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Conférence inaugurale : Santé mentale et Bioéthique

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1h51 |30/01/2025
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Description

Forum Européen de Bioéthique 2025: Santé mentale & Bioéthique


Conférence inaugurale : Santé mentale et Bioéthique


En France, la dépression touche un adulte sur six, et pas moins de seize millions d’entre nous ont déjà utilisé des psychotropes. Entre 2019 et 2022, chez les 12-25 ans, l’Assurance maladie a observé une augmentation de 20 % des maladies psychiatriques et de 60 % de la consommation d’antidépresseurs. Chez les 25-34 ans, le suicide est désormais la première cause de mortalité. Depuis vingt ans, partout dans le monde, les problèmes de santé mentale ne cessent d’augmenter, notamment dans les populations les plus fragiles : jeunes, personnes âgées, sans-abris, détenus, femmes enceintes… C’est dire si la santé mentale est un problème de santé publique.

Pourtant, la prise en charge psychiatrique et psychologique reste encore trop souvent un « véritable parcours du combattant » (rapport du Haut-Commissariat au Plan). La psychiatrie est en crise : manque de lits, de psychiatres, d’infirmier·e·s, manque de moyens et de reconnaissance. Auprès du grand public, mais probablement aussi pour une part importante des médecins et même des institutions, la psychiatrie fait peur, au point d’être souvent reléguée dans l’angle mort de la médecine.

La « santé mentale » pose avant tout un problème de définition. Et comme disait Albert Camus en 1944 : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Si la « santé mentale » était considérée d’égale à égale avec la « santé physique », il y a fort à parier que le monde irait mieux. Imaginez seulement qu’on puisse, en France, en 2025, proclamer que l’on va faire de la « santé physique » une grande cause nationale. C’est inimaginable, car la « santé physique » est depuis longtemps déjà considérée comme le bien le plus précieux de l’humanité. Alors, pourquoi n’en va-t-il pas de même pour la santé mentale ? C’est aussi une forme de médecine à deux vitesses.

Cette année, au Forum Européen de Bioéthique, nous tâcherons d’explorer la santé mentale avec le même degré d’exigence que celui attendu pour la santé physique : évolutions diagnostiques, thérapeutiques, sociétales et juridiques…


Avec


Raphaël Gaillard, Professeur de psychiatrie, Chercheur en neurosciences, Élu à l'académie Française


