- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans Étranges Droits, le podcast consacré aux droits des étrangers, par et pour celles et ceux qui le font vivre. Pendant la prochaine demi-heure, je vous emmène au cœur de ce droit et de sa pratique. Je suis Salomé Bensadi, je suis avocate au barreau de la Seine-Saint-Denis et j'enregistre cet épisode dans les locaux de mon cabinet à Pantin. Pendant l'épisode, vous allez aussi entendre ma chère consoeur Fleur Boixière pour sa chronique. Et sachez que le son du podcast est composé et réalisé par des musiciens exilés qui ont repris le chemin de la musique grâce à l'association Pax Musica. Aujourd'hui, on s'intéresse à la situation administrative des travailleurs sans papier en France, un vaste sujet, avec notre invitée Marianne Leloup d'Assonville, qui est avocate au barreau de Paris et qui a publié un ouvrage en avril 2025 intitulé France Terre d'Écueil. où elle dévoile la maltraitance administrative dont font preuve les étrangers en France, et où elle relate notamment l'histoire de Samba, un travailleur sans papier qui a tenté, malheureusement sans succès, d'être régularisé sur ce motif. Bonjour Marianne, merci d'être avec nous.
- Speaker #1
Bonjour Salomé, merci de m'inviter.
- Speaker #0
J'en profite pour mentionner le film qui porte également le nom de Samba, des réalisateurs Nakache et Toledano, qui est sorti en 2014, donc il y a une petite dizaine d'années, avec Omar Sy qui incarne le rôle d'un autre Samba. Et je trouve que ce film, il expose avec justesse le quotidien des travailleurs sans-papiers en France. Et à titre personnel, c'est ce film, entre autres, qui m'a donné envie de défendre les droits des étrangers, donc je voulais le mentionner. On va rappeler un principe de base avant de passer aux questions, qui est qu'un ressortissant étranger, il doit théoriquement avoir une autorisation de travail pour pouvoir occuper un emploi en France. Et cette obligation, elle vaut à la fois pour le salarié et pour son employeur, sous peine de sanction, on y reviendra. Et pourtant, comme tu le rappelles dans ton ouvrage, 90% des hommes en situation irrégulière, donc sans le droit de travailler, travaillent, que ce soit de manière déclarée. Ou non. Et surtout, environ 10 000 titres de séjour portant la mention salarié sont délivrés chaque année à des personnes qui ont bel et bien exercé une activité professionnelle en France pendant plusieurs années sans en avoir le droit. Concrètement, on parle d'hommes et de femmes qui contribuent à l'économie du pays, qui travaillent souvent dans des secteurs en tension, qui déclarent et payent leurs impôts, comme tu le rappelles également dans ton ouvrage, mais qui vivent pendant des années dans une précarité administrative, sociale, professionnelle. Alors au-delà de l'hypocrisie d'un système qui criminalise le travail sans papier tout en régularisant des étrangers à ce titre, on va se demander comment les travailleurs sans papier réussissent à travailler en France et surtout comment ils et elles peuvent être régularisés. Marianne, avant toute chose, est-ce que tu peux te présenter s'il te plaît ?
- Speaker #1
Oui, donc je suis avocate au barreau de Paris, j'ai un cabinet en droit des étrangers de la nationalité. C'est pas ma première carrière, moi j'ai étudié le droit des affaires, donc vraiment rien à voir. J'ai eu une première carrière d'avocate d'affaires dans des grands cabinets internationaux à Paris et à Rome. Je suis partie ensuite à Londres, où j'ai dirigé le bureau anglais d'une fondation française. Et à ce moment-là, c'était les années 2015, quand il y a eu ce qu'on a appelé la crise migratoire, qui était plus, à mon sens, une crise de l'accueil qu'une véritable crise migratoire. Et donc j'ai commencé à m'y intéresser avec un projet artistique à la base, avec un photographe portugais qui vivait aussi à Londres. Et on est allé pendant plusieurs années interviewer des demandeurs d'asile dans des pays d'Europe et du Moyen-Orient. Et voilà, j'ai mis un pied dans le sujet de l'immigration et quand je suis revenue vivre à Paris, j'ai décidé de fusionner mes deux carrières, l'avocature et l'immigration. Et donc je me suis formée pendant plus d'un an, j'étais bénévole à la CIMAD et j'ai fait tout un ensemble de formations avant d'ouvrir mon cabinet. Aujourd'hui, j'ai trois collaboratrices et je suis extrêmement heureuse de pratiquer qui est cette très belle matière, qui est très technique, on va le voir aujourd'hui, qui est aussi extrêmement humaine.
