undefined cover
undefined cover
JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS" cover
JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS" cover
ENFANT DE LA SHOAH

JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS"

JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS"

18min |05/11/2025
Play
undefined cover
undefined cover
JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS" cover
JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS" cover
ENFANT DE LA SHOAH

JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS"

JACQUES - 12 ANS - "IL Y A ONZE PERSONNES DE MA FAMILLE QUI NE SONT JAMAIS REVENUS"

18min |05/11/2025
Play

Description

Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923.
Sa mère juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard, en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France, vers 1906.

Ils se rencontrent à Paris, et de cette union naît Jacques, le 16 mars 1928

La famille s’installe d’abord à Bagnolet, puis dans le 12e. Le père de Jacques est tailleur.
La vie est simple, paisible. Jusqu’en 1937. Cette année-là, son père meurt d’un cancer. Jacques n’a que neuf ans.

La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver.
Sa mère l’inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laïcs. Le début d’une passion qui deviendra essentielle dans la vie de jacques.
Désormais seuls, Jacques et sa mère s’installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle.

En juin 1940, tout bascule.

Les Allemands avancent, l’armée recule.

Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, Enfant de la Shoah


---------

.🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande pour son aide précieuse ❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


----

Suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Etre séparé de sa mère, la revoir une fois tous les quinze jours et puis se dire que c'était pas sûr qu'on la reverrait quinze jours après parce qu'elle aurait pu être déportée entre temps. Les enfants ça les marque ça, voilà, savoir que ça existait et que c'était pas une histoire à la télévision, non, ça a été vécu ça.

  • Speaker #1

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923. Sa mère, juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France vers 1906. Ils se rencontrent à Paris, présentés l'un à l'autre, comme cela se faisait souvent à l'époque, se marient, deviennent français. De cette union naît Jacques, le 16 mars 1928. La famille s'installe d'abord à Bagnolet, puis dans le 12e arrondissement de Paris. Jacques a 6 ans. Autour de lui, quelques enfants juifs, mais jamais de moqueries, jamais d'antisémitisme. La vie est simple, paisible, jusqu'en 1937. Cette année-là, son père meurt d'un cancer. Jacques n'a que 9 ans. La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver. Sa mère l'inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laiques. Le début d'une passion qui deviendra essentielle dans la vie de Jacques. Désormais seuls, Jacques et sa mère s'installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle. Sa mère trouve un premier travail dans une association, puis dans une fabrique de meubles. Mais lorsque la guerre éclate en 1939, l'usine ferme. Elle est alors embauchée au magasin central d'automobiles, un service de l'État rattaché au ministère de la guerre, qui répare les véhicules militaires. Mais en juin 1940, tout bascule. Les Allemands avancent, l'armée recule. Jacques et sa mère quittent Paris, trouvent refuge dans une ferme du Périgord. Là-bas, Jacques travaille tout l'été. Mais en septembre, l'école reprend, ils rentrent tous les deux à Paris. Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, enfant de la Shoah.

  • Speaker #0

    On arrive en octobre 40. D'une part, je rentre au lycee Charlenagne, mais le scoutisme lui est fini. Mon chef a contacté le Touring Club de France, c'est-à-dire qu'on a continué à faire nos activités. On n'était plus des éclaireurs, on était des cadets du Touring Club de France. Ma mère a retrouvé son travail dans cette usine de meubles qui avait été saisie par les Allemands. Et ils avaient mis à la tête, il y avait un commissaire. et puis surtout un directeur. En 1941, on a déménagé près de République, rue Dupuis, dans le 3ème. C'était pas plus grand, mais c'était beaucoup plus clair. On avait l'électricité, on avait l'eau, il y avait les toilettes entre deux étages dans l'escalier. Voilà. Début 1942, donc je suis allé au lycée. avec l'étoile. J'étais pas très à l'aise avec ça. Alors l'été 42, un camarade de lycée, dont le grand-père habitait un petit village en Bourgogne, il m'a dit "on va chercher du miel dans un village voisin". Et les gens nous ont dit "si t'as un petit camarade, nous on est prêts à le prendre pour qu'il puisse se refaire une santé pendant deux mois". Donc il m'a proposé ça. Donc je pars en Bourgogne, mais là j'avais enlevé mon étoile. En plus, on arrivait à Sœur, qui était la dernière gare avant la zone libre. C'était encore zone libre à l'époque. Il y avait les Allemands qui vérifiaient, mais nous on était avec des gamins, donc ils nous ont pas vérifiés. Donc j'ai passé deux mois dans cette famille, j'avais appris les rafles. du Veldiv, déjà en juillet. Et en septembre, j'ai reçu l'aide de ma mère me disant que la famille avait été raflée. Ma mère n'a pas... on n'est pas venu la chercher. Elle m'a dit quand tu rentres, tu me retrouves à l'usine, pas à la maison. Parce qu'elle avait déserté la maison, justement, pour ne pas risquer d'être... qu'on vienne la chercher là. Et donc je suis allé directement à l'usine. Et ma mère m'a dit, voilà, le directeur, il était sympa. Il veut bien qu'on habite ici en définitive. Donc il y avait une partie dans laquelle il stockait les meubles qui étaient déjà faits. Il y avait un peu de place, donc on avait de lits, etc. Et là, ma mère m'a dit, Triton, c'est-à-dire mon chef, on avait des noms d'animaux, ce qu'on appelait des totems, si vous voulez. Donc lui, c'était Triton bienveillant. Il avait, à l'époque, donc il avait 38 ans, il a proposé de te prendre chez lui, de te cacher chez lui. Et puis, ma mère allait chez une personne qui était mon ancienne cheftaine de louveteau, qui acceptait de la prendre chez elle. Tout l'immeuble savait qu'elle cachait quelqu'un, mais ça n'a jamais été dénoncé. Voilà, ouais. Alors elle était à Montreuil et moi j'étais dans le 8ème. Rue Chambige, pratiquement adossée au Plaza Athénée, grand hôtel qui hébergeait, je ne sais pas si c'était la commandanture, mais l'armée allemande, un des hauts lieux de l'occupation allemande à Paris. Avec à l'étage en dessous de mon chef, un commandant allemand qui avait son appartement en dessous. Donc pendant deux ans, on a vécu là, comme un père avec son fils. Il a pris les devants. C'est lui qui a dit à la concierge, je veux avoir chez moi un petit cousin de Bretagne qui vient pour faire ses études. Lui-même était marié, il avait trois enfants. Il était breton. Sa femme et ses enfants, il les avait mis en Bretagne. De cette façon, il manquait de rien. Enfin, il manquait de rien. Peut-être de certaines choses, mais bon, j'avais de quoi vivre, point de vue alimentaire, il n'y avait pas les problèmes qu'il y avait à Paris. J'allais à Charlemagne, sans étoile. D'ailleurs au lycée, je suis revenu sans étoile, alors que j'étais venu avec étoile, et personne ne m'a jamais dit quoi que ce soit. Personne, aucune allusion. La seule chose que je sais... C'est parce que j'ai retrouvé un de mes anciens camarades, 30 ans après, qui m'a dit « quand on rentrait du stade, on t'entourait d'une certaine façon pour te protéger » . Moi j'avais un camarade de classe à Charlemagne, le père était milicien, il m'avertissait quand il y avait des rafles, c'est lui qui m'avertissait. On faisait du volleyball. On avait une équipe dans la classe. Un soir, je me souviens, après 4 heures, après 16 heures, on allait s'entraîner. Il m'a dit, allez viens, on va s'entraîner. C'est là qu'on oublie toutes les différences, ou quelque chose comme ça. Personne ne forçait à ça. Au contraire, chez lui, son père milicien venait le faire. Oui, c'était pas ça. Alors bon... Il y a eu quand même quelques incidents. Un soir, on sonne. Habituellement, il n'en savait personne. Ou alors il savait qui devait venir. Alors moi, je me cache derrière des grands rideaux qui cachaient une véranda qui donnait sur la cour. Il va ouvrir et puis donc, il revient et me dit « Tu peux sortir. » Alors je sors. Il était un peu pâle, je dis, c'est que ça... Il me dit, c'était un Allemand. Je dis, ah bon ? Oui, c'était trompé d'étage. Triton, en 1942, quand il a appris que mes cousins avaient été emmenés, il est allé au commissariat de police pour dire, "mais vous n'allez pas emmené ces garçons, ils sont nés en France, ils sont français". Alors on lui a fait une remarque du genre... "Si vous les aimez tant, on peut vous emmener aussi", quelque chose comme ça. Alors il faut dire, c'était Alain de Coadgordon, il était vicomte, il était royaliste. C'était un homme extraordinaire, il a été mon témoin de mariage, bien sûr.

