- Speaker #0
Hello everyone, bonjour à tous, welcome, bienvenue et tongassou. Vous voici à l'écoute du podcast de Diapason, Think Tank, dont la mission est de nourrir le débat, valoriser l'initiative et favoriser l'innovation pour le développement propre à Madagascar autour de thématiques telles que l'institutionnel, l'économie, la culture, l'éducation, le social, la santé et l'environnement. Multiples sujets en élaboration dans une nation en pleine construction. Du pain sur la planche donc et des partitions à composer avant de parvenir au diapason. Nous décortiquons avec nos invités leurs thèmes de prédilection, leurs visions, leurs expériences pour tenter de tracer une route des chemins possibles. Bonne écoute ! Bonjour et bienvenue à tous sur le podcast de Diapason. Nous sommes maintenant en 2025 et nous avons le plaisir d'accueillir Ousmane Diaye. Ousmane, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour, merci pour l'invitation. Je suis heureux d'être là.
- Speaker #0
Et nous aussi, nous sommes vraiment ravis que tu sois là parce qu'on te poursuit un petit peu depuis quelques temps.
- Speaker #1
J'avoue que je préfère, je n'aime pas l'exercice, je préfère questionner que d'être questionné. Ah,
- Speaker #0
ben écoute.
- Speaker #1
J'ai vu ta ténacité parce que tu n'as rien lâché, tu as su me convaincre alors que bon, tu n'es pas gagné.
- Speaker #0
Bon, tu ouvres le bal parce que tu parles de cette préférence à poser les questions plutôt qu'à être interviewé. Alors, j'ai envie de te dire, présente-toi. Qui tu es, Ousmane ? Qui tu es ? Qu'est-ce que tu fais dans la vie en fait ? Parce qu'il y a un rôle quand même qui fait qu'effectivement, tu préfères toi interroger.
- Speaker #1
Qui tu es ? Je n'ai pas encore la réponse. C'est un projet. Qu'est-ce que je fais ? Par contre, j'ai la réponse. Je suis journaliste depuis une vingtaine d'années. J'étais journaliste chez moi au Sénégal, mon pays, en France et un peu partout dans la sous-région, au Mali, au Sahel. Et jusqu'à une période très très récente, j'étais rédacteur en chef Afrique de TV5 jusqu'à la fin de l'année. Et depuis le début de l'année, j'ai lancé ma société de production audiovisuelle qui s'appelle Imago Media, qui a vocation à faire du journalisme, mais en prenant un peu plus de temps, le temps de la réflexion, et puis en étant sur de la longueur, parce que c'était quand même frustrant, toutes ces années de news, on est en magazine, on catégorise, et j'avais ressenti le besoin depuis un certain nombre d'années d'être plus sur de la profondeur. Je trouvais que c'était le bon moment.
- Speaker #0
Bon, écoute, on va effectivement discuter. C'est intéressant ce cheminement-là que tu as de passer effectivement à cette sorte d'immédiateté de l'information et à ce travail de profondeur que tu souhaites faire. Alors justement, si on revient à ces années du Sénégal, à ce qui… là où tu as finalement… quelque part fait éclore cette passion pour l'écrit, pour le récit. Raconte-moi un petit peu cette enfance dans les livres, l'héritage que tu as eu finalement de ton grand-père, de ton père, de tes oncles. Quand on a échangé, j'ai trouvé ça vraiment passionnant.
- Speaker #1
Moi, j'ai eu la chance, j'ai l'habitude de le dire, d'avoir grandi dans un livre ouvert. Mon environnement faisait que c'était un livre ouvert. C'est un livre ouvert parce que mon grand-père, j'ai passé mes jeunes, mais ce qu'on appelle le royaume d'enfance à Thiès, deuxième ville du Sénégal, et ville qui a été très importante durant la période coloniale, c'est la ville du chemin de fer, ville carrefour de toutes les cultures, c'était l'une des plus grandes. C'était la capitale du rail, c'était la capitale ferroviaire de l'Afrique de l'Ouest. Le temps de la colonisation française, donc beaucoup de diversité et j'ai grandi. avec mon grand-père qui se trouve que c'est un homme du livre parce que c'était un cher soufis, un maître soufis, donc qui enseignait, qui était dans la méditation, qui était dans l'écriture, dans la poésie. Et je l'ai vu tous les jours de sa vie, tous les jours de sa vie, se réveiller le matin en ouvrant un livre et se coucher en ayant un livre.
- Speaker #0
Magnifique.
- Speaker #1
Je ne l'ai jamais vu un jour de sa vie dans un livre. dans toutes les circonstances même malade il se mettait sur sa peau sa peau de tu sais en afrique de l'ouest on a des pots de moutons oui qu'on travaille et qu'on pose et sur ces pots là qu'on apprend et moi j'ai commencé à apprendre à lire et à écrire avec mon grand père sur ses pots de sur ses pots de moutons en apprenant comme dirait Cheikh Hamidoukhan, la langue de Dieu d'abord, la langue arabe, parce que le Sénégal, c'est un pays musulman. Donc, la première rencontre avec le livre, c'est celui-là, avec l'écrit, avec mon grand-père. Il avait des oncles, un père, un oncle, qui était aussi de l'autre côté, qui était professeur d'histoire, qui était étudiant à l'université, etc. et qui ramenait de l'autre côté la culture occidentale, les livres. journaux de tous les mondes. J'avais un oncle qui était un lecteur assuré de Newsweek, un autre qui était lecteur de la presse française. Et donc, c'est pourquoi j'ai dit que j'ai grandi dans un livre ouvert. J'ai eu cette chance remarquable dans ma prime enfance, grâce à ce livre ouvert, d'avoir la curiosité du monde en fait. Parce que la lecture, quand vous êtes jeune, a ceci de très beau, c'est que ça vous permet de voyager, de connaître des pays. avant même de l'imaginer. J'ai eu un imaginaire du voyage qui était très fort à l'époque, très fort. Parce que j'étais un gros consommateur de toutes les histoires, je lisais aussi beaucoup de BD à l'époque au Sénégal. Je ne sais jamais trop pourquoi d'ailleurs, mais la collection Walt Disney circulait comme des petits pains. Oui. Beaucoup de billards. à la BD, etc. Et je pense que c'est cette matrice-là qui crée le désir de journalisme, qui crée le désir d'écriture, qui crée le désir et la curiosité du monde, parce que j'ai été dans mon enfance à la conquête du monde déjà, en étant assis sur une peau de mouton et à penser le monde, à le découvrir, à voir des contrées que je ne m'imaginais pas un jour visiter. Et c'est là où je trouve que c'est important, comment l'imaginaire se construit et quelle force avoir quand vous êtes jeune, parce que ça m'a toujours poursuivi, cette curiosité de l'autre, de l'imaginaire.
