- Speaker #0
Musique Hello, bienvenue sur le podcast Différences. Moi c'est Audrey, rédactrice et maman de deux enfants. Ce sont eux avec leurs petites bizarreries qui m'ont inspirée ce podcast. Un podcast que j'ai voulu dédier à la beauté de la différence et à toutes celles et ceux qui portent une singularité. Musique À chaque épisode, je vous emmènerai à la rencontre d'un ou d'une nouvelle invitée pour une conversation authentique et sincère. Nous parlerons différence bien sûr, mais aussi représentation, construction de soi, acceptation et inclusion. Avant de vous laisser avec l'épisode du jour, je vous invite à penser à ce qui fait de vous une personne différente, et surtout unique, pour que l'on cultive ensemble toute la diversité qui dessine notre monde. Bonne écoute !
- Speaker #1
Donc moi j'ai 38 ans, je m'appelle Jonathan, je suis papa d'un enfant de 7 ans, je suis également à mon compte depuis quelques jours dans l'immobilier, après 20 ans de salariat. Donc moi j'ai ce qu'on appelle une ectrodactylie.
- Speaker #0
Si tu devais donner un titre à cet épisode, à ce premier épisode du podcast Différences, tu choisirais lequel ?
- Speaker #1
Accepter sa différence pour vivre pleinement.
- Speaker #0
C'est bon ?
- Speaker #1
C'est bon.
- Speaker #0
On est parti ?
- Speaker #1
Parfait.
- Speaker #0
Hello Jonathan !
- Speaker #1
Bonjour Audrey !
- Speaker #0
Bienvenue sur le podcast Différences. Comment tu vas déjà ? Comment tu te sens ?
- Speaker #1
Je me sens très bien. On est en bord de mer, il fait un soleil radieux, donc tout va bien.
- Speaker #0
Moi, je suis vraiment très heureuse de te tendre mon micro pour ce tout premier épisode. Cette rencontre compte beaucoup pour moi parce que, comme tu le sais, tu présentes la même particularité que mon fils, et que tout part de là. Alors bien sûr, tu vas nous en parler plus en détail juste après, mais avant de commencer notre échange, j'aimerais te proposer de te présenter.
- Speaker #1
Avec plaisir. Déjà, merci pour ton invitation. Je suis ravi d'être le premier de cette longue lignée de podcasts. Donc moi j'ai 38 ans, je m'appelle Jonathan. Je suis papa d'un enfant de 7 ans, qui est merveilleux, donc j'en suis ravi. Je suis également à mon compte depuis quelques jours dans l'immobilier après 20 ans de salariat. Et je vis à cinq minutes de Rennes, dans une petite commune. Donc ça fait maintenant trois ans que j'habite en Bretagne. Et donc j'ai découvert... Mais enfin j'allais me présenter, aller plus loin sur la suite, mais je vais te laisser poser les questions, ce sera plus simple.
- Speaker #0
Avant toute chose, je voulais savoir, pour nous parler de ta différence en fait, on est dans un endroit un peu particulier. Est-ce que tu pourrais expliquer à celles et ceux qui nous écoutent où nous sommes et pourquoi tu as choisi cet endroit, qu'est-ce qu'il représente pour toi ?
- Speaker #1
Alors là, on est en Bretagne, à Saint-Coulomb, sur une plage que j'aime beaucoup, à côté d'un restau qui s'appelle Colette. C'est un lieu que j'ai découvert il y a un peu plus de quatre ans, avant même d'habiter dans cette région. Et ça fait partie de ces lieux qui m'ont donné envie de venir vivre en Bretagne, région que je ne connaissais pas du tout. Je pense que j'étais bourré d'a priori sur cette région, alors qu'aujourd'hui je pense que c'est la région la plus belle de France, sans être chauvin. Et j'ai souhaité, quand tu m'as demandé dans quel lieu on pouvait tourner, que ce soit ce lieu-là. Parce que pour moi la plage pendant 26-27 ans, ça a été un lieu traumatisant. Et aujourd'hui c'est un lieu que j'adore, c'est un lieu dans lequel je suis beaucoup venu ces derniers mois, ayant eu plus de temps. Et je pense que c'est un lieu qui me parle beaucoup, en tout cas j'en suis convaincu.
- Speaker #0
La question que j'ai envie de te poser pour introduire ce podcast, c'est qu'est-ce que t'évoques pour toi, qu'est-ce que ça t'évoque le mot différence ?
- Speaker #1
Alors le mot différence m'évoque plein de choses. Je pense qu'il y a quelques années, le mot différence, ça aurait été quelque chose qui me faisait peur. En tout cas par rapport à ma malformation. Pour ma part, je n'ai que deux orteils à chaque pied, une phalange en plus, un ongle en moins. Pour moi, c'est quelque chose qui était dur à vivre parce que j'ai mis longtemps à l'accepter. Et aujourd'hui, pour moi, la différence, c'est une chance. Parce qu'aujourd'hui si on est tous pareils, en fait, on ne se démarque pas, et le fait d'avoir justement une différence ça permet d'en parler, ça permet d'en faire un sujet ou non mais surtout d'ouvrir des discussions, parfois d'avoir l'occasion lors de certains moments d'en parler. Pour moi, c'est une vraie chance. Après on aura l'occasion d'en parler plus en détail mais c'est une chance de pouvoir justement se démarquer des autres.
- Speaker #0
Est-ce que toi tu peux nous parler de ta différence, peut-être en termes un petit peu plus... "techniques" ?
- Speaker #1
Bien sûr. Moi, j'ai ce qu'on appelle une ectrodactylie. C'est le fait d'avoir des orteils en moins. J'ai deux orteils à chaque pied. Après, pour le fait qu'il me manque un ongle à un des doigts et une phalange de plus, je t'avoue que je n'ai jamais cherché à savoir comment ça s'appelait. Mais voilà le nom en tout cas pour mes pieds.
- Speaker #0
Comment tu dirais que tu cultives ta différence toi aujourd'hui ?
- Speaker #1
Moi je la cultive aujourd'hui déjà en l'assumant à 90 %. Il y a encore un peu de boulot mais j'ai beaucoup avancé. Après pour moi c'est en parlant, en parlant de cette différence, en faisant une force de cette différence. Je pense que c'est déjà beaucoup en tout cas. Je pense qu'il y a quelques années, j'étais loin de tout ça et aujourd'hui j'en suis fier. Fier d'être différent. Aujourd'hui, si on me proposait de me rajouter des orteils, je dirais non. Alors que je me souviens d'une phrase que je pense, aujourd'hui, je regrette d'avoir dit, mais je pense qu'il y a quelques années, je trouvais ça très bien. Un jour, ma mère me demande ce que je veux à Noël. Et je devais avoir 20-25 ans et je lui ai répondu des orteils. Et je pense que pour ma mère, ça a été absolument atroce à vivre, parce qu'elle a... Je pense toujours culpabilisé en ayant sûrement cette impression que c'était de sa faute alors que pas du tout, c'est juste la nature et c'est comme ça, c'est pas grave. Donc aujourd'hui, si j'avais quelque chose à dire aujourd'hui, c'est que je suis fier d'être comme je suis, je suis content d'avoir deux orteils et pour rien au monde, je ne changerais mes pieds.
