undefined cover
undefined cover
Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition cover
Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition cover
En un battement d'aile

Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition

Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition

54min |01/01/2025
Play
undefined cover
undefined cover
Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition cover
Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition cover
En un battement d'aile

Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition

Corinne Morel Darleux : trouver le bonheur dans un monde en transition

54min |01/01/2025
Play

Description

Pour ce premier épisode d’En un battement d’aile en 2025, nous accueillons Corinne Morel Darleux, militante écologiste et écrivaine, qui explore dans ses écrits et ses réflexions la quête de sens, la beauté du vivant, et les tensions entre lucidité et espoir face aux bouleversements du monde.


Corinne Morel Darleux interroge notre capacité à faire émerger la beauté au cœur du chaos et à réinventer notre façon d’habiter la Terre.


Un mois pour s'inspirer


Cet entretien inaugure une série spéciale pour débuter l’année, où nous parlons de bonheur, de la jeunesse et d’optimisme avec trois invités exceptionnels.


🎧 Retrouvez également les prochains entretiens de cette série :

  • Flore Vasseur : Le pouvoir de la jeunesse (diffusion le 15 janvier)

  • Arthur Auboeuf : Avancer avec optimisme, le meilleur est Avenir ! (diffusion le 29 janvier)


Des conversations profondes et éclairantes pour commencer l’année avec inspiration et sérénité.


Bonne écoute et très belle année 2025 à toutes et à tous ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


💚 POUR SOUTENIR LE PODCAST


  1. Abonnez-vous au compte Instagram @enunbattementdaile

  2. Laissez un avis sur Apple Podcast par ici 🙏

  3. Faites-le découvrir autour de vous !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Corinne Morel-Darleux est une femme qui questionne, qui remet en cause, qui refuse les compromis faciles. Militante passionnée, écrivaine sensible, elle mêle dans son œuvre poésie et politique, explorant les chemins qui nous mènent à la beauté, même quand le monde semble vacillé. Nous nous retrouvons ce 17 octobre en pleine intempérie alors qu'elle est de passage à Lyon. Les inondations qui frappent Givor l'empêcheront ce soir-là. de participer à une rencontre à la médiathèque de la ville. Un phénomène qui rappelle la toute-puissance de la nature et qui sera de plus en plus fréquent avec le dérèglement climatique. Ce lien au vivant, Corinne Morel-Darleux l'explore depuis son parcours politique en tant qu'élue écologiste jusqu'à ses réflexions introspectives dans ses récents ouvrages. Avec donc cette question sous-jacente, comment naviguer entre espoir et lucidité ? Cet entretien ouvre une série un peu spéciale pour démarrer 2025, un mois de janvier sans reportage, mais avec trois entretiens exceptionnels pour réfléchir ensemble à ce qui fait sens dans nos vies et à comment avancer dans un monde en pleine transformation. Avec Corinne Morel-Darleu, nous parlerons donc de bonheur et de quête de sens, avec Flore Vasseur, la réalisatrice du documentaire Bigger Than Us de jeunesse et d'engagement, et avec Arthur Aubeuf. cofondateur de Time for the Planet, d'action et d'optimisme. Trois mots pour trois inspirations pour bien commencer l'année. Eh bien Corinne, bonjour. Bonjour. Et un grand merci d'être ici dans ce podcast en un battement d'aile. Je suis ravie de vous accueillir. J'avais envie de démarrer par un extrait de livre que vous allez forcément reconnaître. Alors, je reprends mon passage. Je repasse les écoutes du bon côté et mets le cap sur un grand pétrolier à l'encre dans la baie. Flac ! Plein dans la passerelle. C'est un message de lance-pierre accablé pour Robert du Sunday Times. Cher Robert, le Horn a été arrondi le 5 février et nous sommes le 18 mars. Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. Le projectile à peine envoyé me voit la prise d'une légère inquiétude. Comprendront-ils là-bas ? Il y avait une fois un mot de passe, c'était ésope La sentinelle avait compris ésope Ne vous inquiétez pas, même si vous ne comprenez pas très bien, ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas tous comprendre à quel point je suis heureux en ce moment, sur le bout dehors, en regardant mon bateau courir à plus de sept nœuds, avec un grand arc-en-ciel sous le vent de l'étrave, pour doubler bonne espérance Vous aurez donc reconnu cet extrait. de La longue route de Bernard Moitessier, un livre que j'ai moi-même beaucoup aimé. Grâce à vous, pour préparer cette interview, je me suis un peu replongée dedans. Vous l'évoquez longuement dans votre livre, Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce. C'est quoi le bonheur pour vous ?

  • Speaker #1

    D'abord, merci pour cet extrait qui me touche d'autant plus que je reviens du festival Les aventuriers de la mer à Lorient, où j'ai enfin pu monter à bord. du voilier en question Ausha et donc c'est assez émouvant de pénétrer à l'intérieur de ce bateau mythique et avec lequel on navigue tout au long de la longue route. Et effectivement le bonheur c'est peut-être ça tout simplement, se sentir au bon endroit, au bon moment et avec... La bonne compagnie ou sans compagnie s'il s'agit de solitude choisie, mais en tout cas ce sentiment d'être à l'endroit juste, je crois. Ce serait peut-être ça une définition du bonheur.

  • Speaker #0

    Alors vous dites dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce que nous disposons tous des ressources nécessaires, psychologiques, matérielles pour décider d'agir sur certaines plaies. Et je vous cite, se concentrer sur un sourire, mettre fin aux relations toxiques, militer ou arrêter de militer. Changer de boulot, se reconvertir, déménager, passer à temps partiel, cesser de s'en faire pour des broutilles, aller enfin voir le médecin, s'astreindre aux cours de danse, de flûte, de yoga, de ce que vous voulez, arrêter de dire il faut que je le fasse le faire, même mettre fin à ce régime frustrant qui ne sert à rien, virer son psy, reprendre la cigarette, que sais-je, il existe mille manières, petites et grandes, de reprendre un tant soit peu la main, de se faire du bien et d'ajouter un peu de joie à ce monde. Pas facile quand même de réussir à aller jusqu'au bout, de trouver ce bonheur dans des petites choses simples. Et parfois on peut se dire, ceux qui sont en situation de précarité, ceux qui font face à de grandes galères, comment on arrive à remettre ces petits moments de joie dans nos vies ?

  • Speaker #1

    Alors c'est effectivement tout le propos de mes deux livres chez Libertalia d'ailleurs. Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ou le dernier, alors nous irons trouver la beauté ailleurs. C'est justement de trouver une manière de parler de joie, de beauté, d'émerveillement, sans être dans un propos bourgeois de privilégier un décent en faisant fi des rapports de domination, des conditions matérielles d'existence qui font qu'il y a plein de personnes pour lesquelles c'est pas comme ça que ce... posent les préoccupations de tous les jours, naturellement. Et donc tout le propos c'est ça, et notamment dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce, j'interroge beaucoup cette question de quelle est finalement la part de choix qui nous reste en tant qu'individu. Quand on est dans une société capitaliste, consumériste, avec beaucoup d'injonctions sociales, beaucoup d'injustices sociales aussi, Et puis des choix contraints bien souvent parce qu'on est locataire ou parce qu'on est sans logement, parce qu'on galère à trouver un travail. Et donc quelle est la part de libre arbitre finalement qui reste là-dedans et quelle est la part qui revient à l'individu ? Et notamment pour toutes ces histoires de changement de comportement dont on entend beaucoup parler. Et le postulat que je pose, c'est que refuser au plus précaire... La possibilité de dire non ou de faire un pas de côté, précisément parce qu'ils sont précaires, finalement ce serait vraiment la double peine. Et en plus même d'un point de vue éthique, moral, ça me paraît insoutenable. Et donc je pars du principe que tout le monde a la possibilité de faire un pas de côté, de refuser des choses. Alors évidemment c'est pas toujours... au même niveau, c'est pas toujours aussi spectaculaire que Bernard Moitessier ou que les bifurqueurs qui vont refuser une carrière parce qu'ils en ont la possibilité. Mais c'est pour ça que j'essaye de donner des exemples plus petits, plus concrets. Et c'est pas juste le geste en soi, c'est ce que ça provoque aussi en termes de souveraineté de l'individu et de fierté en fait. De retrouver... C'est ça. C'est cette fierté qui est trop souvent piétinée aujourd'hui par le système.

  • Speaker #0

    Et le tout c'est d'avoir de l'imagination ?

  • Speaker #1

    De l'imagination, je ne sais pas. Le tout, en fait, moi je crois vraiment de plus en plus que la clé, et c'est très difficile à trouver, cette clé c'est la question du temps, de la disponibilité d'esprit. Parce que bien souvent, il y a énormément de choses dans lesquelles on se laisse embarquer, simplement parce que... On n'a pas le temps ou pas la disponibilité de se poser pour y réfléchir un peu sérieusement.

  • Speaker #0

    Donc vous insistez sur l'importance de la dignité au présent, une formule qui est assez puissante, pleine de sens, surtout dans le contexte actuel. Cette dignité au présent, c'est être capable justement, comme vous le disiez, d'éviter cette double peine en fonction des situations et d'en revenir à... Une dignité au présent.

  • Speaker #1

    Alors en fait, cette idée-là, je l'ai développée en réflexion sur le militantisme, et singulièrement sur le militantisme écolo, parce qu'au moment où j'ai rédigé ce texte, c'était principalement à l'été 2018. On était vraiment dans le creux de la vague. Il n'y avait pas encore eu la naissance de tous les collectifs type Extinction Rebellion ou soulèvement de la Terre, etc. qu'il y a aujourd'hui. Et on était vraiment au creux de la vague avec une accélération des dégradations, assez peu de victoires dans notre camp ou des toutes petites victoires qui ne faisaient pas vraiment la différence. Et il y avait vraiment, voilà, on sentait qu'il y avait un espèce de vent de désertion qui courait sur les rangs militants, de découragement, de désespoir parfois. Et en fait, j'ai commencé à formuler cette idée de dignité du présent en me disant en fait que même quand les victoires futures semblaient de plus en plus hypothétiques... il y avait toujours des raisons de continuer à se battre parce que quand on s'engage dans une cause, on ne s'engage pas parce qu'on est sûr de la gagner à la fin. On s'engage simplement parce que c'est une cause qui nous semble juste à mener à un moment donné au présent justement. Et donc c'était une manière de se dire, si les victoires futures ne sont pas là, il nous reste la dignité du présent et ça reste une raison suffisante pour continuer à se lever le matin et continuer à lutter.

  • Speaker #0

    Et dans une époque où justement beaucoup de personnes ressentent un sentiment d'impuissance face aux crises climatiques, sociales, politiques, on l'a vu particulièrement ces derniers mois, cette dignité au présent finalement c'est une manière aussi de ne pas sombrer dans la résignation ?

  • Speaker #1

    Oui tout à fait, c'est une manière de se dire que ce qu'on fait, on le fait aussi pour se sentir debout, digne. Et puis... Aussi parce qu'en réalité, il reste toujours des combats à mener. Même si on a le sentiment que les espèces de grands monolithes qu'on s'était posés à un moment donné sur le fait de sauver la planète, sauver le climat, renverser le capitalisme, faire la révolution, ces monolithes-là sont peut-être un peu énormes aujourd'hui à franchir. Mais ce n'est pas pour autant, comme je l'ai écrit aussi, il y a toujours un dixième de degré à les sauver, il y a toujours une espèce d'invertébré à préserver, toujours un sourire à donner, toujours de la beauté à préserver ou à faire éclore. Et donc en réalité, je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle, mais la lutte ne s'arrête jamais. Et même si les objectifs qu'on s'était fixés au départ s'avèrent trop hauts pour les remplir, on peut se fixer de plus petits objectifs plus atteignables et continuer à espérer remporter des victoires au moins sur ces objectifs-là.

  • Speaker #0

    Et pourtant, vous dites que l'optimisme vous a quitté.

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Moi, je me sens assez désillusionnée. Alors après, si je le dis comme ça, désillusionnée, c'est plutôt une bonne chose. Quand on perd ses illusions, on gagne en lucidité. Je crois que c'est effectivement exactement ce qui m'arrive. Mais c'est vrai que tous les termes d'espoir ou d'optimisme, moi, sont des termes que je n'utilise pas du tout. Parce qu'il me semble que ce n'est pas dans ces termes-là que ça se pose, en fait, que la question n'est pas de savoir si on a de l'espoir ou si on est optimiste. La question pour moi est d'arriver à conjuguer de la lucidité et de la détermination et de rentrer dans l'action pour ce qu'il est possible de faire, de modifier, de changer. encore aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est là où cette dignité au présent, elle peut devenir une forme de résistance au désespoir, quelque part ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, tout à fait. Moi, je le vis vraiment, enfin, en tout cas, quand je l'ai formulé, pour moi, c'était vraiment une espèce de bouée à laquelle s'accrocher pour justement ne pas... Ne pas baisser les bras, ne pas laisser tomber, de se dire non en fait s'il ne devait rester à la fin qu'une raison de continuer la lutte, c'est la question de la dignité.

  • Speaker #0

    Et c'est finalement aussi sortir de cette promesse du résultat pour se dire même si à la fin on perd, on aura au moins fait quelque chose.

  • Speaker #1

    Oui, c'est exactement ça. Moi, je suis très attachée aux questions d'éthique dans le champ politique. Et pour moi, ça, ça relève vraiment d'une question presque d'éthique personnelle. Alors après, très honnêtement, je veux aussi nuancer un peu ce propos-là ou en tout cas le préciser. C'est qu'il ne s'agit pas de dire que tout le monde, pour être digne, devrait... aller investir des aides, participer à des occupations. Ce n'est pas du tout ça mon propos. Mais il y a une question de dignité d'éthique quand on en a la possibilité à se poser des questions, à essayer de décrypter le monde qui nous entoure et à chercher la manière dont on peut avoir prise sur ce qui ne nous va pas. et tout faire pour l'améliorer. En fait, c'est plutôt dans ces termes-là que je le pose.

  • Speaker #0

    Corinne Morel d'Arleux, où est-ce qu'on en est aujourd'hui justement de la prise de conscience de ces enjeux écologiques et sociaux ? Vous soulignez que bien que la bataille culturelle soit essentielle, le changement par la somme d'actes individuels semble insuffisant. On peut avoir la sensation, et j'en discutais encore avec des responsables d'associations dernièrement, qui me disaient qu'on a l'impression que l'écologie a un peu disparu à la fois de l'agenda politique, médiatique. qui a une forme de désintérêt qui revient sur le devant de la scène ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas eu qu'une impression, c'est documenté. Je crois qu'on peut dire que c'est un constat. Et c'est un constat qui est pour le coup assez désespérant quand même. Parce qu'effectivement, on a l'impression qu'alors que tout s'accélère en termes de dépassement des limites planétaires, en termes de dérèglement climatique... L'extinction de la biodiversité, il y a encore ces chiffres absolument terrifiants qui sont sortis sur la baisse de 73% de la population de vertébrés en 50 ans. Enfin je veux dire, 50 ans c'est mon âge quoi. C'est, enfin voilà, tout semble s'accélérer vers le pire. Et alors qu'on pourrait imaginer... qu'il y ait une accélération de la prise de conscience, de l'agitation, de décisions publiques par rapport à ça, on a l'impression effectivement que, je ne sais pas si c'est du déni, je ne sais pas à quel point tout ça est cynique, de la part notamment des pouvoirs économiques et politiques, mais en tout cas, non seulement... Il y a un effet pour faire face à ces enjeux-là, mais on continue même à accélérer des tricotages législatifs sur les quelques maigres lois de préservation de l'environnement. D'un point de vue social, c'est pareil, c'est vraiment la fuite en avant sur les droits sociaux, sur les droits humains. Bon, voilà, tout ça est quand même extrêmement... extrêmement inquiétant, je trouve. Et c'est même parfois, plus ça va et plus je me demande même finalement comment tout ça tient encore, quand on regarde l'état des services d'urgence ou de l'hôpital public, quand on voit qu'encore en cette rentrée, l'éducation nationale commence à appeler des retraités de l'enseignement qui sont à la retraite depuis 15 ans, parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'enseignants à mettre en face des élèves. Quand on regarde tout ça, franchement, parfois c'est à se demander. Comment tout ça tient encore ? Et plus le temps passe et moins les choses sont anticipées, gérées, plus le risque de la chute s'augmente en fait. Et plus cette chute risque d'être extrêmement brutale, et évidemment extrêmement brutale toujours pour les plus fragiles, les plus précaires, les plus exposés. Et donc voilà, moi c'est ça qui m'inquiète aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs pour ça que pour vous, l'écologie est profondément politique, indissociable justement des enjeux de justice sociale. Vous avez été conseillère régionale pendant de nombreuses années. Comment justement vous avez réussi à incarner dans votre travail d'élu vos convictions face, on le sait, à une institution qui a parfois, souvent, du mal à bouger ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûre d'avoir réussi. C'est vrai que c'est un exercice très particulier. J'ai été élue sur deux mandats pendant 11 ans. Un premier mandat à la région sous Jean-Jacques Kéran et puis un deuxième mandat sous Laurent Wauquiez. Autant dire qu'on n'était pas du tout en phase et avec très peu de possibilités de vrai débat. En plus, c'est vrai que... L'hémicycle régional, c'est une scène de théâtre où tout le monde est un peu dans sa posture. Et donc, il y a heureusement quand même un petit peu plus de possibilités de travail réel dans les commissions, dans les endroits qui ne sont pas publics, où il n'y a pas de médias, pas de regard extérieur, et où là, tout le monde se détend un peu et où on arrive quand même à travailler sur des thématiques, principalement pour moi, les thématiques de l'agriculture et de la montagne. C'était vraiment les deux commissions dans lesquelles j'ai été le plus longtemps. Mais en tout cas, moi, ce que j'ai essayé de faire, c'est de ne rien céder sur la radicalité du programme que je portais, tout en essayant de mettre de l'aménité dans la forme, c'est-à-dire d'être, comme on dit, un gant de velours sur une main de fer. C'est un peu comme ça, moi, que je le vois. Il ne sert à rien d'être dans de la forme, dans des postures, dans un discours rugissant pour porter des idées radicales, que parfois c'est plus efficace de les porter avec nuance, avec calme.

  • Speaker #0

    C'est possible ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'est possible, oui. Et puis heureusement, je crois qu'on a besoin de ça aussi. De temps en temps, il faut taper du poing sur la table. Et puis de temps en temps, il faut... Exposer ses idées avec calme, prendre le temps du raisonnement, prendre le temps du dialogue, y compris avec des personnes avec lesquelles on n'est pas d'accord. C'est aussi ça la politique, en tout cas c'est aussi ça que ça devrait être. Et donc voilà, moi c'est ce que je me suis en tout cas efforcée de faire.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a été le plus difficile ? Se confronter justement aux limites du pouvoir institutionnel, de ce qu'un élu peut faire ?

  • Speaker #1

    Moi ce que j'ai trouvé le plus difficile, c'est le moment où je me suis retrouvée face à des collectifs ou des associations. qui avaient affaire à la région, qui faisaient appel à moi parce qu'elles étaient sous le coup d'arrêts, de subventions assez brutaux ou besoin justement de faire avancer des dossiers. Et où je me suis retrouvée à leur dire que finalement c'était peut-être contre-productif que ce soit moi qui porte leur dossier. Et où en fait je me suis mise à leur fournir... les contacts des élus de droite du territoire, en me disant que ce serait plus efficace pour la cause qu'on défendait. Et ça, pour moi, ça a vraiment été dur. Parce que ça veut dire qu'on arrive à un moment où, effectivement, les camps politiques prennent le dessus sur l'intérêt général et le bien commun. Et moi, c'est ce constat-là, en tout cas, auquel je suis arrivée sous le dernier mandat. Et moi, je ne me suis pas engagée en politique pour ça. Je me suis engagée en politique pour défendre des causes, pour défendre des dossiers, pour défendre des porteurs de projets. Et de voir... Voilà, ça me brise le cœur en fait, de ne pas pouvoir le faire parce que, justement, je sais qu'on est vite catalogués dans cette enceinte et que du coup, ça porte tort, préjudice, plutôt que de porter bénéfice. Ça, j'ai trouvé ça vraiment très difficile.

  • Speaker #0

    Et vous pensez qu'il est possible de mener aujourd'hui une politique écologique réellement transformative ou que finalement la bataille elle se joue ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors personnellement moi j'ai fait le choix de l'ailleurs. Après 10 ans à la direction nationale du parti de gauche, j'étais en charge des questions justement d'écologie et puis d'éco-socialisme, donc d'écologie sociale vraiment. Et donc 11 ans de mandat régional. Il y a quelques années, j'ai décidé de quitter à la fois le monde des partis politiques et de ne pas me représenter, par ailleurs à la région, de mandat. Moi, je trouvais que c'était largement suffisant. Et donc, j'ai un peu quitté ce milieu de la politique institutionnelle, électorale, pour aller vers des milieux plus autonomes, plus libertaires. Beaucoup de milieux paysans aussi autogérés. le sentiment, et je l'ai fait au terme d'une vraie réflexion que j'expose justement dans mes deux livres, qui était qu'après toutes ces années-là, à m'être donné vraiment, alors pour le coup, corps et âme, à ce jeu démocratique, en fait, qu'est le suffrage universel, etc., et auquel j'étais très attachée, j'en suis venue à considérer que le tempo... Des élections n'étaient plus adaptées à l'urgence environnementale et sociale telle qu'on la connaît aujourd'hui, que ça allait trop lentement, que ça allait trop lentement, qui plus est selon des règles du jeu faussées, que nous n'avons pas écrites et qui mettent en place un rapport de force qui nous est défavorable et qui le restera. Tant que les médias resteront à la main de milliardaires et de marchands d'armes. Bon, voilà, je ne vous refais pas le topo que vous connaissez. Et en plus, c'est vrai que moi, j'ai vu, en l'espace de 15 ans de militantisme, j'ai vraiment vu l'arrivée des réseaux sociaux dans la politique et la manière dont ça a transformé l'action politique en communication politique. Et l'obligation d'être très réactif, de commenter, de se faire une visibilité aussi médiatique, c'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie, qui fait par ailleurs beaucoup de dégâts à la politique et à la qualité du débat politique. Et en fait, tout ce temps et toute cette énergie-là, c'est du temps et de l'énergie qui ne sont pas mis à réfléchir, à se poser, à discuter et à agir. Et quand je dis agir, en fait, je veux dire comment on améliore la vie des gens ici et maintenant, sans attendre d'avoir gagné les élections, sans attendre la révolution. Pour moi, c'est ça, agir en politique. C'est améliorer la vie du plus grand nombre. Et donc à un moment donné j'ai considéré que ce n'était plus là que j'étais la plus utile. Et donc je me suis tournée vers des milieux où on est plus investi dans des formes d'action directes avec un impact immédiat pour améliorer la vie des gens comme je le disais mais aussi retarder la progression des bulldozers, préserver des terres agricoles, voilà toutes ces questions qui nous animent.

  • Speaker #0

    Donc cet engagement politique, ces convictions politiques, aujourd'hui, vous les utilisez ailleurs ? Dans d'autres espaces, à la fois dans votre travail d'écriture, de romancière, de militante.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est marrant d'ailleurs parce que parfois je croise des anciens camarades et qui me disent Ah mais quand même, quel dommage que tu aies arrêté la politique À chaque fois, je les reprends. Je n'ai pas du tout l'impression d'avoir arrêté la politique. J'ai même presque l'impression d'en avoir jamais autant fait en fait que depuis que je suis sortie du marasme. de la politique institutionnelle et électorale.

