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ARLETTE - 9 ans - 2ème partie - "AU VELD'HIV, C'ÉTAIT LE PREMIER SUICIDE QUE JE VOYAIS" cover
ARLETTE - 9 ans - 2ème partie - "AU VELD'HIV, C'ÉTAIT LE PREMIER SUICIDE QUE JE VOYAIS" cover
ENFANT DE LA SHOAH

ARLETTE - 9 ans - 2ème partie - "AU VELD'HIV, C'ÉTAIT LE PREMIER SUICIDE QUE JE VOYAIS"

ARLETTE - 9 ans - 2ème partie - "AU VELD'HIV, C'ÉTAIT LE PREMIER SUICIDE QUE JE VOYAIS"

14min |16/07/2025
Play
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ENFANT DE LA SHOAH

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14min |16/07/2025
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Description

Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire et de Rousseau.

En 1939, par conviction, il s'engage comme volontaire dans l'armée française.

Sa fille Arlette naît le 30 mars 1933 dans le 12e arrondissement et grandit dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir.

En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend "la fleur au fusil", persuadé que sa nationalité française le protège.

Il sera interné à Pithiviers le 9 mai 1941, puis déporté vers Auschwitz dans le convoi n°4 du 25 juin 1942, a l’age de 37 ans.

Arlette et sa maman croient qu'il travaille quelque part dans un camp en Allemagne.


Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur et de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au Vélodrome d'Hiver. C'est la rafle du Vel' d'Hiv'.

Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ces journées enfermée dans le Vélodrome d'Hiver.


À neuf ans, elle découvre l'insoutenable : la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur.

Elle nous raconte ces conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais.

Voici le 2è épisode du témoignage d’Arlette, 9 ans, Enfant de la Shoah.


NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande et à Néo Verriest pour leur aide précieuse❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


----

suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • arlette

    Les dernières paroles que j'ai entendues de mon père, puisqu'après je ne l'ai plus jamais entendu, c'était « Mais qu'est-ce que je risque dans la France de Voltaire, de Diderot, de Zola, de Rousseau ? » Attendez, moi j'ai 8 ans à cette époque, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas étudié, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas l'âge. Moi je crois que c'est des copains, je suis persuadée que c'est des copains qui vont l'aider.

  • introduction

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire, de Rousseau. En 1939, par conviction, Il s'engage comme volontaire dans l'armée française. Sa fille, Arlette, née le 30 mars 1933, est grandie dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse, dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir. En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend la fleur au fusil, persuadé qu'il ne peut rien lui arriver. Il sera interné à Pitiviers le 9 mai 1941. puis déporté vers Auschwitz dans le convoi numéro 4 du 25 juin 1942, à seulement 37 ans. Arlette et sa maman croient qu'ils travaillent quelque part en Allemagne, dans un camp. Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur, de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au vélodrome d'hiver. C'est la rafle du Veldiv. Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ses journées. enfermée dans le vélodrome d'hiver. À 9 ans, elle découvre l'insoutenable, la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur. Elle nous raconte ses conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais. Voici le deuxième épisode du témoignage d'Arlette, 9 ans, enfant de la Shoah.

