Speaker #1Alors, je m'appelle Soumia, j'ai 34 ans et aujourd'hui je suis consultante en développement durable dans le secteur de la mode et du luxe. Mais avant ça, je travaillais dans le secteur de l'humanitaire. À l'étranger, je faisais de la levée de fonds institutionnelle, donc c'est levée de fonds auprès de bailleurs comme l'ONU, l'Union Européenne, les États, etc. pour monter des projets d'aide au développement et d'aide d'urgence. d'aide humanitaire d'urgence. Et c'est dans ce cadre-là que j'ai fait mon burn-out. En fait, je suis arrivée, c'était ma première expérience professionnelle salariée, et je suis arrivée dans une mission qui était en Tunisie, mais qui était la mission libyenne exilée en Tunisie, dans un cadre en fait assez chaotique. On me l'a décrit plus tard comme la pire mission du monde. Pour une association qui gère des missions dans plus de 80 pays, ce n'est pas peu dire. Et en fait, c'était une mission un petit peu, enfin non, très désorganisée. En fait, quand je suis arrivée, j'étais stagiaire pendant trois mois sous une responsable qui était plus jeune que moi et qui, du coup, ne voulait pas me donner de travail substantiel à faire, qui ne m'a pas vraiment formée. Et quand elle est partie, j'ai pris sa place, donc sans avoir aucune idée de ce que je devais faire. Donc, c'était déjà assez dur. Et puis, un mois et demi, deux mois plus tard, il y a deux autres managers qui sont partis. Au bout de six mois, comme ça, je me suis retrouvée dans une situation où je devais apprendre à faire un travail qu'on ne m'avait pas vraiment formée à faire. Et en même temps, manager deux équipes à l'étranger, qui, enfin, en full remote, des équipes d'hommes plus âgés que moi, d'ingénieurs, qui n'avaient pas nécessairement beaucoup de... de respect ou de déférence pour moi, en me voyant comme une petite Française de 26 ans qui vient leur dire quoi faire dans leur pays. C'était vraiment une grosse surcharge de travail. En même temps, un cadre assez particulier parce que dans cette association pour laquelle je travaillais, on était dans des guest houses, c'est-à-dire qu'on vivait avec nos collègues dans des appartements partagés. Il n'y avait pas une vraie séparation de maison, travail, de cadre. On était tout le temps ensemble et d'une certaine manière, c'était bien parce que ça crée une certaine cohésion, mais d'une autre manière, ça fait aussi trop de porosité et un manque de limite entre le personnel et le professionnel. Le cumul de trois métiers, en fait. qui sont des métiers distincts et qui doivent l'être parce qu'en plus, pour des raisons éthiques, normalement, la personne qui monte le projet, ce n'est pas celle qu'il implémente et ce n'est pas celle qu'il évalue parce qu'il faut bien qu'il y ait une séparation. Là, j'avais ces trois responsabilités. J'avais en même temps des collègues managers qui remettaient certaines de leurs responsabilités sur moi parce que la personne qui m'avait précédée avait pris ces responsabilités parce que ça lui plaisait. Donc, des responsabilités de gérer la communication des projets. de monter un site internet pour un projet, de créer son contenu, de faire de la logistique, etc. Et en fait, ça a fait juste une accumulation de tâches et personne ne voyait que je me noyais. Et quand je m'en plaignais, on me le reprochait presque de ne pas être capable de gérer les choses comme ma prédécesseure. Alors que j'avais beaucoup plus de travail qu'elle. J'avais même une collègue qui m'avait demandé de gérer la communication d'un projet. dont elle était la manager. Ce n'était pas mon travail. Mon travail à moi, c'était d'écrire, en termes de communication, des petits articles courts que je devais envoyer au siège pour qu'il les publie sur les réseaux du siège. Mais ce n'était pas à moi de gérer la communication propre des projets sur place. Et une fois, elle était partie un vendredi soir à 17h et je lui avais dit « tu pars ? » Et elle me dit « ben oui, moi j'ai fait ce que j'ai à faire » . Je lui ai dit « mais tu ne veux pas m'aider sur ce sujet parce que moi j'ai encore beaucoup de travail et je ne sais pas quand est-ce que je vais pouvoir partir » . Et elle m'a dit « non, non, mais c'est à toi de le faire » . Et puis moi, je trouve vraiment que les gens qui n'arrivent pas à partir du travail après 17h, c'est qu'ils sont très désorganisés. Je me suis dit « mais… » C'est quoi cet endroit ? C'est quoi cet enfer ? C'est quoi ces gens qui n'ont juste aucune notion du respect pour les autres ? En plus, sincèrement, j'étais assez mal payée. Je devais avancer tous