- Speaker #0
Le Musée SACEM présente un podcast imaginé et raconté par Serge Elhaïk, les arrangeurs de la chanson française.
- Speaker #1
Bienvenue à l'écoute de ce podcast consacré à François Rauber, chef d'orchestre arrangeur et orchestrateur doué à l'extrême, à l'humour toujours en filigrane. C'est durant 20 années de fidèle amitié et collaboration qu'il offrira au grand Jacques Brel de remarquables arrangements et orchestrations. Ce podcast en deux épisodes nous replongera dans l'ambiance musicale qui a régné autour de Jacques Brel. Il est basé sur un entretien avec François Rauber que j'avais eu le plaisir de rencontrer en février 1997, quelques années avant sa disparition en 2003.
François, comment un musicien très classique comme vous croise-t-il la route d'un Jacques Brel débutant au milieu des années 50 ?
- Speaker #2
Les années 50, d'abord c'est 56, bien parce qu'en dehors du conservatoire, c'est bien d'arrondir un peu les fins de mois, d'essayer de gagner un petit peu d'argent. Et je faisais, comme beaucoup de musiciens à cette époque-là, ce qu'on appelait du cabaret. Les cabarets, ça existait, quelle chance ! Ça n'existe plus, mais à ce moment-là, j'en ai fait pas mal. Si je vous fais l'énumération, alors on passe le mois, j'ai joué dans toutes les boîtes. Et on était très content d'y jouer. Quand il n'y avait pas de monde, on vous disait, on ne vous paye pas ce soir, mais vous reviendrez demain. Et on était très content de revenir le lendemain. On apprenait son métier en jouant dans les cabarets. Au départ, je faisais tous les cabarets qui fermaient. Chaque fois que je travaillais quelque part, pof, ça fermait. J'ai dû me faire une route de réputation. Et finalement, je suis arrivé au théâtre des Trois Baudets.
- Speaker #1
Le fameux théâtre de Jacques Kennedy.
- Speaker #2
Ben oui, c'était un théâtre charmant. Vous connaissez, bien sûr, il avait été pianiste avant de faire sa carrière de cinéma. Et puis, il y avait aussi Gilbert Leroy. Enfin, finalement, je suis arrivé, moi, à la suite. J'arrivais de La Rose Rouge et c'est l'année où on y jouait comme pièce les carnets du Major Thompson. Et il y avait en première partie des tours de chant. Alors, les tours de chant, il y avait notamment un type en gris qui mettait le meilleur de lui-même à indisposer les clients. C'était Boris Vian. Et puis un type en noir qui s'est scrimé sur sa guitare et c'était Brel, voilà. Alors c'était à peu près à cette époque-là, nous nous sommes connus. Lui, je l'ai connu vraiment, la première fois que je lui ai fait un peu de piano pendant qu'il chantait, c'était à Grenoble en 1956. C'est une tournée Canetti et à la fin de la tournée, on ne s'est plus jamais quitté.
- Speaker #3
A s'offrir en partage, au jour du grand voyage, Qu'est notre grand amour, quand on n'a que l'amour, Mon amour, toi et moi, pour qu'éclate de joie, Chaque heure et chaque jour, quand on n'a que l'amour, Pour vivre, non pour en même, des faubourgs quand on a que l'amour pour unique raison pour unique chanson et unique seconde quand on a que l'amour pour habiller matin alors c'était quand on a que l'amour l'un des tout premiers succès de Jacques Brel ici accompagné par André Pop François vous étiez pianiste je crois dans l'orchestre d'André Pop Merci.
- Speaker #2
Pour moi, André Poppe, c'était vraiment quelque chose d'étonnant. Je commençais, moi, à peine, je balbutiais dans le métier, et j'avais une énorme admiration pour André Poppe. C'est l'époque aussi où Michel Legrand écrivait des choses un peu folles, et lui, André, il était arrivé, je crois, sur Paris, il était arrivé avec Jean Broussolle qui était l'un des compagnons de la chanson. Et je crois qu'ils étaient un peu du même pays. Il l'avait amené dans ses valises à Paris. Et André, tout de suite, a été remarqué. Évidemment, on parle toujours de Piccolo Saxo, qui est une de ses superbes réussites et créations. Et André, il avait une couleur très particulière dans ses orchestrations. Et j'étais très admiratif de cela.
