- Speaker #0
Aujourd'hui pour demain. Je suis Lola Cross et j'arpente ce bout de campagne depuis dix ans comme journaliste. Avec Finta, je vous invite Ă croiser des regards, Ă Finter de plus prĂšs. Et ça commence tout de suite. Il est le papa des sisters les plus connues de France. Avec 8 millions de BD vendus, un dessin animĂ© quotidien Ă la tĂ©lĂ©, une sĂ©rie dans le top 10 Netflix, William Morey a fait de ses vraies filles, Wendy et Marine, des hĂ©roĂŻnes que les ados s'arrachent depuis 2007. C'est dire qu'il en a bercĂ©, des gĂ©nĂ©rations, bien heureux dans son discret atelier miyavois. Et s'il a toujours dessinĂ©, du plus loin qu'il s'en souvienne, William Morey a d'abord travaillĂ© Ă l'usine pendant dix ans et couru les fĂȘtes de villages du coin pour croquer des visages et faire vivre ses personnages de papier. Il a connu des flops d'Ă©dition, Ă arpenter les festivals de la rĂ©gion sans jamais renoncer Ă son rĂȘve de gosse, vivre de sa passion de la BD. Profitant d'un congĂ© paternitĂ©, il a mis toutes les chances de son cĂŽtĂ©. Et c'est en 2007 que les gags de ses filles, qu'il partageait sur les premiers forums du web, tombent entre les mains d'un Ă©diteur. TirĂ©s Ă 20 000 exemplaires dĂšs le premier tome, les Sisters paraissent aujourd'hui Ă 200 000 exemplaires dans leur 19e opus. Et si William Mori prĂ©fĂšre largement rester dans sa bulle, il a tout de mĂȘme acceptĂ© de me recevoir. Je mesure ma chance. Et c'est dans sa chambre d'ado qu'il m'a donnĂ© rendez-vous. Enfin, presque.
- Speaker #1
Alors lĂ , on est dans ma chambre d'ado. Je l'appelle comme ça, c'est mon atelier. Donc, vous voyez, il y a des posters, des figurines. C'est lĂ que je me sens bien, en fait. J'ai remarquĂ© que tous les auteurs de bandes dessinĂ©es ou dessinateurs, on est un petit peu... peu geek en fait. On aime bien tout ce qui est liĂ© Ă la pop culture. C'est lĂ que j'aime bien travailler. Je ne pourrais pas travailler... J'ai des collĂšgues qui travaillent dans leur salon ou dans leur cuisine et moi, il me faut un univers qui reflĂšte ma personnalitĂ© et ce que j'aime pour ĂȘtre bien.
- Speaker #0
Donc on a le viaduc de Millau dans une fenĂȘtre, la punche d'Auguste dans l'autre. Entre ces deux fenĂȘtres, est-ce que vous pouvez dĂ©crire aux auditeurs ce qu'on voit ? Vous venez de l'aborder briĂšvement, mais quelles sont les rĂ©fĂ©rences qui sont un peu partout au mur autour de nous ?
- Speaker #1
Alors, il y a quelques bibliothĂšques en bois. J'aime bien le bois. Et avec toutes mes collections de bandes dessinĂ©es et aussi des artbooks avec des biographies d'auteurs. Donc, les auteurs que j'apprĂ©cie comme, par exemple, H.R. Giger qui a créé le Alien dans le film. Uderzo, entre autres, Franquin, tous les grands. Puis sur les Ă©tagĂšres, nous voyons des figurines. Il y a un peu de tout. Je ne suis pas monomaniac, mais j'adore Retour vers le futur. On peut voir quelques figurines avec ces personnages-lĂ . Sinon, tout ce qui concerne la pop culture, et notamment les films ou les BD d'horreur. J'ai mĂȘme créé un personnage qui s'appelle T-Zombie, donc c'est un univers assez glauque. Et puis aprĂšs, on peut voir des figurines des Sisters aussi, faites soit par des fans, ou alors des figurines qui ont servi de promo pour le jeu vidĂ©o, par exemple. Et tout ce petit univers-lĂ , ça m'arrive bien, je trouve. Ăa me permet de m'Ă©vader, puis quand je n'ai pas d'inspiration, je prends un bouquin, je prends une BD, et puis ça revient.
- Speaker #0
Mio, vous y avez grandi, vous y vivez encore. Est-ce que c'est un choix d'ĂȘtre restĂ© ici et d'y ĂȘtre toujours restĂ© ? Ou est-ce que vous en ĂȘtes parti Ă certains moments ?
- Speaker #1
Je suis nĂ© Ă Mio, dans le quartier de Malortet. Ma mĂšre est miaboise, mon pĂšre de Saint-Georges, de Lusanson. J'ai toujours aimĂ© cette rĂ©gion. C'est vrai que pour pratiquer un sport... Il y a moyen d'aller sur les cosses, le cosse du Larzac, le cosse MĂ©jean, le cosse Rouge. Je fais beaucoup de VTT, je faisais de la course Ă pied Ă une Ă©poque, j'ai arrĂȘtĂ© suite Ă un accident. J'ai le plaisir de me balader et quand je vais ailleurs, c'est vrai que la rĂ©gion me manque.
- Speaker #0
Vous avez prĂ©cisĂ© que vous ĂȘtes originaire du quartier de MalourtĂ©. Dans quelle famille est-ce que vous avez grandi, vous ?
- Speaker #1
Alors moi, j'ai Ă©tĂ© Ă©levĂ© par ma mĂšre. Je vis avec ma mĂšre et ma sĆur. Ma sĆur qui est plus jeune d'un an. Et MalourtĂ©, c'est un quartier, c'est populaire. Et j'ai toujours dessinĂ©. De ma fenĂȘtre, je voyais la poncho d'Agast. puis je m'inspirais pour crĂ©er des personnages, des situations.
- Speaker #0
Du plus loin que vous vous souveniez, vous avez toujours dessiné ?
- Speaker #1
J'ai toujours dessinĂ©, oui. MĂȘme ma mĂšre me disait, quand j'Ă©tais dans le parc, je dessinais sur les murs de ma chambre, avec des crayons Ă base de cire, et je redĂ©corais.
- Speaker #0
Et pourtant, vous avez fait des études d'hÎtellerie, puis votre service militaire, puis vous avez travaillé à l'usine ITA. C'est vrai ? Est-ce que c'était des Ausha que ces choix-là ?
