- Speaker #0
Olivier Fabre incarne la quatrième génération de la ganterie familiale Maison Fabre à Millau. Engagé dans la démarche d'inscription de la filière cuir du pays du Millau au patrimoine immatériel de l'UNESCO, qui pourrait aboutir d'ici trois à quatre ans, Olivier Fabre partage son temps entre Millau et Paris. Mais il accepte volontiers d'être le bout en train d'une filière qui a durablement marqué le Sud-Aveyron, laissant à Millau le surnom de Cité du Gant et qui ne demande qu'à être en ébullition à nouveau. Avec Olivier Fabre, on s'est un peu tutoyés, un peu vouvoyés, mais on a surtout parlé de sauvegarde du savoir-faire ancestral qui est le travail du cuir à partir de l'élevage de brebis pour Roquefort. On a aussi parlé de ses souvenirs d'enfants dans les ateliers, jusqu'à la reprise de l'entreprise avec son frère à l'aube des années 2000, après une fermeture administrative qui aurait pu mettre un coup d'arrêt, définitif, à la saga familiale. Olivier, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour Lola.
- Speaker #0
Merci de m'accueillir aujourd'hui chez toi, on est donc à Millau. Est-ce que tu peux me dire exactement où on se trouve ?
- Speaker #1
Alors on se trouve avenue Gambetta, dans le bureau où mon père travaillait, donc dans les murs de l'usine que ma grand-mère et mon grand-père ont bâti en 1951. Voilà, donc du coup aujourd'hui on a toujours la ganterie qui est au numéro 20. Avant, nous étions du temps de mon arrière-grand-père, rue Antoine Guy, en dessous le pont Le Rouge, sur le bord du Tarn. Et c'était dans la maison de famille de la rue Antoine Guy que de 1924 à 1951, on a commencé l'épopée du Gant.
- Speaker #0
Combien il reste de personnes aujourd'hui qui travaillent ici ?
- Speaker #1
Nous avons dans l'atelier 6 personnes. On est une petite entreprise. Aujourd'hui, nous sommes 12. Donc il y a du travail de bureau, il y a du travail de boutique. Il y a du travail de logistique et puis il y a ce travail d'atelier. Alors l'atelier... C'est un travail qui nécessite toute l'attention puisque notre entreprise est une entreprise familiale dont vraiment l'artisan est au cœur de cette marque, de cet univers. Et il n'y a pas d'école. Donc nous devons imaginer la formation à travers une transmission de la couturière, du coupeur à ses apprentis.
- Speaker #0
La question de la formation aujourd'hui, tu t'y engages pour que tous les métiers du cuir puissent... Passer à la postérité, ce n'est pas péjoratif que de dire ça, mais il y a eu une grande époque du cuir, notamment à Millau. Il y a eu une époque plus difficile entre-temps. Et aujourd'hui, on est un peu sur une bascule que tu as envie de réussir.
- Speaker #1
En fait, Millau a un patrimoine au niveau de la ganterie qui est exceptionnel, qui est unique au monde d'ailleurs. C'est le seul endroit au monde où on va trouver une filière complète. C'est-à-dire que vraiment, on a... Tout l'univers agro-pastoral depuis le Moyen-Âge, qui fait l'élevage de la brebis et transforme sa matière naturelle, à savoir la laine, la peau, sur les bords du Tarn. Mio étant une ville gallo-romaine très ancienne, il y a toujours eu une activité humaine. Des hauts plateaux, des larzacs et des cosses qui entourent la ville de Mio. Nous avons sur le bassin eu une grosse activité de transformation de matière naturelle et cette peau très fine a amené assez naturellement, dès le XVIIe siècle, des gantiers à Millau. A l'époque industrielle du XXe siècle, Millau était la capitale mondiale de la fabrication de gants et de la transformation de peau. Et c'est vrai que jusque dans les années 70, il y a eu vraiment une époque de gloire avec, quand mon arrière-grand-père a ouvert la ganterie en 1924, il y avait à Millau déjà 67 gantiers installés dans l'annuaire