les frais sur tous les projets. C'était compliqué de se faire rembourser. Il y avait vraiment plein de petites choses comme ça. La plus grosse difficulté que j'avais, c'est que j'avais deux hiérarchies, parce que j'avais une hiérarchie locale sur place. donc le directeur de la mission, et j'avais une hiérarchie basée à Paris, qui devait revoir tout ce que je faisais avant de les envoyer aux bailleurs, donc tous les appels à projets, tous les rapports, etc., tout devait passer par eux. Et en même temps, j'avais aussi une interface directe avec les bailleurs, donc j'avais d'un côté les bailleurs qui passaient leur temps à me dire que j'étais en retard sur tout, et je le savais, ils avaient raison. J'avais du coup la pression du siège. qui avait ce retour aussi des bailleurs, donc qui me faisait la réflexion et qui ne comprenait pas que j'étais aussi en charge de l'implémentation et de l'évaluation des projets. J'avais les managers qui me posaient leur site internet et leur communiqué de presse et leur truc en plus à faire de logistique, etc. Et j'avais un directeur de mission qui, en fait, ne comprenait pas l'objet d'une mission humanitaire, en fait. En fait, il n'était pas formé à ça. C'était une personne qui avait été recrutée parce qu'il avait de bons contacts en Libye avec les représentants dont on avait besoin pour monter certains projets. Mais il ne comprenait pas ce que ça impliquait d'être une mission humanitaire. Il ne comprenait pas ce qu'il fallait dire ou ne pas dire aux bailleurs, etc. Déjà, il me faisait perdre beaucoup de temps. Mais en plus, il était... Comment dire ? J'ai le mot qui me vient en anglais, undermine. Comment dirais-je ? Il réduisait mon travail. Et en plus, il ne lisait jamais ses e-mails. Après, il venait dans mon bureau en me disant « Mais tu ne m'as pas mis en copie de ses e-mails, je n'étais pas au courant de ça, je n'étais pas au courant de ça. » Quand on allait voir les bailleurs, ils disaient n'importe quoi. Et après, il fallait que je repasse derrière et que je répare, etc. Et en même temps, au fur et à mesure, notre relation s'est... C'est vite foncer dans le mur, parce que moi, je ne suis pas non plus de nature à me faire marcher dessus. Et il avait aussi tendance à me dire des phrases du genre, c'est grâce à moi si t'es là, c'est grâce à moi si t'as ce job. Et à essayer de me mettre des coups de pression, essayer de me faire comprendre que j'avais une certaine dette envers lui. Même si je ne le croyais pas, c'était quand même mon premier job. J'avais envie de bien faire, j'avais envie de le garder, j'avais envie de me prouver, etc. Et en fait, j'ai un peu laissé cette pression me peser dessus pendant un certain temps. Au mois d'août de cette année-là, ça faisait 4-5 mois que j'étais dans cette situation. Et dans cet intervalle, j'avais développé une maladie inflammatoire et j'étais dans une souffrance physique constante. Je ne pouvais pas dormir, je ne pouvais pas manger. Je me nourrissais d'eau et d'amandes parce que c'était les seules choses que je pouvais avaler. J'avais tout enlevé de mon régime alimentaire parce que je ne savais pas s'il y avait des allergies ou une réaction inflammatoire à quelque chose. J'ai tout enlevé pour essayer de comprendre ce qui se passait. Physiquement, ça allait mal. Tout est parti en freestyle. Je travaillais des horaires insupportables. Parfois, j'étais au bureau avant 6h du matin. J'étais déjà au bureau. Je repartais à 23h. Et en fait, comme personne ne se rendait compte que de la quantité de travail que je gérais, on continuait de m'en rajouter. Jusqu'à ce qu'au mois de juillet-août, on envoie quelqu'un, la directrice d'une autre mission, en observation, pour essayer de comprendre pourquoi la mission ne fonctionne pas. Et en fait, ce que j'ai appris plus tard, c'est que l'objet de sa mission, c'était de m'évaluer moi et de comprendre si c'était moi le problème. Et du coup, avec cette directrice, pour moi, ça s'est bien passé. Et elle s'est rendue compte qu'en fait, je gérais beaucoup de choses, que j'avais beaucoup de responsabilités, que je faisais bien mon travail si on me laissait le faire. Et du coup, sous sa protection, on va dire, un petit peu, j'ai pu me remettre un peu de baume au cœur, on va dire, reprendre un peu de poil de la bête, parce que je me suis rendue compte aussi que ce n'était pas moi le problème. Parce qu'en fait, j'étais tellement sous l'eau tout le temps que j'avais l'impression que c'était moi qui n'y arrivais pas, que c'était moi qui faisais mal mon job, que c'était moi qui ne faisais