Aurélien Benoilid, Neurologue, Président du Forum Européen de Bioéthique


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à tous. Dans nos rêves les plus fous du petit carteron de personnes, dont Jean-Louis Mandel que je vois arriver il y a 15 ans, si on nous avait dit qu'on aurait, 15 ans plus tard, encore des salles combles et encore cette appétence du public strasbourgeois à la bioéthique, on ne l'aurait pas cru. Quand on a parlé de bioéthique la première fois, on nous a dit mais ça c'est de la médecine, c'est de la science, ça n'intéresse pas le grand public Et justement, ce n'est pas de la médecine, ce n'est pas de la science, et chacun d'entre vous a un avis sur les sujets bioéthiques. Et depuis 15 ans, la bioéthique, si j'ose dire, nous a rattrapé. Elle nous a rattrapé dans la loi, elle nous a rattrapé dans notre vie de tous les jours. Tout le monde a un avis sur la fin de vie. sur ce qu'il faut mettre dans la loi. Nous sommes, et ces avis finissent par constituer la loi. Alors au Forum, on n'a jamais eu l'intention d'agir sur la loi, mais on a eu l'intention de donner les éléments de compréhension, les éléments scientifiques, les éléments de réflexion. Et je dois dire que depuis 15 ans, il n'y a pas eu une seule séance où même des avis contradictoires ne se sont pas écoutés mutuellement. et où la discussion n'a pas été sereine. Pour ça, je remercie infiniment le public strasbourgeois, parce que quand je vois comment ça se passe parfois dans les débats, et en particulier dans les débats bioéthiques, et parfois même dans les instances parlementaires, je me dis que parfois ça manque de sérénité, et ça manque aussi de culture. C'est donc une joie et un plaisir de vous retrouver. tous et cette année pour la première fois en dehors du streaming il va y avoir des podcasts donc vous pourrez retrouver et beaucoup d'étudiants s'en servent depuis des années vous pouvez retrouver en podcast toutes les conférences qui ont lieu au forum européen de biotique le choix de la nouvelle Troïka qui dirige le forum parce qu'il faut passer la main et la main est le... Le relais a été saisi avec très grande sagesse par Aurélien Belmoilide, qui a choisi Santé mentale et bioéthique, quel beau thème On va, pendant les jours qui viennent, explorer tous les aspects bioéthiques de la santé mentale. Je dois remercier, parce que c'est complètement unique, non seulement en France, mais en Europe, de mettre la bioéthique à la portée du grand public. Et ceci a été possible grâce aux collectivités territoriales. Au début, il y avait un labo de médicaments qui proposait Vous avez besoin de combien ? Voilà, on vous fait le chèque. Et je ne sais pas pourquoi, j'ai refusé. Bien m'en a pris parce qu'aujourd'hui, un forum de bioéthique qui serait financé par un laboratoire pharmaceutique, ça ferait bizarre. Et donc, c'est le préfet... de la région Grand Est, la région Grand Est, la collectivité européenne d'Alsace, l'euro-métropole de Strasbourg et la ville de Strasbourg, qui ont toujours tenu le Forum à bout de bras, avec toutes les difficultés qu'il peut y avoir, de budget, la complexité du montage a toujours été grande, mais nous n'avons jamais été lâchés, parce que le Forum est devenu une marque. Beaucoup de gens cherchent le programme, quand est-ce qu'il paraît, quand est-ce que les gens attendent le forum et c'est une particularité de Strasbourg. Nous avons des nouveaux partenaires, l'agence régionale de santé Grand Est nous aide, la fondation de France avec l'une de ses fondations abritées. Éthique IA, Daniel Gruson, le Crédit Agricole d'Alsace-Vosges, tous ces partenaires financent intégralement cet événement afin de le rendre accessible gratuitement au plus grand nombre. Et donc c'est totalement unique, pas seulement en France, en Europe. Il n'y a pas un seul endroit en Europe, en dehors du Forum européen de Strasbourg, où le public peut s'approcher de la bioéthique, se cultiver. comprendre la complexité des choses et sortir avec sa propre opinion et toutes les opinions se valent. Nous remercions également tous nos autres partenaires qui nous accompagnent dans l'élaboration du programme et qui contribuent à développer le rayonnement de l'événement. Et je remercie tout particulièrement Raphaël Bloch qui est ici, qui est la cheville ouvrière et qui a maintenu... techniquement et pratiquement ce forum dans la qualité qu'il avait au départ et je dirais même qu'il s'est amélioré au fil des années. Merci Raphaël, merci Aurélien, merci Maud. Pour tout ce travail, je donne la parole à Maud.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, bonsoir à tous. Alors je vais passer la parole... aux élus. Et pour commencer, M. Alexandre Fels, qui est adjoint à la maire en charge de la santé publique et environnementale, représentant donc Mme Jeanne Barzéguian, maire de Strasbourg. M. Fels.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Je vous salue toutes et tous. Je voudrais donc au nom de la maire de Strasbourg, Jeanne Barzéguian, mon nom propre, Alexandre Fels, adjoint à la maire et président du Conseil local de santé mentale. Donc vous accueillir ici, remercier bien sûr les organisateurs, notamment Israël qui a été vraiment le père fondateur et qui maintenant a pu transmettre. C'est bien, c'est important de créer, c'est aussi très important de transmettre. Voilà donc ce matin, en réfléchissant à ce que vous allez vous dire et en lisant le quotidien. Régional qu'on lit chaque matin, nous élus, dernière nouvelle d'Alsace, je me suis dit que notre santé mentale était quand même un peu complexe. Quand on a plan que Donald Trump a des propos transphobes, vous savez que maintenant les personnes qui ont transformation de genre ne pourront plus travailler dans l'armée ni dans les fonctions publiques américaines. C'est un peu difficile quand on voit que les pesticides, notamment les néocotinoïdes pour les abeilles, voudraient revenir en France. On se dit waouh, pour la planète, c'est un peu compliqué. Puis quand on voit que la ministre de l'Éducation veut revenir sur le programme d'éducation à la sexualité parce que le mot genre pourrait poser un problème. Et puis, à la fin, quand on voit que... On parle de submersion par le Premier ministre sur la question des migrants. On se rend compte que c'est complexe. Donc la santé mentale a plein de déterminants. On voit que la géopolitique, la guerre, les conflits sont bien sûr des déterminants majeurs. La question de l'environnement est bien sûr aussi quelque chose de très important dans les déterminants sur la santé mentale. Donc tous les chiffres, on reverra tout à l'heure, montrent qu'aujourd'hui on est dans une épidémie de santé mentale et que donc c'est vraiment nécessaire de travailler ensemble, de réfléchir, de questionner cette question. Alors la santé mentale, ce n'est pas forcément la psychiatrie, c'est aussi la psychiatrie, c'est aussi les malades mentaux, mais c'est de façon plus large, quelque chose qui est à la limite de la question de la normalité. D'ailleurs, qu'est-ce que c'est la question de la normalité ? Et puis, je discutais il y a quelques jours avec le professeur Dagnon, on était à la maison de la santé mentale, donc madame la présidente Piaïms nous parlera tout à l'heure. Et il disait que la limite, elle est... Elle est très ténue, en fait, en ce qui serait la normalité, et ce qui serait la santé mentale, et ce qui serait la psychiatrie. Et souvent, les gens ont du mal à comprendre ça. C'est-à-dire la stigmatisation, notamment, qui est faite sur les questions de santé mentale, et quelque chose qui vient qu'on aimerait que ça soit en dehors de nous, mais on voit bien, en tout cas, moi, ce matin, j'étais pas très bien, en fait. Donc, on peut tous avoir ces moments-là. Voilà, donc, merci beaucoup. de nous aider à réfléchir à ces questions. Et puis, la question de la santé mentale, elle est présente partout. On le voit, moi, je suis président de la maison des adolescents du Barin. Aujourd'hui, les situations sont plus nombreuses, mais surtout plus complexes. Je le vois aussi à la maison du sport santé. Vous savez peut-être que l'activité physique... est un médicament recommandé dans l'anxiété et la dépression légère. D'ailleurs, la Chalais dit que c'est la première des prescriptions. Et alors que c'était les maladies métaboliques qui étaient la première prescription, aujourd'hui, c'est les questions de santé mentale, puisqu'à Strasbourg, l'anxiété légère, la dépression, mais aussi les problèmes psychiatriques sont pris en charge par la Maison du Sport Santé gratuitement avec un accompagnement médico-sportif. Donc, on voit bien que cette diversité, cette réalité-là, nous impose une réflexion majeure. Et pour ne pas être trop long et laisser Madame la Présidente parler de l'action de la santé mentale et de la maison de la santé mentale, ce lieu, c'est un lieu citoyen. Et je pense que le Forum interroge la question du citoyen. Et c'est fondamental qu'on crée des lieux physiques ou des lieux d'échange comme le Forum pour remettre le citoyen, l'usager, le malade, on dit quelquefois, mais plus globalement le citoyen. au cœur de nos réflexions. Et donc, comme je peux encore le faire, je vous souhaite une bonne année, une bonne santé physique et mentale. Voilà, et merci au Forum de nous permettre de nous accompagner. Je suis persuadé que participer au Forum, ça va améliorer notre santé mentale. Voilà, merci à toutes et tous.