- Speaker #0
Oui. Donc, effectivement, il y a eu un berceau propice. Il y a eu un berceau propice et puis il y a eu un berceau multiculturel, finalement. Là, tu nous parles déjà, effectivement, du monde arabe, du… du monde africain, là où tu as grandi, mais aussi finalement, tu avais du Newsweek. Donc, c'est vraiment une multipolarité qui était déjà là. Et finalement, naturellement, effectivement, tu choisis l'école de journalisme à Dakar qui existait, qui était déjà là. Donc, tu vas à l'école de journalisme de Dakar. Tu optes pour l'école de journalisme.
- Speaker #1
Oui, après le bac, je fais l'école de journalisme de Dakar. qui s'appelle SESTI, qui est une institution en Afrique, qui est une école panafricaine, je crois l'une des plus vieilles, ou la plus vieille, c'est un peu l'école pionnière du journalisme en Afrique. Oui, après le bac, je fais le concours de cette école, je le réussis. Là aussi, c'est magnifique, parce que c'est vraiment le contact avec le panafricanisme, parce que de fait, je suis dans une école panafricaine, dans ma promotion jeune. Je côtoie, on avait une marocaine, une béninoise, dans l'école on avait des togolais, des comoriens. Donc il y a eu une matrice au Sesti où ça a été la grande découverte de l'autre du point de vue humain. Quand vous êtes jeune, vous sortez du lycée, vous avez 19 ans et vous vous retrouvez à cohabiter dans un même campus, dans un même espace avec des congénères qui viennent partout d'Afrique, ça a été très important. à la fois dans la construction humaine et dans la construction intellectuelle, parce que c'était une très bonne école, parce qu'il y avait une certaine rigueur. Parce qu'on a eu des profs assez remarquables. Je pense toujours à un professeur qui a été très important, en tout cas dans la façon de penser et de construire ma réflexion, c'est le doyen Ahmadou Alidjian. D'accord. Le doyen Ahmadou Alidjian, c'était un remarquable professeur d'économie, un homme d'une curiosité sans fin, économiste, mais qui a écrit sur la philosophie, qui a écrit sur la sociologie et compagnon et ami de Sheranta Diop. D'accord. C'était vraiment le... Durant les années d'études, je pense qu'il était le copain de Chambray de Cherhantajop, à un moment donné, avant, il a fait un livre, un témoignage très très beau sur Cherhantajop, c'est une partie de ses mémoires je crois, et cette formation intellectuelle-là nous donne les armes, comme dirait Césaire, pour... Pour moi, cette période-là, ça a été les armes miraculeuses. Et puis aussi, j'étais assez précoce dans ces années de formation parce que je me suis mis très vite à écrire, à fréquenter des journaux, qui étaient des journaux assez particuliers. Moi, j'ai l'habitude de dire, une des choses que j'ai dans ma trajectoire, c'est que j'ai commencé le journalisme par la dissidence. Oui, oui. Le journal où j'ai travaillé, c'était un journal de dissidents. Il y avait un groupe de journalistes qui avait décidé de quitter le plus grand groupe de presse de l'époque pour des raisons immatérielles, mais des raisons de dépendance, etc. Et qui avait créé un petit journal qui était assez radical à l'époque, qui ne prenait pas de publicité, qui se voulait totalement autonome. Et évidemment, ça n'a pas duré longtemps, mais ça a été une expérience intense. Et bref, c'était la nouvelle de Dakar. Et puis comme à l'époque, j'étais attiré par les expériences singulaires. on s'est embarqué dans ce qui a été, en tout cas en Afrique de l'Ouest, je crois que c'est l'une des premières tentatives de faire un journal au quotidien du soir comme Le Monde. Oui, oui. On avait créé avec des amis, avec aussi des aînés qui avaient quitté la presse classique, l'événement du soir. Même chose, expérience intense, expérience novatrice, mais un peu… J'ai l'habitude de dire qu'on est arrivé un peu trop tôt à l'époque.
- Speaker #0
C'est un contexte aussi assez libérateur parce que finalement, au moment où il se passe tout ça, c'est un peu le contexte de la première alternance aussi au Sénégal.
- Speaker #1
Donc,
- Speaker #0
tu crois les événements du pays finalement.
- Speaker #1
En fait, oui, moi j'ai la chance de débuter à un moment charnière. Moment charnière. parce qu'au lendemain du début des années 2000, donc première alternance politique au Sénégal, c'était un événement immense, alternance politique portée par la presse, par une presse libre et indépendante qui a voulu tout le temps accompagner le processus démocratique ou de démocratisation au Sénégal. Les arrivées, c'était l'euphorie en fait, du lendemain de la première alternance au Sénégal. Il fallait créer des journaux, il fallait créer des choses. Et on s'est un peu engouffré dans cet espace. Mais très vite, au bout de la troisième expérience, le quotidien, le jour du lancement d'un journal, on se rend compte que la parenthèse démocratique, ou en tout cas le printemps démocratique dont on rêvait en 2000, ne le sera pas. Parce que le quotidien qui était la troisième tentative et qui aura réussi. C'est bien duré. Le jour, il existe toujours. Très vite, le journal s'est heurté à la répression. Le fondateur et propriétaire du journal, Majan Beljan, s'est retrouvé très vite en prison. Il a fallu une campagne de mobilisation pour le sortir de prison. On avait transformé pendant quelques semaines le journal en un journal de combat. Je me rappelle avoir beaucoup écrit à partir d'une sorte de lettre de correspondance. de prison quoi avec Maja Bank, Djani. Et en fait c'était des années assez importantes assez importantes pour moi pour trois choses dans les débuts. J'ai eu, et je le dis, moi j'ai eu l'immense la chance, et ça je le dis aux jeunes parce que c'est une chance. J'ai eu la chance immense de démarrer par des échecs. La première aventure, la nouvelle, c'était un échec, le joint a fermé. La deuxième aventure que je rejoins à l'événement du soir C'était un échec. Et c'est pas mal, en fait, parce que finalement, on voit des choses, on apprend des choses, on est témoin des jeunes des difficultés. Voilà, je trouve qu'avec le recul, bon, quand on y est, on ne pense pas ça. Au recul, ça a été des années de formation accélérée. Parce que quand vous êtes jeune et que vous démarrez, que vous subissez ces revers, vous travaillez dans des journaux qui font faillite et ferme, c'est très dur, mais ça forme. La deuxième chose, moi qui ai été très formateur durant ces années-là, très vite, je collaborais depuis Dakar avec une agence de presse. Avec des agences de presse internationales. Internationales. Avec l'agence de presse internationale catholique, l'agence télégraphique suisse qui n'existe pas, l'équivalent de l'AFP suisse. Et il s'est trouvé que très jeune journaliste, par le hasard des choses, je me suis retrouvé à couvrir l'événement le plus important de mon pays et l'événement le plus important du début du siècle. C'est incroyable,
- Speaker #0
c'est incroyable ce que vous avez fait à ce moment-là.