- Speaker #0
Ce podcast, il est dédié à toutes celles et ceux qui vivent avec une singularité, aux enfants, aux ados, aux adultes, aux parents et aussi aux futurs parents qui nous écoutent et qui ont accueilli ou qui s'apprêtent peut-être à accueillir un enfant un peu différent, et qui traversent une phase de questionnement, de crainte, de doute. Est-ce que tu sais, toi, comment s'est déroulée la grossesse justement de ta maman et à quel moment tes parents ont appris que tu portais une particularité ?
- Speaker #1
Alors pour être très transparent avec toi, dans ma famille on n'en parlait pas spécialement de la malformation. Je lui ai envoyé un SMS, je pense il y a deux heures, pour lui demander quand est-ce qu'elle a appris la malformation. Elle m'a dit que c'était lors d'une seconde écho, au bout de trois... trois mois et demi, quatre mois de grossesse. Et donc ça, j'ai appris ça il y a deux heures, parce que je ne m'y suis jamais intéressé.
- Speaker #0
Ok, c'est pas que c'était un sujet tabou en fait ?
- Speaker #1
On n'en parlait pas en fait. On n'en parlait pas, donc moi j'ai jamais creusé. Pendant la grossesse de la mère de mon fils on en a parlé par contre. Mais je pense que comme pour moi c'était un sujet qui était dur à accepter à l'époque, je pense que ce qu'on me disait ça rentrait, mais ça ressortait assez rapidement et aujourd'hui j'avais complètement oublié, il a fallu que je repose la question. Parce que j'avais complètement oublié. Et donc, la grossesse de ma maman, a priori, s'est bien passée. A priori, ça s'est bien passé. Mais pour être honnête avec toi, je n'ai jamais creusé. Je ne m'y suis jamais trop intéressé. Ce qui, je pense, est peut-être une erreur. Mais en tout cas, c'est comme ça que moi, je l'ai vécu à l'époque.
- Speaker #0
Et toi, du coup, à quel moment tu as pris conscience de ta différence ? Tu te rappelles quel âge tu avais ?
- Speaker #1
Je ne pourrais pas te donner un âge précis. Mais je pense que ça devait être en début de primaire. Où on était à la piscine avec ma classe, ou le centre aéré, je ne suis pas capable de dire si c'était le centre ou l'école, et je me souviens d'un petit garçon qui s'appelle Luc. J'ai encore son nom de famille, mais je ne vais pas le dire, ça n'a pas d'intérêt. Puis je lui passe le bonjour aujourd'hui, il n'y a aucun souci. Et en fait, il m'a regardé en me disant que j'avais des pieds de Tortue Ninja. Et aujourd'hui, je rigolerais de tout ça, mais à l'époque, je n'ai pas rigolé. Je pense que ça m'a créé un blocage. Et je pense que c'est la dernière fois que j'ai mis les pieds à la piscine avec le centre ou l'école, et je n'ai plus mis les pieds dans une piscine municipale pendant des années et des années, ou en tout cas pas avec plaisir. Donc ça m'a créé un vrai blocage et je devais être en début de primaire, je pense.
- Speaker #0
Ok, et je voulais qu'on parle un petit peu de ton enfance. Est-ce que tu pourrais me dire quel genre de petit garçon tu étais ?
- Speaker #1
J'étais un petit garçon plutôt calme, a priori. Un élève, pas le meilleur de sa classe, mais pas le plus mauvais, quelqu'un, on va dire dans la moyenne. J'aimais beaucoup jouer aux petites voitures, aux Playmobils. A priori, je pouvais rester des heures à jouer à ces jeux-là, quand j'entends ma grand-mère m'en parler. J'étais mignon, a priori. Et j'avais une merveilleuse petite coupe au bol que tous les enfants nés dans les années 80-90 connaissent.
- Speaker #0
Je pense qu'il y en a beaucoup qui vont se souvenir de ça.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Tu dirais que tu as grandi dans quel type de famille ? Tu nous as déjà un petit peu parlé du fait qu'on ne parlait pas trop de ces sujets-là...
- Speaker #1
Je dirais une famille traditionnelle avec un papa, une maman, un grand frère, une petite sœur. On va dire la famille traditionnelle qu'on pourrait voir avec un cadre, une bonne éducation, la chance de partir en vacances l'été, l'hiver. En tout cas, j'ai eu la chance d'avoir des parents qui nous ont toujours beaucoup donné et qui nous ont donné une bonne éducation, ce qui nous permet aujourd'hui d'être, je pense, structurés, et d'avoir bien avancé dans la vie. Évidemment avec des hauts et des bas, mais une bonne éducation et une famille, tout ce qu'il y a de plus normale, même si c'est un mot que je déteste.
- Speaker #0
Durant ton enfance, est-ce que tu as eu un suivi médical particulier lié à ta différence ? Ou est-ce que tu as vécu une enfance...
- Speaker #1
Non, je n'ai pas eu de suivi médical particulier. J'ai eu un suivi médical, mais pour d'autres choses que la malformation. Mais concernant la malformation, non. J'ai eu une opération quand j'étais petit, je n'en ai aucun souvenir. Donc c'était une opération au niveau des orteils, pour rapprocher les orteils, pour me permettre de me chausser plus tard, parce que sans cette opération, j'aurais eu des difficultés à me chausser. Mais hormis cette opération, je n'ai pas eu de suivi particulier.
- Speaker #0
Et cette opération, elle t'a permis aussi de mieux marcher ou c'est une opération vraiment juste pour les chaussures ?
- Speaker #1
C'était purement pour me chausser. Parce qu'effectivement, si je ne l'avais pas fait, j'aurais des orteils complètement écarté, un à un gauche et un à un droite, et ça aurait été compliqué de me chausser. Donc je pense que quand on l'a proposée à mes parents, en fait, ils l'ont fait pour mon bien-être.
- Speaker #0
Mais avant cela, ça ne t'empêchait pas du tout de marcher, de te déplacer comme n'importe quel autre enfant ?
- Speaker #1
Je t'avoue que j'étais tout petit, je n'en ai aucun souvenir. Mais je pense que si mes parents l'ont fait et que le corps médical a décidé de le faire, c'était la bonne chose à faire. Et ayant vu cette opération sur mon fils, qui a également des malformations, je n'ai aucun souci avec cette opération et je suis très content de l'avoir fait.
- Speaker #0
Tu as un fils de 7 ans. Qui est né avec la même particularité que toi.
- Speaker #1
Exactement.
- Speaker #0
Est-ce que vous avez fait des tests génétiques, peut-être, pour essayer de savoir d'où venait cette malformation ?