  • Speaker #1

    Voilà, nous accueillons Madame Pia Ims. Présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous et à toutes et je vous salue en vos grades et qualités. Quel plaisir de voir cette année encore une salle très remplie. Cet événement maintenant bien connu, ça a été dit, qui fait référence et qui est résolument de qualité. C'est donc un... Un plaisir d'être là pour ce rendez-vous incontournable pour Bioéthique qui questionne chaque année, année après année, les enjeux décisifs pour notre société. Je voudrais saluer et remercier salueusement les organisateurs de ce forum qui est devenu un véritable laboratoire d'idées et d'échanges sur les grandes questions de bioéthique et encore une fois plus largement de société. Au fil des éditions... Vous avez pris une belle place et c'est pour cela que l'Eurométropole réaffirme son soutien d'une manière pérenne aussi. Et je remercie aussi le représentant du préfet de nous avoir aidé pour cela, puisque le financement est dorénavant inscrit dans un contrat triennal, où on retrouve tous les partenaires financeurs de ce soir d'ailleurs, ce qui permet d'imaginer avec sérénité l'avenir de ce grand forum. Le thème choisi cette année, santé mentale et bioéthique, montre bien, tout le monde le sait, que ce sujet certainement exacerbé avec la crise du Covid est aussi renforcé avec toutes les thématiques, les crises, les questionnements d'origine sociale ou environnementale. Et donc, il nous faut traiter la santé mentale avec autant d'exigences qu'on traite déjà la santé physique et le bien-être mental, on le sait bien. tout aussi essentiel à notre épanouissement que le bien-être physique pour lequel la ville, l'euro-métropole sont déjà tout à fait convaincu et s'engage pour le sport santé. Alexandre Fels connaît bien ce sujet, il en est à l'origine. Et donc, vous le savez, les troubles psychiques, au sens large, concernent environ une personne sur cinq chaque année en France. C'est devenu d'ailleurs donc la grande cause nationale. Et il faut dire sans doute que les questions de santé mentale ne doivent plus être un tabou, sans toutefois peut-être tomber dans la jonction inverse. et que l'épanouissement mental absolu et inconditionnel serait nécessaire. Il est aussi normal de traverser des phases de tristesse sans pour autant en faire une pathologie. Je referme la parenthèse. Pourtant, le poids des réseaux sociaux est là et on en fait beaucoup en fond sans doute un mauvais usage et ceci peut contribuer à ce dont nous allons parler, vous allez parler au cours des prochains jours. causes d'anxiété, causes de dépression ou d'autres troubles certainement liés à l'usage excessif des réseaux sociaux, j'en suis assez convaincue. Et donc, à l'Eurométropole, nous avons depuis plus d'un mandat maintenant mis au cœur de nos politiques publiques la question de la santé. Nous travaillons d'ailleurs sur le concept une seule santé qui englobe beaucoup d'éléments, notamment la santé environnementale, et donc qui complète. Beaucoup d'aspects de ce que j'ai déjà indiqué, par exemple le soutien au sport pour tous, mais c'est aussi la prise en compte de la réalité sociale. Nous soutenons la maison des adolescents, par exemple la maison des ados à Strasbourg, où convergent des adolescents de tout le territoire métropolitain, et pas que strasbourgeois, parce qu'il y a des décrochements scolaires, parce qu'il y a eu encore et toujours la période post-Covid. et que donc l'intelligence artificielle dont on a parlé l'année dernière se rajoute à cette réalité de perte de repère finalement. Et donc il faut savoir travailler ces sujets. Grande cause du gouvernement pour 2025, je l'ai dit, à notre niveau, nous sommes convaincus de l'intérêt d'une maison de la santé mentale qui verra concrètement le jour et qui sera inaugurée en juillet 2025 pour... Là encore, c'est une première en France pour apporter du conseil et de l'accompagnement. Parce que le réflexe serait de dire, il faut un parcours de soins en santé mentale, pas seulement. Il faut de l'aide pour faire des papiers, avoir des liens sociaux, accepter et faire comprendre sa différence, être écouté, bref, un lieu innovant qui a toute sa place, me semble-t-il, un lieu d'écoute, d'accompagnement, pour aussi changer les regards. prévenir, offrir du soutien où des professionnels sont présents. Voilà tout ce que la maison de la santé mentale va apporter sur notre territoire et je pense qu'il aura son utilité et trouvera sa place. Voilà des exemples très concrets du volontarisme, je crois, dont les élus peuvent et doivent s'emparer, sans parler d'autres aspects, lorsque l'Eurométropole soutient évidemment NextMed, qui est notre campus des technologies médicales. l'innovation médicale est également importante dans ce contexte. Pour finir, encore une fois, la santé mentale nous concerne tous et toutes. Vous avez tellement raison de mettre ce sujet en débat pour les prochains jours, aux élus aussi, et dont j'en fais partie, de prendre leur responsabilité là où ils le peuvent, trouver des pistes d'action et montrer donc de la... Vraie compréhension au sens fort du terme sur ce sujet on ne peut plus prégnant. Donc l'Eurométropole sera encore et toujours aux côtés de ces grands forums qui nous permettent de réfléchir et de débattre. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci. J'accueille maintenant M. Nicolas Matt. Vice-président représentant M. Frédéric Biéry, président de la collectivité européenne d'Alsace.

