- Speaker #0
Je veux que ça fasse comme K2000. Donc on va chercher K2000, le générique, parce qu'il ne s'en rappelle plus. C'était un truc des années 80. Voilà, tu vois comment ça sonne. Je veux ce même stress, etc. Donc c'était vraiment génial.
- Speaker #1
Je suis Julien Bordier et je suis ravi de vous retrouver pour cette nouvelle saison de Dans le Décor avec la Sacem. Dans chaque épisode, je vous emmène dans le lieu de création d'un artiste pour une visite en sa compagnie. Dans le décor, c'est une rencontre en forme d'exploration sonore pour redécouvrir le parcours d'une personnalité, sonder ses inspirations et faire l'état des lieux de ses projets. Les murs avaient des oreilles, maintenant, ils ont une voix. La musique accompagne nos vies et, depuis 170 ans, la Sacem accompagne celles et ceux qui la créent. 182 520 auteurs, compositeurs et éditeurs de musique l'ont choisi pour gérer leurs droits d'auteur et représenter leurs œuvres. La Sacem contribue à la vitalité et au rayonnement de la création sur tous les territoires, via un soutien à des projets culturels et artistiques. Société engagée, elle offre des dispositifs d'entraide et de solidarité à ses membres. Aujourd'hui, je rends visite à Imany. La chanteuse m'a donné rendez-vous au Subversive Soul Studio, à Pantin, en Seine-Saint-Denis où elle a enregistré une grande partie de son dernier album, Voodoo Cello. Accompagnée de huit violoncelles, c'est ici qu'Imany a jeté un sort à des standards de la musique pop et de la chanson, reprenant par exemple Henry Salvador, Madonna, Bonnie Tyler ou encore Imagine Dragons. L'endroit appartient à son label Singzik, dirigé par son mari Malik Ndiaye. Installé sur un imposant canapé en cuir, dans un coin de la grande cabine de prise de son, forcément, Imany se sent un peu comme à la maison ici.
- Speaker #0
Toutes les choses qui sont là sont personnelles en fait. Il y a des meubles qui étaient au label pendant des années, il y a des choses à moi, des meubles à moi. Le canapé sur lequel je suis assise, c'était le premier canapé que je me suis acheté avec mes sous quand j'ai commencé à faire de la musique et que j'ai réussi à avoir mon propre appartement, etc. Donc il y a plein de choses personnelles. Donc la vibe, elle est familiale.
- Speaker #1
Qu'est-ce que vous avez apporté par exemple à part ce canapé ?
- Speaker #0
Le Juju Hat derrière vous, c'est un chapeau camerounais traditionnel, mais nous, on l'a mis au mur, donc plein de plumes. Les guirlandes, il devait me les ramener, il ne les a jamais ramenées. Le producteur, parce que le producteur est mon mari, donc il en profite, il se sert dans mes affaires. Qu'est-ce qu'il y a à moi ? Les tapis étaient à moi, le globe qui est là derrière vous, il était à moi, je l'ai depuis mes 20 ans. C'est un truc de jeune adulte. La carte derrière est à moi, la petite dînette est à mon fils.
- Speaker #1
C'est un lieu d'enregistrement, mais c'est un lieu de vie aussi.
- Speaker #0
C'est un lieu de vie, il faut aussi se sentir bien. Puis quand on a une cabine aussi grande comme ça, ça peut être un peu angoissant. Et puis en fait, il faut qu'on s'y sente bien. Et l'idée, c'est de se sentir comme à la maison. Donc on a amené des choses. Le piano derrière est à moi. On a amené des choses qui ont une histoire du coup. Ce fauteuil zébré un peu, Bokassa, ça a toujours été au label de Malik, à l'époque où il avait des tout petits bureaux et tout ça. Ils ont toujours eu ce truc-là, il est complètement défoncé, mais il a quand même une gueule. Et puis quelque part, ça montre le chemin parcouru, je trouve. Il a toujours été là, ce fauteuil.
- Speaker #1
Et alors il y a une boule à facettes aussi, ça veut dire qu'ici des fois ça se transforme en club ?