- Speaker #1
Oui, alors en fait j'ai eu la chance, la mère de mon fils m'a énormément aidé, on aura l'occasion d'en parler après. Mais c'est quelqu'un qui contrairement à moi discute beaucoup, parle beaucoup, veut tout comprendre. Donc on a fait pas mal de recherches. On a eu l'occasion effectivement aussi de faire une écho très tôt, donc à un mois. C'est à ce moment-là qu'on a appris que mon fils avait cette même particularité que moi. Et donc oui, c'est en fait un chromosome. Je crois que c'est le chromosome 11 de mémoire, où il y a quelque chose de différent. Et ce qui fait qu'en fait, à chaque grossesse, j'ai une chance sur deux que mon enfant ait une malformation.
- Speaker #0
Et ça, vous le saviez avant de vous lancer dans le projet bébé ?
- Speaker #1
Alors, on le savait. Après, dans ma famille, ça a toujours été les pieds qui ont été principalement concernés. Il y a eu moi, il y a eu ma maman, ma grand-mère. Et donc je savais en fait qu'en ayant un enfant, j'avais une chance... Alors je ne vais pas dire malchance, parce que ce n'est pas une malchance, ce n'est pas un souci. Mais qu'il y avait une chance d'avoir une malformation, une chance sur deux. Et donc mon enfant a été touché de la même manière que moi, avec les mêmes pieds que moi. Et lui également a été touché au niveau des mains. Donc il a des doigts en moins au niveau des mains. Mais sinon, rien d'autre. Un petit garçon merveilleux qui fait tout comme tout le monde et qui est sûrement l'un des plus doués, si ce n'est le plus doué de sa classe. Donc en fait, cette malformation n'est que physique. Elle n'impacte en rien sa vie.
- Speaker #0
D'accord. Mais il y avait quand même un côté héréditaire, parce que je ne savais pas que ta maman aussi avait ça. Et ta grand-mère aussi,
- Speaker #1
du coup. Ma maman a des pieds comme les miens. Et ma grand-mère, elle a deux orteils collés aux pieds également. C'est juste que, quand on a appris la malformation, je pense que c'est un regret que j'aurais dans ma vie, c'est qu'en fait, lors de l'écho, quand j'ai appris la malformation, je me suis à moitié tombé dans les pommes, pour ne pas dire tombé dans les pommes, et je n'ai jamais refait d'écho, donc ça c'est un regret que j'ai, parce qu'on ne pourra pas revenir en arrière là-dessus. Mais effectivement, c'est quelque chose à laquelle on s'attendait, mais je ne pensais pas que ça allait toucher les mains.
- Speaker #0
Et est-ce que tu as envie de parler de ça justement, de la manière dont vous avez accueilli cette nouvelle ? Quel cheminement vous avez fait tous les deux ? Est-ce que vous étiez d'accord sur le fait d'accueillir ce bébé ? Est-ce que tu peux nous expliquer comment ça s'est passé pour toi et pour ta compagne de l'époque ?
- Speaker #1
Alors ça a été compliqué parce qu'on s'est sentis totalement démunis, en tout cas moi, je me suis senti totalement démuni, perdu. J'avais l'impression que le ciel me tombait sur la tête, que j'avais appris quelque chose de grave. Alors qu'aujourd'hui... Je pense que si je devais parler à la personne que j'étais à l'époque, je lui dirais plein de choses positives sur la situation. Mais à l'époque, je l'ai très mal accepté. On s'est posé beaucoup de questions. On s'est posé beaucoup, beaucoup de questions. Ce qui était sûrement normal à l'époque. Mais non, ça a été compliqué. Ça a été compliqué.
- Speaker #0
Est-ce qu'on vous a parlé de maladies, de syndromes qui pouvaient être associés à ces malformations ?
- Speaker #1
Non, on nous a dit que ce n'était pas grave.
- Speaker #0
Comme vous, vous aviez déjà un terrain héréditaire, ils n'ont pas forcément cherché plus loin.
- Speaker #1
C'était pas grave en fait. Moi je sais que j'étais, je passais mes soirées sur internet à regarder comment mettre une prothèse, parce qu'on a appris effectivement qu'il avait les mêmes pieds que moi, donc il y a aussi un sentiment de culpabilité. Et après pour les mains, moi je regardais les prothèses, parce que je voulais qu'il ne se sente pas différent des autres. Et donc je regardais les prothèses sur internet, qu'est-ce qu'il allait pouvoir faire, mettre, et en fait une fois qu'il est né tout ça, ça a été fini. Mais ouais non, ça a été compliqué. Ça a été compliqué cette grossesse. À refaire, si j'avais le recul d'aujourd'hui, elle serait totalement différente. Dès l'échographie.
- Speaker #0
Oui, mais c'est vrai qu'on n'est jamais préparé à ça, surtout quand c'est son premier enfant. C'est sûr. On voit notre entourage, les bébés qui arrivent et que tout se passe bien. Je pense qu'on n'est jamais vraiment préparé et armé à accueillir un enfant différent, c'est vrai.
- Speaker #1
Surtout qu'aujourd'hui, pour moi, mon fils, il n'a absolument rien de différent. Mais à l'époque, j'avais l'impression que c'était fou ce qui nous arrivait. Alors qu'en fait, on a juste un petit garçon merveilleux qui est arrivé. Et ça, tous mes doutes, toutes mes peurs se sont effacées. à l'accouchement où j'ai vu mon petit garçon qui était mignon avec des pieds normaux, les mêmes pieds que moi en fait. La seule personne différente à la maison, c'était sa mère parce qu'en fait, sur trois, il y a qu'elle qui avait des pieds pas pareils que nous, c'est elle qui était différente, c'était pas nous. Et on en a rigolé de ça. Donc non, enfin moi j'ai juste vu un petit garçon avec des petites mains toutes mignonnes, donc franchement tout ça je l'ai oublié, mais, en une seconde, enfin des mois de peurs de doute, avec le recul, que je trouve totalement ridicule. Mais s'il y a des parents qui nous écoutent et qui sont actuellement en train de vivre une grossesse,ne vous inquiétez pas, vous êtes normaux si vous vous posez plein de questions, si vous avez plein de peurs, parce qu'aujourd'hui vous ne savez pas, mais rassurez-vous, demain tout ira bien et vous vous direz mais on s'est pris la tête pour ça ? Vraiment on s'est pris la tête pour ça ? C'est ridicule ! Mais ça, c'est avec le recul d'un enfant qui a 7 ans et demi, qui est épanoui, qui a plein de copains. Je pense toute l'école en fait ! Tout le monde le connaît. Quand on marche dans la rue, les gens le connaissent plus que moi. Donc non, c'est génial.
- Speaker #0
Un petit garçon très sociable.
- Speaker #1
Ça, c'est clair.
- Speaker #0
Et lui, comment il vit sa différence ? Il a pris conscience qu'il avait quelque chose de pas pareil que ses copains ?
