Speaker #0C'est l'histoire d'un fils de voyou devenu flic qui devient voyou. C'est l'histoire d'une hĂ©rĂ©ditĂ© Ă laquelle on n'Ă©chappe pas, ou peut-ĂȘtre que si finalement. C'est l'histoire d'un homme tourmentĂ© et violent qui parcourt un New York aussi glauque et lugubre que lui. Ce film est un classique du genre noir. Mais c'est une noirceur qui ne renvoie pas Ă la violence pure comme dans Born to Kill, mais plutĂŽt une noirceur qui a un goĂ»t de dĂ©sespoir et de culpabilitĂ©. Ce film s'appelle... Where the sidewalk ends, titre français, Mark Dixon, dĂ©tective. Et on en parle dans l'Ă©pisode 13 d'Emotion Side Story. Aujourd'hui, on va explorer un film noir un peu sous-estimĂ©, Where the sidewalk ends, titre français, Mark Dixon, dĂ©tective. Sous-titrage SociĂ©tĂ© Radio-Canada Where the Sidewalk Ends est un film de 1950 d'Otto Preminger avec Dana Andrews, Jim Tierney et Gary Merrill. Ce film sophistiquĂ© et dĂ©chirant est classĂ© numĂ©ro 9 dans mon top 10 des films noirs de l'Ăąge d'or hollywoodien. Cinq ans aprĂšs Laura, Otto Preminger, Dana Andrews et Jim Tierney se retrouvent pour un nouveau film noir, mais cette fois on est dans une veine rĂ©aliste voire dĂ©pressive. Where the Cyborg Ends est une Ćuvre qui traite notamment des violences policiĂšres avec un sergent de police hantĂ© par ses mĂ©faits. Otto Preminger, le rĂ©alisateur, et Ben Hedge, le scĂ©nariste, nous dressent le portrait d'un policier brutal, parfois enragĂ©, qui fonce tĂȘte baissĂ©e sans se soucier des consĂ©quences. Et pourtant, on ne peut pas s'empĂȘcher d'ĂȘtre touchĂ© par cet homme torturĂ©, maladroit. et amoureux, parfois doux, magistralement interprĂ©tĂ©s par Dana Andrews. Where the Sad Walk Ends est un film noir profond, mĂ©lancolique et qui se mĂ©rite. De quoi ça parle ? Mark Dixon, Dana Andrews, sergent de police Ă New York, tue accidentellement un suspect et dissimule son crime en tentant de jeter la suspicion sur un gangster vĂ©reux, Gary Merrill, qu'il poursuit en vain depuis plusieurs annĂ©es. Mais au lieu de cela, c'est un gentil chauffeur de taxi qui devient le principal suspect. Ce chauffeur de taxi est le pĂšre de Morgane, jouĂ© par Gene Tierney, qui est aussi l'Ă©pouse de l'homme tuĂ© par Mark Dixon. Le policier, tombĂ© amoureux de Morgan, va dĂ©sespĂ©rĂ©ment tenter de sauver son pĂšre sans se trahir lui-mĂȘme. Un film noir d'origine contrĂŽlĂ©e. Where the sidewalk ends est un concentrĂ© de noir chimiquement pur. Pourquoi ? Il en a presque toutes les caractĂ©ristiques. D'abord, on est sur le registre de la tragĂ©die, avec cette idĂ©e de fatalitĂ©. Ici, on traite de la fatalitĂ© des origines dont on ne peut s'extraire. Mark Dixon, notez le son son, qui veut dire fils en anglais, est l'enfant d'un truand. Il en a eu toujours honte, et c'est sans doute pour ça qu'il s'est lancĂ© dans la carriĂšre de policier. Pour tuer le pĂšre. Un peu Ă la maniĂšre d'Oedipe, Mark Dixon commet une faute, une faute irrĂ©parable qui le rappelle Ă sa filiation. Quoi qu'il fasse, il reste le fils d'un voyou, et donc il doit se comporter en tant que tel. C'est ce que le film montre, l'emprisonnement liĂ© Ă l'hĂ©rĂ©ditĂ©, du moins en apparence, car le personnage de Morgan, jouĂ© par Gene