- Speaker #0
Dans ton ouvrage « France, terre d'écueil » , tu t'attaches à déconstruire les idées reçues sur les étrangers en France. Est-ce que tu peux nous parler de la démarche qui a conduit à l'écriture de ce livre ?
- Speaker #1
Alors bon, déjà, ce livre, c'était une commande de l'éditeur, parce que je ne sais pas si je l'aurais écrit. Je suis à peu près sûre que non. Donc, merci à mon éditeur. Et en fait, j'ai pris du temps pour l'écrire parce que malheureusement, le sujet risque de rester actuel très longtemps. Enfin voilà, on n'était pas pressés. maman Ma priorité, évidemment, c'est mes clients et mon cabinet. J'ai voulu prendre le temps de l'écrire. J'ai pris un an. Et donc, j'ai pu avoir le temps de la réflexion. Et je me suis dit, ça serait intéressant d'aborder un certain nombre de sujets techniques, juridiques, sur lesquels les gens dans le public, dans le grand public, pensent. avoir une idée de ce dont on parle et une idée de ce qui se passe, et leur montrer que cette idée, malheureusement, est totalement fausse. Et pour ça, je trouvais important, j'ai parlé de processus de déshumanisation dans l'introduction, j'ai trouvé ça important de donner des visages, des noms, des histoires vraies pour expliquer le fait les mécanismes juridiques qui sous-tendent ces phénomènes. Donc les thèmes que j'ai choisis, c'est l'asile, les personnes en situation irrégulière, les OQTF, la fraude et la naturalisation. Et donc chacun de ces thèmes, je raconte au moins une histoire vraie, anonymisée évidemment, pour expliquer, voilà, d'un côté le droit, il est comme ça. et il est appliqué comme ça par les préfectures et les tribunaux. Et de l'autre côté, voici les conséquences sur la vie d'être humain.
- Speaker #0
Dans cet épisode, on va donc aborder les modes de régularisation des travailleurs sans-papiers en France. Mais avant, j'aimerais que tu présentes les différentes manières dont des étrangers arrivent à travailler. En France, alors même qu'ils n'en ont pas le droit, c'est une réalité extrêmement répandue. Alors, il y a ceux qui travaillent de manière non déclarée. Donc là, on le comprend beaucoup plus facilement. Mais pour ceux qui sont bien déclarés, comment ça se passe ? Dans ton livre, je crois que tu distingues trois situations.
- Speaker #1
Oui, alors il faut rappeler qu'il est de la responsabilité de l'employeur lors de l'embauche d'un salarié étranger. d'envoyer une copie du titre de séjour de son salarié à la préfecture pour vérifier que ce titre est réel, etc., et que la personne a le droit de travailler. Et si la préfecture ne répond pas dans un certain délai, elle est réputée avoir été valablement informée et avoir approuvé cette relation de travail. Autant vous dire qu'en fait, les personnes ne font ça, ou presque. Les employeurs tombent souvent des nues quand on leur appelle cette exigence légale. Donc ça, c'est le premier point. Effectivement, il y a plusieurs situations. Il y a des employeurs qui ne demandent pas le titre, et qui sont des salariés qui ne le fournissent pas pour la simple et bonne raison qu'ils n'en ont pas. Et ensuite, il y a des salariés qui vont présenter des titres, en plusieurs possibilités. Soit il s'agit de fausses cartes, parce que oui, comme tout, des fausses cartes peuvent être achetées. Ou bien des salariés peuvent travailler avec le titre d'une autre personne. Il faut savoir que c'est la plupart du temps un vrai business, c'est-à-dire que la personne qui loue son titre pour qu'un tiers ait un travail salarié va être la personne qui va recevoir le salaire sur son compte, puisque l'employeur ne va pas verser le salaire sur le compte de quelqu'un qui ne serait pas son salarié sur le contrat de travail. Et ensuite, cette personne va conserver une partie du salaire. qui peut aller de 20 à 80%. Enfin, c'est dément. Et je rappelle également que l'impôt est retenu. Donc voilà, ces personnes payent de l'impôt sur le revenu, payent des cotisations sociales, et finalement, ils en touchent très peu, parce que pour eux, c'est le sésame de peut-être pouvoir se régulariser un jour.