de 1925 que nous avons toujours. Aujourd'hui, ça fait des années que je constate La fermeture d'établissements que je constate, le manque de personnel, la désaffection aussi des jeunes pour un métier qui est plus vieillissant, pour une activité qui est plus confidentielle. Et donc on avait besoin de tous se retrouver pour sauvegarder sur le long terme. Notre patrimoine vivant. Je dis vivant parce qu'aujourd'hui il reste 50 yamios. Il y a quasi autant de mégissiers. On a une nouvelle activité qui est l'activité de la maroquinerie qui aujourd'hui se déploie et a un vrai développement. Il y a une activité même de transformation de matière naturelle, plutôt le cuir, sur le département de l'Aveyron, comme le département d'ailleurs du Tarn, qui sont deux zones. de transformation. Donc en 2015, avec les élus du territoire, on leur a proposé de réfléchir sur l'association des professionnels du cuir et on a créé une association avec les entreprises qui s'appelle le Pôle Cuir Aveyron, qui existe toujours. Et ce sont 18 entreprises réparties sur l'Aveyron qui représentent à peu près 400 emplois. Et ça a aussi activé les réseaux et il y a eu grosso modo une cinquantaine d'emplois qui ont été recrutés. Alors il y a quelques départs à la retraite, il faut l'avouer, mais une cinquantaine d'emplois qui sont arrivés sur trois ans, ce qui est quand même pas négligeable. Plus récemment, on est parti sur une nouvelle envie plutôt toujours dans cette sauvegarde du patrimoine culturel et de nos savoir-faire. Et je pense qu'on va reparler. la candidature au patrimoine culturel immatériel de l'UNESCO.
- Speaker #0
De l'UNESCO. Qu'est-ce qu'elle apporterait ? En quoi ce serait utile pour toute la filière d'être reconnue par l'UNESCO, concrètement ?
- Speaker #1
Concrètement, il y a une vraie notion d'urgence. Aujourd'hui, nos métiers sont en danger. Les entreprises sont en danger. On a... On a des professionnels qui sont extrêmement isolés, on a des métiers qui doivent se transmettre de façon informelle, c'est-à-dire dans un atelier. Il y a aujourd'hui encore des entreprises, des praticiens, c'est-à-dire ceux qui sont dans le travail, c'est-à-dire les personnes qui transforment de leurs mains. Et cette candidature, on l'a voulu avec une territorialité importante que l'on appelle le pays de Millau, qui représente aussi département. qui sont l'imitrophes bien sûr de l'Aveyron.
- Speaker #0
Tu parlais de la revalorisation de la filière laine en Sud-Aveyron notamment. Ça, c'est un travail que tu fais toi aussi avec les éleveurs, notamment en Sud-Aveyron, d'aller voir concrètement dans les élevages comment leur travail à eux, l'élevage qu'ils font pour la viande, essentiellement le lait roquefort, comment derrière la filière on peut utiliser la peau, la laine de ces bêtes-là. Il y a quand même du travail de ce côté-là.
- Speaker #1
Oui, alors il faut rendre à César ce qui lui appartient. Le travail de la laine, il a déjà été initié par un collectif qui s'appelle Tricolore, et auquel Maison Fabre avait participé. Et ça m'a permis de rencontrer des éleveurs et d'aller un peu plus loin. C'est-à-dire cette démarche de pouvoir transformer de la laine locale et de la poser sur chacun de nos métiers, donc là en l'occurrence sur des gants. J'ai trouvé ça très intéressant. Et c'est comme ça qu'on s'est retrouvés... à aller d'abord dans l'univers de la tonte, et puis jusqu'à la transformation et au filage, nettoyage, tissage des toisons. Et nous avons toujours, c'était beaucoup à Mazamé que ça se faisait, aujourd'hui entre Mazamé et Grouillet, il existe encore des grosses filatures qui transforment justement cette laine, qui est souvent mélangée, pour lui donner cette élasticité, ce ressort. Et si vous voulez aujourd'hui, je peux l'affirmer