- Speaker #0
Pas que je sache, mais peut-être, je vais demander.
- Speaker #1
Comment ça se passe une journée de création en studio comme vous l'avez fait pour cet album ?
- Speaker #0
Avec cet album, ça s'est fait en plusieurs étapes, mais comme c'est un album qui est entièrement réalisé au violoncelle et à la voix, je suis venu avec deux violoncellistes avec lesquels je travaille depuis longtemps, Julien Grattard et Rodolphe Liskovitch. Et en fait, j'avais déjà travaillé au préalable dans un petit studio chez moi, enfin un home studio, comme on appelle ça, en voix guitare. Et je suis arrivé ici, j'ai enlevé la guitare et après on a colorié la voix avec le violoncelle. Donc on commence la journée, on se papote, on raconte nos vies, on se fait un thé, on discute et puis on écoute le titre. Et puis je leur explique ce que j'entends. J'ai envie que ce soit un titre un peu groove, alors comment on fait ? On cherche la basse, on cherche la rythmique. Et puis après on cherche la couleur. Et alors on se dit tiens on a envie que ça aille plus du côté des Caraïbes, on a envie qu'il y ait un feeling un peu plus hip hop, alors voilà. Et on tâtonne, et on trouve.
- Speaker #1
Quel était le point de départ de cet album ? Je crois qu'au début, ce n'était pas forcément prévu comme un album. C'était plutôt pour aller sur scène.
- Speaker #0
Oui, c'était un spectacle au départ. Donc, ce n'est pas mal de passer par cette étape-là parce que je ne m'étais pas mise de hors barrière. Quand on pense à un album, il faut penser à des chansons pas trop longues, parce qu'il faut penser à la radio derrière et puis il faut réfléchir à un format efficace. Et moi, je n'avais pas du tout envie d'avoir ces contraintes-là au départ. D'ailleurs, je ne les avais pas puisqu'au départ, c'était un spectacle. Du coup, j'ai réfléchi plus dans ce que j'attends quand moi je vais voir un spectacle. Donc je me suis dit tiens on va faire ce titre là mais on va paumer les gens. C'est à dire que dans l'intro on va faire complètement autre chose, on va créer des surprises à l'intérieur, on va faire des medley. On est vraiment parti loin parce qu'on s'est dit de toute façon on s'en fiche, en live on fait ce qu'on veut. Le caractère efficace il n'est pas aussi déterminant que sur un album. Donc on est parti avec un truc très très libre. Finalement, entre temps, on s'est dit on va faire un album, ce serait bête de ne pas garder une trace, mais le mal était déjà fait. Faire des reprises, c'est toujours spécial, il faut garder l'essence de la chanson, mais en même temps, il faut y mettre une part de soi, une grosse part de soi, sinon ça n'a aucun intérêt, parce que la chanson, elle existe déjà, elle n'a pas besoin de vous. Mais par contre, y mettre de soi, c'est apporter une lecture supplémentaire à cette chanson qu'on connaît. Je fais Like a Prayer de Madonna. Tout le monde connaît cette chanson, c'est une immense chanson. Alors qu'est-ce que moi je peux lui apporter ? Et c'est ça,
- Speaker #2
c'est toute la question. Oh, when you call my name, it's like a little prayer. I'm down on my knees, I wanna take you there. In the midnight hour, I can feel your power. Just like a prayer, you know I'll take you there.
- Speaker #1
On connaît vos combats contre le racisme ou pour le féminisme. Comment on peut traduire aussi des choses comme ça personnelles à travers des chansons d'autres artistes ?
- Speaker #0
Le choix du répertoire, il y a des chansons très claires qui parlent de sujets comme le racisme, mais évidemment comme Black Little Angels, qui demandent aux peintres de son temps. C'est une chanson qui a été écrite en 1929 quand même et qui demande pourquoi, si vous mettez de l'amour dans votre art, vous ne baignez pas les anges en noir. Alors c'est un sujet très précis en 1929, mais en 2021, ça couvre énormément de choses. Mais en même temps, au fond, c'est l'exclusion et à la fois l'inclusion, le racisme, la place des dominés dans l'art, etc. Donc là, il n'y a pas grand chose à faire, tout est dit. Mais comment on l'arrange ? on lui apporte une lecture supplémentaire. Nous, on a fait un truc extrêmement dramatique, par exemple, sur cette chanson. C'est une chanson latino, à la base, un espagnol qui a été adapté en anglais. Enfin, mexicaine, pardon. Et donc, on a fait un truc un peu dramatique. Mais si vous prenez I'm Still Standing de Elton John, que vous la ralentissez, eh bien, ça devient une chanson de résistant.
