- Speaker #0
Le Musée SACEM présente un podcast imaginé et raconté par Serge Elhaïc Les arrangeurs de la chanson française
- Speaker #1
Lors du premier épisode de ce podcast consacré au chef d'orchestre arrangeur et orchestrateur François Rauber, nous avions évoqué sa formation musicale ses débuts comme pianiste dans divers cabarets parisiens et bien sûr, sa rencontre essentielle avec Jacques Brel. Lors d'un entretien en février 1997, François Rauber nous avait raconté les premières années de sa belle aventure avec Jacques Brel, aventure qui se prolongera durant deux décennies. Ce second épisode débute au moment où Jacques Brel vient de quitter le label Philips pour rejoindre en 1962 celui du roi du show business, Eddie Barclay.
- Speaker #0
François Rauber se souvient, Juliette Gréco est également présente pour cette fête autour de Jacques Brel.
- Speaker #1
Eddie Barclay avait mis à votre disposition des moyens techniques importants.
- Speaker #2
Oui, oui, oui. Eddie Barclay a toujours été très large, il aime la musique, il aime les gens pour lesquels il travaille. Mais vous savez, chez Phonogramme, on avait aussi des moyens qui n'étaient pas mal du tout non plus. Il ne faut pas oublier cela. Mais il y a dit Barclay, lui, il n'y avait pas de limite, si vous voulez.
- Speaker #1
François Rauber, comme vous l'aviez fait dans Ne me quitte pas, vous avez utilisé les ondes Martenot pour le Plat Pays, ce qui donnait encore une fois un cachet tout à fait spécial à cette chanson.
- Speaker #2
Oui, et ce qu'il y a de mieux, c'est qu'elle a été dans le disque un petit peu grâce à moi, parce que Jacques ne tenait pas beaucoup à cette chanson que je trouvais très très jolie. Il m'avait dit une fois, c'est tout le monde de la poésie à bon marché, je suis fou, c'est superbe. il y avait la place pour une chanson en plus dans le disque, et bien on a mis le Plat Pays. Quelle chance !
- Speaker #1
Quelle chance, absolument.
- Speaker #2
Superbe chanson, bien sûr.
- Speaker #1
Alors d'où étaient issus les musiciens de votre orchestre ?
- Speaker #2
Ah bien ça, il existe un lot de musiciens sur Paris qui sont les mêmes pour tout le monde. Bon, souvent ils ont des places fixes, soit l'Opéra, soit le National, soit le Philharmonique, soit l'Orchestre de Paris. Bon, ils s'entendent en place, mais en dehors de ça, ils font des séances d'enregistrement. À ce moment-là, on en faisait souvent beaucoup de séances d'enregistrement. Les musiciens arrivaient à faire quelquefois trois séances par jour, plus le théâtre le soir. Ah oui, oui, c'était la riche époque. Maintenant, cela n'existe plus. plus bien sûr et à ce moment là on peut dire que les musiciens étaient les mêmes pour tout le monde s'il pouvait être de 9h à 12h c'était François Roméant sur l'orchestre mais de 13h30 à 16h30 les mêmes musiciens c'était Michel Legrand et son orchestre ou André Poppe et son orchestre ou Jean-Michel Defayde Les musiciens, on se les prête. Quelquefois, quand on avait des mêmes horaires, c'était compliqué. Je voudrais vraiment bien l'avoir. Mais il est pris chez un tel. Il faut qu'on se rende compte qu'il y a un dans ce petit.
- Speaker #1
Les musiciens dans vos séances étaient attentifs, motivés ?
- Speaker #2
Bien sûr. Vous parlez avec qui ? Avec tous les chanteurs. Pour moi, c'est indispensable. D'abord, j'aime bien avoir les mêmes. je suis plutôt d'un naturaliste fidèles. J'aime bien voir les mêmes musiciens qui sont tous, pour la plupart, devenus des amis. Et je me réjouis de les voir quand il y a une séance à faire, parce que je devine chez moi, quand j'écris mes petits contrechamps, qui va les jouer, je devine comment ça va être joué. Je m'en réjouis. Et à la séance, quand on se rencontre, c'est toujours un plaisir. Ils donnent le maximum, et puis moi j'essaie de leur amener une nourriture qui soit facilement agréable, enfin, espérons.
