- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode des Grands Entretiens. Nous sommes au printemps 1979, soit 4 ans après la disparition de la vieille ORTF. Et pourtant, on voit là qu'une chaîne de télévision, en l'occurrence Antenne 2, est secouée par un mini-scandale. Au cours d'une émission de variété présentée par l'ineffable Guy Lux, à une heure de grande écoute, une chanson a écorché les prudes oreilles de nombreux téléspectateurs. Il s'agit de Fernande, sémillant hymne érectile farouchement hétéro, interprétée par son polisson d'auteur Georges Brassens. Emoi, protestation, lettres indignées, standard téléphonique au bord de l'explosion, la rédaction du magazine dans lequel oeuvre alors votre serviteur est sur le pied de guerre. Mission, allez interviewer le pornographe du phonographe pour qu'il s'explique sur le touhoubou, par lui involontairement provoqué. Résultat, me voilà un beau matin devant les grilles de l'auteur du Gorille, magnétophone antédéluvien sous le bras, un vieux machin à cassette dont même un brocanteur ne voudrait plus aujourd'hui. Ce qui explique évidemment la piètre qualité technique de l'enregistrement de cette conversation, qui va pourtant prendre un tour inattendu. Car un Brassens en verve fera durer l'interview pendant près de deux heures. Nous sommes dans le 15e arrondissement de Paris, au numéro 42 de la rue Santos Dumont, domicile du célèbre barde anar Moustachu. Alors, accusé Brassens, cette histoire de Fernande, cette atteinte aux bonnes mœurs cathodiques ? Qu'avez-vous à dire pour votre défense ?
- Speaker #1
Il y a des chansons que j'hésite à passer parceque je me dis pour la télé, ce n'est pas la peine. Quand je passe en public, j'ai tous les droits. Puisque, en principe, on me connaît. Je fais ce que je veux. Si vous n'aimez pas voir ça, ne choquez pas. Il y a une magie. Mais pas à la télévision, obliger les gens à entendre des gros mots, des gens qui ne les aiment pas. Ça me paraît évident, en ce qui me concerne quand je fais une télé. J'ai éliminé le "roi des cons" parce que je ne veux pas avoir l'air opportuniste. Alors que j'ai fait cette chanson en 71 je crois. Non mais encore une fois la télévision n'est pas obligatoire. C'est pas obligatoire la télévision, si ça choque des gens, je préfère aller à la masse, écouter la même temps la même, c'est quand même pas difficile, mais à la télé, en ce qui me concerne, en tant qu'artiste, je ne chante pas n'importe quoi, d'abord je n'approche jamais rien à personne, et puis d'autre part, je ne voudrais pas susciter des emmerdements aux producteurs de l'émission en chantant une chanson qu'on peut discuter. On n'a pas à discuter quand je passe en scène, puisque nous, on n'est pas obligés de dire rien. Mais là, ça peut discuter parce qu'effectivement, accidentellement, les enfants peuvent entendre quand je pense à Fernand Blabat. Ils sont enculés. Fernand Coé, il a fait un petit accident. Il partant qu'il m'a porté le robot, c'est pas moi qui le prend. Même pour aujourd'hui, il me prend les armes en main. Oui parce qu'en plus on me conteste moi parce que je dis quand je pense à Fernand Gerbant mais on voit quand même des mecs qui se tapent carrément dans la lune à la télé, je l'ai vu moi ça, ou presque. On voit les filles qui font des pif à des mecs, pas complètement mais pas loin. Alors quoi même quoi, quand je pense à Fernand Gerbant, c'est une bluette quoi. Moi j'ai vu des mecs qui changeaient de gonzesse dans un lit. Je m'en fous, ça me choque pas. Y'a pas le carré de l'homme non plus. Moi le carré de l'homme. C'est-à-dire que pour la plupart, finalement, les mots leur font plus beau. Alors, c'est anodin, c'est anodin, ça, je pense. C'est une blague, en plus, la couleur est annoncée. Les mots font quand même, sérieux, plus peur que les images, alors pourtant...