- Speaker #1
Ce sont les choix du moment, parce que je ne travaille pas Ă l'Ă©cole, pas parce que je ne comprenais pas, mais parce que je n'Ă©tais pas attentif. Moi, j'Ă©tais concentrĂ© sur mes dessins, sur les caricatures des profs, c'Ă©tait plus important que d'Ă©couter les thĂ©orĂšmes, par exemple, en cours de maths ou d'algĂšbre, je ne trouvais pas ça intĂ©ressant. Alors, est-ce que le prof n'Ă©tait pas intĂ©ressant ? Je ne sais pas. vu que moi, j'Ă©tais dans ma bulle. Et donc voilĂ , quand tu ne travailles pas bien Ă l'Ă©cole, Ă un moment donnĂ©, il faut faire un choix et s'orienter. Bon, mais Ă partir de la troisiĂšme, quand j'ai vu que ça n'allait pas du tout, j'ai dĂ©cidĂ© de faire hĂŽtellerie, comme j'aurais pu prendre mĂ©canique, par exemple. Et au bout d'un an, aprĂšs un stage, j'ai vu que ce n'Ă©tait vraiment pas pour moi. Puisque lĂ , c'est pareil, quand il fallait faire les bonnes d'Ă©conoma, par exemple, moi, je dessinais dessus. Donc forcĂ©ment les recettes, ce n'Ă©tait pas ça. Et j'ai dĂ» abandonner. Pendant mon service militaire, j'ai eu la chance de travailler dans une imprimerie avec des civils. Et lĂ , ça a Ă©tĂ© la rĂ©vĂ©lation. DĂšs que je suis rentrĂ© dans l'imprimerie, j'avais cette odeur d'encre. Et j'ai dit, c'est vraiment ce que je veux faire comme mĂ©tier, travailler dans le milieu du livre, de la presse. Peu importe, il fallait que... Il y avait quelque chose qui m'attirait lĂ -dedans. DĂ©jĂ , j'avais le goĂ»t du dessin, le goĂ»t de la bande dessinĂ©e, et puis je faisais beaucoup de caricatures, que ce soit Ă l'Ă©cole ou pendant mes Ă©tudes en hĂŽtellerie ou Ă l'armĂ©e. J'ai toujours caricaturĂ©, que ce soit les profs, les camarades, les collĂšgues, tout ça. Et ça m'a suivi. Et quand je travaillais Ă l'imprimerie, Ă l'armĂ©e, les collĂšgues n'y ont pas Ă©chappĂ©. Ils sont tous dans un requĂȘt que j'ai encore lĂ .
- Speaker #0
Et qu'est-ce que vous en faites alors de cette odeur de l'encre qui vous suit ? Ă la fin du service militaire, vous ne vous orientez pas tout de suite vers...
- Speaker #1
à la fin du service militaire, il y a le commandant qui m'a recommandé. Et il m'a fait une gentille lettre, comme quoi j'étais capable de travailler dans ce milieu-là , puisque je n'avais pas de diplÎme. Et pour moi, c'était un diplÎme déjà , de pouvoir me présenter à un imprimeur, dire que je suis recommandé par le commandant en tel. Puis... Il fallait trouver un travail. J'étais déjà avec Sandrine, la maman de Wendy Mine. Elle comptait devenir infirmiÚre et elle passait le diplÎme. Moi, j'ai pris le premier travail qu'il y avait. Puis, il s'est trouvé qu'Aïtéa allait chercher quelqu'un, donc entre 8. Je l'ai fait et puis ça a duré 10 ans. Pendant 10 ans, je me posais la question tous les matins, mais est-ce que tu es vraiment dans ton aimant ? Alors, je caricaturais aussi les collÚgues du travail, bien sûr. pendant la pause café, donc ça m'a toujours suivi. Puis à un moment donné, à la naissance de ma deuxiÚme fille, Marine, on avait droit à un congé parental de 3 ans. Donc ma femme était infirmiÚre. Je dis pourquoi pas, la premiÚre on n'en a pas profité trop, vu qu'on travaillait la nuit tous les deux. Elle a été pas mal chez la nourrice. Et il a fallu à un moment donné que quelqu'un choisisse. Donc voilà , j'ai été... Pendant trois ans, je me suis occupé de marine. Et pendant ces siestes, ça m'a permis de préparer des dossiers. Alors, au départ, pour animer des ateliers. Et c'est arrivé comme ça, petit à petit.
- Speaker #0
Pas forcément avec l'idée de transformer l'essai au bout des trois ans du congé parental et vous lancer complÚtement dans la baie. Ce n'était pas forcément décidé ?
- Speaker #1
Je ne pouvais absolument pas reprendre le travail Ă l'usine. Ăa, c'est dur. Et je me suis... toujours dit je veux pas revenir Ă l'usine je vois lĂ je veux faire mes preuves donc que ce soit dans la peinture parce que je peins aussi dans la caricature alors j'ai un copain dĂ©jĂ qui travaille dans la caricature sur mio qui s'appelle daf je voulais pas lui prendre un petit peu Ă marcher sur ces plates-bandes, je me suis dit tu vas faire du portrait. Donc j'ai Ă©tĂ© dans les petites fĂȘtes, les fĂȘtes du village, je faisais des portraits. J'ai fait ça pendant quelques annĂ©es et ça m'a mis un peu le pied Ă l'Ă©trier. Et puis est venu plus tard le festival de Comper oĂč lĂ j'ai vraiment eu le dĂ©clic. En voyant les auteurs dĂ©dicacĂ©s, je me suis dit ce que tu veux faire c'est de la bande dessinĂ©e. En fait, c'Ă©tait mon dĂ©sir d'enfance qui est revenu en 1996 pour le premier festival de Comper. Et de les voir lĂ comme ça dĂ©licacĂ©s devant moi, de savoir que certains pouvaient en vivre.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'elle a de plus la bande dessinée que le portrait, la caricature que vous faisiez ?
- Speaker #1
Le fait de pouvoir faire vivre des personnages avec trĂšs peu de moyens. Si vous voulez, c'est un film que vous regardez, mais Ă tout moment, vous pouvez faire un arrĂȘt sur l'image et puis revenir en arriĂšre. Il n'y a pas d'effort Ă faire, il n'y a pas de branchement. Et l'histoire peut vous porter, le dessin, vous y revenez si vous avez apprĂ©ciĂ© l'histoire. Alors c'est vrai qu'on achĂšte un album, on l'achĂšte en premier pour le dessin, on ne connaĂźt pas l'histoire, mĂȘme en feuilletant, ce n'est pas possible. Puis on accroche avec l'histoire.
- Speaker #0
Et pourquoi vous parlez de peu de moyens alors ?