- Speaker #1
Alors, vous étiez pianiste avec lui ?
- Speaker #2
Il se trouve que dans le disque qu'il a fait avec Jacques, j'étais dans la séance. J'avais été au piano, et après, à partir du troisième disque, j'avais fait les orchestrations, et puis ça a été comme ça, jusqu'au bout. Belle aventure.
- Speaker #1
Alors on va faire aussi un petit bond en arrière. François, vous êtes né en 1933 à Neuchâtel. Parlez-nous de votre jeunesse musicale.
- Speaker #2
Eh bien, je me suis mis au piano très jeune, oui. Dieu merci, mes parents étaient tout à fait d'accord pour que je tente un peu cette carrière et ma mère m'accompagnait à Nancy qui était la ville la plus proche de Neuchâtel où j'avais des professeurs de musique et puis après je suis arrivé à Paris qu'à 18 ans et là c'était pour le conservatoire de Paris. Enfin, parallèlement à la musique, j'avais tout de même des études qu'il était bon de suivre. C'est toujours bon d'avoir une bonne base. Si on passe au collège, c'est pas plus mal.
- Speaker #1
Alors, on revient en 1958. Vous êtes à l'époque pianiste, arrangeur de Jacques Brel, qui passe en vedette américaine en décembre à l'Olympia. Oui. Est-ce que vous l'avez accompagné lors de cette première prestation ?
- Speaker #2
À l'Olympia, oui. J'étais au piano. C'était à l'époque où existait encore un orchestre qui était dans la fosse. C'était M. Laperoni, je crois, qui était... C'est l'orchestre à ce moment-là. Et j'avais accompagné Jacques qui devait faire trois ou quatre chansons. Et moi je me souviens encore avoir joué du piano dans la fosse d'orchestre de l'Olympia, qui n'existe plus évidemment. Je ne parle pas de l'Olympia, je parle de la fosse qui a disparu.
- Speaker #1
Alors à la même époque, je crois que vous avez décidé de ne plus être le pianiste de Jacques Brel et que vous alliez passer la main à quelqu'un d'autre parce que vous n'aviez plus le temps.
- Speaker #2
Oui, ce qu'il y a c'est que, comme je vous l'ai dit, j'étais au Conservatoire de Paris, puis je voulais en finir, j'avais fait des classes de piano, puis l'écriture. J'étais en composition, je voulais tout de même aller à la fin. J'étais chez Tony Aubin, mon dernier prof, qui était très bien avec moi, mais qui me disait tout de même que ça serait bien si je venais signer une ou deux fois par semaine. Et Jacques, à ce moment-là, faisait de plus en plus de galas, et il n'était presque plus à Paris. Donc, si on voulait l'accompagner, c'est là que j'ai passé la place à Gérard Joannest, et que Gérard, Jacques et moi, c'est devenu une espèce de... Triumvirat, c'était superbe.
- Speaker #3
L'amitié est restée jusqu'au bout. Oubliez le temps des malentendus et le temps perdu, à savoir comment. Oubliez ces heures qui tuaient parfois à coups de pourquoi. Le cœur du bonheur ne me quitte pas, Moi, je t'offrirai des perles de pluie Venues de pays où il ne pleut pas Je creuserai la terre jusqu'après ma mort Pour couvrir ton corps d'or et de lumière Je ferai un domaine où l'amour sera roi Où l'amour sera loi, où tu seras reine Ne me quitte pas, ne me quitte pas Ne me quitte pas, ne me quitte pas
- Speaker #1
Ne me quitte pas, immortelle composition de Jacques Brel, reprise un peu partout dans le monde avec une orchestration et un accompagnement de François Robert qui, s'il n'était plus le pianiste attitré de Jacques Brel, reste toutefois son orchestrateur numéro un et pour ce titre, François, vous avez utilisé une belle trouvaille. Les ondes Marteneau, comme nous avons pu le découvrir tout au long de ce titre, au début et à la fin.