- Speaker #0
Pendant toute sa carrière, Georges Brassens n'a jamais rechigné à aller chanter à la télé, pourvu qu'il puisse choisir ses prestations. Ainsi... On l'a vu plusieurs fois dans des émissions comme le Grand Échiquier de Jacques Chancel ou la série des Bienvenus animée par Guy Béard. Justement, dans le salon où se déroule l'interview, trône un vieux poste de télévision, le prétexte pour questionner mon hôte sur ses habitudes télévisuelles. Qu'est-ce que Georges Brassens regarde à la télé ? Les feuilletons ? Les infos, le schmilblick ?
- Speaker #1
Non, j'aime les films de danse. J'aime aussi les films musicaux. Si vous me filez du prélatère, alors vous connaissez tous. Avec des musiques de Paul Porter, de Gershwin, de Gérin. Tant que vous voulez. Je ne suis pas un... Je pars en ce qui me concerne du point de vue, quand quelque chose m'emmerde. Toujours pas sur le 3ème, pas sur le prochain, non merde, pas sur le 3ème, vraiment merde, tu vois. Tiens, je trouve. Je veux dire, quand même, non plus, ça me parle toujours trop blanc. Les gens, t'imagines, ils sont obligés tous les jours de regarder ça, automatiquement, enfin, pas dès que ça commence, quand même. Ça va être tranquille. On regarde toute la journée les malades. C'est vrai que c'est énorme. Enfin pour les gens courants, je ne vois vraiment pas pourquoi on est obligé tous les jours d'avoir sa ration et son content de l'image télévisée. Je ne sache pas qu'un homme normal ait quand même un esprit supérieur. Monsieur Pérignon soit capable tous les jours de lire, en fait, profitez de la lecture, de lire une oeuvre d'un grand auteur par exemple. Il est extrêmement, il me semblera possible qu'un homme à peu près intelligent et lettré soit capable de lire tous les chefs-d'oeuvre de la littérature française à la file comme ça, sans laisser à chacune de ses oeuvres le temps de germer en lui. Donc je ne pense pas qu'un homme puisse lire tous nos livres dans la semaine. On peut le lire. De là à profiter, même un mot. Je ne crois pas qu'un homme normalement constitué soit capable, je vous dis, d'aballer tous les jours une oration si importante de spectacle. J'entends une chanson de Béatrice, elle continue son chemin en moi, cette chanson dans l'impartial, et puis le soir je la réécoute encore, en la réécoutant, je découvre des choses qui m'avaient échappé à la première audition. Pour moi elle a grandi cette chanson, elle s'est mêlée à ma conscience, à ma vie intérieure, à tout mon acquis déjà. Et elle s'est fondue avec. Elle prend d'autres nuances. Et à ce moment-là, cette chanson, je la trimballe pendant 3, 4 ou 5 jours. Et je me la chante. C'est là l'important. Et à ce moment-là, la chanson de Bia, je la connais. Et au bout d'une semaine, alors, à ce moment-là, je peux en écouter une autre. Mais quand on écoute à la file un long play-in de douze titres, il est absolument impossible pour qu'on les digère. Donc à la télévision, un homme normal qui arrive de son boulot ne peut pas tous les jours voir pendant quelque chose une pièce de théâtre et en profiter. Il a besoin quand même, les choses sont faites pour être réentendues, pour être revues et pour être bien digérées.
- Speaker #0
Première surprise, Brassens, le poète qu'on a comparé parfois à Villon ou à Rabelais, le parangon de la chanson française de qualité, adore les variétés et ne rechigne pas à apprécier certains tubes de Tino Rossi, de Sheila ou de Mireille Mathieu. Mieux, l'auteur de L'Auvergnat est fan d'Elvis Presley et d'Eddie Mitchell. Exclusivité, à condition de tendre l'oreille, on pourra même dans ce qui suit l'entendre chanter du... Claude François.