  • arlette

    16 juillet 1942, 6 heures du matin, je me souviens comme aujourd'hui, on frappe à la porte, maman demande qui elle est, la police, elle ouvre, et là il y a deux policiers avec leur pèlerine, avec une feuille à la main, et ils disent voilà, on vient chercher votre mari Abraham Reymann. Et maman, elle dit, "mais il est déjà parti. Il est parti du camp de Pithiviers et même en destination inconnue". Et eux savaient. Et eux, sans se démonter, ont dit, "c'est pas grave, c'est pas grave, c'est vous et vos enfants". Et ils commencent à nommer Madeleine, ma soeur, Arlette, moi, et Marie, et Malka, ma mère. Et là... J'ai vu ma mère qui était une maîtresse femme, on avait du personnel toujours à la maison, elle avait l'habitude d'avoir du personnel sous ses ordres, elle gardait toujours son sang-froid, qui a perdu son sang-froid. Elle s'est battue avec lui. Elle a pris tout ce qu'elle a trouvé, des tabourets, des chaises, des vases, des tables, elle ne voulait pas se laisser arrêter. Elle dit « Vous ne m'aurez pas, je n'irai pas, vous avez pris mon mari, je n'irai pas. » et moi je me souviens je tire maman par sa chemise de nuit en lui disant "maman tu veux pas aller le chercher le diderot le Zola, papa il a dit qu'on craignait rien" et maman elle comprend rien du tout elle dit "arrête qu'est-ce que tu racontes encore" elle ne comprend rien et moi je ne comprends pas non plus. Eux sans se démonter "Faites vite, prenez quelques vêtements pour quelques jours et puis de la nourriture". Mais quelle nourriture ? On n'avait pas de nourriture d'avance. Il n'y avait pas de supermarché. Les juifs, on n'allait pas aux mêmes horaires. On n'avait pas grand-chose, on n'avait rien. "Prenez des vêtements et… et puis on vous emmène, fermez le gaz, fermez à clé, donnez la clé à la gardienne". Ma mère a pris quelques vêtements qu'elle a mis dans une valise qu'on avait et puis on est descendu comme des voleuses. Dans l'immeuble où j'habitais, il y avait quatre familles juives, tous avec des enfants, les plus petits, la petite Régine, trois ans, aux yeux bleus, blondes. Tout le monde a été arrêté. Tout le monde. Il y avait ces horribles autobus qui nous attendaient en bas. Les gens... vous savez avant la guerre... les juifs ne partaient pas en vacances. Il n'y avait pas tellement d'argent. Les gens n'avaient pas de valise. Pour aller à l'école, on avait un cartable, ou en carton bouilli ou en cuir si on avait les moyens, mais il n'y avait pas de sac à dos. Les mamans n'avaient pas pour mettre des vêtements. Qu'est-ce qu'il fallait emmener ? Les enfants, des langes, des changes. Il n'y avait pas de change en cellulose. C'était tout en tissu. Qu'est-ce qu'elles ont fait, les mamans ? Elles ont pris soit une tête d'oreiller, soit un drap, une nappe, ont mis quelques vêtements. On est au mois de juillet… puis on ne sait pas quoi. "prenez des vêtements de la nourriture, puis partez". Il y avait ces autobus où on nous a entassés, dedans on nous a poussés, on nous a mis les bagages sur la plateforme. Je déteste ces autobus. J'en vois encore de temps en temps passer quand ils tournent un film. J'ai horreur de ces autobus. de nous voir pousser, comment c'était. C'était une journée chaude, mais c'était une journée, vous savez, comme des fois au mois de juillet, il pleuvait un peu, comme si le ciel pleurait avec nous, en fait. Puis on est partis, les autobus nous ont emmenés direction le vélodrome d'hiver. Moi, le Vélodrome d'hiver, je ne connaissais pas. Parce que le Vélodrome d'hiver, c'était un endroit pour les sportifs, pour les manifestations politiques, pour le sport, tout ça. Mes parents n'étaient ni politisés, je ne pense pas, à part qu'ils étaient très français, surtout pas très sportifs, mais on était plutôt du côté musicien, parce que je me souviens avoir été au Châtelet, voir au Pays du Sourire, voir des concerts, plutôt comme ça. Mais pas de... Je ne connaissais pas du tout le vélo d'hiver. Et on est arrivé dans ce vélodrome d'hiver, vous dire comment c'était… Vous savez, quand on étudie après l'enfer de Dante, c'était dantesque. Les autobus arrivaient et on nous a déversé ce vélo-drone d'hiver. Il n'y avait rien. C'était énorme ce vélo d'hiver. C'était comme maintentant un petit Bercy, il y avait cette piste cyclable, où les manifestations de vélo, il y avait au milieu un terre-plein, il y avait ces gradins en béton, on s'est assis dessus. Oui, c'est vraiment dantesque, parce qu'il n'y avait pas d'eau. Soi-disant, ils avaient coupé l'eau parce que l'hiver précédent, avaient été rigoureux, donc les canalisations avaient sauté, mais enfin, donc il n'y avait pas d'eau, il n'y avait rien à manger. Vous décrire ce que c'était que ce Vélodrome d'hiver, c'est indescriptible. Je me souviens, je dis à un moment à maman, "j'ai envie de faire pipi". Elle me dit, "écoute, je reste avec les affaires, avec Madeleine, tu vas avec Lazare", parce qu'avec les petits voisins de l'immeuble, on s'était regroupés sur les gradins en béton, et nous on était tout en bas, on n'était pas tout là-haut, puisqu'on est arrivés dans les premiers, elle me dit « tu vas avec Lazare, il doit y avoir des toilettes en haut » . Lazare me prend par la main, il a déjà 11 ans, et on monte et on monte, et je sens cette odeur, et je sens cette odeur. Pourquoi ? Parce que, j'ai dit, il n'y avait pas d'eau. Tout était bouché. Et en montant, quand on est arrivé en haut, il y avait des gens qui faisaient pudiquement contre le mur. D'autres se cachaient derrière un vêtement pour faire pudiquement. Mais l'urine et les excréments, ça descendait. Et je sentais l'odeur. Et je vois ces excréments qui descendent. Moi, à ce moment-là, je viens d'avoir 9 ans. Et je ne connais rien du tout. Je vois des tampons avec du sang. C'est horrible. L'odeur et ces tampons avec ce sang, ces chiffons qui sont plein de sang. Et moi je suis persuadée qu'on est en train de tuer tout le monde. Et je me mets à hurler, "on tue tout le monde là-haut". Et je descends en hurlant, bien sûr j'ai fait pipi dans ma culotte, bien sûr maman m'a changée. Et je me mets à hurler, "maman là-haut on tue tout le monde, il y a du sang partout". Et maman m'a pris dans ses bras et elle a essayé de me consoler en me disant, "plus tard tu sauras, non, on ne tue pas les gens, ça fera de toi une jeune fille…" Je ne comprends rien du tout. Et je ne veux pas comprendre à 9 ans. Moi je ne veux pas comprendre, personne ne m'a expliqué. Je n'ai pas d'autres soeurs, on ne m'a pas expliqué ce que c'est que les règles, qu'est-ce que c'est d'être indisposée. Et les femmes n'avaient pas de change, il n'y avait rien. C'était l'horreur totale. Quand je vous dis que c'était Dantesque, c'était Dantesque. Ce que l'on a vécu dans ce Vélodrome d'hiver, c'est inhumain. Que les Français ont laissé faire ça. Il y avait des vieillards, des malades, des gens sur des brancards, des grabataires, des gens qui ont vidé les hôpitaux, des femmes enceintes. J'ai vu des gens se mutiler avec des aiguilles à tricoter en espérant être rapatriés sur les hôpitaux. Même à un moment, maman me tient encore dans ses bras et je lui dis « Maman, mais qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui tombe de là-haut ? » Oh, elle me dit « Oh, c'est rien, c'est quelqu'un qui a dû perdre du linge » . Puis comme je suis bruyante, je me calme, puis je dis « Je vais aller voir » . C'était quelqu'un qui se suicidait. C'était le premier suicide que j'ai vu. Il s'était jeté de là-haut. Je vous dis, c'était inhumain ce qu'ils ont fait dans ce... inhumain. Le vélodrome d'hiver, ça a été pour moi un passage très, très difficile. Ce manque de confiance, comment la police française a pu laisser faire ça. On est restés, je pense, je ne sais pas, assez longtemps, presque vers les derniers, parce qu'à un moment, quelques jours après, ils appelaient dans les micros des noms. Et les gens descendaient aussitôt qu'ils appelaient leur nom. Donc on a entendu notre nom, on est descendus, et il y avait les voisins à côté, les Sheinbaum, nous on est R, ils étaient S. Ils sont descendus, on nous a remis dans ces horribles autobus. Et la direction, la gare d'Austerlitz. Je vous ai dit que je suis une casse-cou. Mais je ne peux pas aller à la gare d'Austerlitz. Je ne peux pas.

  • introduction

    Dans le prochain épisode, nous suivrons Arlette dans son voyage éprouvant pour Bonne-la-Rolande. entassé avec sa mère et sa sœur dans des wagons à bestiaux. Mais c'est aussi là que nous découvrirons la force extraordinaire de sa mère, qui s'imposera naturellement auprès des autres prisonniers pour faire en sorte que le voyage se passe au mieux pour tous. Une fois à Bonne-la-Rolande, cette femme au caractère exceptionnel trouvera par un subterfuge ingénieux et beaucoup de courage le moyen de s'échapper de cet enfer, un acte de bravoure qui leur sauvera la vie. Le témoignage d'Arlette nous rappelle que même dans les moments les plus sombres de notre histoire, l'amour maternel et la détermination peuvent accomplir l'impossible. Merci de nous avoir écoutés. Partagez ce témoignage autour de vous, car ces voix du passé éclairent notre présent. On se retrouve très vite pour la troisième partie du témoignage d'Arlette. C'était Enfant de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor. Allez, salut !

