Speaker #0Bonjour ou bonsoir à tous et à toutes et bienvenue sur Environ, le podcast qui parle de l'histoire de l'environnement. Lorsque l'on pense au Moyen-Âge, on s'imagine souvent des chevaliers, des châteaux, des batailles, des épidémies. Et au niveau environnemental, on imagine souvent deux extrêmes, soit une époque d'harmonie perdue, où l'homme vivait au rythme des saisons, proche de la Terre, soit plutôt un âge sombre où la nature n'était qu'une sorte de réservoir de ressources à... pillé. Mais si je vous disais qu'au cœur de cette époque, une poignée d'hommes et de femmes ont posé les bases d'une véritable philosophie de l'environnement et que la vérité est évidemment plus nuancée et surtout, beaucoup plus fascinante. Dans ce deuxième épisode de Pensée de la nature dans l'histoire, on va découvrir comment au Moyen-Âge jusqu'au début des temps modernes, on pouvait croire à la puissance cachée des plantes, même parler aux loups, ou encore dénoncer la surexploitation des rivières et tout ça. avec une foi inébranlable et un solide sens du respect de la terre. Sur ce, je ne vous en dis pas plus, et allons ensemble découvrir ce nouvel environ. Contrairement à ce qu'on pourrait croire, les terres non cultivées, donc les marais, les forêts et les montagnes, ne sont pas vues comme inutiles. Bien au contraire, elles font partie intégrante d'un monde où la nature a sa propre place et sa propre valeur, à la fois matérielle mais aussi symbolique. La forêt, par exemple, est perçue comme un espace de ressources, donc pour le bois, le gibier, les plantes médicinales, mais aussi comme un lieu mystérieux, porteur de récits et de légendes. Ni tout à fait hostile, ni tout à fait domestiqué. C'est un mouvement politique qui ne sera pas à droite, qui ne sera pas à gauche. Les paysans médiévaux vivent dans un rapport d'interdépendance avec la nature. Ils la craignent parfois, avec les orages, les bêtes sauvages, les famines, mais savent qu'elle est indispensable à leur survie. Les marais, par exemple, abritent du poisson, des roseaux, et servent de zones de pâturage saisonniers, donc ils ne sont pas simplement vus comme insalubres, « Je veux du sable ! » mais comme des milieux productifs, à condition de respecter leur propre rythme. Cette sorte de durabilité avant l'heure est assez flagrante si on regarde les cisterciens, qui sont donc les moines fidèles à la règle de Saint-Benoît. Ces derniers incarnent une vision chrétienne de la nature comme création divine, qu'il convient d'utiliser sans la gaspiller. Ils ont une vision de la terre comme un don de Dieu à entretenir et à valoriser par le travail, mais du coup, qui n'est pas à détruire. Et toute cette pensée, ça va expliquer leurs soins extrêmes, pour organiser la sylviculture, la gestion de l'eau et ainsi que la rotation des cultures. Que ce soit à travers leurs canaux, leurs viviers ou leurs étangs, ils modifient le paysage, certes, mais toujours avec une conviction d'agir comme qui dirait en bons intendants de la création divine. Et pour ceux et celles qui n'ont pas la rèfle, les viviers, si vous voulez, c'est un peu des bassins où on va garder les poissons et des crustacés vivants, tout simplement. Et je ne sais pas si vous vous rappelez de notre cher Bernard de Clairvaux, vous savez le moine dont je parlais dans un épisode sur l'histoire de l'environnement, et bien c'est dans sa propre abbaye, fondée en 1115, que les viviers y sont particulièrement bien développés. C'est un malade Bernard, un malade ! En fait, le secret des cisterciens, c'est la simplicité, la prière, parce que bon, parler tout seul dans un monastère qui résonne, c'est mal vu et c'est super badant, mais aussi le travail manuel. Les moines contrôlent aussi très finement l'exploitation des forêts, gérant la coupe de bois sur plusieurs décennies afin d'éviter l'épuisement des ressources. Et ça, c'est un peu une forme d'agriculture verte avant l'heure. Et cerise sur l'église, on ajoute l'assolement triennal, qui est une ancienne technique agricole où les paysans divisent leur champ en trois parties. Une partie semée en céréales d'hiver, donc tout ce qui sera blé et seigle, une autre en céréales de printemps, avec