- Speaker #1
Ouais, mais il a la chance d'avoir des parents qui... Pour ma part, en tout cas, moi, j'ai maintenant accepté ma différence, comme je te disais, à 90 %. Il y a encore toujours des petits blocages, mais avec le temps ça va de mieux en mieux, mais il a la chance d'avoir une maman qui... qui lui fait comprendre que ce n'est rien du tout, qui a toujours été un soutien. Et on lui a appris aussi la répartie. Dès qu'un enfant lui dit quelque chose, il a déjà de la répartie. Donc en fait, on est tous différents. On a tous des couleurs de cheveux différents, des yeux différents, des couleurs de peau différentes. On n'aime pas les mêmes choses. On a des vêtements différents. On est tous différents en fait. Si demain, quelqu'un lui dit quelque chose, il aura quelque chose à dire à l'enfant, ou pas d'ailleurs. Et ce n'est pas un souci.
- Speaker #0
J'aimerais qu'on revienne un petit peu sur toi. Est-ce que tu pourrais nous dire comment, selon toi, ta différence a influencé ton parcours de vie ?
- Speaker #1
Oui, plus jeune, je me suis beaucoup privé. On parlait de la piscine. La piscine, c'est quelque chose que j'adorais. Je n'y ai pas été pendant des années. Alors que tu vois, aujourd'hui, je peux aller à la piscine et je trouve ça génial. Aujourd'hui, pourquoi on est à la plage aujourd'hui ? Parce que c'est un lieu que j'adore. Parce qu'aujourd'hui, là on est à une cinquantaine de mètres de l'eau et en fait je pourrais enlever mes chaussettes, aller marcher dans l'eau et revenir et ça me fait ni chaud ni froid. Et même s'il y avait la plage avec plein de monde. Je pense qu'il y a encore 12-13 ans, même pas si longtemps, il y a maintenant un petit moment, mais avec une plage déserte j'aurais jamais traversé la plage. Je me souviens à Biarritz, où j'ai fait quelques mètres sur la plage, j'avais l'impression d'avoir fait un truc de dingue ! Tout ce que j'ai vu, c'est que j'ai marché avec les pieds sous le sable et qu'en fait on pouvait me suivre à la trace. Je pense que tout le monde s'est dit "c'est qui ce fou" ?! Et aujourd'hui, je pense que ça m'a, à l'inverse, ça m'a totalement libéré de ça. Et tu vois, il y a quelques jours, j'étais en vacances dans le sud-est. Donc on allait à la plage à la Seyne-sur-Mer, et je me suis retrouvé à aller dans un marché nocturne, à la plage, à me balader en ville avec mes claquettes avec mes... deux orteils qui dépassaient, donc aurait pu dire qu'un seul, parce qu'on ne voyait que le gros orteil. Un peu comme Brice de Nice ! Et en fait, ça ne me serait jamais venu à l'idée avant. Et aujourd'hui, je m'en fiche totalement. J'ai envie d'être en claquettes, je suis en claquettes. Et ça, pour moi, c'est juste la vie.
- Speaker #0
Ouais... C'est vrai qu'on a déjà eu l'occasion d'en parler tous les deux, l'acceptation de soi. Justement, on en parlait encore tout à l'heure en off. Parce que de manière générale, que l'on vive ou non avec une particularité ou un handicap, c'est... C'est souvent, pour beaucoup d'entre nous, c'est le travail de toute une vie. Quand tu nous disais que là, aujourd'hui, que ça ne te posait plus aucun problème de partir pieds nus, en claquettes, en tongs.. En tongs d'ailleurs, est-ce que tu portes des tongs ?!
- Speaker #1
Alors, on m'a déjà dit que je devrais mettre des tongs. Mon seul souci, c'est que je dois avoir un centimètre entre mes deux orteils, donc c'est un peu compliqué pour les mettre. Ça ne tiendrait pas très bien. Je pense que ça leur aurait coûté trop cher de développer des tongs pour une minorité. Donc ils ne l'ont pas fait, ce n'est pas un souci. Mais moi, aujourd'hui, mes claquettes me vont très bien. Et si, en tout cas, je dois donner un conseil à tous ces enfants, à qui on essaye de mettre ces sandales absolument atroces, les claquettes, c'est bien. Les claquettes c'est top, ça se met, on les enlève, c'est confortable, on peut les rincer, c'est très très bien. Je conseille à tous les claquettes !
- Speaker #0
Et donc, est-ce que pour toi, il y a eu un jour, un déclic, une rencontre, une personne, un évènement qui a permis de changer le regard que tu portais sur toi-même et de te dire que ça y est, tu pouvais vivre ta vie et que tu n'avais plus besoin finalement presque de l'approbation des autres pour vivre ta vie ?
- Speaker #1
Alors il y a eu jusqu'à mes 26 ans, je pense que je me suis caché. J'ai des souvenirs sur la plage où je pouvais passer 3-4 heures sur la plage à me dire "je vais bientôt y aller". Et puis finalement je mettais mes sandales, j'avais l'impression que tout le monde me voyait, alors que finalement des sandales sur une plage en sable ça ne sert à rien. Et en fait à 26 ans, quand j'ai rencontré la mère de mon fils, rapidement elle m'a dit si un jour on a un enfant, je te préviens... Tu ne vas pas te cacher, parce que si tu te caches, ça veut dire que tu as honte, en gros, dans l'idée. Et si tu te caches, c'est que tu n'acceptes pas ta différence. Donc dans ce cas-là, ton fils ne comprendra pas et n'acceptera pas non plus sa différence et c'est hors de question. Et donc en fait, à partir de là, sans avoir d'enfant, on va dire que de 26 à 30 ans, il y a eu un travail où je me suis dit, bon, en fait, il va falloir que je me bouge, parce que le jour où on aura un enfant, il va falloir que le jour où il sorte du ventre de sa maman, je sois prêt à... à l'accepter comme il est, tout à fait, et comme je suis, et ce n'est pas un souci. Et donc en fait, pendant 3-4 ans, j'ai eu cette phase où petit à petit, j'avançais. Alors c'était vraiment des petits pas, je n'ai pas forcément d'exemple comme ça, enfin si, ne serait-ce que d'aller à la plage sans chaussures, à traverser la plage, pour moi c'était quelque chose d'extraordinaire. En arrivant, en étant pieds nus assez fréquemment, c'était quelque chose qui était une grande victoire. Et puis en fait, le jour où mon fils est né, je me suis dit, mais en fait là, ça y est, c'est maintenant. Donc là, tu ne peux plus te cacher, parce que tu n'as plus le droit. Mais en fait, c'est la plus belle chose qui me soit arrivée.
- Speaker #0
C'était conscientisé tout ça, tu te fixais des petits objectifs, des petits challenges, ou ça se faisait vraiment comme ça, de manière assez naturelle ?