Description

Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire et de Rousseau.

En 1939, par conviction, il s'engage comme volontaire dans l'armée française.

Sa fille Arlette naît le 30 mars 1933 dans le 12e arrondissement et grandit dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir.

En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend "la fleur au fusil", persuadé que sa nationalité française le protège.

Il sera interné à Pithiviers le 9 mai 1941, puis déporté vers Auschwitz dans le convoi n°4 du 25 juin 1942, a l’age de 37 ans.

Arlette et sa maman croient qu'il travaille quelque part dans un camp en Allemagne.


Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur et de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au Vélodrome d'Hiver. C'est la rafle du Vel' d'Hiv'.

Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ces journées enfermée dans le Vélodrome d'Hiver.


À neuf ans, elle découvre l'insoutenable : la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur.

Elle nous raconte ces conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais.

Voici le 2è épisode du témoignage d’Arlette, 9 ans, Enfant de la Shoah.


NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande et à Néo Verriest pour leur aide précieuse❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • arlette

    Les dernières paroles que j'ai entendues de mon père, puisqu'après je ne l'ai plus jamais entendu, c'était « Mais qu'est-ce que je risque dans la France de Voltaire, de Diderot, de Zola, de Rousseau ? » Attendez, moi j'ai 8 ans à cette époque, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas étudié, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas l'âge. Moi je crois que c'est des copains, je suis persuadée que c'est des copains qui vont l'aider.

  • introduction

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire, de Rousseau. En 1939, par conviction, Il s'engage comme volontaire dans l'armée française. Sa fille, Arlette, née le 30 mars 1933, est grandie dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse, dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir. En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend la fleur au fusil, persuadé qu'il ne peut rien lui arriver. Il sera interné à Pitiviers le 9 mai 1941. puis déporté vers Auschwitz dans le convoi numéro 4 du 25 juin 1942, à seulement 37 ans. Arlette et sa maman croient qu'ils travaillent quelque part en Allemagne, dans un camp. Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur, de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au vélodrome d'hiver. C'est la rafle du Veldiv. Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ses journées. enfermée dans le vélodrome d'hiver. À 9 ans, elle découvre l'insoutenable, la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur. Elle nous raconte ses conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais. Voici le deuxième épisode du témoignage d'Arlette, 9 ans, enfant de la Shoah.