l'orge, l'avoine, et une dernière laissée en ce qu'on appelle jachère, c'est-à-dire en repos et parfois en pâturage. Et chaque année, ces parties tournent pour ne pas épuiser le sol, et tout cela, ça permet de produire plus de nourriture et de garder les terres fertiles. Bref, les cisterciens, c'est clairement l'art de survivre sans caféine ni notification, mais aussi de respecter la nature sans avoir besoin d'un label bio. Les croyances chrétiennes, très influentes à cette époque, considèrent majoritairement que l'homme est au-dessus des animaux et des plantes. Mais ça n'a pas empêché certains de voir la nature comme un ensemble où tout est connecté. J'entre en contact avec la nature profonde. Faisons un léger retour en arrière, au IVe siècle après Jésus-Christ, avec Saint-Augustin. Pour Augustin, la nature, ce n'est pas juste un tas d'arbres, d'animaux et de rivières. C'est une œuvre d'art créée par Dieu avec un ordre bien précis. Chaque chose, aussi petite soit-elle, a sa place. L'homme, lui, évidemment, est en haut de l'échelle, et pas parce qu'il est le plus fort, mais parce qu'il a une âme immortelle. Et ça, ça lui donne une responsabilité, celle de respecter le reste de la création de Dieu. Augustin pense aussi que notre intelligence, notre raison, est un cadeau de Dieu. Elle nous aide à mieux comprendre le monde, mais elle a ses limites. Il y a des choses... comme les grands mystères de la foi ou l'immensité de l'univers, qu'on ne peut pas vraiment saisir avec la seule logique, selon lui. Il considère que la science, c'est utile, mais ça ne suffit pas. Pour comprendre le sens profond des choses, il faut aussi avoir la foi. Sauf que le souci, pour lui, c'est que l'homme est trop souvent égoïste. Il pense à lui, il cherche à exploiter la nature, à dominer les autres, et il oublie aussi que tout est lié, que tout fait partie d'un plan beaucoup plus grand. Résultat, on casse l'équilibre que Dieu a voulu, et ça, pour Augustin, c'est une vraie erreur de perspective. Du coup, il invite à l'humilité, et il dit en gros que, ok, on ne comprend pas tout, mais faisons confiance. L'univers, même s'il nous échappe parfois, est parfaitement orchestré par une intelligence supérieure. Bien plus tard, à la fin du XIIe siècle, entre 1182 et 1226, débarque Saint-François d'Assise, ou comme j'adore l'appeler, Saint-François vegan. Un personnage sacrément hors du commun, qui parle aux oiseaux, prêche aux poissons et serre la patte des loups. Je savais pas que tu parlais oiseaux ! Mais non, c'est de l'italien, imbécile ! Si vous voulez, il ne voit pas la nature comme un décor ou un stock de ressources, mais comme un immense poème vivant. C'est sa manière de vivre, c'est-à-dire simple, pauvre et profondément connecté au monde vivant. Et tout cela, il va l'exprimer dans un magnifique texte, c'est le Cantique des créatures. Il y remercie Frère Soleil, Sœur Lune, Frère Vent, un peu une façon de dire qu'on fait tous partie d'une même famille, humaine et non humaine. Et d'ailleurs, il y a une fameuse légende le concernant qui me fait beaucoup rire, c'est celle du loup de Gubbio. Imaginez une ville terrorisée par un loup féroce. Du coup, les habitants et les habitantes veulent l'abattre. Et tout d'un coup, tout d'un coup, il y a Giga Tcha de François qui débarque et sans a. Il va juste lui parler, l'apaiser, mais aussi l'écouter. Il fait un pacte entre l'animal et les villageois. Donc, en échange de nourriture, le loup promet de ne plus attaquer. Non, mais le ref, il lui a juste sorti sa meilleure écoute active des familles. Franchement honnête, 20 sur 20 en communication. Il instaure donc la paix entre l'homme et la bête, la cohabitation devient impossible, tout le monde est content, le loup devient citoyen d'honneur, bref. A travers cet épisode, et tant d'autres d'ailleurs, François nous transmet un message fort et toujours actuel. Macron ! Explosion ! L'homme n'est pas le maître de la nature, il en est le gardien, le compagnon, le frais. Partons à présent dans les collines boisées de la vallée du Rhin en Allemagne au XIIe siècle. Pipi und Kaki im Pipi Kakerland. On y découvre une femme étonnante, une visionnaire, une religieuse, mais aussi une botaniste. Son