- Speaker #1
Non, je pense que j'étais dans mon confort. Alors avant mes 26 ans, j'étais dans mon confort de me cacher, de me dire que j'avais des verrues pour pas aller à la piscine, de ne pas aller prendre ma douche après un match de hand alors que j'avais qu'une envie, c'était d'aller prendre ma douche, mais parce que je ne voulais pas qu'on voit mes pieds. Alors qu'au final... Quand je l'ai dit à mes deux meilleurs potes, ils étaient au courant depuis toujours. Il n'y a que moi qui n'étais pas au courant qu'ils savaient. Donc vraiment ridicule ! Mais c'est des choses qui sont comme ça. Mais après c'était des petits objectifs. Arriver à aller me baigner sans mes claquettes, c'était une victoire. Enfin c'est des petites choses comme ça. Et aussi je pense que j'ai eu un gros déclic, c'était autour de la trentaine, quand mon fils est né, peut-être un peu avant ou après. J'ai pendant quelques années animé des formations, donc dans l'immobilier, et je me retrouvais face à des salles de 25 personnes et je ne sais plus sur quelle thématique à un moment donné on a parlé qu'on était tous un peu différents et moi je leur ai dit vous voyez là j'ai des orteils en moins, vous ne le voyez pas, et j'ai une phalange en plus, et pourtant je suis la personne que je suis, et ça ne pose pas de soucis et en fait il y a eu un blanc, alors il y a ceux qui ont rigolé en disant wow ton pouce c'est fou ! Et puis en fait, tout le monde s'en fiche. Et je me suis retrouvé il y a pas longtemps, peut-être deux mois, à un barbecue avec des copains du hand et des gens que je ne connaissais pas. Et on a commencé à parler de malformations. Et là, il y a une jeune femme qui me dit « tu me montres tes pieds » . Et donc, j'étais en plein barbecue. Et en fait, j'ai enlevé mes chaussettes et je lui ai montré mes pieds. Et j'ai remis mes chaussettes et ça n'a pas été un sujet. On a discuté, elle a fait « ok, d'accord » . Et en fait, je me dis, mais on se crée des blocages, soit parce qu'on ne nous a jamais poussé, soit parce que nous-mêmes on ne s'est pas poussé à accepter notre différence. Et en fait, c'est rien. Vraiment, en tout cas, si vous avez un bras en moins, un doigt en moins, une main en moins, ce n'est pas un souci. Ce n'est un souci pour personne si vous l'acceptez. Par contre, si vous ne l'acceptez pas, ça peut être un souci pour vous. Est-ce que tu as rencontré des obstacles liés à ta différence, que ce soit au niveau, comme j'ai l'impression que tu fais du sport, du sport professionnel, relationnel ?
- Speaker #0
Non, j'ai eu des peurs parfois lors de séminaires où tu vois, il y a quelques années, j'étais en séminaire à Aix-en-Provence et puis on a fait une après-midi où on a pris le bateau, on était dans les Calanques à Cassis, et je me suis dit mais imagine si tu dois aller sur le bateau, retirer tes chaussures pour monter sur le bateau. Non en fait c'est un bateau qui était plutôt grand, donc il n'y a pas eu besoin, mais dans ma tête je me suis mis à me dire, attends, c'est-à-dire que tes collègues vont te voir pieds nus alors qu'ils ne le savent pas. Et il y a peut-être deux ou trois ans j'ai fait un séminaire, je crois que c'était en Ile-de-France, et donc on a été à la piscine l'après-midi. J'étais pieds nus, j'étais à deux ou trois transats de mes collègues, très bizarre la personne qui va au fond de la piscine pour entrer dans l'eau ! Mais tu vois, aujourd'hui, ça n'arriverait plus en fait. Parce qu'en fait, ils sont tous au courant et s'ils ne sont pas au courant, ils l'apprendront le jour même et c'est pas un problème
- Speaker #1
C'est comme ça.
- Speaker #0
C'est des petits objectifs qu'on se fixe, comme tu disais tout à l'heure.
- Speaker #1
Et question, peut-être un petit peu plus intime, côté cœur, avec les filles, comment ça se passait ? Est-ce que tu dirais que ta différence a rendu tes relations amoureuses, intimes, peut-être un peu plus difficiles qu'un jeune homme qui n'aurait pas de particularité physique ?
- Speaker #0
Ça n'a jamais été un problème pour personne. Je me souviens d'une fois, j'avais 26 ans et j'étais en couple quelques mois avec une femme. Et je pense qu'il y a des bonnes personnes, il y a des mauvaises personnes et puis il y a des personnes qui ne se rendent pas compte des phrases qu'elles disent et de l'impact que ça peut avoir, et puis il y a des gens qui sont ignorants. Et je ne pense pas que ce soit de la méchanceté en plus, je pense que c'est plus de l'ignorance ou des peurs. Je pense qu'il y a beaucoup de peurs. Et cette femme m'a dit "Moi si un jour j'ai un enfant, je veux pas qu'il ait des pieds". Phrase qui est aujourd'hui absolument traumatisante quand on y repense. C'est absolument dur et atroce, je ne sais même pas comment on peut dire une phrase pareille, mais je pense que c'est de la peur. Peut-être de la bêtise aussi. Et sur le coup, je me suis dit bah oui, moi aussi, j'aimerais que mon fils il ait des pieds avec 5 orteils. À vrai dire, en fait 5 ou 2, on s'en fiche un peu, totalement, mais bon, avec le recul, peu importe, ça reste des pieds. Puis des pieds...
- Speaker #1
Ça ne définit pas la personne.
- Speaker #0
Franchement, on s'en fiche. Cette phrase-là, c'était une phrase qui a été marquante. Après... Je n'ai pas eu beaucoup de relations, mais non, ça n'a jamais été un souci. Parce que dans ma première partie de vie, ça n'a pas été un souci. Avec la mère de mon fils, ça n'a pas été un souci non plus. Justement, ça a été une force. Je la remercie. J'ai pas de mots pour la remercier sur ce sujet-là, parce que franchement...
- Speaker #1
Elle a joué un rôle important.
- Speaker #0
Ça, c'est clair.
- Speaker #1
Ça se ressent.
- Speaker #0
Puis ma compagne... Avec qui je suis depuis un petit moment maintenant, pour elle, ça n'a jamais été un souci. Elle a juste dû trouver ça bizarre les premières fois qu'on a dormi ensemble, pourquoi je gardais mes chaussettes. Elle a dû se dire que je n'avais sûrement aucun style, ou que j'étais très frileux des pieds. Mais non, pour elle, ça n'a pas été un souci. Enfin, pour toutes les personnes en tout cas qui sont ouvertes d'esprit, et qui n'ont pas peur, parce que je pense qu'il y a aussi beaucoup de peur pour cette fameuse phrase que je te disais juste avant. C'est pas un souci en fait.
- Speaker #1
Après c'est vrai que c'est quand même quelque chose d'assez rare, on parle de, alors nous c'est ce qu'on nous a dit pour mon fils, on parle d'à peu près une naissance, enfin un cas pour 100 000 naissances, donc c'est quand même assez rare.