- Speaker #2
Don't you know I'm still standing Better than I ever did Merci. Looking like a true survivor Feeling like a little kid I'm still standing after all this time Picking up the pieces of my life Without you on my mind I'm still standing Yeah,
- Speaker #1
Cette flamme militante que vous avez en vous, qui l'a allumée au départ ?
- Speaker #0
Mon père, il a toujours été comme ça, il faisait partie et créait des partis, des associations politiques dans lesquelles il râlait beaucoup. Il a toujours eu le coup de gueule pour l'injustice, pour les choses. Il a toujours eu un recul sur ce qui se passait dans son pays de naissance, les Comores. Il a toujours eu un recul aussi sur ce qui se passait en France, sur comment le gouvernement traitait les gens, etc. Donc moi, j'ai grandi en entendant ça. Et donc avec un refus de l'injustice, quelle qu'elle soit en fait.
- Speaker #1
Et à quel moment la musique est entrée dans votre vie ?
- Speaker #0
Tout de suite, je pense, je n'arrive pas à me rappeler exactement, mais j'étais jeune, j'aimais chanter, j'aimais la musique. Mes parents ne viennent pas de la musique, donc ils écoutaient la radio, comme tout le monde. Donc j'aime bien dire que j'étais un enfant du top 50, parce que c'était la télé, c'était la radio. Et puis j'écoutais de la variété, française, américaine, surtout américaine. Et voilà. Et là, je voyais que chanter, ça me provoquait quelque chose. Le chemin, il a mis du temps à se faire. Mais en tout cas, très vite, la musique a eu un effet sur moi.
- Speaker #1
Mais ce n'est pas la voix que vous avez choisie au début.
- Speaker #0
Non. Je voulais faire ça tôt, mais bon, mes parents ne venaient pas de la musique. Ils sont venus des Comores, pas pour faire de leurs enfants des chanteurs. Ils étaient venus pour nous apporter un avenir. Donc, mon père, il imaginait plus un avocat ou un docteur pour sa fille. Et donc moi j'ai été élevé dans ça. Donc je me suis dit, je serais peut-être journaliste. Même ça, journaliste, j'ai trouvé que c'était un peu trop funky. Mais au fond de moi, j'avais envie d'être chanteuse. C'est juste que j'avais éteint cette voie parce que je me disais que ce n'était pas pour moi. Je ne connaissais pas d'artiste, je ne connaissais pas de chanteur ou de chanteuse qui aurait pu me dire, mais si, si, si, c'est possible en fait. Non, je ne connaissais pas.
- Speaker #1
La petite Nadia M. Lajau grandit à Martigues, dans les Bouches-du-Rhône, où son père est pompier dans l'armée de l'air. À l'âge de 10 ans, elle décide de se faire appeler Imani. qui signifie « foi » en swahili. Sportive, l'adolescente, inscrite à l'INSEP, participe à des championnats de saut en hauteurs. Et à 17 ans, elle est repérée par une agence de mannequins. Deux ans plus tard, elle s'installe à New York et défile pour Calvin Klein. C'est là-bas, aux Etats-Unis, que la passion pour la musique finit par la rattraper.