- Speaker #2
Mais la trouvaille n'était pas de moi, la trouvaille était de Jacques. Jacques avait ceci d'épatance, d'ailleurs jusqu'à la fin, il aimait beaucoup la musique. Il écoutait beaucoup plus de musique que moi, il avait une foultitude de disques. Et il savait tout à fait ce qu'il voulait, ce qu'il souhaitait. Quand il m'amenait une chanson pour l'orchestration, il me disait, là j'aimerais bien retrouver telle ambiance, telle chose. Et l'idée de l'onde Martenot, c'était de Jacques. Alors qui est-ce qui a interprété l'onde Martenot ? C'était Janine de Valen qui était également une choriste. Elle avait une voix superbe et elle jouait de l'onde Martenot . C'est elle que vous entendez là-dedans. Cet instrument avait été connu, un peu utilisé, enfin même beaucoup par Messiaen dans ses compositions. Et c'était une idée. Jacques m'avait dit j'aimerais bien avoir ce son. Bon maintenant on essaie de faire des imitations de cet instrument par le truchement des synthétiseurs mais c'est tout de même absolument pas la même chose.
- Speaker #1
D'ailleurs, il y avait peu d'instrumentistes qui pouvaient jouer de cet instrument à l'époque ?
- Speaker #2
Il y a relativement peu d'ondistes, oui. Ça s'appelle l'onde Martenot parce que celui qui l'a inventé est M. Martenot . Il travaillait en artisan, je l'ai connu personnellement. Et quand nous avons été en Amérique, les Américains n'avaient jamais vu ce truc-là. On avait emmené l'onde Martenot pour quelques chansons de Jacques quand il est passé là-bas. Souvent, on lui avait proposé d'acheter son brevet, d'essayer d'exploiter cela. et ne jette pas Il s'était son enfant, il se les gardait à lui, et vous savez il n'y en a pas considérablement, il n'y en a pas énormément au monde.
- Speaker #1
Dans les années 80, Maurice Jarre en France l'a aussi utilisé. Oui, oui, oui. François, vous qui avez bien connu Jacques Brel, et pour cause, il composait comment la musique de ses chansons quand il écrivait seul, avec sa guitare ?
- Speaker #2
Oui, c'était toujours avec sa guitare au départ. Jacques avait... peu de moyens à la guitare. J'ai essayé de le stimuler, d'apprendre un accord en plus tout de même. J'ai essayé toujours de lui expliquer que dans la mesure où on est bridé par le peu d'harmonie dont on dispose, dont on doit servir à la guitare, on ne peut pas aller loin musicalement si on ne s'est pas modulé dans son accompagnement. Ce qui a appauvri le métier de la chanson française, c'est l'avènement de la guitare. Parce qu'en partant d'un piano, on peut avoir plus d'audace. Et il y a très peu de chanteurs qui sont bons guitaristes. Évidemment, Sacha Distel, Henri Salvador, c'est superbe, bon. Mais tous ceux qui s'accompagnaient avec trois ou quatre accords retombaient forcément dans les mêmes lignes mélodiques. Si vous ne savez pas moduler, vous ne pouvez pas sortir de la chanson française. C'est comme si vous arriviez dans une gare, s'il y a que deux voix, tant que vous n'avez pas d'aiguillage, vous ne pouvez pas aller ailleurs. Et là, je me suis fâché, je lui ai dit, bon écoute, ou tu continues comme ça, et on reste enfermé. Tu as abandonné la guitare. Je me suis fait beaucoup d'ennemis. On m'a dit, oh, Brel sans la guitare, c'est plus Brel, il n'y a plus... Et vous voyez, le comédien que nous aurions perdu, l'acteur superbe sur scène, s'il avait continué à s'exprimer avec ce meuble qu'il avait sur le ventre et qu'il dérangeait plutôt qu'autre chose.