- Speaker #3
Dans le port d'Amsterdam, y'a des marins qui chantent, les rêves qui hantent, au large d'Amsterdam. Dans le port d'Amsterdam... d'Amsterdam Il y a des marins qui meurent Pleins de pierres et de drames Aux premières lueurs Dans le port d'Amsterdam Il y a des marins qui mangent sur des narves trop blanches Des poissons ruisselants, ils vous montrent des dents À croquer la fortune, à décroisser la lune À bouffer des haubans, et ça sent la morue Jusque dans le cœur des frites, que leurs grosses mains invitent À revenir en plus, puis se lèvent riant dans un bruit de temps
- Speaker #1
Amsterdam, bien sûr, la grande composition de Jacques Brel, effet unique dans les annales françaises à l'époque. Cet enregistrement avait été réalisé en public à l'Olympia en 1964, et cette version en public fut la version définitive, ce qui est assez exceptionnel, François.
- Speaker #2
Oui, je crois que cet enregistrement est dû, je pense, ne va pas me tromper, à Europe numéro 1, qui était là, qui enregistrait les premières, il le faisait toujours, il venait en général. Enfin finalement, cette chanson-là n'a jamais été enregistrée en studio. L'enregistrement que vous venez d'entendre, c'est direct Olympia, il n'y en a pas d'autre.
- Speaker #1
Et alors je crois que cette interprétation vous a valu à Jacques Brel et à votre orchestre, ce qui est aussi un fait unique, paraît-il, 8 minutes d'applaudissement.
- Speaker #2
Ça, je ne me souviens plus combien. En tout cas, je sais que la formule de Brel s'était enchaînée tout de suite. On passait de chanson en chanson. Il coupait les applaudissements des gens.
- Speaker #1
Mais là, ça n'avait pas été possible. Là,
- Speaker #2
il n'y a pas pu. Non, non, non. Il n'est pas reparti. Puis on ne s'entendait même plus.
- Speaker #1
Dans l'orchestre de François Rauber se trouvait Roger Berthier, violoniste et chef d'orchestre lui-même. Je le remercie d'être présent pour rendre hommage... à Jacques Brel et converser avec François Robert pour lequel il a beaucoup travaillé. Roger Berthier, bonjour.
- Speaker #4
Bonjour.
- Speaker #1
Alors Roger, nous avons écouté Amsterdam. Je crois que vous faisiez partie des musiciens qui étaient présents lors de ces concerts. Rappelez-nous un peu l'ambiance vue du côté des musiciens de l'orchestre.
- Speaker #4
Exactement. Je faisais partie de l'orchestre de l'Olympia. Et là, c'était un orchestre constitué pour l'Olympia. Et Amsterdam, effectivement, a eu un... Très très très gros succès à l'Olympia. Ça c'était extraordinaire et je conserve ça comme un très très bon souvenir. On était là avec François qui dirigeait l'orchestre, Jacques Brel qui a fait un triomphe à l'Olympia, un triomphe qui ne s'est, je pense qu'il n'y en a jamais eu avant comme ça, et il n'y en a jamais eu après non plus parce que moi je suis resté à l'Olympia, et c'était quelque chose d'extraordinaire, d'abord la chanson était très belle, l'orchestration comme toutes les orchestrations de Brel. qu'a fait François Rauber, était très belle aussi, et tous les musiciens étaient très contents de jouer ça. Et je crois qu'aucun disque n'a été fait de ça. Le disque a été pris sur le passage de l'Olympia.
- Speaker #2
Mais vous avez tout à fait raison.
- Speaker #1
François, comment étiez-vous avec vos musiciens ? Exigeants, autoritaires ? Roger Berthier nous écoute, il va pouvoir commenter vos propos.
