Speaker #0Étant donné que chez mes parents, dans la région parisienne, on était entre deux gares de triage, il y avait des bombardements sans arrêt. Et puis, ma mère était bien obligée de travailler, elle était toute seule au foyer. Et à l'époque, elle faisait les 3-8, c'est-à-dire tantôt le matin, l'après-midi et tantôt la nuit. Et elle ne voulait pas me laisser la nuit toute seule parce qu'elle savait que moi, je ne serais pas descendue aux abris. Je suis claustrophobe. On habitait au cinquième étage. Avec la cave, ça faisait six étages. Et je disais toujours à ma mère, mais tu te rends compte ? Si la maison s'écrase, on aura six étages de gravats, on ne sortira pas. Alors que si on reste chez nous, on n'aura qu'un étage, on aura un peu plus de chance. Et je ne voulais pas descendre à la cave. Et elle, elle avait tellement peur des bombardements, elle voulait descendre. Et elle savait que si j'étais seule, je ne serais pas descendue à la cave, c'est vrai. Donc elle m'avait mis en pension, c'est des gens que je ne connaissais pas, c'était des amis de voisins, dans le Loiret, une petite ville qui s'appelle Les Bordes. Et je me suis retrouvée avec ces gens-là, qui m'ont emmenée en exode avec eux. Quand on est parti avec la dame, on est parti avec des amis à elle, qui avaient un bébé dans une poussette. Donc on a mis le bébé, bien sûr, mais quelques trucs dans la poussette, ça faisait ça moins lourd. On avait tous un petit sac à dos, avec des trucs dont elles pensaient qu'on aurait besoin. Et puis on est parti comme ça, marchant, marchant, marchant. Alors pendant 15 jours de descente et 15 jours de remontée, on couchait par terre. le long des routes, dans les bois, quand il y avait des bois qu'on les traversait, et c'est tout. On marchait, on marchait, on marchait tout le temps. On ne se lavait pas, on n'avait pas d'eau, on n'avait rien. On suppliait les fermiers de nous vendre du lait, parce qu'il y avait des bébés, ils ne voulaient pas. Et le verre d'eau... À la pompe, au-dessus de la brevoire où buvaient les vases, les paysans nous faisaient 5 francs le verre d'eau. À tout le monde. Il y a des paysans qui se sont enrichis pendant la guerre. Surtout qu'à l'époque, on payait l'eau. À l'époque, on ne la payait pas. Au début, on avait emporté un peu. Pendant 2-3 jours, on avait un peu emporté. Mais après, on n'avait plus rien. On n'avait plus rien. À la fin, alors, disons qu'à partir du 6e, 7e jour, on était vraiment démunis, il n'y avait plus rien. Même dans les épiceries, les gens étaient partis aussi en exode, donc il n'y avait plus rien. On a rencontré des soldats qui étaient en déroute, qui nous ont donné des biscuits de soldats. Donc c'est la dernière chose que j'ai mangée. Et après, on est restés 5 jours entiers sans rien manger. Rien. Quand on s'est trouvé né à né avec les Allemands, bon, c'est pas l'époque, mais c'est maintenant, j'y pense, je me dis, ils ont dû se dire, mais qu'est-ce que c'est que ce peuple de gens sales, pas lavé, pas changé, rien. Quand ils nous ont vus, ils nous ont dit, comme, comme. Et ils avaient une marmite plus grande que la table, comme ça. Moi, j'arrivais juste à la hauteur, à voir ce qu'il y avait dedans. Il y avait un liquide noirâtre. Et puis des pavés blancs, comme du saindou, je ne sais pas quoi. Et ils nous ont donné à chacun une gamelle avec un peu de ce bouillon-là. Quand vous n'avez rien mangé depuis cinq jours, moi j'avais laissé ça comme ça. Cinq minutes après, c'est reparti. Parce que quand on n'a pas mangé, il faut après manger doucement. Et là, quelques cinq jours, j'étais malade. Ils avaient des consignes de bien se conduire avec la population, je suppose. Parce que là, on ne peut pas dire, ils ont été... Et quand on a vu ça, on est remonté. Une fois qu'ils étaient là, ils allaient envoyer partout. Donc si on descendait, ils y étaient, puisqu'ils étaient arrivés par là. On a mis 15 jours pour descendre et on a remis 15 jours pour remonter en enjambant tous les cadavres qui étaient restés sur les