  • Speaker #1

    Grâce au courage et à la bienveillance de Triton et de la chef-taine, Jacques et sa maman auront la vie sauve. Le reste de la famille, lui, n'aura pas cette chance.

  • Speaker #0

    Alors, qui a été déporté ? Il y a donc le frère René de ma mère. Mon oncle Maurice avec sa femme et mes deux cousins, ses deux enfants, qui à l'époque avaient 17 ans, l'aîné et le suivant 15 ans. Voilà, tous les quatre. Ensuite, il y a le plus jeune frère de ma mère, qui n'avait pas d'enfant, sa femme n'a pas été déportée. A l'époque, je ne savais pas, mais je pense qu'elle était française, certainement. En tous les cas, lui a été déporté. Alors, les maisons s'étaient engagées pour être considérées comme françaises. Ben oui, mais Pétain ne l'a pas vu comme ça. Si bien qu'ils étaient toujours roumains. C'est comme ça qu'ils ont été déportés. Alors, à part ça, j'ai un oncle de ma mère avec sa femme. Sa fille, son gendre, tous les quatre déportés, aucun n'est revenu. Ils avaient un fils qui lui était né en France, comme mes autres cousins. Il n'était pas sur la liste lui. Du coup, il n'a pas été déporté. Et ensuite, il y avait aussi une tante de ma mère qui sont venues chercher. Et qui avait une jambe de bois. Et elle avait deux filles. Sa fille aînée a dit, non, non, vous n'avez pas l'emmené, vous m'emmenez à la place. Et donc, ils l'ont emmené, elle n'est jamais revenue non plus. Mon grand-père, 69 ans, déporté, pas revenu. Ma mère avec ma tante sont allées à l'UTCA et ont rencontré certains déportés qui avaient été avec eux mais qui n'ont pas pu donner beaucoup de nouvelles. Simplement on a su que dans la marche qui s'est faite en janvier 45, le plus jeune de mes oncles avait porté l'autre. Mais l'autre est mort en cours de route et lui, dernière nouvelle de son existence, Ce qu'on a pu avoir par un de ses camarades, c'est qu'il avait une dysenterie, il était dans un train, et puis bon, après on ne sait pas. 11 personnes, pas un heure venue. Ce n'était pas un détail de mon histoire.

  • Speaker #1

    Après la guerre, Jacques retourne quelque temps dans l'appartement de son enfance, rue du Puy, puis s'installe dans une petite chambre, juste un étage en dessous de celle de sa mère. Ils se marient, font d'une famille. Comme beaucoup d'enfants qui ont traversé la Shoah et ses traumatismes, Jacques gardera longtemps le silence. Il ne veut pas inquiéter, ni faire porter à ses enfants le poids de ce qu'il a vécu. Ses enfants ne savent d'ailleurs pas qu'ils sont juifs. Ils savent vaguement qu'une grand-mère l'était. Pas plus. Longtemps, Jacques hésite à faire reconnaître Triton juste parmi les nations. Triton, cet homme simple et discret qu'il l'avait sauvé. Il ne sait pas si cela lui aurait fait plaisir, lui qui n'aimait pas être mis en avant. Mais un jour, Jacques décide de le faire. Par devoir. Et peut-être aussi par culpabilité. Celle d'avoir, comme il dit, volé un père à ses enfants pendant la guerre. Et puis aussi un jour, il parle, il raconte. Aujourd'hui, Jacques témoigne pour que l'on n'oublie pas, pour que l'on ne puisse jamais nier ce qu'il s'est passé, pour lutter contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, même s'il reste au fond assez pessimiste sur le sort des juifs en général.

  • Speaker #0

    Quand vous expliquez les choses, que vous allez un peu au fond des choses, les gens qui sont de bonne foi, vous pouvez en convaincre. Meeeeee Il y en a d'autres que vous ne convaincrez jamais. C'est pour ça que je suis pessimiste, parce que je ne vois pas. Avec ce qui s'est passé, avec cette histoire de Shoah, comment peut-on être encore antisémite ? On l'est, et vigoureusement en plus. Et puis en plus, il y a la dégâtsion de la Shoah. Il faut quand même le faire, ça. À quoi pensent les gens ? Moi si je dis j'ai 11 personnes de ma famille qui ont été déportées, aucun n'est revenu. Où est-ce qu'ils sont passés ? Ils sont où ? Ils sont dans la nature ? Ils ont été adoptés par les Allemands ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ? Ben... non, ben oui, mais quand même c'est certainement pas ce qu'on dit. Oui, on a... On tape en douche, mais ça c'est indéniable. Mon grand-père, 69 ans, c'était pas quelqu'un de méchant, il n'a rien fait contre qui que ce soit. Mes cousins, des bébés, des bébés déportés, asphyxiés. Ah non, c'était pas... Ben comment ils sont morts ? Ah... Est-ce que t'es sûr qu'ils sont morts ? Ben, je sais pas... On est dans le monde, il y a des communications, on aurait eu une lettre, il y a quelque chose qui nous aurait dit que ils étaient encore en vie. Mais rien ! Et puis ces montagnes de cheveux... C'est qui ça ? Ça appartient à qui ? C'est venu là tout seul ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ?

  • Speaker #1

    Jacques nous a quittés il y a quelques semaines, le 25 septembre dernier. Il avait 97 ans. J'ai un énorme regret, celui de ne pas avoir pu lui faire écouter son témoignage. Je pensais lui très fort en enregistrant ses mots, et bien sûr, je lui dédie cet épisode. Merci Jacques, du fond du cœur. Malgré sa lucidité parfois un peu sombre, Jacques était un homme plein d'humour, de joie, un vrai bon vivant. Merci aussi à Rachel, sa fille, pour sa confiance et pour m'avoir permis cette belle rencontre. Et merci à vous qui écoutez, partagez ce témoignage, faites-le connaître. Écoutez les autres épisodes, faites-les connaître. Devenez-vous aussi des passeurs d'histoire. C'est notre manière à nous d'honorer ces millions de vies brisées, de leur rendre hommage. N'hésitez pas non plus à m'écrire, à réagir, à suivre le podcast sur les réseaux. On se retrouve très vite pour un nouveau témoignage. Allez, salut ! C'était Enfants de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor.