pas les rapports assez vite, etc. Je me sentais vraiment incapable, mais du coup, le fait d'avoir sa validation, d'une personne qui a énormément d'expérience, qui a vu des missions qui étaient postées au Yémen, au Pakistan, en Irak, dans des endroits très compliqués, qu'elle me dise que non, tu t'en sers bien, tu as de bons réflexes, tu as de bons instincts, tu as fait ce qu'il fallait faire en ayant assez peu d'aide. Et sachant qu'en plus, à chaque fois que vous demandez de l'aide, je devais représenter l'association à certains working group de l'ONU, par exemple, et on disait il nous faut un expert sur tel sujet. Et quand vous disiez au siège il nous faut un expert sur tel sujet, il me disait c'est toi l'experte en fait. Et il m'envoyait des centaines de pages à lire et il me disait tu as une semaine pour devenir l'experte de X sujets. Et du coup, à ce moment-là, elle était là, c'était vers la fin de sa mission. Et à ce moment-là, il y avait une série de projets humanitaires qui finissaient, une série qui reprenait la suite du projet. Et on avait dû faire venir les équipes de Libye pour organiser les réunions d'ouverture et de fermeture des projets. Je voulais le faire tant qu'elle était là. Je voulais bénéficier de son expertise à elle. et de sa présence. Donc on a organisé cet événement ensemble. Ça s'est très bien passé. Et moi, comme je savais que ce n'était pas les dates officielles, j'avais laissé les documents, les minutes de ces réunions de côté, jusqu'au moment où le directeur adjoint de l'association vient lui aussi en Tunisie pour constater lui-même ce qui se passe. Et puis, il me demande, il me dit, je vais assister à des réunions avec tel bailleur, tel bailleur, tel bailleur. J'ai besoin de tous les documents sur tous ces projets. Donc, je lui envoie tous les documents, y compris les minutes de ces réunions qui n'avaient pas été validées par le siège. Parce qu'il manquait en fait de trois informations, comme les projets n'avaient pas officiellement commencé et fini. J'avais besoin encore de les amender et donc je ne les avais pas envoyées au siège. pour validation, mais je lui envoie à lui parce qu'il me les demande. Et du coup, un vendredi soir, à 21h30, je reçois un email furieux de ma responsable au siège qui me dit que c'est complètement pas professionnel que j'envoie ça à André alors que... Alors qu'elle ne les a pas relues, qu'en plus, il y a des erreurs parce que je n'ai pas inclus telle et telle chose. En plus, j'ai fait n'importe quoi parce qu'on n'organise pas un kick-off un mois avant et on n'organise pas un close-out un mois avant. Que tout était mal organisé, que je prenais des initiatives que je n'avais pas à prendre, etc. Et en plus, elle m'a envoyé cet email. pour les kick-off et cette email pour les close-out. C'est-à-dire qu'elle redit deux fois la même chose pour vraiment appuyer sur le fait que je faisais mal mon travail. Et elle a mis vraiment toutes les personnes des plus hauts placés de l'organisation dans la boucle pour pousser l'humiliation encore plus loin. Et donc André arrive et elle lui dit qu'il voit avec moi. la liste de toutes les choses que j'ai pas encore fait. Et donc, en réunion d'équipe, devant tout le monde, il me dit, j'ai parlé à ta responsable avant de venir et elle voudrait savoir où tu en es sur tel projet et sur tel projet et sur tel projet et sur tel projet. Et ça dure comme ça, genre 20 minutes. Et pour chaque projet, il me demande où j'en suis, etc. Et à la fin, il me dit, tu te rends compte que tu es quand même très en retard, tu n'as pas plus de projets que les autres. Moi, j'ai toujours travaillé sur cahier et je lui ouvre mon cahier à la page et je lui dis, écoute, ça, c'est les projets que Gaëtan a besoin. Ça, c'est les projets dont elle te parle. Ça, c'est les projets sur lesquels je travaille. Et je tourne la page, je lui dis, ça, c'est les projets de communication que j'ai pour Bertil. Ça, c'est ce que je fais pour Intel. Ça c'est les projets de logistique que je gère, ça c'est l'évaluation des projets que je dois gérer, ça c'est le management des projets que je dois gérer. Je lui dis, je n'ai pas que ça, en fait. Je fais beaucoup de choses. Et quand les équipes qui sont sur place m'appellent ou m'envoient des e-mails pour me demander de les aider à gérer des problèmes, je ne peux pas prioriser un rapport par rapport à elles. Je suis obligée de prioriser les équipes qui sont sur place. Sachant qu'en plus, on travaillait en décalé parce qu'en Libye, une semaine, ce n'est pas du lundi au vendredi, c'est du dimanche au