- Speaker #0
Je suis seul là-bas, donc vraiment, les liens familiaux sont loin, il y a un océan entre ma famille et moi, et donc, quelque part, c'est l'endroit qu'il fallait que je découvre. pour pouvoir un peu m'émanciper des chaînes un peu familiales, culturelles et qui nous empêchent de faire ce qu'on a vraiment envie de faire souvent. À 22, 23, ça me démange vraiment. Je me dis, je suis à New York, là je fréquente des artistes vraiment de tous bords, des scénaristes, des chanteurs, des acteurs, des gens qui font du cabaret, enfin voilà. Et du coup, je me dis, ils ont le même âge que moi en fait, et ils se battent et ils viennent aussi. À New York, il n'y a que des expats d'une certaine manière. Et donc petit à petit j'ai le courage, donc je fais ce que je fais aujourd'hui, c'est-à-dire je fais des reprises. J'ai pas de répertoire, donc je fais des reprises et je chante les chansons des autres, je prends des cours de chant, je tâtonne parce que j'arrive dans la musique sur le tard, je suis un autodidacte, donc je suis complexé. Et jusqu'à ce que je me rende compte, en fait je vais pas pouvoir chanter les chansons des autres longtemps, il y a pas de gens qui vont m'écrire des chansons, donc j'écoute d'autres chanteurs et je me dis, ah tiens lui il fait ça, il s'autorise ça et donc je rencontre des musiciens, un guitariste à qui je dis tu veux pas qu'on écrive des chansons ensemble toi tu feras la musique la grille et puis moi je me occuperai du texte de la mélodie parce que par contre moi j'ai toujours eu des mélodies qui me venaient me visiter j'ai pas fait de musique j'ai pas joué d'instruments mais la musique pour moi elle me vient par le chant toujours donc c'était très facile quand j'étais petit d'entendre une chanson de je sais pas moi michael jackson et d'entendre une autre mélodie par dessus sur la musique c'était facile pour moi donc une fois que j'ai trouvé un guitariste Les mélodies me viennent facilement et puis après j'apprends à écrire des textes, à ce que c'est qu'un refrain, un couplet, un pont. Et c'est comme ça que j'ai commencé.
- Speaker #1
Inspirée par Tracy Chapman, Imani commence par sortir en 2010 un premier EP, acoustique, porté par le tube You Will Never Know. Suivront les albums The Shape of a Broken Heart en 2011 et The Wrong Kind of War en 2016. Deux disques couronnés de succès. Mais en 2018, Imani annonce vouloir faire une pause. Je suis content de vous retrouver en studio parce qu'à une époque, vous aviez annoncé peut-être que vous alliez arrêter la musique. Qu'est-ce qui s'est passé ?
- Speaker #0
J'étais fatigué, j'ai fait deux journées épuisantes où vraiment j'ai dit oui à tout. Et en plus, j'avais eu un enfant entre-temps. J'ai accouché. Trois, quatre mois plus tard, je suis repartie avec lui sur les routes. C'était épuisant et je n'ai pas écouté mon corps qui n'arrêtait pas de me dire j'en peux plus. parce que quand on se bat toute sa vie pour essayer d'être signé en tant qu'artiste, d'exister, que les gens se déplacent, viennent vous voir. C'est un peu difficile de dire non quand vous avez des sollicitations. Sauf que le corps, lui, tout ça, il s'en fout. Et en fait, je sais pas... Ouais, j'ai pas ménagé mon corps, donc voilà, j'ai dit burn-out parce que c'est le mot, mais c'était certainement ça, je me suis cramé de l'intérieur. Et en fait, il y a un truc, c'est que peut-être c'est la société dans laquelle on vit, mais on a l'impression que le corps est au service du mental, et moi j'ai un gros mental. Donc je me dis, je peux y arriver, c'est pas grave, je peux y arriver. J'ai mal partout, mais c'est pas grave, je peux y arriver. Et donc en fait, j'ai méprisé mon corps, et comme c'était devenu une espèce d'usine ou un ouvrier, on va dire, à mon service, j'ai pas entendu, Et du coup, j'avais un dégoût pour ce que je faisais. Je n'arrivais plus à suivre. Donc, je ne me voyais pas continuer. Donc, dans la radicalité dans laquelle je me suis retrouvé, j'ai annoncé que j'allais arrêter la musique parce que je ne voyais pas comment je pouvais faire autrement.
- Speaker #1
Et vous avez envisagé peut-être de faire autre chose pour retrouver une autre envie, un autre quotidien ?