- Speaker #0
Donc maintenant qu'on a compris à quoi correspond le travail sans papier en France, on va parler de régularisation. Marianne, quelles sont aujourd'hui les principales voies de régularisation par le travail ? pour un étranger qui est en situation irrégulière, et on pense notamment à l'admission exceptionnelle au séjour qu'on appelle communément AES. Est-ce que tu peux nous en expliquer les grands principes ?
- Speaker #1
Oui, alors l'admission exceptionnelle au séjour, c'est une ouverture de première demande de titre de séjour qui est prévue par la loi. En 2012, il y a une circulaire qui s'appelle la circulaire Valls, qui est venue harmoniser les pratiques des préfectures, parce que c'était un peu n'importe quoi. Chaque préfecture l'appliquait d'une manière différente. Et cette circulaire, elle a eu le mérite de donner des règles claires pour tout le monde. Et c'est quand on parle avec des bénévoles d'associations militantes comme la CIMADE, etc., on voit que c'est le texte de ces 30 dernières années qui a été le plus favorable aux personnes étrangères au fur et à mesure des années, donc de 2012 à aujourd'hui. ce texte a été de moins en moins impliqué par les préfectures. Ce texte y prévoyait qu'au bout de trois années de présence et deux années de travail salarié, on pouvait demander une régularisation. Ou bien qu'après cinq années de présence et une année de travail salarié, on pouvait demander une régularisation. Mais voilà, ce texte n'est plus appliqué depuis longtemps et il a été remplacé, il y a très récemment, par la circulaire du ministre de l'Intérieur actuel, M. Retailleau, qui est venu durcir les conditions de régularisation des travailleurs sans papier et qui prévoit dorénavant qu'il faut sept années de présence sur le territoire et qu'il faut ne jamais avoir reçu d'obligation de quitter le territoire français et qu'il faut parler correctement français. Autant vous dire qu'une personne qui aurait réussi à passer entre les mailles du filet pendant sept ans Sans jamais recevoir une OQTF, déjà, c'est une mission quasi impossible.
- Speaker #0
Merci pour cette première présentation de ce dispositif de l'AES. La préfecture, dans une demande d'AES, d'admission exceptionnelle au séjour, au titre du travail, ne va quand même pas regarder que la situation professionnelle de la personne. Il me semble qu'il y a une appréciation plus globale. Ça me permet aussi de te demander quelle est la marge d'appréciation de la préfecture dans ces demandes-là.
- Speaker #1
Justement, cette marge d'appréciation, elle est énorme. En fait, le projet est dans le nom, c'est-à-dire que c'est l'admission exceptionnelle au séjour, et c'est bien ce qu'elle est. Elle est exceptionnelle. Le préfet a absolument tous les pouvoirs, ce qui signifie que derrière, le juge a un pouvoir de contrôle extrêmement restreint.
- Speaker #0
J'insiste sur un point quand on parle d'admission exceptionnelle au séjour. Donc tu l'as dit, c'est une loi qui prévoit ce mode de régularisation. C'est l'article 435-1 du Code des étrangers, du CESEDA, là où les circulaires n'ont pas force de loi. Donc on a eu beaucoup de difficultés pour faire reconnaître la force juridique de la circulaire Vals lorsqu'elle était favorable aux étrangers, comme tu le disais. Et c'est vrai que ce que je me dis, c'est que la circulaire Retailleau, qui n'a pas non plus force de loi, tout se jouera maintenant devant les tribunaux pour savoir si les tribunaux, cette fois-ci, lui accordent une force un peu plus importante et considèrent que maintenant, ce critère des 7 ans existe bel et bien légalement. Alors que le texte sur l'admission exceptionnelle au séjour, l'article 435-1 que j'ai cité, lui, n'a pas changé depuis cette circulaire.
- Speaker #1
Exactement. En fait, ces circulaires, elles ne sont pas opposables à l'administration. Donc, ça veut dire qu'en gros... L'administration peut nous les opposer à nous et à nos clients. Mais nous, on ne peut pas le reposer à eux. Et donc, c'est quand même... Enfin, les dés sont pipés, quoi. Et je doute que, surtout en ce moment, dans le contexte actuel, je doute que les magistrats considèrent que cette circulaire est opposable à l'administration. Donc, je pense que ça va continuer à être... de plus en plus difficiles. Et on peut s'interroger quand même sur l'intérêt de conserver dans notre pays des centaines de milliers de travailleurs sans papier qui accomplissent des missions absolument essentielles dans, par exemple, la restauration, l'hôtellerie, tout le secteur qu'on appelle du care, mais également sur nos chantiers. quel intérêt en fait d'avoir ces personnes sur notre territoire, de les faire travailler, tout en faisant courir des risques extrêmement importants à leurs employeurs, tout en refusant de les régulariser, tout en émettant des décisions d'éloignement qui ne sont pas exécutées ou extrêmement peu exécutées, ça j'en parle beaucoup dans mon livre. C'est une vraie question. Quel est le projet de société ?