- Speaker #0
C'est cool, un sur 100 000, c'est qu'on a de la chance !
- Speaker #1
Au niveau de la représentation, quelle place pour toi à ce sujet là au sein de notre société ?
- Speaker #0
Alors je suis assez partagé sur ce sujet là, parce que je trouve qu'avant on n'en parlait pas. Et je trouve qu'aujourd'hui on en parle beaucoup. Alors je trouve ça très bien, moi je suis Théo Curin, donc aujourd'hui son émission télé je le trouve génial et je trouve qu'il est talentueux et qu'il a toute sa place à la télé. Philippe Croizon, qui a traversé la manche de mémoire à la nage, pour moi c'est quelqu'un qui est charismatique et qui est absolument génial et qui a un humour en plus, avec ce qui lui est arrivé, qui est dingue. Artus, je suis totalement fan de son film justement sur le handicap. Vraiment, il est excellent. Et j'aime justement parce qu'en fait, il se moque mais d'une façon bienveillante. Et moi, je trouve ça génial. Après, des fois, j'ai un peu l'impression qu'il y a la société, ou des sociétés qui vont, mais surtout la société en général, des fois qui a l'impression que parler d'handicapés, c'est bien. Ou des gens différents parce que ça permet de montrer qu'on les accepte. mais J'ai l'impression que parfois, on se fait un peu de la publicité sur le dos, justement, de la différence et du handicap. Ça, ça me gêne. Ça, ça me gêne parce qu'en fait, on est juste normaux.
- Speaker #1
On a du mal parfois peut-être à avoir la sincérité des messages.
- Speaker #0
J'ai l'impression qu'il n'y a pas de juste milieu en fait. Il faut qu'on parle des gens différents ou du handicap pour montrer qu'en fait, on est... qu'ils sont normaux. Mais en fait, si on est normaux, on ne parle pas de nous. Donc, des fois, j'ai un peu du mal. Et par contre, j'ai adoré les Jeux Paralympiques. En fait, on a mis en valeur des sportifs géniaux qui font du sport, qui s'entraînent toute l'année et qui ont des difficultés, parce qu'ils n'ont pas les sponsors et pas l'accompagnement qu'ont les sportifs valides. Et franchement, j'ai adoré. J'ai eu la chance d'aller voir du para tennis à Roland-Garros. Extraordinaire ! D'aller voir du para athlétisme au Stade de France. Et c'était juste dingue, avec une ambiance dingue, avec du monde partout. Donc voilà en tout cas l'image que j'ai du handicap ou de la différence en tout cas dans la société.
- Speaker #1
Est-ce que toi, quand tu étais enfant, tu t'es senti représenté justement à la télé, dans les livres ? Est-ce qu'il y a des personnages comme ça, fictifs ou réels, auxquels tu t'es identifié ?
- Speaker #0
Alors moi, je ne me suis pas trop identifié, à part aux Tortues Ninja. Parce qu'elles avaient les mêmes pieds que moi. Elles reviennent à la mode ! Ma fille a regardé et c'est vrai que mon fils en lui a offert une petite peluche Tortue Ninja ! Donc tu vois je m'identifie un peu à elles, alors pas que pour les pizzas parce que j'aime beaucoup les pizzas, mais aussi par rapport à leurs orteils et par rapport à ce que m'a dit ce petit garçon, Luc, que je salue aujourd'hui, qui m'a dit que j'avais des pieds de Tortues Ninja. Bah oui effectivement, c'était pas méchant, c'était juste la réalité, donc t'avais juste une bonne vue et une bonne connaissance des dessins animés de l'époque, donc voilà.
- Speaker #1
Et aujourd'hui, est-ce que tu te sens plus représenté que quand tu étais petit ?
- Speaker #0
Je me sens plus représenté, oui. Après, j'en veux un peu à une partie de la société qui... Et ça, je pense que c'est mon côté un peu extrême parfois, qui se gare sur les places handicapées. Moi, je ne me considère pas handicapé, avec deux orteils à chaque pied, avec une phalange en plus. Mais par contre, j'ai beaucoup de mal avec les personnes qui ne respectent pas le handicap ou la différence. Moi, quand je vois une voiture qui n'a pas de carte handicapée, qui se gare sur une place, ça m'insupporte. Comme ça va m'insupporter quand une personne se gare sur une place handicapée avec une carte et descend de la voiture, et a un handicap invisible, et qu'on se dit il n'est pas handicapé. Ben si, mais en fait t'es pas avec lui, peut-être que s'il marche dix minutes, après il a mal au dos pendant deux semaines. Donc j'ai un peu de mal par rapport à ça, mais après par rapport au handicap je n'ai aucun souci avec ça et c'est très bien.
- Speaker #1
Est-ce que selon toi il y a encore des tabous, des choses qui sont mal comprises autour du sujet de la différence ou du handicap ?
- Speaker #0
Je ne sais pas trop... Après, il y a toujours quelque chose qui m'a posé souci. Je ne sais pas si c'est par rapport à ma différence ou pas. En tout cas, je trouve que dans le monde du travail, par exemple, on dit que dans les grandes sociétés, les grandes entreprises, il faut avoir un quota minimum de personnes handicapées. En fait, pour moi, ce n'est pas un nombre de personnes handicapées, ou plus de femmes et moins d'hommes, c'est les compétences. Et les compétences, en fait, elles ne viennent pas parce que tu es un homme, pas parce que tu es une femme, pas parce que tu as un handicap ou pas de handicap. Elles viennent parce que tu as des compétences. Donc ça, j'ai un peu du mal. Mais après, on revient tellement de loin. Donc finalement, ce n'est pas plus mal qu'on oblige les entreprises à embaucher des personnes avec un handicap quand c'est des grandes entreprises. Mais il faut que les personnes soient compétentes, qu'elles aient un handicap ou pas.
- Speaker #1
Bien sûr. Qu'est-ce que ta différence t'a appris sur toi, sur les autres, sur le monde ?
- Speaker #0
Alors qu'est-ce qu'elle m'a appris sur moi-même et sur le monde ? Déjà aujourd'hui, elle m'a appris à m'accepter. Parce que je pense que jusqu'à 26-27 ans, je m'inventais un peu des phases. J'aime pas trop la piscine, ou j'ai des verrues, ou les centres aquatiques, c'est pas trop mon truc. Juste c'est génial ! Je pense qu'aujourd'hui, je suis l'un des seuls papas qui est capable de passer deux heures à faire un château de sable, à creuser pendant trois heures, pour que la mer le rebouche après. Parce qu'en fait, je rattrape du temps que je me suis pénalisé moi-même. Et aujourd'hui quand je vois des papas allongés en train de bronzer ou de faire toute autre chose, et que moi je suis en train de creuser avec mon fils, que je mets du sable partout et que je ne ressemble plus à rien, en fait c'est trop bien, c'est génial !