très clairement, la laine de la laconne, quand on la voit sur la brebis, elle n'est pas extraordinaire parce qu'elle est pauvre, mais transformée, nettoyée, associée à d'autres laines, en restant naturelle, sans teinture. on a une laine d'une qualité exceptionnelle, qui peut être imperméable, qui est souple, qui est rebondie, qui est solide, qui est facile à coudre. On a une laine exceptionnelle. Et donc, du coup, l'idée, c'est de pouvoir travailler en circuit court. Et donc, ces peaux, aujourd'hui, elles ne sont pas utilisées. Elles partent dans des circuits. Pourquoi ? Parce que pendant longtemps, on a négligé cette matière naturelle qu'on ne trouvait pas intéressante. On se focalisait chez nous, les élevages sont pour le lait, ce n'est pas pour la viande. Donc c'est vrai que la concentration numéro un, c'était le lait. Si vous voulez, on a un métier où on n'a pas des peaux parce qu'on ne tue pas pour le cuir. Quand l'animal est abattu... c'est là en l'occurrence pour la viande par exemple et nous finalement on recycle un déchet parce que si on s'en occupe et passe à partir à la poubelle donc en fait on suit les cours de consommation si les gens consomment un peu moins de viande mais il ya un peu moins de peau c'est tout simplement comme ça les leveurs lui donne la vie je pensais à ça du coup on travaille avec des magiciens à véronée tarné on a pu faire en 2018 notre première Gants, notre première collection en gants issus de peau Lacone. Et en 2020, on a fait notre premier gant qu'on a appelé le Larzac, qui est à la fois avec de la laine de Lacone, de nos brebis, et le cuir. Et ça, ça n'était jamais arrivé. Moi, depuis que je travaille, ça fait 22 ans, je n'avais jamais vu une paire de gants à la conne. Les magisteries avec qui nous travaillons, qui sont souvent des jeunes, qui sont aux manettes, ils n'avaient jamais travaillé de la la conne. Ils faisaient que de l'entrefinos ou d'autres cuirs. Et donc, c'est un exploit. Parce que finalement, à terme, on réduit l'empreinte carbone, on est sur un cercle vertueux. Et en plus, on peut imaginer que même l'éleveur verra d'un bon oeil une revalorisation de la bête. Et là, j'étais avec un éleveur tout à l'heure, et c'était là aussi la première fois qu'un éleveur venait visiter une ganterie. En fait, si vous voulez, il n'y a pas de connexion.
- Speaker #0
Oui, elle s'est perdu cette connexion.
- Speaker #1
L'univers a perdu beaucoup de choses. En 50, 60 ans, beaucoup de choses évidentes à l'époque. ces fameuses filières, elles se sont cassées.
- Speaker #0
Et pourquoi ? C'est quoi qui explique ?
- Speaker #1
Il n'y a pas une solution. C'est l'érosion. Pourquoi les falaises sont comme ça ? C'est le temps. C'est-à-dire qu'il y a eu une désaffection, il y a eu une chute de l'activité, il y a des priorités qui sont autres. Et aujourd'hui, par exemple, on est très très sensibilisés sur la nature, la condition de l'animal, sur la racine du produit, où est-ce que c'est fait, comment c'est fait, par qui. Ce n'était pas comme ça à une époque. C'était plus industriel peut-être. Mais ce n'est pas une critique, parce que l'industrialisation avait aussi ses bons côtés. C'était beaucoup aux générateurs d'emplois, des campagnes habitées. le cousu humain se faisait dans les campagnes, tout le monde travaillait. Il n'y avait pas une femme qui était sans activité ou un homme sans activité. Aujourd'hui, ça peut arriver qu'on voit des maisons à l'abandon, on voit des campagnes qui se vident. C'est pour ça qu'il y a des cycles aussi, tout simplement. On constate par exemple que les jeunes générations aujourd'hui sont... Ils sont parmi les presque militants de cette bonne qualité, ce souci de bien manger, d'acheter moins.
- Speaker #0
Par quoi est-ce que ça passe cette reconquête ?