- Speaker #0
On l'a compris, c'est risqué de déposer une demande d'admission exceptionnelle au séjour, d'autant plus avec le resserrement des critères par cette circulaire. Et en plus, tu le rappelais aussi, il y a toujours un risque qui est de plus en plus élevé, même systématique, d'avoir un refus de titre de séjour assorti d'une mesure d'éloignement. Mais si un étranger veut tenter sa chance, il remplit les critères de cette admission exceptionnelle au séjour. Comment peut-on déposer un dossier d'AES aujourd'hui ? Je sais que ça dépend de chaque préfecture, mais je voulais t'entendre là-dessus parce que tu parles dans ton ouvrage d'un supplice chinois pour déposer une demande de titre de séjour actuellement.
- Speaker #1
Oui, ces dernières années, on a vu se mettre en place la dématérialisation des procédures. On aurait pu se dire que c'était peut-être gage de meilleure pratique, d'une plus grande efficacité de l'administration. Moi, je me souviens, quand j'étais jeune, de voir des lignes d'attente absolument phénoménales devant les préfectures dès très, très tôt le matin. En fait, maintenant, ces lignes, elles sont virtuelles. C'est-à-dire que les gens attendent devant leur... leur ordinateur. Pour l'AES, donc grosso modo, pour dire un peu comment ça se passe, même si c'est effectivement différent selon les préfectures, grosso modo, il faut d'abord enregistrer une espèce de pré-demande en ligne avec certains documents. c'est considéré comme une pré-demande qui va faire courir une première période qui va durer environ un an. Et ensuite, on va recevoir une convocation à un rendez-vous qui sera encore un an plus tard, à peu près. Et là, on va au rendez-vous déposer tout son dossier. Et ensuite, les instructions peuvent durer un an, deux ans, trois ans. On peut ne jamais avoir de réponse. Ce qui n'est pas la pire des situations, puisque quand on a une réponse et qu'elle est négative, ce qui est le cas dans la majorité des cas, puisque très peu de personnes sont régularisées chaque année, dans ce cas, on a une OQTF et ou une IRTF. Donc, on est sur un processus qui va durer plusieurs années. Donc, les points de contrôle, en fait, quand on est avocat ou avocate et qu'on accompagne des personnes qui veulent se régulariser. C'est important d'avoir une vraie première consultation où on prend le temps d'expliquer à la personne, j'ai envie de dire, l'économie de cette procédure, c'est-à-dire qu'on est en train de demander une faveur à l'administration. c'est important que les gens le comprennent pour comprendre ensuite pourquoi ils seront traités comme ça et que ça va être extrêmement long et qu'il y a des risques extrêmement important et que c'est important de vérifier que toutes les conditions sont remplies avant de déposer.
- Speaker #0
Et dans cette procédure de régularisation par le travail, quel va être le rôle de l'employeur ? Est-ce que sa coopération, pardon, elle est indispensable et comment on fait quand... Un étranger vient nous voir et que son employeur est réticent à l'idée de l'aider dans ses démarches. Et puis je te demanderai ensuite quels sont les risques pour cet employeur à embaucher un salarié. sans droit au travail en France ?