- Speaker #0
Oui, mais au départ, je n'étais pas dans le projet. J'étais vraiment dans un truc de me réparer, de prendre mon temps. et puis en plus... Je suis tombée enceinte et faire un enfant c'est quand même un travail à plein temps. Le deuxième bébé c'est pas le même que le premier, j'étais à la maison, j'étais tranquille, je pouvais m'occuper du premier et puis après il y a eu le confinement. C'est vraiment le bébé du confinement qui elle, elle a eu ses deux parents à la maison, elle a eu de la chance par rapport au premier. Donc c'était complètement autre chose et donc de prendre le temps, d'écouter son corps et de se réparer. ça permet d'entendre les voix qui vous parlent, qui vous crient aux oreilles et que vous décidez de ne pas entendre. Je n'étais pas en train de me dire, tiens, je vais faire autre chose. Je me dis, je vais arrêter, on va bien voir.
- Speaker #1
Et comment c'est revenu alors, l'envie ?
- Speaker #0
Je n'arrive pas à me rappeler exactement. On me pose vraiment souvent la question en ce moment. Je ne sais pas, ça allait mieux. Puis j'allais voir d'autres concerts parce que j'étais tellement traumatisé que je ne pouvais pas aller voir les autres chanter. Je les imaginais en train de souffrir sur scène de fatigue. Enfin, je faisais une projection de moi. Donc, je n'y allais pas. Je suis allé voir Delgres, qui est un groupe super, un groupe de blues, rock entier. Puis, j'ai vu la joie qu'ils avaient sur scène. Je me dis, ah tiens, en fait, ouais, c'est cool, la vie sur scène. Donc, petit à petit, j'ai repris ce projet que j'avais en tête depuis 2013. Je me suis dit, bon, si je reviens, je vais venir parler à la scène, faire quelques petits concerts, pas beaucoup. Donc, je vais venir avec un concept. Un truc qui ne va pas m'enchaîner, un truc qui va être créatif, un truc qui va être intéressant, qui va me sortir de ma zone de confort et qui finalement va me bouleverser, va me secouer un peu, puisque j'étais complètement cramé. Quand on brûle la terre en agriculture, c'est pour qu'elle se régénère. Donc voilà, ma terre s'était régénérée peut-être. Et donc j'avais envie de revenir avec quelque chose de nouveau.
- Speaker #1
Imani a donc repris le chemin du studio. Mais pas seule. Elle a choisi de revenir en bonne compagnie. Avec 8 violoncellistes, pas moins.
- Speaker #0
Je voulais faire ça avec un quatuor accord au départ. Jusqu'à ce qu'un de mes violoncellistes historiques me dise « Mais va voir un quatuor accord en musique classique, ça existe. Et te connaissant, ça risque de te plaire. » Et bon, il m'a fallu 30 secondes, je savais que c'est ça que je voulais. Parce que le son d'un quatuor de violoncelle, je vous conseille. En musique classique, c'est exceptionnel. Et donc voilà, j'ai été bouleversé. Je me suis dit « Ah oui, ok. » Bon, après je ne connaissais rien du tout et ça s'est vu au départ. et je pense que c'est parce que je n'y connaissais pas grand chose que j'ai réussi à le faire parce que je suis réussi à amener le projet aussi loin. Si j'avais été violoncelliste ou si j'avais été très au fait de ce qu'on demande en musique classique, je ne me serais pas poussée. Aussi loin, j'aurais dit, bah non, en musique classique, on ne peut pas faire ça. Ou bah non, à violoncelle, on ne joue jamais là. Moi, je ne savais pas. Alors, de temps en temps, je disais, oui, je voudrais que ce soit encore plus aiguille. Et ils pouvaient le faire. Ah non, mais on ne joue jamais aussi près du chevalet. Ce n'est pas possible. Ce n'est pas possible, Imani. Je ne veux pas. je leur dis mais viens on essaye quand même ça va casser l'instrument quand même Et donc du coup on est allé très très loin dans les sons du violoncelle. J'ai regardé ce qui se faisait en musique contemporaine parce qu'eux ils sont hyper libres. Et j'ai mélangé ça avec ce que moi je connais de la musique pop. Et en fait je ne sais pas regarder le truc en me disant « ouais je vais monter la Napurna, ça va être génial » . J'ai