jeudi. Donc, en fait, je n'étais jamais en pause à part le samedi. Parce que le dimanche, ils pouvaient m'appeler à 8h du matin. Pour eux, il n'y avait pas de souci. C'était normal. C'était un jour de travail comme un autre. Et du coup, je lui explique que je fais de mon mieux, mais je ne sais pas comment faire mieux que ça. Et à ce moment-là, la chance que j'ai, c'est que la directrice qui était venue en observation, elle leur dit aussi, laissez-la tranquille en fait. Parce qu'elle tient la mission par le bout des bras. Elle fait un travail que... Si elle n'était pas là, personne ne pourrait le faire et personne ne pourrait reprendre tout le travail qu'elle est en train de faire. Elle fait le travail de trois personnes et demie dans un contexte de guerre civile qui est très compliqué à gérer, où on ne peut pas animer les équipes d'une manière normale, où je ne pouvais même pas envoyer les équipes d'un bout à l'autre du pays parce que la Libye, c'était très dangereux à ce moment-là. Donc déjà, les faire sortir du pays, c'était compliqué. Les faire voyager à l'intérieur du pays, c'était compliqué. tout était compliqué. Rendez-vous compte, quoi. Rendez-vous compte de tout le travail qu'elle fait, de la qualité du travail qu'elle fait étant donné les circonstances. Et dès là, recruter des gens, etc. Et donc, à partir de ce moment-là, il commence à se mettre en place un processus de recrutement où ils recrutent un logisticien et puis ils mettent... Il commence à réfléchir à recruter un stagiaire pour m'aider. Entre temps, il y a une de mes collègues qui part, qui se fait remplacer par quelqu'un de très bien, mais qui a besoin de formation. La personne qui arrive vient de se marier, donc elle part en voyage de noces pendant trois semaines. Pendant trois semaines, je dois gérer ses équipes en plus des autres. Elle est formée sur des projets que je n'ai jamais menés. Créer des guides de formation, de protection des réfugiés, des choses que je n'avais jamais fait avant. Une intensité de travail qui perdure, mais je m'accroche. Et puis finalement, en septembre, j'ai eu un point de rupture au moment où je demande trois jours de congé à mon responsable. En fait, je n'avais pas fini. Mon mémoire de master, évidemment trois jours de congé, mais c'était deux jours parce qu'en Tunisie pour la fête de l'Aïd, il y a trois jours de congé, donc j'avais demandé deux jours pour que ça me fasse une semaine complète, pour que je puisse rentrer en France, finir mon mémoire et le soumettre. il me dit mais tu te rends compte tu prends beaucoup de jours de congé alors que je prenais jamais de congé en fait je rentrais que le week-end d'un du vendredi soir au dimanche soir, quand je pouvais. J'avais jamais pris, littéralement, j'avais jamais pris un seul jour de congé. Il me dit, mais tu te rends compte, tu prends trop de congés, tu t'absentes trop souvent. Je lui dis, ben non. Et il me dit, ce qu'on va faire, c'est que tu vas écrire un petit paragraphe pour expliquer en quoi ton absence va affecter ton travail. Là, il y a un blocage dans ma tête. Je lui dis pardon. Il me dit juste un petit paragraphe comme ça pour expliquer en quoi ton absence va impacter ton travail. Et en fait, à ce moment-là, il y a eu vraiment un switch dans ma tête. Et je me suis dit mais je vaux beaucoup mieux que ça en fait. Je n'ai pas besoin de ce job. Je suis arrivée jusqu'ici. par mes propres moyens. Et en fait, s'il me vire demain, genre, je continuerai très bien ma vie, quoi. Et du coup, je lui dis, ben non. Il me fait, si, si, un petit paragraphe. Je lui dis, non, je vais rentrer chez moi et je vais réfléchir à si j'ai vraiment envie de revenir ici, en fait. Et du coup, là, il a changé, il est passé de 160 à zéro. Il me dit non, non, mais rentre chez toi, repose-toi bien, prends même deux semaines si tu as besoin et après tu reviens, tu seras mieux. Tu verras. Je lui dis non, non, mais il est passé vraiment du tout au tout. Je lui dis non, non, je vais prendre une semaine comme j'avais prévu de prendre et je vais bien réfléchir à si ça vaut la peine de revenir. Du coup, je pars et puis je suis tellement usée au bout du rouleau, physiquement, émotionnellement, psychologiquement que je n'arrive pas à finir mon mémoire. je me prends un beau zéro. Et en tant que bonne élève, toujours première de la classe, telle ou telle service, etc., je le vis comme une grosse humiliation. Quand je rentre à mon poste, j'appelle la RH et je lui dis « Écoute, cette mission, ce n'est pas possible. Mon contrat se finit dans trois semaines. » et dans trois