- Speaker #1
J'ai justement le cas en ce moment au cabinet d'un homme en situation irrégulière qui travaille depuis plusieurs années en France et qui m'a contactée et il se trouve qu'il remplit toutes les conditions pour être régularisé. Il est là depuis vraiment très longtemps, il travaille depuis très longtemps, à temps plein et il travaille avec une fausse carte de séjour. Et donc, on lui a expliqué qu'il était indispensable pour qu'on puisse préparer son dossier, de réunir ce qu'on appelle dans le jargon le pack employeur, qui est constitué par un certain nombre de documents, de formulaires, etc., qui viennent de l'employeur. Donc, on ne peut pas faire ce qu'on appelle une AES travail classique sans l'accord. et l'aide, en fait, le soutien de l'employeur. L'employeur doit être au courant. Et donc, j'ai expliqué à mon client qu'il fallait qu'il ait cette conversation avec son employeur au sujet de sa situation pour que l'employeur, ensuite, signe les documents et qu'on puisse déposer. Non seulement son employeur a refusé de fournir le parc employeur, mais il l'a licencié également. Voilà. Mon client était au courant de ce risque, il était conscient des risques, mais c'était soit prendre ce risque, soit ne jamais se régulariser en fait. Donc voilà, il a pris ce risque, il a perdu son emploi et malheureusement, il n'y a rien à faire. Après, moi, au niveau pratique, je propose très souvent à mes clients de m'entretenir par téléphone avec leur employeur. pour leur expliquer un peu les tenants, les aboutissants, d'un point de vue de droit du travail, à partir du moment où il y a travail illégal, c'est-à-dire un travail déclaré, mais avec une personne qui n'a pas le droit de travailler, il vaut mieux accompagner le salarié dans sa régularisation. Ça plaidera toujours plus en leur faveur, plutôt que de ne pas l'accompagner. Je pense que c'est important de parler avec les employeurs, mais les risques sont réels. Il y a des sanctions pénales d'une part qui peuvent aller jusqu'à 5 ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende pour les personnes physiques. Il y a également des sanctions administratives. Il y a une amende administrative de 21 100 euros par travailleur étranger. Des peines administratives complémentaires comme la fermeture administrative de l'entreprise. le remboursement d'aides publiques. Il y a également des risques spécifiques lorsque l'employeur est étranger. Donc c'est essentiel, si vous avez des clients employeurs et qu'ils sont étrangers, de leur rappeler le risque particulier pour eux, qui peut être un retrait de la carte de séjour temporaire ou de la carte de séjour pluriannuel, ainsi qu'une OQTF, voire une possibilité d'interdiction d'exercice professionnel en France. donc c'est... C'est vraiment terrible. Ces risques sont très importants, mais la réalité économique en France, c'est que dans un certain nombre de secteurs, il nous manque des centaines de milliers de travailleurs. Et donc, même avec ces risques, les employeurs continuent de les prendre parce que sinon, leur boîte ne tourne pas.
- Speaker #0
Marianne, je te propose d'écouter notre consoeur Flore Boixière pour sa chronique.
- Speaker #2
Bonjour, je suis Flore Boixière. Avocate au barreau de Marseille, j'exerce tout comme Salomé en droit des étrangers et j'enregistre cet épisode depuis mon cabinet qui se situe donc à Marseille. On se retrouve aujourd'hui pour une chronique où l'on va parler de la régularisation des travailleurs étrangers exerçant un métier en tension, un dispositif qui a fait couler beaucoup d'encre ces derniers mois. Et pour cause, ce nouveau mode d'admission exceptionnel au séjour a été créé par la loi Immigration du 26 janvier 2024 et a fait son apparition dans le CESEDA à l'article. L435-4. Mais alors, qu'est-ce que c'est précisément et qu'est-ce que cela permet ? Concrètement, cela permet à un étranger en situation irrégulière de demander une carte de séjour salarié ou travailleur temporaire d'une durée d'un an sans les documents usuels du pack employeur que l'on connaît bien. Quelles sont les conditions ? Il faut 3 ans de résidence continue en France, 12 mois d'activité salariée consécutif ou non dans les 24 derniers mois. Un métier figurant sur la liste des métiers en tension dans sa région. une insertion sociale et familiale, un respect de l'ordre public, une intégration et une adhésion à la société française ainsi qu'aux principes de la République, et enfin, un casier judiciaire vierge. Et attention, puisque une seule condamnation suffit à être exclue de ce dispositif. Mais quelle est la différence avec les autres modes d'admission et séjour qui existent déjà ? Tout d'abord, c'est une procédure dérogatoire, c'est-à-dire qu'elle est différente de la demande de titre de séjour salarié, classique, qui découle des articles 421-1 et suivant, Mais elle est aussi différente de la demande de titre