arletteOn arrive gare de Austerlitz, on va oublier qu'on est fin juillet, il fait très chaud ce jour-là, c'est chauffé à blanc. La gare a été vidée de ses passagers. Il n'y a rien d'autre que ces wagons à bestiaux. Vous avez vu le wagon à bestiaux à Drancy. Les wagons à bestiaux, ce n'est pas des wagons pour les passagers. Ce n'est pas fait pour des enfants. Ce n'est pas fait pour des vieillards. Il y a tous ces wagons à vestiaux qui sont là. Et on nous met sur le quai de la gare.
Il fait chaud. Et on n'a rien à boire. Rien à manger.
Ils avaient distribué des petites boîtes de sardines, mais sans ouvre-boîte.
Mais ils avaient quand même un peu d'humanité, il faut dire la vérité. Devant chaque wagon à bestiaux, il y avait ces grands bidons. On mettait du lait, ou les paysans livraient du lait. C'était des bidons en métal, en aluminium, en fer. Et un avec de l'eau et un avec du lait.
Et les mamans se précipitent, bien sûr pour donner à boire à leurs enfants.
Ils commencent à se battre devant ça. Il y avait un petit car militaire qui était accroché à ce bidon. Et j'entends maman, c'était une maîtresse femme, qui se met à crier, « On n'est pas des bêtes, arrêtez-vous de vous battre, on va commencer à donner à boire d'abord aux plus petits. »
Et les femmes l'ont écoutée. Donc, elles commencent à distribuer du lait. Et je vois ma sœur, qui est un peu plus âgée, qui a 16 mois, comme moi, qui voit maman qui donne le lait.
Elle dit, bon, elle s'approche, "maman, j'ai soif". Et bien maman, elle la repoussait gentiment, en lui disant, "Madeleine, c'est pas ton tour".
Et on est montés dans ce wagon à bestiaux. Comment vous dire ? Vous savez, ce wagon à bestiaux. Vous avez vu comment c'était ? Il faut y aller, aller voir ce que c'est. Vous savez, il n'y a pas de fenêtre.
Vous avez juste une espèce de soupirail rectangulaire d'un côté, un autre de l'autre côté, qui est à la hauteur des naseaux des chevaux.
Mais ce n'est pas pour respirer pour les enfants, pour les vieillards, pour les malades. Un adulte peut respirer encore. Il y a tant et tant de chevaux, c'est pour le transport. Mais ce n'est pas fait pour nous.
Et on monte dans ce wagon. Et on nous enferme dans ce wagon. Et il fait chaud. Et on n'a pas pour respirer. On est serrés dedans.
Ils ferment ces portes métalliques.
Ce n'est pas des portes, c'est coulissant comme ça.
Et là, j'entends encore maman qui crie. "Prenez un enfant dans les bras et faites-le respirer". Et je me souviens avoir été soulevée plusieurs fois. pouvoir me mettre à la hauteur de ce soupirail où j'ai pu respirer.
Ma mère était une maîtresse femme extraordinaire. Dans ce wagon, elle a fait autre chose.
Vous savez, la France, c'est pas tout noir. Et pourtant, j'ai été arrêtée par les Français. J'ai jamais vu d'Allemands. Et c'est pas tout blanc non plus. De toute l'Europe. C'est vrai que la France a collaboré avec le gouvernement de Vichy, mais de toute l'Europe, c'est en France qu'on a sauvé le plus d'enfants juifs.
À partir de cette rafle du Vélodrome d'hiver, à partir de ce moment justement, où on est partis dans ces wagonsà bestiaux, lorsque les gens ont vu ces trains partir avec ces petites mains d'enfants et de vieillards, ils se sont dit, ceux-là, ils ne vont pas travailler en Allemagne. Les Français étaient persuadés que les Juifs vont travailler en Allemagne, il y avait le STO avec, bon, pourquoi pas ?
Et c'est à partir de cette époque, et pas les préfets, pas les hauts gradés, les petites gens, la petite France, la France profonde, enfin, la France que j'aime, ma France.
Dans le train, maman a décidé de faire parvenir un mot à des voisins non-juifs, comme quoi on a été arrêtés arbitrairement, qu'on est français, enfin tout le tremblement.
Elle trouve un papier dans son sac, elle écrit sur mon dos un petit mot, elle le roule comme une cigarette, et puis elle va pour le jeter sur la voie ferrée quand on roule. Elle se ravise, elle prend de l'argent dans sa poche. qu'elle a rajouté à cette cigarette, et puis elle me tire quelques cheveux. Pourquoi elle a tiré quelques cheveux ? Pour attacher le tout. Et les cheveux, c'est très solide.
Elle a attaché le billet, l'argent, et elle l'a jeté sur la voie ferrée. Eh bien, ce petit mot est arrivé à destination. Qui l'a trouvé ? Un préfet, un gradé ? Un petit dame, un cheminot, c'est ça la France.
Il n'y avait pas d'enveloppe, il n'y avait pas de timbre, il a pris l'argent, c'est normal, mais il a envoyé le petit mot sur Paris.