  • arlette

    16 juillet 1942, 6 heures du matin, je me souviens comme aujourd'hui, on frappe à la porte, maman demande qui elle est, la police, elle ouvre, et là il y a deux policiers avec leur pèlerine, avec une feuille à la main, et ils disent voilà, on vient chercher votre mari Abraham Reymann. Et maman, elle dit, "mais il est déjà parti. Il est parti du camp de Pithiviers et même en destination inconnue". Et eux savaient. Et eux, sans se démonter, ont dit, "c'est pas grave, c'est pas grave, c'est vous et vos enfants". Et ils commencent à nommer Madeleine, ma soeur, Arlette, moi, et Marie, et Malka, ma mère. Et là... J'ai vu ma mère qui était une maîtresse femme, on avait du personnel toujours à la maison, elle avait l'habitude d'avoir du personnel sous ses ordres, elle gardait toujours son sang-froid, qui a perdu son sang-froid. Elle s'est battue avec lui. Elle a pris tout ce qu'elle a trouvé, des tabourets, des chaises, des vases, des tables, elle ne voulait pas se laisser arrêter. Elle dit « Vous ne m'aurez pas, je n'irai pas, vous avez pris mon mari, je n'irai pas. » et moi je me souviens je tire maman par sa chemise de nuit en lui disant "maman tu veux pas aller le chercher le diderot le Zola, papa il a dit qu'on craignait rien" et maman elle comprend rien du tout elle dit "arrête qu'est-ce que tu racontes encore" elle ne comprend rien et moi je ne comprends pas non plus. Eux sans se démonter "Faites vite, prenez quelques vêtements pour quelques jours et puis de la nourriture". Mais quelle nourriture ? On n'avait pas de nourriture d'avance. Il n'y avait pas de supermarché. Les juifs, on n'allait pas aux mêmes horaires. On n'avait pas grand-chose, on n'avait rien. "Prenez des vêtements et… et puis on vous emmène, fermez le gaz, fermez à clé, donnez la clé à la gardienne". Ma mère a pris quelques vêtements qu'elle a mis dans une valise qu'on avait et puis on est descendu comme des voleuses. Dans l'immeuble où j'habitais, il y avait quatre familles juives, tous avec des enfants, les plus petits, la petite Régine, trois ans, aux yeux bleus, blondes. Tout le monde a été arrêté. Tout le monde. Il y avait ces horribles autobus qui nous attendaient en bas. Les gens... vous savez avant la guerre... les juifs ne partaient pas en vacances. Il n'y avait pas tellement d'argent. Les gens n'avaient pas de valise. Pour aller à l'école, on avait un cartable, ou en carton bouilli ou en cuir si on avait les moyens, mais il n'y avait pas de sac à dos. Les mamans n'avaient pas pour mettre des vêtements. Qu'est-ce qu'il fallait emmener ? Les enfants, des langes, des changes. Il n'y avait pas de change en cellulose. C'était tout en tissu. Qu'est-ce qu'elles ont fait, les mamans ? Elles ont pris soit une tête d'oreiller, soit un drap, une nappe, ont mis quelques vêtements. On est au mois de juillet… puis on ne sait pas quoi. "prenez des vêtements de la nourriture, puis partez". Il y avait ces autobus où on nous a entassés, dedans on nous a poussés, on nous a mis les bagages sur la plateforme. Je déteste ces autobus. J'en vois encore de temps en temps passer quand ils tournent un film. J'ai horreur de ces autobus. de nous voir pousser, comment c'était. C'était une journée chaude, mais c'était une journée, vous savez, comme des fois au mois de juillet, il pleuvait un peu, comme si le ciel pleurait avec nous, en fait. Puis on est partis, les autobus nous ont emmenés direction le vélodrome d'hiver. Moi, le Vélodrome d'hiver, je ne connaissais pas. Parce que le Vélodrome d'hiver, c'était un endroit pour les sportifs, pour les manifestations politiques, pour le sport, tout ça. Mes parents n'étaient ni politisés, je ne pense pas, à part qu'ils étaient très français, surtout pas très sportifs, mais on était plutôt du côté musicien, parce que je me souviens avoir été au Châtelet, voir au Pays du Sourire, voir des concerts, plutôt comme ça. Mais pas de... Je ne connaissais pas du tout le vélo d'hiver. Et on est arrivé dans ce vélodrome d'hiver, vous dire comment c'était… Vous savez, quand on étudie après l'enfer de Dante, c'était dantesque. Les autobus arrivaient et on nous a déversé ce vélo-drone d'hiver. Il n'y avait rien. C'était énorme ce vélo d'hiver. C'était comme maintentant un petit Bercy, il y avait cette piste cyclable, où les manifestations de vélo, il y avait au milieu un terre-plein, il y avait ces gradins en béton, on s'est assis dessus. Oui, c'est vraiment dantesque, parce qu'il n'y avait pas d'eau. Soi-disant, ils avaient coupé l'eau parce que l'hiver précédent, avaient été rigoureux, donc les canalisations avaient sauté, mais enfin, donc il n'y avait pas d'eau, il n'y avait rien à manger. Vous décrire ce que c'était que ce Vélodrome d'hiver, c'est indescriptible. Je me souviens, je dis à un moment à maman, "j'ai envie de faire pipi". Elle me dit, "écoute, je reste avec les affaires, avec Madeleine, tu vas avec Lazare", parce qu'avec les petits voisins de l'immeuble, on s'était regroupés sur les gradins en béton, et nous on était tout en bas, on n'était pas tout là-haut, puisqu'on est arrivés dans les premiers, elle me dit « tu vas avec Lazare, il doit y avoir des toilettes en haut » . Lazare me prend par la main, il a déjà 11 ans, et on monte et on monte, et je sens cette odeur, et je sens cette odeur. Pourquoi ? Parce que, j'ai dit, il n'y avait pas d'eau. Tout était bouché. Et en montant, quand on est arrivé en haut, il y avait des gens qui faisaient pudiquement contre le mur. D'autres se cachaient derrière un vêtement pour faire pudiquement. Mais l'urine et les excréments, ça descendait. Et je sentais l'odeur. Et je vois ces excréments qui descendent. Moi, à ce moment-là, je viens d'avoir 9 ans. Et je ne connais rien du tout. Je vois des tampons avec du sang. C'est horrible. L'odeur et ces tampons avec ce sang, ces chiffons qui sont plein de sang. Et moi je suis persuadée qu'on est en train de tuer tout le monde. Et je me mets à hurler, "on tue tout le monde là-haut". Et je descends en hurlant, bien sûr j'ai fait pipi dans ma culotte, bien sûr maman m'a changée. Et je me mets à hurler, "maman là-haut on tue tout le monde, il y a du sang partout". Et maman m'a pris dans ses bras et elle a essayé de me consoler en me disant, "plus tard tu sauras, non, on ne tue pas les gens, ça fera de toi une jeune fille…" Je ne comprends rien du tout. Et je ne veux pas comprendre à 9 ans. Moi je ne veux pas comprendre, personne ne m'a expliqué. Je n'ai pas d'autres soeurs, on ne m'a pas expliqué ce que c'est que les règles, qu'est-ce que c'est d'être indisposée. Et les femmes n'avaient pas de change, il n'y avait rien. C'était l'horreur totale. Quand je vous dis que c'était Dantesque, c'était Dantesque. Ce que l'on a vécu dans ce Vélodrome d'hiver, c'est inhumain. Que les Français ont laissé faire ça. Il y avait des vieillards, des malades, des gens sur des brancards, des grabataires, des gens qui ont vidé les hôpitaux, des femmes enceintes. J'ai vu des gens se mutiler avec des aiguilles à tricoter en espérant être rapatriés sur les hôpitaux. Même à un moment, maman me tient encore dans ses bras et je lui dis « Maman, mais qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui tombe de là-haut ? » Oh, elle me dit « Oh, c'est rien, c'est quelqu'un qui a dû perdre du linge » . Puis comme je suis bruyante, je me calme, puis je dis « Je vais aller voir » . C'était quelqu'un qui se suicidait. C'était le premier suicide que j'ai vu. Il s'était jeté de là-haut. Je vous dis, c'était inhumain ce qu'ils ont fait dans ce... inhumain. Le vélodrome d'hiver, ça a été pour moi un passage très, très difficile. Ce manque de confiance, comment la police française a pu laisser faire ça. On est restés, je pense, je ne sais pas, assez longtemps, presque vers les derniers, parce qu'à un moment, quelques jours après, ils appelaient dans les micros des noms. Et les gens descendaient aussitôt qu'ils appelaient leur nom. Donc on a entendu notre nom, on est descendus, et il y avait les voisins à côté, les Sheinbaum, nous on est R, ils étaient S. Ils sont descendus, on nous a remis dans ces horribles autobus. Et la direction, la gare d'Austerlitz. Je vous ai dit que je suis une casse-cou. Mais je ne peux pas aller à la gare d'Austerlitz. Je ne peux pas.

  • introduction

    Dans le prochain épisode, nous suivrons Arlette dans son voyage éprouvant pour Bonne-la-Rolande. entassé avec sa mère et sa sœur dans des wagons à bestiaux. Mais c'est aussi là que nous découvrirons la force extraordinaire de sa mère, qui s'imposera naturellement auprès des autres prisonniers pour faire en sorte que le voyage se passe au mieux pour tous. Une fois à Bonne-la-Rolande, cette femme au caractère exceptionnel trouvera par un subterfuge ingénieux et beaucoup de courage le moyen de s'échapper de cet enfer, un acte de bravoure qui leur sauvera la vie. Le témoignage d'Arlette nous rappelle que même dans les moments les plus sombres de notre histoire, l'amour maternel et la détermination peuvent accomplir l'impossible. Merci de nous avoir écoutés. Partagez ce témoignage autour de vous, car ces voix du passé éclairent notre présent. On se retrouve très vite pour la troisième partie du témoignage d'Arlette. C'était Enfant de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor. Allez, salut !

