Speaker #0La Shoah, mot hĂ©breu qui signifie catastrophe, dĂ©signe la mise Ă mort de prĂšs de 6 millions de juifs d'Europe par l'Allemagne nazie et ses collaborateurs pendant la Seconde Guerre mondiale. En France, plus de 25% de la population juive totale sera dĂ©cimĂ©e. Les enfants ne seront pas Ă©pargnĂ©s. 11 000 d'entre eux ne reviendront pas des centres de mise Ă mort. Et des milliers d'autres, les plus chanceux, seront sĂ©parĂ©s de leurs parents, cachĂ©s Ă la campagne sous de fausses identitĂ©s, mis Ă l'Ă©cart du monde extĂ©rieur, parfois mĂȘme dĂ©noncĂ©s et emprisonnĂ©s. Ne pas dire qu'ils sont juifs, jamais. Se taire, affronter la peur, la solitude, le danger. Oui, chanceux, car malgrĂ© tout, ces enfants survivront Ă cette pĂ©riode terrible. Ces enfants ont grandi, ils ont 80, 90 ans et plus, ils sont la mĂ©moire de la guerre, ils sont les enfants de la Shoah. Ils replongent pour nous. dans leurs souvenirs d'enfants. Marcel naĂźt le jour de l'an 1931 Ă l'hĂŽpital Rothschild dans le 12e arrondissement de Paris. Ses parents ont Ă©migrĂ© de Pologne en 1921 puis se sont mariĂ©s et ont fondĂ© une famille. Marcel grandit entourĂ© de ses deux sĆurs, ThĂ©rĂšse, l'aĂźnĂ©e, nĂ©e en 1923 et la petite Annette, nĂ©e en 1933. La famille s'installe d'abord Ă Drancy dans une maison mitoyenne de ce qui deviendra plus tard le tristement cĂ©lĂšbre camp d'internement. Marcel passe son enfance Ă jouer avec les copains du quartier dans les bĂątiments environnants, insouciants de ce que l'histoire rĂ©serve Ă ces lieux. En 1938, la famille dĂ©mĂ©nage rue Oberkampf, Ă Paris. Mais cette tranquillitĂ© ne durera pas longtemps. Ă partir de septembre 1939, aprĂšs la dĂ©claration de guerre Ă l'Allemagne, de nombreux Parisiens quittent la capitale pour se rĂ©fugier Ă la campagne par mesure de prĂ©caution. La famille de Marcel fait partie de ce dĂ©part prĂ©curseur de l'Exode. Marcel n'a alors que 8 ans. Il se retrouve Ă Flavigny, Ă 30 km de Bourges, dans le Cher, dans une maison prĂȘtĂ©e par un paysan. Pas d'Ă©lectricitĂ©, pas de chauffage, pas de toilette, mais la sĂ©curitĂ©. Ils y resteront jusqu'Ă l'armistice, puis reviendront Ă Paris, rue Oberkamp. Quelques mois plus tard, les premiĂšres lois anti-juives apparaissent. En 1941, le papa de Marcel est arrĂȘtĂ© lors d'une rafle. Il sera finalement relĂąchĂ© aprĂšs quelques temps, comme d'autres internĂ©s, malades ou affaiblis. La famille tente de poursuivre une vie aussi normale que possible. Le rationnement, les ordonnances antisĂ©mites de Vichy et le zĂšle de la police française rendent cependant le quotidien de plus en plus difficile et oppressant. Voici le tĂ©moignage de Marcel, 11 ans, enfant de la Shoah.