  • Speaker #0

    Et ces convictions politiques, comment elles influencent votre perception du bonheur ?

  • Speaker #1

    La première chose, c'est que je me dois d'être honnête à ce micro, c'est quand même de dire que ce n'est pas la voie royale vers le bonheur. De se pencher sur le monde, de décortiquer les actualités, d'essayer de les analyser, de décrypter les rouages du système et de s'y attaquer, n'est quand même pas gage de... de bonheur. Ça c'est la première chose. On en trouve quand même, bien entendu, mais c'est pas un bonheur au sens de la joie, de la franche rigolade, quoi. Mais c'est un bonheur qui est peut-être un bonheur plus grave, plus profond, qui rejoint un peu ce qu'on disait sur la question de la dignité. C'est que moi, je trouve qu'il y a à la fois quelque chose de très inquiétant, effectivement, à se pencher sur le monde, mais aussi quelque chose d'assez apaisant à le faire en étant, en se sentant bien avec soi-même. Et se sentir bien avec soi-même, c'est quand même une étape assez indispensable dès lors qu'on commence à parler de bonheur. Donc voilà. Après, c'est vrai que moi, je fonctionne beaucoup par... par mouvement de va-et-vient, entre des temps qui sont des temps vraiment collectifs, d'action sur le terrain, des temps d'engagement. Et puis...

  • Speaker #0

    Des temps qui vont être des temps plus de retrait, de solitude, de digérer un peu tout ça, d'essayer d'en extraire aussi des enseignements ou au moins des questionnements plus pertinents peut-être. Et qui sont aussi des temps d'écriture pour moi. Et donc moi j'ai vraiment besoin d'osciller entre les deux. Je ne pourrais pas, et je ne suis pas sûre d'ailleurs, que quiconque puisse être tout le temps dans l'action, tout le temps le nez dans le guidon. avec le risque de burn-out militant, comme on en voit beaucoup, et puis le risque aussi de perdre un peu de vue, parfois. La raison pour laquelle on est dans l'action, je crois qu'on a besoin de temps en temps de prendre du recul ou de la hauteur. Et puis à l'inverse, être tout le temps dans une espèce de retraite choisie, à écrire sur le monde sans jamais s'y frotter. ne me paraît pas non plus être une démarche très saine. Donc voilà, moi je trouve mon équilibre en tout cas dans ce va-et-vient.

  • Speaker #1

    Et alors au milieu de ce chaos, il est essentiel de continuer à chercher des moments de beauté, de sens, d'émerveillement. C'est ce que vous décrivez dans Alors nous irons trouver la beauté ailleurs une réflexion assez profonde sur la manière justement de trouver ces îlots dans un monde en crise. C'est un livre qui mêle contemplation et engagement. On peut mêler les deux, vous le disiez, où vous arrivez à faire ce va-et-vient ?

  • Speaker #0

    Moi, je prône de plus en plus le fait, effectivement, d'arrêter de dissocier la poésie et la politique, l'inquiétude qu'engendre très légitimement le monde et les capacités d'émerveillement, ou d'opposer... la radicalité et la capacité à s'émerveiller, à déceler la beauté. Je crois que le divorce, la rupture qui s'est effectuée entre ces différents pôles à un moment donné, pour rentrer dans une espèce de binarité, d'opposition qui, moi, me semble totalement factice, je pense que ça nous porte beaucoup de tort, en fait. Je pense que la politique, quand elle est complètement... dissocié de la sensibilité, de la poésie, de la beauté. C'est une politique sèche, aride, austère, qui ne fait plus envie à personne, en fait, et qui, en plus, rate son objectif. Je veux dire, à partir du moment où on considère que la politique reste intrinsèquement liée à la question de l'humanité, ce serait quand même une drôle de chose de considérer que notre humanité ne réside que... dans une hémisphère de notre cerveau et que l'humanité n'est pas aussi constituée de veines, de nerfs, de points, de tripes, de cœurs. Et donc c'est à tout ça qu'il faut qu'on s'attale et qu'on s'adresse. Donc voilà, moi je pense effectivement qu'on peut parler de beauté. sans que ça vienne en rien renier la radicalité et la détermination qu'on porte, et qu'il faut absolument arrêter de considérer que la poésie serait un truc de bonne femme ou de petit bourgeois. Je crois qu'on n'a rien à perdre, à gagner en sensibilité aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Et puis c'est peut-être justement une manière de renouer avec une approche un peu plus sensible. aux vivants, à ce qui nous entoure, à la nature, être capable de s'arrêter, de s'émerveiller devant un arbre, une plante, un papillon. Alors pour certains, effectivement, ça peut donner une image un peu fleur bleue du rapport au monde, mais qui fait sans doute du bien. Et aussi, notamment, à tous les échos anxieux, anxieuses, qui sont de plus en plus nombreux, de passer par ce temps de...

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ce qui serait fleur bleue, Et franchement problématique d'un point de vue politique, ce serait de laisser croire qu'il suffirait que tout le monde se reconnecte avec la nature, fasse de temps en temps un bain de forêt, un câlin à un arbre ou un guilis à une fleur pour que le monde aille mieux. Ça ce serait fleur bleue et ce serait franchement problématique. Parce que ce serait évacuer la question des rapports de domination qui traversent la société, des... voilà... plus que de la responsabilité, de la culpabilité des grandes multinationales pétrolières, des pouvoirs publics, du gouvernement actuel, en remettant finalement la responsabilité sur chaque individu qui serait plus ou moins en harmonie avec la nature, ce qui serait finalement une vision assez libérale des choses. En revanche, prendre de front et ensemble, dans le même mouvement, la question des résistances nécessaires, sur le terrain, la question des alternatives à construire pour montrer dès aujourd'hui qu'on pourrait vivre autrement, et la question de la bataille culturelle, des nouveaux récits, des nouveaux imaginaires, dans laquelle j'inclus cette question de notre rapport au monde, de notre rapport à la nature, et de se remettre au cœur des écosystèmes, au même titre que les autres espèces vivantes, si on actionne. Et si on prend en considération ces trois leviers-là de manière simultanée, alors on n'est plus fleur bleue. Alors on devient efficace. Alors on devient en mesure de réellement transformer la société en profondeur. Et moi, tout mon propos, c'est celui-là. C'est de se dire, en fait, là, on a besoin de tous les outils, de toutes les munitions possibles. Et parmi ces outils-là, il y a l'outil de la sensibilité. tort de le négliger et de le laisser cantonner dans d'autres champs, d'autant que la question esthétique, la question du droit à la beauté a toujours été une considération politique. Et moi je trouve que c'est même une considération éminemment sociale. Comment assurer le droit à la beauté pour toutes et pour tous aujourd'hui ? Je pense que c'est une question, si elle était posée sérieusement en politique, qui nous mènerait très loin en termes de programme.

  • Speaker #1

    Corinne Morel-Darleu, dans votre roman La Sauvagière, justement, la nature semble un personnage à part entière. Ce lien au vivant, et j'emploie à dessein ce mot, nourrit votre réflexion. Il est essentiel aujourd'hui, y compris dans votre process d'écriture ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai que je pense que le... Le contexte de chaque personne qui écrit influe forcément sur les sujets dont elle s'empare et sur la manière dont elle écrit aussi probablement. Et il se trouve que moi depuis plus de 15 ans maintenant, j'habite dans la vallée de la Drôme et depuis 5 ans maintenant dans un tout petit village au pied du Vercors, je suis entourée de vignes, de forêts, de montagnes et ça a un impact. A la fois sur mes préoccupations, parce que je suis dans un territoire qui commence à manquer très cruellement d'eau et qui est soumis à des épisodes de sécheresse de plus en plus réguliers, de plus en plus intenses. Donc ça par exemple, clairement, ça vient matérialiser et rendre très concret des discours qui pourraient rester un peu abstraits et théoriques sur la question de la ressource en eau. Et de la même manière, ça donne aussi une proximité avec la forêt, avec la montagne, avec les animaux qui y vivent, avec la végétation, qui fait que j'écris évidemment pas du tout la même chose que ce que j'écrirais si j'étais restée en région parisienne, ou si j'étais dans un quartier entouré de barres HLM, de béton et avec... pas grand chose d'organique autour de moi. Alors j'écrirais d'autres choses et il y a plein de choses qui sont écrites et qui sont hyper chouettes et intéressantes et tout. Mais en tout cas, je pense que ça influe effectivement beaucoup à la fois sur les thématiques et sur les dispositifs aussi d'écriture.

  • Speaker #1

    En parlant de ce lien à la nature, on observe aujourd'hui de plus en plus une forme d'amnésie environnementale. De génération en génération, nous semblons oublier à quoi ressemble une nature non dégradée, un monde où la biodiversité prospère. C'est quelque chose qui vous interpelle, ça ?

  • Speaker #0

    Oui. Tout à fait. Je trouve que c'est vraiment un concept hyper intéressant, ce concept d'amnésie environnementale, parce qu'il vient mettre des termes sur quelque chose dont on n'avait pas forcément conscience, qu'on ne formulait pas du tout. Alors que c'est un truc hyper simple dont chacun se rend compte très facilement. On entend souvent les gens raconter que quand ils étaient gamins, le pare-brise de la voiture, quand ils partaient en vacances avec leurs parents, était constellé de moucherons et d'insectes et que ce n'est plus le cas. Ça, c'est l'exemple qui revient souvent. Mais en fait, des exemples comme ça, on en a toutes et tous de paysages qui ont changé ou de souvenirs de grosses chutes de neige dans des endroits où il n'y en a plus. Et je trouve que c'est vraiment parfois, souvent, poser des mots, ça nous aide quand même à réfléchir et à penser. Et cette question de l'amnésie environnementale, quand on en prend conscience, elle est assez vertigineuse en fait. De voir à quel point ça va vite, d'oublier à quoi ça ressemblait la vie avant. Et c'est important de s'en souvenir parce que c'est aussi des marqueurs qui gardent l'indignation et la volonté d'action intacte de se souvenir de ça, de ces changements.

  • Speaker #1

    Depuis deux ans, avec Audrey Ranchin, nous menons une expérimentation qu'on a intitulée Au creux de mon arbre, l'écho du vivant C'est un arbre cabane, studio d'enregistrement, dans lequel on invite les gens à venir raconter leurs souvenirs de nature. On s'est appuyé sur les travaux du philosophe Jean-Philippe Pierron, que vous connaissez peut-être, qui a travaillé sur l'écobiographie. Et ces témoignages, on les met en récit dans des épisodes qu'on peut écouter dans le podcast. J'avais envie de vous faire écouter un extrait autour de la forêt.

  • Speaker #0

    Je me remémore les sentiers,

  • Speaker #2

    marcher dans la forêt au petit matin.

  • Speaker #0

    C'est un sentiment assez agréable,

  • Speaker #2

    j'imagine un petit rayon de soleil. on ne voit pas un petit brouillard, sans son fraîcheur et de soleil qui prend le bout de son nez. C'est le début d'une journée et c'est agréable de se réveiller,

  • Speaker #0

    d'émerger avec des petits bruits d'oiseaux.

  • Speaker #2

    Merveillé par la beauté de la nature, par une espèce de simplicité apparente. Je ferme les yeux et je suis au milieu d'une clairière. Et le ciel est très bleu au-dessus de moi et l'herbe est très verte. C'est baigné de lumière et je suis au centre de ce cercle-là. Et ce cercle est délimité tout autour par une forêt très épaisse. très sombre et qui paraît peut-être encore plus sombre à cause de la lumière qu'il y a dans la clairière. Et pour autant, elle n'a rien d'inquiétant. Elle semble juste extrêmement vivante. C'est ça, il y a de la vie de partout, ça grouille, c'est comme si... Elle était pleine d'animaux, de sons, de déplacements, de vie. Et puis moi, je suis juste là, au centre de la clairière. Et je sais que toute cette vie, elle est juste là, tout autour de moi. Et moi, je suis au milieu du verre, dans le silence et sous la lumière. Et je sais que tout est possible à cet endroit-là.

  • Speaker #3

    Il y a quelques années, j'étais dans un coin forêt, je dirais, d'une maison que je possédais à l'époque. Et j'allais d'arbre en arbre et je retirais le lierre pour que l'arbre ne s'étouffe pas. Il y avait des murets de pierre, c'était en Ardèche. Et j'ai eu tout d'un coup la sensation viscérale d'être dans la nature, d'être de la nature. D'ailleurs j'ai écrit à cette époque un texte, je suis de nature. Le sentiment physique, l'odeur de tous les cinq sens, d'être dans cette forêt, comme si j'en faisais complètement partie. Ça m'a beaucoup troublée, j'avais l'impression d'être... plus dans le monde réel, et je suis quand même quelqu'un de très pratico-pratique, en tout cas, c'est de ce moment-là que je me suis dit, je fais partie de cette nature, c'est la respecter, c'est me respecter, c'est moi au milieu du vivant. Je suis du vivant, je suis dans le vivant, et la nature et moi, c'est pareil. C'était une sensation aussi bien physique que philosophique, existentielle. C'était exaltant, magnifique.

  • Speaker #1

    On vient d'entendre ce petit extrait. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

  • Speaker #0

    D'abord, je suis épatée par la capacité qu'ont les personnes à témoigner, à raconter vraiment magnifiquement ces récits-là. après moi je suis très envieuse de l'extrait qu'on vient d'entendre qui s'apparente à ce qu'on appelle le sentiment océanique c'est à dire cette espèce de sentiment de faire partie d'un grand tout et de presque pouvoir s'y dissoudre, s'y fondre je suis très envieuse de ça parce que moi c'est un sentiment que j'ai jamais ressenti et mon rapport à la forêt notamment il est très ambivalent Il est aussi emprunt d'une grande conscience de l'altérité. Moi, quand je vais en forêt, d'abord j'ai peur, souvent. Et ensuite, je ne me sens pas du tout à ma place. Je n'ai pas du tout l'impression de faire partie de la forêt. J'ai vraiment au contraire l'impression d'être pas du tout adaptée, d'être une intruse, de faire du bruit. D'être vraiment tolérée. dans un endroit auquel je n'appartiens pas. Et j'aimerais, j'adorerais me rouler dans la boue, avoir l'audace, ne serait-ce que, je ne sais pas, d'enlever mes chaussures et mes chaussettes et de marcher pieds nus dans la boue l'automne. C'est des choses que je ne fais pas. J'ai encore des choses à lâcher, je pense. Mais en même temps, je trouve que pour... Pour ne pas m'accabler, je me dis que c'est bien aussi de garder cette notion qu'on n'est pas partout chez nous. Je suis très intéressée notamment par les travaux de Virginie Maris, qui a écrit La part sauvage du monde là-dessus, et d'autres philosophes de l'environnement qui disent qu'il faut qu'on apprenne à cohabiter, à vivre en harmonie, ça c'est une évidence. Mais pour autant, est-ce que vraiment tous les territoires... doivent être en permanence partagées. Et c'est compliqué en réalité. Moi j'habite dans un territoire où il y a le loup par exemple. Je ne vais pas ouvrir là maintenant le débat sur le loup, mais on voit à quel point c'est compliqué. Et à quel point, malgré tout, le fait de savoir que le loup est là, ne serait-ce que pour aller bivouaquer la nuit, concrètement... et on n'est plus dans la théorie, concrètement, c'est flippant en fait. Et donc je trouve que c'est, enfin voilà, je me dis, finalement, garder cette petite nuance-là, de me dire, en fait, non, on n'est pas chez nous partout, je me dis que ce n'est pas si mal non plus.

  • Speaker #1

    Oui, qu'il peut y avoir des espaces qui n'appartiennent finalement. À d'autres, à d'autres que nous, humains.

  • Speaker #0

    Exactement, et sur lesquels il peut y avoir des incursions ou quoi, mais bon voilà, c'est aussi des leçons d'humilité, de se souvenir qu'en fait on n'est quand même pas hyper adapté, que sans poils, sans griffes, sans crocs, dans la forêt on n'est pas grand chose.

  • Speaker #1

    J'avais envie, justement, comme vous avez beaucoup travaillé sur les questions d'agriculture, notamment d'aller un peu sur la question de l'écologie en milieu rural. Aujourd'hui, on voit à quel point les discours écologistes sont plutôt concentrés dans les grandes villes, avec l'image de l'écolo bobo urbain se déplaçant à vélo et mangeant des graines. Est-ce qu'on n'oublie pas, justement, un peu les réalités de ces territoires-là et qu'il y a sans doute un discours peut-être à réinventer ou à réinterroger pour mieux appréhender ces enjeux dans des territoires où pourtant la proximité, pour le coup, avec l'environnement, la nature et la terre est très présente ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je crois qu'il faut vraiment arriver là encore à manier à la fois l'idéologie et le pragmatisme. Et que là en l'occurrence, ce qui importe, c'est le résultat en fait. Ce qui importe, c'est qu'on ait des types d'agriculture par exemple, qui permettent de rémunérer dignement les agriculteurs. sans empoisonner les sols et en permettant de fournir une alimentation saine et de qualité à un max de monde. Voilà, ça c'est le résultat auquel on veut arriver par exemple. Et si pour arriver à ce résultat, il ne faut pas parler d'écologie, mais... d'agriculture paysanne, ou même ne pas employer aucun de ces termes, mais simplement mieux accompagner les agriculteurs avec des aides publiques en matière de reconversion, avec un discours qui ne soit pas uniquement de pointer du doigt indifféremment tous les types d'agriculteurs et de paysans. Moi, je reviens à ce que je disais, radicalité et aménité. C'est-à-dire que la radicalité, c'est de ne pas céder sur les objectifs. L'aménité, c'est que là, peut-être, il est temps de s'assouplir un peu sur la manière dont on y arrive et dont on les exprime et dont on s'adresse aux personnes auxquelles on veut s'adresser. Et clairement, il y a des discours. qui ne passent pas à la campagne. Parce que c'est des discours qui sont tellement déconnectés de notre réalité qu'en fait, en deux secondes trente, on voit que c'est des discours qui viennent de personnes qui ne vivent pas les mêmes choses, qui ne sont pas dans les mêmes conditions matérielles d'existence. Et pour peu que, en plus, ces discours-là viennent donner des leçons sur des choses qu'elles ne connaissent pas, en fait, ce n'est pas seulement que ce n'est pas utile, c'est que c'est contre-productif, ça braque. Donc je crois que là, il y a vraiment, voilà, sans rien céder sur le fait de pointer les responsabilités, les culpabilités, mais d'avoir peut-être un discours plus nuancé sur qui est coupable, qui est responsable et qui est acteur, et d'avoir un peu plus d'intelligence de situation, en fait, tout simplement.

  • Speaker #1

    Et d'autant plus quand on sait que ces territoires subissent aussi une forme d'injustice. écologique, le manque de services publics, de précarité énergétique, l'éloignement aussi des centres de décision, la difficulté aussi d'imaginer une autre mobilité quand on doit se déplacer en voiture et ainsi de suite. On pourrait les lister, ils sont nombreux.

  • Speaker #0

    Oui, et puis historiquement, en fait, c'est souvent des territoires qui ont encore une mémoire très vive du fait qu'ils ont toujours été les derniers à bénéficier du progrès. Et donc on peut dire tout ce qu'on veut aujourd'hui sur le progrès et être très critique vis-à-vis de plein de choses. Il faut en même temps être capable de comprendre quand même que pour des personnes qui ont connu la campagne ou la montagne sans eau chaude, sans électricité courante, dans le froid, c'était des vies très dures. Et c'était il n'y a pas si longtemps que ça, en fait. Donc, les personnes qui ont vécu ces années dures, elles sont encore vivantes. Et leurs enfants et leurs petits-enfants en ont la mémoire. Là, pour le coup, il n'y a pas toujours de l'amnésie environnementale là-dessus. Et donc, on ne peut pas juste venir avec un discours un peu simpliste, anti-progrès. Mais parce qu'en fait, il y a plein de personnes qui goûtent tout juste. au confort moderne, et là tout d'un coup on vient leur dire, ah bah c'était chouette, vous avez juste goûté, on vient vous le retirer. Donc c'est là où il y a des manières de faire en fait, et c'est là où il y a vraiment besoin de cette intelligence, de cette situation, de cette intelligence humaine. Et moi c'est vraiment quelque chose que j'ai compris, notamment, je me suis beaucoup battue contre les canons à neige en montagne, quand j'étais à la région, et... Et à un moment, j'ai eu des témoignages qui m'ont bouleversée sur des personnes qui disaient En fait, nous, c'est simplement depuis qu'il y a des stations de ski qu'on vit décemment dans nos territoires de montagne. Et ça ne veut pas dire que j'ai changé d'avis sur les canons à neige, mais je sais que je ne m'exprime plus de la même manière. Et je crois que là encore, on y gagne, et on y gagne aussi en décence, tout simplement.

  • Speaker #1

    On arrive au terme de cet échange, Corinne. Peut-être, quelles initiatives semblent aujourd'hui prometteuses, justement, pour construire le fameux bonheur résilient dont on parlait tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Alors, bonheur, je ne sais pas. Je vais peut-être m'attacher plus au côté résilient, avec plein de guillemets. Mais moi, il me semble qu'aujourd'hui, tout ce qui va dans le sens de l'autonomie politique et matérielle, C'est-à-dire comment est-ce qu'on s'organise collectivement pour gérer nos propres subsistances, que ce soit au niveau de l'alimentation, mais au niveau d'être en capacité de faire un peu de mécanique, de savoir réparer, bricoler. dépendre des flux d'approvisionnement mondiaux ou des institutions étatiques pour tout ce qui concerne le quotidien et le bien-vivre. Tout ce qui va dans ce sens-là me semble être une bonne chose. Et il y a de plus en plus d'initiatives. Il y en a une qui me tient à cœur, que je trouve formidable, qui s'appelle Reprise de Savoir. C'est des chantiers Reprise de Savoir qui s'organisent un peu partout en France. pour mêler des savoirs théoriques et des savoirs pratiques sur plusieurs jours et pour à la fois discuter de textes et analyser le monde et discuter de stratégies politiques, mais aussi mettre les mains dans la terre, apprendre à poser un parquet, apprendre à faire de la mécanique sur une voiture, apprendre à travailler le bois. Il y a plein de choses différentes. Et ça, ça me paraît à la fois très joyeux, parce que c'est des super moments qu'on passe dans ces chantiers reprises de savoir, et en même temps, je crois que c'est parmi les choses les plus utiles du moment, parce que ça permet à la fois de réduire notre impact environnemental, de réduire notre dépendance. à l'État, au gouvernement et à des flux qui sont de plus en plus fragiles. Et en même temps, de se préparer à ce qu'il n'y ait pas de l'électricité à volonté ad vitam aeternam.

  • Speaker #1

    Un grand merci Corinne Morel-Darleux pour cet échange inspirant, riche en réflexions. Je rappelle à nos auditeurs vos ouvrages, notamment Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce La sauvagière Là où le feu est l'ours par exemple, qui prolonge ces réflexions. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Un épisode rendu possible grâce au soutien de Nicolas. Vincent et Gildas.