Maman écrivait dedans comme quoi il fallait que les voisins fassent quelque chose parce qu'elle avait confié des papiers, comme quoi on était français, comme quoi par la spoliation, tout ce qui nous avait pris, les usines qui nous avaient saisi, on avait un « Ausweis » et que ma mère devait être absolument libérée parce que avec le matériel qu'ils avaient pris, l'armée allemande faisait des petits gilets en fourrure qu'ils envoyaient sur le front russe pour l'armée allemande.
Enfin bref, notre matériel était important et ma mère avait un Ausweiss, elle faisait valoir, bon je ne sais pas quoi, bon elle s'est débrouillée, elle voulait faire quelque chose.
Puis on est arrivés bien sûr au camp de Beaune-la-Rolande.
C'était pareil. Ça a été un peu la bagarre parce qu'il y avait ces chalits sa trois étages, en troisième, en haut, en bas, il n'y avait pas d'endroit qui était bien. Parce qu'il y avait beaucoup d'enfants, beaucoup de bébés. Il n'y avait pas de change, ça avait été sale au Vélodrome d'hiver. Il n'y avait pas comme maintenant des changes en cellulose.
Les enfants qui étaient en haut faisaient pipi sur nous qui étaient en bas.
Enfin, il n'y avait pas d'endroit qui était bien. Maman avait décidé dans le camp de nous laver.
On revenait du vélodrome d'hiver, on est en été, elle veut nous laver.
Elle trouve une bassine parce que le camp de Beaune la Rolande était occupé par des hommes, donc il y avait du matériel.
Elle trouve une bassine, elle y met de l'eau. C'est l'été et... Elle nous a dit, bon, ça va chauffer au soleil, après je vous laverai.
Et là, il y a des gendarmes qui arrivent. Parce qu'à Paris et à la gare d'Austerlitz et au Vélodrome d'hiver, on a été gardés par la police.
Dans le camp, c'est les gendarmes. ce sont deux professions différentes. Les gendarmes sont militaires et les autres, la police, n'est pas militaire.
Donc il y a deux gendarmes qui s'approchent de maman, qui voient cette bassine et qui demandent "qu'est-ce que tu fais" ?
C'était une époque où on tutoyait pas les gens comme ça, surtout pas ma maman. Elle dit "il faut laver les enfants, ils vont avoir des poux" On revient de je ne sais pas quel endroit, puisqu'on ne connaissait pas le vélodrome d'hiver…" et lui a donné un grand coup de pied dans la bassine, il a dit "c'est moi qui décide". Et ma maman a recommencé une deuxième fois. Il a vu son manège de loin, il est revenu, et il a refait une deuxième fois.
Vous savez, une mère juive, ce n'est pas une mère ordinaire.
Ceux qui ont des mères juives savent ce que c'est.
Elle a recommencé une troisième fois. Et c'est lui qui a capitulé.
Il a passé une troisième fois. Bon, il était avec un collègue. Est-ce que c'est le collègue ? enfin, il a dit, "tu les laves tes enfants".
Et c'est comme ça qu'elle nous a lavés.
Et pourquoi je suis là ? Pourquoi je suis sortie du camp de Beaune la Rolande ? Parce que dans le camp de Beaune la Rolande, comme je vous ai dit, on était gardés par des gendarmes. Et les gendarmes avaient besoin de personnes qui parlaient un peu l'allemand. Et ma mère parlait entre le yiddish et l'allemand … Elle s'est dit « bon, je saisme débrouiller » . Elle a dit « bon, moi je peux vous aider » . Donc elle va dans le bureau où il y a tous les gendarmes. Un jour, elle revient dans la baraque et elle dit « ça ne va pas du tout » Ils ont fait des listes, il y a des listes d'enfants et des listes de femmes.
On va séparer les femmes des enfants.
Et là, toutes les femmes lui sont tombées dessus en lui disant « Malka, tu es folle. Jamais, jamais les Français vont séparer les mères des enfants. »
Et ma mère a dit « Mais pourquoi ils ont fait deux listes ? Il y a quelque chose qui va se passer. Il faut faire quelque chose. Donnez-moi des enfants, je vais faire quelque chose. Je dirai que c'est mes neveux et mes nièces, je vais essayer de sortir. Il faut qu'on sorte de la, Ce n'est pas normal".
Et elle décide de sortir. Elle retourne chez les gendarmes. Et là, elle a raconté un énorme, énorme mensonge en disant « Voilà, vous nous avez arrêtés, vous nous avez spoliés, vous pouvez contrôler, vous nous avez pris le matériel, ce qui est vrai. J'ai un Ausweis, ce qui est vrai. Il faut me relâcher parce que je dois surveiller, travailler pour les allemands au 9 rue Martel, atelier grundel" et c'était vrai tout ça c'était vrai donc les gendarmes je pense qu'ils en ont tenu compte. Elle revient dans la baraque et c'est là qu'elle raconte "Je vais peut-être pouvoir sortir donnez moi des enfants"
Aucune mère n'a voulu donner ses enfants
Et on a vu venir quelques temps après deux gendarmes avec un papier où il y avait écrit Madeleine, ma soeur, Arlette, enfin maman et tout, tampon, juif utile, libérée.
Et on sort du camp de Bonne-la-Rolande.