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Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire et de Rousseau.

En 1939, par conviction, il s'engage comme volontaire dans l'armée française.

Sa fille Arlette naît le 30 mars 1933 dans le 12e arrondissement et grandit dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir.

En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend "la fleur au fusil", persuadé que sa nationalité française le protège.

Il sera interné à Pithiviers le 9 mai 1941, puis déporté vers Auschwitz dans le convoi n°4 du 25 juin 1942, a l’age de 37 ans.

Arlette et sa maman croient qu'il travaille quelque part dans un camp en Allemagne.


Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur et de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au Vélodrome d'Hiver. C'est la rafle du Vel' d'Hiv'.

Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ces journées enfermée dans le Vélodrome d'Hiver.


À neuf ans, elle découvre l'insoutenable : la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur.

Elle nous raconte ces conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais.

Voici le 2è épisode du témoignage d’Arlette, 9 ans, Enfant de la Shoah.


NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande et à Néo Verriest pour leur aide précieuse❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


----

suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • arlette

    Les dernières paroles que j'ai entendues de mon père, puisqu'après je ne l'ai plus jamais entendu, c'était « Mais qu'est-ce que je risque dans la France de Voltaire, de Diderot, de Zola, de Rousseau ? » Attendez, moi j'ai 8 ans à cette époque, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas étudié, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas l'âge. Moi je crois que c'est des copains, je suis persuadée que c'est des copains qui vont l'aider.

  • introduction

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire, de Rousseau. En 1939, par conviction, Il s'engage comme volontaire dans l'armée française. Sa fille, Arlette, née le 30 mars 1933, est grandie dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse, dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir. En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend la fleur au fusil, persuadé qu'il ne peut rien lui arriver. Il sera interné à Pitiviers le 9 mai 1941. puis déporté vers Auschwitz dans le convoi numéro 4 du 25 juin 1942, à seulement 37 ans. Arlette et sa maman croient qu'ils travaillent quelque part en Allemagne, dans un camp. Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur, de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au vélodrome d'hiver. C'est la rafle du Veldiv. Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ses journées. enfermée dans le vélodrome d'hiver. À 9 ans, elle découvre l'insoutenable, la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur. Elle nous raconte ses conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais. Voici le deuxième épisode du témoignage d'Arlette, 9 ans, enfant de la Shoah.