- Speaker #1
Il n'est jamais trop tard en fait, pour rattraper le temps perdu.
- Speaker #0
Exactement. Donc si vous êtes comme moi, n'hésitez pas à faire des châteaux de sable, c'est génial !
- Speaker #1
Toi, qu'est-ce que tu aurais envie de dire justement aujourd'hui aux enfants ou aux ados qui auraient la même particularité que toi, ou même une autre particularité et qui vivraient mal cette différence ? Qu'est-ce que tu aurais envie de leur dire ?
- Speaker #0
Déjà que c'est normal qu'ils la vivent mal. Enfin, c'est normal.
- Speaker #1
Ça fait partie de la construction.
- Speaker #0
Ça fait partie de la construction. Donc, c'est normal. Après, ça met du temps. Je pense que l'entourage aussi a un rôle important. Même si ce n'est pas à eux de faire qu'on se sente mieux, c'est à nous de décider d'aller mieux. Mais déjà, avec un entourage qui nous pousse et qui nous montre que ce n'est pas un sujet en fait, il n'y a pas de problème. Et après c'est se renseigner. Moi j'ai 38 ans, mais quand j'étais plus jeune il n'y avait pas de podcast, il n'y avait pas forcément internet, il n'y avait pas tous ces reportages, il n'y avait pas toute cette couverture sur la différence Et aujourd'hui on a tout ça, donc écoutez des podcasts, allez sur internet, allez sur des groupes. Je sais qu'on nous a beaucoup aidé avec l'association Assedea, qui est une association pour aider les personnes qui ont des malformations congénitales.
- Speaker #1
Je mettrai le lien vers le groupe dans la description.
- Speaker #0
Tu peux. On a découvert ce groupe-là, ce groupe Facebook, je ne sais plus si c'est l'hôpital de Saint-Maurice ou si c'est à Debré qu'on nous avait donné ce site-là. Je crois que c'était à Debré, et on a été sur le groupe, on a posté un message. Ça devait être la mère de mon fils qui l'a fait pour être honnête. Et en fait, on a eu plein de réponses. On a rencontré des gens, on a fait une journée des familles. On est parti à Saint-Malo. Donc avant que j'habite en Bretagne, on est parti à Saint-Malo et on a passé un week-end, où en fait, il y a des personnes qui vont venir. De mémoire, je ne sais plus, à Saint-Malo ou ailleurs, on a vu Damien Seguin qui était venu, qui est un navigateur du Vendée Globe, à qui il manque l'avant-bras, je crois. C'était formidable. Et puis, on voit plein de gens qui ont des différences. Je me souviens également d'une journée des familles à la Fondation Auteuil à Paris, où je me souviens d'un petit garçon à qui il manquait les deux avant-bras et qui grimpait partout, et je pense qu'il était aussi turbulent que tous les autres enfants ! Et en fait, ces deux journées-là, quand j'ai vu tous ces enfants, tous ces adultes différents, mais surtout les enfants, je me suis dit, mais en fait on n'est pas tout seul, on n'est pas tout seuls. On est des dizaines, des centaines, des milliers, et c'est merveilleux. Et je me souviens d'un rendez-vous, j'avais un peu l'impression d'être porte, enfin de porter la parole de cette malformation, et un jour je fais un rendez-vous ophtalmo et je me retrouve face à une jeune fille, enfin une jeune femme, je parle comme un vieux, qui doit avoir 25-30 ans et à qui il manquait une main et en fait je lui ai dit mais vous connaissez l'Assedea ? Et elle m'a dit mais pas du tout. Donc j'étais hyper content de lui avoir fait découvrir cette association. Et aussi pour revenir en arrière, parce qu'il y a quelque chose que je t'ai pas dit, quand j'étais au lycée je me souviens d'une fille qui était dans ma classe, qui s'appelait Magalie, à qui il manquait une main. En fait, elle avait sa main, mais elle n'avait que les petites phalanges et donc elle avait toujours son pull par dessus sa main et si un jour elle tombe sur ce podcast, je pense que j'ai été quatre ans dans sa classe, je pense qu'elle n'est pas au courant que j'avais une malformation, parce que j'étais mal à l'aise à l'époque par rapport à la malformation. Moi-même ça me rendait mal à l'aise, et donc si elle écoute ce podcast Magalie... J'avais aussi une malformation, je ne te l'ai jamais dit, mais je crois que je n'étais pas à l'aise par rapport à ça en étant adolescent.
- Speaker #1
Ok, Magalie, si tu passes par là, n'hésite pas à nous faire un petit coucou !
- Speaker #0
Je pourrais te donner ses coordonnées si tu veux l'interroger un jour.
- Speaker #1
Avec plaisir !
- Speaker #0
Pas de souci !
- Speaker #1
Et qu'est-ce que tu aurais envie de dire aujourd'hui aux parents ou aux familles qui s'apprêtent à accueillir la différence dans leur vie ?
- Speaker #0
Vous avez de la chance. Vous avez de la chance parce que vous pourriez accueillir une grossesse, tout ce qu'il a de plus traditionnelle et normale, mais finalement c'est fade. Là vous allez avoir un enfant qui va vous apporter énormément, à qui vous allez pouvoir apporter énormément. Donc renseignez-vous, discutez, parlez, mais discutez avec des familles qui ont eu cette chance d'avoir un enfant avec une petite différence, parce qu'en fait cette petite différence va tellement vous apporter. Et ne commencez pas, comme moi j'ai pu le faire, à aller sur internet, à regarder, mon enfant, il n'a que quatre doigts à une main, donc il faut que je lui trouve une prothèse pour qu'il ait les mêmes mains que tout le monde. Non mais en fait, il fera ça quand il aura envie, s'il en a envie, mais laissez-le vivre. Moi aujourd'hui, mon fils, il fait tout comme tout le monde. Il écrit très bien, il fait du sport. Tu me demandais tout à l'heure par rapport au sport. Moi, j'ai fait du hand. J'en fais toujours, mais ça fait bientôt trente ans finalement que j'en fais. Je me souviens... Je prends des tirs improbables, dans des positions improbables et pourtant il me manque six orteils. Donc tout est possible. Et pour ceux qui se disent, oui mais mon handicap ne va pas me permettre de faire tel ou tel sport, regardez les JO para, regardez des sports paralympiques et vous verrez qu'en fait on peut tout faire. Tout est possible. Avec juste de l'envie, de la motivation et il faut se renseigner, il faut creuser. Il y aura des moments difficiles, ça c'est une certitude. Je pense que j'en ai vécu plein, des moments de frustration. Mais en fait c'est juste la vie en fait. Si vous n'aviez pas cette malformation, vous auriez autre chose. Tout à l'heure, avant de faire le podcast, en off, on parlait des complexes. Il y a des personnes qu'on va croiser, qui sont soit des femmes très belles, soit des hommes très beaux, et ils sont bourrés de complexes. Et pourtant, si on leur dit « mais en fait tout va bien » , ça va juste les énerver. Donc on est tous différents et c'est pas un problème.