Speaker #1En 42, on portait l'Ă©toile jaune. Et moi j'allais Ă l'Ă©cole, au haut de la fontaine au Roi. Et un jour, il y a trois membres de ma classe qui se sont moquĂ©s de moi parce que je portais l'Ă©toile jaune. J'en ai chopĂ© un, je lui ai mis une correction. Moi j'Ă©tais un titi parisien, j'avais peur de rien. J'ai mis une correction, si bien que quand on est rentrĂ© en classe, quand la maĂźtresse a vu son Ă©tat... Elle m'a envoyĂ© chez le directeur. Le directeur, quand il a vu son Ă©tat, c'Ă©tait la mode, coup de rĂšgle et sans ligne. Et quand l'enfant est rentrĂ© dans la famille et la famille a vu son Ă©tat, ils sont venus voir le directeur. Alors le directeur leur a dit qu'il m'avait puni, mais il leur demandait de ne pas porter plainte parce que s'il portait plainte, toute ma famille Ă©tait arrĂȘtĂ©e. Et ce jour-lĂ , on a eu de la chance, parce que si j'avais Ă©tĂ© des collaborateurs n'importe quoi, je ne serais pas lĂ aujourd'hui. Mais rue Oberkampf, l'immeuble au 102, il y avait beaucoup de familles juives, et lĂ j'avais des copains, et alors on ne devait pas aller au cinĂ©ma, mais il y avait un cinĂ©ma en face de la maison, alors on rentrait par la porte de sortie. Ah moi j'Ă©tais un titi parisien, j'avais peur de rien. Je ne savais pas ce que c'Ă©tait la peur. D'ailleurs, c'est peut-ĂȘtre pour ça qu'aujourd'hui je suis vivant. Parce que tous mes copains de la maison avec qui je jouais et tout, ils ont tous Ă©tĂ© dĂ©portĂ©s.
Ils sont tous décédés. Ah bah oui,
Il y avait des marques de l'antisémitisme, mais il y avait aussi des gens qui étaient trÚs gentils avec nous. Moi je me rappelle, la boulangÚre, on était rationnés, ben nous donnaient un morceau de pain en plus. Les bananes, c'était réservé pour les Allemands.
Et moi, j'avais envie de bananes. Et la banane coûtait 50 centimes. Je sais pas comment j'ai fait. Pour avoir 50 centimes, m'acheter la derniÚre banane de l'occupation.
Moi, j'étais hospitalisé en juillet 1942 à l'hÎpital Rothschild pour une intervention chirurgicale. J'ai eu l'opération. Et puis, le 16 juillet, dans la raffle(du veld'hiv),
A l'hĂŽpital Rothschild Il y a eu le capitaine SS de Necker qui a Ă©tĂ© nommĂ© par Berlin pour Ă©vacuer tous les malades juifs de l'hĂŽpital. Il s'est prĂ©sentĂ© Ă l'hĂŽpital Rothschild avec sa police et l'hĂŽpital Rothschild a Ă©tĂ© complĂštement fermĂ©. Et puis ce capitaine, il traversait les chambres et il arrachait les pansements, il donnait des coups de tric au personnel. Et moi, grĂące au personnel et l'aide de ma sĆur, je suis sorti de l'hĂŽpital Rothschild dans un cercueil pour Ă©chapper Ă l'arrestation.
Alors ma sĆur aĂźnĂ©e, elle s'Ă©tait cachĂ©e chez son patron qui Ă©tait Ă rien, et mon pĂšre s'Ă©tait cachĂ© dans l'armoire, puisqu'on disait qu'on arrĂȘtait les hommes et les jeunes filles. Et ma mĂšre est restĂ©e. Seul avec ma petite sĆur. Et quand ils sont venus arrĂȘter ma mĂšre et ma petite sĆur, mon pĂšre est sorti de sa cachette. Il n'a pas oubliĂ© de laisser partir sa femme et sa fille. Alors ils ont Ă©tĂ© arrĂȘtĂ©s tous les trois. Alors ma sĆur avait une collĂšgue de travail dont les parents habitaient Ă JuvĂ©zy. Et ses parents ont dit Ă ma sĆur, vous amenez votre frĂšre chez nous et on le fera passer comme notre petit-fils. Donc, je suis restĂ© chez eux. Et puis, ils m'ont couvert, ils m'ont habillĂ©, comme si j'Ă©tais leur petit-fils. Donc, j'Ă©tais protĂ©gĂ© jusqu'au mois de novembre 1942. Alors, en novembre 