- Speaker #2
Pas autoritaire, non. Enfin, moi, j'aime bien que les choses aillent vite et bien, mais j'ai jamais eu à me fâcher. Ils sont tellement gentils. Moi, j'ai jamais compris que certains de mes collègues me disent « Ah, les musiciens, c'est compliqué » . Ça n'a jamais eu aucun problème. On s'entend beaucoup. On s'entend très bien avec eux. Il y a une connivence qui est toujours passée entre l'orchestré et moi. Puis ça me fait plaisir, ce sont des amis.
- Speaker #1
Alors Roger, avant de nous quitter, comment avez-vous perçu Jacques Brel en tant qu'homme ?
- Speaker #4
Ben écoutez, il était tout, sauf une star. C'est-à-dire que c'était l'homme de ses chansons. Moi, à mon avis, c'est l'homme de ses chansons. Je ne le connaissais pas à cette époque, mais je l'ai vu à ses tout débuts, quand il passait aux Trois Beaudés. Donc, vraiment à ses débuts. Et jamais je pensais qu'un jour je serais dans le studio à côté de lui, ou sur la scène à côté de lui. Mais vraiment, il était resté comme il était dans ses chansons, c'est-à-dire pratiquement un copain. C'est au moins ce que les musiciens ressentaient quand ils étaient avec lui. Et vraiment, il avait tout l'air d'un musicien, mais pas d'une star, vraiment.
- Speaker #2
C'est très juste ce que vous dites, Roger.
- Speaker #3
Ma mère, voici le temps venu d'aller prier pour mon salut, Mathilde est revenue. Bounia, tu peux garder ton vin, ce soir je boirai mon chagrin, Mathilde est revenu. Madhild est revenue, toi la servante, toi la Maria, faudrait peut-être mieux changer nos draps, Madhild est revenue, mes amis, ne me laissez pas, ce soir je repars au combat. Maudite Mathilde, puisque tu l'as Mon cœur, mon cœur, ne t'emballe pas C'est comme si tu ne savais pas Que la Mathilde est revenue Mon cœur, arrête de répéter Qu'elle est plus belle qu'avant l'été La Mathilde qui est revenue Mon cœur, arrête de brinque-baller Souviens-toi qu'elle t'a déchiré La matinée
- Speaker #1
A présent, François, j'ai une bonne surprise pour vous. Juliette Gréco,
- Speaker #2
l'une de vos chanteuses favorites, interprète de Jacques Brel à plusieurs reprises, eh bien, Juliette est avec nous en ligne.
- Speaker #1
Alors Juliette Gréco, bonjour. Bonjour. Merci encore d'être avec nous. Alors je sais que vous avez été l'une des toutes premières à chanter Brel, puisqu'en 1954 vous lui avez pris une chanson qui s'appelait Le Diable, pour votre passage à l'Olympia. Oui. Vous pouvez nous parler de cette époque ? Je peux vous parler de cette première rencontre avec Brel.
- Speaker #0
La première rencontre avec Brel ? Oui. Oui, j'ai vu arriver un grand chien efflanqué, avec un étui à guitare au bout de ses longs bras. Et puis voilà, il était beau, il était tout maigre. Il avait des yeux brillants. Il était secret. On sentait une très grande force en lui. Il m'a beaucoup frappé, beaucoup bouleversé. J'ai trouvé que c'était un être étrange qui entrait dans la maison. Et puis il a commencé à chanter. Et puis, comme disent les Canadiens, je suis tombé en amour. Voilà, parce que c'était un être magnifique.
- Speaker #2
Ça me fait plaisir d'entendre tout ça. C'est François de l'autre côté.
- Speaker #0
Je pense à lui.
- Speaker #2
Oh, je suis... tout heureux de vous entendre et puis de vous avoir réunis avec Jacques puisqu'on a tout de même fait une belle équipe sans oublier notre père Joannest mais vous savez que c'est pour nous le plaisir de travailler avec vous, j'en parlais tout à l'heure je parlais des grands qui avaient le courage et le métier d'enregistrer en direct avec l'orchestre et ça ce sont des plaisirs qui nous arrivent rarement avec vous ça a toujours été des fêtes superbes Non mais pas un ami,
- Speaker #0
je te dis.
- Speaker #2
Vous avez raison. Le jour où on n'a plus cela, on perd tout de même beaucoup.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #2
tout simplement.