- Speaker #1
On sent que beaucoup de personnes ont envie de quitter la métropole, ont envie de quitter ces grandes villes qui ont attiré pendant un moment qui aujourd'hui coûte cher aussi. Donc il y a un attrait pour la campagne, le télétravail n'y est pas pour rien. Donc du coup, il faut essayer d'attirer dans ce sens-là, bénéficier finalement de cette vague et de la pérenniser. On a un environnement qui est en plus sublime, on a une proximité avec une métropole à une heure et quart, on n'est pas loin de la mer, on a des métiers qui sont beaux. Et aussi, il faut penser qu'il y a une population qui commence à en avoir un peu marre de tout ce virtuel, c'est-à-dire tout ce qui est connecté. On ne va pas déconnecter les gens, loin de là, ce n'est même pas l'intention, mais... pouvoir fabriquer quelque chose de ses mains, c'est extraordinaire. Donc, ces métiers, aujourd'hui, à Thia, au début, c'était une légère curiosité. Aujourd'hui, on reçoit de nombreux messages disant, voilà, j'habite à Paris, j'en ai marre de cette vie, avec mes enfants, je voudrais m'installer à Mio. J'adore votre maison, j'adore ce que vous faites, je vous suis depuis ce temps. Est-ce que je ne peux pas venir travailler chez vous ? Mais on a des profils étonnants. On a pris une personne, il n'y a pas très longtemps, qui était venue pour être gantière. Elle avait un profil de DRH. Je dis, comment une DRH peut devenir gantière ? Là, on va faire un appel pour avoir un coupeur et deux couturières. Je pense qu'on devrait recevoir pas mal de CV.
- Speaker #0
Mais là, l'autre pendant de l'engagement pour l'écologie, pour les circuits courts d'une jeunesse ou pas, mais en tout cas, cette prise de conscience-là, elle implique aussi une baisse de consommation. Donc, vous qui vendez des produits qui sont légants, est-ce que ça réoriente aussi votre manière d'appréhender la fabrication, pour le coup ?
- Speaker #1
De toute façon, on est obligé de toujours se remettre un peu en question et de suivre le marché. Le marché, il a évolué très vite. Tout a changé en... trois ans, mais même avec le confinement, tout a changé en un an. Donc du coup, une entreprise aujourd'hui qui sait se réinventer, c'est une entreprise qui peut durer. Une entreprise qui sait faire quelque chose qu'elle n'a jamais fait de sa vie, c'est-à-dire même parler d'un métier qui n'existait pas il y a un an, c'est une grande qualité. Et d'ailleurs, je pense que dans les profils, c'est intéressant d'aller chercher plutôt des personnes qui sont capables de gérer des situations de crise. en se réinventant que quelqu'un qui a 1000 diplômes et qui sait de façon on va dire mathématique comment répondre à une demande parce que si on le sort de son circuit c'est plus compliqué nous aujourd'hui on vend beaucoup à l'export on vend beaucoup à paris on est dans les grands magasins parisiens on a notre boutique d'un jardin du palais royal fermeture des boutiques c'était une épreuve Et aujourd'hui, avec cette envie de qualité, d'origine, de savoir-faire, on se retrouve avec une clientèle française plus importante en proportion qu'avant. C'est des personnes qui veulent visiter l'atelier, qui viennent à Millau, des personnes qui viennent au Palais Royal, qui savent déjà tout sur la maison. Si vous voulez, on a su se réinventer parce qu'en mars l'année dernière, quand on a eu le premier confinement, on avait la commande de la garde républicaine. Donc c'était une très belle commande des gardiens du temple. Les gants d'apparat blanc avec la grande manchette, ces cuirs qu'on achète en Italie qui sont des métisses en blanc lavable. Le confinement arrive donc on avait la possibilité par l'espace de pouvoir continuer à travailler tout en faisant attention pour la santé. Et on a dû s'arrêter parce qu'à un moment on n'avait plus de cuir. Et puis on a pensé faire des masques en cuir lavable. On n'y croyait pas du tout. On en a fabriqué, je crois, 12, 13. On les a vendus dans la minute, je dirais en une demi-heure sur Internet. Et aujourd'hui, on doit être à 3000 masques qu'on a vendus. C'est incroyable. On ne pensait pas du tout, malheureusement, que ça dure. On pensait que c'était mieux que ça. Et du coup, on a fait aussi des gants lavables. Donc, ce que je veux dire, c'est qu'il faut se réadapter en permanence. Là, on est sur la protection, la sécurité, le sport. On fait des gants pour le vélo. On fait des gants pour le golf. On fait des gants là où il y a besoin de gants. On fait des gants pour la mode, on a gardé, c'est parce que Maison Femmes, c'est une marque de mode, c'est une marque qui a beaucoup de collections, beaucoup de couleurs, c'est pour ça qu'on a toutes les stars du monde qui viennent nous acheter des gants. Et puis voilà, le sport, l'innovation, travailler des matières qui par nos mégissiers, je pense notamment à Pêche d'eau, je pense à Alrick, je pense à Richard, à Mio, qui sont des mégisseries de grande qualité, à Lauré, et bien ils savent faire du gant tactile, enfin du cuir pardon, du cuir tactile, ils savent faire du cuir imperméable, du cuir déperlant, du cuir inifugé, et autant de matières où on a besoin. Et ça, moi je crois que tradition et innovation, c'est le secret.