- Speaker #1
C'est pas dur. Il n'y a pas ce que je faisais en emplacement d'été. Je me suis retrouvé à couvrir le plus grand drame de l'histoire de mon pays, le naufrage du Djihoulara. J'arrive un matin, le doyen qui était là, Ibrahim Sissé, me dit Ben écoute, il se passe des choses, va voir au port. Et je ne m'imagine pas, en ce moment-là, quand j'entre au port, que mon pays allait vivre le drame le plus important de son histoire. Et c'est le naufrage du diolage, je ne sais pas si vous vous imaginez à l'époque. Le Sénégal faisait à peu près 8 millions d'habitants. En un jour, 2 millions de Sénégalais meurent. Ça voulait dire que chacun connaissait quelqu'un qui était dans le bateau. Un voisin, un parent, un copain de classe, une mère. Et couvrir ça, ça a été dur pour le jeune Jean-Est que j'étais. Il m'est arrivé, à un moment donné, de poser mon carnet et de pleurer. Oui. Parce que ce que je voyais était imaginable. Moi, je sortais du lycée, je n'avais pas vu des morts. Et tout d'un coup, je vois des conteneurs de cadavres.
- Speaker #0
C'est inimaginable.
- Speaker #1
Avec des morts à vomir parce que, évidemment, c'était très compliqué avec la logistique. Et je me rappelle, il y a des matins, dès que je m'approchais du port, on sentait l'odeur des corps. Avant même d'entrer dans le port, il fallait aller dans le port. suivre les familles, etc. Donc j'ai vu, j'ai vu, j'ai vu des mères, des mamans, des pères, des époux, des épouses rentrer dedans, enjamber les corps pour chercher qui ? Un fils, une fille, qui est un époux, qui est une mère. Et d'avoir couvert ce moment-là, d'avoir vu ce que ça peut être un drame à ce niveau-là, d'avoir vu humainement ce que ça implique. d'avoir moi-même à redouter de voir des mamans de mon quartier, de mes copains, être sur le port. Il m'est arrivé de voir des mamans du quartier, de mon quartier, des mamans qui étaient les mamans de copains de classe qui étaient là à chercher, voilà, si leurs enfants n'étaient pas dedans. Ça, ça m'a aidé parce que très vite, cet événement-là, je me suis dit, quelle responsabilité c'est le métier. Ça a été une prise. une prise de conscience très forte de la responsabilité. De cette responsabilité. Avant même que je… Au tout début, en fait, ça a été une grande leçon. Ça vaut toutes les leçons théoriques, ça vaut toutes les leçons que j'ai pu apprendre par ailleurs. Très vite, je me suis dit, je me rends compte du métier que je fais, de sa gravité, de son implication. Et ça m'a toujours habité le reste. Le deuxième événement important sur lequel aussi je me suis retrouvé par hasard à le couvrir, c'est les événements du 11 septembre. Même chose, les événements du 11 septembre, il se trouve qu'il y avait un des ponts du journal qui devait y aller, qui n'était pas disponible. Tiens, il m'a dit, est-ce que tu peux y aller ? J'y vais. Et c'était un événement banal, à l'ambassade des États-Unis à Dakar. C'était le correspondant, un des correspondants importants du New York Times et du Washington Post, Édouard Okwe. Je crois que... Quelques années plus tard, il est devenu un des grands correspondants du New York Times et du Washington Post à Paris, qui faisait une formation, en tout cas une conférence sur le journalisme, à l'intérieur de l'ambassade des États-Unis. Et c'est en pleine conférence, avec l'ambassadeur et tout, qu'on entend des cris dans l'ambassade, et qu'un conseiller déboule, dit à l'ambassadeur c'est la guerre, c'est la guerre, l'Amérique est attaquée Et on ne réalise pas. Et en fait, le... L'ambassade est transformée en bunker, PC de crise, etc. Nous, on a passé toute la journée… parce qu'on ne peut plus sortir de l'ambassade, il y a eu des vérifications, ils ont checké tout, etc. Évidemment, quand je sors, je file au journal, je raconte l'11 septembre depuis l'ambassade des États-Unis et je vois les enjeux, l'émotion, l'implication d'avoir passé cet événement-là. C'était très intéressant parce que du coup, je l'ai suivi après tout le reste de ma carrière, sans pour autant savoir. l'implication que ça allait avoir sur le monde, sur tout ce que je ferais après. Je retrouverai l'11 septembre, un travail sur les questions de l'islamisme, etc. Et ça, c'était une chance en fait, j'ai eu des coups de bol.
- Speaker #0
C'est de vrais croisements d'événements entre toi en tant qu'individu et des événements nationaux et internationaux qui vont transformer le monde. à 19 ans au cœur de ces événements oui c'est transformateur clairement alors il y a ces concours de circonstances il y a déjà le Ousmane qui lance des journaux qui est dans la dissidence comme tu dis et à un moment donné il y a peut-être ce Ousmane aussi qui... qui se sent à l'étroit et qui se dit en fait moi j'ai envie d'autre chose et de ce que j'ai compris tu avais eu l'occasion d'avoir une bourse et donc tu as franchi le pas, tu as quitté le Sénégal et tu es venu en France.
- Speaker #1
En fait ce qu'il faut dire pendant toutes ces années là où je travaillais, je collaborais dans plein de journaux avec plein de légères internationaux, j'étais encore étudiant en réalité.
- Speaker #0
Oui voilà tu étais étudiant en même temps en fait.