- Speaker #1
Quand une chanson me plaît, peu m'importe l'auteur, peu m'importe le compositeur, peu m'importe le chanteur et peu m'importe le producteur. Quand j'entends un truc à la radio qui me plaît, je dis à Pierre, c'est pas la chaîne, c'est un de mes favoris. Quand j'écoutais du Presley, c'est un des rares à ne pas me faire dire de connerie quand je le reprends. Non, en fait, j'aime tout ce qui me plaît. Je ne peux pas vous expliquer pourquoi, j'aime Tino Rossi. Je crois que c'est sa voix qui me détend. Alors, demander à ceux qui sont chargés de découvrir les talents, de le faire, c'est demander beaucoup. Il y en a tellement qui créent des chansons, je crois qu'on est à 30 000, 40 000 chansons par an à la Sacem. Il n'est pas possible qu'il y ait 30 000, 40 000 bonnes chansons. J'entends par bonnes, bonnes pour le public, parce qu'une chanson est bonne. Non, ce n'est pas parce que les paroles sont bien écrites, la chanson est bonne. Je dis mais, on vient au goût du public, que ce goût du public soit discutable ou pas. Parce qu'il y a quand même des gens qui aiment le caviar. D'autres préfèrent les boîtes de sardines en conserve, et c'est mon cas. Ouais, si je peux vous chanter, je chante Claude François. C'est pas moi qui chante, c'est moi qui chante. Je me demande si tu m'en sors, et je me demande si tu m'en sors. Il y a raison à ça. Je ne vous rassure pas que j'ai appris ça à la première fois. Eh bien, puis vous épatez quand même en gros. Non, c'est parce que ça me plaît. Alors évidemment, si la qualité du texte me paraît quand même plus discutable que la qualité du texte, Je m'en fous, la musique qui me plaît, la façon qu'avait de le chanter Claude François me convenait, il n'y a quand même pas de raison que Mireille Mathieu, que Sheila soient là, si longtemps, ils n'ont vraiment rien, après ce que disent certains. Elles doivent avoir quelque chose qui correspond au goût d'un certain public. Pourquoi interdire à ces gens d'écouter ça ? Vous allez me dire pourquoi ne pas leur donner à ces gens des choses plus relevées ? Mais les choses qui sont relevées sont quand même non-courantes. Il faut bien dire que dans la littérature, les chêneurs sont quand même moins nombreux que les verres médias. Du XVIIe siècle, il reste quand même Boileau, Corneille, Racine, La Fontaine, Molière, Pascal. La Bruyère, Madame de Sévigné, mais il y a quand même des auteurs dits mineurs, qui sont quand même probablement moins mineurs que nous, les auteurs de chansons. Et à côté de ces auteurs dits mineurs du XVIIe siècle, pour comprendre le grand siècle, il y a plein d'auteurs qui écrient des choses pas mal non plus.
- Speaker #0
Pour être un peu ours, Brassens n'est pas vraiment une bête de scène. Tous ceux qui ont eu la chance d'assister à un de ses concerts, disons plutôt un récital, peuvent pourtant témoigner qu'on ne s'y ennuyait nullement. Pas d'orchestre, pas de danseuse, ni d'effets spéciaux, juste Georges, le pied posé sur un tabouret, la guitare calée sur la cuisse et, derrière lui, le fidèle Pierre-Nicolas, contrebassiste et ami. Parfois aussi un guitariste d'appoint, Joël Favreau, dentelière des arts. Un chiche équipage pour un tour de chant durant souvent une bonne heure et demie, en équilibre sur une patte. Véritable exploit pour quelqu'un qui s'est toujours considéré comme un grand timide.