  • Speaker #4

    Mesdames et messieurs, chers intervenants, chers collègues élus, cher Israël Nizan, fondateur du Forum de bioéthique, cher Aurélien Benloïd, président du Forum de bioéthique, c'est un vrai... Plaisir de prendre la parole ici ce soir à l'occasion de ce 15e forum de bioéthique intitulé santé mentale et bioéthique. Plaisir d'y représenter la collectivité européenne d'Alsace en tant que vice-président, puisque nous avons comme collectivité, comme institution, bien des choses à dire sur ce thème. J'y reviendrai. Sachez aussi que notre collectivité, et moi-même, je me réjouis que la santé mentale ait été mise à l'honneur par le Premier ministre Michel Barnier, qui a décidé de faire de l'année 2025 l'année... de la santé mentale. La CEA, vous ne le savez peut-être pas forcément, est chef de file des politiques des solidarités comme tous les autres départements. Elle dispose d'un ensemble de leviers qui lui permettent également d'agir, soit de manière directe ou indirecte, sur la santé. Et je pense au plan santé 2024-2028 que nous avons adopté en juin 2024. et qui nous permettra d'agir notamment sur la santé mentale en investissant chaque année en fonctionnement un peu plus de 2 millions d'euros pour soutenir un ensemble d'initiatives et 1 million d'euros en investissement pour soutenir encore une fois des politiques de santé publique en lien avec la santé mentale. Alors bien évidemment, vous le savez, ce n'est pas une nouveauté, la santé est une compétence de... de l'État, bien évidemment. Néanmoins, je crois, et avec mes collègues, nous sommes convaincus que les collectivités ont quand même un rôle important à jouer et la crise de la Covid-19 l'a démontré. Nous sommes capables de cette agilité et de cette intelligence fine de territoire qui nous permet également d'agir avec pertinence au plus près de nos concitoyens. Et dans la boîte à outils dont nous disposons, je pense également à l'équipe mobile santé-précarité. qui est en œuvre depuis 2018 et qui permet d'intervenir directement sur les populations en grande précarité pour assurer autant que l'on peut un suivi de la santé mentale. Et c'est aussi pour nous, cette équipe mobile, un moyen de réduire les inégalités territoriales liées aux difficultés d'accès aux soins. Plus généralement par rapport au thème du forum d'aujourd'hui, il semble... Que la santé mentale des habitants, de nos concitoyens, soit influencée par une multitude de facteurs qui nous interrogent, nous, les collectivités territoriales, l'État bien évidemment, et finalement toute la société. Je pense à l'isolement social, à la précarité économique, à la stigmatisation des personnes souffrant de difficultés liées à leur mental. La stigmatisation peut aussi empêcher aux soins de se développer directement. L'accès aux soins, j'en ai parlé, et tout un ensemble de facteurs environnementaux liés aux conditions de vie, au stress et à d'autres facteurs qui peuvent influencer la vie quotidienne. Et si vous me le permettez, comme vice-président en charge de la jeunesse, de la collectivité européenne d'Alsace, j'aimerais dire quelques mots un peu plus précisément sur les jeunes. De la tour de contrôle du social. qu'est la collectivité européenne Alsace, je m'aperçois que notre jeunesse ne va vraiment pas bien. Plus 20% d'informations préoccupantes par an. Toujours plus de familles en crise. Toujours plus de familles à placer. Des détresses un peu partout dans le monde qui déclenchent des flux migratoires qui font arriver sur notre sol 10 fois plus de jeunes mineurs non accompagnés, 10 fois plus entre 2014 et 2024. Des jeunes qui ont parfois un parcours de vie, et le plus souvent d'ailleurs, extrêmement compliqué, parfois même traumatisant. Oui, ils souffrent par conséquent de pathologies mentales. Toutes ces jeunesses sont en crise. Cher Alexandre, nous rencontrons à la maison des adolescents du 67, et je le vois aussi dans le 68, les suicides repartent à la hausse. Il y a des choses qui ne mentent pas. Donc cette jeunesse, il faut s'en occuper. Il faut s'en préoccuper. Et comme élu, moi j'ai une conviction, si je dois agir à un niveau qui est le mien, c'est celui de la prévention. Celui de la prévention. Dans les champs de compétences qui sont les nôtres. Et je suis très heureux que nous ayons pu mettre en œuvre, dès l'année dernière, ça fait un an maintenant que nous avons du recul, un grand plan de lutte contre le harcèlement chez les mineurs. Nous avons sensibilisé plus de 10 000 collégiens. Nous avons formé nos 1280 personnels des collèges. à la détection de situations de harcèlement. Parce qu'être harcelé, c'est des portes ouvertes, cher Israël, cher Aurélien, à la dépression. au doute, à l'angoisse et peut-être au geste ultime. C'est un nouveau plan qui commence cette année aussi d'éducation à la sexualité pour briser le tabou des règles, aller dans les zones où c'est difficile pour prévenir ces situations de tension intersexe, pour que les jeunes filles et les jeunes hommes se sentent bien autant que possible dans leur corps et comprennent ces changements et puissent surtout en parler naturellement. C'est ce qu'on appelle l'action des indispensables. Mais c'est aussi... Une logique à 360 degrés qui consiste à soutenir le tissu associatif. Parce que ces jeunes ne sont pas tout le temps dans un lycée, ils ne sont pas tout le temps dans un club sportif, loin de là. Il faut les accompagner au quotidien, surtout dans les quartiers où ça ne va pas bien, pour leur montrer d'autres choses, les entraîner vers une piste d'action. C'est le soutien au centre socioculturel que nous réaffirmerons cette année, et ça j'y crois tout particulièrement. C'est la prévention en lien avec la protection maternelle infantile. Tu le disais avec force, cher Pia, et je te remercie, Les réseaux sociaux ne sont pas là que pour le meilleur. Et nous, on se doit d'éduquer, de faire de la prévention. Parce que je pense bien sûr aux images choquantes, bien sûr, mais de ma fenêtre, je pense surtout à ces parents qui ne portent plus 20 minutes par jour leurs nourrissons parce qu'ils ont le nez vissé sur leurs écrans. Et c'est un lien social, un lien parental qui ne se fait plus. Et c'est des situations de grand stress et de grande souffrance après pour l'enfant. On a déclenché Croc-écran, on a déclenché Nono et les écrans pour essayer d'apprendre aux parents à décrocher aussi des portables et accompagner les familles qui ont des adolescents, qui ont une consommation anormale d'Internet et des mésusages qui au final est délétère pour leur santé. Et c'est, cher Alexandre, tu le disais aussi avec conviction, j'ai beaucoup aimé sur la maison du Sport Santé où on travaille aussi ensemble, Nous avons lancé dans de très nombreux collèges d'Alsace une opération qui s'appelle Boostaform où on a évalué la santé physique, l'activité physique que font les jeunes, les jeunes ados pour essayer de détecter des situations problématiques. Quand on ne bouge pas, ce n'est pas bon. Un enfant qui ne bouge pas, ce n'est pas bon. Donc c'est tout un ensemble d'actions qu'on espère voir aboutir. Encore une fois, cette logique, c'est celle de la prévention, mais il y a beaucoup de travail à faire. Je vous le dis peut-être avec force, mais avec beaucoup d'humilité, le chemin est long. On a besoin de toutes les énergies, des collectivités, du monde scientifique, médical, de l'État, de la société en général. Et je pense que c'est bien l'ADN de ce forum européen de conjuguer ces forces-là, de croiser les regards pour évidemment éclairer, apprendre. On est toujours plus intelligent quand on sort du forum de bioéthique, mais surtout entraîner l'énergie sur une thématique précise. Et pour cela, je vous remercie. infiniment. Bon forum à tous.

  • Speaker #1

    Merci M. Matt. Nous accueillons maintenant Mme Nadege Hornbeck, vice-présidente, représentant M. Franck Leroy, président de la région Grand Est.