- Speaker #1
Une feuille et un crayon.
- Speaker #0
Ok.
- Speaker #1
VoilĂ . Alors que si vous voulez faire un film avec les mĂȘmes effets, par exemple vous prenez la bande dessinĂ©e de Moebius, l'Incal. puis vous voulez le transposer au cinĂ©ma, ça va coĂ»ter des millions. Alors comme dans les cinĂ©, il y a besoin d'une feuille, d'un crayon.
- Speaker #0
Et donc, suite au festival de BD de Compeyre, vous remettez les pieds dedans. Vous avez des premiÚres expériences d'édition à ce moment-là ?
- Speaker #1
Alors oui, j'ai fait du fanzine grĂące au festival. qui a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© Ă peu prĂšs Ă 300 exemplaires. Donc ça m'a permis d'aller faire des festivals, de dĂ©dicacer, de me confronter un petit peu au train-train quotidien du dessinateur. VoilĂ , c'Ă©tait ma premiĂšre expĂ©rience. Donc le fanzina, ça s'appelait Mystic Compere. On en a fait deux, on en a fait un en 99 et un en 2001. Maintenant ils sont au collector. C'est vrai qu'Ă 35 exemplaires c'est peu. Mais pour nous Ă l'Ă©poque, on avait dĂ©jĂ un pied dedans. Et je me souviens, le premier festival que j'ai fait, c'Ă©tait La Fouillade. Un petit village Ă cĂŽtĂ© de Najac, dans l'Aveyron. On allait dĂ©dicacer juste pour rembourser l'imprimeur, qui a fait une avance. Mais c'Ă©tait une super expĂ©rience. Et puis voilĂ , un pied Ă l'Ă©trier. J'ai fait un album avec AndrĂ© Triana, qui Ă©tait l'animateur du Festival de CompĂšres, et qui avait un scĂ©nario dĂ©jĂ , et qui me l'a proposĂ©. Donc c'Ă©tait des enfants qui Ă©taient envoyĂ©s sur une Ăźle dĂ©serte, ça s'appelait Atros, citĂ© des ados. C'Ă©tait bien avant Koh Lanta. Et moi, je suis parti sans contrat, sans rien, et puis on s'est dit, on va aller Ă AngoulĂȘme le prĂ©senter. Seulement Ă AngoulĂȘme, quand on arrive, on arrive avec le sourire, puis les Ă©diteurs, de suite... ils nous cassent, ils ne vont pas forcĂ©ment dans le sens du poil. Et c'est lĂ qu'on se dit, c'est peut-ĂȘtre plus dur que ce qu'on imaginait pour arriver Ă ĂȘtre Ă©ditĂ©.
- Speaker #0
Qu'est-ce qui vous a fait tenir, vous ?
- Speaker #1
Un Ă©diteur qui m'a proposĂ© de faire un essai sur une petite bande dessinĂ©e trĂšs courte, avec une ambiance Tonton Flinger. Je suis rentrĂ© chez moi, je crois que j'ai fait les quatre pages en trois jours. Je lui ai envoyĂ© de suite, il a vu que j'Ă©tais rĂ©actif et que je savais mettre en scĂšne aussi, parce qu'un dessinateur de BD, il faut qu'il sache dessiner, mais aussi il faut connaĂźtre la narration. C'est pas Ă©vident, c'est pas donnĂ© Ă tout le monde. Donc voilĂ , moi j'avais ça depuis tout petit, je recopiais des bandes dessinĂ©es, donc j'avais appris tout seul. le fait d'ĂȘtre autodidacte, on essaie de s'inspirer un peu partout, de droite Ă gauche. Et c'est lĂ qu'il m'annonce qu'il a un projet avec le rĂ©alisateur Georges Lautner, qui Ă©tait le rĂ©alisateur des Tontos Flungers. C'est pour ça qu'il m'avait dit tu fais une planche qui est inspirĂ©e de ce milieu-lĂ . Et ça s'est enchaĂźnĂ©, donc il m'a signĂ© un contrat, il m'a dit tu as quatre mois pour faire l'album. qui s'appelait Baraka, vraiment le Graal pour moi, avec TrĂ©ditĂ©. Et j'ai eu vraiment beaucoup de chance de le rencontrer, de travailler avec lui. Donc sur ce diptyque, il y a eu deux albums de Baraka. Bon, le ton 3 ne s'est pas fait, c'est vrai que moi j'avais bien avancĂ© dessus, en plus je participais au scĂ©nario.
- Speaker #0
Ok, comment vous rebondissez alors sur le fait qu'il n'y a pas de tome 3 ? Vers quoi vous allez ?
- Speaker #1
ForcĂ©ment, surtout quand l'Ă©diteur m'appelle et qu'il me dit que ça part au pilon, parce que bon, en principe on fait un album pour que ce soit lu, vendu ou donnĂ©, mais pas pour qu'il soit dĂ©truit. Et il m'a dit, Ă©coute, dĂ©solĂ©, ça ne le fait pas, mais si tu veux, j'ai des boulots pour toi en tant que coloriste. Je lui ai dit, pourquoi pas. De toute façon, il faut que je travaille, donc donne-moi ce qu'il y a Ă faire. Et j'ai enchaĂźnĂ© les petits travaux. Ăa m'a permis de travailler et puis Ă cĂŽtĂ© de ça, de penser Ă de nouveaux projets.
- Speaker #0
Donc c'est Ă ce moment-lĂ que vous commencez Ă nourrir les premiĂšres planches d'un art de famille ?
- Speaker #1
Oui, tout Ă fait.
- Speaker #0
Sur un blog ?
- Speaker #1
Sur un forum qui s'appelait Baywin, qui a Ă©tĂ© créé par Franck Tourneret, qui est un passionnĂ©, on a la chance de le publier. Et d'ĂȘtre vu, Ă mon Ă©poque, il n'y avait pas internet quand j'Ă©tais gamin. Et c'est vrai que mes dessins restaient dans les tiroirs. LĂ , la moindre personne pouvait montrer ce dont il Ă©tait capable et rencontrer. VoilĂ , c'est ça qui est enrichissant aussi. C'est de rencontrer des gens passionnĂ©s.
- Speaker #0
Et donc, vous dessiniez déjà à ce moment-là vos deux filles, Wendy et Marine, dans une vie quotidienne.