- Speaker #1
Automatiquement, on est obligé de penser à ce qu'on dit continuellement. Le plus intéressant, c'est le fait que je suis obligé de penser à ce que je dis, il doit ajouter un petit supplément, vous voyez, tandis que les choses que l'on dit mécaniquement perdent sûrement un peu de leur présence. Seulement je vous dis par exemple entre Archibald, la marche du ciel, pourquoi telle strophe avant le tel autre ? Il y a une raison bien sûr, on la voit très bien la raison, mais vous savez au bout de la langue, avec en plus une partie quand même de mon attention et de ma mémoire, qui doivent s'occuper du manche de la guitare, parce qu'on n'y pense jamais assez à ça. Tous les musiciens de métier vous le diront, les petits qui connaissent les guitares que moi, c'est extrêmement difficile de chanter. sur un accompagnement qui n'est pas que gling gling gling, contrairement à la légende, vous vous rappelez ? Vous savez très bien que c'est pas le genre de concert le plus difficile à faire. Donc une partie de ma mémoire et de mon attention sont contractuels au manche de la guitare. Alors cette partie que je contacte au manche, je l'enlève au texte. C'est quand même plus facile si vous voulez chanter avec les mains dans les poches, en faisant des gestes. Et en plus ça vous détend, vous voyez ? ça vous défatigue beaucoup plus que cette espèce d'attitude figée d'autre part, cette position. Maintenant j'ai maigri, mais quand je faisais 100 kg, pendant près de 2 heures sur une patte, ça se fait pas sur une jambe, 2 heures. Alors c'est un peu plus fatigant, puis il y a quand même la présence du public. Et le public, qui vous accorde beaucoup, vous enlève aussi beaucoup du fait qu'il vous fout la trouille mais enfin, si vous voulez, vous vous mettez un petit peu à poil devant lui. Et moi, j'ai quand même un peu horreur de ça. Je suis le contraire du type qui est fait pour ses défis. Je montre mon cul, mais il rougit. D'ailleurs, je crois que je ne suis pas le seul. Beaucoup de comédiens me sentent assez timide. Si vous avez connu Jean Gabin, pas seulement en public, mais même en studio, vous savez, en effet, au fait de la télé aussi, quand même beaucoup de monde c'est difficile, quand même timide, ce qui était le cas de Gabin, qui l'était sûrement un peu moins, c'est quand même difficile de simuler, je ne dis rien, mais pour un acteur, de simuler la joie, par exemple, la tristesse, la jalousie, enfin, faire le sentiment que l'on peut simuler. Vraiment, devant du monde, c'est difficile.
- Speaker #0
Une question que beaucoup se sont sans doute déjà posée, pourquoi, diant entre Georges Brassens, se contente-t-il, que ce soit sur ses disques ou sur scène, de se popom popom popom scander d'une simple guitare rythmique ? On aurait pourtant imaginé une chanson, par exemple comme Les Copains d'abord, accompagnée par un orchestre de jazz. ou rêver de voir un brassin chanter debout devant un big band au grand complet. Une idée folle, qui lui a pourtant, et il l'avoue, parfois traversé l'esprit.