  • arlette

    16 juillet 1942, 6 heures du matin, je me souviens comme aujourd'hui, on frappe à la porte, maman demande qui elle est, la police, elle ouvre, et là il y a deux policiers avec leur pèlerine, avec une feuille à la main, et ils disent voilà, on vient chercher votre mari Abraham Reymann. Et maman, elle dit, "mais il est déjà parti. Il est parti du camp de Pithiviers et même en destination inconnue". Et eux savaient. Et eux, sans se démonter, ont dit, "c'est pas grave, c'est pas grave, c'est vous et vos enfants". Et ils commencent à nommer Madeleine, ma soeur, Arlette, moi, et Marie, et Malka, ma mère. Et là... J'ai vu ma mère qui était une maîtresse femme, on avait du personnel toujours à la maison, elle avait l'habitude d'avoir du personnel sous ses ordres, elle gardait toujours son sang-froid, qui a perdu son sang-froid. Elle s'est battue avec lui. Elle a pris tout ce qu'elle a trouvé, des tabourets, des chaises, des vases, des tables, elle ne voulait pas se laisser arrêter. Elle dit « Vous ne m'aurez pas, je n'irai pas, vous avez pris mon mari, je n'irai pas. » et moi je me souviens je tire maman par sa chemise de nuit en lui disant "maman tu veux pas aller le chercher le diderot le Zola, papa il a dit qu'on craignait rien" et maman elle comprend rien du tout elle dit "arrête qu'est-ce que tu racontes encore" elle ne comprend rien et moi je ne comprends pas non plus. Eux sans se démonter "Faites vite, prenez quelques vêtements pour quelques jours et puis de la nourriture". Mais quelle nourriture ? On n'avait pas de nourriture d'avance. Il n'y avait pas de supermarché. Les juifs, on n'allait pas aux mêmes horaires. On n'avait pas grand-chose, on n'avait rien. "Prenez des vêtements et… et puis on vous emmène, fermez le gaz, fermez à clé, donnez la clé à la gardienne". Ma mère a pris quelques vêtements qu'elle a mis dans une valise qu'on avait et puis on est descendu comme des voleuses. Dans l'immeuble où j'habitais, il y avait quatre familles juives, tous avec des enfants, les plus petits, la petite Régine, trois ans, aux yeux bleus, blondes. Tout le monde a été arrêté. Tout le monde. Il y avait ces horribles autobus qui nous attendaient en bas. Les gens... vous savez avant la guerre... les juifs ne partaient pas en vacances. Il n'y avait pas tellement d'argent. Les gens n'avaient pas de valise. Pour aller à l'école, on avait un cartable, ou en carton bouilli ou en cuir si on avait les moyens, mais il n'y avait pas de sac à dos. Les mamans n'avaient pas pour mettre des vêtements. Qu'est-ce qu'il fallait emmener ? Les enfants, des langes, des changes. Il n'y avait pas de change en cellulose. C'était tout en tissu. Qu'est-ce qu'elles ont fait, les mamans ? Elles ont pris soit une tête d'oreiller, soit un drap, une nappe, ont mis quelques vêtements. On est au mois de juillet… puis on ne sait pas quoi. "prenez des vêtements de la nourriture, puis partez". Il y avait ces autobus où on nous a entassés, dedans on nous a poussés, on nous a mis les bagages sur la plateforme. Je déteste ces autobus. J'en vois encore de temps en temps passer quand ils tournent un film. J'ai horreur de ces autobus. de nous voir pousser, comment c'était. C'était une journée chaude, mais c'était une journée, vous savez, comme des fois au mois de juillet, il pleuvait un peu, comme si le ciel pleurait avec nous, en fait. Puis on est partis, les autobus nous ont emmenés direction le vélodrome d'hiver. Moi, le Vélodrome d'hiver, je ne connaissais pas. Parce que le Vélodrome d'hiver, c'était un endroit pour les sportifs, pour les manifestations politiques, pour le sport, tout ça. Mes parents n'étaient ni politisés, je ne pense pas, à part qu'ils étaient très français, surtout pas très sportifs, mais on était plutôt du côté musicien, parce que je me souviens avoir été au Châtelet, voir au Pays du Sourire, voir des concerts, plutôt comme ça. Mais pas de... Je ne connaissais pas du tout le vélo d'hiver. Et on est arrivé dans ce vélodrome d'hiver, vous dire comment c'était… Vous savez, quand on étudie après l'enfer de Dante, c'était dantesque. Les autobus arrivaient et on nous a déversé ce vélo-drone d'hiver. Il n'y avait rien. C'était énorme ce vélo d'hiver. C'était comme maintentant un petit Bercy, il y avait cette piste cyclable, où les manifestations de vélo, il y avait au milieu un terre-plein, il y avait ces gradins en béton, on s'est assis dessus. Oui, c'est vraiment dantesque, parce qu'il n'y avait pas d'eau. Soi-disant, ils avaient coupé l'eau parce que l'hiver précédent, avaient été rigoureux, donc les canalisations avaient sauté, mais enfin, donc il n'y avait pas d'eau, il n'y avait rien à manger. Vous décrire ce que c'était que ce Vélodrome d'hiver, c'est indescriptible. Je me souviens, je dis à un moment à maman, "j'ai envie de faire pipi". Elle me dit, "écoute, je reste avec les affaires, avec Madeleine, tu vas avec Lazare", parce qu'avec les petits voisins de l'immeuble, on s'était regroupés sur les gradins en béton, et nous on était tout en bas, on n'était pas tout là-haut, puisqu'on est arrivés dans les premiers, elle me dit « tu vas avec Lazare, il doit y avoir des toilettes en haut » . Lazare me prend par la main, il a déjà 11 ans, et on monte et on monte, et je sens cette odeur, et je sens cette odeur. Pourquoi ? Parce que, j'ai dit, il n'y avait pas d'eau. Tout était bouché. Et en montant, quand on est arrivé en haut, il y avait des gens qui faisaient pudiquement contre le mur. D'autres se cachaient derrière un vêtement pour faire pudiquement. Mais l'urine et les excréments, ça descendait. Et je sentais l'odeur. Et je vois ces excréments qui descendent. Moi, à ce moment-là, je viens d'avoir 9 ans. Et je ne connais rien du tout. Je vois des tampons avec du sang. C'est horrible. L'odeur et ces tampons avec ce sang, ces chiffons qui sont plein de sang. Et moi je suis persuadée qu'on est en train de tuer tout le monde. Et je me mets à hurler, "on tue tout le monde là-haut". Et je descends en hurlant, bien sûr j'ai fait pipi dans ma culotte, bien sûr maman m'a changée. Et je me mets à hurler, "maman là-haut on tue tout le monde, il y a du sang partout". Et maman m'a pris dans ses bras et elle a essayé de me consoler en me disant, "plus tard tu sauras, non, on ne tue pas les gens, ça fera de toi une jeune fille…" Je ne comprends rien du tout. Et je ne veux pas comprendre à 9 ans. Moi je ne veux pas comprendre, personne ne m'a expliqué. Je n'ai pas d'autres soeurs, on ne m'a pas expliqué ce que c'est que les règles, qu'est-ce que c'est d'être indisposée. Et les femmes n'avaient pas de change, il n'y avait rien. C'était l'horreur totale. Quand je vous dis que c'était Dantesque, c'était Dantesque. Ce que l'on a vécu dans ce Vélodrome d'hiver, c'est inhumain. Que les Français ont laissé faire ça. Il y avait des vieillards, des malades, des gens sur des brancards, des grabataires, des gens qui ont vidé les hôpitaux, des femmes enceintes. J'ai vu des gens se mutiler avec des aiguilles à tricoter en espérant être rapatriés sur les hôpitaux. Même à un moment, maman me tient encore dans ses bras et je lui dis « Maman, mais qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui tombe de là-haut ? » Oh, elle me dit « Oh, c'est rien, c'est quelqu'un qui a dû perdre du linge » . Puis comme je suis bruyante, je me calme, puis je dis « Je vais aller voir » . C'était quelqu'un qui se suicidait. C'était le premier suicide que j'ai vu. Il s'était jeté de là-haut. Je vous dis, c'était inhumain ce qu'ils ont fait dans ce... inhumain. Le vélodrome d'hiver, ça a été pour moi un passage très, très difficile. Ce manque de confiance, comment la police française a pu laisser faire ça. On est restés, je pense, je ne sais pas, assez longtemps, presque vers les derniers, parce qu'à un moment, quelques jours après, ils appelaient dans les micros des noms. Et les gens descendaient aussitôt qu'ils appelaient leur nom. Donc on a entendu notre nom, on est descendus, et il y avait les voisins à côté, les Sheinbaum, nous on est R, ils étaient S. Ils sont descendus, on nous a remis dans ces horribles autobus. Et la direction, la gare d'Austerlitz. Je vous ai dit que je suis une casse-cou. Mais je ne peux pas aller à la gare d'Austerlitz. Je ne peux pas.

  • introduction

    Dans le prochain épisode, nous suivrons Arlette dans son voyage éprouvant pour Bonne-la-Rolande. entassé avec sa mère et sa sœur dans des wagons à bestiaux. Mais c'est aussi là que nous découvrirons la force extraordinaire de sa mère, qui s'imposera naturellement auprès des autres prisonniers pour faire en sorte que le voyage se passe au mieux pour tous. Une fois à Bonne-la-Rolande, cette femme au caractère exceptionnel trouvera par un subterfuge ingénieux et beaucoup de courage le moyen de s'échapper de cet enfer, un acte de bravoure qui leur sauvera la vie. Le témoignage d'Arlette nous rappelle que même dans les moments les plus sombres de notre histoire, l'amour maternel et la détermination peuvent accomplir l'impossible. Merci de nous avoir écoutés. Partagez ce témoignage autour de vous, car ces voix du passé éclairent notre présent. On se retrouve très vite pour la troisième partie du témoignage d'Arlette. C'était Enfant de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor. Allez, salut !

Description

Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire et de Rousseau.

En 1939, par conviction, il s'engage comme volontaire dans l'armée française.

Sa fille Arlette naît le 30 mars 1933 dans le 12e arrondissement et grandit dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir.

En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend "la fleur au fusil", persuadé que sa nationalité française le protège.