monté une montagne et en arrivant là-haut on m'a dit « au fait tu es au courant que c'était la Napurna » . Voilà c'est comme ça que ça s'est fait un peu. Quand on ne connait pas les choses on va au plus loin, on marche, on marche, on marche, on marche et puis il y a une barrière, puis finalement tu te dis, elle sert à quoi cette barrière ? Et on passe par-dessus. Parce que j'ai pas tout l'historique de la musique classique. Et en fait, c'est vraiment un spectacle à voir aussi. L'album, évidemment, il faut l'écouter. Mais en plus, il prend tout son sens une fois qu'on le voit. Parce que je l'ai tellement loin que je leur ai enlevé la partition. Parce qu'un musicien de musique classique, souvent, il joue en face d'une partition. Donc j'enlève la partition, ils jouent par cœur. C'est pas quelque chose de facile pour eux. Et je leur enlève la chaise. Donc ils jouent debout. Et le violoncelle, ça se joue assis. depuis la nuit des temps, mais non je debout, tous. Enfin, pas moi, parce que moi, je ne joue pas, mais moi, je chante. Mais même moi, je me suis enlevé le micro. Donc, on s'est enlevé un peu des membres avec lesquels on s'était construit. et on s'est dit, voyons ce qui se passe. Et en fait, ce qui se passe, c'est que c'est génial.
- Speaker #1
Parce que vous bougez aussi, c'est ça, avec leurs instruments.
- Speaker #0
Ils bougent avec leurs instruments, ils me suivent, je les suis, et puis c'est une vraie troupe. C'est la rencontre du théâtre, du cirque, de la danse, de la musique, de la musique classique, de la musique pop. Et c'est vraiment une convergence des cultures.
- Speaker #1
Dans Voodoo Cello, on entend des airs connus, comme I'm Still Standing d'Alton John, un tube pop de l'année 2000, All The Things She Said du duo russe Tattoo, qui parle d'homosexualité, un classique de la chanson française Ne Me Quitte Pas de Jacques Brel, mais dans sa version anglaise. Si les sources sont éclectiques, le résultat brille par sa direction artistique et sa cohérence musicale. Mais certaines reprises ont donné du fil à retendre.
- Speaker #0
Il y en a eu deux, mais pour des raisons différentes. Wild World, de Cat Stevens, que j'ai réadapté en comorien, j'ai fait quatre versions. Je n'arrivais pas musicalement, je voulais absolument faire cette chanson. Je l'ai faite en anglais d'abord et ça ne marchait pas. Jusqu'à ce que je tombe sur ma mère par hasard qui me l'entende. J'allais l'abandonner en fait, elle n'était pas au niveau des autres. J'entends ma mère qui dit Ah mais c'est une chanson comme Aurienne ça Donc elle m'explique que quand elle était jeune, il y avait cette chanson qui était chantée par un artiste qui s'appelle Abu Ausha, qui chantait cette chanson en comorien. Je lui ai dit non, non, non, pas du tout. Il a dû faire une adaptation à l'époque. Et ça, ça tournait à la radio et elle s'en est rappelée. Donc on part dans une mission pour retrouver cette version en comorien qu'on ne retrouve pas, parce que même on retrouve l'artiste et lui, il ne s'en rappelle pas. Enfin, il avait dû le gratter sur un bout de papier comme ça. Enfin, c'était il y a 40 ans, quoi. Donc, ou plus que ça même. Et puis, on décide de faire. Cette version en comorien nous-mêmes, une autre adaptation avec ma mère et ma cousine, on a réussi. Et donc d'un coup, les arrangements, ça coule de source. Et c'est revenu... C'est parce qu'on n'était pas complètement axés comme il fallait. Et après, la plus dure pour moi, c'était vocalement, c'était techniquement, c'était Take Me to Church de Osier. Parce qu'à l'intérieur, il y a tellement de variations de mélodies. Je me suis fait violence. Ça m'a demandé d'aller... dans des endroits techniquement où moi je ne vais pas parce que je n'ai pas besoin, parce que je n'ai pas envie, parce que je m'estime être une folkeuse. Les folkeuses, elles racontent des histoires, je ne suis pas une vibeuse de R'n'B et tout ça. Mais ça m'a forcé, moi aussi, à sortir de ma zone de confort musicalement.
