup dans la rue parce qu'en fait, on n'avait rien à faire ensemble, a priori. Enfin, je veux dire, même en amis.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est un monsieur âgé ?

  • Speaker #2

    C'est un monsieur pas si âgé que ça, mais quand même beaucoup plus âgé que moi. Et bon... Il n'a plus de dents. Et puis, il est dans ce quartier-là. Au Japon, c'est assez... Je ne sais pas comment dire. Si on prenait le métro ensemble, il y a des gens qui venaient me demander si ça allait. Voilà, c'était... Et puis, il m'a appris un petit peu le slang de Osaka. Donc, c'est vrai que... Je ne sais pas. Je pense que notre complicité, elle a beaucoup surpris.

  • Speaker #1

    En regardant ton site internet et justement tout le chapitre sur Giro, j'ai été très marquée par la vidéo, le petit film que tu as fait sur lui. C'est très fort. Et j'ai l'impression que juste avec ce tout petit film, tu retranscris énormément de cette relation avec Giro.

  • Speaker #2

    Oui, ça me fait plaisir. Oui, c'est ça.

  • Speaker #1

    Combien d'années t'ont pris chaque série ? Combien d'années tu as passé à travailler sur Les Femmes de Yakuza, à travailler à Okinawa et à travailler à Osaka ?

  • Speaker #2

    C'est une trilogie qui s'est dessinée par elle-même, parce que ce n'était pas du tout décidé. En fait, à un moment donné, je travaillais vraiment sur les trois projets. Alors, le seul chapitre qui était prévu, c'était le dernier, puisque j'ai eu les aides du CNAP. Je pense que j'ai dû passer presque deux ans à Osaka en faisant des allers-retours. C'est une approche un peu différente, c'était la première fois que j'avais des aides, donc quelque part je me sentais un peu responsable. de quand même de produire quelque chose. Chose que, voilà, à Okinawa, j'étais en roue libre complètement. Mais c'est vrai qu'à Okinawa, c'était pas du tout prévu. J'ai parti là-bas un peu par hasard et puis je pensais éventuellement faire des images, justement, voir s'il y avait des femmes de Yakuza. Est-ce qu'il y avait des Yakuza à Okinawa ? J'étais un peu en recherche. Puis ensuite, la vie a fait que c'était autre chose. Et puis je suis retournée nombreuses fois. J'ai eu beaucoup de mal à éditer Okinawa parce que je pense que c'est peut-être le chapitre le plus personnel. Donc j'ai vraiment eu besoin de le digérer. Je pense que j'ai dû faire des allers-retours et travailler pendant peut-être quatre ans. Sur I Give You My Life, effectivement, c'est presque sept ans, ou non, presque dix ans de photos. Pas dans le contrôle, quoi. Enfin, on construit tranquillement.

  • Speaker #1

    Tu construis en même temps que tu grandis ? C'est ça.

  • Speaker #2

    En tout cas, quand j'ai senti que ça se terminait, quand j'avais plus... J'ai eu de l'adrénaline pendant un moment, quand je les photographiais, puis quand c'était devenu trop normal, je faisais un peu trop partie de la famille, je me rendais compte que finalement, je sortais beaucoup moins l'appareil photo, j'y allais plus pour... discuter, passer un moment ensemble. Je sentais que c'était terminé, peut-être.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu retiens de cette décennie au Japon ?

  • Speaker #2

    Ça a été pour moi un peu un voyage initiatique, ce Japon. Donc, je me suis un peu construite là-bas. Et puis, je retiens des valeurs importantes que je ne retrouve pas ailleurs, justement.

  • Speaker #1

    Quelles valeurs ?

  • Speaker #2

    Push ! La loyauté, par exemple. Je crois que la loyauté, c'est quelque chose d'assez rare, qui est beaucoup plus évident au Japon. Et la pudeur, je ne trouve pas le mot, mais d'être humble, c'est rare. Et puis, des valeurs comme le fait de ne pas abandonner. En fait, ce n'est pas très traduisible. Gambarimas, qui est vraiment... Voilà, le fait de donner de son mieux et jusqu'au bout. Non, je crois que ça m'a quand même appris des choses assez essentielles, des valeurs que j'essaie de garder, parce que finalement, là, ça fait quand même quelques années que je suis rentrée. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer, beaucoup plus qu'à partir. Ça a été compliqué, le retour en France. En plus, le Covid a été... Six mois après est arrivé, donc c'était un peu fou. Mais le Japon est derrière, c'est sûr. Et il est devant aussi, parce que je travaille sur l'adaptation d'un film qui va retracer un petit peu mon aventure là-bas. Une fiction à partir d'une histoire vraie.

  • Speaker #1

    Une fiction à partir de ta vie ?

  • Speaker #2

    C'est ça.

  • Speaker #1

    De ta vie en tant que photographe au Japon ?

  • Speaker #2

    Tout à fait.

  • Speaker #1

    Et qui reprendra tes... Tes trois grandes séries, est-ce que c'est...

  • Speaker #2

    Pas forcément, pas forcément.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous en dire un tout petit peu plus ou est-ce que c'est très confidentiel ?

  • Speaker #2

    Je ne crois pas que ce soit trop confidentiel, j'espère pas. En fait, je suis en phase d'écriture, donc c'est encore un petit peu... Enfin, pas tout, mais ça reste à définir. Mais disons que ce sera, je pense, plus un voyage initiatique. Ça sera un peu aussi l'histoire d'une jeune fille qui part se chercher. En fait, on m'a souvent posé la question de pourquoi j'avais eu cette idée qui est un peu folle. Moi, je ne m'en rendais pas compte. Donc ça va être aussi, je pense, l'idée de partir vivre au Japon pour photographier les femmes dans la mafia japonaise.

  • Speaker #1

    Et d'apprendre le japonais. Ça, ce n'est pas fou du tout, mais c'est...

  • Speaker #2

    Oui, il faut avoir beaucoup de détermination,

  • Speaker #1

    apprendre le japonais, travailler dans des...

  • Speaker #2

    Barre d'hôtesse ?

  • Speaker #1

    Barre d'hôtesse, je ne trouvais plus le mot. Vivre la vie d'une femme japonaise, en fait.

  • Speaker #2

    En quelque sorte, dans le corps d'une Française, mais... En fait je crois que c'est tout ça qu'on va essayer de montrer dans le film. C'est aussi cette relation que j'ai tissée avec cette famille. Voilà, cet amour platonique avec ce chef. C'est un peu tout ça ?

  • Speaker #1

    En lisant des choses sur toi, j'ai entendu parler de journalisme gonzo, qui est une méthode d'enquête, en fait, et un style d'écriture journalistique, ne prétendant pas à l'objectivité. Le journaliste étant un des protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne. Un peu comme une Florence Obdin de la photographie. D'où l'importance du temps long pour t'immerger, pour vivre. Ta vie et ton œuvre. Quelle est pour toi la frontière entre ta vie et ton œuvre ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'elle est assez floue. Je crois qu'elle est assez floue. Ça se mélange. Je crois que c'est Suzanne Mezelas qui disait que c'était important qu'il y ait un point d'entrée et un point de sortie dans un travail photo, enfin pour un photographe. Et c'est vrai que j'ai... Moi, j'ai du mal à trouver le point de sortie. Enfin, évidemment, j'arrive quand même à faire vivre un projet et à me rendre compte, à sentir les choses quand j'estime que c'est achevé. Mais c'est vrai que dans la relation que j'ai avec les gens, etc., que je photographie, il y a une continuité. Ça se tisse à ma vie personnelle.

  • Speaker #1

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #2

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #1

    Et t'as un attrait particulier pour les personnes qui vivent en marge ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'en fait, on définit les marginaux, mais peut-être qu'on ne peut être le marginal de quelqu'un d'autre. Je veux dire, inversement. C'est vrai que moi, ça a commencé, en tout cas au Japon. Finalement, je me suis sentie très vite beaucoup plus proche des marginaux. Parce que moi aussi, j'étais étrangère ou marginale. Je ne sais pas bien où placer le curseur, mais en tout cas, c'est vrai que, encore une fois, c'est dans le contexte du Japon, parce que la société japonaise, elle est quand même très particulière. En tout cas, j'étais beaucoup plus proche des marginaux, effectivement. si on peut les appeler comme ça. Et puis, toujours dans ce rapport photographique, je crois que la photographie, c'est un petit peu un miroir sur soi aussi. Donc, on est toujours, en fait, inconsciemment. Peut-être que c'est toujours un peu une recherche de soi. Donc, on ne le maîtrise pas forcément. Et tant mieux.

  • Speaker #1

    Comment qualifierais-tu ton univers photographique ?

  • Speaker #2

    C'est une question difficile. J'espère qu'il parle de lui-même. Mais je crois que ce qui est important, en tout cas, dans cet univers, c'est l'authenticité, en tout cas la sincérité que j'ai dans les relations. avec les personnes que je photographie, avec les sujets que j'aborde, avec les questions que je me pose. Je crois que la photographie, c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges. Et donc, j'ai besoin d'être dans quelque chose d'authentique.

  • Speaker #1

    Et pourquoi avoir choisi la photographie par rapport à ce que tu viens de dire, si c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges et que tu es à la recherche d'une... au fond d'authenticité ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'il y a deux choses. Je crois que déjà, j'aime bien le challenge m'amuse. Je crois que, voilà, cette recherche de la vérité, elle est assez... Enfin, elle est infinie, quoi. Surtout avec un médium pareil. Et puis, la deuxième chose, c'est que je crois que si j'étais meilleure peintre, je serais peintre. J'ai un profond respect et amour pour la peinture. Je crois que c'est... En tout cas, je ressens beaucoup plus de véracité. Je crois qu'il y a quelque chose ... de divin dans la peinture que je retrouve moins dans la photographie. Évidemment, c'est un médium que j'aime profondément, mais voilà, cette question de véracité et d'authenticité, c'est quelque chose qui me pose souci beaucoup, en tout cas que je remets en question en permanence.

  • Speaker #1

    Quel est ton nouveau sujet d'immersion ? Chloé, le Japon va rester présent, il restera toute ta vie. Tu as une partie du Japon dans ta peau.

  • Speaker #2

    Oui.

  • Speaker #1

    Mais tu travailles en ce moment au Mexique et est-ce que tu peux... commencer à dévoiler un peu ce que tu fais au Mexique. Parce que c'est nouveau, c'est ce que je disais, deux salles, deux ambiances.

  • Speaker #2

    Deux salles, deux ambiances, tout à fait. Le Mexique, c'est arrivé un peu par hasard aussi, au départ. Mon premier voyage, pendant le Covid, je crois que c'était un des pays qui était resté ouvert sur la carte. Donc je suis allée. Sachant que j'ai toujours eu envie de découvrir cet endroit. Et lors du deuxième voyage, j'ai commencé à faire des images. C'était une période un petit peu compliquée émotionnellement. J'avais vraiment besoin de me rattacher à la photographie. Qui est toujours là quand on a besoin. Donc voilà, j'ai commencé quelque chose. Tout honnêtement. sans trop savoir ce que je faisais. Il m'arrive de faire vraiment des mises en scène, en photo, mais c'est quelque chose que je n'ai quasiment pas fait dans le travail que j'ai fait au Japon, mais que je faisais avant. J'ai commencé à faire des reproductions de divinités, de vierges qui me parlaient plus que d'autres. C'est pas mal de temps à Waraka, donc il y a des divinités que j'ai découvertes. qui sont un peu des divinités locales, comme la Vierge de la Solitude, la Vierge de la Rukila, et donc la Guadalupe, qui est vraiment nationale. Enfin bref, j'ai commencé à mettre les pieds dedans et ça a été un peu une boîte de Pandore. Le Mexique en général, c'est un pays qui me fascine profondément. Et puis c'est divin, ce Mexique. Je ne sais pas si tu connais.

  • Speaker #1

    Je ne le connais pas du tout.

  • Speaker #2

    C'est incroyable. C'est à la fois plein de contradictions. C'est d'une beauté rare. Encore une fois, je crois que c'est des nouveaux challenges. C'est une nouvelle culture. Et du coup, c'est aussi des... Des nouvelles relations, des nouvelles relations humaines ?

  • Speaker #1

    Quand tu dis que tu as travaillé avant le Japon sur des mises en scène et que là tu recommences un peu en faisant des reproductions de divinités, c'est que concrètement tu fais des mises en scène avec des personnes mexicaines que tu mets en scène pour reproduire des divinités.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, ça peut arriver d'avoir une idée, un genre de vision, une idée, un désir de créer l'image. Et par exemple, l'image de laquelle je peux parler, c'est la Guadalupe. Parce que j'ai fabriqué le costume. Bon, il ne faut pas regarder de trop près, mais c'est un peu collé. Voilà, c'est fait à la main, sans trop d'expérience. Mais disons que c'est une image que j'ai construite. Et j'avais envie, en fait, que les modèles... Alors, pas tous, mais par exemple, sur la Guadalupe, c'est une personne que j'ai rencontrée la nuit, qui s'appelle Roma, et c'est une personne trans. Et voilà, j'avais très envie de l'incarner dans la Guadalupe, je pense dans ce désir de la rendre visible, et de la rendre visible vraiment en haut, dans tout ce que... Enfin, la Guadalupe, c'est vraiment, je ne sais pas, c'est une vierge qui est vraiment adorée au Mexique, donc voilà, lui donner la visibilité...

  • Speaker #1

    Suprême.

  • Speaker #2

    Suprême, voilà, c'est ça.

  • Speaker #1

    Du coup, c'est très, très différent de... finalement de l'approche photographique que tu avais au Japon.

  • Speaker #2

    Bien sûr, c'est pour ça, je pense que l'immersion que j'ai eue au Japon, elle est singulière dans ma vie. Franchement, j'ai vécu vraiment sept ans extrêmement intenses. Je crois que si je le reproduisais, je ne sais pas si j'en sortirais un thème. C'était quand même une drôle de vie. Donc voilà, moi j'ai pas envie d'être dans une case quoi, c'est vrai que...