semaines, je ne veux plus entendre parler ni de la Libye, ni de la Tunisie, ni de rien du tout. Et si ça veut dire que je n'ai plus de place dans cette organisation, ce n'est pas grave. Et elle me dit, oui, mais on a mis en place des choses cet été. Il y a eu une évaluation de la mission, il y a eu un recrutement qui est en cours, il y a ceci, il y a cela. Je dis, oui, mais c'est trop peu trop tard en fait. Ça fait des mois que vous musez jusqu'à la corde. Je demande de l'aide au siège, on me dit qu'il faut que je vois avec mon responsable d'ici. Mon responsable d'ici, il n'en a rien à faire de moi. Et en plus, il y avait vraiment quand même, avec du recul, je le vois comme du harcèlement, dans le sens où il faisait beaucoup de commentaires méchants et inappropriés à mon sujet. Par exemple, en guest house, quand je n'étais pas là. J'avais des collègues libyens qui étaient venus et du coup, ils les avaient installés dans la guest house parce que ce n'était pas un lieu personnel pour nous, c'était un lieu de travail. Et il avait dit, il faut qu'on mette en place une mission d'aide sanitaire dans la guest house de Soumiya, alors que je suis une maniaque, j'avais tout nettoyé. Et ma colocataire avait laissé une poêle dans l'évier. Je ne sais pas si vous savez ce que ça implique une mission d'aide sanitaire, mais c'est vraiment de... construire des toilettes dans des camps de réfugiés. Je veux dire, c'est vraiment les trucs les plus basiques. Parce qu'elle n'est pas capable de gérer l'hygiène. Il avait fait des commentaires sur mon physique, sur ma manière de m'habiller. C'était vraiment insupportable. Je lui dis tout ça et je lui dis « Moi, je ne peux pas supporter tout ça, en plus de tout le travail que j'ai à faire et du manque de considération que j'ai de tous les côtés. » Je lui dis « Ce n'est pas possible, en fait. » Et donc là, elle me dit, écoute, si tu veux, il faut savoir que tu as le droit de quitter la mission et de venir même dès aujourd'hui. On peut te prendre un billet d'avion pour que tu reviennes dès maintenant. J'avais envie de dire, pourquoi personne ne me l'a dit quand j'ai pris le départ ? C'est le genre de droit qu'on a besoin de savoir dès le début, ça. Je lui ai dit, non, non, je finis ma mission dans trois semaines. Je finis mon travail, j'ai des choses à faire, mais... Mais après ça, vous vous débrouillez, vous trouvez une autre situation. À ce moment-là, on me rappelle le lendemain en me disant « Écoute, on n'allait le dire à personne, mais vu que tu as l'intention de partir, on voudrait t'en parler. On a décidé de changer la direction de la mission, mais on ne peut pas le faire si tu n'es pas là, parce que si tu pars, il n'y aura plus de mémoire institutionnelle. » Et donc, on a besoin que tu restes le temps qu'on change la direction de la mission. Et donc, à partir de là, je reste dans cette mission encore six mois. Mais je refuse de renouveler mon contrat de six mois. C'est-à-dire que tous les mois, on m'envoie un contrat d'un mois parce que je leur dis, je veux savoir que j'ai toujours l'option de partir très vite. Je ne veux pas m'engager parce que je ne vous fais pas confiance, en fait. Et donc, tous les mois... Tous les mois, je dois re-signer un nouveau contrat de travail d'un mois pour eux. Et effectivement, ils changent la direction de la mission et ils recrutent de nouvelles personnes. Ma charge de travail s'allège relativement. Et je dis relativement parce que même s'il y a un manager de projet qui vient pour gérer l'implémentation des projets, Je garde en charge l'équipe d'évaluation des projets, en plus de ma charge de travail normale de développement de projet. Et à ce moment-là, il y a toute une période où tous les projets se renouvellent. La mission a été tellement chaotique pendant tellement longtemps que tous les bailleurs... nous font subir des audits et demandent un reporting extrêmement régulier. Pour certains projets, je devais envoyer un rapport toutes les semaines, pour d'autres, c'était tous les mois. Donc en fait, c'était une charge de travail en plus parce qu'il y avait une perte de confiance totale de la part des bailleurs. Ce qui fait qu'il y avait un plus grand regard aussi du siège sur mon travail, sur toute la mission, etc. Donc j'avais quand même une charge. relativement allégée mais quand même assez importante. Et en fait, à ce moment-là, j'étais tellement arrivée à un point de rupture que quand le nouveau directeur me dit « Ce serait bien que j'aie ce rapport sur mon bureau lundi matin » , je lui dis « Ben non, en fait, moi j'ai