- Speaker #0
L'émotion, elle vient du partage.
- Speaker #2
Je suis content de vous entendre. Et je vous jure que les souvenirs que nous avons, les musiciens et les orchestrateurs, des séances avec vous, c'est superbe.
- Speaker #1
Alors, votre collaboration avec François Robert remonte à près de 35-37 ans maintenant. Comment avez-vous perçu...
- Speaker #0
C'était hier matin.
- Speaker #2
Oui, c'est...
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #2
Vous avez raison.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #2
C'était hier.
- Speaker #1
Comment avez-vous perçu l'homme ?
- Speaker #0
L'homme ? Oui. Ah, je l'aime. Ça, c'est connu. Moi, j'aime François et puis tous les gens qui ont approché François ont le même sentiment que moi, c'est-à-dire que c'est un mélange très beau et très fort parce que nous avons... tous, pour François, un immense respect, une immense admiration et une grande reconnaissance. Parce que les couleurs qu'il met sur notre voix, l'humour, la tendresse, c'est-à-dire qu'il souligne des choses que, parfois, nous, on n'a pas soulignées. Il nous fait découvrir plein de choses, François.
- Speaker #2
C'est trop, Juliette.
- Speaker #0
C'est ce que je veux. Je suis vieille maintenant, j'ai le droit.
- Speaker #2
J'ai le droit de tout dire. Je vous remercie. En tout cas, c'était bien gentil d'être avec nous.
- Speaker #0
C'est tout à fait vrai tout ce que je dis. Et puis, les gens ne s'y trompent pas. Par exemple, il y a des gens qui viennent de Finlande, comme ça, et qui demandent à François de mettre des notes de musique parce qu'ils ont besoin de lui, parce qu'on a tous besoin de lui. Mais c'est assez extraordinaire parce que quand on dit François Rauber, les gens font « Ah oui » . Jamais, jamais il n'y a d'hésitation. Il n'y a aucune hésitation.
- Speaker #2
C'est vrai.
- Speaker #5
Bien sur nos yeux. 20 ans d'amour, c'est l'amour folle 1000 fois tu pries ton bagarre et moi celui de la conquête mon amour mon doux, mon tendre mon merveilleux amour De l'aube claire jusqu'à la fin du jour, Je t'aime encore, tu sais, je t'aime.
- Speaker #1
C'était la chanson des vieux amants de Jacques Brel, avec une merveilleuse interprétation de Julien Gréco. Et une merveilleuse orchestration de François Robert. J'ai le droit, il a toujours eu avec lui un accordéoniste. Alors, tout d'abord, ce fut Jean Corti, puis en fin de course, je dirais, il y a eu Marcel Azola.
- Speaker #2
Ah oui, puis il y avait eu aussi Dauchy, à un moment, si je me souviens bien. Marcel, lui, n'a jamais fait de scène avec... Jacques, il a fait les disques.
- Speaker #1
Je ne vous avais pas posé la question, mais effectivement en octobre 1966, Jacques Brel décide d'arrêter ses concerts à l'Olympia et ailleurs. Est-ce qu'il vous avait prévenu ou est-ce qu'il s'en était entretenu avec vous de cet arrêt des concerts ?
- Speaker #2
Ah oui, je me souviens très bien, on était à Vittel, au grand hôtel de Vittel, et il nous a annoncé ça, on ne pouvait pas y croire. C'est impensable de se dire que la gloire qu'il avait, surtout qu'il aimait ce métier. Il adorait ça.
- Speaker #1
Il faisait plus de 300 concerts par an.
- Speaker #2
Je ne sais pas combien il en faisait, mais c'était considérable. Gérard Jouannès m'a dit que la dernière année, je ne sais plus à combien il était arrivé. Et quand il disait, je voudrais vraiment me reposer et prendre un peu de temps, s'il y avait huit jours où il s'arrêtait, le troisième jour des huit, il vous téléphonait en disant, tu te souviens, on avait promis à un type de lui faire... on pourrait peut-être en profiter, il ne pouvait pas se passer de la scène. Pourquoi il s'est arrêté finalement ? Moi je crois que c'était un homme qui n'aurait pas supporté une seconde de faire moins bien qu'il ne faisait. Il était arrivé à un point tel, vraiment au top niveau.