  • Speaker #0

    Je me laisse cette liberté pour le Mexique. Mais effectivement, je suis déjà allée deux fois, je suis partie là un mois et demi, et je vais avoir la nécessité d'y retourner. Parce que de toute façon, ça n'enlève pas quand même le fil conducteur qui est de construire des rapports un peu profonds, de créer un vrai échange. Et je crois que pour créer un vrai échange, j'étais quand même face à deux... à de nouveaux challenges, une nouvelle langue, une nouvelle culture. On n'a pas du tout la même approche. Je ne voudrais pas créer quelque chose de trop superficiel ou de trop exotique. Et puis encore une fois, on est obligé de s'adapter, je pense, à l'histoire du pays.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu travailles avec un fixeur ? Les fixeurs, c'est des personnes qui nous aident dans les pays à rencontrer les personnes que l'on souhaite photographier. Au Japon, même au Japon, tu travaillais sans fixeur.

  • Speaker #0

    Au Japon, sans fixeur. Vraiment sans fixeur et je crois que c'était essentiel. Bon déjà parce qu'au fait au début j'ai un peu cherché, mais personne ne voulait... Enfin, vraiment, je me suis retrouvée à que des portes fermées quand j'ai parlé de ce projet de femme de diaposat. C'était folle. Ouais, ouais, non, personne ne voulait se mouiller à ça. Enfin, voilà, non. Donc, j'ai dit, bon, ben, j'y vais toute seule.

  • Speaker #1

    C'était très bien, finalement.

  • Speaker #0

    Et c'était très bien.

  • Speaker #1

    C'était une évidence.

  • Speaker #0

    Exactement. Ouais, c'était très bien. C'était comme ça que ça devait se faire. Pour le Mexique, je travaille avec un fixeur. Pour la première fois, j'ai eu la chance de vraiment rencontrer quelqu'un qui me correspond. parfaitement bien donc c'est extrêmement agréable de travailler avec lui. C'est quelqu'un de Waraka, qui est photographe aussi donc c'est très agréable en fait quand on se comprend bien. Et puis le Mexique c'est quand même un pays qui est un peu plus dangereux que le Japon. Donc c'est un peu plus limitant à certains endroits. Aussi bien ça a été une force pour moi d'être une femme photographe au Japon, aussi bien là au Mexique, c'est limitant à d'autres endroits. Je ne m'amuserais pas à faire des images n'importe où, à n'importe quelle heure et n'importe comment.

  • Speaker #1

    Sans aucune transition, Chloé, pour conclure cette conversation, est-ce que tu pourrais me dire qui est Morika dont les photos sur ton site m'ont beaucoup interpellée ?

  • Speaker #0

    Morika, c'est le prénom de cette jeune femme, cette jeune artiste d'Okinawa. On s'est rencontrées à Okinawa. On était toutes les deux troublées, à des moments un peu compliqués, je pense, chacune dans nos vies. Moi, je commençais un traitement assez... assez lourde d'anxiolithique et antidépresseur, un petit cocktail assez...

  • Speaker #1

    D'étonnant.

  • Speaker #0

    Assez d'étonnant. Et Morika, c'est aussi une personne, je ne sais pas trop si je peux en parler, mais en fait, qui a des troubles par rapport à la... À la réalité, c'est-à-dire que ça lui arrive de voir ou d'entendre des choses. Elle était aussi sous traitement. Et voilà, c'était assez évident. Quand on s'est vus, on a eu envie de s'amuser ensemble, de faire quelque chose de manière complètement libre. Et voilà, on s'est retrouvés dans cet... Je crois que c'était un hôtel désaffecté. Et on a décidé de mélanger un peu les médiums, de se photographier. Ensuite, au moins, j'ai fait des polaroïds sur lesquels elle a dessiné. Ensuite, on a fait des images ensemble. Ensuite, elle m'a dessiné. Il y avait aussi ce travail sur les corps, donc elle a dessiné sur ma peau. Voilà, et donc de manière assez libre, on s'est exploré. On a exploré, je pense, nos mots aussi. Et on a résulté une petite exposition à Tokyo où du coup, on a mélangé aussi ses peintures. Elle fait des peintures. Le travail en commun et aussi mes photographies d'elle. C'est un mélange, un petit mélange, une petite collaboration.

  • Speaker #1

    Est-ce que la... Allier vos forces, travailler ensemble, ça a permis une espèce de petite interstice de liberté suprême et d'oublier justement toute la pesanteur de la vie à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. C'était un échappatoire nécessaire.

  • Speaker #1

    Donc la liberté de pouvoir créer est quand même hyper salvatrice.

  • Speaker #0

    Ah oui, je crois. Ouais. Enfin, moi, je me suis rattrapée comme ça, je pense, à ce moment-là de ma vie. J'avais plus de repères. C'était ça ou rien, quoi.

  • Speaker #1

    La place que tu donnes à toutes ces femmes dans tes photographies, est-ce que c'est une quête ? Est-ce que c'est une revendication ? Ou est-ce que c'est tout à fait autre chose ?

  • Speaker #0

    Je crois que c'est une évidence, en fait. Je crois que c'est une évidence. Je me sens profondément féministe, bien que je ne sois pas activiste. Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. Et je pense que ça va aussi un petit peu avec ma volonté de donner la place à ceux qui n'en ont pas, pas eu ou pas assez, ou une visibilité, une voix. Et les femmes en font largement partie, même si je suis convaincue que ça va changer, mais c'est une évidence. C'est une évidence pour moi, oui. Et puis aussi, je pense que c'est en lien avec le fait d'être dans cette recherche d'authenticité. Et je pense que quand on passe beaucoup de temps, comme je disais, je crois que c'est un peu aussi un miroir de soi. Donc oui, encore une fois, c'est évident.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Chloé.

  • Speaker #0

    Merci Maud.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode, j'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudbernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

Description

J’ai découvert Chloé Jafé à Paris Photo en novembre 2023. 

Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise éditée par une tout aussi magnifique maison d’édition, The (M).

Cette trilogie, intitulée Sakasa et composée de trois chapitres, met en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon où Chloé a vécu pendant dix ans. 

Une immersion dans le monde des femmes de yakuzas, une errance sentimentale qui prend la forme d’un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au coeur de l’un des quartiers les plus dangereux d’Osaka, 

Les vies et les sujets de Chloé s’entremêlent. La frontière est poreuse.

Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture photographique à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle.


Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge à travers le prisme souverain de l’iconographie religieuse propre à ce pays. 


Dans cet épisode, nous parlerons du Japon et du Mexique, de la liberté et de la peinture et bien sûr des femmes.


Des Clics, un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour ce sixième épisode de Déclic, et oui, ça fait déjà six mois, je reçois Chloé Jaffé dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. C'est la première fois que l'on se rencontre, mais ça fait très longtemps que je voulais l'interviewer. Depuis le début, je crois, car nos premiers échanges datent d'il y a tout juste un an. J'ai découvert Chloé à Paris Photo en novembre 2023. Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise édité par une tout aussi magnifique maison d'édition, VM. Cette trilogie, intitulée Sakasa, est composée de trois chapitres, mais en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon, où Chloé a vécu pendant dix ans. Une immersion dans le monde des femmes de Yakuza, une errance sentimentale qui prend la forme d'un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au cœur de l'un des quartiers les plus dangereux d'Osaka, Les vies et les sujets de Chloé s'entremêlent. Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle. Ses proches disent d'elle qu'elle photographie avec son ventre, je m'aventurerais même à dire qu'elle photographie avec ses tripes. Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge, à travers le prisme souverain de l'iconographie religieuse propre à ce pays. Notre rendez-vous est fixé au retour de son dernier voyage mexicain. Je suis donc très heureuse de l'entendre frapper à la porte du studio, heureuse et impatiente. Elle apparaît, petit brin de femme, cheveux longs et noirs, regard perçant. Je suis tout de suite frappée par ce mélange improbable de charisme et de pudeur, et je l'imagine parfaitement, tel un petit caméléon, vivre toutes ses vies intenses et passionnantes. Je vous souhaite une très bonne écoute en notre compagnie.

  • Speaker #1

    Bonjour Chloé, je suis ravie de t'accueillir aujourd'hui à la Cité Audacieuse. Ça fait plusieurs mois qu'on échange et on a attendu le bon moment pour se retrouver. Et le bon moment, c'est un début d'année 2025, après une fin d'année 2024 que tu as passé au Mexique pour travailler sur ta prochaine série. Qu'est-ce qui t'empêche de dormir à la nuit, Chloé ?

  • Speaker #2

    C'est une question intéressante parce que j'ai toujours plutôt très bien dormi. Et c'est vrai que ces derniers temps, je fais pas mal d'insomnie. Je me réveille au milieu de la nuit et je perds le sommeil. Je crois qu'il y a plusieurs choses. Je crois qu'effectivement, l'actualité déjà, le climat... qu'il y a en ce moment. Et puis évidemment, mes problématiques, on va dire, personnelles qui tournent un peu. On n'est jamais très loin de l'angoisse quand même.

  • Speaker #1

    Sans te connaître personnellement à travers ton œuvre, les sujets que tu traites, la façon de les traiter et ta présence sur les réseaux sociaux, parce que c'est aussi comme ça que je t'ai un peu découvert. Je me suis faite l'image d'une femme extrêmement libre et d'une femme qui lutte pour sa liberté et qui revendique sa liberté. Est-ce que je suis dans le juste ?

  • Speaker #2

    C'est plutôt pas mal. Je ne sais pas si je la revendique cette liberté, mais je crois que depuis que je suis petite, j'y ai pas mal goûté et que c'est assez addictif. C'est assez dur de s'en séparer. Bien que la liberté puisse avoir un goût un peu amer parfois aussi, ou puisse être aussi un peu douloureuse. Ce n'est pas une solution, mais c'est aussi magnifique, la liberté. Je veux dire, c'est une chance et c'est aussi un choix. C'est pas mal de choses.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que c'est pour toi la liberté ?

  • Speaker #2

    La liberté, c'est de pouvoir monter dans un avion demain, si j'ai envie, ou si j'ai besoin. C'est de ne pas avoir trop d'attaches ou de contraintes.

  • Speaker #1

    Et quels sont les choix ? que t'as fait dans ta vie pour être libre ou pour rester libre jusqu'à aujourd'hui ?

  • Speaker #2

    Déjà, je pense que j'ai fait le choix de ce métier qui est très insécurisant. J'ai fait le choix de ne pas être... salarié dans un bureau. Je ne sais pas, en fait, c'est un peu un tout. Je n'ai pas eu d'adresse depuis que je suis rentrée du Japon. Ce qui est à la fois très excitant et très riche, et à la fois très inconfortable et très insécurisant. En fait, il y a pas mal de paradoxes dans cette liberté. Bien que moi, en tout cas, je la choisirais toujours, cette liberté, parce qu'elle me permet d'avancer. C'est comme ça que je me sens vivante. Je ne pourrais pas vivre autrement, mais elle a un prix. Elle a forcément un prix, comme tout. Il n'y a pas de solution. On finit toujours par payer ce qu'on choisit.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu pourrais me parler de ta découverte de la photographie ? Comment t'es arrivée à la photographie ?

  • Speaker #2

    Moi j'ai un père photographe, donc ça a été forcément une première introduction, notamment dans son labo, où j'ai pu découvrir la magie de la photographie noir et blanc avec lui. et puis Assez rapidement, je me suis plutôt tournée vers les arts plastiques. J'ai un peu hésité entre les beaux-arts de Lyon et puis une école de photo. Et à l'époque, il y avait encore une dimension très artisanale de la photo. Et donc je me suis tournée vers une école de photo à Lyon, sachant que le numérique était assez nouveau et qu'on n'y croyait pas trop encore. Donc, on apprenait le labo, les flashs, la lumière, tout ça.

  • Speaker #1

    Et après ton école, tu as commencé directement à te lancer ?

  • Speaker #2

    Et après l'école, en fait, à l'époque, on disait que c'était bien d'apprendre des autres, d'être sur le terrain. Donc, je m'étais fait conseiller, il fallait absolument que je me fasse embaucher au studio Pin-Up à Paris, qui était quand même une référence. Et donc, j'ai été embauchée comme assistante de plateau pendant deux ans. C'est un job un peu particulier. On arrive, on est les premiers sur le plateau le matin. Il faut aussi bien faire, je veux dire, installer la lumière, faire le ménage, gérer les cafés, la lumière. C'est un peu un job couteau suisse, où on apprend beaucoup, mais qui reste quand même assez ingrat. Et j'ai fait cette expérience pendant deux ans. Donc c'était surtout, on faisait beaucoup de mode. donc j'ai pu voir Pierrot Tuscany, des grands photographes, Mondino. Bref, j'en passe. Vraiment, il y avait les pointures de l'époque qui venaient shooter. Mais c'est vrai que je me suis vite sentie quand même un peu... Je ne me reconnaissais pas dans ce milieu de la mode. Il me manquait quand même quelque chose. Donc, j'ai eu envie de partir. Et puis j'ai fait cette rencontre avec une photographe lyonnaise qui était de passage à Paris et au cours d'un apéritif qui a un peu trop duré, elle m'a fait la proposition un peu délirante de l'accompagner, de partir ensemble au Japon. Donc ça a été le premier départ et je pense le début d'une page dont je n'aurais pas imaginé les conséquences.

  • Speaker #1

    Tu es restée quelques mois au cours de ce premier voyage et après tu es tout de suite repartie vivre au Japon pendant longtemps ?

  • Speaker #2

    On est partie effectivement je crois à peu près trois mois en sac à dos. A l'époque je photographiais à la chambre donc avec un sac à dos pas très lourd, ça je ne le referais plus. Et puis finalement j'ai fait assez peu de photos mais c'était le... je crois que ça a été le... Le début de la fascination pour le Japon, pour moi, avec le désir très fort d'y retourner. Donc entre-temps, je suis quand même retournée aussi à l'école, avant de retourner vivre au Japon. J'ai vécu à Londres pendant quatre ans, et donc je suis retournée dans une école. C'était une école d'art, c'était la Saint-Martin School. Ça m'a permis d'avoir, je ne sais pas, une autre ouverture, un autre regard sur la photo, comme une mise à jour un peu. Et puis, suite à ça, j'ai fait un petit passage à Paris Express. Et après une rupture, je me suis envolée pour le Japon avec un visa vacances-travail. Et donc, j'ai été censée partir un an dans l'idée de faire ce premier travail sur les femmes de Yakuza.

  • Speaker #1

    Ok, tu avais déjà en tête ce projet que tu avais mûri après ton premier voyage de trois mois.