- Speaker #1
de journalisme. Donc, il y avait une certaine précocité, parce que je pensais que d'ailleurs le métier ne s'apprend pas dans les écoles. J'étais assez fondeur, à un moment donné, à l'intérieur de l'école de journalisme, et je me rappelle avoir dit quand même, avec beaucoup d'occurrence, avec le recul, en professeur, que l'écriture ne s'apprend pas dans les livres. Enfin, c'est pas dans la théorie, et que bon, nous, on préfère apprendre le métier en se frottant à la réalité. Oui, donc on était un peu persifleurs quand même, un peu gentiment, mais si quand même, on n'était pas… Et malgré tout, quand même, je fais mon cycle au Sesti, on termine. Et bon, moi, je n'avais pas envie de partir. L'option n'était pas de partir au départ. Même si j'avais une course à l'époque, je reste au Sénégal un an où j'essaie quand même de travailler à gauche, à droite. Et très vite, on sent quand même que l'espace est étriqué, que le journalisme dont on rêve est très compliqué à mettre en œuvre, qu'il y a une difficulté, un problème de moyens. J'étais assez jeune, je voulais continuer mes études, j'avais la clé du monde. Et puis, au bout de quelques temps, après l'école, j'ai rejoint Paris. L'institut français de presse, ASAS.
- Speaker #0
Un autre monde,
- Speaker #1
quand même. Un autre monde. Autant dire un autre monde parce que Assas c'est la fac assez conservatrice, assez de droite, fac de droit, l'enseignement. L'Institut Français de Presse était une sorte quand même de singularité au sein de l'Assas parce qu'il y avait quelques professeurs qui connaissaient bien l'Afrique, un peu tiers mondiste, africaniste. Mais le moins que l'on puisse dire, c'était pas une fac de gauche, c'est clair. C'était assez fermé, mais assez élitiste, assez sélectif quand même. Parce que moi je me rappelle, ils venaient du Sénégal, mes copains de fac, je leur disais, vous venez d'où ? Ils venaient de la même rue. C'est-à-dire dans la même rue. Ils avaient fait l'école primaire, donc l'école alsacienne, le collège. Et la fac changeait de numéro dans la même rue. Voilà. Donc, en même temps, c'était enrichissant de se frotter à un milieu totalement différent. Moi, j'ai pas été… J'étais dans la contestation, évidemment. Il y a eu des frictions. Mais j'étais très heureux aussi, par ailleurs, de découvrir ce monde. Même si c'était un monde qui pouvait être parfois hostile, parfois très difficile. Mais c'était quand même des années aussi assez… assez formatrice parce que évidemment quand je suis venu à Paris j'étais dans les... dans un circuit très politisé de militants de gauche, d'associations alter-mondialistes, etc. Il y avait encore cette maturation politique proche des mouvements racistes. Donc oui, j'avais encore cette conscience politique que j'essayais d'exprimer au niveau de la fac, fac de droite. Je me rappelle que pendant toute une période, j'aimais bien venir à Assas avec mon gros boulboul boulboulant pour venir faire cours. pour protester contre certaines choses. Et voilà, c'était intéressant de toute façon, ces années-là. L'Institut français de presse, j'ai eu la chance remarquable quand même d'avoir rencontré quelques grands professeurs. Moi, ma passion, c'était l'image. J'ai une grande passion pour l'image. Au Sénégal, j'avais fait des études de journalisme en télé. Oui, et quand je suis arrivé à l'Institut, J'ai continué dans la même veine parce qu'à un moment donné, j'ai hésité à faire des études de journalisme ou de réalisation cinéma parce que les deux me tentaient. Mais à l'époque au Sénégal, il n'y avait pas d'école de cinéma ni de réalisation. Donc, ma passion de l'image a continué parce qu'à l'IFP, j'ai beaucoup travaillé la question de l'image, etc. J'ai beaucoup travaillé sur la sémiologie de l'image, etc. Et puis très vite, tout en étant aussi à l'IFP, j'ai commencé à collaborer, à piger avec RFO, qui n'existe pas malheureusement, hélas. RFO pour les jeunes, c'était le département Outre-mer de France Télévisions, qui est devenu France Monde avant d'être supprimé. Et puis j'ai très vite commencé à travailler aussi pour Respect Magazine, qui était une initiative. Formidable, incarné par Mark Shepson, journaliste remarquable, humainement remarquable, professionnellement remarquable, une vraie réflexion, une vraie sensibilité, qui a des qualités remarquables de rassembleur, qui a su rassembler autour de Respect, autour de cette revue et de ce projet qui était Respect. un spectre assez large d'artistes, de journalistes. Évidemment, l'embryon, c'était des journalistes, nous. Mais la part qui a été la force de respect, c'était l'ouverture au milieu de la recherche. Il y avait plein de chercheurs, plein d'artistes qui venaient de partout, du pop, de la danse, des trucs. On avait des éducateurs de terrain qui écrivaient dans le journal. On avait des... des... On avait plus ou moins des gens qui venaient de l'administration, de l'autre côté. C'était un éclatisme incroyable. Et pendant des années, ça a été un creuset de rencontres assez formidables, où nous avons fait de belles choses. Je me rappelle de l'appel pour une France multiculturelle et post-raciale, avec les Rocaille à Diallo, les Lyons-Tubra. Pascal Blanchard, François Durper, Esther Benbassa, oui, Abdelmalik, oui, le journal était à la fois un journal, mais c'était un collectif intellectuel, qui travaillait sur les questions, qui travaillait la société française. Je le dis parce que ça a été très important, respect, dans la période avant les événements, avant les émeutes. Parce que déjà, avant les émeutes, après la mort de Bounouaziet, avant les émeutes, respect creusait ce sion-là déjà. C'est après que le Bondy Blog, le Bondy Blog est né dans le siège des émeutes pour en faire ça. Donc, dans cet espace-là des questions de la diversité, des questions diasporiques en France, respect a été un élément.
- Speaker #0
important dans l'évolution de ces années-là, de ces années qui ont été très dures, il faut le rappeler. C'est quand même les années Sarkozy au ministère de l'Intérieur, c'est les années du débat sur l'identité nationale. C'est les années où on a eu en France un ministère de l'identité nationale. Donc c'était des années assez dures et le journal a été en avant-poste sur ces combats-là, dans un environnement qui était un peu plus hostile qu'aujourd'hui, qui était un peu plus… Je pense qu'il y a eu des efforts entre temps, mais à l'époque, c'était moins évident. Donc, il faut rendre compte de ce qui est important, notamment Marc Chibsoud.
- Speaker #1
Oui, clairement. Et là, de ce que tu racontes, ça semble déjà un peu loin. Et on a comme ce sentiment aussi que c'est une sorte d'endroit, de lieu, de collectif qui, je ne sais pas s'il y a quelque chose de similaire aujourd'hui. Je n'ai pas l'impression.