Description

Pour ce premier épisode d’En un battement d’aile en 2025, nous accueillons Corinne Morel Darleux, militante écologiste et écrivaine, qui explore dans ses écrits et ses réflexions la quête de sens, la beauté du vivant, et les tensions entre lucidité et espoir face aux bouleversements du monde.


Corinne Morel Darleux interroge notre capacité à faire émerger la beauté au cœur du chaos et à réinventer notre façon d’habiter la Terre.


Un mois pour s'inspirer


Cet entretien inaugure une série spéciale pour débuter l’année, où nous parlons de bonheur, de la jeunesse et d’optimisme avec trois invités exceptionnels.


🎧 Retrouvez également les prochains entretiens de cette série :

  • Flore Vasseur : Le pouvoir de la jeunesse (diffusion le 15 janvier)

  • Arthur Auboeuf : Avancer avec optimisme, le meilleur est Avenir ! (diffusion le 29 janvier)


Des conversations profondes et éclairantes pour commencer l’année avec inspiration et sérénité.


Bonne écoute et très belle année 2025 à toutes et à tous ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


💚 POUR SOUTENIR LE PODCAST


  1. Abonnez-vous au compte Instagram @enunbattementdaile

  2. Laissez un avis sur Apple Podcast par ici 🙏

  3. Faites-le découvrir autour de vous !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Corinne Morel-Darleux est une femme qui questionne, qui remet en cause, qui refuse les compromis faciles. Militante passionnée, écrivaine sensible, elle mêle dans son œuvre poésie et politique, explorant les chemins qui nous mènent à la beauté, même quand le monde semble vacillé. Nous nous retrouvons ce 17 octobre en pleine intempérie alors qu'elle est de passage à Lyon. Les inondations qui frappent Givor l'empêcheront ce soir-là. de participer à une rencontre à la médiathèque de la ville. Un phénomène qui rappelle la toute-puissance de la nature et qui sera de plus en plus fréquent avec le dérèglement climatique. Ce lien au vivant, Corinne Morel-Darleux l'explore depuis son parcours politique en tant qu'élue écologiste jusqu'à ses réflexions introspectives dans ses récents ouvrages. Avec donc cette question sous-jacente, comment naviguer entre espoir et lucidité ? Cet entretien ouvre une série un peu spéciale pour démarrer 2025, un mois de janvier sans reportage, mais avec trois entretiens exceptionnels pour réfléchir ensemble à ce qui fait sens dans nos vies et à comment avancer dans un monde en pleine transformation. Avec Corinne Morel-Darleu, nous parlerons donc de bonheur et de quête de sens, avec Flore Vasseur, la réalisatrice du documentaire Bigger Than Us de jeunesse et d'engagement, et avec Arthur Aubeuf. cofondateur de Time for the Planet, d'action et d'optimisme. Trois mots pour trois inspirations pour bien commencer l'année. Eh bien Corinne, bonjour. Bonjour. Et un grand merci d'être ici dans ce podcast en un battement d'aile. Je suis ravie de vous accueillir. J'avais envie de démarrer par un extrait de livre que vous allez forcément reconnaître. Alors, je reprends mon passage. Je repasse les écoutes du bon côté et mets le cap sur un grand pétrolier à l'encre dans la baie. Flac ! Plein dans la passerelle. C'est un message de lance-pierre accablé pour Robert du Sunday Times. Cher Robert, le Horn a été arrondi le 5 février et nous sommes le 18 mars. Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. Le projectile à peine envoyé me voit la prise d'une légère inquiétude. Comprendront-ils là-bas ? Il y avait une fois un mot de passe, c'était ésope La sentinelle avait compris ésope Ne vous inquiétez pas, même si vous ne comprenez pas très bien, ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas tous comprendre à quel point je suis heureux en ce moment, sur le bout dehors, en regardant mon bateau courir à plus de sept nœuds, avec un grand arc-en-ciel sous le vent de l'étrave, pour doubler bonne espérance Vous aurez donc reconnu cet extrait. de La longue route de Bernard Moitessier, un livre que j'ai moi-même beaucoup aimé. Grâce à vous, pour préparer cette interview, je me suis un peu replongée dedans. Vous l'évoquez longuement dans votre livre, Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce. C'est quoi le bonheur pour vous ?

  • Speaker #1

    D'abord, merci pour cet extrait qui me touche d'autant plus que je reviens du festival Les aventuriers de la mer à Lorient, où j'ai enfin pu monter à bord. du voilier en question Ausha et donc c'est assez émouvant de pénétrer à l'intérieur de ce bateau mythique et avec lequel on navigue tout au long de la longue route. Et effectivement le bonheur c'est peut-être ça tout simplement, se sentir au bon endroit, au bon moment et avec... La bonne compagnie ou sans compagnie s'il s'agit de solitude choisie, mais en tout cas ce sentiment d'être à l'endroit juste, je crois. Ce serait peut-être ça une définition du bonheur.

  • Speaker #0

    Alors vous dites dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce que nous disposons tous des ressources nécessaires, psychologiques, matérielles pour décider d'agir sur certaines plaies. Et je vous cite, se concentrer sur un sourire, mettre fin aux relations toxiques, militer ou arrêter de militer. Changer de boulot, se reconvertir, déménager, passer à temps partiel, cesser de s'en faire pour des broutilles, aller enfin voir le médecin, s'astreindre aux cours de danse, de flûte, de yoga, de ce que vous voulez, arrêter de dire il faut que je le fasse le faire, même mettre fin à ce régime frustrant qui ne sert à rien, virer son psy, reprendre la cigarette, que sais-je, il existe mille manières, petites et grandes, de reprendre un tant soit peu la main, de se faire du bien et d'ajouter un peu de joie à ce monde. Pas facile quand même de réussir à aller jusqu'au bout, de trouver ce bonheur dans des petites choses simples. Et parfois on peut se dire, ceux qui sont en situation de précarité, ceux qui font face à de grandes galères, comment on arrive à remettre ces petits moments de joie dans nos vies ?

  • Speaker #1

    Alors c'est effectivement tout le propos de mes deux livres chez Libertalia d'ailleurs. Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ou le dernier, alors nous irons trouver la beauté ailleurs. C'est justement de trouver une manière de parler de joie, de beauté, d'émerveillement, sans être dans un propos bourgeois de privilégier un décent en faisant fi des rapports de domination, des conditions matérielles d'existence qui font qu'il y a plein de personnes pour lesquelles c'est pas comme ça que ce... posent les préoccupations de tous les jours, naturellement. Et donc tout le propos c'est ça, et notamment dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce, j'interroge beaucoup cette question de quelle est finalement la part de choix qui nous reste en tant qu'individu. Quand on est dans une société capitaliste, consumériste, avec beaucoup d'injonctions sociales, beaucoup d'injustices sociales aussi, Et puis des choix contraints bien souvent parce qu'on est locataire ou parce qu'on est sans logement, parce qu'on galère à trouver un travail. Et donc quelle est la part de libre arbitre finalement qui reste là-dedans et quelle est la part qui revient à l'individu ? Et notamment pour toutes ces histoires de changement de comportement dont on entend beaucoup parler. Et le postulat que je pose, c'est que refuser au plus précaire... La possibilité de dire non ou de faire un pas de côté, précisément parce qu'ils sont précaires, finalement ce serait vraiment la double peine. Et en plus même d'un point de vue éthique, moral, ça me paraît insoutenable. Et donc je pars du principe que tout le monde a la possibilité de faire un pas de côté, de refuser des choses. Alors évidemment c'est pas toujours... au même niveau, c'est pas toujours aussi spectaculaire que Bernard Moitessier ou que les bifurqueurs qui vont refuser une carrière parce qu'ils en ont la possibilité. Mais c'est pour ça que j'essaye de donner des exemples plus petits, plus concrets. Et c'est pas juste le geste en soi, c'est ce que ça provoque aussi en termes de souveraineté de l'individu et de fierté en fait. De retrouver... C'est ça. C'est cette fierté qui est trop souvent piétinée aujourd'hui par le système.

  • Speaker #0

    Et le tout c'est d'avoir de l'imagination ?

  • Speaker #1

    De l'imagination, je ne sais pas. Le tout, en fait, moi je crois vraiment de plus en plus que la clé, et c'est très difficile à trouver, cette clé c'est la question du temps, de la disponibilité d'esprit. Parce que bien souvent, il y a énormément de choses dans lesquelles on se laisse embarquer, simplement parce que... On n'a pas le temps ou pas la disponibilité de se poser pour y réfléchir un peu sérieusement.

  • Speaker #0

    Donc vous insistez sur l'importance de la dignité au présent, une formule qui est assez puissante, pleine de sens, surtout dans le contexte actuel. Cette dignité au présent, c'est être capable justement, comme vous le disiez, d'éviter cette double peine en fonction des situations et d'en revenir à... Une dignité au présent.

  • Speaker #1

    Alors en fait, cette idée-là, je l'ai développée en réflexion sur le militantisme, et singulièrement sur le militantisme écolo, parce qu'au moment où j'ai rédigé ce texte, c'était principalement à l'été 2018. On était vraiment dans le creux de la vague. Il n'y avait pas encore eu la naissance de tous les collectifs type Extinction Rebellion ou soulèvement de la Terre, etc. qu'il y a aujourd'hui. Et on était vraiment au creux de la vague avec une accélération des dégradations, assez peu de victoires dans notre camp ou des toutes petites victoires qui ne faisaient pas vraiment la différence. Et il y avait vraiment, voilà, on sentait qu'il y avait un espèce de vent de désertion qui courait sur les rangs militants, de découragement, de désespoir parfois. Et en fait, j'ai commencé à formuler cette idée de dignité du présent en me disant en fait que même quand les victoires futures semblaient de plus en plus hypothétiques... il y avait toujours des raisons de continuer à se battre parce que quand on s'engage dans une cause, on ne s'engage pas parce qu'on est sûr de la gagner à la fin. On s'engage simplement parce que c'est une cause qui nous semble juste à mener à un moment donné au présent justement. Et donc c'était une manière de se dire, si les victoires futures ne sont pas là, il nous reste la dignité du présent et ça reste une raison suffisante pour continuer à se lever le matin et continuer à lutter.

  • Speaker #0

    Et dans une époque où justement beaucoup de personnes ressentent un sentiment d'impuissance face aux crises climatiques, sociales, politiques, on l'a vu particulièrement ces derniers mois, cette dignité au présent finalement c'est une manière aussi de ne pas sombrer dans la résignation ?

  • Speaker #1

    Oui tout à fait, c'est une manière de se dire que ce qu'on fait, on le fait aussi pour se sentir debout, digne. Et puis... Aussi parce qu'en réalité, il reste toujours des combats à mener. Même si on a le sentiment que les espèces de grands monolithes qu'on s'était posés à un moment donné sur le fait de sauver la planète, sauver le climat, renverser le capitalisme, faire la révolution, ces monolithes-là sont peut-être un peu énormes aujourd'hui à franchir. Mais ce n'est pas pour autant, comme je l'ai écrit aussi, il y a toujours un dixième de degré à les sauver, il y a toujours une espèce d'invertébré à préserver, toujours un sourire à donner, toujours de la beauté à préserver ou à faire éclore. Et donc en réalité, je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle, mais la lutte ne s'arrête jamais. Et même si les objectifs qu'on s'était fixés au départ s'avèrent trop hauts pour les remplir, on peut se fixer de plus petits objectifs plus atteignables et continuer à espérer remporter des victoires au moins sur ces objectifs-là.

  • Speaker #0

    Et pourtant, vous dites que l'optimisme vous a quitté.

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Moi, je me sens assez désillusionnée. Alors après, si je le dis comme ça, désillusionnée, c'est plutôt une bonne chose. Quand on perd ses illusions, on gagne en lucidité. Je crois que c'est effectivement exactement ce qui m'arrive. Mais c'est vrai que tous les termes d'espoir ou d'optimisme, moi, sont des termes que je n'utilise pas du tout. Parce qu'il me semble que ce n'est pas dans ces termes-là que ça se pose, en fait, que la question n'est pas de savoir si on a de l'espoir ou si on est optimiste. La question pour moi est d'arriver à conjuguer de la lucidité et de la détermination et de rentrer dans l'action pour ce qu'il est possible de faire, de modifier, de changer. encore aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est là où cette dignité au présent, elle peut devenir une forme de résistance au désespoir, quelque part ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, tout à fait. Moi, je le vis vraiment, enfin, en tout cas, quand je l'ai formulé, pour moi, c'était vraiment une espèce de bouée à laquelle s'accrocher pour justement ne pas... Ne pas baisser les bras, ne pas laisser tomber, de se dire non en fait s'il ne devait rester à la fin qu'une raison de continuer la lutte, c'est la question de la dignité.

  • Speaker #0

    Et c'est finalement aussi sortir de cette promesse du résultat pour se dire même si à la fin on perd, on aura au moins fait quelque chose.

  • Speaker #1

    Oui, c'est exactement ça. Moi, je suis très attachée aux questions d'éthique dans le champ politique. Et pour moi, ça, ça relève vraiment d'une question presque d'éthique personnelle. Alors après, très honnêtement, je veux aussi nuancer un peu ce propos-là ou en tout cas le préciser. C'est qu'il ne s'agit pas de dire que tout le monde, pour être digne, devrait... aller investir des aides, participer à des occupations. Ce n'est pas du tout ça mon propos. Mais il y a une question de dignité d'éthique quand on en a la possibilité à se poser des questions, à essayer de décrypter le monde qui nous entoure et à chercher la manière dont on peut avoir prise sur ce qui ne nous va pas. et tout faire pour l'améliorer. En fait, c'est plutôt dans ces termes-là que je le pose.

  • Speaker #0

    Corinne Morel d'Arleux, où est-ce qu'on en est aujourd'hui justement de la prise de conscience de ces enjeux écologiques et sociaux ? Vous soulignez que bien que la bataille culturelle soit essentielle, le changement par la somme d'actes individuels semble insuffisant. On peut avoir la sensation, et j'en discutais encore avec des responsables d'associations dernièrement, qui me disaient qu'on a l'impression que l'écologie a un peu disparu à la fois de l'agenda politique, médiatique. qui a une forme de désintérêt qui revient sur le devant de la scène ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas eu qu'une impression, c'est documenté. Je crois qu'on peut dire que c'est un constat. Et c'est un constat qui est pour le coup assez désespérant quand même. Parce qu'effectivement, on a l'impression qu'alors que tout s'accélère en termes de dépassement des limites planétaires, en termes de dérèglement climatique... L'extinction de la biodiversité, il y a encore ces chiffres absolument terrifiants qui sont sortis sur la baisse de 73% de la population de vertébrés en 50 ans. Enfin je veux dire, 50 ans c'est mon âge quoi. C'est, enfin voilà, tout semble s'accélérer vers le pire. Et alors qu'on pourrait imaginer... qu'il y ait une accélération de la prise de conscience, de l'agitation, de décisions publiques par rapport à ça, on a l'impression effectivement que, je ne sais pas si c'est du déni, je ne sais pas à quel point tout ça est cynique, de la part notamment des pouvoirs économiques et politiques, mais en tout cas, non seulement... Il y a un effet pour faire face à ces enjeux-là, mais on continue même à accélérer des tricotages législatifs sur les quelques maigres lois de préservation de l'environnement. D'un point de vue social, c'est pareil, c'est vraiment la fuite en avant sur les droits sociaux, sur les droits humains. Bon, voilà, tout ça est quand même extrêmement... extrêmement inquiétant, je trouve. Et c'est même parfois, plus ça va et plus je me demande même finalement comment tout ça tient encore, quand on regarde l'état des services d'urgence ou de l'hôpital public, quand on voit qu'encore en cette rentrée, l'éducation nationale commence à appeler des retraités de l'enseignement qui sont à la retraite depuis 15 ans, parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'enseignants à mettre en face des élèves. Quand on regarde tout ça, franchement, parfois c'est à se demander. Comment tout ça tient encore ? Et plus le temps passe et moins les choses sont anticipées, gérées, plus le risque de la chute s'augmente en fait. Et plus cette chute risque d'être extrêmement brutale, et évidemment extrêmement brutale toujours pour les plus fragiles, les plus précaires, les plus exposés. Et donc voilà, moi c'est ça qui m'inquiète aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs pour ça que pour vous, l'écologie est profondément politique, indissociable justement des enjeux de justice sociale. Vous avez été conseillère régionale pendant de nombreuses années. Comment justement vous avez réussi à incarner dans votre travail d'élu vos convictions face, on le sait, à une institution qui a parfois, souvent, du mal à bouger ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûre d'avoir réussi. C'est vrai que c'est un exercice très particulier. J'ai été élue sur deux mandats pendant 11 ans. Un premier mandat à la région sous Jean-Jacques Kéran et puis un deuxième mandat sous Laurent Wauquiez. Autant dire qu'on n'était pas du tout en phase et avec très peu de possibilités de vrai débat. En plus, c'est vrai que... L'hémicycle régional, c'est une scène de théâtre où tout le monde est un peu dans sa posture. Et donc, il y a heureusement quand même un petit peu plus de possibilités de travail réel dans les commissions, dans les endroits qui ne sont pas publics, où il n'y a pas de médias, pas de regard extérieur, et où là, tout le monde se détend un peu et où on arrive quand même à travailler sur des thématiques, principalement pour moi, les thématiques de l'agriculture et de la montagne. C'était vraiment les deux commissions dans lesquelles j'ai été le plus longtemps. Mais en tout cas, moi, ce que j'ai essayé de faire, c'est de ne rien céder sur la radicalité du programme que je portais, tout en essayant de mettre de l'aménité dans la forme, c'est-à-dire d'être, comme on dit, un gant de velours sur une main de fer. C'est un peu comme ça, moi, que je le vois. Il ne sert à rien d'être dans de la forme, dans des postures, dans un discours rugissant pour porter des idées radicales, que parfois c'est plus efficace de les porter avec nuance, avec calme.

  • Speaker #0

    C'est possible ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'est possible, oui. Et puis heureusement, je crois qu'on a besoin de ça aussi. De temps en temps, il faut taper du poing sur la table. Et puis de temps en temps, il faut... Exposer ses idées avec calme, prendre le temps du raisonnement, prendre le temps du dialogue, y compris avec des personnes avec lesquelles on n'est pas d'accord. C'est aussi ça la politique, en tout cas c'est aussi ça que ça devrait être. Et donc voilà, moi c'est ce que je me suis en tout cas efforcée de faire.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a été le plus difficile ? Se confronter justement aux limites du pouvoir institutionnel, de ce qu'un élu peut faire ?

  • Speaker #1

    Moi ce que j'ai trouvé le plus difficile, c'est le moment où je me suis retrouvée face à des collectifs ou des associations. qui avaient affaire à la région, qui faisaient appel à moi parce qu'elles étaient sous le coup d'arrêts, de subventions assez brutaux ou besoin justement de faire avancer des dossiers. Et où je me suis retrouvée à leur dire que finalement c'était peut-être contre-productif que ce soit moi qui porte leur dossier. Et où en fait je me suis mise à leur fournir... les contacts des élus de droite du territoire, en me disant que ce serait plus efficace pour la cause qu'on défendait. Et ça, pour moi, ça a vraiment été dur. Parce que ça veut dire qu'on arrive à un moment où, effectivement, les camps politiques prennent le dessus sur l'intérêt général et le bien commun. Et moi, c'est ce constat-là, en tout cas, auquel je suis arrivée sous le dernier mandat. Et moi, je ne me suis pas engagée en politique pour ça. Je me suis engagée en politique pour défendre des causes, pour défendre des dossiers, pour défendre des porteurs de projets. Et de voir... Voilà, ça me brise le cœur en fait, de ne pas pouvoir le faire parce que, justement, je sais qu'on est vite catalogués dans cette enceinte et que du coup, ça porte tort, préjudice, plutôt que de porter bénéfice. Ça, j'ai trouvé ça vraiment très difficile.

  • Speaker #0

    Et vous pensez qu'il est possible de mener aujourd'hui une politique écologique réellement transformative ou que finalement la bataille elle se joue ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors personnellement moi j'ai fait le choix de l'ailleurs. Après 10 ans à la direction nationale du parti de gauche, j'étais en charge des questions justement d'écologie et puis d'éco-socialisme, donc d'écologie sociale vraiment. Et donc 11 ans de mandat régional. Il y a quelques années, j'ai décidé de quitter à la fois le monde des partis politiques et de ne pas me représenter, par ailleurs à la région, de mandat. Moi, je trouvais que c'était largement suffisant. Et donc, j'ai un peu quitté ce milieu de la politique institutionnelle, électorale, pour aller vers des milieux plus autonomes, plus libertaires. Beaucoup de milieux paysans aussi autogérés. le sentiment, et je l'ai fait au terme d'une vraie réflexion que j'expose justement dans mes deux livres, qui était qu'après toutes ces années-là, à m'être donné vraiment, alors pour le coup, corps et âme, à ce jeu démocratique, en fait, qu'est le suffrage universel, etc., et auquel j'étais très attachée, j'en suis venue à considérer que le tempo... Des élections n'étaient plus adaptées à l'urgence environnementale et sociale telle qu'on la connaît aujourd'hui, que ça allait trop lentement, que ça allait trop lentement, qui plus est selon des règles du jeu faussées, que nous n'avons pas écrites et qui mettent en place un rapport de force qui nous est défavorable et qui le restera. Tant que les médias resteront à la main de milliardaires et de marchands d'armes. Bon, voilà, je ne vous refais pas le topo que vous connaissez. Et en plus, c'est vrai que moi, j'ai vu, en l'espace de 15 ans de militantisme, j'ai vraiment vu l'arrivée des réseaux sociaux dans la politique et la manière dont ça a transformé l'action politique en communication politique. Et l'obligation d'être très réactif, de commenter, de se faire une visibilité aussi médiatique, c'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie, qui fait par ailleurs beaucoup de dégâts à la politique et à la qualité du débat politique. Et en fait, tout ce temps et toute cette énergie-là, c'est du temps et de l'énergie qui ne sont pas mis à réfléchir, à se poser, à discuter et à agir. Et quand je dis agir, en fait, je veux dire comment on améliore la vie des gens ici et maintenant, sans attendre d'avoir gagné les élections, sans attendre la révolution. Pour moi, c'est ça, agir en politique. C'est améliorer la vie du plus grand nombre. Et donc à un moment donné j'ai considéré que ce n'était plus là que j'étais la plus utile. Et donc je me suis tournée vers des milieux où on est plus investi dans des formes d'action directes avec un impact immédiat pour améliorer la vie des gens comme je le disais mais aussi retarder la progression des bulldozers, préserver des terres agricoles, voilà toutes ces questions qui nous animent.

  • Speaker #0

    Donc cet engagement politique, ces convictions politiques, aujourd'hui, vous les utilisez ailleurs ? Dans d'autres espaces, à la fois dans votre travail d'écriture, de romancière, de militante.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est marrant d'ailleurs parce que parfois je croise des anciens camarades et qui me disent Ah mais quand même, quel dommage que tu aies arrêté la politique À chaque fois, je les reprends. Je n'ai pas du tout l'impression d'avoir arrêté la politique. J'ai même presque l'impression d'en avoir jamais autant fait en fait que depuis que je suis sortie du marasme. de la politique institutionnelle et électorale.

  • Speaker #0

    Et ces convictions politiques, comment elles influencent votre perception du bonheur ?