- Speaker #0
Pour vous, c'était une évidence, Olivier, de reprendre l'entreprise ?
- Speaker #1
Je ne sais pas, je ne pense pas, enfin peut-être. En fait, moi je voulais être peut-être journaliste, ce qui m'intéressait, c'était la rencontre. Et puis finalement, on a eu des difficultés financières. L'entreprise a fermé en 1995. On avait perdu un gros marché administratif. On avait 100 personnes à ce moment-là. C'était mon père, ça a été vraiment une blessure énorme. Mon père qui a extrêmement bien géré la situation, mais malheureusement, quand on perd un marché de 200 000 paires de gants par an, on ne tient pas. Dans ce moment de vie brisée, parce que c'est ça le terme de vie brisée. Moi je donnais des idées, moi à l'époque j'étais encore, je pense que j'étais, je devais terminer mon bac. Après j'ai fait droit, j'ai fait une école liée au journalisme, sans trop savoir vraiment ce que j'allais faire. Et puis finalement j'ai arrêté, je suis venu m'installer à Mio. parce que j'étais à Montpellier et à Toulouse, tout le monde me disait, n'y va pas, t'es fou. En plus, une usine fermée, enfin vide, a été ouverte, mais il n'y avait personne. Nous, on faisait fabriquer quelques échantillons, quelques pièces chez les couturières à domicile, il n'y avait plus rien. Et puis finalement, j'ai fait l'inventaire avec mon frère et mon père, on a regardé un peu tout ce qu'on pouvait faire. Je suis monté, j'ai fait le tour de France, un peu de qui était le client en gants, notamment des maroquiniers, ou, ah, ben c'était pas Jojo. j'aime autant vous dire qu'il fallait avoir fall avoir un bon tempérament positif et du coup j'ai dit écoutez là c'est foutu on pourra pas faire ça on va aller plutôt je vais aller à paris et je vais voir qu'est ce qu'on peut faire du côté de la mode parce que finalement ma grand mère avait fait fortune à l'époque qui avait réussi avec avec la mode elle avait tous les stouffes et tous les couturiers elle les connaissait tous Ma grand-mère, il faut savoir que c'est une femme qui est née sur le Lévesou, à côté de Ségur. Mon arrière-grand-père était tailleur de pierre. À l'âge de 14 ans, elle est partie à Millau. Elle n'est pas là à l'école et elle est allée travailler directement dans une ganterie. Elle a épousé mon grand-père, elle avait genre 17 ans ou 18 ans. Elle a passé sa vie avec lui et ils ont bâti l'entreprise ensemble. Et ça a été la seule femme chef d'entreprise à Millau, dans la ganterie. Et elle avait 350 employés et 300 personnes à domicile. C'est un tempérament. Mon arrière-grand-père ne faisait que des gants blancs. Elle s'appelait Rose. Évidemment, elle a mis la couleur. On l'a gardé, cette couleur. Elle a travaillé avec... Mais il y a mille anecdotes. Je ne sais pas pourquoi, elle a toujours été attirée par le cinéma. Pourtant, ce n'était pas du tout une femme... C'était vraiment une... C'était une femme de l'atelier. Et elle n'avait pas de bureau. Son bureau était dans l'atelier. Il n'y avait pas de bureau. En fait, c'était une table avec des gants. Et elle chapeautait ses familles, parce qu'à l'époque, il y avait beaucoup de familles, d'italiennes, de portugais, d'espagnoles. Elle embauchait les trois sœurs, la mère, la tante. C'était animé. Et moi, quand j'étais gamin, je m'en rappelle très bien. Je me baladais, il fallait dire bonjour à tout le monde, c'était un peu compliqué. Mais je me cachais, je savais qu'elle était la couturière qui avait des chewing-gums dans son petit tiroir de machine. J'allais piquer deux, trois trucs. Et c'était génial. Et du coup, aujourd'hui, je pense que... Enfin, du moins pour revenir