  • Speaker #5

    Merci, bonsoir à toutes et à tous. C'est également pour moi un réel plaisir de Faire partie de l'ouverture de ce magnifique forum qui existe maintenant depuis 15 ans, que la région soutient maintenant depuis quelques années. Alors si je peux avoir des mots réconfortants, parce que je sais que c'est avec toujours plus de sérénité pour le fondateur et le président de pouvoir penser les différentes et les prochaines éditions. En tous les cas, je peux affirmer que tant que je serai vice-présidente de cette région, la région accompagnera. Elle l'a déjà fait avant que je ne sois là. Elle le fera encore après. Mais en tous les cas, la région a bien conscience de la qualité de ce forum et des intervenants qui y participent également. C'est tout naturellement que vous avez les institutionnels de votre côté. En ce début d'année 2025, nous voici réunis pour évoquer ensemble une problématique, je crois, essentielle. D'ailleurs, ça a été dit à plusieurs reprises ici, donc la santé mentale et la bioéthique. Le choix de ce thème n'est pas anodin, comme le souligne d'ailleurs l'édito de cette édition. La santé mentale s'impose aujourd'hui comme un enjeu majeur, voire comme le véritable mal du siècle. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et sont éloquents. Un adulte sur six souffre de dépression en France. Le suicide est désormais la première cause de mortalité chez les jeunes. Le mal du siècle, c'est une souffrance souvent invisible, mais pourtant si réelle, qui découle de pressions constantes exercées par les différents environnements, qu'ils soient professionnels, familiaux et sociaux. C'est le poids de l'isolement que beaucoup peuvent ressentir, accentué par les crises sanitaires récentes. C'est aussi l'angoisse d'un futur incertain. dans un monde marqué par le dérèglement climatique, les inégalités croissantes et les bouleversements géopolitiques. Et ça a été là aussi évoqué précédemment. Alors nous sommes aussi dans une société qui valorise la performance, la rapidité et la productivité.

  • Speaker #0

    La détresse psychologique, souvent silencieuse, devient d'ailleurs omniprésente chez chacun d'entre nous. Directement ou indirectement, nous sommes tous concernés par cela. Ça transcende bien évidemment les âges, les milieux sociaux et bien évidemment les frontières. Donc la santé mentale est donc devenue un sujet universel, j'irais même inévitable. Il s'agira ici, dans le cadre de ce forum, d'évoquer des sujets cruciaux, comme je l'imagine en tout cas, et là encore ça a été dit, je crois que c'est un sujet très important de santé mentale, l'impact des réseaux sociaux et de l'hyperconnexion sur la santé mentale de chacun d'entre nous. Je fais partie moi de cette génération qui est naissante. et qui agrandit sans cet outil. Et je peux, alors moi je suis concernée aussi par cette problématique d'être tout le temps sur mon téléphone ou en tout cas d'en avoir énormément l'utilité pour chaque pan de ma vie finalement. Mais en tant que génération qui est née dans les années 90, je peux dire aussi qu'on n'en a pas fondamentalement besoin. Mais en tous les cas, je sais que ça en est devenu une drogue pour les uns et les autres, et que ça a un réel impact au final sur notre état mental à tous. Et je pense particulièrement aux jeunes, et ça a été dit ici par mes collègues, sur la santé des jeunes. Les jeunes vont mal, alors pas tous. En tous les cas, je crois pouvoir dire que... Au vu de l'accès important à l'information ou à la désinformation que permet cet outil, en tout cas le numérique, peut rendre nos jeunes peut-être moins épanouis et surtout plus anxieux. Et l'anxiété est quand même une problématique de santé majeure, je crois en tout cas pour notre société aujourd'hui. Il en va de notre responsabilité en tant que institutionnelle, en tant que politique, de pouvoir traiter ces sujets. Alors tout l'intérêt d'un forum tel que celui-ci, c'est de traiter ces sujets de manière plus éclairée, plus scientifique, parce que le débat public, et vous pourrez parler de la santé mentale... en politique, je crois aussi que c'est un sujet surtout en ce moment et avec ce qu'on voit, mais ce que je peux dire c'est que tout l'intérêt d'un tel forum, c'est de pouvoir éclairer le politique qui prend les décisions sur l'avenir de nos sociétés, et je crois qu'on peut être fiers de pouvoir accueillir une telle instance citoyenne, transpartisane, qui évoque les différents... sujet notamment de santé mentale, en tout cas toutes ses composantes. La région Grand Est bien évidemment est engagée en faveur de la santé mentale, la santé notamment des jeunes. Nous avons mis en place un appel à projets pour soutenir finalement les projets et les acteurs qui accompagnent les jeunes. Ça a été le cas notamment de Strasbourg, où nous avons très bien travaillé sur ce sujet-là. au niveau de la maison des adolescents. Donc c'est un enjeu transpartisan, collectif, et nous nous attelons bien évidemment à pouvoir traiter ce sujet. Et chacun, j'aurais envie de dire qu'on a tous, au-delà des institutionnels, un rôle à jouer sur ce sujet-là, puisque chacun a une sphère d'influence et chacun a un rôle à jouer. pour créer un environnement plus bienveillant et plus inclusif autour de lui. La connaissance de soi, des autres et du monde qui nous entoure est essentielle. La quête de sens aussi, pour faire barrage à tout ce qui nuit, à la santé mentale, je crois. Et nous devons là aussi collectivement œuvrer pour que chacun puisse construire son propre avenir et son propre chemin, libre des injonctions artificielles du digital. par exemple, ou des modes de pensée de nos sociétés qui s'imposent parfois à nous, et plutôt rester connecté à ce qui apporte réellement de la satisfaction et de la joie. En tous les cas, c'est ensemble, à travers nos politiques publiques volontaristes, des espaces d'échange comme ce forum, que nous pouvons bâtir un avenir qui contribue à l'épanouissement de chacun. Et en guise de conclusion, permettez-moi de citer ces mots d'Albert Camus. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. Ces paroles reflètent l'essence de notre démarche ici. Nous sommes rassemblés pour penser ensemble l'avenir de nos sociétés, avec la volonté de bâtir un présent plus éclairé, pour un futur plus éthique. Alors mesdames, messieurs, merci de votre présence et de votre contribution, aujourd'hui et dans les jours à venir. Que ces journées soient une source d'inspiration pour vous, de réflexion, mais surtout d'espoir, pour nous tous. et pour notre société ou nos sociétés. Merci à tous et très bon forum.

  • Speaker #1

    Merci et nous accueillons enfin M. Jacques Lallement, directeur de projet du contrat triennal Strasbourg-Capitale européenne, représentant M. Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est.