- Speaker #1
VoilĂ , c'Ă©tait tout simplement le quotidien de deux sĆurs qui s'adorent et qui se dĂ©testent. Comme tous les gamins, forcĂ©ment, il y a quatre ans d'Ă©cart entre les deux. DĂšs qu'il y avait une dispute, ça me donnait une idĂ©e. Donc, j'ai dit, il y a quelque chose Ă faire. Je notais dans un petit carnet, ça me donnait des idĂ©es de gags. Mais je ne savais pas comment tourner ça en trois images, quatre cases. C'Ă©tait un peu foodtruck tout ça, mais je postais, je postais sans arrĂȘt. Et puis, vous voyez bien quand mĂȘme qu'il y avait quelque chose de magique lĂ -dedans, dans cette relation-lĂ . Les duos en bande dessinĂ©e...
- Speaker #0
Et comment est-ce que vous vous ĂȘtes repĂ©rĂ© Ă ce moment-lĂ ? Qu'est-ce qui se passe le jour oĂč ça devient un projet d'une plus grande ampleur ?
- Speaker #1
Alors, Ă un moment donnĂ©, j'avais marre de faire de la couleur. Et j'ai envoyĂ© un message Ă un copain qui travaillait chez Bambou. VoilĂ , Bambou Ăditions. Et il m'a dit, ah mais ça tient la route ton projet. Franchement, tu devrais essayer de l'envoyer Ă Olivier.
- Speaker #0
Et donc les sisters, trÚs vite quand elles arrivent en bande dessinée, le succÚs il est immédiat ?
- Speaker #1
ImmĂ©diat. Ăa m'a surpris dĂ©jĂ qu'ils sortent Ă 20 000 exemplaires. Jusque-lĂ , le plus gros tirage, c'Ă©tait 3000 exemplaires. L'Ă©diteur y croyait fortement. D'ailleurs, il m'a appelĂ© de suite quand je lui ai proposĂ© le projet par mail. Il m'a appelĂ© dans la minute pour me dire que vraiment, c'Ă©tait un projet dans lequel il croyait. Il m'a dit qu'on allait le sortir Ă 2000 exemplaires. Il m'a dit que j'y croyais. On va voir si ça plaĂźt. Et puis, il m'a dit, Ă©clate-toi et fais ce que tu sais faire. Je suis juste rentrĂ© dans les cases. J'ai juste changĂ© mon format de page. Et depuis, c'est exponentiel. En fait, c'est Ă©ditĂ© chaque fois un peu plus. LĂ , par exemple, le tome 19 a Ă©tĂ© imprimĂ© Ă 200 000 exemplaires. Donc 200 000, c'est incroyable. Surtout en ce moment, parce qu'il y a eu la crise dans la bande dessinĂ©e aussi, dans la presse, que ce soit. Et surtout avec Internet et puis les mĂ©dias. Mais ça fait 17 ans qu'on travaille Ă peu prĂšs sur les BD, les Seaters. Et il y a des projets qui se sont ajoutĂ©s, comme le dessin animĂ©, etc.
- Speaker #0
Juste en quelques chiffres, on approche des 8 millions, je pense, de BD exemplaires vendus. Sur la totalité ?
- Speaker #1
Oui,
- Speaker #0
sur les 19 hommes. Le 19e est sorti en octobre dernier. C'est la BD préférée des petites filles de 7 à 12 ans, sur ce segment-là , d'aprÚs le Centre National du Livre. C'est aussi devenu un dessin animé qui est diffusé quotidiennement aujourd'hui. C'est devenu une série sur Netflix qui s'est hissée dans le top 10 des séries les plus regardées en France aussi. Et c'est sans compter le magazine qui est édité par Milan sous licence, les jeux vidéo, les figurines, les jeux de cartes. Bon voilà , il y a des produits dérivés plus qu'il n'en faut aujourd'hui. Et vous dites d'ailleurs William que vous vous pincez encore 17 ans aprÚs pour le croire. Je les vois. comment vous l'expliquez vous justement ce succÚs,
- Speaker #1
le fait que l'Ă©diteur continue Ă vous faire confiance du 7 ans aprĂšs ça ne s'explique pas sinon il y aurait une recette au succĂšs c'est vrai que Quand je vois les ventes, je reçois les droits. Je suis toujours impressionnĂ©. Mais est-ce que vraiment on peut l'expliquer ? Est-ce que, je ne sais pas, demain il y a une BD sur les frangins qui s'appelle Les Brothers ? VoilĂ , on ne sait pas. On ne sait pas pourquoi il y a des lecteurs qui s'attachent Ă tel ou tel personnage. Alors peut-ĂȘtre qu'il y a le cĂŽtĂ© vĂ©cu qui parle aussi aux parents et aux grands-parents. Je sais que souvent, en dĂ©dicace, on me dit... Ăa reflĂšte vraiment la rĂ©alitĂ©, ce qu'on vit Ă la maison. On a l'impression que vous ĂȘtes venus et que vous avez mis une petite camĂ©ra et que vous observez notre quotidien. AprĂšs, je pense que les lecteurs se reconnaissent, que ce soit les enfants. Je privilĂ©gie les personnages. Je privilĂ©gie Wendy et Marine aux parents. Pour moi, les parents, c'est en retrait. Dans le dessin animĂ©, il a fallu faire quelques petits rĂ©glages et puis quelques nĂ©gociations aussi. Parce que M6 tenait absolument Ă ce qu'on voit une famille classique avec des parents, des Ă©pisodes de 11 minutes, des enfants liĂ©s vers eux-mĂȘmes. Ce n'Ă©tait pas crĂ©dible. Et voilĂ , donc on a dit OK pour le dessin animĂ©. D'accord, il y aura les parents. Et puis finalement, je trouve que ça s'est... Ăa va bien pour ce mĂ©dia-lĂ . Le fait qu'on voit que ce soit une famille complĂšte. Les parents dans la BD, on les voit, mais ce sont souvent des ombres chinoises, ou de dos, ou trois quarts. Je voulais vraiment axer la sĂ©rie sur les filles, et non sur une vie familiale. Ce qui m'intĂ©ressait, c'est la relation complexe, compliquĂ©e et tendre qu'il y a entre Wendy et Marine. C'est ça, c'Ă©tait le but.
- Speaker #0
C'est un peu surprenant justement avec l'univers dans lequel on est. Vous parliez de l'univers de l'horreur qui vous entoure aussi de super-héros, de héros et de héroïnes de la pop culture. Là pour le coup, Wendy et Marine, elles ne sont pas des super-héroïnes ?