- Speaker #1
François, comment vous travaillez vos chansons avec Jacques Brel, finalement ? Il vous donnait des idées précises sur l'orchestration, vous nous avez déjà partiellement répondu, mais je voudrais vous demander comment il vous donnait les lignes mélodiques qu'il composait ?
- Speaker #2
Eh bien, il venait à la maison et on disposait déjà à ce moment-là de cassettes et il m'enregistrait la chanson sur une cassette et moi je me débrouillais avec cela parce qu'il n'écrivait pas la musique. Il trouvait ses chansons, pour la plupart du temps c'était en tournée, il arrivait toujours à l'avance pour un gala, pour un spectacle et comme Gérard Joannest, qui était devenu donc son pianiste et accompagnateur, roulait avec lui, il arrivait en même temps au théâtre. Et souvent, il se servait de ce moment, de ce temps dont il se posait. Fais-moi voir ça, et se voir de me dire, tiens, fais-moi tel rythme, fais-moi telle ou telle chose. Et Gérard y allait, et là-dessus, se fabriquait la chanson petit à petit. Par exemple, tout à l'heure, vous avez passé Ne me quitte pas, au départ, c'était une valse mexicaine. Finalement, il ne s'y retrouvait pas, demandant ce que j'aurais voulu. Une fois, Gérard la lui a jouée lentement. Il a dit, tiens, il y a peut-être quelque chose à faire à cette venue. ne quitte pas qui ne nous a pas quittés
- Speaker #3
Les flamandes dansent sans rien dire Sans rien dire au dimanche sonnant Les flamandes dansent sans rien dire Les flamandes, ça n'est pas causant Si elles dansent, c'est parce qu'elles ont 20 ans Et qu'à 20 ans, il faut se fiancer Se fiancer pour pouvoir se marier Et se marier pour avoir des enfants C'est ce que leur ont dit leurs parents Le bedeau et même son éminence L'archipraître qui prêche au couvent Et c'est pour ça, et c'est pour ça qu'elle danse Les flamandes, les flamandes Les flas, les flas, les flamandes Les flamandes dansent sans frémir Sans frémir au dimanche sonnant Les flamandes dansent sans frémir Les flamandes, ça n'est pas frémissant Si elles dansent, c'est parce qu'elles ont trente ans Et qu'à trente ans, il est bon de montrer Que tout va bien, que poussent les enfants Et le houblon et le blé dans le fré
- Speaker #1
François, vous vous adaptez petit à petit à Jacques Brel. Jacques Brel, de son côté, s'adapte à vous. Vous faites un parfait tandem. Vous orchestriez avant ou après avoir lu les textes écrits par Jacques Brel ?
- Speaker #2
Non, on ne peut pas orchestrer sans avoir lu les textes. Je dis souvent, c'est ça que vous voulez me faire dire, je dis souvent que dans nos métiers d'orchestrateurs, il y a deux types de clients pour nous. Il y a ceux pour lesquels on ne peut pas orchestrer si on n'a pas lu le texte, et puis ceux pour lesquels il ne faut surtout pas lire le texte si on veut essayer de faire une orchestration. Ah oui, ça il faut se sauver au courant. Avec Brel, c'était indispensable de lire les mots, c'est comme Juliette, c'est comme Corbocker, tous ces gens qui ont des textes riches, importants. C'est ça qui prie. Ils vous racontent l'orchestration, rien que par leur texte.
- Speaker #1
Un fait intéressant, Jacques Brel enregistrait en direct avec l'orchestre et non sur une bande préalablement enregistrée. N'est-ce pas, François ?