  • Speaker #2

    Mesdames, Messieurs, je m'associe aux salutations précédentes. Je débuterai mes propos en rappelant que l'identité européenne se forge à Strasbourg et que Strasbourg est un lieu de débat, d'échange et d'avancée, tant au Parlement européen qu'au sein des autres institutions européennes, notamment au Conseil de l'Europe où, dès ce matin, il y a eu des échanges du Forum européen de bioéthique. L'État, la région, la CEA, l'euro-métropole et la ville de Strasbourg s'associent, travaillent, collaborent. au travers du contrat triennal Strasbourg-Capitale Européenne pour conforter et amplifier la place des institutions européennes à Strasbourg qui guide l'Europe et qui guide notre pays. Ce contrat triennal passe par le soutien à des projets structurants mais aussi par des actions qui favorisent le débat public, les échanges, la défense des valeurs et d'intérêts communs qui sont partagés par tous. Je crois que le Forum L'Union Européenne de Bioéthique, qui est soutenue par le contrat triennal, illustre ce lieu d'échange sur des valeurs communes. Ainsi, le contrat triennal souhaite promouvoir des valeurs qui sont débattues par vous, l'ensemble de la société civile. La présente édition du Forum Européen de Bioéthique est soutenue par l'ensemble des collectivités, par l'État, cela a été dit. L'État a une grande diversité, à la fois par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais aussi, et je salue la représentante de l'Agence régionale de santé, qui, aux côtés des collectivités, finance ces journées depuis de nombreuses éditions, comme le contrat triennal, c'est le 15e contrat triennal. Cette fois-ci, c'est le 15e forum de bioéthique, et on peut espérer, et on le souhaite tous, que le contrat triennal continuera à soutenir le forum européen de bioéthique. Ces journées vont permettre d'avoir un éclairage sur l'équilibre entre le progrès scientifique et le respect des droits humains, équilibre délicat. Il nous incombe à tous, citoyens, professionnels, collectivités, Etats, de tracer la voie d'un futur où la santé mentale est prise en compte avec éthique et compassion. Et cela a été souligné précédemment. C'est pourquoi la santé mentale a été déclarée grande cause nationale pour l'année 2025. Cela a été réaffirmé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale le 15 janvier 2025 à l'Assemblée nationale. Quatre priorités ont été énoncées et qui s'appuient sur des actions déjà engagées par l'État en la matière, notamment la feuille de route nationale psychiatrie et santé mentale 2018-2026. Les journées du Forum européen de la bioéthique, qui questionnent les implications morales et éthiques des progrès médicaux et scientifiques, trouvent une résonance particulière dans le domaine de la santé mentale. Cependant, ces innovations posent des questions éthiques majeures. Comment garantir que les traitements respectent la dignité et l'autonomie des patients ? Quelles sont les limites de l'utilisation de la technologie invasive sur le cerveau humain ? Quels sont les traitements adaptés ? quels sont l'usage des nouvelles technologies comme ça a été souligné précédemment auprès des jeunes. Mais il est aussi essentiel de veiller à ce que les progrès en santé mentale ne creusent pas davantage les inégalités. On peut souligner les actions des collectivités aux côtés de l'Etat pour lutter sur ces inégalités. La bioéthique nous invite à réfléchir aux normes et aux valeurs qui guideront ces innovations pour qu'elles soient au service du bien-être de tous. Ainsi ces journées apporteront un éclairage sur ces questions qui nous touchent tous. sur notre territoire, mais aussi sur le territoire national et au sein de l'Union européenne. Que ces journées soient riches de débats, de conclusions et de préconisations pour l'ensemble de l'Union européenne. Je vous souhaite de bons échanges et surtout de très très belles journées de Forum européen de bioéthique.

  • Speaker #1

    Nous avons la chance et l'honneur de recevoir M. le professeur Raphaël Gaillard pour ouvrir ce forum sur la santé mentale. Vous qui avez écrit sur des sujets qui nous occupent régulièrement au Forum européen de bioéthique comme l'homme augmenté et l'intelligence artificielle. La lecture de votre page Wikipédia renseigne sur les multiples cordes que vous avez à votre arc ou plutôt à votre violon. Et ce soir, ce sont vos cascades de psychiatre bien sûr et d'écrivain qui nous intéressent au premier plan. Le professeur Gaillard dirige le pôle psychiatrie de l'hôpital Saint-Anne et préside la fondation Pierre Dénicaire qui oeuvre pour la recherche en santé mentale et une meilleure connaissance des troubles psychiques par le grand public, objectif que nous allons également poursuivre pendant ce forum. Monsieur Gaillard est également l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Un coup de hache dans la tête, dans lequel il fait le lien entre folie et créativité. Il a été élu à l'Académie française en avril 2024. Médecin et penseur donc. Penser la médecine, c'est la raison d'être du Forum européen de bioéthique. Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir pour avancer ensemble vers cet objectif commun. Et nous vous écoutons, M. Gaillard, pour ouvrir notre forum sur la santé mentale et la bioéthique.