Tierney, va s'attacher Ă nous prouver le contraire. Cette idĂ©e de destin, de fatalitĂ©, issu de la tragĂ©die grecque, est un trait typique du film noir. Mais il n'y a pas que ça. Une autre caractĂ©ristique de la marque film noir est la reprĂ©sentation de la ville. L'espace urbain est essentiel dans le genre noir, et il est souvent Ă l'image de la psychĂ© des personnages. Dans le New York de Where the Sidewalk Ends, les trottoirs sont sales, la foule est inquiĂ©tante, les appartements sont dĂ©labrĂ©s. On retrouve des cadres magnifiques qui prĂ©sentent un arriĂšre-plan vertical constituĂ© d'immeubles avec des petits carrĂ©s lumineux reprĂ©sentant les fenĂȘtres. Mais cet arriĂšre-plan semble Ă©craser les personnages. Il y a comme un arriĂšre-goĂ»t de gothique dans ce paysage urbain oppressant. D'ailleurs, presque tout le film se dĂ©roule la nuit. Il faut noter qu'on voit beaucoup de grillages ou de barreaux aux fenĂȘtres, signe de l'enfermement mental des personnages. Une scĂšne trĂšs belle Montre Mark Dixon passer la nuit au commissariat. La camĂ©ra reste fixĂ©e sur la fenĂȘtre oĂč l'on peut voir l'arrivĂ©e du jour. Une fenĂȘtre avec des barreaux. La camĂ©ra se dirige ensuite vers l'intĂ©rieur de la piĂšce oĂč Mark Dixon, qui n'a pas fermĂ© l'Ćil de la nuit, est restĂ© dans la mĂȘme position. J'arrive Ă la troisiĂšme caractĂ©ristique du film, les tourments, la culpabilitĂ© du hĂ©ros. Mark Dixon est confrontĂ© Ă un choix cornĂ©lien. Doit-il avouer son crime et courir le risque d'aller en prison et perdre la femme qu'il aime ou ne rien dire du tout ? et peut-ĂȘtre construire une vie heureuse avec Morgane. Ăvidemment, je ne vous dirai pas quel choix il fera finalement, mais ce que je peux vous dire, c'est que tout le long du film, on voit la culpabilitĂ© et la peur, la peur d'ĂȘtre dĂ©masquĂ©, jouer sur le visage si peu expressif de Dana Andrews. MalgrĂ© une Ă©conomie d'expression chez l'acteur, on voit notamment Ă travers sa mĂąchoire serrĂ©e, ses yeux Ă©pouvantĂ©s, son corps fatiguĂ©, toute la torture mentale qui se joue chez lui. Et c'est une sacrĂ©e performance. On vient de balayer trois caractĂ©ristiques. La fatalitĂ©, la ville oppressante, les tourments intĂ©rieurs, mais qu'en est-il de la figure de la femme fatale ? Dans ce film, Morgane, jouĂ©e par Jean Tierney, est l'Ă©pouse de l'homme que Mark Dixon a tuĂ©, et la fille du principal suspect. Morgane n'a rien des attributs un peu clichĂ©s que l'on retrouve chez beaucoup de femmes fatales, Ă savoir manipuler le hĂ©ros par son pouvoir sexuel. En fait, on est Ă l'opposĂ© ici. Morgane est droite, honnĂȘte, aimante. Elle est vĂ©ritablement angĂ©lique. Elle a une fonction contraire aux femmes fatales traditionnelles. Au lieu d'emmener le hĂ©ros sur le chemin de la perdition, elle tente de guider Mark vers la rĂ©demption. Quelle Ă©motion m'inspire ce film. Dans Where the Sidewalk Ends, l'Ă©motion qui prĂ©domine, c'est l'impulsivitĂ©. Le Robert dĂ©finit le caractĂšre impulsif, comme je cite, le fait d'agir sous l'impulsion de mouvements spontanĂ©s ou plus forts que sa volontĂ©. Mark Dixon, sous l'impulsion d'un mouvement spontanĂ©, va commettre l'irrĂ©parable. Son impulsivitĂ© le mĂšne Ă contempler avec effroi