  • Speaker #2

    C'est ça. Entre temps, je suis repartie une fois pour mon projet de fin d'année à l'école de Londres. Je suis repartie quelques semaines. J'avais fait deux voyages au Japon.

  • Speaker #1

    Tu as travaillé pendant une grosse dizaine d'années au Japon sur trois grandes séries qui existent en tant que trilogie chez Viam Edition.

  • Speaker #2

    est-ce que tu pourrais juste me faire un petit résumé assez succinct de tes trois séries japonaises alors je vais essayer d'être succincte le plus possible le premier volet ça s'appelle I give you my life et c'est sur mon immersion dans le monde des femmes de Yakuza le deuxième volet s'appelle Okinawa mon amour et comme son nom l'indique ça se passe à Okinawa et c'est un petit peu mon errance, une espèce d'errance romantique à Okinawa. Et le troisième volet s'appelle How I Met Jiro. Et cette fois-ci, on se retrouve à Osaka, dans le quartier de Kamagasaki, qui est un quartier qui a été surtout reconnu comme étant un des quartiers les plus dangereux du Japon, notamment parce qu'il y a beaucoup de gens qui vivent... dans la rue.

  • Speaker #1

    Qui est Giro ?

  • Speaker #2

    Gigi. C'est un ami. Ça a été un guide pour moi. Giro, c'est un ancien... C'est un monsieur qui travaillait pour l'organisation, qui a démissionné.

  • Speaker #1

    Ce que tu appelles l'organisation, c'est pour les Yakuza ?

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. Et puis, il s'est réorienté comme... Je ne sais pas comment on traduit ça. En fait, il fait des yakitoris, donc c'est des petites brochettes de poulet. Il a un stand dans le quartier. Et c'est un cœur sur pattes, tout simplement. Quand on s'est rencontrés, ça a tout de suite... Je ne sais pas. Il y a tout de suite eu une espèce de connexion assez évidente. Et quelque chose d'assez beau. En fait, il a... Il a eu envie de me... Je ne sais pas, peut-être qu'il a vu ma vulnérabilité, je ne sais pas. Enfin, il a eu envie de me protéger. Il y a eu ce rapport-là, en fait, assez vite. Et donc, c'est le lien de tous mes allers-retours dans ce quartier. C'est lui qui m'a guidée. Et puis, c'est le personnage principal de l'histoire. C'était très fort avec Giro. Et puis c'était aussi très... Comment dire ? Les gens nous regardaient beaucoup dans la rue parce qu'en fait, on n'avait rien à faire ensemble, a priori. Enfin, je veux dire, même en amis.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est un monsieur âgé ?

  • Speaker #2

    C'est un monsieur pas si âgé que ça, mais quand même beaucoup plus âgé que moi. Et bon... Il n'a plus de dents. Et puis, il est dans ce quartier-là. Au Japon, c'est assez... Je ne sais pas comment dire. Si on prenait le métro ensemble, il y a des gens qui venaient me demander si ça allait. Voilà, c'était... Et puis, il m'a appris un petit peu le slang de Osaka. Donc, c'est vrai que... Je ne sais pas. Je pense que notre complicité, elle a beaucoup surpris.

  • Speaker #1

    En regardant ton site internet et justement tout le chapitre sur Giro, j'ai été très marquée par la vidéo, le petit film que tu as fait sur lui. C'est très fort. Et j'ai l'impression que juste avec ce tout petit film, tu retranscris énormément de cette relation avec Giro.

  • Speaker #2

    Oui, ça me fait plaisir. Oui, c'est ça.

  • Speaker #1

    Combien d'années t'ont pris chaque série ? Combien d'années tu as passé à travailler sur Les Femmes de Yakuza, à travailler à Okinawa et à travailler à Osaka ?

  • Speaker #2

    C'est une trilogie qui s'est dessinée par elle-même, parce que ce n'était pas du tout décidé. En fait, à un moment donné, je travaillais vraiment sur les trois projets. Alors, le seul chapitre qui était prévu, c'était le dernier, puisque j'ai eu les aides du CNAP. Je pense que j'ai dû passer presque deux ans à Osaka en faisant des allers-retours. C'est une approche un peu différente, c'était la première fois que j'avais des aides, donc quelque part je me sentais un peu responsable. de quand même de produire quelque chose. Chose que, voilà, à Okinawa, j'étais en roue libre complètement. Mais c'est vrai qu'à Okinawa, c'était pas du tout prévu. J'ai parti là-bas un peu par hasard et puis je pensais éventuellement faire des images, justement, voir s'il y avait des femmes de Yakuza. Est-ce qu'il y avait des Yakuza à Okinawa ? J'étais un peu en recherche. Puis ensuite, la vie a fait que c'était autre chose. Et puis je suis retournée nombreuses fois. J'ai eu beaucoup de mal à éditer Okinawa parce que je pense que c'est peut-être le chapitre le plus personnel. Donc j'ai vraiment eu besoin de le digérer. Je pense que j'ai dû faire des allers-retours et travailler pendant peut-être quatre ans. Sur I Give You My Life, effectivement, c'est presque sept ans, ou non, presque dix ans de photos. Pas dans le contrôle, quoi. Enfin, on construit tranquillement.

  • Speaker #1

    Tu construis en même temps que tu grandis ? C'est ça.

  • Speaker #2

    En tout cas, quand j'ai senti que ça se terminait, quand j'avais plus... J'ai eu de l'adrénaline pendant un moment, quand je les photographiais, puis quand c'était devenu trop normal, je faisais un peu trop partie de la famille, je me rendais compte que finalement, je sortais beaucoup moins l'appareil photo, j'y allais plus pour... discuter, passer un moment ensemble. Je sentais que c'était terminé, peut-être.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu retiens de cette décennie au Japon ?

  • Speaker #2

    Ça a été pour moi un peu un voyage initiatique, ce Japon. Donc, je me suis un peu construite là-bas. Et puis, je retiens des valeurs importantes que je ne retrouve pas ailleurs, justement.

  • Speaker #1

    Quelles valeurs ?

  • Speaker #2

    Push ! La loyauté, par exemple. Je crois que la loyauté, c'est quelque chose d'assez rare, qui est beaucoup plus évident au Japon. Et la pudeur, je ne trouve pas le mot, mais d'être humble, c'est rare. Et puis, des valeurs comme le fait de ne pas abandonner. En fait, ce n'est pas très traduisible. Gambarimas, qui est vraiment... Voilà, le fait de donner de son mieux et jusqu'au bout. Non, je crois que ça m'a quand même appris des choses assez essentielles, des valeurs que j'essaie de garder, parce que finalement, là, ça fait quand même quelques années que je suis rentrée. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer, beaucoup plus qu'à partir. Ça a été compliqué, le retour en France. En plus, le Covid a été... Six mois après est arrivé, donc c'était un peu fou. Mais le Japon est derrière, c'est sûr. Et il est devant aussi, parce que je travaille sur l'adaptation d'un film qui va retracer un petit peu mon aventure là-bas. Une fiction à partir d'une histoire vraie.

  • Speaker #1

    Une fiction à partir de ta vie ?

  • Speaker #2

    C'est ça.

  • Speaker #1

    De ta vie en tant que photographe au Japon ?

  • Speaker #2

    Tout à fait.

  • Speaker #1

    Et qui reprendra tes... Tes trois grandes séries, est-ce que c'est...

  • Speaker #2

    Pas forcément, pas forcément.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous en dire un tout petit peu plus ou est-ce que c'est très confidentiel ?

  • Speaker #2

    Je ne crois pas que ce soit trop confidentiel, j'espère pas. En fait, je suis en phase d'écriture, donc c'est encore un petit peu... Enfin, pas tout, mais ça reste à définir. Mais disons que ce sera, je pense, plus un voyage initiatique. Ça sera un peu aussi l'histoire d'une jeune fille qui part se chercher. En fait, on m'a souvent posé la question de pourquoi j'avais eu cette idée qui est un peu folle. Moi, je ne m'en rendais pas compte. Donc ça va être aussi, je pense, l'idée de partir vivre au Japon pour photographier les femmes dans la mafia japonaise.

  • Speaker #1

    Et d'apprendre le japonais. Ça, ce n'est pas fou du tout, mais c'est...

  • Speaker #2

    Oui, il faut avoir beaucoup de détermination,

  • Speaker #1

    apprendre le japonais, travailler dans des...

  • Speaker #2

    Barre d'hôtesse ?

  • Speaker #1

    Barre d'hôtesse, je ne trouvais plus le mot. Vivre la vie d'une femme japonaise, en fait.

  • Speaker #2

    En quelque sorte, dans le corps d'une Française, mais... En fait je crois que c'est tout ça qu'on va essayer de montrer dans le film. C'est aussi cette relation que j'ai tissée avec cette famille. Voilà, cet amour platonique avec ce chef. C'est un peu tout ça ?

  • Speaker #1

    En lisant des choses sur toi, j'ai entendu parler de journalisme gonzo, qui est une méthode d'enquête, en fait, et un style d'écriture journalistique, ne prétendant pas à l'objectivité. Le journaliste étant un des protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne. Un peu comme une Florence Obdin de la photographie. D'où l'importance du temps long pour t'immerger, pour vivre. Ta vie et ton œuvre. Quelle est pour toi la frontière entre ta vie et ton œuvre ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'elle est assez floue. Je crois qu'elle est assez floue. Ça se mélange. Je crois que c'est Suzanne Mezelas qui disait que c'était important qu'il y ait un point d'entrée et un point de sortie dans un travail photo, enfin pour un photographe. Et c'est vrai que j'ai... Moi, j'ai du mal à trouver le point de sortie. Enfin, évidemment, j'arrive quand même à faire vivre un projet et à me rendre compte, à sentir les choses quand j'estime que c'est achevé. Mais c'est vrai que dans la relation que j'ai avec les gens, etc., que je photographie, il y a une continuité. Ça se tisse à ma vie personnelle.

  • Speaker #1

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #2

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #1

    Et t'as un attrait particulier pour les personnes qui vivent en marge ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'en fait, on définit les marginaux, mais peut-être qu'on ne peut être le marginal de quelqu'un d'autre. Je veux dire, inversement. C'est vrai que moi, ça a commencé, en tout cas au Japon. Finalement, je me suis sentie très vite beaucoup plus proche des marginaux. Parce que moi aussi, j'étais étrangère ou marginale. Je ne sais pas bien où placer le curseur, mais en tout cas, c'est vrai que, encore une fois, c'est dans le contexte du Japon, parce que la société japonaise, elle est quand même très particulière. En tout cas, j'étais beaucoup plus proche des marginaux, effectivement. si on peut les appeler comme ça. Et puis, toujours dans ce rapport photographique, je crois que la photographie, c'est un petit peu un miroir sur soi aussi. Donc, on est toujours, en fait, inconsciemment. Peut-être que c'est toujours un peu une recherche de soi. Donc, on ne le maîtrise pas forcément. Et tant mieux.

  • Speaker #1

    Comment qualifierais-tu ton univers photographique ?

  • Speaker #2

    C'est une question difficile. J'espère qu'il parle de lui-même. Mais je crois que ce qui est important, en tout cas, dans cet univers, c'est l'authenticité, en tout cas la sincérité que j'ai dans les relations. avec les personnes que je photographie, avec les sujets que j'aborde, avec les questions que je me pose. Je crois que la photographie, c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges. Et donc, j'ai besoin d'être dans quelque chose d'authentique.

  • Speaker #1

    Et pourquoi avoir choisi la photographie par rapport à ce que tu viens de dire, si c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges et que tu es à la recherche d'une... au fond d'authenticité ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'il y a deux choses. Je crois que déjà, j'aime bien le challenge m'amuse. Je crois que, voilà, cette recherche de la vérité, elle est assez... Enfin, elle est infinie, quoi. Surtout avec un médium pareil. Et puis, la deuxième chose, c'est que je crois que si j'étais meilleure peintre, je serais peintre. J'ai un profond respect et amour pour la peinture. Je crois que c'est... En tout cas, je ressens beaucoup plus de véracité. Je crois qu'il y a quelque chose ... de divin dans la peinture que je retrouve moins dans la photographie. Évidemment, c'est un médium que j'aime profondément, mais voilà, cette question de véracité et d'authenticité, c'est quelque chose qui me pose souci beaucoup, en tout cas que je remets en question en permanence.

  • Speaker #1

    Quel est ton nouveau sujet d'immersion ? Chloé, le Japon va rester présent, il restera toute ta vie. Tu as une partie du Japon dans ta peau.

  • Speaker #2

    Oui.

  • Speaker #1

    Mais tu travailles en ce moment au Mexique et est-ce que tu peux... commencer à dévoiler un peu ce que tu fais au Mexique. Parce que c'est nouveau, c'est ce que je disais, deux salles, deux ambiances.

  • Speaker #2

    Deux salles, deux ambiances, tout à fait. Le Mexique, c'est arrivé un peu par hasard aussi, au départ. Mon premier voyage, pendant le Covid, je crois que c'était un des pays qui était resté ouvert sur la carte. Donc je suis allée. Sachant que j'ai toujours eu envie de découvrir cet endroit. Et lors du deuxième voyage, j'ai commencé à faire des images. C'était une période un petit peu compliquée émotionnellement. J'avais vraiment besoin de me rattacher à la photographie. Qui est toujours là quand on a besoin. Donc voilà, j'ai commencé quelque chose. Tout honnêtement. sans trop savoir ce que je faisais. Il m'arrive de faire vraiment des mises en scène, en photo, mais c'est quelque chose que je n'ai quasiment pas fait dans le travail que j'ai fait au Japon, mais que je faisais avant. J'ai commencé à faire des reproductions de divinités, de vierges qui me parlaient plus que d'autres. C'est pas mal de temps à Waraka, donc il y a des divinités que j'ai découvertes. qui sont un peu des divinités locales, comme la Vierge de la Solitude, la Vierge de la Rukila, et donc la Guadalupe, qui est vraiment nationale. Enfin bref, j'ai commencé à mettre les pieds dedans et ça a été un peu une boîte de Pandore. Le Mexique en général, c'est un pays qui me fascine profondément. Et puis c'est divin, ce Mexique. Je ne sais pas si tu connais.

  • Speaker #1

    Je ne le connais pas du tout.