- Speaker #1
Ce ne sont pas les mains dans les poches, mais les mains le long du corps. Oui, je pourrais chanter, d'ailleurs, j'ai toujours... C'est très bien avec Nicolas, en fait. C'est très bien avec ça. Ça permet quand même d'occuper les mains. Mais ça n'aurait quand même pas déplut d'avoir une petite formation derrière, un secteur rythmique complet, en plus de Nicolas, de Brassens, une autre guitare encore, vous voyez, et puis une batterie. Peut-être, peut-être, ça aurait convenu, je dis bien peut-être, ça aurait convenu un peu à mon style de chanson, un accordéon un peu léger, vous voyez, moderne. Parce qu'en musette, ça aurait été bien. Mais la question s'est posée au début, j'aurais aimé être accompagné avec un orchestre. Et pendant 7-8 mois, on s'est jamais posé la question. Et finalement, j'ai pensé qu'il en fallait. Et je l'ai bien fait. Ça serait mieux avec un orchestre. sur le plan musical, mais ça serait moins... peut-être moins la présence vocale. C'est-à-dire qu'on n'entendrait plus les gens raconter que je fais toujours la même musique et que je fais toujours bling-bling-bling. Il est bien évident que mes chansons se ressemblent un petit peu d'une part quand vous écoutez du Mozart, mais quand vous écoutez du Mozart ou du Chopin ou du Beethoven ou du Bach, quel que soit le morceau, c'est tout. Chaque auteur a quand même un style à lui. Bon, c'est pour ça que moi je suis à la fois auteur et compositeur. Et dans le choix de mes thèmes, vous voyez, et dans la façon de les traiter, j'ai évidemment ma marque particulière. Il en va de même de mes musiques, mes mélodies. J'ai aussi une façon particulière d'écrire des mélodies. Les polonaises de Chopin se ressemblent aussi quand même pas mal. Ensuite, il y a quand même le même accompagnement, et la même voix, et la même contrebasse. Alors évidemment, pour les oreilles un peu fermées, ça paraît toujours être la même chose. Mais si vous ajoutiez à chacune de mes chansons, tantôt un accordéon, tantôt une trompette, tantôt des flûtes, tantôt des violons, quoi. tu entends un piano, tu leur donnerais une autre couleur. Alors les gens ne diraient plus effectivement que je fais toujours la même musique, mais ça enlèverait, je crois, une certaine présence vocale. Je le vois, mais elle est quand même là. Et une force de conviction, vous voyez, enfin, ça détournerait l'attention du public vers la musique. Alors que je tiens au contraire que la musique soit dessous, vous voyez, un petit peu. Que la musique soit vraiment une musique d'accompagnement. Qu'elle soit là pour soutenir le texte, pour le rythmer, le scander, et non pour l'écraser. C'est un peu contradictoire. Seulement, là, la présence physique... Vous l'entendez même, hein ? Non, mais là je parle quand même pour les spécialistes, alors non, c'est pas là parce que la plupart des gens écoutent la radio, sans l'écouter. L'entendre. Oui, ça, il y a des temps en temps, ça marche, et puis de temps en temps il y a quelque chose qui attire leur attention, mais de temps en temps il y a des choses pas mal qui leur échappent. Il y a des choses qui sautent aux oreilles du premier coup, aux yeux du premier coup, mais il y a d'autres choses qui demandent quand même plus de temps. Moi, il m'est arrivé très souvent d'entendre une chanson une fois par rapport à la chanson d'un milieu, d'entendre une chanson et de n'y prêter qu'une oreille, n'y se passe. C'est rare, quand je n'écoute pas de monde, je n'écoute pas. Mais ça ne m'avait pas tellement sauté aux oreilles. Puis à la deuxième émission, je suis venu. Puis à la troisième je me suis mis à l'aimer, ça aussi ça arrive. Enfin tout est possible. En ce qui concerne le tour de chant c'est autre chose, la présence de l'artiste que vous aimez ajoute quand même beaucoup Alors si vous venez me voir, vous avez quand même, nous avons tous les deux un passé commun, je suis un vieil connaissance. Alors donc, même si les choses vous échappent, ma présence physique vous apporte quand même quelque chose. Vous vous rattraperez après en écoutant les chansons l'une par une, si vous les aimez ou celles que vous aimez. Je crois que c'est quand même ça la force scénique, je voulais dans mon cas. Mais de l'autre côté, je ne pense pas que dans mon cas, ce soit indispensable de me voir, pas plus à la télé qu'à la scène. Je crois que mes chansons sont faites surtout pour l'oreille.