les consĂ©quences de sa violence. Est-ce bien lui qui a commis ce crime ou le pĂšre voyou ? qui est Ă l'intĂ©rieur de lui. DĂšs le dĂ©but du film, par la voix du supĂ©rieur de Mark Dixon, le spectateur est averti. Ce policier est violent, il aime jouer des points, souvent, comme s'il ne pouvait s'en empĂȘcher, comme si la violence enfouie en lui devait, envers et contre tout, se manifester, mĂȘme si cela compromet sa carriĂšre ou affecte ses relations avec les autres. Quelles sont les origines de son impulsivitĂ© ? Le film semble nous dire qu'il l'a hĂ©ritĂ© de son pĂšre, un peu Ă la maniĂšre d'une tragĂ©die grecque ou comme la saga des Rougeons Macquart de Zola, le hĂ©ros est piĂ©gĂ© par le sang, par le poids de la faute hĂ©rĂ©ditaire. Le film semble nous dire qu'on ne peut Ă©chapper Ă ses origines, on ne peut Ă©chapper Ă ses gĂšnes. Ici encore, on retrouve cette idĂ©e d'aliĂ©nation. D'emprisonnement mental, l'impulsivitĂ© de Mark Dixon le prive de la possibilitĂ© d'exercer sa raison. Ses points parlent avant sa tĂȘte. Et ce qui est assez ambigu et ironique dans le film, c'est qu'il semble dire notamment que les violences policiĂšres, ça marche. C'est comme ça que Mark Dixon arrive Ă faire parler les voyous. Une mĂ©thode que son nouveau chef, un peu timorĂ©, jouĂ© par l'excellent Karl Malden, finira lui-mĂȘme par utiliser. Le miroir inversĂ© de Laura. Je l'ai dit en dĂ©but d'Ă©pisode, une grande partie de l'Ă©quipe de Laura est Ă la manĆuvre pour The Where the Sidewalk Ends. DĂ©jĂ , c'est le mĂȘme studio, La Fox, avec toujours aux commandes le tyrannique Daryl Zanouk. On retrouve aussi le mĂȘme duo rĂ©alisateur-directeur de la photographie, Otto Preminger et Joseph Lachelle. Il y a aussi le mĂȘme duo de comĂ©diens, Dan Andrews et Dan Lachell. qui joue aussi un policier, ainsi que la sublime et Ă©nigmatique Jean Tierney. Mais lĂ , on est cinq ans aprĂšs Laura. Les hĂ©ros ont vieilli, surtout Dana Andrews, qui dans le film est tout en angoisse et vulnĂ©rabilitĂ©. L'atmosphĂšre est aussi trĂšs diffĂ©rente de Laura. Dans The Where the Sidewalk Ends, on n'est plus chez les riches, mais dans un milieu poisseux, populaire, rempli de malfrats de bas Ă©tage. Ce n'est plus le New York sophistiquĂ© et bling-bling de Waldo Lidecker, le Pygmalion de Laura, mais le New York sale, dĂ©labrĂ©, des gangsters Ă la petite semaine. D'ailleurs, le beau gĂ©nĂ©rique du film plante trĂšs bien le dĂ©cor. La camĂ©ra s'avance sur un trottoir et quand le trottoir s'arrĂȘte, en anglais, the sidewalk ends, on arrive Ă un Ă©gout avec des dĂ©tritus qui dansent. Tout est dit, on nous annonce dĂšs le dĂ©part que ce sera sordide et que ce sera sale. Il n'y a plus d'onirisme ou de romantisme noir comme dans Laura. Ici, nous cĂŽtoyons le rĂ©alisme de la rue et un cru dĂ©sespoir. Dana Andrews, le prototype masculin du film noir. J'aimerais faire un petit focus sur Dana Andrews, un acteur un peu oubliĂ© et un peu sous-estimĂ©. Dana Andrews est un fidĂšle de Preminger. Le grand rĂ©alisateur viennois lui a donnĂ© ses plus beaux rĂŽles dans le genre noir, avec Laura, bien Ă©videmment, mais aussi Fallen Angel, Crime Passionnel, 1945. Mais il a aussi travaillĂ© avec lui sur le genre du mĂ©lodrame