  • Speaker #1

    La première chose, c'est que je me dois d'être honnête à ce micro, c'est quand même de dire que ce n'est pas la voie royale vers le bonheur. De se pencher sur le monde, de décortiquer les actualités, d'essayer de les analyser, de décrypter les rouages du système et de s'y attaquer, n'est quand même pas gage de... de bonheur. Ça c'est la première chose. On en trouve quand même, bien entendu, mais c'est pas un bonheur au sens de la joie, de la franche rigolade, quoi. Mais c'est un bonheur qui est peut-être un bonheur plus grave, plus profond, qui rejoint un peu ce qu'on disait sur la question de la dignité. C'est que moi, je trouve qu'il y a à la fois quelque chose de très inquiétant, effectivement, à se pencher sur le monde, mais aussi quelque chose d'assez apaisant à le faire en étant, en se sentant bien avec soi-même. Et se sentir bien avec soi-même, c'est quand même une étape assez indispensable dès lors qu'on commence à parler de bonheur. Donc voilà. Après, c'est vrai que moi, je fonctionne beaucoup par... par mouvement de va-et-vient, entre des temps qui sont des temps vraiment collectifs, d'action sur le terrain, des temps d'engagement. Et puis...

  • Speaker #0

    Des temps qui vont être des temps plus de retrait, de solitude, de digérer un peu tout ça, d'essayer d'en extraire aussi des enseignements ou au moins des questionnements plus pertinents peut-être. Et qui sont aussi des temps d'écriture pour moi. Et donc moi j'ai vraiment besoin d'osciller entre les deux. Je ne pourrais pas, et je ne suis pas sûre d'ailleurs, que quiconque puisse être tout le temps dans l'action, tout le temps le nez dans le guidon. avec le risque de burn-out militant, comme on en voit beaucoup, et puis le risque aussi de perdre un peu de vue, parfois. La raison pour laquelle on est dans l'action, je crois qu'on a besoin de temps en temps de prendre du recul ou de la hauteur. Et puis à l'inverse, être tout le temps dans une espèce de retraite choisie, à écrire sur le monde sans jamais s'y frotter. ne me paraît pas non plus être une démarche très saine. Donc voilà, moi je trouve mon équilibre en tout cas dans ce va-et-vient.

  • Speaker #1

    Et alors au milieu de ce chaos, il est essentiel de continuer à chercher des moments de beauté, de sens, d'émerveillement. C'est ce que vous décrivez dans Alors nous irons trouver la beauté ailleurs une réflexion assez profonde sur la manière justement de trouver ces îlots dans un monde en crise. C'est un livre qui mêle contemplation et engagement. On peut mêler les deux, vous le disiez, où vous arrivez à faire ce va-et-vient ?

  • Speaker #0

    Moi, je prône de plus en plus le fait, effectivement, d'arrêter de dissocier la poésie et la politique, l'inquiétude qu'engendre très légitimement le monde et les capacités d'émerveillement, ou d'opposer... la radicalité et la capacité à s'émerveiller, à déceler la beauté. Je crois que le divorce, la rupture qui s'est effectuée entre ces différents pôles à un moment donné, pour rentrer dans une espèce de binarité, d'opposition qui, moi, me semble totalement factice, je pense que ça nous porte beaucoup de tort, en fait. Je pense que la politique, quand elle est complètement... dissocié de la sensibilité, de la poésie, de la beauté. C'est une politique sèche, aride, austère, qui ne fait plus envie à personne, en fait, et qui, en plus, rate son objectif. Je veux dire, à partir du moment où on considère que la politique reste intrinsèquement liée à la question de l'humanité, ce serait quand même une drôle de chose de considérer que notre humanité ne réside que... dans une hémisphère de notre cerveau et que l'humanité n'est pas aussi constituée de veines, de nerfs, de points, de tripes, de cœurs. Et donc c'est à tout ça qu'il faut qu'on s'attale et qu'on s'adresse. Donc voilà, moi je pense effectivement qu'on peut parler de beauté. sans que ça vienne en rien renier la radicalité et la détermination qu'on porte, et qu'il faut absolument arrêter de considérer que la poésie serait un truc de bonne femme ou de petit bourgeois. Je crois qu'on n'a rien à perdre, à gagner en sensibilité aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Et puis c'est peut-être justement une manière de renouer avec une approche un peu plus sensible. aux vivants, à ce qui nous entoure, à la nature, être capable de s'arrêter, de s'émerveiller devant un arbre, une plante, un papillon. Alors pour certains, effectivement, ça peut donner une image un peu fleur bleue du rapport au monde, mais qui fait sans doute du bien. Et aussi, notamment, à tous les échos anxieux, anxieuses, qui sont de plus en plus nombreux, de passer par ce temps de...

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ce qui serait fleur bleue, Et franchement problématique d'un point de vue politique, ce serait de laisser croire qu'il suffirait que tout le monde se reconnecte avec la nature, fasse de temps en temps un bain de forêt, un câlin à un arbre ou un guilis à une fleur pour que le monde aille mieux. Ça ce serait fleur bleue et ce serait franchement problématique. Parce que ce serait évacuer la question des rapports de domination qui traversent la société, des... voilà... plus que de la responsabilité, de la culpabilité des grandes multinationales pétrolières, des pouvoirs publics, du gouvernement actuel, en remettant finalement la responsabilité sur chaque individu qui serait plus ou moins en harmonie avec la nature, ce qui serait finalement une vision assez libérale des choses. En revanche, prendre de front et ensemble, dans le même mouvement, la question des résistances nécessaires, sur le terrain, la question des alternatives à construire pour montrer dès aujourd'hui qu'on pourrait vivre autrement, et la question de la bataille culturelle, des nouveaux récits, des nouveaux imaginaires, dans laquelle j'inclus cette question de notre rapport au monde, de notre rapport à la nature, et de se remettre au cœur des écosystèmes, au même titre que les autres espèces vivantes, si on actionne. Et si on prend en considération ces trois leviers-là de manière simultanée, alors on n'est plus fleur bleue. Alors on devient efficace. Alors on devient en mesure de réellement transformer la société en profondeur. Et moi, tout mon propos, c'est celui-là. C'est de se dire, en fait, là, on a besoin de tous les outils, de toutes les munitions possibles. Et parmi ces outils-là, il y a l'outil de la sensibilité. tort de le négliger et de le laisser cantonner dans d'autres champs, d'autant que la question esthétique, la question du droit à la beauté a toujours été une considération politique. Et moi je trouve que c'est même une considération éminemment sociale. Comment assurer le droit à la beauté pour toutes et pour tous aujourd'hui ? Je pense que c'est une question, si elle était posée sérieusement en politique, qui nous mènerait très loin en termes de programme.

  • Speaker #1

    Corinne Morel-Darleu, dans votre roman La Sauvagière, justement, la nature semble un personnage à part entière. Ce lien au vivant, et j'emploie à dessein ce mot, nourrit votre réflexion. Il est essentiel aujourd'hui, y compris dans votre process d'écriture ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai que je pense que le... Le contexte de chaque personne qui écrit influe forcément sur les sujets dont elle s'empare et sur la manière dont elle écrit aussi probablement. Et il se trouve que moi depuis plus de 15 ans maintenant, j'habite dans la vallée de la Drôme et depuis 5 ans maintenant dans un tout petit village au pied du Vercors, je suis entourée de vignes, de forêts, de montagnes et ça a un impact. A la fois sur mes préoccupations, parce que je suis dans un territoire qui commence à manquer très cruellement d'eau et qui est soumis à des épisodes de sécheresse de plus en plus réguliers, de plus en plus intenses. Donc ça par exemple, clairement, ça vient matérialiser et rendre très concret des discours qui pourraient rester un peu abstraits et théoriques sur la question de la ressource en eau. Et de la même manière, ça donne aussi une proximité avec la forêt, avec la montagne, avec les animaux qui y vivent, avec la végétation, qui fait que j'écris évidemment pas du tout la même chose que ce que j'écrirais si j'étais restée en région parisienne, ou si j'étais dans un quartier entouré de barres HLM, de béton et avec... pas grand chose d'organique autour de moi. Alors j'écrirais d'autres choses et il y a plein de choses qui sont écrites et qui sont hyper chouettes et intéressantes et tout. Mais en tout cas, je pense que ça influe effectivement beaucoup à la fois sur les thématiques et sur les dispositifs aussi d'écriture.

  • Speaker #1

    En parlant de ce lien à la nature, on observe aujourd'hui de plus en plus une forme d'amnésie environnementale. De génération en génération, nous semblons oublier à quoi ressemble une nature non dégradée, un monde où la biodiversité prospère. C'est quelque chose qui vous interpelle, ça ?

  • Speaker #0

    Oui. Tout à fait. Je trouve que c'est vraiment un concept hyper intéressant, ce concept d'amnésie environnementale, parce qu'il vient mettre des termes sur quelque chose dont on n'avait pas forcément conscience, qu'on ne formulait pas du tout. Alors que c'est un truc hyper simple dont chacun se rend compte très facilement. On entend souvent les gens raconter que quand ils étaient gamins, le pare-brise de la voiture, quand ils partaient en vacances avec leurs parents, était constellé de moucherons et d'insectes et que ce n'est plus le cas. Ça, c'est l'exemple qui revient souvent. Mais en fait, des exemples comme ça, on en a toutes et tous de paysages qui ont changé ou de souvenirs de grosses chutes de neige dans des endroits où il n'y en a plus. Et je trouve que c'est vraiment parfois, souvent, poser des mots, ça nous aide quand même à réfléchir et à penser. Et cette question de l'amnésie environnementale, quand on en prend conscience, elle est assez vertigineuse en fait. De voir à quel point ça va vite, d'oublier à quoi ça ressemblait la vie avant. Et c'est important de s'en souvenir parce que c'est aussi des marqueurs qui gardent l'indignation et la volonté d'action intacte de se souvenir de ça, de ces changements.

  • Speaker #1

    Depuis deux ans, avec Audrey Ranchin, nous menons une expérimentation qu'on a intitulée Au creux de mon arbre, l'écho du vivant C'est un arbre cabane, studio d'enregistrement, dans lequel on invite les gens à venir raconter leurs souvenirs de nature. On s'est appuyé sur les travaux du philosophe Jean-Philippe Pierron, que vous connaissez peut-être, qui a travaillé sur l'écobiographie. Et ces témoignages, on les met en récit dans des épisodes qu'on peut écouter dans le podcast. J'avais envie de vous faire écouter un extrait autour de la forêt.

  • Speaker #0

    Je me remémore les sentiers,

  • Speaker #2

    marcher dans la forêt au petit matin.

  • Speaker #0

    C'est un sentiment assez agréable,

  • Speaker #2

    j'imagine un petit rayon de soleil. on ne voit pas un petit brouillard, sans son fraîcheur et de soleil qui prend le bout de son nez. C'est le début d'une journée et c'est agréable de se réveiller,

  • Speaker #0

    d'émerger avec des petits bruits d'oiseaux.

  • Speaker #2

    Merveillé par la beauté de la nature, par une espèce de simplicité apparente. Je ferme les yeux et je suis au milieu d'une clairière. Et le ciel est très bleu au-dessus de moi et l'herbe est très verte. C'est baigné de lumière et je suis au centre de ce cercle-là. Et ce cercle est délimité tout autour par une forêt très épaisse. très sombre et qui paraît peut-être encore plus sombre à cause de la lumière qu'il y a dans la clairière. Et pour autant, elle n'a rien d'inquiétant. Elle semble juste extrêmement vivante. C'est ça, il y a de la vie de partout, ça grouille, c'est comme si... Elle était pleine d'animaux, de sons, de déplacements, de vie. Et puis moi, je suis juste là, au centre de la clairière. Et je sais que toute cette vie, elle est juste là, tout autour de moi. Et moi, je suis au milieu du verre, dans le silence et sous la lumière. Et je sais que tout est possible à cet endroit-là.

  • Speaker #3

    Il y a quelques années, j'étais dans un coin forêt, je dirais, d'une maison que je possédais à l'époque. Et j'allais d'arbre en arbre et je retirais le lierre pour que l'arbre ne s'étouffe pas. Il y avait des murets de pierre, c'était en Ardèche. Et j'ai eu tout d'un coup la sensation viscérale d'être dans la nature, d'être de la nature. D'ailleurs j'ai écrit à cette époque un texte, je suis de nature. Le sentiment physique, l'odeur de tous les cinq sens, d'être dans cette forêt, comme si j'en faisais complètement partie. Ça m'a beaucoup troublée, j'avais l'impression d'être... plus dans le monde réel, et je suis quand même quelqu'un de très pratico-pratique, en tout cas, c'est de ce moment-là que je me suis dit, je fais partie de cette nature, c'est la respecter, c'est me respecter, c'est moi au milieu du vivant. Je suis du vivant, je suis dans le vivant, et la nature et moi, c'est pareil. C'était une sensation aussi bien physique que philosophique, existentielle. C'était exaltant, magnifique.

  • Speaker #1

    On vient d'entendre ce petit extrait. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

  • Speaker #0

    D'abord, je suis épatée par la capacité qu'ont les personnes à témoigner, à raconter vraiment magnifiquement ces récits-là. après moi je suis très envieuse de l'extrait qu'on vient d'entendre qui s'apparente à ce qu'on appelle le sentiment océanique c'est à dire cette espèce de sentiment de faire partie d'un grand tout et de presque pouvoir s'y dissoudre, s'y fondre je suis très envieuse de ça parce que moi c'est un sentiment que j'ai jamais ressenti et mon rapport à la forêt notamment il est très ambivalent Il est aussi emprunt d'une grande conscience de l'altérité. Moi, quand je vais en forêt, d'abord j'ai peur, souvent. Et ensuite, je ne me sens pas du tout à ma place. Je n'ai pas du tout l'impression de faire partie de la forêt. J'ai vraiment au contraire l'impression d'être pas du tout adaptée, d'être une intruse, de faire du bruit. D'être vraiment tolérée. dans un endroit auquel je n'appartiens pas. Et j'aimerais, j'adorerais me rouler dans la boue, avoir l'audace, ne serait-ce que, je ne sais pas, d'enlever mes chaussures et mes chaussettes et de marcher pieds nus dans la boue l'automne. C'est des choses que je ne fais pas. J'ai encore des choses à lâcher, je pense. Mais en même temps, je trouve que pour... Pour ne pas m'accabler, je me dis que c'est bien aussi de garder cette notion qu'on n'est pas partout chez nous. Je suis très intéressée notamment par les travaux de Virginie Maris, qui a écrit La part sauvage du monde là-dessus, et d'autres philosophes de l'environnement qui disent qu'il faut qu'on apprenne à cohabiter, à vivre en harmonie, ça c'est une évidence. Mais pour autant, est-ce que vraiment tous les territoires... doivent être en permanence partagées. Et c'est compliqué en réalité. Moi j'habite dans un territoire où il y a le loup par exemple. Je ne vais pas ouvrir là maintenant le débat sur le loup, mais on voit à quel point c'est compliqué. Et à quel point, malgré tout, le fait de savoir que le loup est là, ne serait-ce que pour aller bivouaquer la nuit, concrètement... et on n'est plus dans la théorie, concrètement, c'est flippant en fait. Et donc je trouve que c'est, enfin voilà, je me dis, finalement, garder cette petite nuance-là, de me dire, en fait, non, on n'est pas chez nous partout, je me dis que ce n'est pas si mal non plus.

  • Speaker #1

    Oui, qu'il peut y avoir des espaces qui n'appartiennent finalement. À d'autres, à d'autres que nous, humains.

  • Speaker #0

    Exactement, et sur lesquels il peut y avoir des incursions ou quoi, mais bon voilà, c'est aussi des leçons d'humilité, de se souvenir qu'en fait on n'est quand même pas hyper adapté, que sans poils, sans griffes, sans crocs, dans la forêt on n'est pas grand chose.

  • Speaker #1

    J'avais envie, justement, comme vous avez beaucoup travaillé sur les questions d'agriculture, notamment d'aller un peu sur la question de l'écologie en milieu rural. Aujourd'hui, on voit à quel point les discours écologistes sont plutôt concentrés dans les grandes villes, avec l'image de l'écolo bobo urbain se déplaçant à vélo et mangeant des graines. Est-ce qu'on n'oublie pas, justement, un peu les réalités de ces territoires-là et qu'il y a sans doute un discours peut-être à réinventer ou à réinterroger pour mieux appréhender ces enjeux dans des territoires où pourtant la proximité, pour le coup, avec l'environnement, la nature et la terre est très présente ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je crois qu'il faut vraiment arriver là encore à manier à la fois l'idéologie et le pragmatisme. Et que là en l'occurrence, ce qui importe, c'est le résultat en fait. Ce qui importe, c'est qu'on ait des types d'agriculture par exemple, qui permettent de rémunérer dignement les agriculteurs. sans empoisonner les sols et en permettant de fournir une alimentation saine et de qualité à un max de monde. Voilà, ça c'est le résultat auquel on veut arriver par exemple. Et si pour arriver à ce résultat, il ne faut pas parler d'écologie, mais... d'agriculture paysanne, ou même ne pas employer aucun de ces termes, mais simplement mieux accompagner les agriculteurs avec des aides publiques en matière de reconversion, avec un discours qui ne soit pas uniquement de pointer du doigt indifféremment tous les types d'agriculteurs et de paysans. Moi, je reviens à ce que je disais, radicalité et aménité. C'est-à-dire que la radicalité, c'est de ne pas céder sur les objectifs. L'aménité, c'est que là, peut-être, il est temps de s'assouplir un peu sur la manière dont on y arrive et dont on les exprime et dont on s'adresse aux personnes auxquelles on veut s'adresser. Et clairement, il y a des discours. qui ne passent pas à la campagne. Parce que c'est des discours qui sont tellement déconnectés de notre réalité qu'en fait, en deux secondes trente, on voit que c'est des discours qui viennent de personnes qui ne vivent pas les mêmes choses, qui ne sont pas dans les mêmes conditions matérielles d'existence. Et pour peu que, en plus, ces discours-là viennent donner des leçons sur des choses qu'elles ne connaissent pas, en fait, ce n'est pas seulement que ce n'est pas utile, c'est que c'est contre-productif, ça braque. Donc je crois que là, il y a vraiment, voilà, sans rien céder sur le fait de pointer les responsabilités, les culpabilités, mais d'avoir peut-être un discours plus nuancé sur qui est coupable, qui est responsable et qui est acteur, et d'avoir un peu plus d'intelligence de situation, en fait, tout simplement.

  • Speaker #1

    Et d'autant plus quand on sait que ces territoires subissent aussi une forme d'injustice. écologique, le manque de services publics, de précarité énergétique, l'éloignement aussi des centres de décision, la difficulté aussi d'imaginer une autre mobilité quand on doit se déplacer en voiture et ainsi de suite. On pourrait les lister, ils sont nombreux.

  • Speaker #0

    Oui, et puis historiquement, en fait, c'est souvent des territoires qui ont encore une mémoire très vive du fait qu'ils ont toujours été les derniers à bénéficier du progrès. Et donc on peut dire tout ce qu'on veut aujourd'hui sur le progrès et être très critique vis-à-vis de plein de choses. Il faut en même temps être capable de comprendre quand même que pour des personnes qui ont connu la campagne ou la montagne sans eau chaude, sans électricité courante, dans le froid, c'était des vies très dures. Et c'était il n'y a pas si longtemps que ça, en fait. Donc, les personnes qui ont vécu ces années dures, elles sont encore vivantes. Et leurs enfants et leurs petits-enfants en ont la mémoire. Là, pour le coup, il n'y a pas toujours de l'amnésie environnementale là-dessus. Et donc, on ne peut pas juste venir avec un discours un peu simpliste, anti-progrès. Mais parce qu'en fait, il y a plein de personnes qui goûtent tout juste. au confort moderne, et là tout d'un coup on vient leur dire, ah bah c'était chouette, vous avez juste goûté, on vient vous le retirer. Donc c'est là où il y a des manières de faire en fait, et c'est là où il y a vraiment besoin de cette intelligence, de cette situation, de cette intelligence humaine. Et moi c'est vraiment quelque chose que j'ai compris, notamment, je me suis beaucoup battue contre les canons à neige en montagne, quand j'étais à la région, et... Et à un moment, j'ai eu des témoignages qui m'ont bouleversée sur des personnes qui disaient En fait, nous, c'est simplement depuis qu'il y a des stations de ski qu'on vit décemment dans nos territoires de montagne. Et ça ne veut pas dire que j'ai changé d'avis sur les canons à neige, mais je sais que je ne m'exprime plus de la même manière. Et je crois que là encore, on y gagne, et on y gagne aussi en décence, tout simplement.

  • Speaker #1

    On arrive au terme de cet échange, Corinne. Peut-être, quelles initiatives semblent aujourd'hui prometteuses, justement, pour construire le fameux bonheur résilient dont on parlait tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Alors, bonheur, je ne sais pas. Je vais peut-être m'attacher plus au côté résilient, avec plein de guillemets. Mais moi, il me semble qu'aujourd'hui, tout ce qui va dans le sens de l'autonomie politique et matérielle, C'est-à-dire comment est-ce qu'on s'organise collectivement pour gérer nos propres subsistances, que ce soit au niveau de l'alimentation, mais au niveau d'être en capacité de faire un peu de mécanique, de savoir réparer, bricoler. dépendre des flux d'approvisionnement mondiaux ou des institutions étatiques pour tout ce qui concerne le quotidien et le bien-vivre. Tout ce qui va dans ce sens-là me semble être une bonne chose. Et il y a de plus en plus d'initiatives. Il y en a une qui me tient à cœur, que je trouve formidable, qui s'appelle Reprise de Savoir. C'est des chantiers Reprise de Savoir qui s'organisent un peu partout en France. pour mêler des savoirs théoriques et des savoirs pratiques sur plusieurs jours et pour à la fois discuter de textes et analyser le monde et discuter de stratégies politiques, mais aussi mettre les mains dans la terre, apprendre à poser un parquet, apprendre à faire de la mécanique sur une voiture, apprendre à travailler le bois. Il y a plein de choses différentes. Et ça, ça me paraît à la fois très joyeux, parce que c'est des super moments qu'on passe dans ces chantiers reprises de savoir, et en même temps, je crois que c'est parmi les choses les plus utiles du moment, parce que ça permet à la fois de réduire notre impact environnemental, de réduire notre dépendance. à l'État, au gouvernement et à des flux qui sont de plus en plus fragiles. Et en même temps, de se préparer à ce qu'il n'y ait pas de l'électricité à volonté ad vitam aeternam.

  • Speaker #1

    Un grand merci Corinne Morel-Darleux pour cet échange inspirant, riche en réflexions. Je rappelle à nos auditeurs vos ouvrages, notamment Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce La sauvagière Là où le feu est l'ours par exemple, qui prolonge ces réflexions. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Un épisode rendu possible grâce au soutien de Nicolas. Vincent et Gildas.

Share

Embed

You may also like

Description

Pour ce premier épisode d’En un battement d’aile en 2025, nous accueillons Corinne Morel Darleux, militante écologiste et écrivaine, qui explore dans ses écrits et ses réflexions la quête de sens, la beauté du vivant, et les tensions entre lucidité et espoir face aux bouleversements du monde.