- Speaker #1
L'apogée de son talent.
- Speaker #2
Si jamais il s'était dit, qu'est-ce que je vais écrire demain ? Quoi de neuf, quoi de nouveau ? Il n'aurait pas supporté. d'être discuté ou de penser qu'on le trouvait un peu moins bien. Il a préféré s'arrêter. On a dit souvent qu'il s'était arrêté parce qu'il était malade. C'est complètement faux. C'était pas ça du tout. C'est parce qu'il avait décidé de changer.
- Speaker #1
Alors nous allons écouter Marcela Azzola dans la chanson célèbre de Jacques Brel, Vezoul.
- Speaker #2
Ah oui, là c'est un client. Azzola, vous savez que on en parlera, mais on en parlera longtemps.
- Speaker #1
Alors, on venait de parler de Jacques Brel qui avait quitté la scène de l'Olympia et des autres théâtres de France et même du monde, je dirais. En 1966, c'était en octobre 1966, le dernier concert à l'Olympia. Malgré tout, Jacques Brel va remonter sur la scène en 1968.
- Speaker #2
Oui, mais il n'avait pas dit du tout qui s'arrête de faire quelque chose. Il avait dit qu'il arrêtait le tour de champs. Mais cela, quand on avait été en Amérique, à Broadway, on avait vu l'homme de la bande-saint, il m'avait dit, si je monte un spectacle en France un jour, j'aimerais bien que ce soit celui-là. Et donc, il a essayé d'obtenir les droits, avec les américains c'est jamais facile, ça prend un temps fou. Souvent, il lui demandait, qu'est-ce que ça signifie exactement, qu'est-ce que vous voulez dire par là ? Parce qu'évidemment... Il avait la traduction de la pièce, mais lui faisait du brel. C'était ça, le charme. Bon, alors vous me demandez pourquoi il est remonté sur scène. Il est remonté sur scène, mais pas du tout dans les mêmes conditions. Ce n'était pas le même travail. C'est comme quand il a fait le film, ça n'avait plus rien à voir avec le tour de chambre.
- Speaker #1
Et Dario Moreno, il devait également participer à ces tournures musicales.
- Speaker #2
C'est avec lui qu'on a tout répété et tout commencé, puisque la pièce n'existait en France que grâce à La Monnaie, le théâtre de La Monnaie en Belgique. qui nous a permis d'avoir les décors, les répétitions et les premières séances. Et la belle se sont passées avec Dario Moreno, qui était superbe dans son rôle. Il ne jouait pas à Sancho, il était Sancho. Il y avait une espèce de couple entre lui et Brel, c'était remarquable. On s'est arrêté quelques jours entre la Belgique et la France. Et avant Paris, il est reparti chez lui et il est mort. Donc c'est à ce moment-là qu'il fallait faire vite, retrouver quelqu'un.
- Speaker #1
Qui avez-vous choisi ?
- Speaker #2
C'est pareil, c'est les Américains qui le choisissaient. Je m'entends vous dire qu'il y en avait pas mal qui étaient sur les rangs. Et celui qui a décroché la trimballe, pour 100% de choses, c'était Robert Manuel. Alors évidemment, on était tout à fait conscients, tranquilles de ses qualités de comédien. mais lui n'était pas un chanteur alors tout était dans la comédie dans le jeu de cet acteur qui a très très bien pris le rein mais il est bien évident qu'on ne pouvait pas comparer sa voix avec celle de Dario Moreno qui avait de l'or dans la voix rêver un
- Speaker #3
impossible rêve porter le chagrin des départs Brûler d'une possible fièvre Partir où personne ne part Aimer jusqu'à la déchirure Aimer même trop, même mal Aimer
- Speaker #1
François, comment avez-vous vécu le départ de Jacques Brel vers le Pacifique ?
- Speaker #2
Écoutez, c'était un choix qu'il avait fait. Il y tenait, il en avait envie. Faut respecter. On était triste de se séparer, mais... C'était même lui... assez grand.