Description

Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923.
Sa mère juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard, en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France, vers 1906.

Ils se rencontrent à Paris, et de cette union naît Jacques, le 16 mars 1928

La famille s’installe d’abord à Bagnolet, puis dans le 12e. Le père de Jacques est tailleur.
La vie est simple, paisible. Jusqu’en 1937. Cette année-là, son père meurt d’un cancer. Jacques n’a que neuf ans.

La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver.
Sa mère l’inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laïcs. Le début d’une passion qui deviendra essentielle dans la vie de jacques.
Désormais seuls, Jacques et sa mère s’installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle.

En juin 1940, tout bascule.

Les Allemands avancent, l’armée recule.

Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, Enfant de la Shoah


---------

.🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande pour son aide précieuse ❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


----

Suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Etre séparé de sa mère, la revoir une fois tous les quinze jours et puis se dire que c'était pas sûr qu'on la reverrait quinze jours après parce qu'elle aurait pu être déportée entre temps. Les enfants ça les marque ça, voilà, savoir que ça existait et que c'était pas une histoire à la télévision, non, ça a été vécu ça.

  • Speaker #1

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923. Sa mère, juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France vers 1906. Ils se rencontrent à Paris, présentés l'un à l'autre, comme cela se faisait souvent à l'époque, se marient, deviennent français. De cette union naît Jacques, le 16 mars 1928. La famille s'installe d'abord à Bagnolet, puis dans le 12e arrondissement de Paris. Jacques a 6 ans. Autour de lui, quelques enfants juifs, mais jamais de moqueries, jamais d'antisémitisme. La vie est simple, paisible, jusqu'en 1937. Cette année-là, son père meurt d'un cancer. Jacques n'a que 9 ans. La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver. Sa mère l'inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laiques. Le début d'une passion qui deviendra essentielle dans la vie de Jacques. Désormais seuls, Jacques et sa mère s'installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle. Sa mère trouve un premier travail dans une association, puis dans une fabrique de meubles. Mais lorsque la guerre éclate en 1939, l'usine ferme. Elle est alors embauchée au magasin central d'automobiles, un service de l'État rattaché au ministère de la guerre, qui répare les véhicules militaires. Mais en juin 1940, tout bascule. Les Allemands avancent, l'armée recule. Jacques et sa mère quittent Paris, trouvent refuge dans une ferme du Périgord. Là-bas, Jacques travaille tout l'été. Mais en septembre, l'école reprend, ils rentrent tous les deux à Paris. Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, enfant de la Shoah.

  • Speaker #0

    On arrive en octobre 40. D'une part, je rentre au lycee Charlenagne, mais le scoutisme lui est fini. Mon chef a contacté le Touring Club de France, c'est-à-dire qu'on a continué à faire nos activités. On n'était plus des éclaireurs, on était des cadets du Touring Club de France. Ma mère a retrouvé son travail dans cette usine de meubles qui avait été saisie par les Allemands. Et ils avaient mis à la tête, il y avait un commissaire. et puis surtout un directeur. En 1941, on a déménagé près de République, rue Dupuis, dans le 3ème. C'était pas plus grand, mais c'était beaucoup plus clair. On avait l'électricité, on avait l'eau, il y avait les toilettes entre deux étages dans l'escalier. Voilà. Début 1942, donc je suis allé au lycée. avec l'étoile. J'étais pas très à l'aise avec ça. Alors l'été 42, un camarade de lycée, dont le grand-père habitait un petit village en Bourgogne, il m'a dit "on va chercher du miel dans un village voisin". Et les gens nous ont dit "si t'as un petit camarade, nous on est prêts à le prendre pour qu'il puisse se refaire une santé pendant deux mois". Donc il m'a proposé ça. Donc je pars en Bourgogne, mais là j'avais enlevé mon étoile. En plus, on arrivait à Sœur, qui était la dernière gare avant la zone libre. C'était encore zone libre à l'époque. Il y avait les Allemands qui vérifiaient, mais nous on était avec des gamins, donc ils nous ont pas vérifiés. Donc j'ai passé deux mois dans cette famille, j'avais appris les rafles. du Veldiv, déjà en juillet. Et en septembre, j'ai reçu l'aide de ma mère me disant que la famille avait été raflée. Ma mère n'a pas... on n'est pas venu la chercher. Elle m'a dit quand tu rentres, tu me retrouves à l'usine, pas à la maison. Parce qu'elle avait déserté la maison, justement, pour ne pas risquer d'être... qu'on vienne la chercher là. Et donc je suis allé directement à l'usine. Et ma mère m'a dit, voilà, le directeur, il était sympa. Il veut bien qu'on habite ici en définitive. Donc il y avait une partie dans laquelle il stockait les meubles qui étaient déjà faits. Il y avait un peu de place, donc on avait de lits, etc. Et là, ma mère m'a dit, Triton, c'est-à-dire mon chef, on avait des noms d'animaux, ce qu'on appelait des totems, si vous voulez. Donc lui, c'était Triton bienveillant. Il avait, à l'époque, donc il avait 38 ans, il a proposé de te prendre chez lui, de te cacher chez lui. Et puis, ma mère allait chez une personne qui était mon ancienne cheftaine de louveteau, qui acceptait de la prendre chez elle. Tout l'immeuble savait qu'elle cachait quelqu'un, mais ça n'a jamais été dénoncé. Voilà, ouais. Alors elle était à Montreuil et moi j'étais dans le 8ème. Rue Chambige, pratiquement adossée au Plaza Athénée, grand hôtel qui hébergeait, je ne sais pas si c'était la commandanture, mais l'armée allemande, un des hauts lieux de l'occupation allemande à Paris. Avec à l'étage en dessous de mon chef, un commandant allemand qui avait son appartement en dessous. Donc pendant deux ans, on a vécu là, comme un père avec son fils. Il a pris les devants. C'est lui qui a dit à la concierge, je veux avoir chez moi un petit cousin de Bretagne qui vient pour faire ses études. Lui-même était marié, il avait trois enfants. Il était breton. Sa femme et ses enfants, il les avait mis en Bretagne. De cette façon, il manquait de rien. Enfin, il manquait de rien. Peut-être de certaines choses, mais bon, j'avais de quoi vivre, point de vue alimentaire, il n'y avait pas les problèmes qu'il y avait à Paris. J'allais à Charlemagne, sans étoile. D'ailleurs au lycée, je suis revenu sans étoile, alors que j'étais venu avec étoile, et personne ne m'a jamais dit quoi que ce soit. Personne, aucune allusion. La seule chose que je sais... C'est parce que j'ai retrouvé un de mes anciens camarades, 30 ans après, qui m'a dit « quand on rentrait du stade, on t'entourait d'une certaine façon pour te protéger » . Moi j'avais un camarade de classe à Charlemagne, le père était milicien, il m'avertissait quand il y avait des rafles, c'est lui qui m'avertissait. On faisait du volleyball. On avait une équipe dans la classe. Un soir, je me souviens, après 4 heures, après 16 heures, on allait s'entraîner. Il m'a dit, allez viens, on va s'entraîner. C'est là qu'on oublie toutes les différences, ou quelque chose comme ça. Personne ne forçait à ça. Au contraire, chez lui, son père milicien venait le faire. Oui, c'était pas ça. Alors bon... Il y a eu quand même quelques incidents. Un soir, on sonne. Habituellement, il n'en savait personne. Ou alors il savait qui devait venir. Alors moi, je me cache derrière des grands rideaux qui cachaient une véranda qui donnait sur la cour. Il va ouvrir et puis donc, il revient et me dit « Tu peux sortir. » Alors je sors. Il était un peu pâle, je dis, c'est que ça... Il me dit, c'était un Allemand. Je dis, ah bon ? Oui, c'était trompé d'étage. Triton, en 1942, quand il a appris que mes cousins avaient été emmenés, il est allé au commissariat de police pour dire, "mais vous n'allez pas emmené ces garçons, ils sont nés en France, ils sont français". Alors on lui a fait une remarque du genre... "Si vous les aimez tant, on peut vous emmener aussi", quelque chose comme ça. Alors il faut dire, c'était Alain de Coadgordon, il était vicomte, il était royaliste. C'était un homme extraordinaire, il a été mon témoin de mariage, bien sûr.