Corinne Morel Darleux interroge notre capacité à faire émerger la beauté au cœur du chaos et à réinventer notre façon d’habiter la Terre.


Un mois pour s'inspirer


Cet entretien inaugure une série spéciale pour débuter l’année, où nous parlons de bonheur, de la jeunesse et d’optimisme avec trois invités exceptionnels.


🎧 Retrouvez également les prochains entretiens de cette série :

  • Flore Vasseur : Le pouvoir de la jeunesse (diffusion le 15 janvier)

  • Arthur Auboeuf : Avancer avec optimisme, le meilleur est Avenir ! (diffusion le 29 janvier)


Des conversations profondes et éclairantes pour commencer l’année avec inspiration et sérénité.


Bonne écoute et très belle année 2025 à toutes et à tous ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


💚 POUR SOUTENIR LE PODCAST


  1. Abonnez-vous au compte Instagram @enunbattementdaile

  2. Laissez un avis sur Apple Podcast par ici 🙏

  3. Faites-le découvrir autour de vous !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Corinne Morel-Darleux est une femme qui questionne, qui remet en cause, qui refuse les compromis faciles. Militante passionnée, écrivaine sensible, elle mêle dans son œuvre poésie et politique, explorant les chemins qui nous mènent à la beauté, même quand le monde semble vacillé. Nous nous retrouvons ce 17 octobre en pleine intempérie alors qu'elle est de passage à Lyon. Les inondations qui frappent Givor l'empêcheront ce soir-là. de participer à une rencontre à la médiathèque de la ville. Un phénomène qui rappelle la toute-puissance de la nature et qui sera de plus en plus fréquent avec le dérèglement climatique. Ce lien au vivant, Corinne Morel-Darleux l'explore depuis son parcours politique en tant qu'élue écologiste jusqu'à ses réflexions introspectives dans ses récents ouvrages. Avec donc cette question sous-jacente, comment naviguer entre espoir et lucidité ? Cet entretien ouvre une série un peu spéciale pour démarrer 2025, un mois de janvier sans reportage, mais avec trois entretiens exceptionnels pour réfléchir ensemble à ce qui fait sens dans nos vies et à comment avancer dans un monde en pleine transformation. Avec Corinne Morel-Darleu, nous parlerons donc de bonheur et de quête de sens, avec Flore Vasseur, la réalisatrice du documentaire Bigger Than Us de jeunesse et d'engagement, et avec Arthur Aubeuf. cofondateur de Time for the Planet, d'action et d'optimisme. Trois mots pour trois inspirations pour bien commencer l'année. Eh bien Corinne, bonjour. Bonjour. Et un grand merci d'être ici dans ce podcast en un battement d'aile. Je suis ravie de vous accueillir. J'avais envie de démarrer par un extrait de livre que vous allez forcément reconnaître. Alors, je reprends mon passage. Je repasse les écoutes du bon côté et mets le cap sur un grand pétrolier à l'encre dans la baie. Flac ! Plein dans la passerelle. C'est un message de lance-pierre accablé pour Robert du Sunday Times. Cher Robert, le Horn a été arrondi le 5 février et nous sommes le 18 mars. Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. Le projectile à peine envoyé me voit la prise d'une légère inquiétude. Comprendront-ils là-bas ? Il y avait une fois un mot de passe, c'était ésope La sentinelle avait compris ésope Ne vous inquiétez pas, même si vous ne comprenez pas très bien, ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas tous comprendre à quel point je suis heureux en ce moment, sur le bout dehors, en regardant mon bateau courir à plus de sept nœuds, avec un grand arc-en-ciel sous le vent de l'étrave, pour doubler bonne espérance Vous aurez donc reconnu cet extrait. de La longue route de Bernard Moitessier, un livre que j'ai moi-même beaucoup aimé. Grâce à vous, pour préparer cette interview, je me suis un peu replongée dedans. Vous l'évoquez longuement dans votre livre, Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce. C'est quoi le bonheur pour vous ?

  • Speaker #1

    D'abord, merci pour cet extrait qui me touche d'autant plus que je reviens du festival Les aventuriers de la mer à Lorient, où j'ai enfin pu monter à bord. du voilier en question Ausha et donc c'est assez émouvant de pénétrer à l'intérieur de ce bateau mythique et avec lequel on navigue tout au long de la longue route. Et effectivement le bonheur c'est peut-être ça tout simplement, se sentir au bon endroit, au bon moment et avec... La bonne compagnie ou sans compagnie s'il s'agit de solitude choisie, mais en tout cas ce sentiment d'être à l'endroit juste, je crois. Ce serait peut-être ça une définition du bonheur.

  • Speaker #0

    Alors vous dites dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce que nous disposons tous des ressources nécessaires, psychologiques, matérielles pour décider d'agir sur certaines plaies. Et je vous cite, se concentrer sur un sourire, mettre fin aux relations toxiques, militer ou arrêter de militer. Changer de boulot, se reconvertir, déménager, passer à temps partiel, cesser de s'en faire pour des broutilles, aller enfin voir le médecin, s'astreindre aux cours de danse, de flûte, de yoga, de ce que vous voulez, arrêter de dire il faut que je le fasse le faire, même mettre fin à ce régime frustrant qui ne sert à rien, virer son psy, reprendre la cigarette, que sais-je, il existe mille manières, petites et grandes, de reprendre un tant soit peu la main, de se faire du bien et d'ajouter un peu de joie à ce monde. Pas facile quand même de réussir à aller jusqu'au bout, de trouver ce bonheur dans des petites choses simples. Et parfois on peut se dire, ceux qui sont en situation de précarité, ceux qui font face à de grandes galères, comment on arrive à remettre ces petits moments de joie dans nos vies ?

  • Speaker #1

    Alors c'est effectivement tout le propos de mes deux livres chez Libertalia d'ailleurs. Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ou le dernier, alors nous irons trouver la beauté ailleurs. C'est justement de trouver une manière de parler de joie, de beauté, d'émerveillement, sans être dans un propos bourgeois de privilégier un décent en faisant fi des rapports de domination, des conditions matérielles d'existence qui font qu'il y a plein de personnes pour lesquelles c'est pas comme ça que ce... posent les préoccupations de tous les jours, naturellement. Et donc tout le propos c'est ça, et notamment dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce, j'interroge beaucoup cette question de quelle est finalement la part de choix qui nous reste en tant qu'individu. Quand on est dans une société capitaliste, consumériste, avec beaucoup d'injonctions sociales, beaucoup d'injustices sociales aussi, Et puis des choix contraints bien souvent parce qu'on est locataire ou parce qu'on est sans logement, parce qu'on galère à trouver un travail. Et donc quelle est la part de libre arbitre finalement qui reste là-dedans et quelle est la part qui revient à l'individu ? Et notamment pour toutes ces histoires de changement de comportement dont on entend beaucoup parler. Et le postulat que je pose, c'est que refuser au plus précaire... La possibilité de dire non ou de faire un pas de côté, précisément parce qu'ils sont précaires, finalement ce serait vraiment la double peine. Et en plus même d'un point de vue éthique, moral, ça me paraît insoutenable. Et donc je pars du principe que tout le monde a la possibilité de faire un pas de côté, de refuser des choses. Alors évidemment c'est pas toujours... au même niveau, c'est pas toujours aussi spectaculaire que Bernard Moitessier ou que les bifurqueurs qui vont refuser une carrière parce qu'ils en ont la possibilité. Mais c'est pour ça que j'essaye de donner des exemples plus petits, plus concrets. Et c'est pas juste le geste en soi, c'est ce que ça provoque aussi en termes de souveraineté de l'individu et de fierté en fait. De retrouver... C'est ça. C'est cette fierté qui est trop souvent piétinée aujourd'hui par le système.

  • Speaker #0

    Et le tout c'est d'avoir de l'imagination ?

  • Speaker #1

    De l'imagination, je ne sais pas. Le tout, en fait, moi je crois vraiment de plus en plus que la clé, et c'est très difficile à trouver, cette clé c'est la question du temps, de la disponibilité d'esprit. Parce que bien souvent, il y a énormément de choses dans lesquelles on se laisse embarquer, simplement parce que... On n'a pas le temps ou pas la disponibilité de se poser pour y réfléchir un peu sérieusement.

  • Speaker #0

    Donc vous insistez sur l'importance de la dignité au présent, une formule qui est assez puissante, pleine de sens, surtout dans le contexte actuel. Cette dignité au présent, c'est être capable justement, comme vous le disiez, d'éviter cette double peine en fonction des situations et d'en revenir à... Une dignité au présent.

  • Speaker #1

    Alors en fait, cette idée-là, je l'ai développée en réflexion sur le militantisme, et singulièrement sur le militantisme écolo, parce qu'au moment où j'ai rédigé ce texte, c'était principalement à l'été 2018. On était vraiment dans le creux de la vague. Il n'y avait pas encore eu la naissance de tous les collectifs type Extinction Rebellion ou soulèvement de la Terre, etc. qu'il y a aujourd'hui. Et on était vraiment au creux de la vague avec une accélération des dégradations, assez peu de victoires dans notre camp ou des toutes petites victoires qui ne faisaient pas vraiment la différence. Et il y avait vraiment, voilà, on sentait qu'il y avait un espèce de vent de désertion qui courait sur les rangs militants, de découragement, de désespoir parfois. Et en fait, j'ai commencé à formuler cette idée de dignité du présent en me disant en fait que même quand les victoires futures semblaient de plus en plus hypothétiques... il y avait toujours des raisons de continuer à se battre parce que quand on s'engage dans une cause, on ne s'engage pas parce qu'on est sûr de la gagner à la fin. On s'engage simplement parce que c'est une cause qui nous semble juste à mener à un moment donné au présent justement. Et donc c'était une manière de se dire, si les victoires futures ne sont pas là, il nous reste la dignité du présent et ça reste une raison suffisante pour continuer à se lever le matin et continuer à lutter.

  • Speaker #0

    Et dans une époque où justement beaucoup de personnes ressentent un sentiment d'impuissance face aux crises climatiques, sociales, politiques, on l'a vu particulièrement ces derniers mois, cette dignité au présent finalement c'est une manière aussi de ne pas sombrer dans la résignation ?

  • Speaker #1

    Oui tout à fait, c'est une manière de se dire que ce qu'on fait, on le fait aussi pour se sentir debout, digne. Et puis... Aussi parce qu'en réalité, il reste toujours des combats à mener. Même si on a le sentiment que les espèces de grands monolithes qu'on s'était posés à un moment donné sur le fait de sauver la planète, sauver le climat, renverser le capitalisme, faire la révolution, ces monolithes-là sont peut-être un peu énormes aujourd'hui à franchir. Mais ce n'est pas pour autant, comme je l'ai écrit aussi, il y a toujours un dixième de degré à les sauver, il y a toujours une espèce d'invertébré à préserver, toujours un sourire à donner, toujours de la beauté à préserver ou à faire éclore. Et donc en réalité, je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle, mais la lutte ne s'arrête jamais. Et même si les objectifs qu'on s'était fixés au départ s'avèrent trop hauts pour les remplir, on peut se fixer de plus petits objectifs plus atteignables et continuer à espérer remporter des victoires au moins sur ces objectifs-là.

  • Speaker #0

    Et pourtant, vous dites que l'optimisme vous a quitté.

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Moi, je me sens assez désillusionnée. Alors après, si je le dis comme ça, désillusionnée, c'est plutôt une bonne chose. Quand on perd ses illusions, on gagne en lucidité. Je crois que c'est effectivement exactement ce qui m'arrive. Mais c'est vrai que tous les termes d'espoir ou d'optimisme, moi, sont des termes que je n'utilise pas du tout. Parce qu'il me semble que ce n'est pas dans ces termes-là que ça se pose, en fait, que la question n'est pas de savoir si on a de l'espoir ou si on est optimiste. La question pour moi est d'arriver à conjuguer de la lucidité et de la détermination et de rentrer dans l'action pour ce qu'il est possible de faire, de modifier, de changer. encore aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est là où cette dignité au présent, elle peut devenir une forme de résistance au désespoir, quelque part ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, tout à fait. Moi, je le vis vraiment, enfin, en tout cas, quand je l'ai formulé, pour moi, c'était vraiment une espèce de bouée à laquelle s'accrocher pour justement ne pas... Ne pas baisser les bras, ne pas laisser tomber, de se dire non en fait s'il ne devait rester à la fin qu'une raison de continuer la lutte, c'est la question de la dignité.

  • Speaker #0

    Et c'est finalement aussi sortir de cette promesse du résultat pour se dire même si à la fin on perd, on aura au moins fait quelque chose.

  • Speaker #1

    Oui, c'est exactement ça. Moi, je suis très attachée aux questions d'éthique dans le champ politique. Et pour moi, ça, ça relève vraiment d'une question presque d'éthique personnelle. Alors après, très honnêtement, je veux aussi nuancer un peu ce propos-là ou en tout cas le préciser. C'est qu'il ne s'agit pas de dire que tout le monde, pour être digne, devrait... aller investir des aides, participer à des occupations. Ce n'est pas du tout ça mon propos. Mais il y a une question de dignité d'éthique quand on en a la possibilité à se poser des questions, à essayer de décrypter le monde qui nous entoure et à chercher la manière dont on peut avoir prise sur ce qui ne nous va pas. et tout faire pour l'améliorer. En fait, c'est plutôt dans ces termes-là que je le pose.

  • Speaker #0

    Corinne Morel d'Arleux, où est-ce qu'on en est aujourd'hui justement de la prise de conscience de ces enjeux écologiques et sociaux ? Vous soulignez que bien que la bataille culturelle soit essentielle, le changement par la somme d'actes individuels semble insuffisant. On peut avoir la sensation, et j'en discutais encore avec des responsables d'associations dernièrement, qui me disaient qu'on a l'impression que l'écologie a un peu disparu à la fois de l'agenda politique, médiatique. qui a une forme de désintérêt qui revient sur le devant de la scène ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas eu qu'une impression, c'est documenté. Je crois qu'on peut dire que c'est un constat. Et c'est un constat qui est pour le coup assez désespérant quand même. Parce qu'effectivement, on a l'impression qu'alors que tout s'accélère en termes de dépassement des limites planétaires, en termes de dérèglement climatique... L'extinction de la biodiversité, il y a encore ces chiffres absolument terrifiants qui sont sortis sur la baisse de 73% de la population de vertébrés en 50 ans. Enfin je veux dire, 50 ans c'est mon âge quoi. C'est, enfin voilà, tout semble s'accélérer vers le pire. Et alors qu'on pourrait imaginer... qu'il y ait une accélération de la prise de conscience, de l'agitation, de décisions publiques par rapport à ça, on a l'impression effectivement que, je ne sais pas si c'est du déni, je ne sais pas à quel point tout ça est cynique, de la part notamment des pouvoirs économiques et politiques, mais en tout cas, non seulement... Il y a un effet pour faire face à ces enjeux-là, mais on continue même à accélérer des tricotages législatifs sur les quelques maigres lois de préservation de l'environnement. D'un point de vue social, c'est pareil, c'est vraiment la fuite en avant sur les droits sociaux, sur les droits humains. Bon, voilà, tout ça est quand même extrêmement... extrêmement inquiétant, je trouve. Et c'est même parfois, plus ça va et plus je me demande même finalement comment tout ça tient encore, quand on regarde l'état des services d'urgence ou de l'hôpital public, quand on voit qu'encore en cette rentrée, l'éducation nationale commence à appeler des retraités de l'enseignement qui sont à la retraite depuis 15 ans, parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'enseignants à mettre en face des élèves. Quand on regarde tout ça, franchement, parfois c'est à se demander. Comment tout ça tient encore ? Et plus le temps passe et moins les choses sont anticipées, gérées, plus le risque de la chute s'augmente en fait. Et plus cette chute risque d'être extrêmement brutale, et évidemment extrêmement brutale toujours pour les plus fragiles, les plus précaires, les plus exposés. Et donc voilà, moi c'est ça qui m'inquiète aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs pour ça que pour vous, l'écologie est profondément politique, indissociable justement des enjeux de justice sociale. Vous avez été conseillère régionale pendant de nombreuses années. Comment justement vous avez réussi à incarner dans votre travail d'élu vos convictions face, on le sait, à une institution qui a parfois, souvent, du mal à bouger ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûre d'avoir réussi. C'est vrai que c'est un exercice très particulier. J'ai été élue sur deux mandats pendant 11 ans. Un premier mandat à la région sous Jean-Jacques Kéran et puis un deuxième mandat sous Laurent Wauquiez. Autant dire qu'on n'était pas du tout en phase et avec très peu de possibilités de vrai débat. En plus, c'est vrai que... L'hémicycle régional, c'est une scène de théâtre où tout le monde est un peu dans sa posture. Et donc, il y a heureusement quand même un petit peu plus de possibilités de travail réel dans les commissions, dans les endroits qui ne sont pas publics, où il n'y a pas de médias, pas de regard extérieur, et où là, tout le monde se détend un peu et où on arrive quand même à travailler sur des thématiques, principalement pour moi, les thématiques de l'agriculture et de la montagne. C'était vraiment les deux commissions dans lesquelles j'ai été le plus longtemps. Mais en tout cas, moi, ce que j'ai essayé de faire, c'est de ne rien céder sur la radicalité du programme que je portais, tout en essayant de mettre de l'aménité dans la forme, c'est-à-dire d'être, comme on dit, un gant de velours sur une main de fer. C'est un peu comme ça, moi, que je le vois. Il ne sert à rien d'être dans de la forme, dans des postures, dans un discours rugissant pour porter des idées radicales, que parfois c'est plus efficace de les porter avec nuance, avec calme.

  • Speaker #0

    C'est possible ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'est possible, oui. Et puis heureusement, je crois qu'on a besoin de ça aussi. De temps en temps, il faut taper du poing sur la table. Et puis de temps en temps, il faut... Exposer ses idées avec calme, prendre le temps du raisonnement, prendre le temps du dialogue, y compris avec des personnes avec lesquelles on n'est pas d'accord. C'est aussi ça la politique, en tout cas c'est aussi ça que ça devrait être. Et donc voilà, moi c'est ce que je me suis en tout cas efforcée de faire.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a été le plus difficile ? Se confronter justement aux limites du pouvoir institutionnel, de ce qu'un élu peut faire ?

  • Speaker #1

    Moi ce que j'ai trouvé le plus difficile, c'est le moment où je me suis retrouvée face à des collectifs ou des associations. qui avaient affaire à la région, qui faisaient appel à moi parce qu'elles étaient sous le coup d'arrêts, de subventions assez brutaux ou besoin justement de faire avancer des dossiers. Et où je me suis retrouvée à leur dire que finalement c'était peut-être contre-productif que ce soit moi qui porte leur dossier. Et où en fait je me suis mise à leur fournir... les contacts des élus de droite du territoire, en me disant que ce serait plus efficace pour la cause qu'on défendait. Et ça, pour moi, ça a vraiment été dur. Parce que ça veut dire qu'on arrive à un moment où, effectivement, les camps politiques prennent le dessus sur l'intérêt général et le bien commun. Et moi, c'est ce constat-là, en tout cas, auquel je suis arrivée sous le dernier mandat. Et moi, je ne me suis pas engagée en politique pour ça. Je me suis engagée en politique pour défendre des causes, pour défendre des dossiers, pour défendre des porteurs de projets. Et de voir... Voilà, ça me brise le cœur en fait, de ne pas pouvoir le faire parce que, justement, je sais qu'on est vite catalogués dans cette enceinte et que du coup, ça porte tort, préjudice, plutôt que de porter bénéfice. Ça, j'ai trouvé ça vraiment très difficile.

  • Speaker #0

    Et vous pensez qu'il est possible de mener aujourd'hui une politique écologique réellement transformative ou que finalement la bataille elle se joue ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors personnellement moi j'ai fait le choix de l'ailleurs. Après 10 ans à la direction nationale du parti de gauche, j'étais en charge des questions justement d'écologie et puis d'éco-socialisme, donc d'écologie sociale vraiment. Et donc 11 ans de mandat régional. Il y a quelques années, j'ai décidé de quitter à la fois le monde des partis politiques et de ne pas me représenter, par ailleurs à la région, de mandat. Moi, je trouvais que c'était largement suffisant. Et donc, j'ai un peu quitté ce milieu de la politique institutionnelle, électorale, pour aller vers des milieux plus autonomes, plus libertaires. Beaucoup de milieux paysans aussi autogérés. le sentiment, et je l'ai fait au terme d'une vraie réflexion que j'expose justement dans mes deux livres, qui était qu'après toutes ces années-là, à m'être donné vraiment, alors pour le coup, corps et âme, à ce jeu démocratique, en fait, qu'est le suffrage universel, etc., et auquel j'étais très attachée, j'en suis venue à considérer que le tempo... Des élections n'étaient plus adaptées à l'urgence environnementale et sociale telle qu'on la connaît aujourd'hui, que ça allait trop lentement, que ça allait trop lentement, qui plus est selon des règles du jeu faussées, que nous n'avons pas écrites et qui mettent en place un rapport de force qui nous est défavorable et qui le restera. Tant que les médias resteront à la main de milliardaires et de marchands d'armes. Bon, voilà, je ne vous refais pas le topo que vous connaissez. Et en plus, c'est vrai que moi, j'ai vu, en l'espace de 15 ans de militantisme, j'ai vraiment vu l'arrivée des réseaux sociaux dans la politique et la manière dont ça a transformé l'action politique en communication politique. Et l'obligation d'être très réactif, de commenter, de se faire une visibilité aussi médiatique, c'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie, qui fait par ailleurs beaucoup de dégâts à la politique et à la qualité du débat politique. Et en fait, tout ce temps et toute cette énergie-là, c'est du temps et de l'énergie qui ne sont pas mis à réfléchir, à se poser, à discuter et à agir. Et quand je dis agir, en fait, je veux dire comment on améliore la vie des gens ici et maintenant, sans attendre d'avoir gagné les élections, sans attendre la révolution. Pour moi, c'est ça, agir en politique. C'est améliorer la vie du plus grand nombre. Et donc à un moment donné j'ai considéré que ce n'était plus là que j'étais la plus utile. Et donc je me suis tournée vers des milieux où on est plus investi dans des formes d'action directes avec un impact immédiat pour améliorer la vie des gens comme je le disais mais aussi retarder la progression des bulldozers, préserver des terres agricoles, voilà toutes ces questions qui nous animent.

  • Speaker #0

    Donc cet engagement politique, ces convictions politiques, aujourd'hui, vous les utilisez ailleurs ? Dans d'autres espaces, à la fois dans votre travail d'écriture, de romancière, de militante.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est marrant d'ailleurs parce que parfois je croise des anciens camarades et qui me disent Ah mais quand même, quel dommage que tu aies arrêté la politique À chaque fois, je les reprends. Je n'ai pas du tout l'impression d'avoir arrêté la politique. J'ai même presque l'impression d'en avoir jamais autant fait en fait que depuis que je suis sortie du marasme. de la politique institutionnelle et électorale.

  • Speaker #0

    Et ces convictions politiques, comment elles influencent votre perception du bonheur ?