  • Speaker #2

    C'est incroyable. C'est à la fois plein de contradictions. C'est d'une beauté rare. Encore une fois, je crois que c'est des nouveaux challenges. C'est une nouvelle culture. Et du coup, c'est aussi des... Des nouvelles relations, des nouvelles relations humaines ?

  • Speaker #1

    Quand tu dis que tu as travaillé avant le Japon sur des mises en scène et que là tu recommences un peu en faisant des reproductions de divinités, c'est que concrètement tu fais des mises en scène avec des personnes mexicaines que tu mets en scène pour reproduire des divinités.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, ça peut arriver d'avoir une idée, un genre de vision, une idée, un désir de créer l'image. Et par exemple, l'image de laquelle je peux parler, c'est la Guadalupe. Parce que j'ai fabriqué le costume. Bon, il ne faut pas regarder de trop près, mais c'est un peu collé. Voilà, c'est fait à la main, sans trop d'expérience. Mais disons que c'est une image que j'ai construite. Et j'avais envie, en fait, que les modèles... Alors, pas tous, mais par exemple, sur la Guadalupe, c'est une personne que j'ai rencontrée la nuit, qui s'appelle Roma, et c'est une personne trans. Et voilà, j'avais très envie de l'incarner dans la Guadalupe, je pense dans ce désir de la rendre visible, et de la rendre visible vraiment en haut, dans tout ce que... Enfin, la Guadalupe, c'est vraiment, je ne sais pas, c'est une vierge qui est vraiment adorée au Mexique, donc voilà, lui donner la visibilité...

  • Speaker #1

    Suprême.

  • Speaker #2

    Suprême, voilà, c'est ça.

  • Speaker #1

    Du coup, c'est très, très différent de... finalement de l'approche photographique que tu avais au Japon.

  • Speaker #2

    Bien sûr, c'est pour ça, je pense que l'immersion que j'ai eue au Japon, elle est singulière dans ma vie. Franchement, j'ai vécu vraiment sept ans extrêmement intenses. Je crois que si je le reproduisais, je ne sais pas si j'en sortirais un thème. C'était quand même une drôle de vie. Donc voilà, moi j'ai pas envie d'être dans une case quoi, c'est vrai que...

  • Speaker #0

    Je me laisse cette liberté pour le Mexique. Mais effectivement, je suis déjà allée deux fois, je suis partie là un mois et demi, et je vais avoir la nécessité d'y retourner. Parce que de toute façon, ça n'enlève pas quand même le fil conducteur qui est de construire des rapports un peu profonds, de créer un vrai échange. Et je crois que pour créer un vrai échange, j'étais quand même face à deux... à de nouveaux challenges, une nouvelle langue, une nouvelle culture. On n'a pas du tout la même approche. Je ne voudrais pas créer quelque chose de trop superficiel ou de trop exotique. Et puis encore une fois, on est obligé de s'adapter, je pense, à l'histoire du pays.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu travailles avec un fixeur ? Les fixeurs, c'est des personnes qui nous aident dans les pays à rencontrer les personnes que l'on souhaite photographier. Au Japon, même au Japon, tu travaillais sans fixeur.

  • Speaker #0

    Au Japon, sans fixeur. Vraiment sans fixeur et je crois que c'était essentiel. Bon déjà parce qu'au fait au début j'ai un peu cherché, mais personne ne voulait... Enfin, vraiment, je me suis retrouvée à que des portes fermées quand j'ai parlé de ce projet de femme de diaposat. C'était folle. Ouais, ouais, non, personne ne voulait se mouiller à ça. Enfin, voilà, non. Donc, j'ai dit, bon, ben, j'y vais toute seule.

  • Speaker #1

    C'était très bien, finalement.

  • Speaker #0

    Et c'était très bien.

  • Speaker #1

    C'était une évidence.

  • Speaker #0

    Exactement. Ouais, c'était très bien. C'était comme ça que ça devait se faire. Pour le Mexique, je travaille avec un fixeur. Pour la première fois, j'ai eu la chance de vraiment rencontrer quelqu'un qui me correspond. parfaitement bien donc c'est extrêmement agréable de travailler avec lui. C'est quelqu'un de Waraka, qui est photographe aussi donc c'est très agréable en fait quand on se comprend bien. Et puis le Mexique c'est quand même un pays qui est un peu plus dangereux que le Japon. Donc c'est un peu plus limitant à certains endroits. Aussi bien ça a été une force pour moi d'être une femme photographe au Japon, aussi bien là au Mexique, c'est limitant à d'autres endroits. Je ne m'amuserais pas à faire des images n'importe où, à n'importe quelle heure et n'importe comment.

  • Speaker #1

    Sans aucune transition, Chloé, pour conclure cette conversation, est-ce que tu pourrais me dire qui est Morika dont les photos sur ton site m'ont beaucoup interpellée ?

  • Speaker #0

    Morika, c'est le prénom de cette jeune femme, cette jeune artiste d'Okinawa. On s'est rencontrées à Okinawa. On était toutes les deux troublées, à des moments un peu compliqués, je pense, chacune dans nos vies. Moi, je commençais un traitement assez... assez lourde d'anxiolithique et antidépresseur, un petit cocktail assez...

  • Speaker #1

    D'étonnant.

  • Speaker #0

    Assez d'étonnant. Et Morika, c'est aussi une personne, je ne sais pas trop si je peux en parler, mais en fait, qui a des troubles par rapport à la... À la réalité, c'est-à-dire que ça lui arrive de voir ou d'entendre des choses. Elle était aussi sous traitement. Et voilà, c'était assez évident. Quand on s'est vus, on a eu envie de s'amuser ensemble, de faire quelque chose de manière complètement libre. Et voilà, on s'est retrouvés dans cet... Je crois que c'était un hôtel désaffecté. Et on a décidé de mélanger un peu les médiums, de se photographier. Ensuite, au moins, j'ai fait des polaroïds sur lesquels elle a dessiné. Ensuite, on a fait des images ensemble. Ensuite, elle m'a dessiné. Il y avait aussi ce travail sur les corps, donc elle a dessiné sur ma peau. Voilà, et donc de manière assez libre, on s'est exploré. On a exploré, je pense, nos mots aussi. Et on a résulté une petite exposition à Tokyo où du coup, on a mélangé aussi ses peintures. Elle fait des peintures. Le travail en commun et aussi mes photographies d'elle. C'est un mélange, un petit mélange, une petite collaboration.

  • Speaker #1

    Est-ce que la... Allier vos forces, travailler ensemble, ça a permis une espèce de petite interstice de liberté suprême et d'oublier justement toute la pesanteur de la vie à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. C'était un échappatoire nécessaire.

  • Speaker #1

    Donc la liberté de pouvoir créer est quand même hyper salvatrice.

  • Speaker #0

    Ah oui, je crois. Ouais. Enfin, moi, je me suis rattrapée comme ça, je pense, à ce moment-là de ma vie. J'avais plus de repères. C'était ça ou rien, quoi.

  • Speaker #1

    La place que tu donnes à toutes ces femmes dans tes photographies, est-ce que c'est une quête ? Est-ce que c'est une revendication ? Ou est-ce que c'est tout à fait autre chose ?

  • Speaker #0

    Je crois que c'est une évidence, en fait. Je crois que c'est une évidence. Je me sens profondément féministe, bien que je ne sois pas activiste. Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. Et je pense que ça va aussi un petit peu avec ma volonté de donner la place à ceux qui n'en ont pas, pas eu ou pas assez, ou une visibilité, une voix. Et les femmes en font largement partie, même si je suis convaincue que ça va changer, mais c'est une évidence. C'est une évidence pour moi, oui. Et puis aussi, je pense que c'est en lien avec le fait d'être dans cette recherche d'authenticité. Et je pense que quand on passe beaucoup de temps, comme je disais, je crois que c'est un peu aussi un miroir de soi. Donc oui, encore une fois, c'est évident.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Chloé.

  • Speaker #0

    Merci Maud.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode, j'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudbernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

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Description

J’ai découvert Chloé Jafé à Paris Photo en novembre 2023. 

Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise éditée par une tout aussi magnifique maison d’édition, The (M).

Cette trilogie, intitulée Sakasa et composée de trois chapitres, met en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon où Chloé a vécu pendant dix ans. 

Une immersion dans le monde des femmes de yakuzas, une errance sentimentale qui prend la forme d’un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au coeur de l’un des quartiers les plus dangereux d’Osaka, 

Les vies et les sujets de Chloé s’entremêlent. La frontière est poreuse.

Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture photographique à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle.


Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge à travers le prisme souverain de l’iconographie religieuse propre à ce pays. 


Dans cet épisode, nous parlerons du Japon et du Mexique, de la liberté et de la peinture et bien sûr des femmes.


Des Clics, un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour ce sixième épisode de Déclic, et oui, ça fait déjà six mois, je reçois Chloé Jaffé dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. C'est la première fois que l'on se rencontre, mais ça fait très longtemps que je voulais l'interviewer. Depuis le début, je crois, car nos premiers échanges datent d'il y a tout juste un an. J'ai découvert Chloé à Paris Photo en novembre 2023. Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise édité par une tout aussi magnifique maison d'édition, VM. Cette trilogie, intitulée Sakasa, est composée de trois chapitres, mais en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon, où Chloé a vécu pendant dix ans. Une immersion dans le monde des femmes de Yakuza, une errance sentimentale qui prend la forme d'un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au cœur de l'un des quartiers les plus dangereux d'Osaka, Les vies et les sujets de Chloé s'entremêlent. Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle. Ses proches disent d'elle qu'elle photographie avec son ventre, je m'aventurerais même à dire qu'elle photographie avec ses tripes. Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge, à travers le prisme souverain de l'iconographie religieuse propre à ce pays. Notre rendez-vous est fixé au retour de son dernier voyage mexicain. Je suis donc très heureuse de l'entendre frapper à la porte du studio, heureuse et impatiente. Elle apparaît, petit brin de femme, cheveux longs et noirs, regard perçant. Je suis tout de suite frappée par ce mélange improbable de charisme et de pudeur, et je l'imagine parfaitement, tel un petit caméléon, vivre toutes ses vies intenses et passionnantes. Je vous souhaite une très bonne écoute en notre compagnie.

  • Speaker #1

    Bonjour Chloé, je suis ravie de t'accueillir aujourd'hui à la Cité Audacieuse. Ça fait plusieurs mois qu'on échange et on a attendu le bon moment pour se retrouver. Et le bon moment, c'est un début d'année 2025, après une fin d'année 2024 que tu as passé au Mexique pour travailler sur ta prochaine série. Qu'est-ce qui t'empêche de dormir à la nuit, Chloé ?

  • Speaker #2

    C'est une question intéressante parce que j'ai toujours plutôt très bien dormi. Et c'est vrai que ces derniers temps, je fais pas mal d'insomnie. Je me réveille au milieu de la nuit et je perds le sommeil. Je crois qu'il y a plusieurs choses. Je crois qu'effectivement, l'actualité déjà, le climat... qu'il y a en ce moment. Et puis évidemment, mes problématiques, on va dire, personnelles qui tournent un peu. On n'est jamais très loin de l'angoisse quand même.

  • Speaker #1

    Sans te connaître personnellement à travers ton œuvre, les sujets que tu traites, la façon de les traiter et ta présence sur les réseaux sociaux, parce que c'est aussi comme ça que je t'ai un peu découvert. Je me suis faite l'image d'une femme extrêmement libre et d'une femme qui lutte pour sa liberté et qui revendique sa liberté. Est-ce que je suis dans le juste ?

  • Speaker #2

    C'est plutôt pas mal. Je ne sais pas si je la revendique cette liberté, mais je crois que depuis que je suis petite, j'y ai pas mal goûté et que c'est assez addictif. C'est assez dur de s'en séparer. Bien que la liberté puisse avoir un goût un peu amer parfois aussi, ou puisse être aussi un peu douloureuse. Ce n'est pas une solution, mais c'est aussi magnifique, la liberté. Je veux dire, c'est une chance et c'est aussi un choix. C'est pas mal de choses.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que c'est pour toi la liberté ?

  • Speaker #2

    La liberté, c'est de pouvoir monter dans un avion demain, si j'ai envie, ou si j'ai besoin. C'est de ne pas avoir trop d'attaches ou de contraintes.

  • Speaker #1

    Et quels sont les choix ? que t'as fait dans ta vie pour être libre ou pour rester libre jusqu'à aujourd'hui ?

  • Speaker #2

    Déjà, je pense que j'ai fait le choix de ce métier qui est très insécurisant. J'ai fait le choix de ne pas être... salarié dans un bureau. Je ne sais pas, en fait, c'est un peu un tout. Je n'ai pas eu d'adresse depuis que je suis rentrée du Japon. Ce qui est à la fois très excitant et très riche, et à la fois très inconfortable et très insécurisant. En fait, il y a pas mal de paradoxes dans cette liberté. Bien que moi, en tout cas, je la choisirais toujours, cette liberté, parce qu'elle me permet d'avancer. C'est comme ça que je me sens vivante. Je ne pourrais pas vivre autrement, mais elle a un prix. Elle a forcément un prix, comme tout. Il n'y a pas de solution. On finit toujours par payer ce qu'on choisit.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu pourrais me parler de ta découverte de la photographie ? Comment t'es arrivée à la photographie ?

  • Speaker #2

    Moi j'ai un père photographe, donc ça a été forcément une première introduction, notamment dans son labo, où j'ai pu découvrir la magie de la photographie noir et blanc avec lui. et puis Assez rapidement, je me suis plutôt tournée vers les arts plastiques. J'ai un peu hésité entre les beaux-arts de Lyon et puis une école de photo. Et à l'époque, il y avait encore une dimension très artisanale de la photo. Et donc je me suis tournée vers une école de photo à Lyon, sachant que le numérique était assez nouveau et qu'on n'y croyait pas trop encore. Donc, on apprenait le labo, les flashs, la lumière, tout ça.

  • Speaker #1

    Et après ton école, tu as commencé directement à te lancer ?