routes. Les gens, des chevaux, une odeur pestilentielle. Il a fait très chaud ce mois de juin 1940. Ça a été vraiment l'exode, ça a été quelque chose de terrible. On avait des enfants avec nous, des enfants, un enfant de 4 ans par exemple, un petit Jean, un enfant de 4 ans. Alors de temps en temps on le mettait un peu sur la poussette du bébé, mais je ne sais pas comment ce bébé a survécu d'ailleurs. À l'école, au début de la guerre, ils nous avaient obligés à aller chercher des masques à gaz. Vous les avez vus, vous les connaissez les masques à gaz ? Moi, je les ai photographiés pour les montrer aux gosses. C'était haut comme ça, et c'était insupportable. Moi, je mourais là-dedans, comme je n'ai pas beaucoup de souffle. Parce que les gens se mettaient au masque pour le Covid, et je leur disais, je leur montrais là, je leur disais, voilà ce qu'il fallait qu'on porte pendant la guerre. Ils ne disaient plus rien. Je m'en servais comme oreiller. La boîte en fer, quand je me coussais, une nuit, il y a quelqu'un qui me l'a volée. J'étais contente parce que je n'avais plus à le porter, mais j'étais embêtée parce qu'on nous avait dit qu'après la guerre, il faudra le rendre. Mais on ne nous a jamais rien demandé. Mais des années après, je me suis dit, mais quand même, un adulte qui a le culot de voler un masque à gaz à un enfant, il faut vraiment le faire. Alors c'était en juin, donc en juillet on est rentré à la maison, début juillet, enfin la maison c'est la dame là. Ils étaient garde-barrière mais comme il n'y avait plus de train, on jouait avec la, elle avait une fille de mon âge, on jouait sur la voie. Pendant au moins un mois et demi, je n'ai eu aucune nouvelle de ma mère. Il n'y avait plus rien, il n'y avait plus de courrier, il n'y avait plus de train, il n'y avait plus rien. Je ne savais pas si elle était morte ou si mon père était vivant. Je me rappelle qu'un jour sur la route, de loin, j'ai vu un soldat, j'ai cru que c'était mon père. Je me suis précipité vers lui, puis lui, il m'a tendu les bras. Alors, j'ai vraiment cru que c'était mon père, il m'a monté à sa hauteur. Et j'ai cogné mes lunettes contre son casque, j'ai cassé mes lunettes. C'était pas mon père, c'est pas peut-être qu'il avait une gamine qui me ressemblait, c'est pas, c'est pas pourquoi il m'a tendu les bras comme ça. Et voilà. Et un matin, on jouait sur la voie ferrée. Et tout d'un coup, vous entendez « Mimi ! » Au début, je n'ai pas fait mon tapis. Il dit, c'est la voix de ma mère. Elle n'avait aucune nouvelle non plus, puisqu'il n'y avait pas de courrier. Elle ne savait pas non plus si j'étais vivante ou pas. Elle est descendue à pied, en autostop, de Paris à 40 km d'Orléans. Et elle a fini par arriver sur la voie, comme il n'y avait pas de train. Les gens lui avaient dit, là, vous le trouverez facilement, c'est le garde-barrière. Je te dis pas la joie quand je l'ai vue. Et elle m'a dit, ben t'es bien, tu vas rester. J'ai dit non. Tu me ramènes avec toi, je ne veux plus revivre ça. Ne pas savoir s'il était mort, s'il était vivant. Je voulais... Non. Et ben elle était gentille, elle m'a ramenée. Voilà. Et je préférais rester même la nuit, je lui promettais de descendre et... Et voilà. Et quand on est rentré à la maison après l'exode, il n'y avait plus rien. La maison avait été pillée complètement. Et moi, l'exode, c'était en 40, j'avais 9 ans. Et je me suis dit, quoi qu'il arrive, tu ne quitteras jamais ta maison. Vous voyez, ça m'avait tellement frappé de voir cette maison. Il ne restait plus que le bois de lit. J'en veux énormément à l'État français, parce que l'Exode, c'est eux qui l'ont organisé. Ils ont mis la panique dans le pays. C'est la radio. Les Allemands vont arriver, sauvez-vous. Mais c'est complètement idiot, ils vont arriver, mais on va bien les rencontrer à un moment ou à un autre. Mais les gens n'ont pas réfléchi. Vraiment, ce gouvernement, je lui en veux. Ils ont mis la panique dans le pays. Mais vous vous rendez compte, 10 millions de gens sur les routes.