  • Speaker #1

    Grâce au courage et à la bienveillance de Triton et de la chef-taine, Jacques et sa maman auront la vie sauve. Le reste de la famille, lui, n'aura pas cette chance.

  • Speaker #0

    Alors, qui a été déporté ? Il y a donc le frère René de ma mère. Mon oncle Maurice avec sa femme et mes deux cousins, ses deux enfants, qui à l'époque avaient 17 ans, l'aîné et le suivant 15 ans. Voilà, tous les quatre. Ensuite, il y a le plus jeune frère de ma mère, qui n'avait pas d'enfant, sa femme n'a pas été déportée. A l'époque, je ne savais pas, mais je pense qu'elle était française, certainement. En tous les cas, lui a été déporté. Alors, les maisons s'étaient engagées pour être considérées comme françaises. Ben oui, mais Pétain ne l'a pas vu comme ça. Si bien qu'ils étaient toujours roumains. C'est comme ça qu'ils ont été déportés. Alors, à part ça, j'ai un oncle de ma mère avec sa femme. Sa fille, son gendre, tous les quatre déportés, aucun n'est revenu. Ils avaient un fils qui lui était né en France, comme mes autres cousins. Il n'était pas sur la liste lui. Du coup, il n'a pas été déporté. Et ensuite, il y avait aussi une tante de ma mère qui sont venues chercher. Et qui avait une jambe de bois. Et elle avait deux filles. Sa fille aînée a dit, non, non, vous n'avez pas l'emmené, vous m'emmenez à la place. Et donc, ils l'ont emmené, elle n'est jamais revenue non plus. Mon grand-père, 69 ans, déporté, pas revenu. Ma mère avec ma tante sont allées à l'UTCA et ont rencontré certains déportés qui avaient été avec eux mais qui n'ont pas pu donner beaucoup de nouvelles. Simplement on a su que dans la marche qui s'est faite en janvier 45, le plus jeune de mes oncles avait porté l'autre. Mais l'autre est mort en cours de route et lui, dernière nouvelle de son existence, Ce qu'on a pu avoir par un de ses camarades, c'est qu'il avait une dysenterie, il était dans un train, et puis bon, après on ne sait pas. 11 personnes, pas un heure venue. Ce n'était pas un détail de mon histoire.

  • Speaker #1

    Après la guerre, Jacques retourne quelque temps dans l'appartement de son enfance, rue du Puy, puis s'installe dans une petite chambre, juste un étage en dessous de celle de sa mère. Ils se marient, font d'une famille. Comme beaucoup d'enfants qui ont traversé la Shoah et ses traumatismes, Jacques gardera longtemps le silence. Il ne veut pas inquiéter, ni faire porter à ses enfants le poids de ce qu'il a vécu. Ses enfants ne savent d'ailleurs pas qu'ils sont juifs. Ils savent vaguement qu'une grand-mère l'était. Pas plus. Longtemps, Jacques hésite à faire reconnaître Triton juste parmi les nations. Triton, cet homme simple et discret qu'il l'avait sauvé. Il ne sait pas si cela lui aurait fait plaisir, lui qui n'aimait pas être mis en avant. Mais un jour, Jacques décide de le faire. Par devoir. Et peut-être aussi par culpabilité. Celle d'avoir, comme il dit, volé un père à ses enfants pendant la guerre. Et puis aussi un jour, il parle, il raconte. Aujourd'hui, Jacques témoigne pour que l'on n'oublie pas, pour que l'on ne puisse jamais nier ce qu'il s'est passé, pour lutter contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, même s'il reste au fond assez pessimiste sur le sort des juifs en général.

  • Speaker #0

    Quand vous expliquez les choses, que vous allez un peu au fond des choses, les gens qui sont de bonne foi, vous pouvez en convaincre. Meeeeee Il y en a d'autres que vous ne convaincrez jamais. C'est pour ça que je suis pessimiste, parce que je ne vois pas. Avec ce qui s'est passé, avec cette histoire de Shoah, comment peut-on être encore antisémite ? On l'est, et vigoureusement en plus. Et puis en plus, il y a la dégâtsion de la Shoah. Il faut quand même le faire, ça. À quoi pensent les gens ? Moi si je dis j'ai 11 personnes de ma famille qui ont été déportées, aucun n'est revenu. Où est-ce qu'ils sont passés ? Ils sont où ? Ils sont dans la nature ? Ils ont été adoptés par les Allemands ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ? Ben... non, ben oui, mais quand même c'est certainement pas ce qu'on dit. Oui, on a... On tape en douche, mais ça c'est indéniable. Mon grand-père, 69 ans, c'était pas quelqu'un de méchant, il n'a rien fait contre qui que ce soit. Mes cousins, des bébés, des bébés déportés, asphyxiés. Ah non, c'était pas... Ben comment ils sont morts ? Ah... Est-ce que t'es sûr qu'ils sont morts ? Ben, je sais pas... On est dans le monde, il y a des communications, on aurait eu une lettre, il y a quelque chose qui nous aurait dit que ils étaient encore en vie. Mais rien ! Et puis ces montagnes de cheveux... C'est qui ça ? Ça appartient à qui ? C'est venu là tout seul ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ?

  • Speaker #1

    Jacques nous a quittés il y a quelques semaines, le 25 septembre dernier. Il avait 97 ans. J'ai un énorme regret, celui de ne pas avoir pu lui faire écouter son témoignage. Je pensais lui très fort en enregistrant ses mots, et bien sûr, je lui dédie cet épisode. Merci Jacques, du fond du cœur. Malgré sa lucidité parfois un peu sombre, Jacques était un homme plein d'humour, de joie, un vrai bon vivant. Merci aussi à Rachel, sa fille, pour sa confiance et pour m'avoir permis cette belle rencontre. Et merci à vous qui écoutez, partagez ce témoignage, faites-le connaître. Écoutez les autres épisodes, faites-les connaître. Devenez-vous aussi des passeurs d'histoire. C'est notre manière à nous d'honorer ces millions de vies brisées, de leur rendre hommage. N'hésitez pas non plus à m'écrire, à réagir, à suivre le podcast sur les réseaux. On se retrouve très vite pour un nouveau témoignage. Allez, salut ! C'était Enfants de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor.

Share

Embed

You may also like

Description

Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923.
Sa mère juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard, en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France, vers 1906.

Ils se rencontrent à Paris, et de cette union naît Jacques, le 16 mars 1928

La famille s’installe d’abord à Bagnolet, puis dans le 12e. Le père de Jacques est tailleur.
La vie est simple, paisible. Jusqu’en 1937. Cette année-là, son père meurt d’un cancer. Jacques n’a que neuf ans.