- Speaker #0
Malheureusement, ça nous manque parce qu'il y a beaucoup de choses qui se font, mais il manque ce que mes amis de Nuit Debout appelaient la convergence des luttes. Et un peu la convergence des luttes à l'époque. Et il nous manque vraiment cet endroit pour se retrouver en termes de collectif, chacun avec son autonomie, ses sensibilités. tout en créant des dynamiques ensemble, collectives. Je ne trouve plus de lieu similaire. Aujourd'hui, la lutte est très importante, les gens sont plus que jamais mobilisés, mais malheureusement, on est retombé dans un espace très fragmenté. Par exemple, respect, ce qui est intéressant, mes années respect, je me rappelle très bien, autant j'étais mobilisé sur les questions qui touchaient la banlieue, de discrimination, les questions de politique de la ville, autant on tenait le... ou de la question migratoire, mais du point de vue même de la migration. C'est-à-dire qu'on faisait beaucoup de choses avec les migrants eux-mêmes. C'est-à-dire qu'on réussissait à relier des questions qu'aujourd'hui on ne relie pas. Alors que ce sont des questions qui sont liées. La question de la migration, le destin des immigrés, y compris en Afrique, parce qu'il reste fait quand même, on a fait des articles. sur les zones de carrel, les questions des zones de départ, et ce qui se passe ici en banlieue, les choses sont liées. Et là où Respe était très intéressant comme projet, il dressait ses ponts, il faisait ses liens naturellement. Je me rappelle, on avait fait un numéro qui était très important, qui était très intéressant à faire à l'époque. On avait interrogé la question des musées en France, un dossier sur les musées. Et on avait essayé... de faire rencontrer des gens, Respect était un journal à la base des cultures urbaines. Oui. À essayer d'aller travailler, en tout cas de faire rencontrer le musée. Comment l'art de la rue entre au musée ? Comment la culture hip-hop entre au musée ? Et vice versa, comment ils s'adaptent ? Comment le musée sort de son côté centre parisien intimidant pour inclure et aller vers des territoires délaissés ? Et donc, ce type de pont était intéressant à faire.
- Speaker #1
Clairement.
- Speaker #0
Malheureusement, voilà, quand on respire les soucis, le projet, cet espace-là manque, honnêtement.
- Speaker #1
Clairement. Alors, effectivement, ça a été, voilà, clairement, ça n'existe, enfin, on n'a pas l'impression que ce type d'endroit existe encore. Et toi, après, finalement, tu vas aussi voguer vers, on va dire, une… un autre type d'endroit, en quelque sorte, puisque tu vas passer par Courrier international et ensuite tu vas arriver à TV5Monde. C'est évidemment des univers complètement différents et peut-être, est-ce que je dirais académiques ? Je ne sais pas, mais en tous les cas, c'est des journaux qui ont une assise évidemment autre. Et en même temps, tu voulais, j'imagine... en intégrant ces endroits-là, ou en tout cas quand on est venu te chercher, tu as voulu imprimer ta touche, tu as voulu apporter un autre regard, notamment ce fameux regard qu'on porte sur l'Afrique. Est-ce que tu peux nous en dire un petit peu plus, nous raconter un peu ?
- Speaker #0
Moi, je ne dirais pas que ce sont des univers différents, au contraire. Quand on y regarde de près, ce sont des univers qui ont la même ADN. Parce que quand je quitte Respect Max, je vais à Courrier international. Courrier international, c'est un projet de diversité, tout comme Respect. Mais de diversité au niveau international, parce que Courrier international, c'est, je crois, l'une des rares rédactions au monde où tu as... des gens qui parlent toutes les langues du monde. Parce que l'idée de Courrier international, c'est de traduire les meilleurs articles de partout dans le monde. Donc, j'avais un collègue qui était chinois, un collègue qui était suédois, mon collègue derrière était danois, l'autre collègue était friandais. Donc, c'était une sorte de tour de Babel du point de vue culturel, mais exactement dans la même continuité de l'esprit de Respect Magazine. Donc, ça m'a attiré même, parce que je retrouvais… cette question de la diversité qui était au cœur de ce journal. Même chose avec TV5, parce qu'il ne faut pas oublier que TV5, à la base, elle a été créée pour que ça soit la chaîne de la diversité culturelle de la France. Donc, c'est des espaces qui, pour moi, je l'ai vécu comme une continuité, honnêtement, pour les valeurs sur lesquelles j'ai toujours été sensible de diversité, d'écoute de l'autre, de curiosité de la culture de l'autre. Donc, dans ce sens-là, il y a une continuité. Après, ce n'est pas les mêmes. espaces, respecter un journal associatif, c'était de l'artisanat, etc. Une petite famille. Là, on arrive sur une zone qui a beaucoup plus d'implications, avec une tutelle, des implications institutionnelles. Mais moi, pour ma part, en retournant à l'info africaine dans cette période-là, la chose que je voulais faire et que j'ai sans doute... tiré de mon observation et de mon expérience avec Grespé, c'est que je voyais, durant cette période où je travaillais moins sur l'Afrique, je travaillais sur ce qui se passait en France, je voyais, j'avais compris que les médias, les mêmes médias, ne racontent pas la même chose, ne racontent pas de la même manière. C'est-à-dire que quand ils racontaient la France, ils le racontaient avec d'autres mots, avec un autre parti pris, un autre regard, un autre... positionnement. Et quand c'est l'Afrique, on le raconte autrement. Il y a moins de soucis de distance, il y a moins de soucis de regard, il y a moins d'humanisme finalement on peut dire. J'ai toujours trouvé que oui, il faut faire un métier objectif de journaliste, etc. Mais il faut pas raconter de haut, parce que si on raconte de haut, c'est arrogant, on loupe des choses. Il ne faut pas raconter de ce que je raconte de trop bas, il ne faut pas être un peu dans l'empathie, les pauvres africains, gna gna gna. Donc pour moi, j'ai toujours dit qu'il faut raconter à hauteur d'homme.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Les hommes africains avec ce qu'ils sont, leurs défauts, leur réel, leur réalité. Et je trouvais qu'il fallait, ça n'allait pas de soi.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
En plus, la vie,
- Speaker #1
en tout cas, ça n'allait pas de soi.