nom, Hildegarde de Bingen. Hildegarde est une abbesse bénédictine vivant dans un monastère, mais ce n'est pas une femme qui est coupée du monde. Elle observe la nature, les plantes, les cycles du vivant, et elle parle d'une chose incroyable, la... C'est un mot latin qui veut dire « verdeur » , mais pas n'importe laquelle. Pour elle, c'est l'énergie vitale qui circule dans toute la création. La sève qui fait pousser les feuilles, la force qui nous rend vivants, joyeux et plein de santé. Elle nous dit que quand cette force s'affaiblit, chez nous ou dans la nature d'ailleurs, c'est un peu le signe qu'un déséquilibre est en train de naître. Je cite « L'homme » est une petite création Un monde miniature, ce qui se passe dans la nature se reflète en lui. À une époque où la médecine se pratique souvent à base de saignées et de prières, Hildegarde propose une approche très différente. À l'image de la médecin Trota de Salerne, elle observe les plantes, étudie leurs effets, note les comportements des animaux et surtout, elle cherche à comprendre comment tout est lié. L'alimentation, les émotions, les saisons, l'équilibre entre le chaud et le froid, le sec... et l'humide, etc. Dans ses livres, elle décrit des dizaines de remèdes naturels, des conseils de vie simples mais profonds. Les oiseaux sifflent, le printemps siffle. C'est-à-dire manger avec mesure, suivre le rythme des saisons, écouter son corps. Et son objectif, c'est de soigner non seulement le mal, mais aussi de restaurer l'harmonie entre l'homme et la nature. Et ce qui est fou, C'est Kildegarde pressant déjà un peu les dérives de notre monde. Elle dénonce la cupidité, l'avidité, mais aussi la destruction des équilibres naturels. Elle écrit que l'homme, en voulant dominer la création, eh bien finit par se couper d'elle, et quand on se coupe de la nature, eh bien on tombe malade. Pas seulement physiquement, mais spirituellement aussi. Dans un langage médiéval et teinté de foi, elle pose un peu les bases d'une écologie sacrée où l'humain ne règne pas en maître, mais vit en maître. en harmonie. Elle nous rappelle, comme le fait d'ailleurs Gargi Vachaknavi des siècles plus tôt, que nous ne sommes pas en dehors de la nature, mais justement au cœur du vivant. Que prendre soin de la Terre, c'est aussi prendre soin de soi. Mais la vision médiévale de la nature ne s'arrête pas au monastère. Elle flirte aussi avec la magie. Une magie naturelle, pas démoniaque ni diabolique. C'est une magie basée sur l'observation, les correspondances, les forces invisibles qui relient toutes choses. Au XIIIe siècle, Guillaume d'Auvergne, donc l'évêque de Paris, parle déjà d'Ars Magica Naturalis, qui est une forme de savoir, une science des propriétés cachées. Les plantes, les pierres, les animaux, tous sont porteurs de vertu. Bon après, le mec va un peu partir en sucette, car il va affirmer qu'un homme peut ressembler tellement à un ours qu'une parenté semble possible. Vous empestez le cheval. On est donc dans un monde où les frontières sont floues, où tout communique, et ça ne s'arrête pas là. Plus tard, au XVIe siècle, Henri Corneille Agrippa pousse la réflexion encore plus loin. Dans son œuvre La philosophie occulte, il structure la magie naturelle comme un immense système cosmique. La nature devient un miroir du divin. Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite pour nous ? Un tissu vivant, vibrant, traversé de résonances secrètes. Donc chaque chose, plante, métal, étoile, possède une vibration, une correspondance. Oui, oui, même ton basilic en peau aurait une âme apparemment. Par exemple. La cannelle est liée au soleil. Parce qu'après tout, pourquoi pas ? La rose, elle est clairement en polyamour avec Vénus. Et les feuilles des plantes, eh bien, elles sont influencées par la lune. Ça va toujours pas expliquer pourquoi tes plantes décèdent quand tu les regardes mal. Et ça ne s'arrête pas là. On nous parle de talismans magiques, d'élixirs à siroter comme des shots d'immortalité, et de secrets de longévité piqués aux animaux. Le serpent, il mue, du coup, exfolié techniquement. C'est ésotérique. Le cerf, lui, il perd ses bois. Traduction, changement de coiffure est égal jeunesse éternelle. Et