La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver.
Sa mère l’inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laïcs. Le début d’une passion qui deviendra essentielle dans la vie de jacques.
Désormais seuls, Jacques et sa mère s’installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle.

En juin 1940, tout bascule.

Les Allemands avancent, l’armée recule.

Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, Enfant de la Shoah


---------

.🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande pour son aide précieuse ❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


----

Suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Etre séparé de sa mère, la revoir une fois tous les quinze jours et puis se dire que c'était pas sûr qu'on la reverrait quinze jours après parce qu'elle aurait pu être déportée entre temps. Les enfants ça les marque ça, voilà, savoir que ça existait et que c'était pas une histoire à la télévision, non, ça a été vécu ça.

  • Speaker #1

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923. Sa mère, juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France vers 1906. Ils se rencontrent à Paris, présentés l'un à l'autre, comme cela se faisait souvent à l'époque, se marient, deviennent français. De cette union naît Jacques, le 16 mars 1928. La famille s'installe d'abord à Bagnolet, puis dans le 12e arrondissement de Paris. Jacques a 6 ans. Autour de lui, quelques enfants juifs, mais jamais de moqueries, jamais d'antisémitisme. La vie est simple, paisible, jusqu'en 1937. Cette année-là, son père meurt d'un cancer. Jacques n'a que 9 ans. La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver. Sa mère l'inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laiques. Le début d'une passion qui deviendra essentielle dans la vie de Jacques. Désormais seuls, Jacques et sa mère s'installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle. Sa mère trouve un premier travail dans une association, puis dans une fabrique de meubles. Mais lorsque la guerre éclate en 1939, l'usine ferme. Elle est alors embauchée au magasin central d'automobiles, un service de l'État rattaché au ministère de la guerre, qui répare les véhicules militaires. Mais en juin 1940, tout bascule. Les Allemands avancent, l'armée recule. Jacques et sa mère quittent Paris, trouvent refuge dans une ferme du Périgord. Là-bas, Jacques travaille tout l'été. Mais en septembre, l'école reprend, ils rentrent tous les deux à Paris. Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, enfant de la Shoah.

  • Speaker #0

    On arrive en octobre 40. D'une part, je rentre au lycee Charlenagne, mais le scoutisme lui est fini. Mon chef a contacté le Touring Club de France, c'est-à-dire qu'on a continué à faire nos activités. On n'était plus des éclaireurs, on était des cadets du Touring Club de France. Ma mère a retrouvé son travail dans cette usine de meubles qui avait été saisie par les Allemands. Et ils avaient mis à la tête, il y avait un commissaire. et puis surtout un directeur. En 1941, on a déménagé près de République, rue Dupuis, dans le 3ème. C'était pas plus grand, mais c'était beaucoup plus clair. On avait l'électricité, on avait l'eau, il y avait les toilettes entre deux étages dans l'escalier. Voilà. Début 1942, donc je suis allé au lycée. avec l'étoile. J'étais pas très à l'aise avec ça. Alors l'été 42, un camarade de lycée, dont le grand-père habitait un petit village en Bourgogne, il m'a dit "on va chercher du miel dans un village voisin". Et les gens nous ont dit "si t'as un petit camarade, nous on est prêts à le prendre pour qu'il puisse se refaire une santé pendant deux mois". Donc il m'a proposé ça. Donc je pars en Bourgogne, mais là j'avais enlevé mon étoile. En plus, on arrivait à Sœur, qui était la dernière gare avant la zone libre. C'était encore zone libre à l'époque. Il y avait les Allemands qui vérifiaient, mais nous on était avec des gamins, donc ils nous ont pas vérifiés. Donc j'ai passé deux mois dans cette famille, j'avais appris les rafles. du Veldiv, déjà en juillet. Et en septembre, j'ai reçu l'aide de ma mère me disant que la famille avait été raflée. Ma mère n'a pas... on n'est pas venu la chercher. Elle m'a dit quand tu rentres, tu me retrouves à l'usine, pas à la maison. Parce qu'elle avait déserté la maison, justement, pour ne pas risquer d'être... qu'on vienne la chercher là. Et donc je suis allé directement à l'usine. Et ma mère m'a dit, voilà, le directeur, il était sympa. Il veut bien qu'on habite ici en définitive. Donc il y avait une partie dans laquelle il stockait les meubles qui étaient déjà faits. Il y avait un peu de place, donc on avait de lits, etc. Et là, ma mère m'a dit, Triton, c'est-à-dire mon chef, on avait des noms d'animaux, ce qu'on appelait des totems, si vous voulez. Donc lui, c'était Triton bienveillant. Il avait, à l'époque, donc il avait 38 ans, il a proposé de te prendre chez lui, de te cacher chez lui. Et puis, ma mère allait chez une personne qui était mon ancienne cheftaine de louveteau, qui acceptait de la prendre chez elle. Tout l'immeuble savait qu'elle cachait quelqu'un, mais ça n'a jamais été dénoncé. Voilà, ouais. Alors elle était à Montreuil et moi j'étais dans le 8ème. Rue Chambige, pratiquement adossée au Plaza Athénée, grand hôtel qui hébergeait, je ne sais pas si c'était la commandanture, mais l'armée allemande, un des hauts lieux de l'occupation allemande à Paris. Avec à l'étage en dessous de mon chef, un commandant allemand qui avait son appartement en dessous. Donc pendant deux ans, on a vécu là, comme un père avec son fils. Il a pris les devants. C'est lui qui a dit à la concierge, je veux avoir chez moi un petit cousin de Bretagne qui vient pour faire ses études. Lui-même était marié, il avait trois enfants. Il était breton. Sa femme et ses enfants, il les avait mis en Bretagne. De cette façon, il manquait de rien. Enfin, il manquait de rien. Peut-être de certaines choses, mais bon, j'avais de quoi vivre, point de vue alimentaire, il n'y avait pas les problèmes qu'il y avait à Paris. J'allais à Charlemagne, sans étoile. D'ailleurs au lycée, je suis revenu sans étoile, alors que j'étais venu avec étoile, et personne ne m'a jamais dit quoi que ce soit. Personne, aucune allusion. La seule chose que je sais... C'est parce que j'ai retrouvé un de mes anciens camarades, 30 ans après, qui m'a dit « quand on rentrait du stade, on t'entourait d'une certaine façon pour te protéger » . Moi j'avais un camarade de classe à Charlemagne, le père était milicien, il m'avertissait quand il y avait des rafles, c'est lui qui m'avertissait. On faisait du volleyball. On avait une équipe dans la classe. Un soir, je me souviens, après 4 heures, après 16 heures, on allait s'entraîner. Il m'a dit, allez viens, on va s'entraîner. C'est là qu'on oublie toutes les différences, ou quelque chose comme ça. Personne ne forçait à ça. Au contraire, chez lui, son père milicien venait le faire. Oui, c'était pas ça. Alors bon... Il y a eu quand même quelques incidents. Un soir, on sonne. Habituellement, il n'en savait personne. Ou alors il savait qui devait venir. Alors moi, je me cache derrière des grands rideaux qui cachaient une véranda qui donnait sur la cour. Il va ouvrir et puis donc, il revient et me dit « Tu peux sortir. » Alors je sors. Il était un peu pâle, je dis, c'est que ça... Il me dit, c'était un Allemand. Je dis, ah bon ? Oui, c'était trompé d'étage. Triton, en 1942, quand il a appris que mes cousins avaient été emmenés, il est allé au commissariat de police pour dire, "mais vous n'allez pas emmené ces garçons, ils sont nés en France, ils sont français". Alors on lui a fait une remarque du genre... "Si vous les aimez tant, on peut vous emmener aussi", quelque chose comme ça. Alors il faut dire, c'était Alain de Coadgordon, il était vicomte, il était royaliste. C'était un homme extraordinaire, il a été mon témoin de mariage, bien sûr.