- Speaker #2
Bien sûr. D'abord, quand j'ai commencé, le multipiste n'existait pas. Pas encore, donc on n'avait pas le choix. Quand vous entriez en studio, les séances étaient de 3 heures, moins un quart d'heure d'arrêt. Quand vous entriez en studio, il y avait en général 4 chansons enregistrées, et au bout de 3 heures, le disque était terminé. On ne revenait pas dessus, il n'y avait pas de mixage possible, ce qui nécessitait évidemment que les chanteurs, c'est pas si mal. arrivent en connaissant leur texte, avec un texte fini, alors que maintenant, souvent, on dit, il chantera ça, s'il est profond, il recommencera la semaine prochaine, s'il y a un couplet qu'on n'aime pas, on changera les paroles. C'est plus du tout le même travail alors qu'à ce moment-là, au bout des trois heures, le disque était terminé.
- Speaker #1
Je crois que Jacques, en fait, avait besoin de cette peur pour enregistrer.
- Speaker #2
Jacques a toujours bien aimé la présence d'un public. Le premier public que vous avez, c'est l'orchestre dans le studio. D'ailleurs, il faisait toujours face à l'orchestre. Il aimait bien les voir, les entendre. Et ça avait un avantage aussi. C'est qu'évidemment, quand les musiciens savent à quoi sert ce qu'ils sont en train de jouer... et qui savent le sens des paroles, ils entendent bien tout de même ce qui se passe. Mais ils jouent beaucoup mieux. Ils jouent beaucoup mieux. Se priver du direct et de la présence d'un chanteur quand il a quelque chose à raconter, c'est vraiment perdre 50% de la qualité. C'est comme si vous demandiez à un comédien, par exemple, de vous donner ses réponses, et il ne sait pas les questions que vous lui avez posées. Ça ne tient pas debout. On dit, il parle faux, cet homme-là. Bien sûr, parce qu'on ne sait pas. Tandis que le musicien qui joue un contre-champ, il sait pourquoi ce contre-champ-là. Il sait quand il vient, à cause de quoi, à cause de quel mot. Ça, c'est l'avantage du direct.
- Speaker #1
Alors, pour préciser la méthode d'enregistrement, j'ai fait appel à Pierre Fatome, le preneur de son roi des studios Philips à l'époque. Eh bien, Pierre Fatome est avec nous en ligne.
- Speaker #2
Bonjour, comment allez-vous ?
- Speaker #4
Très bien. Très heureux de vous entendre.
- Speaker #2
Ça remue pas mal de souvenirs.
- Speaker #4
Oui.
- Speaker #2
Ah oui.
- Speaker #4
Et pas que des mauvais, hein.
- Speaker #2
Que des bons, que des bons,
- Speaker #4
que des bons, que des bons.
- Speaker #2
D'abord, c'était une grande émotion pour moi, j'ai fait ma première séance avec vous. Ah oui ? Vous étiez un personnage, on avait un peu peur tout de même. Non, non, mais j'en... Ah si, si, si, on disait, il ne faut pas plaisanter, lui... Vous présidiez à tous les enregistrements célèbres de l'époque, moi je me rappelle très bien Blanqui, avec M. Tavernier qui était de temps en temps à vos côtés, mais les manettes c'était bel et bien vous.
- Speaker #4
Ah c'était une époque formidable.
- Speaker #2
Moi mes premières séances ça doit être 56, 57. Donc on enregistrait tout, tout était définitif quoi.
- Speaker #4
Absolument.
- Speaker #2
On sortait au bout de 3 heures le disque était fait.
- Speaker #4
Ah oui, avec 3 ou 4 titres.
- Speaker #2
Ah oui en général c'était 4.
- Speaker #4
Pour moi c'est la meilleure période professionnelle de ma vie. C'est extraordinaire.