sur le démarrage, quand je suis monté à Paris, je pensais à elle. Je me suis dit, elle faisait des sauts de puces. Elle montait le matin, elle redescendait deux jours après. Et du coup, j'ai fait comme ça. Et puis, je suis allé voir des marques, des boutiques, sans rendez-vous. Et puis, j'ai commencé à vendre un peu de gants. On a fait un premier salon. Il ne s'est pas été extraordinaire parce qu'on était un peu classique. Mais en revanche, il y avait des marques qui ne désemplissaient pas et des créateurs qui avaient du talent et je suis allé les voir. J'ai dit écoutez, voilà, on a repris une entreprise de famille, on est très attaché, on s'est très bien fabriqué, proposez-nous des dessins et on verra si on peut travailler avec vous, je ne sais pas, c'est tout gagnant, on ne vous fait rien payer. Et tous les ans, donc de 2001 à à peu près 2010, tous les ans, on doublait quasiment les commandes sur chaque salon, d'une année sur l'autre, d'une saison d'hiver sur l'autre. et on exportait, enfin. Ce qui m'a amené, en 2005, avec mon frère et mon père, de rénover la maison de l'avenue Gambetta, où nous sommes aujourd'hui.
- Speaker #0
Parce que qu'est-ce qui restait de l'outil de travail, à ce moment-là ?
- Speaker #1
On avait toute l'usine, une usine adaptée à 350 personnes, et genre, on était trois.
- Speaker #0
Et le matériel était utilisable, tel quel ?
- Speaker #1
On avait tout gardé, toutes les machines, tout le matériel, donc on faisait beaucoup de travail à domicile. Ça se fait encore. Mais donc, il y a 22 ans, ça se faisait encore plus. Et donc du coup, à un moment, je suis quand même bien d'avoir du personnel dans l'atelier. Mon père travaillait déjà avec une coopérative au Portugal, parce que dans nos campagnes, avant, le coup humain se faisait... dans les fermes. Maintenant, les femmes, les hommes, tout le monde travaille. Les femmes, elles s'occupaient. Elles ne travaillaient pas. Et donc, ça fait des années, des décennies qu'il n'y a plus de couturières dans les campagnes. Et donc, le Portugal a gardé encore ça. Ils sont très forts dans tout ce qui est dentelles, crochets, et donc, coussumins. Et donc, nous, on travaille toujours... Enfin, mon père travaillait avec le père, nous, on travaillait avec le fils. Et donc tout notre cousu main on le fait coudre au Portugal et donc on le faisait déjà à ce moment là, on continue, ils travaillent très bien. C'est un système de coopérative, eux ils travaillent toujours dans les fermes. Et mon père travaillait aussi avec... Mon père a toujours été un entrepreneur dans l'âme. Et donc il travaillait avec une entreprise en Hongrie et qui avait un peu un patrimoine de machines proche d'une autre. à Petsch, à côté de Budapest. Et nous, on travaille avec la fille, toujours. Ce qui nous fait un petit complément, ce n'est pas des grosses quantités, mais c'est un complément qui nous permet de répondre, par exemple, aux Galeries Lafayette. Quand les Galeries Lafayette nous disent, écoutez, on veut bien que vous soyez avec un joli stand, Chez nous, à côté de Prada, de Longchamp et d'autres très belles maisons, il faut partir sur à peu près 2000 paires. Quand on a 6 couturières dans l'atelier, c'est 6000 paires par an, grosso modo. Donc du coup, si on veut vendre 10 000 paires, il faut trouver. Et heureusement qu'on avait ces compléments de production. Entre temps, si vous voulez, on est passé de 2 couturières à 6 couturières. On a formé des personnes, d'autres sont parties à la retraite. Et donc voilà, du coup, aujourd'hui, on est 6 dans l'atelier. J'espère qu'on sera 8. tout neuf à la fin de cette année.