Il sera interné à Pithiviers le 9 mai 1941, puis déporté vers Auschwitz dans le convoi n°4 du 25 juin 1942, a l’age de 37 ans.

Arlette et sa maman croient qu'il travaille quelque part dans un camp en Allemagne.


Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur et de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au Vélodrome d'Hiver. C'est la rafle du Vel' d'Hiv'.

Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ces journées enfermée dans le Vélodrome d'Hiver.


À neuf ans, elle découvre l'insoutenable : la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur.

Elle nous raconte ces conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais.

Voici le 2è épisode du témoignage d’Arlette, 9 ans, Enfant de la Shoah.


NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande et à Néo Verriest pour leur aide précieuse❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


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suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • arlette

    Les dernières paroles que j'ai entendues de mon père, puisqu'après je ne l'ai plus jamais entendu, c'était « Mais qu'est-ce que je risque dans la France de Voltaire, de Diderot, de Zola, de Rousseau ? » Attendez, moi j'ai 8 ans à cette époque, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas étudié, je ne sais pas qui c'est, je n'ai pas l'âge. Moi je crois que c'est des copains, je suis persuadée que c'est des copains qui vont l'aider.

  • introduction

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Arrivé tout jeune de Pologne, Abraham avait foi en la France des droits de l'homme, le pays de Voltaire, de Rousseau. En 1939, par conviction, Il s'engage comme volontaire dans l'armée française. Sa fille, Arlette, née le 30 mars 1933, est grandie dans cette confiance paternelle, bercée par une enfance douce et joyeuse, dans les rues de Paris, loin de tout soupçon des drames à venir. En mai 1941, Abraham reçoit le fameux billet vert. Convoqué au commissariat, il s'y rend la fleur au fusil, persuadé qu'il ne peut rien lui arriver. Il sera interné à Pitiviers le 9 mai 1941. puis déporté vers Auschwitz dans le convoi numéro 4 du 25 juin 1942, à seulement 37 ans. Arlette et sa maman croient qu'ils travaillent quelque part en Allemagne, dans un camp. Un an plus tard, le 16 juillet 1942, c'est au tour d'Arlette, de sa sœur, de sa mère. On vient les chercher à domicile pour les emmener au vélodrome d'hiver. C'est la rafle du Veldiv. Dans cet épisode, Arlette nous plonge dans l'horreur de ses journées. enfermée dans le vélodrome d'hiver. À 9 ans, elle découvre l'insoutenable, la soif, la faim, les pleurs, la promiscuité, l'odeur. Elle nous raconte ses conditions de vie inhumaines que sa mémoire d'enfant a gravées à jamais. Voici le deuxième épisode du témoignage d'Arlette, 9 ans, enfant de la Shoah.