  • Speaker #1

    Grâce au courage et à la bienveillance de Triton et de la chef-taine, Jacques et sa maman auront la vie sauve. Le reste de la famille, lui, n'aura pas cette chance.

  • Speaker #0

    Alors, qui a été déporté ? Il y a donc le frère René de ma mère. Mon oncle Maurice avec sa femme et mes deux cousins, ses deux enfants, qui à l'époque avaient 17 ans, l'aîné et le suivant 15 ans. Voilà, tous les quatre. Ensuite, il y a le plus jeune frère de ma mère, qui n'avait pas d'enfant, sa femme n'a pas été déportée. A l'époque, je ne savais pas, mais je pense qu'elle était française, certainement. En tous les cas, lui a été déporté. Alors, les maisons s'étaient engagées pour être considérées comme françaises. Ben oui, mais Pétain ne l'a pas vu comme ça. Si bien qu'ils étaient toujours roumains. C'est comme ça qu'ils ont été déportés. Alors, à part ça, j'ai un oncle de ma mère avec sa femme. Sa fille, son gendre, tous les quatre déportés, aucun n'est revenu. Ils avaient un fils qui lui était né en France, comme mes autres cousins. Il n'était pas sur la liste lui. Du coup, il n'a pas été déporté. Et ensuite, il y avait aussi une tante de ma mère qui sont venues chercher. Et qui avait une jambe de bois. Et elle avait deux filles. Sa fille aînée a dit, non, non, vous n'avez pas l'emmené, vous m'emmenez à la place. Et donc, ils l'ont emmené, elle n'est jamais revenue non plus. Mon grand-père, 69 ans, déporté, pas revenu. Ma mère avec ma tante sont allées à l'UTCA et ont rencontré certains déportés qui avaient été avec eux mais qui n'ont pas pu donner beaucoup de nouvelles. Simplement on a su que dans la marche qui s'est faite en janvier 45, le plus jeune de mes oncles avait porté l'autre. Mais l'autre est mort en cours de route et lui, dernière nouvelle de son existence, Ce qu'on a pu avoir par un de ses camarades, c'est qu'il avait une dysenterie, il était dans un train, et puis bon, après on ne sait pas. 11 personnes, pas un heure venue. Ce n'était pas un détail de mon histoire.

  • Speaker #1

    Après la guerre, Jacques retourne quelque temps dans l'appartement de son enfance, rue du Puy, puis s'installe dans une petite chambre, juste un étage en dessous de celle de sa mère. Ils se marient, font d'une famille. Comme beaucoup d'enfants qui ont traversé la Shoah et ses traumatismes, Jacques gardera longtemps le silence. Il ne veut pas inquiéter, ni faire porter à ses enfants le poids de ce qu'il a vécu. Ses enfants ne savent d'ailleurs pas qu'ils sont juifs. Ils savent vaguement qu'une grand-mère l'était. Pas plus. Longtemps, Jacques hésite à faire reconnaître Triton juste parmi les nations. Triton, cet homme simple et discret qu'il l'avait sauvé. Il ne sait pas si cela lui aurait fait plaisir, lui qui n'aimait pas être mis en avant. Mais un jour, Jacques décide de le faire. Par devoir. Et peut-être aussi par culpabilité. Celle d'avoir, comme il dit, volé un père à ses enfants pendant la guerre. Et puis aussi un jour, il parle, il raconte. Aujourd'hui, Jacques témoigne pour que l'on n'oublie pas, pour que l'on ne puisse jamais nier ce qu'il s'est passé, pour lutter contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, même s'il reste au fond assez pessimiste sur le sort des juifs en général.

  • Speaker #0

    Quand vous expliquez les choses, que vous allez un peu au fond des choses, les gens qui sont de bonne foi, vous pouvez en convaincre. Meeeeee Il y en a d'autres que vous ne convaincrez jamais. C'est pour ça que je suis pessimiste, parce que je ne vois pas. Avec ce qui s'est passé, avec cette histoire de Shoah, comment peut-on être encore antisémite ? On l'est, et vigoureusement en plus. Et puis en plus, il y a la dégâtsion de la Shoah. Il faut quand même le faire, ça. À quoi pensent les gens ? Moi si je dis j'ai 11 personnes de ma famille qui ont été déportées, aucun n'est revenu. Où est-ce qu'ils sont passés ? Ils sont où ? Ils sont dans la nature ? Ils ont été adoptés par les Allemands ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ? Ben... non, ben oui, mais quand même c'est certainement pas ce qu'on dit. Oui, on a... On tape en douche, mais ça c'est indéniable. Mon grand-père, 69 ans, c'était pas quelqu'un de méchant, il n'a rien fait contre qui que ce soit. Mes cousins, des bébés, des bébés déportés, asphyxiés. Ah non, c'était pas... Ben comment ils sont morts ? Ah... Est-ce que t'es sûr qu'ils sont morts ? Ben, je sais pas... On est dans le monde, il y a des communications, on aurait eu une lettre, il y a quelque chose qui nous aurait dit que ils étaient encore en vie. Mais rien ! Et puis ces montagnes de cheveux... C'est qui ça ? Ça appartient à qui ? C'est venu là tout seul ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ?

  • Speaker #1

    Jacques nous a quittés il y a quelques semaines, le 25 septembre dernier. Il avait 97 ans. J'ai un énorme regret, celui de ne pas avoir pu lui faire écouter son témoignage. Je pensais lui très fort en enregistrant ses mots, et bien sûr, je lui dédie cet épisode. Merci Jacques, du fond du cœur. Malgré sa lucidité parfois un peu sombre, Jacques était un homme plein d'humour, de joie, un vrai bon vivant. Merci aussi à Rachel, sa fille, pour sa confiance et pour m'avoir permis cette belle rencontre. Et merci à vous qui écoutez, partagez ce témoignage, faites-le connaître. Écoutez les autres épisodes, faites-les connaître. Devenez-vous aussi des passeurs d'histoire. C'est notre manière à nous d'honorer ces millions de vies brisées, de leur rendre hommage. N'hésitez pas non plus à m'écrire, à réagir, à suivre le podcast sur les réseaux. On se retrouve très vite pour un nouveau témoignage. Allez, salut ! C'était Enfants de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor.

Description

Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923.
Sa mère juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard, en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France, vers 1906.

Ils se rencontrent à Paris, et de cette union naît Jacques, le 16 mars 1928

La famille s’installe d’abord à Bagnolet, puis dans le 12e. Le père de Jacques est tailleur.
La vie est simple, paisible. Jusqu’en 1937. Cette année-là, son père meurt d’un cancer. Jacques n’a que neuf ans.

La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver.
Sa mère l’inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laïcs. Le début d’une passion qui deviendra essentielle dans la vie de jacques.
Désormais seuls, Jacques et sa mère s’installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle.

En juin 1940, tout bascule.

Les Allemands avancent, l’armée recule.

Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, Enfant de la Shoah


---------

.🙏 Un immense merci à la CLAIMS CONFERENCE pour son précieux soutien. Grâce à eux, ce travail de mémoire peut continuer d’exister et de toucher de nouveaux publics.