besoin de trois jours, on est vendredi soir, donc tu l'auras mercredi » . Il me dit « Ben non, on est vendredi, donc samedi, dimanche, lundi, c'est bon, t'as tes trois jours » . Et à ce moment-là, en fait, j'en ai tellement plus rien à faire. Je lui dis, mais écoute, il faut que tu comprennes que je ne suis pas du tout assez bien payée pour travailler le week-end, en fait. Je ne suis même pas payée du tout pour travailler le week-end. Je suis payée pour travailler du lundi au vendredi. Et il me dit, mais tu es très impertinente. J'en avais tellement rien à faire que je lui dis, je ne suis pas assez bien payée pour être pertinente, en fait. Payez-moi plus et je serai beaucoup plus polie. Et du coup, je m'impose à ce moment-là, je m'impose davantage, mais il y a quand même une grosse pression. Et la plupart du temps, je travaille quand même le week-end. La plupart du temps, je suis quand même au téléphone le dimanche matin avec mes collègues de Libye. L'intensité, elle est toujours très présente. Et d'ailleurs, ça m'a amusée quand je suis partie et que la personne qui m'a remplacée m'a dit... et Elle a dû faire un tiers peut-être de ce que tu faisais pendant une semaine. Et elle était en pleurs toute la semaine. Je lui ai dit, mais je le comprends parce que moi, j'étais en pleurs pendant 12 mois. Enfin, tous les jours. Non, mais elle n'avait pas à le subir, en fait, pendant une semaine. Il n'y a pas de quoi rire, en fait. C'est vraiment énorme. Et en même temps, j'ai de la compassion pour elle parce que moi, je l'ai vécu pendant des mois. Et c'est très, très difficile, en fait. Et en attendant, je continue d'être... d'être assez malade et d'être... Mon état de santé continue de se détériorer sans que j'arrive à faire quoi que ce soit, en fait. Et je vois littéralement une dizaine de médecins en France et en Tunisie et à chaque fois, on me dit que c'est dans ma tête, que c'est de l'anxiété, que c'est parce que je suis stressée. Et ils détectent aucun problème, en fait. Donc, comme c'est dans ma tête et que c'est de l'anxiété, j'essaye de faire du sport, je me mets au yoga, je change ma manière de manger, j'arrête le sucre, j'arrête le lait, j'arrête la viande. Je ne dors toujours pas depuis des mois parce que j'ai mal dans n'importe quelle position. Parfois, j'ai mal même de respirer, donc je respire. Enfin, je ne prends pas de grande inspiration, c'est vraiment pendant des mois. Une pression physique en plus d'une pression psychologique. Jusqu'au jour où je m'effondre au bureau. Et qu'aux urgences, on découvre que j'ai un kyste de la taille d'une orange dans mon ovaire. Parce que j'ai développé une endométriose que... aucun des douze médecins que j'ai vus n'a détecté. Et quand, en fait, c'est ça qui faisait que j'étais dans cet état-là, quoi. C'était pas tout à fait dans ma tête, finalement. Donc, moi, je décide que... Enfin, de mettre un terme à la mission. Même si on continue de me proposer, de renouveler, de rester, de changer les conditions, de m'augmenter, etc. Je décide de partir parce que je me dis que j'ai besoin de...
Speaker #0d'être dans une mission qui est mieux structurée, de repartir de zéro et d'un nouveau départ. La mission suivante, c'est... C'était tellement... Enfin, comment dire ? J'étais censée travailler avec une personne qui avait 10 ans d'expérience de plus que moi, qui allait me... me former sur mon métier et être un peu un mentor pour moi. Donc, on me promet ça. Et puis finalement, je me retrouve dans la situation de départ, c'est-à-dire avec une responsable qui est plus jeune que moi, qui a vécu une expérience similaire à la mienne. Donc, elle est très compétente, etc. Ce n'est pas le souci, mais c'est juste qu'elle me micromanage alors que je n'ai pas besoin d'être micromanagée. Je trouve que la mission est chiante à crever parce que j'avais l'habitude d'être constamment, d'avoir toujours énormément de travail, énormément de responsabilités. Là, je me retrouve à faire un travail qui est assez peu substantiel de mon point de vue et avec énormément de... Enfin, avec une personne qui est tout le temps en train de regarder au-dessus de mon épaule. Donc, je m'ennuie pas mal et finalement, je me dis... Je décide de changer de voie professionnelle et... Et en fait, à ce moment-là, quand j'ai quand même beaucoup moins de travail, je commence un peu à me reconstruire. Je suis des soins pour soigner mon endométriose. Je commence à réfléchir à mon futur. Je m'inscris dans une... Enfin, je fais en tout cas un dossier de candidature dans une école de mode, etc. Je suis envoyée