- Speaker #1
Non, elles rĂ©unissent tous les points lĂ . Dans la chambre de Marine, on peut voir des peluches. Et voilĂ , les peluches, ce sont des personnages de comics. Par exemple, on a fait une bande dessinĂ©e avec Christophe qui s'appelle T-Zombie. Et lĂ , on se fait plaisir aussi. Il sait mon goĂ»t pour ce genre-lĂ , le genre de l'horreur. Donc on fait plein de petits clins d'Ćil. On n'a fait pas dans la bande dessinĂ©e des Sisters, vu que c'est un public quand mĂȘme assez jeune. Mais il y a d'autres clins d'Ćil, des clins d'Ćil Ă la pop culture, des clins d'Ćil aux personnages de BD connus.
- Speaker #0
Donc Christophe Cazeneuve qui est votre co-scénariste encore aujourd'hui. Comment vous amusez encore vous avec les sisters dix-sept ans aprÚs ?
- Speaker #1
C'est grĂące Ă Christophe ça, beaucoup. Je pense que si je l'avais fait seul Ă un moment donnĂ©, la source aurait pu se tarir. Mais lĂ , lui il amĂšne quelque chose en plus. Donc il a un frĂšre et c'est vrai qu'il a des souvenirs aussi qui mĂȘlent Ă mes souvenirs Ă moi. Et je ne me rends pas compte des fois, j'ai l'impression d'avoir vĂ©cu cette situation. Et puis en fait, c'est lui qui a apportĂ© quelque chose de nouveau. Donc j'ai toujours aimĂ© travailler avec un scĂ©nariste parce que ça enrichit. Et Christophe, voilĂ , amĂšne quelque chose de frais. Et ça Ă©vite les rĂ©pĂ©titions. Moi, j'aurais peut-ĂȘtre tendance Ă me rĂ©pĂ©ter. Et de travailler Ă deux comme ça, on se lance la balle. Moi, je lui envoie le thĂšme de l'album prochain. avec des pistes, des gags qui sont Ă©crits ou pas. Et Ă partir de lĂ , de cette matiĂšre, lui, il crĂ©e des gags pour l'album qui vient ou l'album qui sera publiĂ© dans deux, trois ans.
- Speaker #0
C'est-Ă -dire que lĂ , le tome 19, le thĂšme, c'est le dĂ©mĂ©nagement. Ăa colle avec votre vie avant.
- Speaker #1
C'est du vĂ©cu. Donc chaque fois, je lui propose un thĂšme qui correspond Ă notre vĂ©cu. Donc lĂ , on a dĂ©mĂ©nagĂ© l'an dernier. J'ai appelĂ© l'Ă©diteur, j'ai dit... En principe, j'en parle Ă Christophe, et c'est Christophe qui en parle Ă l'Ă©diteur. Mais lĂ , j'avais parlĂ© Ă l'Ă©diteur, j'ai dit on va dĂ©mĂ©nager. Donc c'est vraiment un gros changement de la sĂ©rie. Parce que mĂȘme dans le dessin animĂ©, on reconnaĂźt la maison qu'on avait Ă Chryssel. Et lĂ , j'ai dit ça va peut-ĂȘtre chambouler un petit peu le lecteur. Est-ce qu'il va se reconnaĂźtre ? Je sais qu'il y avait un confort Ă lire. Une bande dessinĂ©e comme Calvin et Hobbes ou Boulay et Bill, oĂč ils Ă©taient toujours dans le mĂȘme dĂ©cor, on Ă©tait vraiment installĂ©s, on lisait la BD, ça y est, on Ă©tait vraiment dans les pantoufles. Et lĂ , bon, on va voir.
- Speaker #0
Donc là , vous dites par exemple à Christophe, le thÚme c'est le déménagement. Et qu'est-ce qui se passe à ce moment-là ? Lui, il s'en empare ?
- Speaker #1
Alors, je ne lui dis pas comme ça, le thĂšme c'est le dĂ©mĂ©nagement, dĂ©brouille-toi. Je lui envoie des pistes, je lui dis, bon lĂ on va dĂ©mĂ©nager, donc il va y avoir le cĂŽtĂ© nostalgie, en mĂȘme temps Marine qui veut garder sa chambre, donc on a fait un gag lĂ -dessus, oĂč elle veut garder les murs de sa chambre, mais en fait elle veut Ă©viter de changer, en mĂȘme temps. de cuisine et tout. Donc non, il y a des trucs sympas. On a créé... On a fait un album, voilĂ , assez nouveau et en mĂȘme temps dans la lignĂ©e des prĂ©cĂ©dents, quoi. Avec la mĂȘme relation, les disputes, les running gags, quoi.
- Speaker #0
Aujourd'hui, vos filles, elles sont adultes, largement adultes. Pourtant, dans la BD, elles n'ont pas bougĂ©. comment vous gĂ©rez ce sentiment de surplace peut-ĂȘtre avec vos personnages dans le sens oĂč elles ne grandissent pas au rythme de vos vraies filles ?
- Speaker #1
J'ai toujours eu l'envie d'arrĂȘter le temps et Ă cet Ăąge-lĂ de profiter vraiment du papa et puis ses filles. Je savais qu'un jour ou l'autre elles grandiraient et quitteraient le nid. C'est ce qui est arrivĂ© d'ailleurs. Marine l'a quittĂ© rĂ©cemment. La plus petite, oui. Et voilĂ , j'ai toujours mes filles de papier. Et j'ai fait ça vraiment pour elles.
- Speaker #0
Comment elles le vivent, elles ?
- Speaker #1
Elles le vivent trĂšs bien. Je sais qu'Owenji Ă©tait ado quand est sorti le premier tome. Elle Ă©tait au collĂšge, donc elle devait ĂȘtre en 6e ou en 5e. Donc elle avait peut-ĂȘtre un peu plus de mal, parce que Ă cet Ăąge-lĂ ... On dit souvent aux parents, tu me laisseras Ă 30 mĂštres de l'Ă©cole et puis j'irai tout seul au collĂšge. Par contre, Marine, elle, n'hĂ©sitait pas Ă ouvrir le journal de Mickey, parce qu'on a Ă©tĂ© prĂ©-publiĂ© un an avant l'Ă©dition dans le journal de Mickey. Donc elle allait en classe, elle Ă©tait au primaire, bien sĂ»r, et elle ouvrait de façon ostentatoire devant la maĂźtresse et les copines, « Regardez, c'est mon papa qui l'a fait » . Avec fiertĂ©. Et maintenant, elles ont des copines qui les ont connues sur papier, qui les connaissent maintenant, et quand elles leur disent, voilĂ , elles n'en revenaient pas. Je t'ai connue sur papier avant de te connaĂźtre dans la vie. Mais ce n'est pas vrai ce qu'ils disent, tu n'es pas comme ça. Si elles savaient.