- Speaker #0
Évidemment, il y a une question qui brûle les lèvres de tout intervieweur de Georges Brassens. Ses chansons, comment les écrit-il ? Quel est donc son secret de fabrication, sa recette ? Rédige-t-il les paroles avant de composer la musique ? Ou inversement ? Use-t-il d'un dictionnaire des rimes ? Travaille-t-il à la guitare ou au piano, le matin, tôt ou tard le soir ? Répondez, Georges, les Français veulent savoir.
- Speaker #1
Les Copains d'abord, il m'a fallu un mois. C'est arbitrairement que je dis ça, je travaille sur une vingtaine à la fois. Alors quand je sèche sur une, je'attaque l'autre. Et les efforts, c'est où les que j'ai fait pour la chanson ? pardonne, je serre au pérone, j'en ai enfin pour l'heure. Il faut que d'un néanmoins sûr d'une phrase. On n'est pas sûr du succès. mais ceux qui m'aiment vraiment pour de bonnes raisons. Il faut qu'elles soient presque toute, presque finie, presque prête à être livrée, telle qu'elle est, un peu grossière, voyez, c'est quand même. Après, je les polis, je l'ai rendue un petit peu plus, d'abord un peu plus, j'ai l'esprit un peu plus difficile. On y entre moins facilement, mais une fois qu'on y est dedans, on y reste. C'est la qualité pour moi d'une oeuvre qu'elle qu'elle soit. Je fais 3 ou 4 musiques pour chaque une de mes chansons. Et je me les chante sans arrêt. Quand au bout de deux jours, je la reprends. Si elle ne m'émeut plus, je l'enferme. Et c'est quand après 5, 6, 7, 8, 10, 15 éditions, les éditions tientent encore le coup, on est bien.
- Speaker #0
Les textes de Brassens, on le sait, ne sont, pour reprendre une de ses expressions, pas piqués des verres. Les allusions mythologiques y pullulent, quelques gros mots aussi, pourtant, ils font partie de ce que la chanson française a offert de plus accompli. même si l'on peut pour la plupart se contenter de lire les paroles sans l'appui de la musique. Brassens, un poète, personne ne le contestera. En tout cas, un amoureux de la langue française et du pouvoir émotionnel des mots.
- Speaker #1
Je ne pense pas qu'il faille vraiment tout comprendre, vous voyez, pour aimer. Je pense qu'on doit sentir, on n'a pas besoin de tout comprendre d'une sorte ou d'une autre part. Les gens ne comprennent pas les mots de la même manière. Nous sommes fiers ici. Le mot cerise, ça n'a rien à voir. Cerise. Chanson comme le temps des cerises, pour moi, en dehors du fait qu'elle est une chanson révolutionnaire. Vraiment. Pour ceux qui ne savent pas ça, ils n'apprennent pas. Le mot cerise, pour moi, n'a pas le même. Juste un déja. Ensuite... Moi je me vois, la première image de moi que j'ai, je ne sais pas comment parler, je me vois avec des petits paniers, c'est mon même récit, un enfant tenu, des petits paniers qu'on portait avant de vivre, il y a trois fois cette fois-ci. Il faut porter des très jeunes enfants, des petits paniers d'osier, pour avoir un panier de pêche. Oui, comme des paniers de pêche, mais de cette dimension, je crois. la moitié de votre magnéto, avec un couvercle. Et je le vois avec des cerises dedans, et je me vois dans l'école où on m'amenait, qui était plutôt une garderie. Alors on me mettait à cette école où justement, pour les frères, les petits-frères ou les petites-sœurs, les élèves, il y avait une espèce de garderie. Alors ma mère, comme elle n'était pas là, elle m'a dit, là dedans c'était, voilà un peu de la crèche aujourd'hui. Et donc le mot cerise, pour moi, chaque fois que j'entends parler de cerise, je me vois tout petit avec ce panier. Donc les mots n'ont pas le même sens. Alors donc, on n'a pas besoin de comprendre absolument tout, puisque la balade est à minutes