  • arlette

    16 juillet 1942, 6 heures du matin, je me souviens comme aujourd'hui, on frappe à la porte, maman demande qui elle est, la police, elle ouvre, et là il y a deux policiers avec leur pèlerine, avec une feuille à la main, et ils disent voilà, on vient chercher votre mari Abraham Reymann. Et maman, elle dit, "mais il est déjà parti. Il est parti du camp de Pithiviers et même en destination inconnue". Et eux savaient. Et eux, sans se démonter, ont dit, "c'est pas grave, c'est pas grave, c'est vous et vos enfants". Et ils commencent à nommer Madeleine, ma soeur, Arlette, moi, et Marie, et Malka, ma mère. Et là... J'ai vu ma mère qui était une maîtresse femme, on avait du personnel toujours à la maison, elle avait l'habitude d'avoir du personnel sous ses ordres, elle gardait toujours son sang-froid, qui a perdu son sang-froid. Elle s'est battue avec lui. Elle a pris tout ce qu'elle a trouvé, des tabourets, des chaises, des vases, des tables, elle ne voulait pas se laisser arrêter. Elle dit « Vous ne m'aurez pas, je n'irai pas, vous avez pris mon mari, je n'irai pas. » et moi je me souviens je tire maman par sa chemise de nuit en lui disant "maman tu veux pas aller le chercher le diderot le Zola, papa il a dit qu'on craignait rien" et maman elle comprend rien du tout elle dit "arrête qu'est-ce que tu racontes encore" elle ne comprend rien et moi je ne comprends pas non plus. Eux sans se démonter "Faites vite, prenez quelques vêtements pour quelques jours et puis de la nourriture". Mais quelle nourriture ? On n'avait pas de nourriture d'avance. Il n'y avait pas de supermarché. Les juifs, on n'allait pas aux mêmes horaires. On n'avait pas grand-chose, on n'avait rien. "Prenez des vêtements et… et puis on vous emmène, fermez le gaz, fermez à clé, donnez la clé à la gardienne". Ma mère a pris quelques vêtements qu'elle a mis dans une valise qu'on avait et puis on est descendu comme des voleuses. Dans l'immeuble où j'habitais, il y avait quatre familles juives, tous avec des enfants, les plus petits, la petite Régine, trois ans, aux yeux bleus, blondes. Tout le monde a été arrêté. Tout le monde. Il y avait ces horribles autobus qui nous attendaient en bas. Les gens... vous savez avant la guerre... les juifs ne partaient pas en vacances. Il n'y avait pas tellement d'argent. Les gens n'avaient pas de valise. Pour aller à l'école, on avait un cartable, ou en carton bouilli ou en cuir si on avait les moyens, mais il n'y avait pas de sac à dos. Les mamans n'avaient pas pour mettre des vêtements. Qu'est-ce qu'il fallait emmener ? Les enfants, des langes, des changes. Il n'y avait pas de change en cellulose. C'était tout en tissu. Qu'est-ce qu'elles ont fait, les mamans ? Elles ont pris soit une tête d'oreiller, soit un drap, une nappe, ont mis quelques vêtements. On est au mois de juillet… puis on ne sait pas quoi. "prenez des vêtements de la nourriture, puis partez". Il y avait ces autobus où on nous a entassés, dedans on nous a poussés, on nous a mis les bagages sur la plateforme. Je déteste ces autobus. J'en vois encore de temps en temps passer quand ils tournent un film. J'ai horreur de ces autobus. de nous voir pousser, comment c'était. C'était une journée chaude, mais c'était une journée, vous savez, comme des fois au mois de juillet, il pleuvait un peu, comme si le ciel pleurait avec nous, en fait. Puis on est partis, les autobus nous ont emmenés direction le vélodrome d'hiver. Moi, le Vélodrome d'hiver, je ne connaissais pas. Parce que le Vélodrome d'hiver, c'était un endroit pour les sportifs, pour les manifestations politiques, pour le sport, tout ça. Mes parents n'étaient ni politisés, je ne pense pas, à part qu'ils étaient très français, surtout pas très sportifs, mais on était plutôt du côté musicien, parce que je me souviens avoir été au Châtelet, voir au Pays du Sourire, voir des concerts, plutôt comme ça. Mais pas de... Je ne connaissais pas du tout le vélo d'hiver. Et on est arrivé dans ce vélodrome d'hiver, vous dire comment c'était… Vous savez, quand on étudie après l'enfer de Dante, c'était dantesque. Les autobus arrivaient et on nous a déversé ce vélo-drone d'hiver. Il n'y avait rien. C'était énorme ce vélo d'hiver. C'était comme maintentant un petit Bercy, il y avait cette piste cyclable, où les manifestations de vélo, il y avait au milieu un terre-plein, il y avait ces gradins en béton, on s'est assis dessus. Oui, c'est vraiment dantesque, parce qu'il n'y avait pas d'eau. Soi-disant, ils avaient coupé l'eau parce que l'hiver précédent, avaient été rigoureux, donc les canalisations avaient sauté, mais enfin, donc il n'y avait pas d'eau, il n'y avait rien à manger. Vous décrire ce que c'était que ce Vélodrome d'hiver, c'est indescriptible. Je me souviens, je dis à un moment à maman, "j'ai envie de faire pipi". Elle me dit, "écoute, je reste avec les affaires, avec Madeleine, tu vas avec Lazare", parce qu'avec les petits voisins de l'immeuble, on s'était regroupés sur les gradins en béton, et nous on était tout en bas, on n'était pas tout là-haut, puisqu'on est arrivés dans les premiers, elle me dit « tu vas avec Lazare, il doit y avoir des toilettes en haut » . Lazare me prend par la main, il a déjà 11 ans, et on monte et on monte, et je sens cette odeur, et je sens cette odeur. Pourquoi ? Parce que, j'ai dit, il n'y avait pas d'eau. Tout était bouché. Et en montant, quand on est arrivé en haut, il y avait des gens qui faisaient pudiquement contre le mur. D'autres se cachaient derrière un vêtement pour faire pudiquement. Mais l'urine et les excréments, ça descendait. Et je sentais l'odeur. Et je vois ces excréments qui descendent. Moi, à ce moment-là, je viens d'avoir 9 ans. Et je ne connais rien du tout. Je vois des tampons avec du sang. C'est horrible. L'odeur et ces tampons avec ce sang, ces chiffons qui sont plein de sang. Et moi je suis persuadée qu'on est en train de tuer tout le monde. Et je me mets à hurler, "on tue tout le monde là-haut". Et je descends en hurlant, bien sûr j'ai fait pipi dans ma culotte, bien sûr maman m'a changée. Et je me mets à hurler, "maman là-haut on tue tout le monde, il y a du sang partout". Et maman m'a pris dans ses bras et elle a essayé de me consoler en me disant, "plus tard tu sauras, non, on ne tue pas les gens, ça fera de toi une jeune fille…" Je ne comprends rien du tout. Et je ne veux pas comprendre à 9 ans. Moi je ne veux pas comprendre, personne ne m'a expliqué. Je n'ai pas d'autres soeurs, on ne m'a pas expliqué ce que c'est que les règles, qu'est-ce que c'est d'être indisposée. Et les femmes n'avaient pas de change, il n'y avait rien. C'était l'horreur totale. Quand je vous dis que c'était Dantesque, c'était Dantesque. Ce que l'on a vécu dans ce Vélodrome d'hiver, c'est inhumain. Que les Français ont laissé faire ça. Il y avait des vieillards, des malades, des gens sur des brancards, des grabataires, des gens qui ont vidé les hôpitaux, des femmes enceintes. J'ai vu des gens se mutiler avec des aiguilles à tricoter en espérant être rapatriés sur les hôpitaux. Même à un moment, maman me tient encore dans ses bras et je lui dis « Maman, mais qu'est-ce qui se passe ? Qu'est-ce qui tombe de là-haut ? » Oh, elle me dit « Oh, c'est rien, c'est quelqu'un qui a dû perdre du linge » . Puis comme je suis bruyante, je me calme, puis je dis « Je vais aller voir » . C'était quelqu'un qui se suicidait. C'était le premier suicide que j'ai vu. Il s'était jeté de là-haut. Je vous dis, c'était inhumain ce qu'ils ont fait dans ce... inhumain. Le vélodrome d'hiver, ça a été pour moi un passage très, très difficile. Ce manque de confiance, comment la police française a pu laisser faire ça. On est restés, je pense, je ne sais pas, assez longtemps, presque vers les derniers, parce qu'à un moment, quelques jours après, ils appelaient dans les micros des noms. Et les gens descendaient aussitôt qu'ils appelaient leur nom. Donc on a entendu notre nom, on est descendus, et il y avait les voisins à côté, les Sheinbaum, nous on est R, ils étaient S. Ils sont descendus, on nous a remis dans ces horribles autobus. Et la direction, la gare d'Austerlitz. Je vous ai dit que je suis une casse-cou. Mais je ne peux pas aller à la gare d'Austerlitz. Je ne peux pas.

  • introduction

    Dans le prochain épisode, nous suivrons Arlette dans son voyage éprouvant pour Bonne-la-Rolande. entassé avec sa mère et sa sœur dans des wagons à bestiaux. Mais c'est aussi là que nous découvrirons la force extraordinaire de sa mère, qui s'imposera naturellement auprès des autres prisonniers pour faire en sorte que le voyage se passe au mieux pour tous. Une fois à Bonne-la-Rolande, cette femme au caractère exceptionnel trouvera par un subterfuge ingénieux et beaucoup de courage le moyen de s'échapper de cet enfer, un acte de bravoure qui leur sauvera la vie. Le témoignage d'Arlette nous rappelle que même dans les moments les plus sombres de notre histoire, l'amour maternel et la détermination peuvent accomplir l'impossible. Merci de nous avoir écoutés. Partagez ce témoignage autour de vous, car ces voix du passé éclairent notre présent. On se retrouve très vite pour la troisième partie du témoignage d'Arlette. C'était Enfant de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor. Allez, salut !

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