- Speaker #1
Tout au long de Voodoo Cello, Imani chante en comorien, en anglais et pour la première fois dans un album en français. Elle a choisi de reprendre un titre d'Henri Salvador de 1989, aussi superbe que méconnu, Les voleurs d'eau.
- Speaker #0
C'est une chanson qui demande aux gens de se rassembler, de se fédérer pour se battre contre les méchants en face qui veulent nous voler l'eau. Pour moi c'est une chanson sur le capitalisme sauvage qui arrive et qui se sert de la planète. comme si c'était à lui et qui en a rien à foutre et qui utilise tout et puis qui détruit tout et dont des populations, des villages qui se nourrissent et qui se sont construites autour de cette eau. Donc moi j'ai arrangé cette chanson un peu comme un... j'ai dit ça d'ailleurs comme image aux musiciens, imaginez-vous que vous êtes en haut de la montagne, vous êtes cet indien avec la couverture et qui fait un appel voilà de fumée à toutes les autres tribus pour qu'ils viennent se rassembler pour qu'on se défende. Donc voilà, je l'ai imaginé comme ça d'abord la chanson. Donc c'est un appel, ça n'appelle les esprits, c'est la danse du feu. Il détourne la rivière,
- Speaker #2
là-haut, là-haut. Il se moque de nos misères, là-haut, là-haut. Si la soif nous affaiblit et si nos sources sont tarées, Boulot, Odo,
- Speaker #0
vont périr l'anap...
- Speaker #2
C'est comme ça que vous communiquez avec les musiciens par image ?
- Speaker #0
Oui, parce qu'en fait, comme je n'ai pas le vocabulaire technique de la musique, comme je disais, je suis une autodidacte. Il faut que j'arrive à leur faire comprendre, non, non, non, c'est pas ça que je veux, je veux vraiment que ça sonne comme un film d'horreur. Je veux que, tu vois, la manière dont tu fais cette phrase, ce soit aigu et dissonant, je veux qu'on soit mal à l'aise. Imagine, je parle de Bonnie Tyler par exemple, de Total Eclipse of the Heart, imagine qu'elle est dans un bois, il fait nu, elle tient la main de son mec, donc ça va, tout va bien. Puis la main, elle lâche, il s'en va et il la laisse là. Donc imagine l'angoisse à l'intérieur d'elle, voilà, donc à cet endroit-là, je veux sentir l'angoisse. Et je leur dis ça. Et puis après, ils me sortent des trucs, je dis non, il faut que ce soit plus aigu, non, il faut que ce soit plus violent, non, il faut que ce soit plus méchant, non,
- Speaker #2
il faut que ce soit plus flou. Et on tâtonne et on trouve. Once upon a time, there was light in my life. Now there's only love in the dark. Thing you can say, the two real clips on the heart.
- Speaker #0
La musique, je l'entends toute faite, moi. C'est juste que c'est très difficile pour moi de la traduire pour les autres. Donc il faut que je passe par un médium, un média, qui est l'image. C'est pour ça que d'ailleurs, on m'a fait la réflexion, c'est très cinématographique. Mais en fait, on a utilisé des images cinéma. On a utilisé même, par exemple, il y a un titre où je dis, je veux que ça fasse comme K2000. Donc, on va chercher K2000, le générique, parce qu'il ne s'en rappelle plus. C'était un truc des années 80. Voilà, tu vois comment ça sonne. Je veux ce même stress, etc. Donc, c'était vraiment génial d'essayer de faire... comprendre ce que moi j'entendais alors que j'ai pas le vocabulaire et eux ils m'ont éduqué aussi c'est à dire que quand je disais ah je veux que ça sonne comme ça ils faisaient ah bah ça ça s'appelle un ponticello chez nous donc à la fin du projet j'utilisais leurs termes je disais bah je le veux pas aussi ponticello que ça je le veux moins donc ils comprennent et quand je dis ah je veux les souris ah ils savent que les souris ça correspond à je sais plus quel plan de violoncelle parce que ça fait et on dirait des souris donc maintenant mon équipe est en train ah je veux moins de souris Je veux plus de coups de couteau, je veux plus de... On a créé notre propre vocabulaire à nous et ils ne m'ont jamais méprisé de ne pas connaître.