- Speaker #0
Par quoi elle passe la transmission entre votre grand-père, vos grands-parents, votre père, aujourd'hui votre frère et vous ? C'est un attachement familial presque génétique, on est presque obligé de l'aimer cette activité. De quoi vous vous souvenez des étapes de cette transmission en tout cas ?
- Speaker #1
On n'est obligé de rien. Ma mère est enseignante, elle a tout fait pour que je n'y aille pas. Donc déjà, ça c'était le premier point. Oui, il y a une transmission qu'on dit Maître Gantier. Elle se fait sur plusieurs points, bien sûr, du sentiment. Ça va sans dire que c'est une évidence. Il y a une fierté, il y a comme un héritage. Bâtir sur un héritage, c'est magnifique. Mon père, mon grand-père et ma grand-mère m'ont vraiment, chacun dans leur façon, expliqué quelque chose. Et comment mon frère, mais lui, il a certainement recueilli d'autres informations. Et moi, j'en retiens de ma grand-mère. Sa notion des couleurs, des dessins, cette coordination entre l'imaginaire, la création et la réalisation en production. Cette réponse, fabriquer une paire de gants pour Louis de Funès, c'est dans la folie des grandeurs, la paire de Don Salustre verte. Il n'en faut qu'une, il la faut vite, il faut qu'elle soit belle. répondre au mariage de Grace Kelly et en même temps fabriquer 10 000 paires de gants pour enfants pour Monoprix. C'est vraiment le grand écart. Et surtout s'occuper de cet environnement. La matière, la matière naturelle, prendre soin, ça vient de l'animal. Le personnel, savoir être à l'écoute, poser des questions. Elle vivait avec, elle était tous les jours avec. Elle ne ménageait pas ses heures. Il y a eu les grandes grèves parce que Millot a vécu des heures ouvrières et syndicales bien plus tôt qu'au niveau national. Elles ont été intenses. et elle a su répondre très rapidement, favorablement bien sûr. et de mon père de mon grand père avant la peau le toucher mon père vivait tout le temps dans les peaux c'est un élément clé c'est la qualité du produit sa matière première et donc il m'expliquait comment on coupé comment tirer pourquoi mais le talc là pourquoi on fait à quoi servent ces outils pourquoi cela on l'utilise moins pourquoi ça c'est mieux que ça et puis ces anecdotes à lui sa façon de faire à lui toujours cette transmission informelle Et mon père, c'est pareil, c'est comment pouvoir entretenir le parc machine, jusqu'aux achats de matières, jusqu'à cette relation très particulière qu'on va avoir avec les maîtres gantiers et gantiers. Comment les accompagner dans ses projections de développement ? Il s'est mis à faire de la maroquinerie à un moment où toutes les ganteries fermaient dans les années 80. Il a réussi, il fabrique tout à grouiller. C'était des camions qui partaient toutes les semaines. Comment répondre à des marchés administratifs en allant dans les ministères taper aux portes ? Il y a de l'audace. Essayer de trouver des solutions à chaque problème. Comment faire que quand tout le monde a fermé, lui a résisté jusqu'au dernier souffle. Et malgré le dernier souffle, il a réussi à tout racheter, à payer tous les fournisseurs, toutes les dettes, payer tout le personnel, et on est reparti. Alors on n'est pas reparti sur le même format. La cicatrice est toujours là. Il l'a très mal vécu. Il ne voulait pas du tout de fermeture. On a été fermé. On nous a forcé à fermer. C'est tout ça la transmission. Et quand je lis ou j'écoutais mes grands-parents, ma mère, mon père, parler des histoires de famille et de la ganterie, par exemple, pendant la guerre, nous avons fermé. Beaucoup de ganteries sont restées ouvertes. Pendant l'occupation, nous nous étions fermés. Il y a eu des choix qui étaient des choix très personnels. et totalement assumée. Moi, ma grand-mère, elle a aidé énormément de personnes. Mais de toute façon, c'était une femme avec les pieds dans la terre. Elle arrivait de la campagne. Mon arrière-grand-père, que je n'ai jamais connu, lui était gendarme à cheval. Et quand il est revenu à Millau, il a monté la ganterie chez lui parce qu'il était cavalier et qu'il adorait le cuir. Et que Millau, c'est vrai, avait cette dynamique autour du gant. Et cette histoire... elle mérite d'être entretenue aujourd'hui mais enfin je parle jamais eu le moins de regrets mais mais c'est un métier difficile c'est pas donné à tout le monde c'est pas donné à tout le monde parce que c'est un produit niche le gant il s'emporte mais il s'emporte beaucoup moins qu'avant
- Speaker #0
Vous revenez naturellement au territoire. Olivier, il est marquant dans votre parcours, ce territoire de l'Aveyron, particulièrement du sud d'Aveyron. En quoi est-ce qu'il vous nourrit, ce territoire ?