- Speaker #1
Pour revenir juste sur le sujet de la prothèse, c'est quelque chose que je voulais aborder avec toi, parce que c'est vrai que la première réaction qu'on a quand on apprend que son enfant présente des agénésies au niveau des membres, on a envie justement de se dire, aujourd'hui on est en 2025, il existe de belles choses. Bon finalement, dans notre cas, il existe très peu de choses. Mais en tout cas, ce qui m'a marquée, c'est de voir que la majorité des familles, des personnes concernées, finalement, elles se disent, non, en fait, j'en veux pas. Je suis née comme ça et je ne vais pas me rajouter une fausse main, un faux doigt. Et j'en parlais avec les professionnels que j'ai eu l'occasion de rencontrer aussi, parce qu'ils font des petits chaussons pour les personnes qui présentent une ectrodactylie. Et elles me disaient qu'au final, on en fait très peu parce qu'on n'a pas de demande. Il y a juste eu une personne, elles me disaient, qui avait demandé, c'était une femme d'une trentaine d'années, juste pour pouvoir porter des sandales et que la sandale tienne bien. Ce n'était même pas pour le côté esthétique, mais plus pour le côté... fonctionnel et pouvoir mettre ses sandales. C'était son rêve de porter des sandales en été. Donc ça, c'est assez impressionnant aussi de se dire que finalement, l'acceptation, elle se fait, quoi.
- Speaker #0
Bien sûr.
- Speaker #1
Sur son corps. Et voilà. Donc toi, tu n'as jamais eu envie, forcément, au-delà du fait que tu t'es beaucoup caché quand t'étais plus jeune, mais tu n'as jamais eu envie non plus d'aller chercher quelque chose pour combler ce que tu n'avais pas ?
- Speaker #0
Alors moi, non. Comme je te disais tout à l'heure, j'ai quand même demandé un jour à ma mère à Noël des orteils. Comme je te disais, je ne voudrais plus aujourd'hui. Mais moi, c'est plus pour combler en disant si demain mon fils veut, il pourra avoir. Mais effectivement, si un jour il veut, il pourra. Mais non, je ne pense pas que ce soit un besoin. Mais oui, on a envie que nos enfants soient comme tout le monde. Mais comme tout le monde, ça ne veut rien dire. En fait, on est tous différents.
- Speaker #1
Je voudrais juste revenir sur l'aspect média. Est-ce que toi... Tu pourrais nous dire s'il y a une oeuvre, un livre, un film ou quelque chose qui t'aurait aidé dans ton cheminement ? Est-ce que tu aurais quelque chose à recommander à celles et ceux qui nous écoutent ?
- Speaker #0
Alors en 2010, donc mon fils est né en 2018 et en 2017, il y a le film Wonder qui est sorti.
- Speaker #1
Dont tu me parlais tout à l'heure justement, que je n'ai pas encore vu, mais qui est dans ma liste.
- Speaker #0
Et en fait, on est parti au cinéma. C'était en pleine période de grossesse et on a été voir ce film et donc je m'attendais à un film, je connaissais plus ou moins le sujet, donc c'est l'histoire d'un petit garçon qui s'appelle Auggie, qui en fait a une malformation au niveau du visage. Donc là, on ne peut pas le cacher clairement et donc jusqu'à temps qu'il aille à l'école, il avait souvent son casque d'astronaute sur la tête et puis un jour il fallait aller à l'école et il fallait le retirer et en fait il sort de sa bulle, il est plus protégé et il se retrouve face au monde et déjà il a peur, il a pas envie. Et il a beau être soutenu par sa famille, en fait, il se retrouve face au monde. Et le monde n'est pas toujours sympa, il est plutôt méchant même parfois. Et en fait, c'est hyper dur. Et en fait, cet enfant, grâce à sa gentillesse, grâce à son humour, à l'accompagnement de sa famille, ses amis, en fait, il s'intègre dans l'école et c'est un enfant comme les autres. Par contre, au début, on se rend compte qu'effectivement, l'acceptation de soi, le fait d'être gentil, d'avoir de l'humour, l'entourage, aide énormément. Et donc Wonder pour moi c'était un film que je n'ai regardé qu'une fois en 2017, mais j'aimerais bien le regarder prochainement, ça m'a donné envie de le revoir, parce que ce film il est absolument dingue et si vous êtes en période de grossesse ou que votre enfant est déjà né et que nous avons envie de vous faire du bien, regardez ce film et vraiment moi j'ai un côté sensible mais pendant ce film j'ai clairement pleuré et je suis sorti de là en me disant mais ouf.
- Speaker #1
Ça me m'étonne pas. J'ai juste vu la bande-annonce et déjà j'avais les larmes qui montaient.
- Speaker #0
Auggie, dans Wonder, à voir absolument.
- Speaker #1
Jonathan, on arrive à la fin déjà de cet entretien et je vais à présent te poser la question signature du podcast. Avec ton parcours, ton expérience, les rencontres qui ont rythmées ta vie jusqu'à présent, quel message tu aimerais transmettre à l'enfant que tu étais ?
- Speaker #0
Très très bonne question. Très très bonne question ! J'aimerais lui dire que sa vie va être belle, qu'il va pouvoir vivre plein de choses. Il faut juste qu'il accepte qu'il est différent, mais qu'on est tous différents, et que le jour où il acceptera qu'il est différent, mais que c'est aussi une force, il va pouvoir faire plein de choses, beaucoup de choses et qu'il va pouvoir vivre et profiter et faire tout ce qu'il veut. Il faut juste qu'il en ait envie. Qu'il fasse une liste de tout ce qu'il a envie, il fera tout ce qu'il veut et c'est pas un souci. Et que si un jour, il y a quelqu'un qui lui dit quelque chose, ce n'est pas un problème. Donc, tout va bien.
- Speaker #1
Pour finir, si tu devais donner un titre à cet épisode, à ce premier épisode du podcast Différences, tu choisirais lequel ?
- Speaker #0
Accepter sa différence pour vivre pleinement.
- Speaker #1
Wow. Eh bien, on note ça !
- Speaker #0
Avec plaisir !
- Speaker #1
Merci infiniment pour ces précieux partages, Jonathan. Pour tes mots, pour ta sincérité, ta sensibilité, et je te dis à bientôt !
- Speaker #0
Merci Audrey, et longue vie à ce magnifique podcast.
- Speaker #1
Vous venez d'écouter un nouvel épisode de Différences. Merci d'avoir partagé ce moment avec nous. Si cet épisode vous a plu ou touché, n'hésitez pas à en parler autour de vous, à vous abonner sur votre plateforme d'écoute préférée, à y laisser quelques étoiles et à nous rejoindre sur le compte Instagram @différences.media pour soutenir et faire grandir le podcast. Je vous dis à très vite et surtout, souvenez-vous, nos différences sont nos plus grandes forces !