de séjour AES-Travail, qui découle de l'article 435-1 du CESEDA, et dont la portée a été considérablement réduite depuis la circulaire Retailleau, puisqu'elle fixe désormais une durée de présence minimale de 7 années. Dans l'absolu, ce nouveau mode d'admission exceptionnel au séjour semble donc plus favorable. Mais cette procédure reste une procédure d'admission exceptionnelle, ce qui veut dire qu'elle reste discrétionnaire. La préfecture dispose d'une grande marge d'appréciation quant à l'intégration de l'étranger ou le motif d'ordre public. Je vous renvoie à ma chronique de l'épisode 1 sur les EQTF à ce sujet. Et enfin, la liste des métiers concernés est assez restreinte. Mais alors de quel métier s'agit-il ? Qui est véritablement concerné par ce nouvel article ? Pendant de longs mois, on a attendu que la liste des métiers en tension soit publiée. C'est chose faite depuis le 21 mai 2025. Un arrêté ministériel est venu actualiser cette liste des métiers en tension. région par région. Elles couvrent de nombreux secteurs allant de la restauration à l'informatique en passant par l'agriculture et les métiers du soin par exemple. Mais, parce qu'il y a toujours un mais, si l'administration se félicite de ce nouveau mode de régularisation, vous imaginez bien que nous émettons de notre côté plusieurs réserves. Tout d'abord, la liste ne reflète pas véritablement la situation de l'emploi dans certaines régions, car certains métiers qui sont véritablement en tension n'apparaissent pas sur cette liste. Ensuite, il n'est pas pas simple de savoir si un métier figure bien sur la liste de sa région. Même nous, avocats, avons parfois du mal à établir si un métier est sur la liste ou non, c'est pour vous dire. Mais pour vous aider à ce sujet, je vous renvoie à la publication de ma chère consoeur Salomé, qui explique comment procéder à cette vérification. Vous trouverez le lien vers son mode d'emploi dans la bio de cet épisode. Enfin, et il me semble que c'est peut-être là le plus important, les dispositions légales qui fondent cette admission exceptionnelle sont applicables jusqu'au 31 décembre 2026. Ce qui laisse un certain nombre d'incertitudes sur la suite de ce dispositif. Sera-t-il supprimé ? Sera-t-il enterriné ? On ne sait pas encore. Quand on étudie de plus près ce nouveau dispositif, on se rend donc bien compte que cela pose beaucoup de questionnements. Et à ce jour, on n'a pas encore le recul nécessaire pour faire le bilan de cette nouveauté. Je vous laisse donc avec ces questionnements et vous dis à très vite dans une prochaine chronique.
- Speaker #0
Marianne, en tant qu'avocate, quel est ton rôle principal lorsque tu accompagnes un travailleur sans papier ? Tu as déjà commencé à en parler. La première étape, c'est finalement une consultation dans laquelle on va présenter ce dispositif assez particulier de l'AES, expliquer les risques. demander une liste de pièces aussi, et notamment ce pack employeur dont tu parlais. Et donc voilà, quelles sont les étapes et quel est ton rôle en tant qu'avocate et quels sont les points de vigilance aussi à avoir quand on prend un dossier d'AES ?
- Speaker #1
Alors, effectivement, comme je te le disais tout à l'heure, nous, on va toujours commencer par une vraie consultation d'au moins 30 minutes. qui est essentiel parce que c'est très possible qu'à la fin de la consultation, on dise au client que non, c'est pas le moment de déposer un dossier, qu'il faut peut-être attendre quelques années ou de remplir tel ou tel critère. Mais cette consultation leur a toujours été utile et d'ailleurs, de nombreux clients, même après que je leur ai dit c'est pas pour tout de suite, me disent je suis vraiment content d'être venu parce que maintenant, je sais comment me préparer. et c'est vrai qu'il y a des choses à savoir en fait j'ai envie de dire dès le début pour préparer un dossier pendant quelques années. La première condition, quelle que soit la porte de régularisation, ça va être une certaine durée de séjour en France. Comment prouver le séjour en France quand on n'est pas titulaire par définition d'une carte de séjour ? La jurisprudence nous dit qu'il faut avoir un certain nombre de documents qu'on appelle des preuves de présence. Alors, il y en a différentes catégories et selon leurs valeurs probatoires, on va en demander plus ou moins par année. Grosso modo, on va, selon la qualité des documents, demander entre 8 et 12 documents par année de présence. Il faut imaginer que quand on demande la régularisation d'un étranger qui est là depuis 10 On va avoir un très gros tas de documents à auditer. Nous, la façon dont on procède, c'est qu'après cette consultation, si on a décidé que c'était intéressant pour la personne de demander l'admission exceptionnelle au séjour et qu'elle avait de très grandes chances de l'obtenir, en tout cas les plus grandes chances possibles, on va lui fournir