- Speaker #0
Ăa doit ĂȘtre vertigineux, non, de se rendre compte que lĂ , il y a peut-ĂȘtre 8 millions de jeunes filles, plus leurs parents, plus les grands-parents, que vous avez fait rentrer chez vous, d'une certaine maniĂšre.
- Speaker #1
Alors lĂ , je ne sais pas, elle ne s'en rend peut-ĂȘtre pas compte. Moi, je me rends compte en festival, quand je vais rencontrer, ou quand il y a des gamins ou des voisins qui viennent, qui viennent avec un album en me disant, voilĂ , j'ai toujours lu cette BD. Des mamans qui viennent aussi en me disant, je disais ça quand j'Ă©tais ado, je le passe Ă ma petite qui commence juste Ă lire. Bon, lĂ , je prends un coup sur le casque, mais je me dis... Ouais, c'est gratifiant et puis en mĂȘme temps ça fait peur. Parce qu'on se dit, les annĂ©es passent. Moi j'aime bien le fait que les personnages ne grandissent pas. C'est mon cĂŽtĂ© classique de la bande dessinĂ©e. J'aime retrouver des albums et puis je prends un album, je sais pas, peu importe. Gaston Lagaffe, par exemple, c'est toujours le Gaston de l'Ă©poque. Il n'a pas Ă©voluĂ©, Tintin non plus. Il y a des personnages qui Ă©voluent et ça s'y prĂȘte bien. Par exemple, la bande dessinĂ©e Lou, le personnage grandit, devient adulte. Ăa, c'est trĂšs intĂ©ressant. AprĂšs, chacun doit s'y retrouver.
- Speaker #0
Vous, vous vous concentrez prĂ©cisĂ©ment sur les bandes dessinĂ©es. AprĂšs, tous les produits dĂ©rivĂ©s qui viennent se greffer, qui... Vous ĂȘtes un peu plus loin de leur processus de crĂ©ation, vous pouvez vous en dĂ©tacher un petit peu, votre travail Ă vous reste la BD. L'ampleur qu'ont pris les sisters, justement, sous toutes leurs formes, reste fidĂšle Ă ce que vous aviez imaginĂ©. Est-ce que vous les reconnaissez toujours et vous gardez quand mĂȘme la paternitĂ© de vos sisters, malgrĂ© tout ? Oui.
- Speaker #1
En fait, on est vraiment impliquĂ©s par tout ce qui sort et tous les produits dĂ©rivĂ©s. Ăa nous touche vraiment de prĂšs. Chaque fois qu'il y a un projet, l'Ă©diteur nous envoie le projet et nous, on doit valider, Christophe et moi. Donc on fait ça sĂ©rieusement, que ce soit pour le dessin animĂ© ou pour les jeux de sociĂ©tĂ©, le jeu vidĂ©o. Et puis lĂ il y a le film qui est en prĂ©paration, un projet, c'est un projet. Donc voilĂ , nous on doit valider, avec l'Ă©diteur bien sĂ»r aussi, pour que ça corresponde vraiment Ă ce qu'on veut. Il ne faut pas dĂ©naturer, c'est trĂšs important surtout pour moi. DĂ©jĂ , le fait qu'il y ait une adaptation en dessin animĂ©, j'avais un petit peu peur qu'il parte un peu dans tous les sens et que ça ne corresponde pas du tout au projet initial. Ensuite... De savoir qu'il y a un jeu de cartes qui est sorti, que certains vont jouer, pour nous c'est la cerise sur le gĂąteau. Que ce soit des figurines, que ce soit... LĂ on a un magazine, c'est un bimestriel chez Milan Press. Je crois qu'il y a dĂ©jĂ une vingtaine de numĂ©ros Ă peu prĂšs. Il marche bien.
- Speaker #0
C'est un des plus vendus chez Milan.
- Speaker #1
C'est génial. C'est que du bonheur.
- Speaker #0
Elles sont vraiment devenues, et c'est le propre en plus de la presse jeunesse et du public jeune, vos sisters sont des compagnons de route pour des générations entiÚres d'adolescents.
- Speaker #1
Oui, c'est marrant, parce qu'il y avait plusieurs fois, on m'a dit, vous savez ma fille, vos BD ce sont ces doudous. Il y en a mĂȘme qui dorment avec les albums. Je me suis dit, il va se faire mal, parce que c'est quand mĂȘme du carton, c'est dur. Non, c'est ça. Il y a un rapport au livre qui me plaĂźt. Le fait que les enfants lisent encore. C'est chouette.
- Speaker #0
Et quand vous repensez au festival de BD de CompĂšre, qu'est-ce que vous vous dites ? Vous, vous ĂȘtes sur Petit Dulot de maniĂšre ahurissante, mais il y a aussi beaucoup d'auteurs qui ne reconnaĂźtront jamais cette trajectoire-lĂ . Est-ce que vous avez des relations encore avec eux ? notamment sur une terre de BD, qu'est l'Aveyron, puisqu'il y a beaucoup d'auteurs ici.
- Speaker #1
Oui, j'en croise pas mal d'ailleurs. AprĂšs un festival, je les vois professionnellement, et puis c'est devenu des copains. J'ai la chance de pouvoir vivre de ce mĂ©tier, et c'est le mĂąche parce que c'est un mĂ©tier qui se paupĂ©rise, et beaucoup d'auteurs n'arrivent pas Ă joindre les deux bouts. Il faut savoir qu'un album, en fait, les avances sur droit apportent Ă peu prĂšs, on dirait, je ne sais pas, en moyenne 10 000 euros sur une annĂ©e. Ce n'est pas possible de vivre avec 10 000 euros par an. Et donc voilĂ , si une BD marche, oui, mais c'est pour ça que certains auteurs arrĂȘtent et puis vont faire des interventions ou autre chose qui correspond Ă leur passion, au dessin. Ce n'est pas tout le monde qui peut vivre de ce mĂ©tier.
- Speaker #0
Est-ce que vous, Ă un moment, vous avez senti que ça allait trop loin, trop vite, trop fort ? Et il y a eu peut-ĂȘtre un petit pas en arriĂšre, un moment de vertige comme ça, oĂč on se demande si c'est vraiment ce dont on rĂȘvait, un succĂšs aussi gros que celui-lĂ ?