1942, nous sommes partis Ă Lyon parce qu'on avait de la famille Ă Lyon. Alors ma sĆur... On s'est trouvĂ© un passeur, on a passĂ© la ligne de dĂ©marcation Ă Bordeaux et quand on a Ă©tĂ© pour passer la route, il a regardĂ© et il a dit « Attention, il y a une patrouille allemande, plantons-nous. » Alors c'Ă©tait deux vieux soldats qui Ă©taient lĂ , ils discutaient entre eux, ils n'avaient rien Ă foutre, ils sont passĂ©s. On a traversĂ© la rue, on a Ă©tĂ© sauvĂ©s. Et on est arrivĂ© Ă Lyon. A Lyon, on avait de la famille. Le frĂšre de ma mĂšre, on a pensĂ© qu'il allait nous donner un coup de main. Il nous a jetĂ©s. J'Ă©tais placĂ© Ă Villeurbanne, Ă Cusset exactement, chez une dame dont le fils avait Ă©tĂ© tuĂ© au chemin des Dames en 1940. Elle avait horte des Allemands, mais elle Ă©tait antisĂ©mite. L'organisation juive payait pour moi, donc ça l'intĂ©ressait. Elle voulait surtout que je devienne, que je sois catholique. Alors il y avait le curĂ© qui venait, tout le monde venait, et moi j'ai toujours refusĂ©, toujours refusĂ©. Elle m'a traitĂ© de tous les noms, de tous les noms, de tous les noms, et elle tirait les cartes. Elle recevait chez elle les gens qui venaient se faire tirer les cartes. Et nous on se planquait dans l'alcove, on entendait des histoires de bonnes femmes, on Ă©tait pliĂ©s, pliĂ©s, pliĂ©s, parce que c'Ă©tait tout des femmes dont le mari avait Ă©tĂ© prisonnier, et elle avait des amants, elle souhaitait que le mari ne revienne pas. Alors lĂ , je vous dis, c'Ă©tait Ă©pouvantable, Ă©pouvantable. Et alors j'allais Ă l'Ă©cole, et l'instituteur, c'Ă©tait un ancien de... 14-18. Et tous les samedis, il allait Ă la levĂ©e du drapeau. C'Ă©tait un pĂ©tiniste. Il savait qu'il avait un enfant juif dans sa classe, il n'a jamais bouchĂ©. Il m'a mĂȘme protĂ©gĂ©. Alors il y avait le curĂ© qui venait, et il y avait un autre monsieur qui venait voir la dame aussi, et qui Ă©tait directeur de l'Ă©cole libre. Et puis je voyais qu'il s'intĂ©ressait Ă moi. Et Ă la libĂ©ration, j'ai appris que c'Ă©tait un des responsables de la rĂ©sistance. Il venait aux nouvelles pour savoir comment ça allait se passer, parce qu'il m'aurait protĂ©gĂ©. Alors moi j'ai... Moi, je peux dire que j'ai une chance inouĂŻe. J'ai toujours pensĂ© que ma mĂšre me protĂ©geait. Moi, je veux dire, j'ai eu une situation incroyable. Ma sĆur, Ă Lyon, elle est rentrĂ©e dans la rĂ©sistance juive. Alors, elle n'a pas fait des coups durs, mais elle Ă©tait boĂźte Ă lait. Et bon, alors je suis restĂ© lĂ -bas Ă Lyon jusqu'Ă la LibĂ©ration. Avec ma sĆur, on est remontĂ© Ă Paris. Et ma sĆur, Ă ce moment-lĂ , elle travaillait, mais elle militait beaucoup dans un mouvement qui s'appelait le Mouvement National contre le Racisme. Ă la LibĂ©ration, il y avait les Allemands qui avaient un camp Ă cĂŽtĂ©. Alors, ils avaient foutu le camp et la rĂ©sistance est arrivĂ©e. Les femmes qui avaient participĂ© Ă la collaboration, alors moi j'allais leur donner des coups de pied. Je me vengeais. Mais j'ai oubliĂ© de vous dire quelque chose qui est important aussi. C'est que, oĂč j'habitais Ă Cusset, il y avait une petite maison d'un Ă©tage Ă cĂŽtĂ©. Au rez-de-chaussĂ©e, il y avait un couple avec un enfant. Et le mari est parti dans la rĂ©sistance. Et la femme... Elle s'est mise en chouille avec un officier allemand. Le mari a appris ça, donc il est descendu pour vĂ©rifier. Et quand elle a appris que son mari Ă©tait lĂ , elle a Ă©tĂ© chercher son amant