- Speaker #0
Ça n'allait pas de soi à hauteur d'homme. Moi, j'étais frappé par... Un événement, c'est les attentats de Paris. Quand il y a eu les attentats de Paris, j'ai vu les reporters, je pense, qui avaient l'habitude de filmer les attentats en Afrique ou ailleurs, tout d'un coup filmer autrement, montrer autrement. C'est-à-dire, pendant les attentats de Paris, j'ai pas vu de bras déchirés, j'ai pas vu de corps nus, j'ai pas vu de corps déchiquetés. Or, les mêmes, quand c'était d'autres espaces qu'il y avait des attentats, nous montrer des corps nus, etc., déchiquetés. Et donc, je me suis posé la question, et j'ai posé la question en forme de débat à beaucoup de confrères, pourquoi nous ne filmons pas de la même manière quand c'est proche de nous et quand c'est loin de nous ?
- Speaker #1
Tu as eu des réponses.
- Speaker #0
Oui, j'ai eu des réponses, et c'est un débat qui a été très intéressant, que j'ai engagé avec beaucoup de confrères. Et pour moi, c'était la question du regard. Et cette question, je l'avais déjà travaillée. Quand j'étais étudiant à l'IFP, ça m'intéressait. J'avais fait un mémoire de fin d'études qui était une analyse de libération qui s'appelait la construction d'un regard. Comment le regard se construit à l'époque ? J'avais essayé de regarder le journal sur quelques événements importants de l'année. Je crois que c'était l'année 2005. Et j'avais essayé de l'expliquer, comment un regard se construit. Parce qu'aussi, quoi qu'on puisse dire, raconter le monde, un journal, c'est un regard sur le monde. Bien sûr. Et c'est un regard qui se construit. Et pour moi, c'était très important d'engager ce débat sur la construction du regard. Et c'était une construction, évidemment. C'est une construction qui est liée à ce que nous sommes, à notre perception de l'autre, à nos biais, etc. Et le biais ne peut être juste que quand nous regardons à peu près de la même manière. Que nous regardons, il ne s'agit pas d'être objectif, d'être vrai, parce que la vérité n'existe pas. Mais moi, je pense que... Il faut que nous réfléchissions à la façon de filmer en dehors de l'Afrique les ailleurs. Parce qu'on filme de façon qui déshumanise, de façon parfois très choquante pour rien, de façon où l'enjeu de l'information... disparaît au profit de l'enjeu du spectacle.
- Speaker #1
Et on revient à ton sujet de la responsabilité.
- Speaker #0
Oui, on revient au sujet de la responsabilité. Et moi, ça a été très important quand je me suis retrouvé dans un grand média comme TV5, donc producteur d'un discours sur le monde. J'ai toujours veillé à poser ces débats-là en interne, parce que je me dis que ça ne va pas de soi. Nous avons tous des biais, et tant que nous ne les interrogeons pas, qu'il y ait une sorte de vigilance collective, de cordon sanitaire entre nous-mêmes, on va tomber dedans. Parce qu'autant on peut être dans le spectacle, etc., on peut être dans le regard du haut, encore une fois, autant on peut être dans le regard du bas, qui est on est trop dans la compassion, on est l'arme, et on rate le réel. Moi j'ai toujours refusé les débats sur l'afro-optimisme, l'afro-réalisme, l'afro-ceci, cela, parce que c'est déjà des formes d'impasse. Parce que ce que j'ai vu en Afrique durant ces quelques années, où j'ai été quand même dans beaucoup d'espaces, dans beaucoup de pays, dans beaucoup de situations chaotiques, la vérité c'est quoi ? Tout est lié. C'est-à-dire dans la même rue, Akine, on voit les raisons de l'optimisme. On voit les raisons de ne pas. C'est-à-dire que le chaos est imbriqué dans le réel aux trucs les plus hallucinants, les plus beaux. C'est-à-dire, je trouve que présenter les choses de façon comme ça, un peu manichéen, ne traduit pas les nuances du ciel, ne traduit pas les dynamiques en cours. Dire qu'il n'y a pas de dynamique qui pousse à une forme de découragement, une forme de pessimisme, c'est fermer les yeux. Dire qu'on ne voit que ça, c'est fermer les yeux sur le reste. Et encore une fois, j'insiste. Dans la même ruelle, on voit les deux.
- Speaker #1
C'est très intéressant ce que tu dis, parce qu'effectivement, ton regard médiatique d'Africain, mais d'Africain aussi en France, est d'autant plus intéressant. Et comme tu dis, on est passé sur ces sortes de... Comment je dirais ça ? Ces sortes de... pas de polémique, mais en tout cas de mouvements afro-pessimisme, afro-optimisme, etc. Moi, je reviens effectivement sur ce que tu dis sur l'Afrique réelle. Si on va sur l'Afrique réelle aujourd'hui, là tu es sortie de tes rôles, en tout cas de journaliste TV5Monde pour l'international, on ne l'a pas trop évoqué là, mais on en a un petit peu parlé, tu es revenue beaucoup au Mali. par rapport à la situation qu'il y avait là-bas, par rapport à cet engouement très, très fort qu'il y a eu à un moment donné par rapport à la France et puis ensuite une sorte de revirement total vers une aile de la France. L'Afrique réelle aujourd'hui, on parle souvent de son développement. C'est un terme qu'on peut questionner aussi. Moi, aujourd'hui, l'un des aspects que je voulais voir avec toi, c'est son économie. Comment tu la qualifies aujourd'hui ? Parce que son économie, est-ce qu'elle sert justement l'Afrique intrinsèquement ou est-ce qu'elle sert autre chose ?
- Speaker #0
Enfin, moi, je ne suis pas économiste, mais ce que j'observe et ce que j'essaie toujours de dire… que j'ai essayé dans nos discussions, que j'essaie d'expliquer. C'est-à-dire, moi j'ai grandi dans des économies totalement extraverties, totalement tournées vers l'extérieur. C'est-à-dire, la production, tous les outils sont là pour produire pour l'Europe. Pour l'ailleurs. Pour l'ailleurs, on est totalement tourné vers l'ailleurs. Si ce n'est pas l'Europe, c'est la Chine, c'est d'autres espaces. Et ça, pour moi, c'est un des problèmes majeurs. Et qu'on ne retrouve pas d'ailleurs que sur l'économie. On peut le retrouver dans d'autres espaces, notamment dans l'industrie culturelle, où on produit d'abord pour l'extérieur. Au fond, si ce n'était pas subi, pourquoi pas ? Mais là, on voit que c'est subi. Moi j'ai l'habitude de dire, juste comme ça, en forme de boutade, quand j'étais jeune, je mangeais le poisson national au Sénégal, c'est le tchof. C'était facile d'avoir un tchof. Aujourd'hui, quand vous vivez à Dakar, c'est très difficile de manger un tchof, à moins de débourser. Pourquoi ? Parce que tout le tchof produit n'est pas mis sur le marché local, il est direct envoyé en Europe, en Asie ou ailleurs, pour le marché européen qui a un pouvoir d'achat plus élevé. Je me suis remis à manger du tchof quand je suis arrivé à Paris. Parce que c'est plus facile de trouver un tchof à Châteaurouge maintenant que sur mon marché de mon quartier à Dacquois.