avec Daisy Kenyon, Femme ou MaĂźtresse, 1947. Dana Andrews a aussi jouĂ© pour d'autres grands rĂ©alisateurs, comme Fritz Lang ou Jacques Turner. L'un de ses plus beaux rĂŽles reste celui du soldat Fred Derry dans Les plus belles annĂ©es de notre vie de William Wyler. Mais Dan Andrews est surtout connu pour ĂȘtre une des plus belles incarnations masculines du film noir. Il a cette silhouette iconique recouverte d'un par-dessus complĂ©tĂ© par le chapeau de rigueur, souvent tenant un verre de bourbon avec la cigarette qui n'est jamais loin. Il est l'image du hĂ©ros masculin viril et impassible, une image qui le poursuit. peut-ĂȘtre malgrĂ© lui. Dans l'Ă©mission TCM Noir AllĂ©, l'expert du film noir, Eddie Muller, raconte que dans un livre de Jeffrey O'Brien consacrĂ© Ă Dana Andrews, il est Ă©crit que le visage de l'acteur est ce Ă quoi ressemblent le tabac et l'alcool quand ce n'est plus du tout amusant. Dans le film Where the Sidewalk Ends, il est un policier marquĂ© par l'Ă©puisement et la culpabilitĂ©. Aucun acteur n'a su aussi bien exprimer, avec une telle impassibilitĂ©, la peur refoulĂ©e, la fragilitĂ© sourde, le poids de la faute. Mais aussi et surtout, la mĂ©lancolie. Pour moi, Mark Dixon, c'est la tristesse d'ĂȘtre au monde. Otto Preminger, le patron. Dans mon top 10 des films noirs de l'Ăąge d'or hollywoodien, Preminger apparaĂźt deux fois. Je vous laisse deviner de quel autre film il s'agit. Otto Preminger est l'un des meilleurs fournisseurs de films noirs. Avec des chefs-d'oeuvre comme Laura, j'en parle dans l'Ă©pisode 3 d'Emission Side Story, Crime Passionnel, Fallen Angel, 1945, Un Si Doux Visage, Angel Face, 1952, ou encore le film dont on parle aujourd'hui, Where the Sidewalk Ends. Mais pourquoi est-il aussi bon dans le genre noir ? D'abord, parce qu'Otto Preminger aime injecter de l'ambiguĂŻtĂ©. Les personnages de ces films ne sont pas des blocs unifiĂ©s. Ils ont tous des failles morales et des faiblesses. Ensuite, parce qu'il fait confiance Ă l'intelligence du spectateur. Il n'a pas besoin de surligner les Ă©motions ou les motivations des personnages. Il se place Ă bonne distance pour permettre au spectateur de construire sa propre perception et son jugement. Et enfin, sa mise en scĂšne, hyper travaillĂ©e, hyper stylisĂ©e et qui pourtant n'est jamais ostentatoire ou artificielle. C'est une mise en scĂšne qui sait se mettre au service de l'histoire. Un exemple frappant est ce moment incroyable oĂč Mark Dixon est surpris en essayant de dĂ©placer le corps de sa victime. Par ses mouvements de camĂ©ra Ă©lĂ©gants et fluides, par l'implĂ©mentation d'un univers oppressant. Par le gimmick et la symbolique rĂ©currente des barreaux placĂ©s dans le cadre, Otto Preminger a su nous faire rentrer dans la prison mentale de Mark Dixon et Ă nous faire ressentir son profond dĂ©sespoir. Merci de m'avoir Ă©coutĂ©e. Si vous avez aimĂ©, n'hĂ©sitez pas Ă vous abonner et Ă partager autour de vous. Si vous avez des idĂ©es de films que vous aimeriez que l'on aborde, dites-le-moi en commentaire. En attendant, on se retrouve la semaine prochaine pour un nouvel Ă©pisode de Emotion Side Story. D'ici lĂ , n'oubliez pas de plonger dans le bain des Ă©motions et du cinĂ©ma.