- Speaker #2
A ce moment là, si quelqu'un ne réussissait pas tout de suite, on lui laissait la chance de mûrir, de devenir quelque chose. Vous regardez la différence. Puisqu'on parle de Brel aujourd'hui, entre la qualité de ce qu'il a fait au début et ce à quoi il est arrivé à la fin, où il avait fait éclater le carcan de la chanson, c'était devenu des pièces, des fresques énormes. Tout ça, il fallait permettre aux gens d'apprendre à devenir eux-mêmes, à mûrir, à grandir un peu. Et maintenant, comme on procède par des coups, si le coup marche, on le garde, si il ne marche pas, on ne vous connaît plus.
- Speaker #1
Alors vous qui avez été le principal preneur de son de Jacques Brel et de François Robert, pendant leur passage chez Philips. Quelle était l'ambiance qui régnait durant ces séances ?
- Speaker #4
C'était une ambiance absolument fantastique. Je voyais Jacques, dès qu'il arrivait dans le studio, tout d'un coup, tout changeait, ça devenait électrique. C'était formidable.
- Speaker #2
Il rayonnait quelque chose.
- Speaker #4
Il rayonnait quelque chose, absolument, oui. Jacques était un type qui était très, très blagueur. Et il blaguait tout le temps. Et ça sortait comme ça. C'est lui qui a inventé le "Chauffe Marcel" que tout le monde a dans la bouche maintenant. C'est très marrant. Je pense que mon ami François s'en rappelle.
- Speaker #2
Bien sûr, bien sûr.
- Speaker #4
Et c'est resté maintenant dans le langage des musiciens.
- Speaker #2
Même à l'étranger.
- Speaker #4
Même à l'étranger.
- Speaker #2
J'ai été travailler à Berlin pour un chanteur, un comédien.
- Speaker #4
Ouais.
- Speaker #2
Et Marcel Azzola était avec moi. Et certains musiciens de là-bas ont dit « Ah mais, je trouve Marcel, c'est lui ! »
- Speaker #3
et évidemment tout le monde a dans la tête la fameuse chanson Vesoul de Bre bien sûr une valse à trois temps qui s'offre encore le temps de s'offrir des détours du côté de l'amour comme c'est charmant une valse à quatre temps c'est beaucoup moins dansant c'est beaucoup moins dansant mais tout aussi charmant qu'une valse à trois temps, une valse à quatre temps, une valse à vingt ans C'est beaucoup plus troublant C'est beaucoup plus troublant mais beaucoup plus charmant Une valse à 3 ans, une valse à 20 ans, une valse à 100 ans Une valse à 100 ans Une valse à 100 ans, chaque coquin refourne En Paris que l'amour apprécie d'au printemps Une valse à 1000 ans Une valse à 1000 ans Une valse à 1000 ans, ne patiente pas 20 ans Pour que tu aies 20 ans et pour que j'ai 20 On remonte au troisième temps de la valse, nous valsons enfin tous les trois, au troisième temps de la valse, il y a toi, il y a l'amour, il y a moi, et Paris qui bat la mesure. Paris qui mesure notre émoi Et Paris qui bat la mesure Laisse enfin éclater sa joie Une valse à trois temps Il s'en prend encore de temps Il s'en prend encore de temps On ne sort pas des détours du côté de l'amour Comme c'est charmant une valse à quatre temps C'est beaucoup moins dansant C'est beaucoup moins dansant mais tout aussi charmant Qu'une valse à trois temps, une valse à quatre temps, une valse à vingt ans C'est beaucoup plus troublant C'est beaucoup plus troublant mais beaucoup plus charmant Qu'une valse à trois temps, une valse à vingt ans, une valse à cent ans Une valse à cent ans, une valse à cent ans A chaque regard autour d'un baril que l'amour a fraîchi tout printemps Une valse à mille temps, une valse à mille temps Une valse à mille temps, ne pas s'en débatant Pour que tu m'éteins tant et pour que j'ai vingt ans Une vingtaine, mille temps, une vingtaine, mille temps, une vingtaine, mille cents, face à nos amants, on s'en fout,
- Speaker #5
on n'a pas le temps de bâtir un roman.