- Speaker #1
Vous ne l'avez pas vu pendant des années, en somme.
- Speaker #2
On s'écrivait, mais on s'est perdu de vue, évidemment. Vous savez, nous, on a notre métier qui continuait.
- Speaker #1
Vous n'avez jamais été tenté d'aller au Marquise ? Non, mais il nous y est.
- Speaker #2
Il nous y invitait cordialement, mais c'est tout de même la grande banlieue. Alors on ne peut pas y aller pour deux jours. Donc j'y ai été.
- Speaker #1
Alors quelle a été l'ambiance des retrouvailles en 1977 pour enregistrer le disque Les Marquises, le dernier disque de Jacques ?
- Speaker #2
Vous savez, avec Jacques, c'est comme si on s'était quitté la veille. Puisque vous savez ce que c'est quand vous aimez bien quelqu'un, vous le retrouvez, on est tout heureux. Ce qui nous chagrinait, c'est qu'on savait qu'il n'était plus en très bonne forme.
- Speaker #1
Comment était sa voix à ce moment-là ?
- Speaker #2
Eh bien, quand il est revenu, sa voix avait baissé. Quand il était à Paris, il est venu travailler chez moi, et en même temps avec Gérard Joannès. Le fait d'avoir rechanté pendant quelques jours, sa voix avait déjà regrimpé, puisqu'il y a certaines orchestrations que j'ai dû faire transposer ou modifier, parce qu'il retrouvait, il regagnait un petit peu en aiguë.
- Speaker #1
Vous l'avez revu en août 1978 lorsqu'il est revenu à Paris. Paris, malheureusement, quelques semaines avant de disparaître, le 9 octobre de la même année. Vous l'avez revu à ce moment-là ?
- Speaker #2
Ah oui, oui, je l'ai revu, mais je m'entends qu'on n'en parle pas, parce que il vaut mieux rester dans les bons souvenirs et l'époque où tout était souriant et heureux et joyeux.
- Speaker #1
Alors, nous écoutons un extrait de ce testament musical de Jacques Brel, et vous avez choisi les marquises.
- Speaker #2
J'aime beaucoup les marquises, bien sûr.
- Speaker #3
Et la nuit des soumises et l'alise Et se brise aux marquises, le rire est dans le coeur, le mot dans le regard, le coeur est voyageur, l'avenir est au hasard. Passent des cocotiers qui écrivent des chants d'amour Que les sœurs d'alentour ignorent d'ignorer. Les pirogues s'en vont, les pirogues s'en viennent, Et mes souvenirs deviennent ce que les vieux enfants. « Veux-tu que je te dise, gémir n'est pas de mise aux marquises ? »
- Speaker #1
En final, comment percevez-vous aujourd'hui cette aventure avec Jacques Brel et son univers pendant près de 20 années.
- Speaker #2
Je vous le disais tout à l'heure, c'est une grande amitié quand on est comme ça, de connivence. Depuis si longtemps, vous pensez que c'est en 1956 que je l'ai rencontré personnellement. Je savais qu'il existait deux ans avant quand il était chanté justement par Juliette Greco, qui l'a fait un peu connaître avant qu'il ne fût connu lui-même. Mais en 1956, à la fin de la tournée, on ne s'est plus jamais lâchés. Alors vous me demandez comment je peux trouver cela. C'est une belle aventure.
- Speaker #1
François, je vous remercie.
- Speaker #2
C'est moi qui vous remercie de m'avoir invité. Et d'avoir invité un peu Jacques aussi. C'est un beau cadeau aussi.
- Speaker #1
A côté de cette formidable aventure musicale avec l'immense Jacques Brel, François Rauber fut le complice d'artistes aussi talentueux que Juliette Gréco, Anne Sylvestre, Mouloudji, Barbara, Jeanne Moreau, Cora Wauquaire et tellement d'autres. De plus, cet homme orchestre trop modeste, affectionnait tout particulièrement les musiques légères et d'illustration, créant aussi nombre de partitions pour le petit et le grand écran. Pour longtemps encore, François Rauber restera l'un des musiciens les plus respectés, notamment par ses pairs.