  • Speaker #2

    Et après l'école, en fait, à l'époque, on disait que c'était bien d'apprendre des autres, d'être sur le terrain. Donc, je m'étais fait conseiller, il fallait absolument que je me fasse embaucher au studio Pin-Up à Paris, qui était quand même une référence. Et donc, j'ai été embauchée comme assistante de plateau pendant deux ans. C'est un job un peu particulier. On arrive, on est les premiers sur le plateau le matin. Il faut aussi bien faire, je veux dire, installer la lumière, faire le ménage, gérer les cafés, la lumière. C'est un peu un job couteau suisse, où on apprend beaucoup, mais qui reste quand même assez ingrat. Et j'ai fait cette expérience pendant deux ans. Donc c'était surtout, on faisait beaucoup de mode. donc j'ai pu voir Pierrot Tuscany, des grands photographes, Mondino. Bref, j'en passe. Vraiment, il y avait les pointures de l'époque qui venaient shooter. Mais c'est vrai que je me suis vite sentie quand même un peu... Je ne me reconnaissais pas dans ce milieu de la mode. Il me manquait quand même quelque chose. Donc, j'ai eu envie de partir. Et puis j'ai fait cette rencontre avec une photographe lyonnaise qui était de passage à Paris et au cours d'un apéritif qui a un peu trop duré, elle m'a fait la proposition un peu délirante de l'accompagner, de partir ensemble au Japon. Donc ça a été le premier départ et je pense le début d'une page dont je n'aurais pas imaginé les conséquences.

  • Speaker #1

    Tu es restée quelques mois au cours de ce premier voyage et après tu es tout de suite repartie vivre au Japon pendant longtemps ?

  • Speaker #2

    On est partie effectivement je crois à peu près trois mois en sac à dos. A l'époque je photographiais à la chambre donc avec un sac à dos pas très lourd, ça je ne le referais plus. Et puis finalement j'ai fait assez peu de photos mais c'était le... je crois que ça a été le... Le début de la fascination pour le Japon, pour moi, avec le désir très fort d'y retourner. Donc entre-temps, je suis quand même retournée aussi à l'école, avant de retourner vivre au Japon. J'ai vécu à Londres pendant quatre ans, et donc je suis retournée dans une école. C'était une école d'art, c'était la Saint-Martin School. Ça m'a permis d'avoir, je ne sais pas, une autre ouverture, un autre regard sur la photo, comme une mise à jour un peu. Et puis, suite à ça, j'ai fait un petit passage à Paris Express. Et après une rupture, je me suis envolée pour le Japon avec un visa vacances-travail. Et donc, j'ai été censée partir un an dans l'idée de faire ce premier travail sur les femmes de Yakuza.

  • Speaker #1

    Ok, tu avais déjà en tête ce projet que tu avais mûri après ton premier voyage de trois mois.

  • Speaker #2

    C'est ça. Entre temps, je suis repartie une fois pour mon projet de fin d'année à l'école de Londres. Je suis repartie quelques semaines. J'avais fait deux voyages au Japon.

  • Speaker #1

    Tu as travaillé pendant une grosse dizaine d'années au Japon sur trois grandes séries qui existent en tant que trilogie chez Viam Edition.

  • Speaker #2

    est-ce que tu pourrais juste me faire un petit résumé assez succinct de tes trois séries japonaises alors je vais essayer d'être succincte le plus possible le premier volet ça s'appelle I give you my life et c'est sur mon immersion dans le monde des femmes de Yakuza le deuxième volet s'appelle Okinawa mon amour et comme son nom l'indique ça se passe à Okinawa et c'est un petit peu mon errance, une espèce d'errance romantique à Okinawa. Et le troisième volet s'appelle How I Met Jiro. Et cette fois-ci, on se retrouve à Osaka, dans le quartier de Kamagasaki, qui est un quartier qui a été surtout reconnu comme étant un des quartiers les plus dangereux du Japon, notamment parce qu'il y a beaucoup de gens qui vivent... dans la rue.

  • Speaker #1

    Qui est Giro ?

  • Speaker #2

    Gigi. C'est un ami. Ça a été un guide pour moi. Giro, c'est un ancien... C'est un monsieur qui travaillait pour l'organisation, qui a démissionné.

  • Speaker #1

    Ce que tu appelles l'organisation, c'est pour les Yakuza ?

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. Et puis, il s'est réorienté comme... Je ne sais pas comment on traduit ça. En fait, il fait des yakitoris, donc c'est des petites brochettes de poulet. Il a un stand dans le quartier. Et c'est un cœur sur pattes, tout simplement. Quand on s'est rencontrés, ça a tout de suite... Je ne sais pas. Il y a tout de suite eu une espèce de connexion assez évidente. Et quelque chose d'assez beau. En fait, il a... Il a eu envie de me... Je ne sais pas, peut-être qu'il a vu ma vulnérabilité, je ne sais pas. Enfin, il a eu envie de me protéger. Il y a eu ce rapport-là, en fait, assez vite. Et donc, c'est le lien de tous mes allers-retours dans ce quartier. C'est lui qui m'a guidée. Et puis, c'est le personnage principal de l'histoire. C'était très fort avec Giro. Et puis c'était aussi très... Comment dire ? Les gens nous regardaient beaucoup dans la rue parce qu'en fait, on n'avait rien à faire ensemble, a priori. Enfin, je veux dire, même en amis.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est un monsieur âgé ?

  • Speaker #2

    C'est un monsieur pas si âgé que ça, mais quand même beaucoup plus âgé que moi. Et bon... Il n'a plus de dents. Et puis, il est dans ce quartier-là. Au Japon, c'est assez... Je ne sais pas comment dire. Si on prenait le métro ensemble, il y a des gens qui venaient me demander si ça allait. Voilà, c'était... Et puis, il m'a appris un petit peu le slang de Osaka. Donc, c'est vrai que... Je ne sais pas. Je pense que notre complicité, elle a beaucoup surpris.

  • Speaker #1

    En regardant ton site internet et justement tout le chapitre sur Giro, j'ai été très marquée par la vidéo, le petit film que tu as fait sur lui. C'est très fort. Et j'ai l'impression que juste avec ce tout petit film, tu retranscris énormément de cette relation avec Giro.

  • Speaker #2

    Oui, ça me fait plaisir. Oui, c'est ça.

  • Speaker #1

    Combien d'années t'ont pris chaque série ? Combien d'années tu as passé à travailler sur Les Femmes de Yakuza, à travailler à Okinawa et à travailler à Osaka ?

  • Speaker #2

    C'est une trilogie qui s'est dessinée par elle-même, parce que ce n'était pas du tout décidé. En fait, à un moment donné, je travaillais vraiment sur les trois projets. Alors, le seul chapitre qui était prévu, c'était le dernier, puisque j'ai eu les aides du CNAP. Je pense que j'ai dû passer presque deux ans à Osaka en faisant des allers-retours. C'est une approche un peu différente, c'était la première fois que j'avais des aides, donc quelque part je me sentais un peu responsable. de quand même de produire quelque chose. Chose que, voilà, à Okinawa, j'étais en roue libre complètement. Mais c'est vrai qu'à Okinawa, c'était pas du tout prévu. J'ai parti là-bas un peu par hasard et puis je pensais éventuellement faire des images, justement, voir s'il y avait des femmes de Yakuza. Est-ce qu'il y avait des Yakuza à Okinawa ? J'étais un peu en recherche. Puis ensuite, la vie a fait que c'était autre chose. Et puis je suis retournée nombreuses fois. J'ai eu beaucoup de mal à éditer Okinawa parce que je pense que c'est peut-être le chapitre le plus personnel. Donc j'ai vraiment eu besoin de le digérer. Je pense que j'ai dû faire des allers-retours et travailler pendant peut-être quatre ans. Sur I Give You My Life, effectivement, c'est presque sept ans, ou non, presque dix ans de photos. Pas dans le contrôle, quoi. Enfin, on construit tranquillement.

  • Speaker #1

    Tu construis en même temps que tu grandis ? C'est ça.

  • Speaker #2

    En tout cas, quand j'ai senti que ça se terminait, quand j'avais plus... J'ai eu de l'adrénaline pendant un moment, quand je les photographiais, puis quand c'était devenu trop normal, je faisais un peu trop partie de la famille, je me rendais compte que finalement, je sortais beaucoup moins l'appareil photo, j'y allais plus pour... discuter, passer un moment ensemble. Je sentais que c'était terminé, peut-être.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu retiens de cette décennie au Japon ?

  • Speaker #2

    Ça a été pour moi un peu un voyage initiatique, ce Japon. Donc, je me suis un peu construite là-bas. Et puis, je retiens des valeurs importantes que je ne retrouve pas ailleurs, justement.

  • Speaker #1

    Quelles valeurs ?

  • Speaker #2

    Push ! La loyauté, par exemple. Je crois que la loyauté, c'est quelque chose d'assez rare, qui est beaucoup plus évident au Japon. Et la pudeur, je ne trouve pas le mot, mais d'être humble, c'est rare. Et puis, des valeurs comme le fait de ne pas abandonner. En fait, ce n'est pas très traduisible. Gambarimas, qui est vraiment... Voilà, le fait de donner de son mieux et jusqu'au bout. Non, je crois que ça m'a quand même appris des choses assez essentielles, des valeurs que j'essaie de garder, parce que finalement, là, ça fait quand même quelques années que je suis rentrée. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer, beaucoup plus qu'à partir. Ça a été compliqué, le retour en France. En plus, le Covid a été... Six mois après est arrivé, donc c'était un peu fou. Mais le Japon est derrière, c'est sûr. Et il est devant aussi, parce que je travaille sur l'adaptation d'un film qui va retracer un petit peu mon aventure là-bas. Une fiction à partir d'une histoire vraie.

  • Speaker #1

    Une fiction à partir de ta vie ?

  • Speaker #2

    C'est ça.

  • Speaker #1

    De ta vie en tant que photographe au Japon ?

  • Speaker #2

    Tout à fait.

  • Speaker #1

    Et qui reprendra tes... Tes trois grandes séries, est-ce que c'est...

  • Speaker #2

    Pas forcément, pas forcément.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous en dire un tout petit peu plus ou est-ce que c'est très confidentiel ?

  • Speaker #2

    Je ne crois pas que ce soit trop confidentiel, j'espère pas. En fait, je suis en phase d'écriture, donc c'est encore un petit peu... Enfin, pas tout, mais ça reste à définir. Mais disons que ce sera, je pense, plus un voyage initiatique. Ça sera un peu aussi l'histoire d'une jeune fille qui part se chercher. En fait, on m'a souvent posé la question de pourquoi j'avais eu cette idée qui est un peu folle. Moi, je ne m'en rendais pas compte. Donc ça va être aussi, je pense, l'idée de partir vivre au Japon pour photographier les femmes dans la mafia japonaise.

  • Speaker #1

    Et d'apprendre le japonais. Ça, ce n'est pas fou du tout, mais c'est...

  • Speaker #2

    Oui, il faut avoir beaucoup de détermination,

  • Speaker #1

    apprendre le japonais, travailler dans des...

  • Speaker #2

    Barre d'hôtesse ?

  • Speaker #1

    Barre d'hôtesse, je ne trouvais plus le mot. Vivre la vie d'une femme japonaise, en fait.

  • Speaker #2

    En quelque sorte, dans le corps d'une Française, mais... En fait je crois que c'est tout ça qu'on va essayer de montrer dans le film. C'est aussi cette relation que j'ai tissée avec cette famille. Voilà, cet amour platonique avec ce chef. C'est un peu tout ça ?

  • Speaker #1

    En lisant des choses sur toi, j'ai entendu parler de journalisme gonzo, qui est une méthode d'enquête, en fait, et un style d'écriture journalistique, ne prétendant pas à l'objectivité. Le journaliste étant un des protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne. Un peu comme une Florence Obdin de la photographie. D'où l'importance du temps long pour t'immerger, pour vivre. Ta vie et ton œuvre. Quelle est pour toi la frontière entre ta vie et ton œuvre ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'elle est assez floue. Je crois qu'elle est assez floue. Ça se mélange. Je crois que c'est Suzanne Mezelas qui disait que c'était important qu'il y ait un point d'entrée et un point de sortie dans un travail photo, enfin pour un photographe. Et c'est vrai que j'ai... Moi, j'ai du mal à trouver le point de sortie. Enfin, évidemment, j'arrive quand même à faire vivre un projet et à me rendre compte, à sentir les choses quand j'estime que c'est achevé. Mais c'est vrai que dans la relation que j'ai avec les gens, etc., que je photographie, il y a une continuité. Ça se tisse à ma vie personnelle.

  • Speaker #1

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #2

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #1

    Et t'as un attrait particulier pour les personnes qui vivent en marge ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'en fait, on définit les marginaux, mais peut-être qu'on ne peut être le marginal de quelqu'un d'autre. Je veux dire, inversement. C'est vrai que moi, ça a commencé, en tout cas au Japon. Finalement, je me suis sentie très vite beaucoup plus proche des marginaux. Parce que moi aussi, j'étais étrangère ou marginale. Je ne sais pas bien où placer le curseur, mais en tout cas, c'est vrai que, encore une fois, c'est dans le contexte du Japon, parce que la société japonaise, elle est quand même très particulière. En tout cas, j'étais beaucoup plus proche des marginaux, effectivement. si on peut les appeler comme ça. Et puis, toujours dans ce rapport photographique, je crois que la photographie, c'est un petit peu un miroir sur soi aussi. Donc, on est toujours, en fait, inconsciemment. Peut-être que c'est toujours un peu une recherche de soi. Donc, on ne le maîtrise pas forcément. Et tant mieux.

  • Speaker #1

    Comment qualifierais-tu ton univers photographique ?

  • Speaker #2

    C'est une question difficile. J'espère qu'il parle de lui-même. Mais je crois que ce qui est important, en tout cas, dans cet univers, c'est l'authenticité, en tout cas la sincérité que j'ai dans les relations. avec les personnes que je photographie, avec les sujets que j'aborde, avec les questions que je me pose. Je crois que la photographie, c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges. Et donc, j'ai besoin d'être dans quelque chose d'authentique.

  • Speaker #1

    Et pourquoi avoir choisi la photographie par rapport à ce que tu viens de dire, si c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges et que tu es à la recherche d'une... au fond d'authenticité ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'il y a deux choses. Je crois que déjà, j'aime bien le challenge m'amuse. Je crois que, voilà, cette recherche de la vérité, elle est assez... Enfin, elle est infinie, quoi. Surtout avec un médium pareil. Et puis, la deuxième chose, c'est que je crois que si j'étais meilleure peintre, je serais peintre. J'ai un profond respect et amour pour la peinture. Je crois que c'est... En tout cas, je ressens beaucoup plus de véracité. Je crois qu'il y a quelque chose ... de divin dans la peinture que je retrouve moins dans la photographie. Évidemment, c'est un médium que j'aime profondément, mais voilà, cette question de véracité et d'authenticité, c'est quelque chose qui me pose souci beaucoup, en tout cas que je remets en question en permanence.