  • Speaker #1

    La première chose, c'est que je me dois d'être honnête à ce micro, c'est quand même de dire que ce n'est pas la voie royale vers le bonheur. De se pencher sur le monde, de décortiquer les actualités, d'essayer de les analyser, de décrypter les rouages du système et de s'y attaquer, n'est quand même pas gage de... de bonheur. Ça c'est la première chose. On en trouve quand même, bien entendu, mais c'est pas un bonheur au sens de la joie, de la franche rigolade, quoi. Mais c'est un bonheur qui est peut-être un bonheur plus grave, plus profond, qui rejoint un peu ce qu'on disait sur la question de la dignité. C'est que moi, je trouve qu'il y a à la fois quelque chose de très inquiétant, effectivement, à se pencher sur le monde, mais aussi quelque chose d'assez apaisant à le faire en étant, en se sentant bien avec soi-même. Et se sentir bien avec soi-même, c'est quand même une étape assez indispensable dès lors qu'on commence à parler de bonheur. Donc voilà. Après, c'est vrai que moi, je fonctionne beaucoup par... par mouvement de va-et-vient, entre des temps qui sont des temps vraiment collectifs, d'action sur le terrain, des temps d'engagement. Et puis...

  • Speaker #0

    Des temps qui vont être des temps plus de retrait, de solitude, de digérer un peu tout ça, d'essayer d'en extraire aussi des enseignements ou au moins des questionnements plus pertinents peut-être. Et qui sont aussi des temps d'écriture pour moi. Et donc moi j'ai vraiment besoin d'osciller entre les deux. Je ne pourrais pas, et je ne suis pas sûre d'ailleurs, que quiconque puisse être tout le temps dans l'action, tout le temps le nez dans le guidon. avec le risque de burn-out militant, comme on en voit beaucoup, et puis le risque aussi de perdre un peu de vue, parfois. La raison pour laquelle on est dans l'action, je crois qu'on a besoin de temps en temps de prendre du recul ou de la hauteur. Et puis à l'inverse, être tout le temps dans une espèce de retraite choisie, à écrire sur le monde sans jamais s'y frotter. ne me paraît pas non plus être une démarche très saine. Donc voilà, moi je trouve mon équilibre en tout cas dans ce va-et-vient.

  • Speaker #1

    Et alors au milieu de ce chaos, il est essentiel de continuer à chercher des moments de beauté, de sens, d'émerveillement. C'est ce que vous décrivez dans Alors nous irons trouver la beauté ailleurs une réflexion assez profonde sur la manière justement de trouver ces îlots dans un monde en crise. C'est un livre qui mêle contemplation et engagement. On peut mêler les deux, vous le disiez, où vous arrivez à faire ce va-et-vient ?

  • Speaker #0

    Moi, je prône de plus en plus le fait, effectivement, d'arrêter de dissocier la poésie et la politique, l'inquiétude qu'engendre très légitimement le monde et les capacités d'émerveillement, ou d'opposer... la radicalité et la capacité à s'émerveiller, à déceler la beauté. Je crois que le divorce, la rupture qui s'est effectuée entre ces différents pôles à un moment donné, pour rentrer dans une espèce de binarité, d'opposition qui, moi, me semble totalement factice, je pense que ça nous porte beaucoup de tort, en fait. Je pense que la politique, quand elle est complètement... dissocié de la sensibilité, de la poésie, de la beauté. C'est une politique sèche, aride, austère, qui ne fait plus envie à personne, en fait, et qui, en plus, rate son objectif. Je veux dire, à partir du moment où on considère que la politique reste intrinsèquement liée à la question de l'humanité, ce serait quand même une drôle de chose de considérer que notre humanité ne réside que... dans une hémisphère de notre cerveau et que l'humanité n'est pas aussi constituée de veines, de nerfs, de points, de tripes, de cœurs. Et donc c'est à tout ça qu'il faut qu'on s'attale et qu'on s'adresse. Donc voilà, moi je pense effectivement qu'on peut parler de beauté. sans que ça vienne en rien renier la radicalité et la détermination qu'on porte, et qu'il faut absolument arrêter de considérer que la poésie serait un truc de bonne femme ou de petit bourgeois. Je crois qu'on n'a rien à perdre, à gagner en sensibilité aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Et puis c'est peut-être justement une manière de renouer avec une approche un peu plus sensible. aux vivants, à ce qui nous entoure, à la nature, être capable de s'arrêter, de s'émerveiller devant un arbre, une plante, un papillon. Alors pour certains, effectivement, ça peut donner une image un peu fleur bleue du rapport au monde, mais qui fait sans doute du bien. Et aussi, notamment, à tous les échos anxieux, anxieuses, qui sont de plus en plus nombreux, de passer par ce temps de...

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ce qui serait fleur bleue, Et franchement problématique d'un point de vue politique, ce serait de laisser croire qu'il suffirait que tout le monde se reconnecte avec la nature, fasse de temps en temps un bain de forêt, un câlin à un arbre ou un guilis à une fleur pour que le monde aille mieux. Ça ce serait fleur bleue et ce serait franchement problématique. Parce que ce serait évacuer la question des rapports de domination qui traversent la société, des... voilà... plus que de la responsabilité, de la culpabilité des grandes multinationales pétrolières, des pouvoirs publics, du gouvernement actuel, en remettant finalement la responsabilité sur chaque individu qui serait plus ou moins en harmonie avec la nature, ce qui serait finalement une vision assez libérale des choses. En revanche, prendre de front et ensemble, dans le même mouvement, la question des résistances nécessaires, sur le terrain, la question des alternatives à construire pour montrer dès aujourd'hui qu'on pourrait vivre autrement, et la question de la bataille culturelle, des nouveaux récits, des nouveaux imaginaires, dans laquelle j'inclus cette question de notre rapport au monde, de notre rapport à la nature, et de se remettre au cœur des écosystèmes, au même titre que les autres espèces vivantes, si on actionne. Et si on prend en considération ces trois leviers-là de manière simultanée, alors on n'est plus fleur bleue. Alors on devient efficace. Alors on devient en mesure de réellement transformer la société en profondeur. Et moi, tout mon propos, c'est celui-là. C'est de se dire, en fait, là, on a besoin de tous les outils, de toutes les munitions possibles. Et parmi ces outils-là, il y a l'outil de la sensibilité. tort de le négliger et de le laisser cantonner dans d'autres champs, d'autant que la question esthétique, la question du droit à la beauté a toujours été une considération politique. Et moi je trouve que c'est même une considération éminemment sociale. Comment assurer le droit à la beauté pour toutes et pour tous aujourd'hui ? Je pense que c'est une question, si elle était posée sérieusement en politique, qui nous mènerait très loin en termes de programme.

  • Speaker #1

    Corinne Morel-Darleu, dans votre roman La Sauvagière, justement, la nature semble un personnage à part entière. Ce lien au vivant, et j'emploie à dessein ce mot, nourrit votre réflexion. Il est essentiel aujourd'hui, y compris dans votre process d'écriture ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai que je pense que le... Le contexte de chaque personne qui écrit influe forcément sur les sujets dont elle s'empare et sur la manière dont elle écrit aussi probablement. Et il se trouve que moi depuis plus de 15 ans maintenant, j'habite dans la vallée de la Drôme et depuis 5 ans maintenant dans un tout petit village au pied du Vercors, je suis entourée de vignes, de forêts, de montagnes et ça a un impact. A la fois sur mes préoccupations, parce que je suis dans un territoire qui commence à manquer très cruellement d'eau et qui est soumis à des épisodes de sécheresse de plus en plus réguliers, de plus en plus intenses. Donc ça par exemple, clairement, ça vient matérialiser et rendre très concret des discours qui pourraient rester un peu abstraits et théoriques sur la question de la ressource en eau. Et de la même manière, ça donne aussi une proximité avec la forêt, avec la montagne, avec les animaux qui y vivent, avec la végétation, qui fait que j'écris évidemment pas du tout la même chose que ce que j'écrirais si j'étais restée en région parisienne, ou si j'étais dans un quartier entouré de barres HLM, de béton et avec... pas grand chose d'organique autour de moi. Alors j'écrirais d'autres choses et il y a plein de choses qui sont écrites et qui sont hyper chouettes et intéressantes et tout. Mais en tout cas, je pense que ça influe effectivement beaucoup à la fois sur les thématiques et sur les dispositifs aussi d'écriture.

  • Speaker #1

    En parlant de ce lien à la nature, on observe aujourd'hui de plus en plus une forme d'amnésie environnementale. De génération en génération, nous semblons oublier à quoi ressemble une nature non dégradée, un monde où la biodiversité prospère. C'est quelque chose qui vous interpelle, ça ?

  • Speaker #0

    Oui. Tout à fait. Je trouve que c'est vraiment un concept hyper intéressant, ce concept d'amnésie environnementale, parce qu'il vient mettre des termes sur quelque chose dont on n'avait pas forcément conscience, qu'on ne formulait pas du tout. Alors que c'est un truc hyper simple dont chacun se rend compte très facilement. On entend souvent les gens raconter que quand ils étaient gamins, le pare-brise de la voiture, quand ils partaient en vacances avec leurs parents, était constellé de moucherons et d'insectes et que ce n'est plus le cas. Ça, c'est l'exemple qui revient souvent. Mais en fait, des exemples comme ça, on en a toutes et tous de paysages qui ont changé ou de souvenirs de grosses chutes de neige dans des endroits où il n'y en a plus. Et je trouve que c'est vraiment parfois, souvent, poser des mots, ça nous aide quand même à réfléchir et à penser. Et cette question de l'amnésie environnementale, quand on en prend conscience, elle est assez vertigineuse en fait. De voir à quel point ça va vite, d'oublier à quoi ça ressemblait la vie avant. Et c'est important de s'en souvenir parce que c'est aussi des marqueurs qui gardent l'indignation et la volonté d'action intacte de se souvenir de ça, de ces changements.

  • Speaker #1

    Depuis deux ans, avec Audrey Ranchin, nous menons une expérimentation qu'on a intitulée Au creux de mon arbre, l'écho du vivant C'est un arbre cabane, studio d'enregistrement, dans lequel on invite les gens à venir raconter leurs souvenirs de nature. On s'est appuyé sur les travaux du philosophe Jean-Philippe Pierron, que vous connaissez peut-être, qui a travaillé sur l'écobiographie. Et ces témoignages, on les met en récit dans des épisodes qu'on peut écouter dans le podcast. J'avais envie de vous faire écouter un extrait autour de la forêt.

  • Speaker #0

    Je me remémore les sentiers,

  • Speaker #2

    marcher dans la forêt au petit matin.

  • Speaker #0

    C'est un sentiment assez agréable,

  • Speaker #2

    j'imagine un petit rayon de soleil. on ne voit pas un petit brouillard, sans son fraîcheur et de soleil qui prend le bout de son nez. C'est le début d'une journée et c'est agréable de se réveiller,

  • Speaker #0

    d'émerger avec des petits bruits d'oiseaux.

  • Speaker #2

    Merveillé par la beauté de la nature, par une espèce de simplicité apparente. Je ferme les yeux et je suis au milieu d'une clairière. Et le ciel est très bleu au-dessus de moi et l'herbe est très verte. C'est baigné de lumière et je suis au centre de ce cercle-là. Et ce cercle est délimité tout autour par une forêt très épaisse. très sombre et qui paraît peut-être encore plus sombre à cause de la lumière qu'il y a dans la clairière. Et pour autant, elle n'a rien d'inquiétant. Elle semble juste extrêmement vivante. C'est ça, il y a de la vie de partout, ça grouille, c'est comme si... Elle était pleine d'animaux, de sons, de déplacements, de vie. Et puis moi, je suis juste là, au centre de la clairière. Et je sais que toute cette vie, elle est juste là, tout autour de moi. Et moi, je suis au milieu du verre, dans le silence et sous la lumière. Et je sais que tout est possible à cet endroit-là.

  • Speaker #3

    Il y a quelques années, j'étais dans un coin forêt, je dirais, d'une maison que je possédais à l'époque. Et j'allais d'arbre en arbre et je retirais le lierre pour que l'arbre ne s'étouffe pas. Il y avait des murets de pierre, c'était en Ardèche. Et j'ai eu tout d'un coup la sensation viscérale d'être dans la nature, d'être de la nature. D'ailleurs j'ai écrit à cette époque un texte, je suis de nature. Le sentiment physique, l'odeur de tous les cinq sens, d'être dans cette forêt, comme si j'en faisais complètement partie. Ça m'a beaucoup troublée, j'avais l'impression d'être... plus dans le monde réel, et je suis quand même quelqu'un de très pratico-pratique, en tout cas, c'est de ce moment-là que je me suis dit, je fais partie de cette nature, c'est la respecter, c'est me respecter, c'est moi au milieu du vivant. Je suis du vivant, je suis dans le vivant, et la nature et moi, c'est pareil. C'était une sensation aussi bien physique que philosophique, existentielle. C'était exaltant, magnifique.

  • Speaker #1

    On vient d'entendre ce petit extrait. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

  • Speaker #0

    D'abord, je suis épatée par la capacité qu'ont les personnes à témoigner, à raconter vraiment magnifiquement ces récits-là. après moi je suis très envieuse de l'extrait qu'on vient d'entendre qui s'apparente à ce qu'on appelle le sentiment océanique c'est à dire cette espèce de sentiment de faire partie d'un grand tout et de presque pouvoir s'y dissoudre, s'y fondre je suis très envieuse de ça parce que moi c'est un sentiment que j'ai jamais ressenti et mon rapport à la forêt notamment il est très ambivalent Il est aussi emprunt d'une grande conscience de l'altérité. Moi, quand je vais en forêt, d'abord j'ai peur, souvent. Et ensuite, je ne me sens pas du tout à ma place. Je n'ai pas du tout l'impression de faire partie de la forêt. J'ai vraiment au contraire l'impression d'être pas du tout adaptée, d'être une intruse, de faire du bruit. D'être vraiment tolérée. dans un endroit auquel je n'appartiens pas. Et j'aimerais, j'adorerais me rouler dans la boue, avoir l'audace, ne serait-ce que, je ne sais pas, d'enlever mes chaussures et mes chaussettes et de marcher pieds nus dans la boue l'automne. C'est des choses que je ne fais pas. J'ai encore des choses à lâcher, je pense. Mais en même temps, je trouve que pour... Pour ne pas m'accabler, je me dis que c'est bien aussi de garder cette notion qu'on n'est pas partout chez nous. Je suis très intéressée notamment par les travaux de Virginie Maris, qui a écrit La part sauvage du monde là-dessus, et d'autres philosophes de l'environnement qui disent qu'il faut qu'on apprenne à cohabiter, à vivre en harmonie, ça c'est une évidence. Mais pour autant, est-ce que vraiment tous les territoires... doivent être en permanence partagées. Et c'est compliqué en réalité. Moi j'habite dans un territoire où il y a le loup par exemple. Je ne vais pas ouvrir là maintenant le débat sur le loup, mais on voit à quel point c'est compliqué. Et à quel point, malgré tout, le fait de savoir que le loup est là, ne serait-ce que pour aller bivouaquer la nuit, concrètement... et on n'est plus dans la théorie, concrètement, c'est flippant en fait. Et donc je trouve que c'est, enfin voilà, je me dis, finalement, garder cette petite nuance-là, de me dire, en fait, non, on n'est pas chez nous partout, je me dis que ce n'est pas si mal non plus.

  • Speaker #1

    Oui, qu'il peut y avoir des espaces qui n'appartiennent finalement. À d'autres, à d'autres que nous, humains.

  • Speaker #0

    Exactement, et sur lesquels il peut y avoir des incursions ou quoi, mais bon voilà, c'est aussi des leçons d'humilité, de se souvenir qu'en fait on n'est quand même pas hyper adapté, que sans poils, sans griffes, sans crocs, dans la forêt on n'est pas grand chose.

  • Speaker #1

    J'avais envie, justement, comme vous avez beaucoup travaillé sur les questions d'agriculture, notamment d'aller un peu sur la question de l'écologie en milieu rural. Aujourd'hui, on voit à quel point les discours écologistes sont plutôt concentrés dans les grandes villes, avec l'image de l'écolo bobo urbain se déplaçant à vélo et mangeant des graines. Est-ce qu'on n'oublie pas, justement, un peu les réalités de ces territoires-là et qu'il y a sans doute un discours peut-être à réinventer ou à réinterroger pour mieux appréhender ces enjeux dans des territoires où pourtant la proximité, pour le coup, avec l'environnement, la nature et la terre est très présente ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je crois qu'il faut vraiment arriver là encore à manier à la fois l'idéologie et le pragmatisme. Et que là en l'occurrence, ce qui importe, c'est le résultat en fait. Ce qui importe, c'est qu'on ait des types d'agriculture par exemple, qui permettent de rémunérer dignement les agriculteurs. sans empoisonner les sols et en permettant de fournir une alimentation saine et de qualité à un max de monde. Voilà, ça c'est le résultat auquel on veut arriver par exemple. Et si pour arriver à ce résultat, il ne faut pas parler d'écologie, mais... d'agriculture paysanne, ou même ne pas employer aucun de ces termes, mais simplement mieux accompagner les agriculteurs avec des aides publiques en matière de reconversion, avec un discours qui ne soit pas uniquement de pointer du doigt indifféremment tous les types d'agriculteurs et de paysans. Moi, je reviens à ce que je disais, radicalité et aménité. C'est-à-dire que la radicalité, c'est de ne pas céder sur les objectifs. L'aménité, c'est que là, peut-être, il est temps de s'assouplir un peu sur la manière dont on y arrive et dont on les exprime et dont on s'adresse aux personnes auxquelles on veut s'adresser. Et clairement, il y a des discours. qui ne passent pas à la campagne. Parce que c'est des discours qui sont tellement déconnectés de notre réalité qu'en fait, en deux secondes trente, on voit que c'est des discours qui viennent de personnes qui ne vivent pas les mêmes choses, qui ne sont pas dans les mêmes conditions matérielles d'existence. Et pour peu que, en plus, ces discours-là viennent donner des leçons sur des choses qu'elles ne connaissent pas, en fait, ce n'est pas seulement que ce n'est pas utile, c'est que c'est contre-productif, ça braque. Donc je crois que là, il y a vraiment, voilà, sans rien céder sur le fait de pointer les responsabilités, les culpabilités, mais d'avoir peut-être un discours plus nuancé sur qui est coupable, qui est responsable et qui est acteur, et d'avoir un peu plus d'intelligence de situation, en fait, tout simplement.

  • Speaker #1

    Et d'autant plus quand on sait que ces territoires subissent aussi une forme d'injustice. écologique, le manque de services publics, de précarité énergétique, l'éloignement aussi des centres de décision, la difficulté aussi d'imaginer une autre mobilité quand on doit se déplacer en voiture et ainsi de suite. On pourrait les lister, ils sont nombreux.

  • Speaker #0

    Oui, et puis historiquement, en fait, c'est souvent des territoires qui ont encore une mémoire très vive du fait qu'ils ont toujours été les derniers à bénéficier du progrès. Et donc on peut dire tout ce qu'on veut aujourd'hui sur le progrès et être très critique vis-à-vis de plein de choses. Il faut en même temps être capable de comprendre quand même que pour des personnes qui ont connu la campagne ou la montagne sans eau chaude, sans électricité courante, dans le froid, c'était des vies très dures. Et c'était il n'y a pas si longtemps que ça, en fait. Donc, les personnes qui ont vécu ces années dures, elles sont encore vivantes. Et leurs enfants et leurs petits-enfants en ont la mémoire. Là, pour le coup, il n'y a pas toujours de l'amnésie environnementale là-dessus. Et donc, on ne peut pas juste venir avec un discours un peu simpliste, anti-progrès. Mais parce qu'en fait, il y a plein de personnes qui goûtent tout juste. au confort moderne, et là tout d'un coup on vient leur dire, ah bah c'était chouette, vous avez juste goûté, on vient vous le retirer. Donc c'est là où il y a des manières de faire en fait, et c'est là où il y a vraiment besoin de cette intelligence, de cette situation, de cette intelligence humaine. Et moi c'est vraiment quelque chose que j'ai compris, notamment, je me suis beaucoup battue contre les canons à neige en montagne, quand j'étais à la région, et... Et à un moment, j'ai eu des témoignages qui m'ont bouleversée sur des personnes qui disaient En fait, nous, c'est simplement depuis qu'il y a des stations de ski qu'on vit décemment dans nos territoires de montagne. Et ça ne veut pas dire que j'ai changé d'avis sur les canons à neige, mais je sais que je ne m'exprime plus de la même manière. Et je crois que là encore, on y gagne, et on y gagne aussi en décence, tout simplement.

  • Speaker #1

    On arrive au terme de cet échange, Corinne. Peut-être, quelles initiatives semblent aujourd'hui prometteuses, justement, pour construire le fameux bonheur résilient dont on parlait tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Alors, bonheur, je ne sais pas. Je vais peut-être m'attacher plus au côté résilient, avec plein de guillemets. Mais moi, il me semble qu'aujourd'hui, tout ce qui va dans le sens de l'autonomie politique et matérielle, C'est-à-dire comment est-ce qu'on s'organise collectivement pour gérer nos propres subsistances, que ce soit au niveau de l'alimentation, mais au niveau d'être en capacité de faire un peu de mécanique, de savoir réparer, bricoler. dépendre des flux d'approvisionnement mondiaux ou des institutions étatiques pour tout ce qui concerne le quotidien et le bien-vivre. Tout ce qui va dans ce sens-là me semble être une bonne chose. Et il y a de plus en plus d'initiatives. Il y en a une qui me tient à cœur, que je trouve formidable, qui s'appelle Reprise de Savoir. C'est des chantiers Reprise de Savoir qui s'organisent un peu partout en France. pour mêler des savoirs théoriques et des savoirs pratiques sur plusieurs jours et pour à la fois discuter de textes et analyser le monde et discuter de stratégies politiques, mais aussi mettre les mains dans la terre, apprendre à poser un parquet, apprendre à faire de la mécanique sur une voiture, apprendre à travailler le bois. Il y a plein de choses différentes. Et ça, ça me paraît à la fois très joyeux, parce que c'est des super moments qu'on passe dans ces chantiers reprises de savoir, et en même temps, je crois que c'est parmi les choses les plus utiles du moment, parce que ça permet à la fois de réduire notre impact environnemental, de réduire notre dépendance. à l'État, au gouvernement et à des flux qui sont de plus en plus fragiles. Et en même temps, de se préparer à ce qu'il n'y ait pas de l'électricité à volonté ad vitam aeternam.

  • Speaker #1

    Un grand merci Corinne Morel-Darleux pour cet échange inspirant, riche en réflexions. Je rappelle à nos auditeurs vos ouvrages, notamment Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce La sauvagière Là où le feu est l'ours par exemple, qui prolonge ces réflexions. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Un épisode rendu possible grâce au soutien de Nicolas. Vincent et Gildas.

Description

Pour ce premier épisode d’En un battement d’aile en 2025, nous accueillons Corinne Morel Darleux, militante écologiste et écrivaine, qui explore dans ses écrits et ses réflexions la quête de sens, la beauté du vivant, et les tensions entre lucidité et espoir face aux bouleversements du monde.


Corinne Morel Darleux interroge notre capacité à faire émerger la beauté au cœur du chaos et à réinventer notre façon d’habiter la Terre.


Un mois pour s'inspirer


Cet entretien inaugure une série spéciale pour débuter l’année, où nous parlons de bonheur, de la jeunesse et d’optimisme avec trois invités exceptionnels.