dans une troisième mission. Donc, j'étais au Liban et ensuite, je suis envoyée dans une troisième mission au Kenya. Et là, en fait, je découvre un environnement de travail sain. Pour la première fois de ma vie, parce que je suis dans un environnement de travail avec des personnes qui sont déjà principalement des Kenyans, qui sont sincèrement les personnes les plus agréables avec qui je n'ai jamais eu le droit de passer du temps, l'occasion, l'honneur, le privilège de passer du temps. Des personnes très très calmes, mais très douces. très bienveillante et un petit peu plus âgée. C'est-à-dire que ce ne sont pas des jeunes de 20 ans qui vont travailler dur et faire la fête. C'est des jeunes d'une trentaine d'années qui vont travailler entre 8h et 17h et qui ensuite vont rentrer chez eux parce qu'ils ont des enfants, ils ont une vie de famille, etc. Et ils sont vraiment réglés. C'est-à-dire qu'à 8h, tout le monde est là. À 17h, tout le monde part. Il n'y a pas de... Il n'y a pas d'overtime, il n'y a pas de « on tient les murs jusqu'à 19h » parce que nous, notre rôle, il est important. C'était un peu ce qu'on me disait à chaque fois au Liban. Non, nous, il faut qu'on soit là, il faut qu'on soit les premiers arrivés, il faut qu'on soit les derniers partis. Si j'ai du travail, je suis là, mais si je n'ai pas de travail, je ne vais pas juste regarder la peinture sécher. Donc là, au Kenya, il y avait vraiment cette très bonne organisation, une meilleure, un peu plus de séparation entre le... la vie perso et la vie pro. Comme je me retrouve avec tout ce temps, entre 17h et minuit, que je n'avais pas avant, je commence à reprendre un peu goût à la vie, et à me faire un peu plus plaisir. Au parallèle, j'apprends que je suis acceptée dans l'école de mode où je voulais aller, que j'ai une bourse d'études, donc les choses commencent un peu à... à aller mieux. Et je commence du coup à me remettre de mon burn-out. Mais encore jusqu'à maintenant, je sens que j'ai gardé une sorte de méfiance envers le travail. C'est-à-dire que j'ai toujours plaisir à travailler, mais j'ai beaucoup plus vite et beaucoup plus tôt. une sorte de, pas d'anticipation, mais de défiance, on va dire, envers le genre de message un peu toxique. Il faut rester là, il faut tenir les murs, il faut faire bonne figure, il faut se prouver. Ici, on est comme une famille. Le plus grand red flag de l'histoire du travail, c'est la phrase On est une famille. En tout cas, mon rapport au travail a complètement changé. Et je me rends compte que grâce à cette expérience, en fait... que j'ai au Kenya, où les limites sont établies vraiment par la culture de cette mission-là, où les gens ont ces limites non négociables. On est là pour travailler aux horaires auxquels on est censé travailler et ensuite, on n'est plus là. Et peut-être que sur la durée totale de cette mission, je n'y étais que quatre mois, mais j'ai dû faire deux, peut-être trois longues soirées parce que j'avais un gros... Un gros projet, mais c'était vraiment exceptionnel. Ce n'était pas du tout la règle. On ne s'attendait pas à ce que je vienne au bureau deux heures plus tôt et que je reparte trois heures plus tard pour finir des projets tous les jours. C'était même... Le contraire était plutôt encouragé. C'était... Ben non, il est 17h, tu pars. Pourquoi tu es encore... Il est 17h15, pourquoi tu es encore là ? À 18h, si on était encore au bureau à 18h, on était... peut-être deux, trois personnes, ça commençait à craindre un peu. Cette expérience-là, elle m'a vraiment appris si je veux avoir une limite entre ma vie personnelle et ma vie professionnelle, c'est à moi de la poser. Et il faut que je trouve des... Et il faut que je crée des limites qui soient presque tangibles, qui soient non négociables, pour qu'il n'y ait plus cette porosité entre ma vie perso et ma vie professionnelle, parce que moi, je suis aussi le genre de personne qui peut être concentrée sur quelque chose où... Ou se dire, j'ai toute la journée pour faire ça, donc je vais prendre toute la journée pour faire ça. Grâce à cette expérience au Kenya, j'apprends qu'il faut se donner le moins de temps possible pour finir le plus vite possible. Quand je reviens en France, après une année d'études, je trouve un stage dans une grande maison de luxe, sous une responsable qui est peut-être 15 ans plus âgée que moi, du coup. Et qui est une personne tout à fait adorable et pour qui j'ai beaucoup de respect parce que c'est une personne qui est impliquée dans la vie de son équipe, qui cherche à les développer, à leur faire faire