- Speaker #1
Tout est dit, tout est dit là.
- Speaker #0
Et entre-temps, qu'est-ce qui s'est passé ? Les quartiers ou les villages de pêcheurs dans la région d'Ataroise sont retrouvés à être très pauvres. Et parallèlement à ce phénomène monté, l'appauvrissement des pêcheurs monté, Et qu'est-ce qui s'est passé au début des années 2000 ? Parce que ça a commencé, les pêcheurs se sont mis, comme il n'y avait plus de poissons, il y avait les gros bateaux, à prendre les pirogues pour rejoindre l'Espagne. Donc en fait, tout est lié. Moi, j'ai l'habitude de dire que la façon… c'est-à-dire, le citoyen européen doit se dire, quand on pose des débats comme sur l'immigration, ils nous envahissent, etc. Il faut interroger quand même les mécanismes. Je pense que tout est lié. C'est-à-dire, l'Europe se paye un niveau de vie et se paye des produits en appauvrissant des pêcheurs au Sénégal. C'est-à-dire, pour manger ce que nous voulons, aux conditions que nous voulons, on a été obligé d'appauvrir les pêcheurs de la côte sénégalaise. Et qu'est-ce qui s'est passé ? Comme ils sont appauvris, et que leur bateau n'arrivait plus à les nourrir, évidemment, à partir des années 2000, ils ont commencé à utiliser les pirogues, d'abord, pour rallier l'Espagne, et très vite, c'est devenu une mafia, etc. Ça s'est truqué. Mais au tout début, l'immigration part toujours, parfois, du désespoir, même si d'ailleurs, après, ça peut être criminalisé. Mais c'est dans les mécanismes de domination économique aussi qu'il faut aller chercher la question migratoire. Parce qu'un des problèmes en France et en Occident, la question migratoire n'est abordée que du point de vue culturel. C'est quoi le discours en Europe ? C'est le discours de la peur, le discours de l'envahissement, du grand remplacement, etc. Mais avant cela, qu'est-ce qui se passe en fait ? Quel est le rapport éthique qui crée, dans des pays qui ne sont pas en guerre, autant l'immigration des pays en guerre, on peut comprendre, mais dans des pays qui n'ont jamais été en guerre, comme le Sénégal, qui n'a pas connu... de grosses crises, etc., les gens migrent aussi parce qu'ils savent que les rapports du monde, parce qu'il ne faut pas se dire que les Africains comprennent très bien les rapports du monde, ils comprennent très bien qu'il y a une partie du monde où il y a un bien-être mille fois supérieur à la partie d'où ils sont. Et que c'est jeter, c'est mettre des coups d'épée dans l'eau. que d'avoir la politique de l'emmurement. Ça ne marche pas, en fait. On ne peut pas s'emmurer, quoi. À un moment donné, il faut régler les problèmes du Sud, il faut rééquilibrer les rapports économiques, il faut rééquilibrer le partage de la richesse dans le monde. C'est l'assumption infinie aux migrations, en tout cas aux migrations économiques, quoi. Je veux dire, il y a les d'autres formes de migration, la guerre, etc. Mais aborder... La question de la migration, que du point de vue culturel, que du point de vue des lois, que du point de vue de la peur, c'est un contresens totalement et on passe à côté de la question majeure.
- Speaker #1
Et on passe du coup à côté de la solution, forcément.
- Speaker #0
Ah oui, c'est sûr.
- Speaker #1
Voilà, on passe à côté de la solution. Donc, effectivement, là, l'image du poisson dont tu parlais, ça dit tout, en fait, sur cette économie effectivement extravertie. Et tu parlais aussi du coup d'un développement virtuel puisque ce développement finalement il n'est pas au service de l'Afrique, cette croissance n'est pas au service de l'Afrique, elle va encore une fois en extérieur. Et je pense que j'avais jamais entendu cette terminologie mais je trouve que tu l'as bien qualifiée, tu parlais de fiction démocratique. C'est-à-dire que l'économie, elle, est extravertie, le développement est virtuel, et il y a tout un narratif quelque part qui fait qu'effectivement... la gouvernance en place, finalement, c'est une pièce de théâtre.
- Speaker #0
En fait, j'ai beaucoup utilisé ces dernières années ces termes de fiction démocratique parce que je considère que je l'utilise beaucoup pour essayer de comprendre et de débattre sur le désenchantement démocratique qui est en cours en Afrique. On entend partout, à tous les niveaux, au niveau des élites, de la population de base, des intellectuels. Oui, la démocratie n'est pas faite pour nous. Nous, on veut du développement. La démocratie ne se mange pas. On a essayé, la démocratie, ça n'a pas marché, au Mali, au Burkina, etc. Or, et c'est pourquoi je parle de fiction démocratique, au fond, depuis les périodes post-indépendance, on n'a jamais mis en place des systèmes réellement démocratiques. On a mis en place des forces de sars démocratiques, de soupçonnement. plus démocratiques, notamment après les conférences nationales, qui ont juste été des avatars pour maintenir l'ancien système au pouvoir en donnant les atours de la démocratie. C'est-à-dire quoi ? On crée des systèmes où le code électoral existe, le suffrage existe, la justice, le magistrat est libre sur papier, mais dans le fonctionnement, on s'organise de telle sorte que... ces mécanismes-là n'opèrent pas. Et qu'en réalité, c'est un clan ou une seule personne qui dirige le pays. Et donc, se baser sur ces trajectoires pour condamner la démocratie, comme le font au Mali ou au Burkina, dire que oui, nous ne voulons pas de la démocratie, on refuse c'est une erreur fondamentale. Parce qu'au fond, ce qu'on a eu, la parenthèse des conférences post-nationales, c'était des fictions démocratiques, ce n'étaient pas des projets réellement démocratiques. On n'a pas mis en place des modes de gouvernance démocratique, y compris même par les opposants historiques des années 90 qui ont porté les rêves et les combats démocratiques. Quand ils sont arrivés, ils ont tous mis des régimes totalement démocratiques.