  • Speaker #1

    Quel est ton nouveau sujet d'immersion ? Chloé, le Japon va rester présent, il restera toute ta vie. Tu as une partie du Japon dans ta peau.

  • Speaker #2

    Oui.

  • Speaker #1

    Mais tu travailles en ce moment au Mexique et est-ce que tu peux... commencer à dévoiler un peu ce que tu fais au Mexique. Parce que c'est nouveau, c'est ce que je disais, deux salles, deux ambiances.

  • Speaker #2

    Deux salles, deux ambiances, tout à fait. Le Mexique, c'est arrivé un peu par hasard aussi, au départ. Mon premier voyage, pendant le Covid, je crois que c'était un des pays qui était resté ouvert sur la carte. Donc je suis allée. Sachant que j'ai toujours eu envie de découvrir cet endroit. Et lors du deuxième voyage, j'ai commencé à faire des images. C'était une période un petit peu compliquée émotionnellement. J'avais vraiment besoin de me rattacher à la photographie. Qui est toujours là quand on a besoin. Donc voilà, j'ai commencé quelque chose. Tout honnêtement. sans trop savoir ce que je faisais. Il m'arrive de faire vraiment des mises en scène, en photo, mais c'est quelque chose que je n'ai quasiment pas fait dans le travail que j'ai fait au Japon, mais que je faisais avant. J'ai commencé à faire des reproductions de divinités, de vierges qui me parlaient plus que d'autres. C'est pas mal de temps à Waraka, donc il y a des divinités que j'ai découvertes. qui sont un peu des divinités locales, comme la Vierge de la Solitude, la Vierge de la Rukila, et donc la Guadalupe, qui est vraiment nationale. Enfin bref, j'ai commencé à mettre les pieds dedans et ça a été un peu une boîte de Pandore. Le Mexique en général, c'est un pays qui me fascine profondément. Et puis c'est divin, ce Mexique. Je ne sais pas si tu connais.

  • Speaker #1

    Je ne le connais pas du tout.

  • Speaker #2

    C'est incroyable. C'est à la fois plein de contradictions. C'est d'une beauté rare. Encore une fois, je crois que c'est des nouveaux challenges. C'est une nouvelle culture. Et du coup, c'est aussi des... Des nouvelles relations, des nouvelles relations humaines ?

  • Speaker #1

    Quand tu dis que tu as travaillé avant le Japon sur des mises en scène et que là tu recommences un peu en faisant des reproductions de divinités, c'est que concrètement tu fais des mises en scène avec des personnes mexicaines que tu mets en scène pour reproduire des divinités.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, ça peut arriver d'avoir une idée, un genre de vision, une idée, un désir de créer l'image. Et par exemple, l'image de laquelle je peux parler, c'est la Guadalupe. Parce que j'ai fabriqué le costume. Bon, il ne faut pas regarder de trop près, mais c'est un peu collé. Voilà, c'est fait à la main, sans trop d'expérience. Mais disons que c'est une image que j'ai construite. Et j'avais envie, en fait, que les modèles... Alors, pas tous, mais par exemple, sur la Guadalupe, c'est une personne que j'ai rencontrée la nuit, qui s'appelle Roma, et c'est une personne trans. Et voilà, j'avais très envie de l'incarner dans la Guadalupe, je pense dans ce désir de la rendre visible, et de la rendre visible vraiment en haut, dans tout ce que... Enfin, la Guadalupe, c'est vraiment, je ne sais pas, c'est une vierge qui est vraiment adorée au Mexique, donc voilà, lui donner la visibilité...

  • Speaker #1

    Suprême.

  • Speaker #2

    Suprême, voilà, c'est ça.

  • Speaker #1

    Du coup, c'est très, très différent de... finalement de l'approche photographique que tu avais au Japon.

  • Speaker #2

    Bien sûr, c'est pour ça, je pense que l'immersion que j'ai eue au Japon, elle est singulière dans ma vie. Franchement, j'ai vécu vraiment sept ans extrêmement intenses. Je crois que si je le reproduisais, je ne sais pas si j'en sortirais un thème. C'était quand même une drôle de vie. Donc voilà, moi j'ai pas envie d'être dans une case quoi, c'est vrai que...

  • Speaker #0

    Je me laisse cette liberté pour le Mexique. Mais effectivement, je suis déjà allée deux fois, je suis partie là un mois et demi, et je vais avoir la nécessité d'y retourner. Parce que de toute façon, ça n'enlève pas quand même le fil conducteur qui est de construire des rapports un peu profonds, de créer un vrai échange. Et je crois que pour créer un vrai échange, j'étais quand même face à deux... à de nouveaux challenges, une nouvelle langue, une nouvelle culture. On n'a pas du tout la même approche. Je ne voudrais pas créer quelque chose de trop superficiel ou de trop exotique. Et puis encore une fois, on est obligé de s'adapter, je pense, à l'histoire du pays.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu travailles avec un fixeur ? Les fixeurs, c'est des personnes qui nous aident dans les pays à rencontrer les personnes que l'on souhaite photographier. Au Japon, même au Japon, tu travaillais sans fixeur.

  • Speaker #0

    Au Japon, sans fixeur. Vraiment sans fixeur et je crois que c'était essentiel. Bon déjà parce qu'au fait au début j'ai un peu cherché, mais personne ne voulait... Enfin, vraiment, je me suis retrouvée à que des portes fermées quand j'ai parlé de ce projet de femme de diaposat. C'était folle. Ouais, ouais, non, personne ne voulait se mouiller à ça. Enfin, voilà, non. Donc, j'ai dit, bon, ben, j'y vais toute seule.

  • Speaker #1

    C'était très bien, finalement.

  • Speaker #0

    Et c'était très bien.

  • Speaker #1

    C'était une évidence.

  • Speaker #0

    Exactement. Ouais, c'était très bien. C'était comme ça que ça devait se faire. Pour le Mexique, je travaille avec un fixeur. Pour la première fois, j'ai eu la chance de vraiment rencontrer quelqu'un qui me correspond. parfaitement bien donc c'est extrêmement agréable de travailler avec lui. C'est quelqu'un de Waraka, qui est photographe aussi donc c'est très agréable en fait quand on se comprend bien. Et puis le Mexique c'est quand même un pays qui est un peu plus dangereux que le Japon. Donc c'est un peu plus limitant à certains endroits. Aussi bien ça a été une force pour moi d'être une femme photographe au Japon, aussi bien là au Mexique, c'est limitant à d'autres endroits. Je ne m'amuserais pas à faire des images n'importe où, à n'importe quelle heure et n'importe comment.

  • Speaker #1

    Sans aucune transition, Chloé, pour conclure cette conversation, est-ce que tu pourrais me dire qui est Morika dont les photos sur ton site m'ont beaucoup interpellée ?

  • Speaker #0

    Morika, c'est le prénom de cette jeune femme, cette jeune artiste d'Okinawa. On s'est rencontrées à Okinawa. On était toutes les deux troublées, à des moments un peu compliqués, je pense, chacune dans nos vies. Moi, je commençais un traitement assez... assez lourde d'anxiolithique et antidépresseur, un petit cocktail assez...

  • Speaker #1

    D'étonnant.

  • Speaker #0

    Assez d'étonnant. Et Morika, c'est aussi une personne, je ne sais pas trop si je peux en parler, mais en fait, qui a des troubles par rapport à la... À la réalité, c'est-à-dire que ça lui arrive de voir ou d'entendre des choses. Elle était aussi sous traitement. Et voilà, c'était assez évident. Quand on s'est vus, on a eu envie de s'amuser ensemble, de faire quelque chose de manière complètement libre. Et voilà, on s'est retrouvés dans cet... Je crois que c'était un hôtel désaffecté. Et on a décidé de mélanger un peu les médiums, de se photographier. Ensuite, au moins, j'ai fait des polaroïds sur lesquels elle a dessiné. Ensuite, on a fait des images ensemble. Ensuite, elle m'a dessiné. Il y avait aussi ce travail sur les corps, donc elle a dessiné sur ma peau. Voilà, et donc de manière assez libre, on s'est exploré. On a exploré, je pense, nos mots aussi. Et on a résulté une petite exposition à Tokyo où du coup, on a mélangé aussi ses peintures. Elle fait des peintures. Le travail en commun et aussi mes photographies d'elle. C'est un mélange, un petit mélange, une petite collaboration.

  • Speaker #1

    Est-ce que la... Allier vos forces, travailler ensemble, ça a permis une espèce de petite interstice de liberté suprême et d'oublier justement toute la pesanteur de la vie à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. C'était un échappatoire nécessaire.

  • Speaker #1

    Donc la liberté de pouvoir créer est quand même hyper salvatrice.

  • Speaker #0

    Ah oui, je crois. Ouais. Enfin, moi, je me suis rattrapée comme ça, je pense, à ce moment-là de ma vie. J'avais plus de repères. C'était ça ou rien, quoi.

  • Speaker #1

    La place que tu donnes à toutes ces femmes dans tes photographies, est-ce que c'est une quête ? Est-ce que c'est une revendication ? Ou est-ce que c'est tout à fait autre chose ?

  • Speaker #0

    Je crois que c'est une évidence, en fait. Je crois que c'est une évidence. Je me sens profondément féministe, bien que je ne sois pas activiste. Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. Et je pense que ça va aussi un petit peu avec ma volonté de donner la place à ceux qui n'en ont pas, pas eu ou pas assez, ou une visibilité, une voix. Et les femmes en font largement partie, même si je suis convaincue que ça va changer, mais c'est une évidence. C'est une évidence pour moi, oui. Et puis aussi, je pense que c'est en lien avec le fait d'être dans cette recherche d'authenticité. Et je pense que quand on passe beaucoup de temps, comme je disais, je crois que c'est un peu aussi un miroir de soi. Donc oui, encore une fois, c'est évident.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Chloé.

  • Speaker #0

    Merci Maud.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode, j'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudbernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

Description

J’ai découvert Chloé Jafé à Paris Photo en novembre 2023. 

Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise éditée par une tout aussi magnifique maison d’édition, The (M).

Cette trilogie, intitulée Sakasa et composée de trois chapitres, met en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon où Chloé a vécu pendant dix ans. 

Une immersion dans le monde des femmes de yakuzas, une errance sentimentale qui prend la forme d’un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au coeur de l’un des quartiers les plus dangereux d’Osaka, 

Les vies et les sujets de Chloé s’entremêlent. La frontière est poreuse.

Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture photographique à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle.


Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge à travers le prisme souverain de l’iconographie religieuse propre à ce pays. 


Dans cet épisode, nous parlerons du Japon et du Mexique, de la liberté et de la peinture et bien sûr des femmes.


Des Clics, un podcast pour célébrer la force et l'unicité du regard féminin dans la photographie contemporaine.



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Pour ce sixième épisode de Déclic, et oui, ça fait déjà six mois, je reçois Chloé Jaffé dans le studio d'enregistrement de la Cité Audacieuse. C'est la première fois que l'on se rencontre, mais ça fait très longtemps que je voulais l'interviewer. Depuis le début, je crois, car nos premiers échanges datent d'il y a tout juste un an. J'ai découvert Chloé à Paris Photo en novembre 2023. Elle y présentait une magnifique trilogie japonaise édité par une tout aussi magnifique maison d'édition, VM. Cette trilogie, intitulée Sakasa, est composée de trois chapitres, mais en lumière des pans méconnus et subversifs du Japon, où Chloé a vécu pendant dix ans. Une immersion dans le monde des femmes de Yakuza, une errance sentimentale qui prend la forme d'un journal intime à Okinawa, une puissante amitié au cœur de l'un des quartiers les plus dangereux d'Osaka, Les vies et les sujets de Chloé s'entremêlent. Toutes ces expériences lui ont permis de développer au fur et à mesure des années une écriture à la fois plasticienne et documentaire, viscéralement personnelle. Ses proches disent d'elle qu'elle photographie avec son ventre, je m'aventurerais même à dire qu'elle photographie avec ses tripes. Chloé travaille actuellement au Mexique sur une nouvelle série intitulée « Divine Mexico » où elle photographie des femmes en marge, à travers le prisme souverain de l'iconographie religieuse propre à ce pays. Notre rendez-vous est fixé au retour de son dernier voyage mexicain. Je suis donc très heureuse de l'entendre frapper à la porte du studio, heureuse et impatiente. Elle apparaît, petit brin de femme, cheveux longs et noirs, regard perçant. Je suis tout de suite frappée par ce mélange improbable de charisme et de pudeur, et je l'imagine parfaitement, tel un petit caméléon, vivre toutes ses vies intenses et passionnantes. Je vous souhaite une très bonne écoute en notre compagnie.

  • Speaker #1

    Bonjour Chloé, je suis ravie de t'accueillir aujourd'hui à la Cité Audacieuse. Ça fait plusieurs mois qu'on échange et on a attendu le bon moment pour se retrouver. Et le bon moment, c'est un début d'année 2025, après une fin d'année 2024 que tu as passé au Mexique pour travailler sur ta prochaine série. Qu'est-ce qui t'empêche de dormir à la nuit, Chloé ?

  • Speaker #2

    C'est une question intéressante parce que j'ai toujours plutôt très bien dormi. Et c'est vrai que ces derniers temps, je fais pas mal d'insomnie. Je me réveille au milieu de la nuit et je perds le sommeil. Je crois qu'il y a plusieurs choses. Je crois qu'effectivement, l'actualité déjà, le climat... qu'il y a en ce moment. Et puis évidemment, mes problématiques, on va dire, personnelles qui tournent un peu. On n'est jamais très loin de l'angoisse quand même.

  • Speaker #1

    Sans te connaître personnellement à travers ton œuvre, les sujets que tu traites, la façon de les traiter et ta présence sur les réseaux sociaux, parce que c'est aussi comme ça que je t'ai un peu découvert. Je me suis faite l'image d'une femme extrêmement libre et d'une femme qui lutte pour sa liberté et qui revendique sa liberté. Est-ce que je suis dans le juste ?