pour lui dire. Et tout le quartier a Ă©tĂ© cernĂ©. L'officier allemand a dit « OĂč tu te rends ? » « OĂč on fait sauter la maison ? » Il s'est rendu. Et le soldat allemand qui Ă©tait lĂ , il l'a descendu. Net. Alors tous les gens du quartier lui faisaient la gueule, Ă la bonne femme parce que franchement, faire tuer son mari. Et Ă la libĂ©ration, le maquis est descendu, a cernĂ© la maison, elle a pris, elle a couru et je me trouvais Ă la fenĂȘtre quand j'ai vu ça. Le maquis est descendu, lui a dit tourne-toi et puis il lui a mis une balle dans la tĂȘte et la gosse est restĂ©e. L'orpheline, le pĂšre tuĂ© par des allemands et la mĂšre par la rĂ©sistance. A la libĂ©ration, quand on a ramenĂ© les dĂ©portĂ©s, alors avec ma soeur, on allait Ă l'hĂŽtel du Tessia et on n'a jamais vu les parents, ils ne sont jamais arrivĂ©s. Quand j'ai vu ce qui s'est passĂ© Ă l'hĂŽpital Rothschild, je savais. Si ma mĂšre ne venait pas, c'est qu'elle n'Ă©tait plus lĂ . Quand j'ai vu qu'elle ne venait pas, ma soeur a eu beau me dire qu'elle Ă©tait cachĂ©e, qu'elle ne pouvait pas revenir, ça ne marchait pas. Parce que ma mĂšre, pour son garçon, elle a fait n'importe quoi.
Speaker #0Ni sa maman, ni son papa, ni mĂȘme sa petite sĆur Annette ne reviendront jamais. Marcel et sa grande sĆur ThĂ©rĂšse deviennent pupilles de la nation. AprĂšs avoir Ă©tĂ© hĂ©bergĂ©s quelques temps chez une amie de sa sĆur, ils tenteront de rĂ©cupĂ©rer l'appartement familial. En vain. En novembre 1945, Marcel sera admis Ă la Maison d'enfants du Renouveau, une Ćuvre du MNCR, Mouvement National contre le Racisme, qui a notamment beaucoup contribuĂ© Ă cacher des enfants pendant la guerre et qui accueille encore aujourd'hui enfants, adolescents et jeunes majeurs dans le cadre de la protection de l'enfance. Toute sa vie durant, et encore aujourd'hui, Marcel s'est montrĂ© trĂšs actif au sein de la FĂ©dĂ©ration des DĂ©portĂ©s. Il a Ă©galement Ă©tĂ© longtemps bĂ©nĂ©vole au Secours populaire. Infatigable, Marcel continue de perpĂ©trer la mĂ©moire des victimes et tĂ©moigne rĂ©guliĂšrement auprĂšs des jeunes gĂ©nĂ©rations pour transmettre cette histoire essentielle. Au terme de longues annĂ©es de dĂ©marches et de combats administratifs, Marcel obtient enfin la reconnaissance de son statut d'internaĂźt politique. Une victoire officielle amplement mĂ©ritĂ©e. Merci infiniment cher Marcel. de nous avoir accordĂ© cette interview prĂ©cieuse. Merci pour cette Ă©nergie communicative qui vous anime, votre bonne humeur, votre sourire et votre positivisme Ă toute Ă©preuve. Vous ĂȘtes un exemple pour nous tous. Merci Ă vous, chers auditeurs et auditrices qui nous Ă©coutez. Merci pour votre fidĂ©litĂ© et merci de partager ces histoires, ces tĂ©moignages si importants et si forts. Ne perdons pas l'histoire, racontons-la, Ă©coutons-la, partageons-la. C'est essentiel, surtout en ces temps troublĂ©s, de se souvenir et de transmettre. Alors vous pouvez vous abonner sur toutes les plateformes de podcast, vous pouvez Ă©galement vous abonner Ă ma newsletter pour recevoir directement les nouveaux Ă©pisodes dans votre boĂźte mail. Et si ce podcast vous plaĂźt, n'hĂ©sitez surtout pas Ă me suivre sur les rĂ©seaux, notamment sur Instagram. Vous pouvez aussi laisser des petits messages, des commentaires, des Ă©toiles sur les plateformes de podcast. On se retrouve trĂšs vite pour un nouvel Ă©pisode. Allez, salut ! C'Ă©tait Enfants de la Shoah, un podcast de Catherine Benmaor.