  • Speaker #3

    Merci beaucoup. Merci vivement pour votre invitation pour prononcer cette conférence d'ouverture du Forum européen de bioéthique. Alors longtemps, j'ai lu le programme avec ce sentiment qu'il devait y avoir à Strasbourg la convergence de ce que l'Europe... à de plus heureux, la sédimentation d'une pensée juste, irriguée par la culture de ce continent, l'effet de ces brassages également, pour donner un si passionnant programme. Et chaque année, je regrettais de ne pas assister au Forum européen de bioéthique. Je vivais à ma façon un FMO, un Fear of Missing Out, cette peur de rater quelque chose qui ramène chacun sur son écran de téléphone dit intelligent. Mais c'était bien davantage justifié que le scrolling qui fait parcourir à nos pouces 100 km par an, c'est dire si je suis honoré et heureux d'être ici. Merci encore. Alors dans le même temps, j'ai un léger flottement. Celui que je dois à ma grippe, qui a succédé à un Covid, j'y reviendrai. Et celui que je dois aux instructions reçues, j'ai, paraît-il, toute liberté. Ce qui ne peut que m'angoisser, et je pense aux mots d'André Gilles, il en sera question demain peut-être dans la session sur la créativité, l'art n'est de contrainte, vie de lutte, émeure de liberté, me voilà bien parti. Alors ce d'autant que le piquette que je suis sait bien que ce qui dans les mots, ou pire dans le silence, sous couvert de liberté, peut contraindre. Ainsi me suis-je entendu dire qu'il m'était possible de projeter un diaporama, que le dernier conférentiel ayant fait était Laurent Alexandre, façon donc de me demander de choisir mon camp, celui de la technologie, celui du triomphe de l'IA dans la guerre des intelligences, ou bien me passer d'un diaporama, mais pas de mon ordinateur, bien sûr. En guise de liberté donc, je n'avais guère le choix. Alors cela étant, je me suis permis de m'octroyer quelques libertés pour planter le décor de la santé mentale, le thème de cette session, et déminer quelques pièges qui, peut-être, menacent notre réflexion en la matière. Car l'enfer est pavé de bonnes intentions, et il vaut mieux, pour filer la métaphore des pièges, lever d'emblée quelques lièvres. Alors première difficulté, elle a dû susciter quelques débats. Nous avons entendu cette question esquissée dans les mots d'introduction. Faut-il parler de santé mentale ou de psychiatrie ? Le programme fait résolument le choix de la première, la santé mentale. Le CCNE, le Comité National d'Éthique, lui fait le choix dans sa récente alerte, son avis 147, récemment publié, de la psychiatrie. après de nombreux débats à ma connaissance. Ma première réaction est de m'inquiéter du risque d'édulcoration que représente le choix de la santé mentale. À présenter les choses positivement, on évite de regarder ce qui cloche. On ferme les yeux devant la souffrance, on passe son chemin et c'est justement ce qu'induit par la stigmatisation La santé mentale sous la forme des troubles mentaux, c'est-à-dire la psychiatrie. En anglais, on parle de sugar coating, cette façon d'enrober de sucre pour adoucir une mauvaise nouvelle, d'édulcorer donc. Et c'est d'autant plus un risque que c'est une tendance lourde que l'OMS n'hésite pas à incarner. Songeons à sa définition, à mes yeux mégalomaniacs de la santé, je cite, état de bien-être physique, mental et social. Qu'elle se pique de social en a choqué certains, je ne suis pas de ceux-là, mais qu'elle fasse du bien-être, l'objectif à atteindre est lourd de conséquences. J'ai comme beaucoup appris la médecine accompagnée par la définition de Leriche, la santé c'est la vie dans le silence des organes. Et que cette définition du silence est parfois difficile à atteindre dans l'exercice quotidien des médecins. Quand les organes grincent, s'enrayent, empêchent, handicapent et surtout se font entendre par la douleur, par la souffrance. Et là, il faudrait donc viser plus haut encore, non seulement le silence des organes, que tout malade saluera déjà comme l'expérience d'une félicité, mais le bien-être, au risque de constater que s'est instaurée une dictature à laquelle, en fait, bien peu résiste. Je vis sous le plus dur des despotismes celui que l'on s'impose à soi-même a pu écrire un certain Balzac. Oui, mais voilà, tout le monde n'aspire pas à cette tyrannie. Tout le monde n'est pas Balzac. Au reste, Balzac était-il dans un état de bien-être, physique, mental et social, lorsqu'il s'échappait ? de ses créanciers par la porte arrière de son hôtel, qui n'était pas son hôtel particulier, lorsqu'il tentait de faire fortune dans les plantations d'ananas, en plein Paris ou presque. Heureusement pour nous, non. Lorsque la OMS s'aventure plus spécifiquement du côté de la santé mentale, elle n'a guère la main plus heureuse. Elle nous dit ainsi en 2001, je cite, La santé mentale correspond à un état de bien-être, à nouveau, mental, en circonscrit, qui nous permet de faire face aux sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Tout ça. Nous y retrouvons le même travers donc du bien-être, mais aggravé de l'ambition de, je cite, réaliser son potentiel potentielle, avec de pareilles définitions, qui donc peut se prétendre en bonne santé mentale ici dans cette salle, pas moi en tout cas. Ou plutôt cette seule définition n'est-elle pas susceptible de nous plonger dans les affres de la frustration relative née de ce que nous observons chez les autres et que nous n'aurions pu obtenir en nous plongeant dans les tourments de la comparaison, celle qui indexe chaque chose. par un selfie pour surenchérir sur le grand marché des indices de bonheur et de réussite. Voilà la tyrannie, celle du bien-être, pour s'accomplir, forme de coaching de vie, plutôt donc que de santé. Alors commençons par parler de ceux qui souffrent de troubles mentaux, de maladies mentales, de troubles psychiques. Commençons par parler de souffrance. Un français sur cinq. est concernée, vous connaissez les grands chiffres, la schizophrénie affecte un peu moins d'un pour cent de la population générale, les troubles bipolaires deux pour cent, une personne sur cinq connaîtra au cours de sa vie un épisode dépressif caractérisé pour ne citer que ces trois maladies. Je n'exclue pas le vocable de santé mentale. Je comprends même le choix de présenter positivement les enjeux en question. Mais pas si c'est pour laisser de côté des premières personnes concernées, les patients, leur famille, les soignants qui les accompagnent. En tant que psychiatre, évidemment, je suis susceptible d'être biaisé du côté de la psychiatrie. En fait, en tant que psychiatre, je suis vissé, arrimé à la psychiatrie. Le pôle dont j'ai la responsabilité, à Sainte-Anne, reçoit 12 000 patients par an. C'est énorme et en même temps, c'est une simple goutte. d'eau dans l'océan de la santé mentale et de la psychiatrie. Je sais l'immense souffrance qui affecte les patients et je ne voudrais pas ici que pendant ce forum européen de bioéthique, nous risquions de ne pas être à la hauteur de cette souffrance pour nous réfugier derrière quelques effets de mode, quelques édulcorants, quelques prêtres à penser qui sortent sur une vague qui mérite la plus grande rigueur, en fait le plus grand respect. Le deuxième thème que je voudrais aborder est celui du soin. et notamment celui de la thérapeutique, qui est elle-même stigmatisée. Elle fait l'objet de nombreux procès, dont le premier tient à notre indéfectible dualisme. Chassez-le et il revient au galop. Nous sommes en permanence dualistes, y compris ceux qui prétendent ne pas l'être, y compris moi-même donc, de sorte qu'il ne s'agit pas de ne pas être dualiste, mais de faire l'effort constant. de