🎧 Retrouvez également les prochains entretiens de cette série :

  • Flore Vasseur : Le pouvoir de la jeunesse (diffusion le 15 janvier)

  • Arthur Auboeuf : Avancer avec optimisme, le meilleur est Avenir ! (diffusion le 29 janvier)


Des conversations profondes et éclairantes pour commencer l’année avec inspiration et sérénité.


Bonne écoute et très belle année 2025 à toutes et à tous ! 🦋


Mixage : Pascal Gauthier


💚 POUR SOUTENIR LE PODCAST


  1. Abonnez-vous au compte Instagram @enunbattementdaile

  2. Laissez un avis sur Apple Podcast par ici 🙏

  3. Faites-le découvrir autour de vous !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Corinne Morel-Darleux est une femme qui questionne, qui remet en cause, qui refuse les compromis faciles. Militante passionnée, écrivaine sensible, elle mêle dans son œuvre poésie et politique, explorant les chemins qui nous mènent à la beauté, même quand le monde semble vacillé. Nous nous retrouvons ce 17 octobre en pleine intempérie alors qu'elle est de passage à Lyon. Les inondations qui frappent Givor l'empêcheront ce soir-là. de participer à une rencontre à la médiathèque de la ville. Un phénomène qui rappelle la toute-puissance de la nature et qui sera de plus en plus fréquent avec le dérèglement climatique. Ce lien au vivant, Corinne Morel-Darleux l'explore depuis son parcours politique en tant qu'élue écologiste jusqu'à ses réflexions introspectives dans ses récents ouvrages. Avec donc cette question sous-jacente, comment naviguer entre espoir et lucidité ? Cet entretien ouvre une série un peu spéciale pour démarrer 2025, un mois de janvier sans reportage, mais avec trois entretiens exceptionnels pour réfléchir ensemble à ce qui fait sens dans nos vies et à comment avancer dans un monde en pleine transformation. Avec Corinne Morel-Darleu, nous parlerons donc de bonheur et de quête de sens, avec Flore Vasseur, la réalisatrice du documentaire Bigger Than Us de jeunesse et d'engagement, et avec Arthur Aubeuf. cofondateur de Time for the Planet, d'action et d'optimisme. Trois mots pour trois inspirations pour bien commencer l'année. Eh bien Corinne, bonjour. Bonjour. Et un grand merci d'être ici dans ce podcast en un battement d'aile. Je suis ravie de vous accueillir. J'avais envie de démarrer par un extrait de livre que vous allez forcément reconnaître. Alors, je reprends mon passage. Je repasse les écoutes du bon côté et mets le cap sur un grand pétrolier à l'encre dans la baie. Flac ! Plein dans la passerelle. C'est un message de lance-pierre accablé pour Robert du Sunday Times. Cher Robert, le Horn a été arrondi le 5 février et nous sommes le 18 mars. Je continue sans escale vers les îles du Pacifique parce que je suis heureux en mer et peut-être aussi pour sauver mon âme. Le projectile à peine envoyé me voit la prise d'une légère inquiétude. Comprendront-ils là-bas ? Il y avait une fois un mot de passe, c'était ésope La sentinelle avait compris ésope Ne vous inquiétez pas, même si vous ne comprenez pas très bien, ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas tous comprendre à quel point je suis heureux en ce moment, sur le bout dehors, en regardant mon bateau courir à plus de sept nœuds, avec un grand arc-en-ciel sous le vent de l'étrave, pour doubler bonne espérance Vous aurez donc reconnu cet extrait. de La longue route de Bernard Moitessier, un livre que j'ai moi-même beaucoup aimé. Grâce à vous, pour préparer cette interview, je me suis un peu replongée dedans. Vous l'évoquez longuement dans votre livre, Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce. C'est quoi le bonheur pour vous ?

  • Speaker #1

    D'abord, merci pour cet extrait qui me touche d'autant plus que je reviens du festival Les aventuriers de la mer à Lorient, où j'ai enfin pu monter à bord. du voilier en question Ausha et donc c'est assez émouvant de pénétrer à l'intérieur de ce bateau mythique et avec lequel on navigue tout au long de la longue route. Et effectivement le bonheur c'est peut-être ça tout simplement, se sentir au bon endroit, au bon moment et avec... La bonne compagnie ou sans compagnie s'il s'agit de solitude choisie, mais en tout cas ce sentiment d'être à l'endroit juste, je crois. Ce serait peut-être ça une définition du bonheur.

  • Speaker #0

    Alors vous dites dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce que nous disposons tous des ressources nécessaires, psychologiques, matérielles pour décider d'agir sur certaines plaies. Et je vous cite, se concentrer sur un sourire, mettre fin aux relations toxiques, militer ou arrêter de militer. Changer de boulot, se reconvertir, déménager, passer à temps partiel, cesser de s'en faire pour des broutilles, aller enfin voir le médecin, s'astreindre aux cours de danse, de flûte, de yoga, de ce que vous voulez, arrêter de dire il faut que je le fasse le faire, même mettre fin à ce régime frustrant qui ne sert à rien, virer son psy, reprendre la cigarette, que sais-je, il existe mille manières, petites et grandes, de reprendre un tant soit peu la main, de se faire du bien et d'ajouter un peu de joie à ce monde. Pas facile quand même de réussir à aller jusqu'au bout, de trouver ce bonheur dans des petites choses simples. Et parfois on peut se dire, ceux qui sont en situation de précarité, ceux qui font face à de grandes galères, comment on arrive à remettre ces petits moments de joie dans nos vies ?

  • Speaker #1

    Alors c'est effectivement tout le propos de mes deux livres chez Libertalia d'ailleurs. Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce ou le dernier, alors nous irons trouver la beauté ailleurs. C'est justement de trouver une manière de parler de joie, de beauté, d'émerveillement, sans être dans un propos bourgeois de privilégier un décent en faisant fi des rapports de domination, des conditions matérielles d'existence qui font qu'il y a plein de personnes pour lesquelles c'est pas comme ça que ce... posent les préoccupations de tous les jours, naturellement. Et donc tout le propos c'est ça, et notamment dans Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce, j'interroge beaucoup cette question de quelle est finalement la part de choix qui nous reste en tant qu'individu. Quand on est dans une société capitaliste, consumériste, avec beaucoup d'injonctions sociales, beaucoup d'injustices sociales aussi, Et puis des choix contraints bien souvent parce qu'on est locataire ou parce qu'on est sans logement, parce qu'on galère à trouver un travail. Et donc quelle est la part de libre arbitre finalement qui reste là-dedans et quelle est la part qui revient à l'individu ? Et notamment pour toutes ces histoires de changement de comportement dont on entend beaucoup parler. Et le postulat que je pose, c'est que refuser au plus précaire... La possibilité de dire non ou de faire un pas de côté, précisément parce qu'ils sont précaires, finalement ce serait vraiment la double peine. Et en plus même d'un point de vue éthique, moral, ça me paraît insoutenable. Et donc je pars du principe que tout le monde a la possibilité de faire un pas de côté, de refuser des choses. Alors évidemment c'est pas toujours... au même niveau, c'est pas toujours aussi spectaculaire que Bernard Moitessier ou que les bifurqueurs qui vont refuser une carrière parce qu'ils en ont la possibilité. Mais c'est pour ça que j'essaye de donner des exemples plus petits, plus concrets. Et c'est pas juste le geste en soi, c'est ce que ça provoque aussi en termes de souveraineté de l'individu et de fierté en fait. De retrouver... C'est ça. C'est cette fierté qui est trop souvent piétinée aujourd'hui par le système.

  • Speaker #0

    Et le tout c'est d'avoir de l'imagination ?

  • Speaker #1

    De l'imagination, je ne sais pas. Le tout, en fait, moi je crois vraiment de plus en plus que la clé, et c'est très difficile à trouver, cette clé c'est la question du temps, de la disponibilité d'esprit. Parce que bien souvent, il y a énormément de choses dans lesquelles on se laisse embarquer, simplement parce que... On n'a pas le temps ou pas la disponibilité de se poser pour y réfléchir un peu sérieusement.

  • Speaker #0

    Donc vous insistez sur l'importance de la dignité au présent, une formule qui est assez puissante, pleine de sens, surtout dans le contexte actuel. Cette dignité au présent, c'est être capable justement, comme vous le disiez, d'éviter cette double peine en fonction des situations et d'en revenir à... Une dignité au présent.

  • Speaker #1

    Alors en fait, cette idée-là, je l'ai développée en réflexion sur le militantisme, et singulièrement sur le militantisme écolo, parce qu'au moment où j'ai rédigé ce texte, c'était principalement à l'été 2018. On était vraiment dans le creux de la vague. Il n'y avait pas encore eu la naissance de tous les collectifs type Extinction Rebellion ou soulèvement de la Terre, etc. qu'il y a aujourd'hui. Et on était vraiment au creux de la vague avec une accélération des dégradations, assez peu de victoires dans notre camp ou des toutes petites victoires qui ne faisaient pas vraiment la différence. Et il y avait vraiment, voilà, on sentait qu'il y avait un espèce de vent de désertion qui courait sur les rangs militants, de découragement, de désespoir parfois. Et en fait, j'ai commencé à formuler cette idée de dignité du présent en me disant en fait que même quand les victoires futures semblaient de plus en plus hypothétiques... il y avait toujours des raisons de continuer à se battre parce que quand on s'engage dans une cause, on ne s'engage pas parce qu'on est sûr de la gagner à la fin. On s'engage simplement parce que c'est une cause qui nous semble juste à mener à un moment donné au présent justement. Et donc c'était une manière de se dire, si les victoires futures ne sont pas là, il nous reste la dignité du présent et ça reste une raison suffisante pour continuer à se lever le matin et continuer à lutter.

  • Speaker #0

    Et dans une époque où justement beaucoup de personnes ressentent un sentiment d'impuissance face aux crises climatiques, sociales, politiques, on l'a vu particulièrement ces derniers mois, cette dignité au présent finalement c'est une manière aussi de ne pas sombrer dans la résignation ?

  • Speaker #1

    Oui tout à fait, c'est une manière de se dire que ce qu'on fait, on le fait aussi pour se sentir debout, digne. Et puis... Aussi parce qu'en réalité, il reste toujours des combats à mener. Même si on a le sentiment que les espèces de grands monolithes qu'on s'était posés à un moment donné sur le fait de sauver la planète, sauver le climat, renverser le capitalisme, faire la révolution, ces monolithes-là sont peut-être un peu énormes aujourd'hui à franchir. Mais ce n'est pas pour autant, comme je l'ai écrit aussi, il y a toujours un dixième de degré à les sauver, il y a toujours une espèce d'invertébré à préserver, toujours un sourire à donner, toujours de la beauté à préserver ou à faire éclore. Et donc en réalité, je ne sais pas si c'est une bonne nouvelle ou une mauvaise nouvelle, mais la lutte ne s'arrête jamais. Et même si les objectifs qu'on s'était fixés au départ s'avèrent trop hauts pour les remplir, on peut se fixer de plus petits objectifs plus atteignables et continuer à espérer remporter des victoires au moins sur ces objectifs-là.

  • Speaker #0

    Et pourtant, vous dites que l'optimisme vous a quitté.

  • Speaker #1

    Oui, oui, oui. Moi, je me sens assez désillusionnée. Alors après, si je le dis comme ça, désillusionnée, c'est plutôt une bonne chose. Quand on perd ses illusions, on gagne en lucidité. Je crois que c'est effectivement exactement ce qui m'arrive. Mais c'est vrai que tous les termes d'espoir ou d'optimisme, moi, sont des termes que je n'utilise pas du tout. Parce qu'il me semble que ce n'est pas dans ces termes-là que ça se pose, en fait, que la question n'est pas de savoir si on a de l'espoir ou si on est optimiste. La question pour moi est d'arriver à conjuguer de la lucidité et de la détermination et de rentrer dans l'action pour ce qu'il est possible de faire, de modifier, de changer. encore aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est là où cette dignité au présent, elle peut devenir une forme de résistance au désespoir, quelque part ?

  • Speaker #1

    Oui, oui, tout à fait. Moi, je le vis vraiment, enfin, en tout cas, quand je l'ai formulé, pour moi, c'était vraiment une espèce de bouée à laquelle s'accrocher pour justement ne pas... Ne pas baisser les bras, ne pas laisser tomber, de se dire non en fait s'il ne devait rester à la fin qu'une raison de continuer la lutte, c'est la question de la dignité.

  • Speaker #0

    Et c'est finalement aussi sortir de cette promesse du résultat pour se dire même si à la fin on perd, on aura au moins fait quelque chose.

  • Speaker #1

    Oui, c'est exactement ça. Moi, je suis très attachée aux questions d'éthique dans le champ politique. Et pour moi, ça, ça relève vraiment d'une question presque d'éthique personnelle. Alors après, très honnêtement, je veux aussi nuancer un peu ce propos-là ou en tout cas le préciser. C'est qu'il ne s'agit pas de dire que tout le monde, pour être digne, devrait... aller investir des aides, participer à des occupations. Ce n'est pas du tout ça mon propos. Mais il y a une question de dignité d'éthique quand on en a la possibilité à se poser des questions, à essayer de décrypter le monde qui nous entoure et à chercher la manière dont on peut avoir prise sur ce qui ne nous va pas. et tout faire pour l'améliorer. En fait, c'est plutôt dans ces termes-là que je le pose.

  • Speaker #0

    Corinne Morel d'Arleux, où est-ce qu'on en est aujourd'hui justement de la prise de conscience de ces enjeux écologiques et sociaux ? Vous soulignez que bien que la bataille culturelle soit essentielle, le changement par la somme d'actes individuels semble insuffisant. On peut avoir la sensation, et j'en discutais encore avec des responsables d'associations dernièrement, qui me disaient qu'on a l'impression que l'écologie a un peu disparu à la fois de l'agenda politique, médiatique. qui a une forme de désintérêt qui revient sur le devant de la scène ?

  • Speaker #1

    Ce n'est pas eu qu'une impression, c'est documenté. Je crois qu'on peut dire que c'est un constat. Et c'est un constat qui est pour le coup assez désespérant quand même. Parce qu'effectivement, on a l'impression qu'alors que tout s'accélère en termes de dépassement des limites planétaires, en termes de dérèglement climatique... L'extinction de la biodiversité, il y a encore ces chiffres absolument terrifiants qui sont sortis sur la baisse de 73% de la population de vertébrés en 50 ans. Enfin je veux dire, 50 ans c'est mon âge quoi. C'est, enfin voilà, tout semble s'accélérer vers le pire. Et alors qu'on pourrait imaginer... qu'il y ait une accélération de la prise de conscience, de l'agitation, de décisions publiques par rapport à ça, on a l'impression effectivement que, je ne sais pas si c'est du déni, je ne sais pas à quel point tout ça est cynique, de la part notamment des pouvoirs économiques et politiques, mais en tout cas, non seulement... Il y a un effet pour faire face à ces enjeux-là, mais on continue même à accélérer des tricotages législatifs sur les quelques maigres lois de préservation de l'environnement. D'un point de vue social, c'est pareil, c'est vraiment la fuite en avant sur les droits sociaux, sur les droits humains. Bon, voilà, tout ça est quand même extrêmement... extrêmement inquiétant, je trouve. Et c'est même parfois, plus ça va et plus je me demande même finalement comment tout ça tient encore, quand on regarde l'état des services d'urgence ou de l'hôpital public, quand on voit qu'encore en cette rentrée, l'éducation nationale commence à appeler des retraités de l'enseignement qui sont à la retraite depuis 15 ans, parce qu'ils n'ont pas suffisamment d'enseignants à mettre en face des élèves. Quand on regarde tout ça, franchement, parfois c'est à se demander. Comment tout ça tient encore ? Et plus le temps passe et moins les choses sont anticipées, gérées, plus le risque de la chute s'augmente en fait. Et plus cette chute risque d'être extrêmement brutale, et évidemment extrêmement brutale toujours pour les plus fragiles, les plus précaires, les plus exposés. Et donc voilà, moi c'est ça qui m'inquiète aujourd'hui.

  • Speaker #0

    C'est d'ailleurs pour ça que pour vous, l'écologie est profondément politique, indissociable justement des enjeux de justice sociale. Vous avez été conseillère régionale pendant de nombreuses années. Comment justement vous avez réussi à incarner dans votre travail d'élu vos convictions face, on le sait, à une institution qui a parfois, souvent, du mal à bouger ?

  • Speaker #1

    Je ne suis pas sûre d'avoir réussi. C'est vrai que c'est un exercice très particulier. J'ai été élue sur deux mandats pendant 11 ans. Un premier mandat à la région sous Jean-Jacques Kéran et puis un deuxième mandat sous Laurent Wauquiez. Autant dire qu'on n'était pas du tout en phase et avec très peu de possibilités de vrai débat. En plus, c'est vrai que... L'hémicycle régional, c'est une scène de théâtre où tout le monde est un peu dans sa posture. Et donc, il y a heureusement quand même un petit peu plus de possibilités de travail réel dans les commissions, dans les endroits qui ne sont pas publics, où il n'y a pas de médias, pas de regard extérieur, et où là, tout le monde se détend un peu et où on arrive quand même à travailler sur des thématiques, principalement pour moi, les thématiques de l'agriculture et de la montagne. C'était vraiment les deux commissions dans lesquelles j'ai été le plus longtemps. Mais en tout cas, moi, ce que j'ai essayé de faire, c'est de ne rien céder sur la radicalité du programme que je portais, tout en essayant de mettre de l'aménité dans la forme, c'est-à-dire d'être, comme on dit, un gant de velours sur une main de fer. C'est un peu comme ça, moi, que je le vois. Il ne sert à rien d'être dans de la forme, dans des postures, dans un discours rugissant pour porter des idées radicales, que parfois c'est plus efficace de les porter avec nuance, avec calme.

  • Speaker #0

    C'est possible ?

  • Speaker #1

    Je crois que c'est possible, oui. Et puis heureusement, je crois qu'on a besoin de ça aussi. De temps en temps, il faut taper du poing sur la table. Et puis de temps en temps, il faut... Exposer ses idées avec calme, prendre le temps du raisonnement, prendre le temps du dialogue, y compris avec des personnes avec lesquelles on n'est pas d'accord. C'est aussi ça la politique, en tout cas c'est aussi ça que ça devrait être. Et donc voilà, moi c'est ce que je me suis en tout cas efforcée de faire.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui a été le plus difficile ? Se confronter justement aux limites du pouvoir institutionnel, de ce qu'un élu peut faire ?

  • Speaker #1

    Moi ce que j'ai trouvé le plus difficile, c'est le moment où je me suis retrouvée face à des collectifs ou des associations. qui avaient affaire à la région, qui faisaient appel à moi parce qu'elles étaient sous le coup d'arrêts, de subventions assez brutaux ou besoin justement de faire avancer des dossiers. Et où je me suis retrouvée à leur dire que finalement c'était peut-être contre-productif que ce soit moi qui porte leur dossier. Et où en fait je me suis mise à leur fournir... les contacts des élus de droite du territoire, en me disant que ce serait plus efficace pour la cause qu'on défendait. Et ça, pour moi, ça a vraiment été dur. Parce que ça veut dire qu'on arrive à un moment où, effectivement, les camps politiques prennent le dessus sur l'intérêt général et le bien commun. Et moi, c'est ce constat-là, en tout cas, auquel je suis arrivée sous le dernier mandat. Et moi, je ne me suis pas engagée en politique pour ça. Je me suis engagée en politique pour défendre des causes, pour défendre des dossiers, pour défendre des porteurs de projets. Et de voir... Voilà, ça me brise le cœur en fait, de ne pas pouvoir le faire parce que, justement, je sais qu'on est vite catalogués dans cette enceinte et que du coup, ça porte tort, préjudice, plutôt que de porter bénéfice. Ça, j'ai trouvé ça vraiment très difficile.

  • Speaker #0

    Et vous pensez qu'il est possible de mener aujourd'hui une politique écologique réellement transformative ou que finalement la bataille elle se joue ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors personnellement moi j'ai fait le choix de l'ailleurs. Après 10 ans à la direction nationale du parti de gauche, j'étais en charge des questions justement d'écologie et puis d'éco-socialisme, donc d'écologie sociale vraiment. Et donc 11 ans de mandat régional. Il y a quelques années, j'ai décidé de quitter à la fois le monde des partis politiques et de ne pas me représenter, par ailleurs à la région, de mandat. Moi, je trouvais que c'était largement suffisant. Et donc, j'ai un peu quitté ce milieu de la politique institutionnelle, électorale, pour aller vers des milieux plus autonomes, plus libertaires. Beaucoup de milieux paysans aussi autogérés. le sentiment, et je l'ai fait au terme d'une vraie réflexion que j'expose justement dans mes deux livres, qui était qu'après toutes ces années-là, à m'être donné vraiment, alors pour le coup, corps et âme, à ce jeu démocratique, en fait, qu'est le suffrage universel, etc., et auquel j'étais très attachée, j'en suis venue à considérer que le tempo... Des élections n'étaient plus adaptées à l'urgence environnementale et sociale telle qu'on la connaît aujourd'hui, que ça allait trop lentement, que ça allait trop lentement, qui plus est selon des règles du jeu faussées, que nous n'avons pas écrites et qui mettent en place un rapport de force qui nous est défavorable et qui le restera. Tant que les médias resteront à la main de milliardaires et de marchands d'armes. Bon, voilà, je ne vous refais pas le topo que vous connaissez. Et en plus, c'est vrai que moi, j'ai vu, en l'espace de 15 ans de militantisme, j'ai vraiment vu l'arrivée des réseaux sociaux dans la politique et la manière dont ça a transformé l'action politique en communication politique. Et l'obligation d'être très réactif, de commenter, de se faire une visibilité aussi médiatique, c'est quelque chose qui est extrêmement chronophage, qui prend beaucoup de temps, beaucoup d'énergie, qui fait par ailleurs beaucoup de dégâts à la politique et à la qualité du débat politique. Et en fait, tout ce temps et toute cette énergie-là, c'est du temps et de l'énergie qui ne sont pas mis à réfléchir, à se poser, à discuter et à agir. Et quand je dis agir, en fait, je veux dire comment on améliore la vie des gens ici et maintenant, sans attendre d'avoir gagné les élections, sans attendre la révolution. Pour moi, c'est ça, agir en politique. C'est améliorer la vie du plus grand nombre. Et donc à un moment donné j'ai considéré que ce n'était plus là que j'étais la plus utile. Et donc je me suis tournée vers des milieux où on est plus investi dans des formes d'action directes avec un impact immédiat pour améliorer la vie des gens comme je le disais mais aussi retarder la progression des bulldozers, préserver des terres agricoles, voilà toutes ces questions qui nous animent.

  • Speaker #0

    Donc cet engagement politique, ces convictions politiques, aujourd'hui, vous les utilisez ailleurs ? Dans d'autres espaces, à la fois dans votre travail d'écriture, de romancière, de militante.

  • Speaker #1

    Oui, exactement. C'est marrant d'ailleurs parce que parfois je croise des anciens camarades et qui me disent Ah mais quand même, quel dommage que tu aies arrêté la politique À chaque fois, je les reprends. Je n'ai pas du tout l'impression d'avoir arrêté la politique. J'ai même presque l'impression d'en avoir jamais autant fait en fait que depuis que je suis sortie du marasme. de la politique institutionnelle et électorale.