- Speaker #1
Ce territoire, il m'a tout donné, déjà. Et finalement, il est comme posé sur ma peau. Il fait partie... je l'ai dans la tête, j'ai l'accent qui restait un peu. Si je suis ici, on dit que je n'ai pas l'accent. Si je suis à Paris, on dit que j'ai un accent très prononcé. Mais je suis enivré par notre territoire. C'est vrai que l'Occitanie, toutes les régions ont du relief, mais l'Occitanie a du caractère. Et là, avec la candidature UNESCO, j'ai l'occasion de rencontrer énormément de praticiens, de populations, d'experts, de personnes à l'activité ou à la retraite, liés à la filière. Et c'est extrêmement émouvant, parce qu'on entre un peu dans l'intime des familles, souvent, parce qu'ils nous reçoivent chez eux, et les gens, en fait, se sentent très isolés.
- Speaker #0
et ont besoin aussi de partager. Pas de parler, puisque je ne suis pas psychologue non plus, mais de partager. Et c'est partager une histoire, c'est partager un moment, c'est partager un métier, c'est parler de ses difficultés, c'est parler aussi du côté gratifiant. Les éleveurs, l'univers du cuir, de la laine, les gantiers, globalement, la transformation du cuir. Mais ce sont autant d'univers différents mais qui sont liés par le même sentiment, cette appartenance au territoire. Il y a une vraie façon de travailler, il y a une âme qu'on amène sur le produit, sur le savoir-faire, il y a un vrai savoir-faire. On est un territoire, le sud Aveyron particulièrement, mais le nord Aveyron c'est pareil, on a vraiment tous ces sentiments qui sont présents, c'est-à-dire on va avoir de la fierté, on va avoir de l'envie du travail bien fait, on va avoir envie de travailler. Il y a cette notion de famille, il y a cet attachement aussi. au lieu. On est très attaché à sa maison, à son jardin, à sa ville. Quand je vois que parfois, dans des villes, le tempérament collectif s'efface, ici, ça ne s'efface pas. Ça ne se gomme pas. Les gens savent, dans le village, ce qu'on peut faire, comment améliorer. Ils sont investis. et moi ça je m'en rends compte au fur et à mesure, je trouve que ça prend de l'ampleur et ça c'est magnifique pour moi la solidarité c'est le point fort on doit absolument s'aider les uns les autres on doit trouver des solutions pour accompagner les familles à rester peut-être pour finir
- Speaker #1
Olivier, c'est une question que j'ai un peu comme un rituel dans le podcast c'est la dernière c'est en quoi est-ce que vous croyez profondément ?
- Speaker #0
la passion, on ne fait rien de bon sans passion donc c'est moi ce qui me guide depuis le début Tout ce que je fais, je le fais passionné. Et on dit que je suis un grand optimiste, mais en fait c'est la passion qui me guide. Je suis quand même très pragmatique, j'ai bien la tête sur les épaules. Mais avec passion, on croit beaucoup plus facilement aux choses, on a une énergie qui vient, on est plus à l'écoute aussi. Je pense que c'est important d'écouter, on est dans un monde très rapide, les gens ne prennent pas le temps. Il faut savoir poser son portable, il faut savoir réfléchir, il faut savoir s'engager. Donc voilà, la passion, c'est ce qui m'a permis de retourner, finalement de venir dans l'entreprise de famille, ce qui m'a permis de la développer. Voilà, donc, sans la moralisation, la passion.
- Speaker #1
Merci beaucoup.
- Speaker #0
Merci Lola.
- Speaker #1
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