enfin, Giambattista della Porta, en 1558, publie la magie naturelle. C'est une somme encyclopédique, presque scientifique d'ailleurs, des mystères du monde. Ils font de même à Naples une académie dédiée à ces savoirs. Pour lui, comprendre la nature, c'est l'écouter. Observer ses formes, ses couleurs, ses odeurs. Et vous allez voir, c'est très simple. Une plante en forme de rein, eh bien, elle soigne le rein. Une fleur rouge, eh bien, elle soigne le sang. Non mais les gars, c'est du génie ! Ce mec est un révolutionnaire, vous trouvez pas ? Et il appelle ça la théorie des signatures. Bon, après, dans la catégorie des trucs un peu plus stylés, il va tout de même expérimenter des techniques d'écriture invisibles utilisant du jus de citron ou d'oignon pour justement dissimuler des messages. Non mais pas totalement un échec ce mec. Et pour en finir avec le Moyen-Âge, A la fin du XVe siècle, alors que l'Angleterre médiévale s'imprègne de codes aristocratiques, de rituels et de traditions, une femme sort de l'ombre des monastères pour inscrire son nom dans l'histoire littéraire. Elle s'appelle Juliana Berners. Prieur, noble, érudite, elle va poser les premiers jalons d'une conscience nouvelle face à la nature. A une époque où la chasse, la pêche et la fauconnerie sont des passe-temps réservés aux hommes de la haute société, Juliana décide de participer à la rédaction d'un livre. Un drôle de livre, très en avance sur son temps, The Book of Saint Alban, publié en 1486. Alors oui, à première vue, c'est un manuel pour aristocrates. Là, c'est la décadence. On y apprend à dresser un faucon, à traquer un cerf ou à pêcher la truite. Mais quand on y regarde de plus près, il y a autre chose. Notre chère Juliana ne se contente pas de dire « voici comment attraper un animal » . Elle observe elle analyse et elle respecte. Par exemple, dans sa partie sur la pêche, l'un des tout premiers textes en anglais sur le sujet d'ailleurs, elle parle des bons moments pour pêcher, de la manière de fabriquer des mouches artificielles, mais surtout, elle insiste, il ne faut pas épuiser la rivière, il faut pêcher avec mesure, avec intelligence. Si vous voulez, elle nous montre que la nature n'est pas juste un terrain de jeu pour les puissants. C'est un monde complexe qu'il faut comprendre avant tout. et avec lequel il faut cohabiter. Et le plus remarquable dans tout ça, c'est qu'elle est une autrice à une époque où les femmes écrivent vraiment peu, et surtout pas sur la nature ou alors les savoirs techniques. Juliana, elle ose prendre la parole dans un monde dominé par les hommes, et en plus, elle le fait avec assurance et avec style. C'est une véritable pionnière qui, il y a plus de 500 ans, nous tendait déjà un miroir, et si, au lieu de dominer la nature, on apprenait à vivre avec elle. Alors, que reste-t-il de tout cela ? Lorsque l'on regarde le Moyen-Âge d'un peu plus près, on découvre bien autre chose qu'un âge sombre ou alors naïf. On y trouve une pensée riche, subtile et souvent étonnamment moderne. Une vraie surprise partie. Des moines cisterciens à Saint-François d'Assise, d'Hildegard de Bingen au magicien naturel, tous et toutes nous montrent qu'il existait une véritable conscience des équilibres. Une attention au rythme, aux saisons, aux corps et aux âmes. une écologie d'avant les mots. C'est donc un monde en quête d'harmonie, de compréhension, avec des tensions, c'est sûr, mais aussi avec une grande sagesse et une grande imagination. Une sensibilité profonde, enracinée dans la foi, l'expérience, l'observation, et surtout dans l'humilité. Mais cette vision du monde, ancrée dans les cycles, les correspondances et l'équilibre, va peu à peu évoluer. À l'orée de la Renaissance, quelque chose bascule. Le monde change. L'homme ne se contente plus d'observer la nature, il veut la mesurer, la nommer, la maîtriser. C'est le début d'une nouvelle ère, une époque où la nature devient objet d'étude, parfois de conquête, mais aussi d'admiration renouvelée. Mais cette histoire-là sera pour le prochain épisode. Ceci marque la fin de ce deuxième épisode de Penser la nature dans l'histoire. Si cet épisode vous a plu... 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