- Speaker #1
Là-bas, il y a la petite cuisinière. Ça veut dire que vos enfants, il vient en studio, il assiste aux séances.
- Speaker #0
Oui, de temps en temps, on l'amène. Il est venu et puis quand on doit faire un mix ou un truc, il est là, il joue. Généralement, il monte sur la batterie, il tape dessus. ou alors il y a le piano. Ma petite a deux ans, elle commence timidement à venir aussi, elle est un peu impressionnée par le lieu. Mais Isaya, mon fils qui a cinq ans, il est chez lui. Déjà, le petit fauteuil à côté, c'était le sien aussi. Ah oui, c'est un petit fauteuil de patron. C'est un truc de brocante qu'on avait trouvé, je crois, ou peut-être à Emmaüs à l'époque. Et la chambre est devenue trop petite parce que maintenant, il a sa petite sœur avec lui. Et donc, on l'a ramené ici. Donc en fait, lui, il se sent chez lui ici. Il reconnaît beaucoup de meubles qui étaient à la maison avant.
- Speaker #1
Il ne fait pas la distinction entre le studio et la maison ?
Non, il l'a fait. Il comprend que c'est un métier, c'est le métier de maman et de papa, et que peut-être que lui aussi aurait un jour envie de participer.
- Speaker #0
Quand il était petit, il pensait que toutes les mères chantaient. Donc il allait voir les enfants en disant « elle chante quoi ta mère ? » . Mais il comprend maintenant de plus en plus que c'est un métier. Je crois qu'il n'a pas compris exactement ce que fait son père. C'est plus compliqué, producteur de disques, à expliquer, chanteur encore, ça c'est clair. Il est venu en concert, je ne sais pas vraiment comment il voit la chose. Des fois, je pense que ça le gave que je chante. Je pense que ça le gave plus que je sois sur la route, peut-être. Quand il dit encore, tu ne seras pas là, mais qu'est-ce que tu vas faire ? Je vais chanter, mais pourquoi ? Mais ils t'ont déjà vu chanter. Il faut qu'ils comprennent que le spectateur n'est pas toujours le même.
- Speaker #1
Désormais, à la fin de chaque épisode de Dans le Décor, je propose à mon hôte de piocher un document sur les étagères de l'Assasem. L'Assasem dispose en effet d'un impressionnant fond d'archives dont beaucoup sont numérisés et disponibles sur son musée en ligne. Imani a choisi un texte écrit par Henri Salvador pour son examen d'admission. Il faut rappeler que des années 1920 jusqu'au début des années 1980, l'admission à l'Assasem passait alors par un examen d'entrée. Les auteurs devaient écrire deux couplets et un refrain sur un sujet imposé. Celui soumis à Henri Salvador était « Viens danser sur la grève » .
- Speaker #0
« Viens danser sur la grève » , c'est beau, ça ressemble à un sujet de... qu'on aurait eu au bac de français. Et puis en fait, il y a son écriture. Ça n'a l'air de rien comme ça, mais c'est une partie de lui. C'est non seulement ce qu'il a dit, mais c'est un peu qui il est, parce que là, on a l'impression de se pencher sur sa feuille à sa place. Ça rend le document encore plus spécial, je trouve.
- Speaker #1
Alors je vous propose, si vous êtes d'accord, peut-être de lire le refrain.
- Speaker #0
Le refrain dit « Viens danser sur la grève, laissons chanter le vent, Prolongeons notre rêve, chérie, soyons amants, Laissons faire le destin qui nous a réunis, Allons main dans la main vers un grand paradis, Où les heures sont brèves, viens danser sur la grève. » C'est superbe.