un document écrit, on va récapituler toute la procédure, les différentes étapes, tous les documents à rassembler. une fois que la personne a rassemblé ses documents, on va les auditer c'est-à-dire qu'on ne peut pas juste balancer les documents comme ça à la préfecture je le dis parce que je vois parfois au stade du contentieux des clients qui me disent que c'est comme ça que leur avocat a travaillé il faut les auditer parce que c'est nous qui savons c'est nous qui savons s'il y en a assez s'ils sont de bonne qualité et Il ne faut pas fournir des documents qui incriminent nos clients parce que parfois, ils nous mettent une amende ou des choses comme ça. Ce n'est pas pertinent de mettre ça dans un dossier. Et ensuite, on va les accompagner dans toutes les étapes de la procédure. Nous, on rédige toujours une lettre d'accompagnement qui va être extrêmement détaillée, qui va montrer, vraiment dresser le meilleur portrait possible. de notre client, s'il fait du bénévolat. On ne va pas juste montrer son travail, on va montrer aussi toute son intégration en France parce qu'on ne passe pas dix ans en France juste à travailler, évidemment. Et ces choses-là sont très importantes. Et d'ailleurs, je pense à un dossier où un couple de clients d'employés de maison qui avaient reçu... chacun une OQTF en essayant de se régulariser. Et alors, quand on avait fait le recours au tribunal, on s'était régalés parce que... C'était vraiment les gens les plus bienfaisants possibles. Ils travaillaient énormément, ils étaient extrêmement appréciés de leurs employeurs. Mais ils avaient aussi fait une formation pour apprendre le langage des sourds muets, le langage des signes. Ils avaient aussi fait des brevets de secouristes, ils étaient bénévoles, ils faisaient de la photographie, ils avaient gagné des concours. En fait, voilà, toutes ces petites choses mises bout à bout. et aussi de se présenter à l'audience avec une demi-douzaine de leurs employeurs. Voilà, ça fait la différence. Il faut coacher aussi les clients pour l'entretien à la préfecture, enfin le rendez-vous à la préfecture, enfin maintenant c'est devenu un entretien, mais pour l'audience également, si on est au stade du contentieux, après un refus de régularisation, expliquer aux clients que, en fait, on va voir, même si c'est censé être une procédure écrite, on est quand même des humains qui allons rencontrer d'autres humains, et que c'est important la façon dont on va se présenter au monde, comment on va s'habiller, moi j'ai toujours dit s'habiller comme pour un entretien d'embauche, et d'être éventuellement entourée, soit de sa famille, si on en a, pour que les juges voient. l'entourage de son employeur, de ses employeurs, de ses collègues. Toutes ces petites choses mises bout à bout, ça compte dans un dossier de régularisation.
- Speaker #0
Merci pour cette présentation des différentes étapes et de ce qu'un avocat apporte dans ces dossiers qui sont délicats, comme on l'a dit. C'est d'autant plus important de faire attention aux détails. et à mettre en valeur la situation globale de la personne, puisque c'est bien l'intégration qui est prise en compte aussi au titre de l'admission exceptionnelle au séjour. Tu as beaucoup parlé du rôle des tribunaux, en fait. À la fin, tu nous parlais des audiences. Donc, ce qu'on comprend, c'est que quand on a un refus de titre de séjour qui va souvent être assorti d'une OQTF, il est possible de contester cette décision devant le tribunal administratif d'abord, puis la cour administrative d'appel ensuite. C'est ce que tu avais fait avec Samba, une histoire que tu relates dans ton livre. Malheureusement, ça n'avait pas marché dans son cas. Est-ce que tu peux quand même nous parler des motifs sur lesquels les tribunaux peuvent annuler des décisions de refus de titre de séjour pour des travailleurs sans papier, puisque, comme on l'a dit, la marge de manœuvre de l'administration est grande et donc la marge d'appréciation du tribunal l'est moins ? Et donc ça se joue notamment sur la vie privée et familiale, j'imagine, de la personne. Mais quels sont les dossiers qui peuvent passer au tribunal et qui ne sont pas passés devant les préfectures ?
- Speaker #1
Alors, c'est effectivement le cœur du problème. C'est-à-dire que, comme je le disais au début de ce podcast... Le pouvoir de contrôle du juge est très réduit. Dans mon cabinet, on a un excellent taux de réussite au niveau contentieux, sauf dans tous les contentieux post-demande d'AES, avec refus d'admission au séjour, OQTF, voire IRTF. C'est vraiment le contentieux où les victoires, malgré tout notre travail, sont extrêmement rares. D'où l'importance de ce que je disais tout à l'heure, de bien faire la sélection des clients pour lesquels on va accepter les accompagner dans l'AES. Parce qu'il faut toujours se dire que s'il y a un refus, ce sera extrêmement difficile de le faire annuler.