  • Speaker #2

    C'est plutôt pas mal. Je ne sais pas si je la revendique cette liberté, mais je crois que depuis que je suis petite, j'y ai pas mal goûté et que c'est assez addictif. C'est assez dur de s'en séparer. Bien que la liberté puisse avoir un goût un peu amer parfois aussi, ou puisse être aussi un peu douloureuse. Ce n'est pas une solution, mais c'est aussi magnifique, la liberté. Je veux dire, c'est une chance et c'est aussi un choix. C'est pas mal de choses.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que c'est pour toi la liberté ?

  • Speaker #2

    La liberté, c'est de pouvoir monter dans un avion demain, si j'ai envie, ou si j'ai besoin. C'est de ne pas avoir trop d'attaches ou de contraintes.

  • Speaker #1

    Et quels sont les choix ? que t'as fait dans ta vie pour être libre ou pour rester libre jusqu'à aujourd'hui ?

  • Speaker #2

    Déjà, je pense que j'ai fait le choix de ce métier qui est très insécurisant. J'ai fait le choix de ne pas être... salarié dans un bureau. Je ne sais pas, en fait, c'est un peu un tout. Je n'ai pas eu d'adresse depuis que je suis rentrée du Japon. Ce qui est à la fois très excitant et très riche, et à la fois très inconfortable et très insécurisant. En fait, il y a pas mal de paradoxes dans cette liberté. Bien que moi, en tout cas, je la choisirais toujours, cette liberté, parce qu'elle me permet d'avancer. C'est comme ça que je me sens vivante. Je ne pourrais pas vivre autrement, mais elle a un prix. Elle a forcément un prix, comme tout. Il n'y a pas de solution. On finit toujours par payer ce qu'on choisit.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu pourrais me parler de ta découverte de la photographie ? Comment t'es arrivée à la photographie ?

  • Speaker #2

    Moi j'ai un père photographe, donc ça a été forcément une première introduction, notamment dans son labo, où j'ai pu découvrir la magie de la photographie noir et blanc avec lui. et puis Assez rapidement, je me suis plutôt tournée vers les arts plastiques. J'ai un peu hésité entre les beaux-arts de Lyon et puis une école de photo. Et à l'époque, il y avait encore une dimension très artisanale de la photo. Et donc je me suis tournée vers une école de photo à Lyon, sachant que le numérique était assez nouveau et qu'on n'y croyait pas trop encore. Donc, on apprenait le labo, les flashs, la lumière, tout ça.

  • Speaker #1

    Et après ton école, tu as commencé directement à te lancer ?

  • Speaker #2

    Et après l'école, en fait, à l'époque, on disait que c'était bien d'apprendre des autres, d'être sur le terrain. Donc, je m'étais fait conseiller, il fallait absolument que je me fasse embaucher au studio Pin-Up à Paris, qui était quand même une référence. Et donc, j'ai été embauchée comme assistante de plateau pendant deux ans. C'est un job un peu particulier. On arrive, on est les premiers sur le plateau le matin. Il faut aussi bien faire, je veux dire, installer la lumière, faire le ménage, gérer les cafés, la lumière. C'est un peu un job couteau suisse, où on apprend beaucoup, mais qui reste quand même assez ingrat. Et j'ai fait cette expérience pendant deux ans. Donc c'était surtout, on faisait beaucoup de mode. donc j'ai pu voir Pierrot Tuscany, des grands photographes, Mondino. Bref, j'en passe. Vraiment, il y avait les pointures de l'époque qui venaient shooter. Mais c'est vrai que je me suis vite sentie quand même un peu... Je ne me reconnaissais pas dans ce milieu de la mode. Il me manquait quand même quelque chose. Donc, j'ai eu envie de partir. Et puis j'ai fait cette rencontre avec une photographe lyonnaise qui était de passage à Paris et au cours d'un apéritif qui a un peu trop duré, elle m'a fait la proposition un peu délirante de l'accompagner, de partir ensemble au Japon. Donc ça a été le premier départ et je pense le début d'une page dont je n'aurais pas imaginé les conséquences.

  • Speaker #1

    Tu es restée quelques mois au cours de ce premier voyage et après tu es tout de suite repartie vivre au Japon pendant longtemps ?

  • Speaker #2

    On est partie effectivement je crois à peu près trois mois en sac à dos. A l'époque je photographiais à la chambre donc avec un sac à dos pas très lourd, ça je ne le referais plus. Et puis finalement j'ai fait assez peu de photos mais c'était le... je crois que ça a été le... Le début de la fascination pour le Japon, pour moi, avec le désir très fort d'y retourner. Donc entre-temps, je suis quand même retournée aussi à l'école, avant de retourner vivre au Japon. J'ai vécu à Londres pendant quatre ans, et donc je suis retournée dans une école. C'était une école d'art, c'était la Saint-Martin School. Ça m'a permis d'avoir, je ne sais pas, une autre ouverture, un autre regard sur la photo, comme une mise à jour un peu. Et puis, suite à ça, j'ai fait un petit passage à Paris Express. Et après une rupture, je me suis envolée pour le Japon avec un visa vacances-travail. Et donc, j'ai été censée partir un an dans l'idée de faire ce premier travail sur les femmes de Yakuza.

  • Speaker #1

    Ok, tu avais déjà en tête ce projet que tu avais mûri après ton premier voyage de trois mois.

  • Speaker #2

    C'est ça. Entre temps, je suis repartie une fois pour mon projet de fin d'année à l'école de Londres. Je suis repartie quelques semaines. J'avais fait deux voyages au Japon.

  • Speaker #1

    Tu as travaillé pendant une grosse dizaine d'années au Japon sur trois grandes séries qui existent en tant que trilogie chez Viam Edition.

  • Speaker #2

    est-ce que tu pourrais juste me faire un petit résumé assez succinct de tes trois séries japonaises alors je vais essayer d'être succincte le plus possible le premier volet ça s'appelle I give you my life et c'est sur mon immersion dans le monde des femmes de Yakuza le deuxième volet s'appelle Okinawa mon amour et comme son nom l'indique ça se passe à Okinawa et c'est un petit peu mon errance, une espèce d'errance romantique à Okinawa. Et le troisième volet s'appelle How I Met Jiro. Et cette fois-ci, on se retrouve à Osaka, dans le quartier de Kamagasaki, qui est un quartier qui a été surtout reconnu comme étant un des quartiers les plus dangereux du Japon, notamment parce qu'il y a beaucoup de gens qui vivent... dans la rue.

  • Speaker #1

    Qui est Giro ?

  • Speaker #2

    Gigi. C'est un ami. Ça a été un guide pour moi. Giro, c'est un ancien... C'est un monsieur qui travaillait pour l'organisation, qui a démissionné.

  • Speaker #1

    Ce que tu appelles l'organisation, c'est pour les Yakuza ?

  • Speaker #2

    Oui, c'est ça. Et puis, il s'est réorienté comme... Je ne sais pas comment on traduit ça. En fait, il fait des yakitoris, donc c'est des petites brochettes de poulet. Il a un stand dans le quartier. Et c'est un cœur sur pattes, tout simplement. Quand on s'est rencontrés, ça a tout de suite... Je ne sais pas. Il y a tout de suite eu une espèce de connexion assez évidente. Et quelque chose d'assez beau. En fait, il a... Il a eu envie de me... Je ne sais pas, peut-être qu'il a vu ma vulnérabilité, je ne sais pas. Enfin, il a eu envie de me protéger. Il y a eu ce rapport-là, en fait, assez vite. Et donc, c'est le lien de tous mes allers-retours dans ce quartier. C'est lui qui m'a guidée. Et puis, c'est le personnage principal de l'histoire. C'était très fort avec Giro. Et puis c'était aussi très... Comment dire ? Les gens nous regardaient beaucoup dans la rue parce qu'en fait, on n'avait rien à faire ensemble, a priori. Enfin, je veux dire, même en amis.

  • Speaker #1

    Est-ce que c'est un monsieur âgé ?

  • Speaker #2

    C'est un monsieur pas si âgé que ça, mais quand même beaucoup plus âgé que moi. Et bon... Il n'a plus de dents. Et puis, il est dans ce quartier-là. Au Japon, c'est assez... Je ne sais pas comment dire. Si on prenait le métro ensemble, il y a des gens qui venaient me demander si ça allait. Voilà, c'était... Et puis, il m'a appris un petit peu le slang de Osaka. Donc, c'est vrai que... Je ne sais pas. Je pense que notre complicité, elle a beaucoup surpris.

  • Speaker #1

    En regardant ton site internet et justement tout le chapitre sur Giro, j'ai été très marquée par la vidéo, le petit film que tu as fait sur lui. C'est très fort. Et j'ai l'impression que juste avec ce tout petit film, tu retranscris énormément de cette relation avec Giro.

  • Speaker #2

    Oui, ça me fait plaisir. Oui, c'est ça.

  • Speaker #1

    Combien d'années t'ont pris chaque série ? Combien d'années tu as passé à travailler sur Les Femmes de Yakuza, à travailler à Okinawa et à travailler à Osaka ?

  • Speaker #2

    C'est une trilogie qui s'est dessinée par elle-même, parce que ce n'était pas du tout décidé. En fait, à un moment donné, je travaillais vraiment sur les trois projets. Alors, le seul chapitre qui était prévu, c'était le dernier, puisque j'ai eu les aides du CNAP. Je pense que j'ai dû passer presque deux ans à Osaka en faisant des allers-retours. C'est une approche un peu différente, c'était la première fois que j'avais des aides, donc quelque part je me sentais un peu responsable. de quand même de produire quelque chose. Chose que, voilà, à Okinawa, j'étais en roue libre complètement. Mais c'est vrai qu'à Okinawa, c'était pas du tout prévu. J'ai parti là-bas un peu par hasard et puis je pensais éventuellement faire des images, justement, voir s'il y avait des femmes de Yakuza. Est-ce qu'il y avait des Yakuza à Okinawa ? J'étais un peu en recherche. Puis ensuite, la vie a fait que c'était autre chose. Et puis je suis retournée nombreuses fois. J'ai eu beaucoup de mal à éditer Okinawa parce que je pense que c'est peut-être le chapitre le plus personnel. Donc j'ai vraiment eu besoin de le digérer. Je pense que j'ai dû faire des allers-retours et travailler pendant peut-être quatre ans. Sur I Give You My Life, effectivement, c'est presque sept ans, ou non, presque dix ans de photos. Pas dans le contrôle, quoi. Enfin, on construit tranquillement.

  • Speaker #1

    Tu construis en même temps que tu grandis ? C'est ça.

  • Speaker #2

    En tout cas, quand j'ai senti que ça se terminait, quand j'avais plus... J'ai eu de l'adrénaline pendant un moment, quand je les photographiais, puis quand c'était devenu trop normal, je faisais un peu trop partie de la famille, je me rendais compte que finalement, je sortais beaucoup moins l'appareil photo, j'y allais plus pour... discuter, passer un moment ensemble. Je sentais que c'était terminé, peut-être.

  • Speaker #1

    Et qu'est-ce que tu retiens de cette décennie au Japon ?

  • Speaker #2

    Ça a été pour moi un peu un voyage initiatique, ce Japon. Donc, je me suis un peu construite là-bas. Et puis, je retiens des valeurs importantes que je ne retrouve pas ailleurs, justement.

  • Speaker #1

    Quelles valeurs ?

  • Speaker #2

    Push ! La loyauté, par exemple. Je crois que la loyauté, c'est quelque chose d'assez rare, qui est beaucoup plus évident au Japon. Et la pudeur, je ne trouve pas le mot, mais d'être humble, c'est rare. Et puis, des valeurs comme le fait de ne pas abandonner. En fait, ce n'est pas très traduisible. Gambarimas, qui est vraiment... Voilà, le fait de donner de son mieux et jusqu'au bout. Non, je crois que ça m'a quand même appris des choses assez essentielles, des valeurs que j'essaie de garder, parce que finalement, là, ça fait quand même quelques années que je suis rentrée. J'ai eu beaucoup de mal à rentrer, beaucoup plus qu'à partir. Ça a été compliqué, le retour en France. En plus, le Covid a été... Six mois après est arrivé, donc c'était un peu fou. Mais le Japon est derrière, c'est sûr. Et il est devant aussi, parce que je travaille sur l'adaptation d'un film qui va retracer un petit peu mon aventure là-bas. Une fiction à partir d'une histoire vraie.

  • Speaker #1

    Une fiction à partir de ta vie ?

  • Speaker #2

    C'est ça.

  • Speaker #1

    De ta vie en tant que photographe au Japon ?

  • Speaker #2

    Tout à fait.

  • Speaker #1

    Et qui reprendra tes... Tes trois grandes séries, est-ce que c'est...

  • Speaker #2

    Pas forcément, pas forcément.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu peux nous en dire un tout petit peu plus ou est-ce que c'est très confidentiel ?

  • Speaker #2

    Je ne crois pas que ce soit trop confidentiel, j'espère pas. En fait, je suis en phase d'écriture, donc c'est encore un petit peu... Enfin, pas tout, mais ça reste à définir. Mais disons que ce sera, je pense, plus un voyage initiatique. Ça sera un peu aussi l'histoire d'une jeune fille qui part se chercher. En fait, on m'a souvent posé la question de pourquoi j'avais eu cette idée qui est un peu folle. Moi, je ne m'en rendais pas compte. Donc ça va être aussi, je pense, l'idée de partir vivre au Japon pour photographier les femmes dans la mafia japonaise.

  • Speaker #1

    Et d'apprendre le japonais. Ça, ce n'est pas fou du tout, mais c'est...

  • Speaker #2

    Oui, il faut avoir beaucoup de détermination,

  • Speaker #1

    apprendre le japonais, travailler dans des...

  • Speaker #2

    Barre d'hôtesse ?

  • Speaker #1

    Barre d'hôtesse, je ne trouvais plus le mot. Vivre la vie d'une femme japonaise, en fait.

  • Speaker #2

    En quelque sorte, dans le corps d'une Française, mais... En fait je crois que c'est tout ça qu'on va essayer de montrer dans le film. C'est aussi cette relation que j'ai tissée avec cette famille. Voilà, cet amour platonique avec ce chef. C'est un peu tout ça ?