Merci à Alexandre Bande pour son aide précieuse ❤️


Ensemble, gardons vivantes ces voix, ces visages, ces vies, pour que jamais on n’oublie.


Merci de votre écoute… NE PERDONS PAS L'HISTOIRE, PARTAGEONS-LA…


----

Suivez moi sur les réseaux ici 👉 https://linktr.ee/EnfantDeLaShoah


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Etre séparé de sa mère, la revoir une fois tous les quinze jours et puis se dire que c'était pas sûr qu'on la reverrait quinze jours après parce qu'elle aurait pu être déportée entre temps. Les enfants ça les marque ça, voilà, savoir que ça existait et que c'était pas une histoire à la télévision, non, ça a été vécu ça.

  • Speaker #1

    La Shoah, mot hébreu qui signifie catastrophe, désigne la mise à mort de près de 6 millions de Juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera décimée. Les enfants ne seront pas épargnés. Son père, juif roumain né en 1893, arrive en France en 1923. Sa mère, juive roumaine elle aussi, née 11 ans plus tard en 1904, a grandi en Palestine avant de venir en France vers 1906. Ils se rencontrent à Paris, présentés l'un à l'autre, comme cela se faisait souvent à l'époque, se marient, deviennent français. De cette union naît Jacques, le 16 mars 1928. La famille s'installe d'abord à Bagnolet, puis dans le 12e arrondissement de Paris. Jacques a 6 ans. Autour de lui, quelques enfants juifs, mais jamais de moqueries, jamais d'antisémitisme. La vie est simple, paisible, jusqu'en 1937. Cette année-là, son père meurt d'un cancer. Jacques n'a que 9 ans. La même année, un second événement va bouleverser sa vie, mais dans le bon sens cette fois-ci. Il va même la sauver. Sa mère l'inscrit aux Éclaireurs neutres, un groupe de scouts laiques. Le début d'une passion qui deviendra essentielle dans la vie de Jacques. Désormais seuls, Jacques et sa mère s'installent dans une toute petite pièce, proche de la famille maternelle. Sa mère trouve un premier travail dans une association, puis dans une fabrique de meubles. Mais lorsque la guerre éclate en 1939, l'usine ferme. Elle est alors embauchée au magasin central d'automobiles, un service de l'État rattaché au ministère de la guerre, qui répare les véhicules militaires. Mais en juin 1940, tout bascule. Les Allemands avancent, l'armée recule. Jacques et sa mère quittent Paris, trouvent refuge dans une ferme du Périgord. Là-bas, Jacques travaille tout l'été. Mais en septembre, l'école reprend, ils rentrent tous les deux à Paris. Voici le témoignage de Jacques, 12 ans, enfant de la Shoah.

  • Speaker #0

    On arrive en octobre 40. D'une part, je rentre au lycee Charlenagne, mais le scoutisme lui est fini. Mon chef a contacté le Touring Club de France, c'est-à-dire qu'on a continué à faire nos activités. On n'était plus des éclaireurs, on était des cadets du Touring Club de France. Ma mère a retrouvé son travail dans cette usine de meubles qui avait été saisie par les Allemands. Et ils avaient mis à la tête, il y avait un commissaire. et puis surtout un directeur. En 1941, on a déménagé près de République, rue Dupuis, dans le 3ème. C'était pas plus grand, mais c'était beaucoup plus clair. On avait l'électricité, on avait l'eau, il y avait les toilettes entre deux étages dans l'escalier. Voilà. Début 1942, donc je suis allé au lycée. avec l'étoile. J'étais pas très à l'aise avec ça. Alors l'été 42, un camarade de lycée, dont le grand-père habitait un petit village en Bourgogne, il m'a dit "on va chercher du miel dans un village voisin". Et les gens nous ont dit "si t'as un petit camarade, nous on est prêts à le prendre pour qu'il puisse se refaire une santé pendant deux mois". Donc il m'a proposé ça. Donc je pars en Bourgogne, mais là j'avais enlevé mon étoile. En plus, on arrivait à Sœur, qui était la dernière gare avant la zone libre. C'était encore zone libre à l'époque. Il y avait les Allemands qui vérifiaient, mais nous on était avec des gamins, donc ils nous ont pas vérifiés. Donc j'ai passé deux mois dans cette famille, j'avais appris les rafles. du Veldiv, déjà en juillet. Et en septembre, j'ai reçu l'aide de ma mère me disant que la famille avait été raflée. Ma mère n'a pas... on n'est pas venu la chercher. Elle m'a dit quand tu rentres, tu me retrouves à l'usine, pas à la maison. Parce qu'elle avait déserté la maison, justement, pour ne pas risquer d'être... qu'on vienne la chercher là. Et donc je suis allé directement à l'usine. Et ma mère m'a dit, voilà, le directeur, il était sympa. Il veut bien qu'on habite ici en définitive. Donc il y avait une partie dans laquelle il stockait les meubles qui étaient déjà faits. Il y avait un peu de place, donc on avait de lits, etc. Et là, ma mère m'a dit, Triton, c'est-à-dire mon chef, on avait des noms d'animaux, ce qu'on appelait des totems, si vous voulez. Donc lui, c'était Triton bienveillant. Il avait, à l'époque, donc il avait 38 ans, il a proposé de te prendre chez lui, de te cacher chez lui. Et puis, ma mère allait chez une personne qui était mon ancienne cheftaine de louveteau, qui acceptait de la prendre chez elle. Tout l'immeuble savait qu'elle cachait quelqu'un, mais ça n'a jamais été dénoncé. Voilà, ouais. Alors elle était à Montreuil et moi j'étais dans le 8ème. Rue Chambige, pratiquement adossée au Plaza Athénée, grand hôtel qui hébergeait, je ne sais pas si c'était la commandanture, mais l'armée allemande, un des hauts lieux de l'occupation allemande à Paris. Avec à l'étage en dessous de mon chef, un commandant allemand qui avait son appartement en dessous. Donc pendant deux ans, on a vécu là, comme un père avec son fils. Il a pris les devants. C'est lui qui a dit à la concierge, je veux avoir chez moi un petit cousin de Bretagne qui vient pour faire ses études. Lui-même était marié, il avait trois enfants. Il était breton. Sa femme et ses enfants, il les avait mis en Bretagne. De cette façon, il manquait de rien. Enfin, il manquait de rien. Peut-être de certaines choses, mais bon, j'avais de quoi vivre, point de vue alimentaire, il n'y avait pas les problèmes qu'il y avait à Paris. J'allais à Charlemagne, sans étoile. D'ailleurs au lycée, je suis revenu sans étoile, alors que j'étais venu avec étoile, et personne ne m'a jamais dit quoi que ce soit. Personne, aucune allusion. La seule chose que je sais... C'est parce que j'ai retrouvé un de mes anciens camarades, 30 ans après, qui m'a dit « quand on rentrait du stade, on t'entourait d'une certaine façon pour te protéger » . Moi j'avais un camarade de classe à Charlemagne, le père était milicien, il m'avertissait quand il y avait des rafles, c'est lui qui m'avertissait. On faisait du volleyball. On avait une équipe dans la classe. Un soir, je me souviens, après 4 heures, après 16 heures, on allait s'entraîner. Il m'a dit, allez viens, on va s'entraîner. C'est là qu'on oublie toutes les différences, ou quelque chose comme ça. Personne ne forçait à ça. Au contraire, chez lui, son père milicien venait le faire. Oui, c'était pas ça. Alors bon... Il y a eu quand même quelques incidents. Un soir, on sonne. Habituellement, il n'en savait personne. Ou alors il savait qui devait venir. Alors moi, je me cache derrière des grands rideaux qui cachaient une véranda qui donnait sur la cour. Il va ouvrir et puis donc, il revient et me dit « Tu peux sortir. » Alors je sors. Il était un peu pâle, je dis, c'est que ça... Il me dit, c'était un Allemand. Je dis, ah bon ? Oui, c'était trompé d'étage. Triton, en 1942, quand il a appris que mes cousins avaient été emmenés, il est allé au commissariat de police pour dire, "mais vous n'allez pas emmené ces garçons, ils sont nés en France, ils sont français". Alors on lui a fait une remarque du genre... "Si vous les aimez tant, on peut vous emmener aussi", quelque chose comme ça. Alors il faut dire, c'était Alain de Coadgordon, il était vicomte, il était royaliste. C'était un homme extraordinaire, il a été mon témoin de mariage, bien sûr.