- Speaker #0
Marianne, entre 2023 et 2024, il y a une baisse de 10% des régularisations par le travail. Donc ça passe de moins en moins devant les préfectures, ça passe difficilement devant les tribunaux, ensuite tu viens de le rappeler. Comment est-ce que tu interprètes cette baisse des régularisations ? Est-ce qu'elle va se poursuivre ? Est-ce que c'était une baisse momentanée ? Et je voulais notamment te faire réagir sur la loi Darmanin de janvier 2024, dont tu as déjà un peu parlé, qui prévoit un allongement de la durée d'exécutabilité des mesures d'éloignement. qui était avant d'un an et qui est maintenant de trois ans. Donc j'imagine que dans les conseils que tu donnes à tes clients, ça a évolué depuis cette loi. Et puis la circulaire Retailleau dont on a déjà parlé, qui resserre les critères. Pour toi, quel est l'avenir de la régularisation des travailleurs sans papier en France dans ce contexte ?
- Speaker #1
C'est extrêmement bouché. C'est évident. Après, qu'est-ce qui va se passer ? Euh... Comme c'est un sujet éminemment politique, on pourrait imaginer, si aux prochaines élections, on avait un gouvernement de gauche, on pourrait imaginer que les choses changent. Bon, ça a malheureusement l'air assez mal parti pour être le cas. Mais la réalité, oui, c'est que les régularisations, il y en a de moins en moins, il va y en avoir de moins en moins. Voilà, donc l'avenir me semble extrêmement sombre pour ces personnes avec des situations humaines derrière qui sont absolument dramatiques.
- Speaker #0
Il y a une lueur d'espoir, en tout cas, je veux avoir ton point de vue là-dessus. C'est la loi d'Armanin aussi qui a intégré la catégorie des métiers en tension, enfin en tout cas qui a prévu un nouveau dispositif d'admission exceptionnelle au séjour pour les métiers en tension. Est-ce que tu as déjà des retours d'expérience sur ce dispositif qui est très récent ?
- Speaker #1
Alors effectivement, on voit que ces dossiers sont quand même traités plus rapidement par les préfectures. J'ai envie de dire qu'il n'y a pas de mal. Faire moins long que 4 ans, ça semble jouable. Le gros avantage de cette procédure, c'est qu'il n'y a pas besoin de ce fameux pack employeur. Donc le salarié est très autonome pour faire sa demande. Moi, tu me demandes ce que je vois en pratique. En pratique, le problème, c'est que le décret sur les métiers en tension est mal fait, qu'on n'a pas les bons métiers, on n'a pas les bons codes, parce que pour chaque type d'emploi, il y a un code qui correspond. et donc des personnes qui, assez légitimement, pensent qu'elles pourraient être régularisées parce qu'elles... pensent être dans un métier en tension, donc par exemple des nounous, du personnel de restaurant, etc., ou sur des chantiers, ils pensent qu'ils peuvent être régularisés, sauf que quand on regarde le nom de l'intitulé de leur emploi sur leur bulletin de salaire et le code, en fait, ça ne correspond pas à ce qui est prévu. Tout ça est très illisible. Les personnes sont évidemment très déçues, ont du mal à comprendre. Il faut faire un gros travail de pédagogie. Et le problème, c'est que comme il faut des bulletins de salaire sur au moins 12 mois, tout est à refaire. On n'est pas à l'abri que dans 12 mois, tout ça ait encore changé.
- Speaker #0
Donc pas un si grand espoir que ça en fait le métier en tension.
- Speaker #1
Non, nous pour le moment, ça n'a pas débloqué de façon spectaculaire des situations. Ça a créé de nouvelles difficultés. Ça a créé plus de confusion qu'autre chose.
- Speaker #0
Merci beaucoup Marianne d'avoir répondu à mes nombreuses questions sur la régularisation des travailleurs sans papiers en France. Merci à vous d'avoir écouté Étranges Droits. Avant de se quitter, je vous rappelle que chaque situation est unique et que les informations qu'on a partagées ne remplacent pas les conseils personnalisés d'associations et d'avocats. Et je vous renvoie vers le site du Gisti pour trouver une assistance près de chez vous. Et je vous dis à dans deux semaines pour un nouvel épisode où nous continuerons à explorer ensemble cet étrange droit qui est le droit des étrangers. Merci.
- Speaker #1
Merci Salomé.