- Speaker #1
Non, parce que ça s'est fait petit Ă petit. Il y a eu un succĂšs, mais ça n'a pas Ă©tĂ© des millions de ventes d'un coup. Si on regarde certaines BD, c'est Ă©norme. Mais là ça a Ă©tĂ© doucement. 20 000 exemplaires, c'est Ă©norme. Ăa s'est fait petit Ă petit. On n'est pas arrivĂ© Ă 8 millions d'un coup. C'est 8 millions sur la totalitĂ©. LĂ , le dernier album est imprimĂ© Ă 200 000 exemplaires. Et l'an prochain, il sera rĂ©imprimĂ© par exemple. Donc on sait qu'on a vendu 200 000. Ă partir de lĂ , on sait qu'une bande dessinĂ©e marche ou pas.
- Speaker #0
Donc ça a été crescendo et il a rendu une veste.
- Speaker #1
Ce qui a permis qu'on garde la tĂȘte froide et les pieds sur terre.
- Speaker #0
Parce qu'il y a aussi ce décalage, c'est que vous vivez de maniÚre trÚs simple. Je suis presque sûre que quand vous vous baladez à Millau, vous ne créez pas des accidents sur la route a priori. Vous pouvez garder cette vie trÚs simple.
- Speaker #1
Oui, oui, tout Ă fait. Vous n'ĂȘtes pas une rockstar. Il arrive des fois Ă Millau qu'on m'arrĂȘte. Ma fille adore ce que vous faites. Parce qu'ils m'ont vu Ă la tĂ©lĂ© ou sur le journal. On peut faire une photo, oui. Ăa ne m'arrive pas Ă chaque fois que je vais en ville. Je veux dire, c'est rare, c'est trĂšs rare. C'est le cĂŽtĂ© qui me plaĂźt aussi de ce mĂ©tier, que ce soit Ă©crivain ou dessinateur. On est vraiment dans notre milieu, dans l'ombre. Et c'est un travail de l'ombre, qui est aprĂšs mis en lumiĂšre grĂące Ă un Ă©diteur qui publie les albums.
- Speaker #0
C'est pour ça que vous m'avez dit que l'exercice de l'interview était douloureux, particuliÚrement. Vous aimez bien cette bulle-là ?
- Speaker #1
J'aimais cette bulle-lĂ . AprĂšs, je fais un effort quand il faut faire de la promotion, parler de l'album. Mais en mĂȘme temps, il y a le fait aussi du passage et de la transmission. Chacun son truc. Il y en a qui aiment bien se mettre en avant. Ils sont comĂ©diens, ils font des one-man-show. Moi, mon truc, c'est de dessiner.
- Speaker #0
Qu'est-ce qu'on peut vous souhaiter ? avec les Sisters ou avec d'autres personnages ?
- Speaker #1
Avec la bande dessinĂ©e, pas forcĂ©ment avec les Sisters parce qu'un jour ça s'arrĂȘtera. Si la BD ne marche plus, je ferai autre chose. Par exemple, on a essayĂ© avec Christophe de partir dans des univers diffĂ©rents comme T-Zombie, un univers un peu plus ado. Et avec What, la fĂ©e aussi. C'est une histoire en deux tomes. Donc je sais que si les sisters ne marchent plus, je suis capable d'aller dans d'autres univers vraiment diffĂ©rents, pas forcĂ©ment dans un style rĂ©aliste. J'ai dĂ©jĂ fait ça avec Baraka ou Albin de Moncosson, c'Ă©tait des BD trĂšs rĂ©alistes. Mais j'aime bien varier les univers et je sais que du moment que je fais de la mise en scĂšne de la bande dessinĂ©e et quelque chose qui me plaĂźt,
- Speaker #0
Peut-ĂȘtre une derniĂšre question sur les sisters. En 17 ans, lĂ encore, de l'eau a coulĂ© sous les ponts. Est-ce que vous vous sentez une responsabilitĂ© diffĂ©rente dans la maniĂšre de vous adresser Ă votre lecteur ? Est-ce qu'il y a, parce que les sujets qui traversent les enfants, avec des enfants plus connectĂ©s, un monde qui Ă©volue, est-ce que vous leur parlez diffĂ©remment ou pas ?
- Speaker #1
Il faut faire attention Ă ce qu'on dit. C'est vrai qu'au dĂ©part, je faisais les albums pour moi. Je me suis rendu compte qu'il y avait un impact sur la jeunesse. Il y a des choses qu'on peut faire et d'autres qu'on ne peut pas faire. On a reçu quelques lettres critiques et constructives en mĂȘme temps. Et on a fait attention à ça justement, parce qu'il y a des enfants qui peuvent ĂȘtre touchĂ©s par tel ou tel Ă©vĂ©nement. Et on ne peut pas non plus trop se freiner pour se dire, tiens, est-ce que ça va plaire ou est-ce que ça ne va pas plaire ? Il faut travailler et se faire plaisir aussi. Et puis l'Ă©diteur est lĂ aussi, il est lĂ et c'est un frein. DĂšs qu'il y a quelque chose qui ne va pas, il nous le dit. Par exemple, quand je dessine Ă la plage, dans certains pays, ils refolent les maillots. Parce que Wendy, par exemple, qui est ado, elle a un maillot de piĂšce. Dans les pays, ça ne va pas. Donc on a Ă©tĂ© Ă©ditĂ© en IndonĂ©sie. Et c'est vrai que lĂ -bas, le maillot de piĂšce, le bikini... Faut pas. Donc ils ont redessinĂ©, ils ont fait un maillot, une piĂšce. C'est des trucs comme ça. Mais on n'est pas toujours lĂ Ă se dire, est-ce qu'on peut le faire ? Est-ce que ça ne va pas choquer ? Il n'y a rien de choquant. Mais on ne peut pas plaire Ă tout le monde. Il y aura toujours des gens qui vont critiquer, qui vont dire, il ne faut pas dire ça, c'est vulgaire, etc. Il faut rester dans le politiquement correct. C'est une bande dessinĂ©e avant tout familiale, et donc il n'y a rien de graveleux. Mais on fait attention quand mĂȘme.
- Speaker #0
C'est l'occasion, je n'ai pas précisé tout à l'heure, en parlant du nombre de ventes, que c'est aussi la BD la plus empruntée en médiathÚque.
- Speaker #1
Oui, je crois.
- Speaker #0
Donc il y a aussi tous ceux qui vous lisent en vous empruntant.
- Speaker #1
Je suis impressionnĂ© quand je vais Ă la bibliothĂšque, des fois je regarde, il y a des bouquins qui sont rĂ©servĂ©s, c'est les Sisters. Moi j'allais Ă la bibliothĂšque Ă l'Ă©poque. J'ai rĂ©servĂ© les AdĂšle Blancet, que moi, autre bonne dessinĂ©e que je lisais. Ăa m'impressionne toujours, ça.