  • Speaker #0

    Et ces convictions politiques, comment elles influencent votre perception du bonheur ?

  • Speaker #1

    La première chose, c'est que je me dois d'être honnête à ce micro, c'est quand même de dire que ce n'est pas la voie royale vers le bonheur. De se pencher sur le monde, de décortiquer les actualités, d'essayer de les analyser, de décrypter les rouages du système et de s'y attaquer, n'est quand même pas gage de... de bonheur. Ça c'est la première chose. On en trouve quand même, bien entendu, mais c'est pas un bonheur au sens de la joie, de la franche rigolade, quoi. Mais c'est un bonheur qui est peut-être un bonheur plus grave, plus profond, qui rejoint un peu ce qu'on disait sur la question de la dignité. C'est que moi, je trouve qu'il y a à la fois quelque chose de très inquiétant, effectivement, à se pencher sur le monde, mais aussi quelque chose d'assez apaisant à le faire en étant, en se sentant bien avec soi-même. Et se sentir bien avec soi-même, c'est quand même une étape assez indispensable dès lors qu'on commence à parler de bonheur. Donc voilà. Après, c'est vrai que moi, je fonctionne beaucoup par... par mouvement de va-et-vient, entre des temps qui sont des temps vraiment collectifs, d'action sur le terrain, des temps d'engagement. Et puis...

  • Speaker #0

    Des temps qui vont être des temps plus de retrait, de solitude, de digérer un peu tout ça, d'essayer d'en extraire aussi des enseignements ou au moins des questionnements plus pertinents peut-être. Et qui sont aussi des temps d'écriture pour moi. Et donc moi j'ai vraiment besoin d'osciller entre les deux. Je ne pourrais pas, et je ne suis pas sûre d'ailleurs, que quiconque puisse être tout le temps dans l'action, tout le temps le nez dans le guidon. avec le risque de burn-out militant, comme on en voit beaucoup, et puis le risque aussi de perdre un peu de vue, parfois. La raison pour laquelle on est dans l'action, je crois qu'on a besoin de temps en temps de prendre du recul ou de la hauteur. Et puis à l'inverse, être tout le temps dans une espèce de retraite choisie, à écrire sur le monde sans jamais s'y frotter. ne me paraît pas non plus être une démarche très saine. Donc voilà, moi je trouve mon équilibre en tout cas dans ce va-et-vient.

  • Speaker #1

    Et alors au milieu de ce chaos, il est essentiel de continuer à chercher des moments de beauté, de sens, d'émerveillement. C'est ce que vous décrivez dans Alors nous irons trouver la beauté ailleurs une réflexion assez profonde sur la manière justement de trouver ces îlots dans un monde en crise. C'est un livre qui mêle contemplation et engagement. On peut mêler les deux, vous le disiez, où vous arrivez à faire ce va-et-vient ?

  • Speaker #0

    Moi, je prône de plus en plus le fait, effectivement, d'arrêter de dissocier la poésie et la politique, l'inquiétude qu'engendre très légitimement le monde et les capacités d'émerveillement, ou d'opposer... la radicalité et la capacité à s'émerveiller, à déceler la beauté. Je crois que le divorce, la rupture qui s'est effectuée entre ces différents pôles à un moment donné, pour rentrer dans une espèce de binarité, d'opposition qui, moi, me semble totalement factice, je pense que ça nous porte beaucoup de tort, en fait. Je pense que la politique, quand elle est complètement... dissocié de la sensibilité, de la poésie, de la beauté. C'est une politique sèche, aride, austère, qui ne fait plus envie à personne, en fait, et qui, en plus, rate son objectif. Je veux dire, à partir du moment où on considère que la politique reste intrinsèquement liée à la question de l'humanité, ce serait quand même une drôle de chose de considérer que notre humanité ne réside que... dans une hémisphère de notre cerveau et que l'humanité n'est pas aussi constituée de veines, de nerfs, de points, de tripes, de cœurs. Et donc c'est à tout ça qu'il faut qu'on s'attale et qu'on s'adresse. Donc voilà, moi je pense effectivement qu'on peut parler de beauté. sans que ça vienne en rien renier la radicalité et la détermination qu'on porte, et qu'il faut absolument arrêter de considérer que la poésie serait un truc de bonne femme ou de petit bourgeois. Je crois qu'on n'a rien à perdre, à gagner en sensibilité aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Et puis c'est peut-être justement une manière de renouer avec une approche un peu plus sensible. aux vivants, à ce qui nous entoure, à la nature, être capable de s'arrêter, de s'émerveiller devant un arbre, une plante, un papillon. Alors pour certains, effectivement, ça peut donner une image un peu fleur bleue du rapport au monde, mais qui fait sans doute du bien. Et aussi, notamment, à tous les échos anxieux, anxieuses, qui sont de plus en plus nombreux, de passer par ce temps de...

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Ce qui serait fleur bleue, Et franchement problématique d'un point de vue politique, ce serait de laisser croire qu'il suffirait que tout le monde se reconnecte avec la nature, fasse de temps en temps un bain de forêt, un câlin à un arbre ou un guilis à une fleur pour que le monde aille mieux. Ça ce serait fleur bleue et ce serait franchement problématique. Parce que ce serait évacuer la question des rapports de domination qui traversent la société, des... voilà... plus que de la responsabilité, de la culpabilité des grandes multinationales pétrolières, des pouvoirs publics, du gouvernement actuel, en remettant finalement la responsabilité sur chaque individu qui serait plus ou moins en harmonie avec la nature, ce qui serait finalement une vision assez libérale des choses. En revanche, prendre de front et ensemble, dans le même mouvement, la question des résistances nécessaires, sur le terrain, la question des alternatives à construire pour montrer dès aujourd'hui qu'on pourrait vivre autrement, et la question de la bataille culturelle, des nouveaux récits, des nouveaux imaginaires, dans laquelle j'inclus cette question de notre rapport au monde, de notre rapport à la nature, et de se remettre au cœur des écosystèmes, au même titre que les autres espèces vivantes, si on actionne. Et si on prend en considération ces trois leviers-là de manière simultanée, alors on n'est plus fleur bleue. Alors on devient efficace. Alors on devient en mesure de réellement transformer la société en profondeur. Et moi, tout mon propos, c'est celui-là. C'est de se dire, en fait, là, on a besoin de tous les outils, de toutes les munitions possibles. Et parmi ces outils-là, il y a l'outil de la sensibilité. tort de le négliger et de le laisser cantonner dans d'autres champs, d'autant que la question esthétique, la question du droit à la beauté a toujours été une considération politique. Et moi je trouve que c'est même une considération éminemment sociale. Comment assurer le droit à la beauté pour toutes et pour tous aujourd'hui ? Je pense que c'est une question, si elle était posée sérieusement en politique, qui nous mènerait très loin en termes de programme.

  • Speaker #1

    Corinne Morel-Darleu, dans votre roman La Sauvagière, justement, la nature semble un personnage à part entière. Ce lien au vivant, et j'emploie à dessein ce mot, nourrit votre réflexion. Il est essentiel aujourd'hui, y compris dans votre process d'écriture ?

  • Speaker #0

    Oui, c'est vrai que je pense que le... Le contexte de chaque personne qui écrit influe forcément sur les sujets dont elle s'empare et sur la manière dont elle écrit aussi probablement. Et il se trouve que moi depuis plus de 15 ans maintenant, j'habite dans la vallée de la Drôme et depuis 5 ans maintenant dans un tout petit village au pied du Vercors, je suis entourée de vignes, de forêts, de montagnes et ça a un impact. A la fois sur mes préoccupations, parce que je suis dans un territoire qui commence à manquer très cruellement d'eau et qui est soumis à des épisodes de sécheresse de plus en plus réguliers, de plus en plus intenses. Donc ça par exemple, clairement, ça vient matérialiser et rendre très concret des discours qui pourraient rester un peu abstraits et théoriques sur la question de la ressource en eau. Et de la même manière, ça donne aussi une proximité avec la forêt, avec la montagne, avec les animaux qui y vivent, avec la végétation, qui fait que j'écris évidemment pas du tout la même chose que ce que j'écrirais si j'étais restée en région parisienne, ou si j'étais dans un quartier entouré de barres HLM, de béton et avec... pas grand chose d'organique autour de moi. Alors j'écrirais d'autres choses et il y a plein de choses qui sont écrites et qui sont hyper chouettes et intéressantes et tout. Mais en tout cas, je pense que ça influe effectivement beaucoup à la fois sur les thématiques et sur les dispositifs aussi d'écriture.

  • Speaker #1

    En parlant de ce lien à la nature, on observe aujourd'hui de plus en plus une forme d'amnésie environnementale. De génération en génération, nous semblons oublier à quoi ressemble une nature non dégradée, un monde où la biodiversité prospère. C'est quelque chose qui vous interpelle, ça ?

  • Speaker #0

    Oui. Tout à fait. Je trouve que c'est vraiment un concept hyper intéressant, ce concept d'amnésie environnementale, parce qu'il vient mettre des termes sur quelque chose dont on n'avait pas forcément conscience, qu'on ne formulait pas du tout. Alors que c'est un truc hyper simple dont chacun se rend compte très facilement. On entend souvent les gens raconter que quand ils étaient gamins, le pare-brise de la voiture, quand ils partaient en vacances avec leurs parents, était constellé de moucherons et d'insectes et que ce n'est plus le cas. Ça, c'est l'exemple qui revient souvent. Mais en fait, des exemples comme ça, on en a toutes et tous de paysages qui ont changé ou de souvenirs de grosses chutes de neige dans des endroits où il n'y en a plus. Et je trouve que c'est vraiment parfois, souvent, poser des mots, ça nous aide quand même à réfléchir et à penser. Et cette question de l'amnésie environnementale, quand on en prend conscience, elle est assez vertigineuse en fait. De voir à quel point ça va vite, d'oublier à quoi ça ressemblait la vie avant. Et c'est important de s'en souvenir parce que c'est aussi des marqueurs qui gardent l'indignation et la volonté d'action intacte de se souvenir de ça, de ces changements.

  • Speaker #1

    Depuis deux ans, avec Audrey Ranchin, nous menons une expérimentation qu'on a intitulée Au creux de mon arbre, l'écho du vivant C'est un arbre cabane, studio d'enregistrement, dans lequel on invite les gens à venir raconter leurs souvenirs de nature. On s'est appuyé sur les travaux du philosophe Jean-Philippe Pierron, que vous connaissez peut-être, qui a travaillé sur l'écobiographie. Et ces témoignages, on les met en récit dans des épisodes qu'on peut écouter dans le podcast. J'avais envie de vous faire écouter un extrait autour de la forêt.

  • Speaker #0

    Je me remémore les sentiers,

  • Speaker #2

    marcher dans la forêt au petit matin.

  • Speaker #0

    C'est un sentiment assez agréable,

  • Speaker #2

    j'imagine un petit rayon de soleil. on ne voit pas un petit brouillard, sans son fraîcheur et de soleil qui prend le bout de son nez. C'est le début d'une journée et c'est agréable de se réveiller,

  • Speaker #0

    d'émerger avec des petits bruits d'oiseaux.

  • Speaker #2

    Merveillé par la beauté de la nature, par une espèce de simplicité apparente. Je ferme les yeux et je suis au milieu d'une clairière. Et le ciel est très bleu au-dessus de moi et l'herbe est très verte. C'est baigné de lumière et je suis au centre de ce cercle-là. Et ce cercle est délimité tout autour par une forêt très épaisse. très sombre et qui paraît peut-être encore plus sombre à cause de la lumière qu'il y a dans la clairière. Et pour autant, elle n'a rien d'inquiétant. Elle semble juste extrêmement vivante. C'est ça, il y a de la vie de partout, ça grouille, c'est comme si... Elle était pleine d'animaux, de sons, de déplacements, de vie. Et puis moi, je suis juste là, au centre de la clairière. Et je sais que toute cette vie, elle est juste là, tout autour de moi. Et moi, je suis au milieu du verre, dans le silence et sous la lumière. Et je sais que tout est possible à cet endroit-là.

  • Speaker #3

    Il y a quelques années, j'étais dans un coin forêt, je dirais, d'une maison que je possédais à l'époque. Et j'allais d'arbre en arbre et je retirais le lierre pour que l'arbre ne s'étouffe pas. Il y avait des murets de pierre, c'était en Ardèche. Et j'ai eu tout d'un coup la sensation viscérale d'être dans la nature, d'être de la nature. D'ailleurs j'ai écrit à cette époque un texte, je suis de nature. Le sentiment physique, l'odeur de tous les cinq sens, d'être dans cette forêt, comme si j'en faisais complètement partie. Ça m'a beaucoup troublée, j'avais l'impression d'être... plus dans le monde réel, et je suis quand même quelqu'un de très pratico-pratique, en tout cas, c'est de ce moment-là que je me suis dit, je fais partie de cette nature, c'est la respecter, c'est me respecter, c'est moi au milieu du vivant. Je suis du vivant, je suis dans le vivant, et la nature et moi, c'est pareil. C'était une sensation aussi bien physique que philosophique, existentielle. C'était exaltant, magnifique.

  • Speaker #1

    On vient d'entendre ce petit extrait. Qu'est-ce que ça vous inspire ?

  • Speaker #0

    D'abord, je suis épatée par la capacité qu'ont les personnes à témoigner, à raconter vraiment magnifiquement ces récits-là. après moi je suis très envieuse de l'extrait qu'on vient d'entendre qui s'apparente à ce qu'on appelle le sentiment océanique c'est à dire cette espèce de sentiment de faire partie d'un grand tout et de presque pouvoir s'y dissoudre, s'y fondre je suis très envieuse de ça parce que moi c'est un sentiment que j'ai jamais ressenti et mon rapport à la forêt notamment il est très ambivalent Il est aussi emprunt d'une grande conscience de l'altérité. Moi, quand je vais en forêt, d'abord j'ai peur, souvent. Et ensuite, je ne me sens pas du tout à ma place. Je n'ai pas du tout l'impression de faire partie de la forêt. J'ai vraiment au contraire l'impression d'être pas du tout adaptée, d'être une intruse, de faire du bruit. D'être vraiment tolérée. dans un endroit auquel je n'appartiens pas. Et j'aimerais, j'adorerais me rouler dans la boue, avoir l'audace, ne serait-ce que, je ne sais pas, d'enlever mes chaussures et mes chaussettes et de marcher pieds nus dans la boue l'automne. C'est des choses que je ne fais pas. J'ai encore des choses à lâcher, je pense. Mais en même temps, je trouve que pour... Pour ne pas m'accabler, je me dis que c'est bien aussi de garder cette notion qu'on n'est pas partout chez nous. Je suis très intéressée notamment par les travaux de Virginie Maris, qui a écrit La part sauvage du monde là-dessus, et d'autres philosophes de l'environnement qui disent qu'il faut qu'on apprenne à cohabiter, à vivre en harmonie, ça c'est une évidence. Mais pour autant, est-ce que vraiment tous les territoires... doivent être en permanence partagées. Et c'est compliqué en réalité. Moi j'habite dans un territoire où il y a le loup par exemple. Je ne vais pas ouvrir là maintenant le débat sur le loup, mais on voit à quel point c'est compliqué. Et à quel point, malgré tout, le fait de savoir que le loup est là, ne serait-ce que pour aller bivouaquer la nuit, concrètement... et on n'est plus dans la théorie, concrètement, c'est flippant en fait. Et donc je trouve que c'est, enfin voilà, je me dis, finalement, garder cette petite nuance-là, de me dire, en fait, non, on n'est pas chez nous partout, je me dis que ce n'est pas si mal non plus.

  • Speaker #1

    Oui, qu'il peut y avoir des espaces qui n'appartiennent finalement. À d'autres, à d'autres que nous, humains.

  • Speaker #0

    Exactement, et sur lesquels il peut y avoir des incursions ou quoi, mais bon voilà, c'est aussi des leçons d'humilité, de se souvenir qu'en fait on n'est quand même pas hyper adapté, que sans poils, sans griffes, sans crocs, dans la forêt on n'est pas grand chose.

  • Speaker #1

    J'avais envie, justement, comme vous avez beaucoup travaillé sur les questions d'agriculture, notamment d'aller un peu sur la question de l'écologie en milieu rural. Aujourd'hui, on voit à quel point les discours écologistes sont plutôt concentrés dans les grandes villes, avec l'image de l'écolo bobo urbain se déplaçant à vélo et mangeant des graines. Est-ce qu'on n'oublie pas, justement, un peu les réalités de ces territoires-là et qu'il y a sans doute un discours peut-être à réinventer ou à réinterroger pour mieux appréhender ces enjeux dans des territoires où pourtant la proximité, pour le coup, avec l'environnement, la nature et la terre est très présente ?

  • Speaker #0

    Oui, moi je crois qu'il faut vraiment arriver là encore à manier à la fois l'idéologie et le pragmatisme. Et que là en l'occurrence, ce qui importe, c'est le résultat en fait. Ce qui importe, c'est qu'on ait des types d'agriculture par exemple, qui permettent de rémunérer dignement les agriculteurs. sans empoisonner les sols et en permettant de fournir une alimentation saine et de qualité à un max de monde. Voilà, ça c'est le résultat auquel on veut arriver par exemple. Et si pour arriver à ce résultat, il ne faut pas parler d'écologie, mais... d'agriculture paysanne, ou même ne pas employer aucun de ces termes, mais simplement mieux accompagner les agriculteurs avec des aides publiques en matière de reconversion, avec un discours qui ne soit pas uniquement de pointer du doigt indifféremment tous les types d'agriculteurs et de paysans. Moi, je reviens à ce que je disais, radicalité et aménité. C'est-à-dire que la radicalité, c'est de ne pas céder sur les objectifs. L'aménité, c'est que là, peut-être, il est temps de s'assouplir un peu sur la manière dont on y arrive et dont on les exprime et dont on s'adresse aux personnes auxquelles on veut s'adresser. Et clairement, il y a des discours. qui ne passent pas à la campagne. Parce que c'est des discours qui sont tellement déconnectés de notre réalité qu'en fait, en deux secondes trente, on voit que c'est des discours qui viennent de personnes qui ne vivent pas les mêmes choses, qui ne sont pas dans les mêmes conditions matérielles d'existence. Et pour peu que, en plus, ces discours-là viennent donner des leçons sur des choses qu'elles ne connaissent pas, en fait, ce n'est pas seulement que ce n'est pas utile, c'est que c'est contre-productif, ça braque. Donc je crois que là, il y a vraiment, voilà, sans rien céder sur le fait de pointer les responsabilités, les culpabilités, mais d'avoir peut-être un discours plus nuancé sur qui est coupable, qui est responsable et qui est acteur, et d'avoir un peu plus d'intelligence de situation, en fait, tout simplement.

  • Speaker #1

    Et d'autant plus quand on sait que ces territoires subissent aussi une forme d'injustice. écologique, le manque de services publics, de précarité énergétique, l'éloignement aussi des centres de décision, la difficulté aussi d'imaginer une autre mobilité quand on doit se déplacer en voiture et ainsi de suite. On pourrait les lister, ils sont nombreux.

  • Speaker #0

    Oui, et puis historiquement, en fait, c'est souvent des territoires qui ont encore une mémoire très vive du fait qu'ils ont toujours été les derniers à bénéficier du progrès. Et donc on peut dire tout ce qu'on veut aujourd'hui sur le progrès et être très critique vis-à-vis de plein de choses. Il faut en même temps être capable de comprendre quand même que pour des personnes qui ont connu la campagne ou la montagne sans eau chaude, sans électricité courante, dans le froid, c'était des vies très dures. Et c'était il n'y a pas si longtemps que ça, en fait. Donc, les personnes qui ont vécu ces années dures, elles sont encore vivantes. Et leurs enfants et leurs petits-enfants en ont la mémoire. Là, pour le coup, il n'y a pas toujours de l'amnésie environnementale là-dessus. Et donc, on ne peut pas juste venir avec un discours un peu simpliste, anti-progrès. Mais parce qu'en fait, il y a plein de personnes qui goûtent tout juste. au confort moderne, et là tout d'un coup on vient leur dire, ah bah c'était chouette, vous avez juste goûté, on vient vous le retirer. Donc c'est là où il y a des manières de faire en fait, et c'est là où il y a vraiment besoin de cette intelligence, de cette situation, de cette intelligence humaine. Et moi c'est vraiment quelque chose que j'ai compris, notamment, je me suis beaucoup battue contre les canons à neige en montagne, quand j'étais à la région, et... Et à un moment, j'ai eu des témoignages qui m'ont bouleversée sur des personnes qui disaient En fait, nous, c'est simplement depuis qu'il y a des stations de ski qu'on vit décemment dans nos territoires de montagne. Et ça ne veut pas dire que j'ai changé d'avis sur les canons à neige, mais je sais que je ne m'exprime plus de la même manière. Et je crois que là encore, on y gagne, et on y gagne aussi en décence, tout simplement.

  • Speaker #1

    On arrive au terme de cet échange, Corinne. Peut-être, quelles initiatives semblent aujourd'hui prometteuses, justement, pour construire le fameux bonheur résilient dont on parlait tout à l'heure ?

  • Speaker #0

    Alors, bonheur, je ne sais pas. Je vais peut-être m'attacher plus au côté résilient, avec plein de guillemets. Mais moi, il me semble qu'aujourd'hui, tout ce qui va dans le sens de l'autonomie politique et matérielle, C'est-à-dire comment est-ce qu'on s'organise collectivement pour gérer nos propres subsistances, que ce soit au niveau de l'alimentation, mais au niveau d'être en capacité de faire un peu de mécanique, de savoir réparer, bricoler. dépendre des flux d'approvisionnement mondiaux ou des institutions étatiques pour tout ce qui concerne le quotidien et le bien-vivre. Tout ce qui va dans ce sens-là me semble être une bonne chose. Et il y a de plus en plus d'initiatives. Il y en a une qui me tient à cœur, que je trouve formidable, qui s'appelle Reprise de Savoir. C'est des chantiers Reprise de Savoir qui s'organisent un peu partout en France. pour mêler des savoirs théoriques et des savoirs pratiques sur plusieurs jours et pour à la fois discuter de textes et analyser le monde et discuter de stratégies politiques, mais aussi mettre les mains dans la terre, apprendre à poser un parquet, apprendre à faire de la mécanique sur une voiture, apprendre à travailler le bois. Il y a plein de choses différentes. Et ça, ça me paraît à la fois très joyeux, parce que c'est des super moments qu'on passe dans ces chantiers reprises de savoir, et en même temps, je crois que c'est parmi les choses les plus utiles du moment, parce que ça permet à la fois de réduire notre impact environnemental, de réduire notre dépendance. à l'État, au gouvernement et à des flux qui sont de plus en plus fragiles. Et en même temps, de se préparer à ce qu'il n'y ait pas de l'électricité à volonté ad vitam aeternam.

  • Speaker #1

    Un grand merci Corinne Morel-Darleux pour cet échange inspirant, riche en réflexions. Je rappelle à nos auditeurs vos ouvrages, notamment Plutôt coulé en beauté que flotté sans grâce La sauvagière Là où le feu est l'ours par exemple, qui prolonge ces réflexions. Merci beaucoup.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup.

  • Speaker #1

    Un épisode rendu possible grâce au soutien de Nicolas. Vincent et Gildas.

Share

Embed

You may also like