des choses qui les intéressent, qui veut éviter ce genre de situation de burn-out ou de brown-out même. Donc j'ai beaucoup de chance d'arriver dans son équipe et dans cet environnement-là. Et j'apprends à moi-même me fixer des limites. Donc par exemple, je m'inscris à des cours de sport qui sont juste en face du travail pour vraiment avoir aucune... J'ai qu'à traverser le trottoir pour n'avoir aucune raison d'annuler au dernier moment. Et je m'inscris à tous les cours de 18h pour être sûre que tous les jours, à 17h30, je suis obligée de partir. Et pour mettre une limite ferme pour moi-même et en même temps pour l'entreprise. Et du coup, je me reconstruis comme ça en me rendant compte que j'ai besoin de limites externes à moi-même et à l'entreprise qui vont engager mon temps et mon énergie, etc. Et qui vont me forcer à avoir un point de rupture dans la journée où là, je vais m'occuper de moi. Et donc ça, ça dure un an et c'est très bien. Pendant le Covid, je perds mon job et là, je deviens freelance et ça fait quatre ans. Et ça va du coup, parce que là, j'ai une liberté totale de gérer mon temps comme je veux, etc. Mais je ressens toujours cette sorte d'appréhension, de trop en faire, en fait, de me retrouver encore, de me retrouver noyée si je ne fais pas attention, même si c'est moi-même qui suis en charge exclusive. de ma charge de travail, de ce à quoi je m'engage, etc. Huit ans après, sept, huit ans après cette expérience, j'ai l'impression que ce traumatisme, il est resté vraiment dans mon corps. Je le ressens parfois, j'ai l'impression d'avancer à reculons quand je sens que je commence à avoir une charge de travail alourdie. plus de responsabilités que j'en voudrais. J'ai l'impression de me battre contre moi-même parce que j'ai cette peur de ce qui pourrait se reproduire. Il y a un moment, quand j'étais en Tunisie, où on me dit que... Il y a deux psychologues qui sont payés par l'association et auxquels on a accès. Et du coup, j'en appelle un et je parle un peu avec lui. Et je lui dis, en plus quelque chose que je trouve absolument absurde maintenant, mais à l'époque, je le dis avec beaucoup de sincérité, je lui dis, je sais que je n'ai aucune légitimité à me sentir mal parce que je ne suis pas dans une mauvaise mission. J'étais dans une mission de niveau 1, c'est-à-dire aucun problème de sécurité quand on est en Tunisie. On peut sortir, on a beaucoup d'autonomie, etc. Il y a des missions où ils sont en compound, ils n'ont aucune autonomie, ils sont tout le temps enfermés, etc. Dans des conditions de sécurité abominables, au Yémen, il y a des bombardements, etc. Je lui dis, je sais que je n'ai aucune légitimité à me sentir mal, mais en fait, je ne vais pas bien du tout, je pleure tout le temps, je me sens sous l'eau, etc. Et il me dit, attendez... Vous n'avez pas besoin d'être sous une bombe pour avoir le droit de vous sentir mal. Vous avez le droit de ne pas aller bien, quand bien même votre environnement est relativement sécurisé. Ce n'est pas ça. Il me légitime un petit peu, mais en fait, comme ce sont des appels téléphoniques, et puis je ne suis jamais seule, parce qu'en guest house, j'ai mes collègues, et au travail, j'ai mes collègues, et je n'ai pas vraiment d'intimité. Je ne continue pas parce que je n'ai pas l'impression d'avoir le cadre qu'il me faut pour pouvoir vraiment bénéficier d'une aide psychologique, enfin de l'aide psychologique dont j'avais besoin. Donc à ce moment-là, je ne continue pas. Mais quand je suis revenue en France, j'ai commencé une thérapie parce qu'au Kenya, je commence à aller mieux. Mais je commence aussi à avoir des terreurs nocturnes à ce moment-là. Et en fait, quand je rentre en France, je vois une psychologue à ce moment-là. Je vois une psychologue et je lui explique tout ce qui s'est passé pendant presque trois ans. Et je lui dis, je ne comprends pas, quand j'étais au Kenya, j'étais tellement bien, j'étais heureuse même, j'avais un bon équilibre, etc. Mais par contre, je ne dormais pas du tout, je faisais toujours des cauchemars plus vrais que nature, je me réveillais complètement terrifiée, etc. Et elle m'explique qu'en fait, c'est parce qu'à ce moment-là, comme j'ai de l'espace mental, mon cerveau commence à faire le tri, commence à... de se remettre à commencer à guérir parce que là je peux. Parce que là j'étais dans un espace où j'étais mentalement en sécurité. Et à partir de là, pendant quatre ans, j'ai fait une thérapie en France. C'était pas que sur ça, il y avait beaucoup de sujets. Ça m'a permis de continuer ce process de guérison.