- Speaker #0
Une derniÚre question William, c'est une question que je pose à tous les invités du podcast, c'est en quoi est-ce que vous croyez ?
- Speaker #1
En quoi est-ce que je crois ? Alors je crois en l'humain, c'est déjà beaucoup de croire en l'humain.
- Speaker #0
Pourquoi en lui-mĂȘme ?
- Speaker #1
Parce qu'il n'est pas forcĂ©ment mauvais ni bon. Il peut avoir de l'empathie et il y a de bonnes choses qui peuvent en ressortir, que ce soit dans la politique, dans le mĂ©tier artistique. Et de toute façon, on est lĂ , on est sur cette terre et puis il faut faire avec. Il y a des choses qui se passent, des choses graves qui se passent, mais on ne peut pas tout contrĂŽler. Je pense que les mĂ©dias en rajoutent beaucoup. Et en mĂȘme temps, il faut qu'il y ait des gens passionnĂ©s aussi pour transmettre autre chose que la misĂšre et la guerre. Je pense qu'il y a quand mĂȘme du bon dans chacun.
- Speaker #0
Et qu'est-ce qu'elle peut, la BD, dans ce monde ?
- Speaker #1
C'est une rĂ©crĂ©ation. Je dirais que c'est quelque chose pour se faire plaisir. Et puis, si on peut apporter un peu de rĂȘve avec nos rĂȘves Ă nous, c'est bien. C'est beaucoup, dĂ©jĂ .
- Speaker #0
C'est quoi votre rĂȘve Ă vous ?
- Speaker #1
Mon rĂȘve Ă moi ? Alors lĂ , c'est quoi mon rĂȘve ? DĂ©jĂ , je le vis. Je le vis pleinement. Tous les matins, je me rĂ©veille et je me dis, est-ce que tu es en train de rĂȘver ou pas ? Est-ce que tu vas te rĂ©veiller Ă l'usine ? et te dire que tout ça, c'Ă©tait dans ton imagination. J'ai la chance vraiment de vivre mon rĂȘve. J'ai voyagĂ©, j'ai fait pas mal de trucs, mais de vivre dĂ©jĂ de ma passion, parce que depuis tout petit, je veux faire ce mĂ©tier-lĂ . C'est une chance pour ceux qui veulent ĂȘtre journalistes, ceux qui veulent ĂȘtre comĂ©diens, s'ils arrivent vers leur fin, tant mieux.
- Speaker #0
Et une derniĂšre question. LĂ , quand vous dites que vous vous levez le matin, vous vivez votre rĂȘve, vous avez travaillĂ© sur quoi ce matin, vous, maintenant que le 19e tome est sorti, que vous ĂȘtes un peu dans la promo ?
- Speaker #1
Oui, c'est une pĂ©riode de transition. En ce moment, je travaille, donc pour Milan, je fais des couvertures pour le magazine en avance, puisqu'on va travailler sur le tome 20 Ă partir de lundi. Et je travaille aussi pour AchĂšte Ăducation, pour les cahiers de vacances. Il y a eu 4 ou 5 cahiers de vacances l'an dernier, puis il rĂ©itĂšre. Et lĂ , j'ai fait des couvertures en ce moment. Ăa me change un petit peu. C'est plus un travail de dessinateur, plus que d'auteur de BD. Mais lundi, on attaque le tome 20. Le tome 20, ça sera sur la jalousie. VoilĂ , exclu.
- Speaker #0
Donc, ce sera pour l'automne prochain ?
- Speaker #1
Il sortira, oui. Fin octobre 2020. Et le titre, j'amĂšne un titre tout le temps comme ça en amont. Ăa sera Fais pas ta jalouse. Normalement, ça sera ça. En principe, on s'y tient.
- Speaker #0
Donc, il y aura encore un tome des Sisters sous le sapin en Noël 2025 ?
- Speaker #1
Oui, tome 20. Incroyable. 20 albums. C'est passé si vite. C'est un temps. Je n'en reviens pas. Il ne faut pas se freiner. Il faut profiter. Surtout si on peut le faire et si on a le pouvoir de le faire et que ça marche, il ne faut pas hésiter. Et si ça ne marche pas, comme moi, mes premiÚres BD ne marchaient pas. Il faut insister et il ne faut pas baisser les bras.
- Speaker #0
Vous n'avez aucun regret ?
- Speaker #1
Non, je n'ai pas de regret. Pour les Ă©tudes, peut-ĂȘtre j'aurais aimĂ©, mais faire plus d'Ă©tudes, faire une Ă©cole d'art, faire les beaux-arts. Mais voilĂ , il faut un niveau bac. Donc c'est pour ça que je dis souvent aux gamins, travaille Ă l'Ă©cole, tu auras ton bac. Et aprĂšs, il y a des portes qui vont s'ouvrir et tu pourras choisir une voie. C'est vrai que moi, j'ai un parcours chaotique. Le fait d'avoir Ă©tĂ© en troisiĂšme et puis de choisir cette voie-lĂ , qui ne me plaisait pas. Donc, si on peut travailler Ă l'Ă©cole et puis aprĂšs choisir sa voie, c'est mieux.
- Speaker #0
Donc, il y avait donc la derniĂšre question du podcast et les cinq questions bonus. Merci William d'ĂȘtre arrivĂ© jusque lĂ . Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci Ă vous de l'invitation.
- Speaker #0
Merci d'avoir Ă©coutĂ© ce nouvel Ă©pisode de Finta jusqu'au bout. J'espĂšre qu'il vous a plu, inspirĂ©, questionnĂ© et fait voyager peut-ĂȘtre. Si vous souhaitez continuer la discussion, je suis toujours curieuse de vous lire et d'Ă©changer. Je vous propose que l'on se retrouve sur Facebook, sur Instagram ou sur le site fintapodcast.fr. Vous pouvez retrouver tous les prĂ©cĂ©dents Ă©pisodes de Finta gratuitement sur les applications de podcast et pour recevoir chaque nouvel Ă©pisode directement dans votre boĂźte mail, vous pouvez aussi vous abonner Ă la newsletter. Et pour que Finta vive, si vous apprĂ©ciez le podcast et que vous souhaitez soutenir ce travail indĂ©pendant, Partagez-le autour de vous, transfĂ©rez-le Ă vos amis, parlez-en, c'est le meilleur soutien que vous puissiez nous apporter. A trĂšs bientĂŽt.