  • Speaker #1

    En lisant des choses sur toi, j'ai entendu parler de journalisme gonzo, qui est une méthode d'enquête, en fait, et un style d'écriture journalistique, ne prétendant pas à l'objectivité. Le journaliste étant un des protagonistes de son reportage et écrivant celui-ci à la première personne. Un peu comme une Florence Obdin de la photographie. D'où l'importance du temps long pour t'immerger, pour vivre. Ta vie et ton œuvre. Quelle est pour toi la frontière entre ta vie et ton œuvre ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'elle est assez floue. Je crois qu'elle est assez floue. Ça se mélange. Je crois que c'est Suzanne Mezelas qui disait que c'était important qu'il y ait un point d'entrée et un point de sortie dans un travail photo, enfin pour un photographe. Et c'est vrai que j'ai... Moi, j'ai du mal à trouver le point de sortie. Enfin, évidemment, j'arrive quand même à faire vivre un projet et à me rendre compte, à sentir les choses quand j'estime que c'est achevé. Mais c'est vrai que dans la relation que j'ai avec les gens, etc., que je photographie, il y a une continuité. Ça se tisse à ma vie personnelle.

  • Speaker #1

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #2

    Tout est imbriqué.

  • Speaker #1

    Et t'as un attrait particulier pour les personnes qui vivent en marge ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'en fait, on définit les marginaux, mais peut-être qu'on ne peut être le marginal de quelqu'un d'autre. Je veux dire, inversement. C'est vrai que moi, ça a commencé, en tout cas au Japon. Finalement, je me suis sentie très vite beaucoup plus proche des marginaux. Parce que moi aussi, j'étais étrangère ou marginale. Je ne sais pas bien où placer le curseur, mais en tout cas, c'est vrai que, encore une fois, c'est dans le contexte du Japon, parce que la société japonaise, elle est quand même très particulière. En tout cas, j'étais beaucoup plus proche des marginaux, effectivement. si on peut les appeler comme ça. Et puis, toujours dans ce rapport photographique, je crois que la photographie, c'est un petit peu un miroir sur soi aussi. Donc, on est toujours, en fait, inconsciemment. Peut-être que c'est toujours un peu une recherche de soi. Donc, on ne le maîtrise pas forcément. Et tant mieux.

  • Speaker #1

    Comment qualifierais-tu ton univers photographique ?

  • Speaker #2

    C'est une question difficile. J'espère qu'il parle de lui-même. Mais je crois que ce qui est important, en tout cas, dans cet univers, c'est l'authenticité, en tout cas la sincérité que j'ai dans les relations. avec les personnes que je photographie, avec les sujets que j'aborde, avec les questions que je me pose. Je crois que la photographie, c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges. Et donc, j'ai besoin d'être dans quelque chose d'authentique.

  • Speaker #1

    Et pourquoi avoir choisi la photographie par rapport à ce que tu viens de dire, si c'est un médium qui engendre pas mal de mensonges et que tu es à la recherche d'une... au fond d'authenticité ?

  • Speaker #2

    Je crois qu'il y a deux choses. Je crois que déjà, j'aime bien le challenge m'amuse. Je crois que, voilà, cette recherche de la vérité, elle est assez... Enfin, elle est infinie, quoi. Surtout avec un médium pareil. Et puis, la deuxième chose, c'est que je crois que si j'étais meilleure peintre, je serais peintre. J'ai un profond respect et amour pour la peinture. Je crois que c'est... En tout cas, je ressens beaucoup plus de véracité. Je crois qu'il y a quelque chose ... de divin dans la peinture que je retrouve moins dans la photographie. Évidemment, c'est un médium que j'aime profondément, mais voilà, cette question de véracité et d'authenticité, c'est quelque chose qui me pose souci beaucoup, en tout cas que je remets en question en permanence.

  • Speaker #1

    Quel est ton nouveau sujet d'immersion ? Chloé, le Japon va rester présent, il restera toute ta vie. Tu as une partie du Japon dans ta peau.

  • Speaker #2

    Oui.

  • Speaker #1

    Mais tu travailles en ce moment au Mexique et est-ce que tu peux... commencer à dévoiler un peu ce que tu fais au Mexique. Parce que c'est nouveau, c'est ce que je disais, deux salles, deux ambiances.

  • Speaker #2

    Deux salles, deux ambiances, tout à fait. Le Mexique, c'est arrivé un peu par hasard aussi, au départ. Mon premier voyage, pendant le Covid, je crois que c'était un des pays qui était resté ouvert sur la carte. Donc je suis allée. Sachant que j'ai toujours eu envie de découvrir cet endroit. Et lors du deuxième voyage, j'ai commencé à faire des images. C'était une période un petit peu compliquée émotionnellement. J'avais vraiment besoin de me rattacher à la photographie. Qui est toujours là quand on a besoin. Donc voilà, j'ai commencé quelque chose. Tout honnêtement. sans trop savoir ce que je faisais. Il m'arrive de faire vraiment des mises en scène, en photo, mais c'est quelque chose que je n'ai quasiment pas fait dans le travail que j'ai fait au Japon, mais que je faisais avant. J'ai commencé à faire des reproductions de divinités, de vierges qui me parlaient plus que d'autres. C'est pas mal de temps à Waraka, donc il y a des divinités que j'ai découvertes. qui sont un peu des divinités locales, comme la Vierge de la Solitude, la Vierge de la Rukila, et donc la Guadalupe, qui est vraiment nationale. Enfin bref, j'ai commencé à mettre les pieds dedans et ça a été un peu une boîte de Pandore. Le Mexique en général, c'est un pays qui me fascine profondément. Et puis c'est divin, ce Mexique. Je ne sais pas si tu connais.

  • Speaker #1

    Je ne le connais pas du tout.

  • Speaker #2

    C'est incroyable. C'est à la fois plein de contradictions. C'est d'une beauté rare. Encore une fois, je crois que c'est des nouveaux challenges. C'est une nouvelle culture. Et du coup, c'est aussi des... Des nouvelles relations, des nouvelles relations humaines ?

  • Speaker #1

    Quand tu dis que tu as travaillé avant le Japon sur des mises en scène et que là tu recommences un peu en faisant des reproductions de divinités, c'est que concrètement tu fais des mises en scène avec des personnes mexicaines que tu mets en scène pour reproduire des divinités.

  • Speaker #2

    Oui, en fait, ça peut arriver d'avoir une idée, un genre de vision, une idée, un désir de créer l'image. Et par exemple, l'image de laquelle je peux parler, c'est la Guadalupe. Parce que j'ai fabriqué le costume. Bon, il ne faut pas regarder de trop près, mais c'est un peu collé. Voilà, c'est fait à la main, sans trop d'expérience. Mais disons que c'est une image que j'ai construite. Et j'avais envie, en fait, que les modèles... Alors, pas tous, mais par exemple, sur la Guadalupe, c'est une personne que j'ai rencontrée la nuit, qui s'appelle Roma, et c'est une personne trans. Et voilà, j'avais très envie de l'incarner dans la Guadalupe, je pense dans ce désir de la rendre visible, et de la rendre visible vraiment en haut, dans tout ce que... Enfin, la Guadalupe, c'est vraiment, je ne sais pas, c'est une vierge qui est vraiment adorée au Mexique, donc voilà, lui donner la visibilité...

  • Speaker #1

    Suprême.

  • Speaker #2

    Suprême, voilà, c'est ça.

  • Speaker #1

    Du coup, c'est très, très différent de... finalement de l'approche photographique que tu avais au Japon.

  • Speaker #2

    Bien sûr, c'est pour ça, je pense que l'immersion que j'ai eue au Japon, elle est singulière dans ma vie. Franchement, j'ai vécu vraiment sept ans extrêmement intenses. Je crois que si je le reproduisais, je ne sais pas si j'en sortirais un thème. C'était quand même une drôle de vie. Donc voilà, moi j'ai pas envie d'être dans une case quoi, c'est vrai que...

  • Speaker #0

    Je me laisse cette liberté pour le Mexique. Mais effectivement, je suis déjà allée deux fois, je suis partie là un mois et demi, et je vais avoir la nécessité d'y retourner. Parce que de toute façon, ça n'enlève pas quand même le fil conducteur qui est de construire des rapports un peu profonds, de créer un vrai échange. Et je crois que pour créer un vrai échange, j'étais quand même face à deux... à de nouveaux challenges, une nouvelle langue, une nouvelle culture. On n'a pas du tout la même approche. Je ne voudrais pas créer quelque chose de trop superficiel ou de trop exotique. Et puis encore une fois, on est obligé de s'adapter, je pense, à l'histoire du pays.

  • Speaker #1

    Est-ce que tu travailles avec un fixeur ? Les fixeurs, c'est des personnes qui nous aident dans les pays à rencontrer les personnes que l'on souhaite photographier. Au Japon, même au Japon, tu travaillais sans fixeur.

  • Speaker #0

    Au Japon, sans fixeur. Vraiment sans fixeur et je crois que c'était essentiel. Bon déjà parce qu'au fait au début j'ai un peu cherché, mais personne ne voulait... Enfin, vraiment, je me suis retrouvée à que des portes fermées quand j'ai parlé de ce projet de femme de diaposat. C'était folle. Ouais, ouais, non, personne ne voulait se mouiller à ça. Enfin, voilà, non. Donc, j'ai dit, bon, ben, j'y vais toute seule.

  • Speaker #1

    C'était très bien, finalement.

  • Speaker #0

    Et c'était très bien.

  • Speaker #1

    C'était une évidence.

  • Speaker #0

    Exactement. Ouais, c'était très bien. C'était comme ça que ça devait se faire. Pour le Mexique, je travaille avec un fixeur. Pour la première fois, j'ai eu la chance de vraiment rencontrer quelqu'un qui me correspond. parfaitement bien donc c'est extrêmement agréable de travailler avec lui. C'est quelqu'un de Waraka, qui est photographe aussi donc c'est très agréable en fait quand on se comprend bien. Et puis le Mexique c'est quand même un pays qui est un peu plus dangereux que le Japon. Donc c'est un peu plus limitant à certains endroits. Aussi bien ça a été une force pour moi d'être une femme photographe au Japon, aussi bien là au Mexique, c'est limitant à d'autres endroits. Je ne m'amuserais pas à faire des images n'importe où, à n'importe quelle heure et n'importe comment.

  • Speaker #1

    Sans aucune transition, Chloé, pour conclure cette conversation, est-ce que tu pourrais me dire qui est Morika dont les photos sur ton site m'ont beaucoup interpellée ?

  • Speaker #0

    Morika, c'est le prénom de cette jeune femme, cette jeune artiste d'Okinawa. On s'est rencontrées à Okinawa. On était toutes les deux troublées, à des moments un peu compliqués, je pense, chacune dans nos vies. Moi, je commençais un traitement assez... assez lourde d'anxiolithique et antidépresseur, un petit cocktail assez...

  • Speaker #1

    D'étonnant.

  • Speaker #0

    Assez d'étonnant. Et Morika, c'est aussi une personne, je ne sais pas trop si je peux en parler, mais en fait, qui a des troubles par rapport à la... À la réalité, c'est-à-dire que ça lui arrive de voir ou d'entendre des choses. Elle était aussi sous traitement. Et voilà, c'était assez évident. Quand on s'est vus, on a eu envie de s'amuser ensemble, de faire quelque chose de manière complètement libre. Et voilà, on s'est retrouvés dans cet... Je crois que c'était un hôtel désaffecté. Et on a décidé de mélanger un peu les médiums, de se photographier. Ensuite, au moins, j'ai fait des polaroïds sur lesquels elle a dessiné. Ensuite, on a fait des images ensemble. Ensuite, elle m'a dessiné. Il y avait aussi ce travail sur les corps, donc elle a dessiné sur ma peau. Voilà, et donc de manière assez libre, on s'est exploré. On a exploré, je pense, nos mots aussi. Et on a résulté une petite exposition à Tokyo où du coup, on a mélangé aussi ses peintures. Elle fait des peintures. Le travail en commun et aussi mes photographies d'elle. C'est un mélange, un petit mélange, une petite collaboration.

  • Speaker #1

    Est-ce que la... Allier vos forces, travailler ensemble, ça a permis une espèce de petite interstice de liberté suprême et d'oublier justement toute la pesanteur de la vie à ce moment-là.

  • Speaker #0

    Oui, complètement. C'était un échappatoire nécessaire.

  • Speaker #1

    Donc la liberté de pouvoir créer est quand même hyper salvatrice.

  • Speaker #0

    Ah oui, je crois. Ouais. Enfin, moi, je me suis rattrapée comme ça, je pense, à ce moment-là de ma vie. J'avais plus de repères. C'était ça ou rien, quoi.

  • Speaker #1

    La place que tu donnes à toutes ces femmes dans tes photographies, est-ce que c'est une quête ? Est-ce que c'est une revendication ? Ou est-ce que c'est tout à fait autre chose ?

  • Speaker #0

    Je crois que c'est une évidence, en fait. Je crois que c'est une évidence. Je me sens profondément féministe, bien que je ne sois pas activiste. Je ne vois pas comment on pourrait faire autrement. Et je pense que ça va aussi un petit peu avec ma volonté de donner la place à ceux qui n'en ont pas, pas eu ou pas assez, ou une visibilité, une voix. Et les femmes en font largement partie, même si je suis convaincue que ça va changer, mais c'est une évidence. C'est une évidence pour moi, oui. Et puis aussi, je pense que c'est en lien avec le fait d'être dans cette recherche d'authenticité. Et je pense que quand on passe beaucoup de temps, comme je disais, je crois que c'est un peu aussi un miroir de soi. Donc oui, encore une fois, c'est évident.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Chloé.

  • Speaker #0

    Merci Maud.

  • Speaker #2

    Merci d'avoir écouté cet épisode, j'espère qu'il vous a plu. Si c'est le cas, partagez-le autour de vous et sur les réseaux sociaux. N'hésitez pas non plus à laisser un avis positif sur vos applications de podcast. Pour ne rien manquer de déclic, suivez-moi à atmaudbernose sur Instagram. Si vous avez des compliments, des critiques ou des réflexions, n'hésitez pas non plus, ça aide toujours. Merci enfin à la Cité Audacieuse pour son studio d'enregistrement. A bientôt !

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