- Speaker #1
Oui, ils ont tout suivi.
- Speaker #0
Je me rappelle même qu'Abdoulaye Ouad au Sénégal avait théorisé la notion d'avoir une dictature éclairée. Vous prenez Alpha Condé, la même chose. Vous prenez Laurent Gbagbo, la même chose. Quand ils sont arrivés, ça a été une grande déception. Et en Afrique... On a confondu la démocratie avec le combat de ces leaders-là qui n'ont pas mis en place des systèmes démocratiques. Et donc, on s'est dit, ah ben là, c'est fini, on ne va plus essayer la démocratie. Or, et ça, c'est la deuxième erreur qu'on fait beaucoup dans le débat actuel. On nous dit que, oui, la démocratie, c'est un truc d'occidental, c'est les Français qui nous l'imposent. Non, l'universalité de la démocratie est établie en Afrique. quand on sait qu'il y a eu des formes d'organisation démocratique en Afrique avant la colonisation. Moi, je viens d'un pays, le Sénégal, où à un moment donné, il y a eu des formes, il y a eu la révolution de Tchernosleiman Balofouta, où il y a eu la République Libou dans la région de Dakar, avec des assemblées consultatives, les PENCH, etc. Le Parlement a existé avant la révolution de la colonisation. Même si ce n'était pas dans la démocratie grecque formelle. Nous avons les ressources, en tout cas nous avons des formes d'organisation qu'on peut appeler comme on veut, mais qui traduisent aujourd'hui ce que demandent nos populations. Donc la deuxième erreur, et qui est commise souvent au nom du panafricanisme, c'est-à-dire que c'est comme s'il y avait une impossibilité de concilier le panafricanisme et la démocratie, alors qu'au fond, le panafricanisme peut être une démocratie, doit même être une démocratie. Parce que les expériences de panafricanisme antidémocratique qu'on a eues ont été catastrophiques. C'est coutouré en Guinée. C'est quoi ? Je ne peux pas dire que c'est une réussite. Dans une moindre mesure, même s'il y a la légende et la mythologie, on vit un échou au Burkina. On peut en revenir, c'est l'extérieur et tout. Mais voilà, je pense qu'il faut être exigeant et concilier. L'exigence de développement, l'exigence démocratique, ne tenir sur aucun des deux bouts. Et malheureusement, il y a une forme de chanson où, par exemple, on nous dit Le Rwanda, ce n'est pas grave si Kagame fait 10 mandats parce qu'il développe son pays. Ce qui est dangereux, voyons ce que ça donne. Donc, ce n'est pas grave s'il agresse les pays voisins et que ça fait des milliers de morts. Ce n'est pas grave si des opposants disparaissent. En fait, il faut être cohérent. On ne peut pas demander… une limitation des mandats, c'est battre au Sénégal ou au Burkina et tout, et dire sur tel pays, c'est pas grave parce qu'il développe son pays.
- Speaker #1
Il a 10% de croissance, ça va bien.
- Speaker #0
Et puis bon, 10% de croissance, c'est toujours les mêmes questions. Il y a toujours la différence entre la croissance et en fait, la question n'est pas qu'économique. Les gens ont besoin d'autre chose pour être heureux.
- Speaker #1
Exactement. Ousmane, on aura d'autres épisodes. C'est passionnant. Il y a bien une autre question que j'aimerais te poser. qui ont à voir et pas voir mais là en ce moment si il y a un livre peut-être un sujet en particulier que tu veux nous partager quelque chose qui t'éclaire, qui a une sorte de phare, est-ce que voilà est-ce qu'il y a un film je sais pas.
- Speaker #0
Là en ce moment je relis avec beaucoup de plaisir L'historien Joseph Kizerbo, je pense qu'il faut le relire.
- Speaker #1
Tu te replonges dedans.
- Speaker #0
Jean-Pierre Bokinabé, qui a écrit beaucoup pour l'Afrique, pour l'Afrique précoloniale et postcoloniale, même l'Afrique contemporaine. J'ai relu Jean-Ikele Matiba, cet Afrique-là, auteur camerounais aussi. Oublié malheureusement, mais grand auteur dans les années 60, post-indépendance, qui a écrit un livre précurseur, à mon avis, sur... ce que nous vivons aujourd'hui. Ok,
- Speaker #1
tu nous partageras la référence, la deuxième, je ne connaissais pas. À part Kamara, Laï, je...
- Speaker #0
Non, mais on n'est pas connus, Jean-Éclair et Matiba.
- Speaker #1
Ok, merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Il y avait peut-être... Il y a un autre aspect qu'on aime bien aussi chez Diapason, Ousmane, c'est s'il y avait quelqu'un que tu recommanderais. Quelqu'un que tu nous inviterais à solliciter ici pour une prochaine session ? Tu penses à qui ?
- Speaker #0
À mon ami Elgas.
- Speaker #1
Ah, avec ses bons ressentiments ?
- Speaker #0
Qui a écrit les bons ressentiments et qui, je trouve, nomme les choses très bien avec talent et courage.
- Speaker #1
Ah oui, c'est incisif, mais c'est précis.
- Speaker #0
C'est précis, effectivement. et donc précieux et donc précieux,
- Speaker #1
je suis bien d'accord je l'ai terminé il y a quelques semaines waouh, effectivement oui,
- Speaker #0
je pense qu'il a fait un livre je pense qu'il a fait un livre important oui,
- Speaker #1
je suis bien d'accord celui-là, il faudra l'offrir et l'offrir et je pense que je pense qu'il va faire date et qu'on sera nombreux à le lire en tout cas, merci beaucoup Ousmane merci Est-ce qu'il y aurait un mot de la fin peut-être que tu souhaites transmettre ici, partager ici chez Diapason ?
- Speaker #0
Te remercier et puis souhaiter… Moi, je trouve que ton podcast est d'une grande qualité, d'une grande exigence. C'était bien. Je souhaite longue vie à Diapason.
- Speaker #1
Voilà, vous voici au terme de cet épisode. Merci de l'avoir écouté jusqu'au bout et peut-être que cela vous a plu. N'hésitez pas à le dire et à le manifester dans ce cas. Encouragez-nous en nous mettant plein d'étoiles et en en parlant autour de vous. Nous avons besoin de votre soutien chaleureux pour nous faire connaître. A bientôt sur Diapason.