dans la liste. Moi, je ne comprends pas ce que je dis. Je le comprends parce que maintenant je l'ai étudié, mais archi-piade, un état-it, comme fait la bouddhiste germaine, archi-piade, c'est un petit viade, ça ne fait aucun doute. Il m'a confondu. Je le dis, alors que ça me fait perdre le sens. Comme disait le petit-fils, je ne sais pas si c'était le même Jacob, le son est moins important pour le pouvoir émotionnel que le son. Le son est moins important que le sens. Les sanglots longs des violons de l'automne blessent mon coeur d'une langueur monotone, ça n'a pas quand même de sens. On ne parle pas de la même chose. Quand sonne l'heure, je me souviens des jours anciens et je pleure, tout ça, ce que vous voulez, c'est fait pour créer en vous une espèce d'émotion floue, vague. Et à votre dimension, à votre mesure, à la dimension de la mesure de la mademoiselle, à la mesure de ses partiments, à la mesure du poids de ta, une mesure il y a, parce qu'il y a des mecs qui sont fermés, mais moi, es sanglots longs des violons de l'automne blessent mon coeur d'une langueur monotone, c'est un vers qui m'avait beaucoup touché au collège. mais faire de la poésie, c'est très bien, si vous voulez jouer un petit peu avec le sens, ce n'est pas trop possible, ce n'est pas... et créer quand même, c'est le lecteur ou le lecteur, les mots sur le texte, qui ne dépendent pas, qui ne dépendent que du sens que lui, auditeur ou lecteur, fasse, et pour cette raison, je dis qu'on peut très bien aimer des conneries, en tout cas. parce que on prête au monde je vais dire il y a des chansons très con que j'aime parce que les notes me plaisent quand même de la musique me plaisent je dis d'abord et ensuite même si c'est des conneries il y a un mot, alors avec ce mot on prête l'histoire entre ce mot tous les mots qui sont cons Les mots se valent, ça dépend de la façon dont on les narise. En réalité les mots aussi sont une musique. Mais il faut que le mot soit important, pas le mot lui-même. C'est pour ça que je dis qu'il n'y a rien d'étonnant, en fait le fils aimait les chansons, où les paroles sont très discutables, très très discutables. Mais j'aime en général toutes les chansons et j'écoute beaucoup. C'est-à-dire que je les aime toutes, non, il y en a pas plus. Il y a même des tubes qui ne m'ont pas plu. Non mais les tubes indiscutés. Moi j'écoute tout autant. Quand quelque chose me plaît, je ne me pose pas d'autres questions. Je suis mon goût. Vous pouvez me raconter tout ce que vous voulez. Vous pouvez me dire que quelque chose c'est de la merde, puis ça me plaît. Et si vous me dites que quelque chose est génial et que ça me m'emmerde. Pourquoi est-ce qu'ils n'aiment pas les concombres ? Pourquoi les papilles gustatives refusent peut-être le concombre et pas l'artichaut. Si vous aimez Brassens ou Sheila, tant mieux pour vous. Si on m'aime vraiment, c'est toujours tout. Mais il y a plein de gens qui m'aiment bien parce que j'ai fait l'Auvergnat. Je ne les rejette pas. Ils ne connaissent que ça de moi. C'est un bout d'hélène. Je ne les rejette pas. Je n'ai rien contre eux. Ma mère n'aimait pas. J'estime que Brassens, si on l'aime, il peut le prendre tout le temps. Et après, si on ne le prend pas tout le temps, ça n'a pas d'importance. Je m'en fous. J'ai assez d'amis comme ça.
- Speaker #0
Un peu plus de deux ans après cette rencontre, En octobre 1981, la Camarde, à force de le poursuivre d'un zèle imbécile, a fini par envoyer Brassens rejoindre Gavroche, Mimi Pinson et tous les poètes disparus, ses frères. Près de 40 ans après, coquin de sort, il nous manque encore. Merci d'avoir écouté ce podcast et à la prochaine fois.