- Speaker #1
La Valse à 1000 temps avec Jacques Brel et François Robert et Pierre Fatot, le preneur de son de Jacques Brel et de l'orchestre de François Robert. C'était en 1959 et Pierre Fatot est toujours avec nous en ligne. Pierre, je crois que vous avez énormément regretté le départ de Jacques Brel du label Philips vers le label Barclay.
- Speaker #4
Du point de vue qualité de travail et relation humaine avec Jacques. Il est certain que ça a été pour moi une grosse perte.
- Speaker #1
Comment vous entendiez-vous avec François, puisqu'il est là avec nous ?
- Speaker #4
Avec François, on s'entendait merveilleusement du monde.
- Speaker #2
Ah bon, là, Pierre, oui. Et je vous dis, moi, il y avait beaucoup d'émotion et de respect au début. Vous savez que vous aviez la réputation d'être quelqu'un de ferme. D'abord, vous connaissiez votre travail.
- Speaker #4
Oui, j'avais très mauvaise réputation. Ah non, pas du tout. Comme le dit Georges Brassens.
- Speaker #2
Ah non, moi, je trouvais que c'était rudement bien. Au contraire de votre part. D'arriver à installer comme cela dans le studio, non seulement dans la cabine, mais même dans le studio, il y avait une discipline, si j'ose dire. Et on travaillait bien, et c'était parfait. Souvent, on n'a pas ça maintenant. C'est un peu déplorable.
- Speaker #4
Les gens ne se rendent pas compte que c'est un travail sérieux, la musique.
- Speaker #2
Ah ben oui.
- Speaker #4
L'enregistrement de la musique.
- Speaker #1
Pierre, je vous remercie très vivement, très sincèrement d'avoir participé à cet hommage à Jacques Brel, en compagnie de François Robert.
- Speaker #2
Au revoir, Pierre.
- Speaker #1
Un grand merci. François, quelles étaient vos relations avec Jacques Brel sur le plan privé ?
- Speaker #2
On était très amis, quoi. On ne peut pas aller au-delà de l'amitié. C'est déjà un beau cadeau, quand on donne son amitié à quelqu'un.
- Speaker #1
Vous êtes le parrain d'une de ses filles ?
- Speaker #2
Oui, la troisième fille, Isabelle.
- Speaker #1
Alors, je crois que vous avez même composé une chanson pour Isabelle.
- Speaker #2
On a fait une chanson avec Jacques.
- Speaker #1
Au moment de sa naissance ?
- Speaker #2
Oui, c'est ça, oui. Quand Isabelle dort, plus rien ne bouge, qui était un joli texte. Et alors là, je reconnais que j'avais fait une musique qui était pour vous. Tout à fait, dans les façons, même pas du tout dans les habitudes ni les façons de Jacques, et qui s'y est plié et il a chanté exactement la ligne mélodique que je lui avais proposée. Ce n'était pas toujours le cas. Souvent, il avait plutôt tendance à partir d'une ligne mélodique qu'on lui proposait et à installer la sienne à sa façon. Alors que là, il avait été très rigoureux, très obéissant, un bon élève.
- Speaker #3
Quand Isabelle chante... Plus rien ne bouge Quand Isabelle chante au berceau de sa joie Sais-tu qu'elle vole la dentelle Tissée au cœur de Rossignol Et les baisers que les ombrelles Empêchent de prendre leur rôle ... Quand Isabelle chante, plus rien ne bouge. Quand Isabelle chante, au berceau de sa joie. Elle vole le velours et la soie, qu'offre la guitare à l'infante, pour se les poser dans la voie, belle Isabelle, quand elle chante.
- Speaker #1
C'est la fin du premier épisode de ce podcast consacré aux débuts musicaux de François Robert, puis à la naissance de sa grande complicité avec Jacques Brel à partir de 1956. Le second épisode nous racontera la poursuite de cette collaboration entre un chanteur hors normes et un musicien qui ne l'était pas moins.