  • Speaker #1

    Grâce au courage et à la bienveillance de Triton et de la chef-taine, Jacques et sa maman auront la vie sauve. Le reste de la famille, lui, n'aura pas cette chance.

  • Speaker #0

    Alors, qui a été déporté ? Il y a donc le frère René de ma mère. Mon oncle Maurice avec sa femme et mes deux cousins, ses deux enfants, qui à l'époque avaient 17 ans, l'aîné et le suivant 15 ans. Voilà, tous les quatre. Ensuite, il y a le plus jeune frère de ma mère, qui n'avait pas d'enfant, sa femme n'a pas été déportée. A l'époque, je ne savais pas, mais je pense qu'elle était française, certainement. En tous les cas, lui a été déporté. Alors, les maisons s'étaient engagées pour être considérées comme françaises. Ben oui, mais Pétain ne l'a pas vu comme ça. Si bien qu'ils étaient toujours roumains. C'est comme ça qu'ils ont été déportés. Alors, à part ça, j'ai un oncle de ma mère avec sa femme. Sa fille, son gendre, tous les quatre déportés, aucun n'est revenu. Ils avaient un fils qui lui était né en France, comme mes autres cousins. Il n'était pas sur la liste lui. Du coup, il n'a pas été déporté. Et ensuite, il y avait aussi une tante de ma mère qui sont venues chercher. Et qui avait une jambe de bois. Et elle avait deux filles. Sa fille aînée a dit, non, non, vous n'avez pas l'emmené, vous m'emmenez à la place. Et donc, ils l'ont emmené, elle n'est jamais revenue non plus. Mon grand-père, 69 ans, déporté, pas revenu. Ma mère avec ma tante sont allées à l'UTCA et ont rencontré certains déportés qui avaient été avec eux mais qui n'ont pas pu donner beaucoup de nouvelles. Simplement on a su que dans la marche qui s'est faite en janvier 45, le plus jeune de mes oncles avait porté l'autre. Mais l'autre est mort en cours de route et lui, dernière nouvelle de son existence, Ce qu'on a pu avoir par un de ses camarades, c'est qu'il avait une dysenterie, il était dans un train, et puis bon, après on ne sait pas. 11 personnes, pas un heure venue. Ce n'était pas un détail de mon histoire.

  • Speaker #1

    Après la guerre, Jacques retourne quelque temps dans l'appartement de son enfance, rue du Puy, puis s'installe dans une petite chambre, juste un étage en dessous de celle de sa mère. Ils se marient, font d'une famille. Comme beaucoup d'enfants qui ont traversé la Shoah et ses traumatismes, Jacques gardera longtemps le silence. Il ne veut pas inquiéter, ni faire porter à ses enfants le poids de ce qu'il a vécu. Ses enfants ne savent d'ailleurs pas qu'ils sont juifs. Ils savent vaguement qu'une grand-mère l'était. Pas plus. Longtemps, Jacques hésite à faire reconnaître Triton juste parmi les nations. Triton, cet homme simple et discret qu'il l'avait sauvé. Il ne sait pas si cela lui aurait fait plaisir, lui qui n'aimait pas être mis en avant. Mais un jour, Jacques décide de le faire. Par devoir. Et peut-être aussi par culpabilité. Celle d'avoir, comme il dit, volé un père à ses enfants pendant la guerre. Et puis aussi un jour, il parle, il raconte. Aujourd'hui, Jacques témoigne pour que l'on n'oublie pas, pour que l'on ne puisse jamais nier ce qu'il s'est passé, pour lutter contre l'antisémitisme sous toutes ses formes, même s'il reste au fond assez pessimiste sur le sort des juifs en général.

  • Speaker #0

    Quand vous expliquez les choses, que vous allez un peu au fond des choses, les gens qui sont de bonne foi, vous pouvez en convaincre. Meeeeee Il y en a d'autres que vous ne convaincrez jamais. C'est pour ça que je suis pessimiste, parce que je ne vois pas. Avec ce qui s'est passé, avec cette histoire de Shoah, comment peut-on être encore antisémite ? On l'est, et vigoureusement en plus. Et puis en plus, il y a la dégâtsion de la Shoah. Il faut quand même le faire, ça. À quoi pensent les gens ? Moi si je dis j'ai 11 personnes de ma famille qui ont été déportées, aucun n'est revenu. Où est-ce qu'ils sont passés ? Ils sont où ? Ils sont dans la nature ? Ils ont été adoptés par les Allemands ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ? Ben... non, ben oui, mais quand même c'est certainement pas ce qu'on dit. Oui, on a... On tape en douche, mais ça c'est indéniable. Mon grand-père, 69 ans, c'était pas quelqu'un de méchant, il n'a rien fait contre qui que ce soit. Mes cousins, des bébés, des bébés déportés, asphyxiés. Ah non, c'était pas... Ben comment ils sont morts ? Ah... Est-ce que t'es sûr qu'ils sont morts ? Ben, je sais pas... On est dans le monde, il y a des communications, on aurait eu une lettre, il y a quelque chose qui nous aurait dit que ils étaient encore en vie. Mais rien ! Et puis ces montagnes de cheveux... C'est qui ça ? Ça appartient à qui ? C'est venu là tout seul ? Qu'est-ce que tu peux me répondre à ça ?

  • Speaker #1

    Jacques nous a quittés il y a quelques semaines, le 25 septembre dernier. Il avait 97 ans. J'ai un énorme regret, celui de ne pas avoir pu lui faire écouter son témoignage. Je pensais lui très fort en enregistrant ses mots, et bien sûr, je lui dédie cet épisode. Merci Jacques, du fond du cœur. Malgré sa lucidité parfois un peu sombre, Jacques était un homme plein d'humour, de joie, un vrai bon vivant. Merci aussi à Rachel, sa fille, pour sa confiance et pour m'avoir permis cette belle rencontre. Et merci à vous qui écoutez, partagez ce témoignage, faites-le connaître. Écoutez les autres épisodes, faites-les connaître. Devenez-vous aussi des passeurs d'histoire. C'est notre manière à nous d'honorer ces millions de vies brisées, de leur rendre hommage. N'hésitez pas non plus à m'écrire, à réagir, à suivre le podcast sur les réseaux. On se retrouve très vite pour un nouveau témoignage. Allez, salut ! C'était Enfants de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor.

Share

Embed

You may also like