juguler notre dualisme. Pour certains, il y aurait tout de même d'un côté l'esprit, armé du langage, le logos, et de l'autre le corps et sa mécanique triviale. Cette dichotomie n'a aucun sens, c'est une aporie, d'un point de vue logique, sauf à revendiquer que l'esprit est d'une autre nature que le corps, ce qui lui suppose encore une nature, et donc une substance. Bref, je le redis, cela n'a aucun sens. Et la semaine dernière, un conférencier du Congrès de l'Encéphale nous apprenait à juste titre que la seule façon crédible de tenter de dissocier le corps de l'esprit à la française, c'était encore la guillotine. Et encore, j'ajouterais que cela suppose qu'il persiste un esprit dans cet encéphale séparé du corps, j'en doute. Pour ce qui est des soins, il n'y a pas d'un côté la parole et de l'autre l'ordonnance. C'est une vue de l'esprit germano-pratine. une maladie parisienne hélas bien répandue, que même la psychanalyse réprouve aujourd'hui. Au quotidien exercé de la psychiatrie, tout psychiatre vous dira qu'il s'agit non d'une opposition, mais d'un cercle vertueux. Le plus souvent, le traitement médicamenteux permet un suivi psychothérapeutique qui lui-même donne accès à de tout autre développement, y compris d'ailleurs dans certains cas, et dans un second temps, le fait de se passer du traitement médicamenteux. Et aujourd'hui d'ailleurs l'essor des psychédéliques démontre encore mieux ce cercle vertueux puisque vous savez que l'usage des psychédéliques requiert une psychothérapie de sorte que nous devrions même considérer que l'expérience est de l'ordre de la psychothérapie augmentée par la substance qui est la substance psychédélique. Deuxième charge contre la thérapeutique, la question de la chimie. On voit partout, dans les médias et surtout sur les présentoirs des parapharmacies, se multiplier les compléments alimentaires et autres promesses de, je cite, bonne santé mentale La demande d'ailleurs du grand public est majeure. Le marché est estimé à l'heure actuelle à 150 milliards dans le monde et à 250 milliards d'ici 4 ans. Et dans nos consultations, tout est fait pour éviter les psychotropes, pour leurs préférées plantes, poudres, vitamines, qui prétendent faire aussi bien. Rappelons-le, si la santé mentale est en effet conditionnée par l'alimentation, et la démonstration est forte, le niveau de preuve est fort, il faut en avoir conscience, cela ne signifie pas qu'un trouble psychique puisse se soigner par l'alimentation. La causalité va dans un sens mais pas dans l'autre. En pratique d'ailleurs, en comparaison directe avec les psychotropes, les compléments alimentaires et autres poudres sont à peu près sans efficacité. Par contre, les effets secondaires existent. Un de mes patients a partiellement détruit ses reins avec la glucosamine, qui est très couramment utilisée, qui était censée améliorer son arthrose. Le nombre de transplantations hépatiques après la consommation de plantes ou de compléments alimentaires a été multiplié par 8 en 25 ans aux Etats-Unis. À choisir, il me semble plus prudent de choisir une molécule dont les conditions de fabrication sont strictement surveillées. On appelle ça un médicament. plutôt que des offres qui tiennent avant tout du marketing, sous couvert de quelques données scientifiques qui ne pourraient satisfaire aucune autorité de régulation. En fait, qu'on se le dise, tout est chimie. La ciguë, qui donne la mort au philosophe Socrate, devait être parfaitement bio. Et la cicutine, son alcaloïde toxique, est bien une molécule et non une vue de l'esprit. Le dualisme à l'œuvre. Encore et toujours. Et si je parviens à vous parler, ce soir à 7h, malgré donc le Covid il y a 15 jours, la grippe la semaine dernière, rien que vacciné, et je ne suis plus contagieux selon la virologie. Sans jamais pouvoir m'arrêter une seconde dans des semaines de 80 heures, c'est que coule dans mon sang cette substance qui me donne l'illusion de l'énergie, la caféine. Talleyrand le dit, noir comme le diable, chaud comme l'enfer, pur comme un ange, doux comme l'amour, qu'est-ce le café ? Dans son traité des excitants modernes, Balzac s'extasie, toujours Balzac, je cite, dès lors tout s'agite. Les idées s'ébranlent comme les bataillons de la grande armée sur le terrain d'une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées. La cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop. L'artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses. Les traits d'esprit arrivent en tirailleur. Les figures se dressent, le papier se couvre d'encre, car la veille commence et finit par des torrents d'eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. Mais voilà, à nouveau, il faut faire le constat que tout le monde n'est pas balzac. En ce qui me concerne, ce feu de paille sera suivi par cette fatigue incommensurable que je traîne avec moi depuis 15 jours faute de repos, celle qui me fera d'ailleurs m'esquiver après cette conférence en faisant l'expérience amère des psychostimulants. Grande question. Après la fête, la défaite, il faut en payer le prix. Tout est chimie, vous disais-je. Et tout le reste n'est qu'une fiction qui vise à nous divertir de cette vérité, à coup de contre-vérité, faribole et espèce sonnante et trébuchante. Je voudrais poursuivre par la question initiale, en fait, celle de la fréquence des troubles mentaux. Pourquoi sont-ils si fréquents ? Une personne sur cinq concernée en France, 1% de la population de l'Arche, je reprends juste ces chiffres pour ne pas en utiliser d'autres, mais il y en a des dizaines d'autres. souffre de schizophrénie, 2% de troubles bipolaires, une personne sur cinq souffrira d'un trouble dépressif caractérisé, épisode dépressif caractérisé, c'est-à-dire un nécessitant de prise en charge spécifique, pas forcément médicamenteuse, elle peut être psychothérapeutique ou les deux, au cours de sa vie. Donc c'est extrêmement fréquent. Puis une autre caractéristique essentielle, c'est que ces troubles, ces grands troubles, ont à peu près la même incidence, la même fréquence, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes. Comme si nous les trimballions avec nous, les êtres humains que nous sommes, que nous soyons des Inuits, des Strasbourgeois ou des fermiers d'Arkansas. Ce qui est toujours très surprenant, parce que, je l'ai dit, ce qui marque avant tout ces troubles, c'est la souffrance, c'est le handicap, c'est tout le cortège de souffrance, de limitation. qu'imposent ces troubles et donc pas davantage dans les termes consacrés de notre réflexion darwinienne à ces troubles. Alors pourquoi cette fréquence élevée et pourquoi cette relative constance au travers de l'humanité ?

  • Speaker #0

    On tourne beaucoup autour de cette question, je pense que tout psychiatre, au-delà de tout psychiatre, tout patient, au-delà de tout patient, toute personne entourant un patient, se pose cette question, pourquoi c'est aussi fréquent, pourquoi ça affecte autant de personnes ? Et dans notre réflexion est venue relativement récemment, c'est-à-dire dans les cinq à dix dernières années, l'idée que c'était... au fond la contrepartie du fonctionnement de notre cerveau. Alors cette idée était une vieille idée de la philosophie, j'y reviendrai, mais elle a été renouvelée par des données expérimentales, des données neuroscientifiques, montrant par exemple que le codage de l'information dans le cerveau d'un primate non humain, c'est-à-dire d'un singe, si on le compare au codage de l'information dans le cerveau d'un primate... humain, c'est-à-dire vous et moi, eh bien, il est beaucoup plus robuste, il est plus simple, mais il est beaucoup plus robuste. Quand le nôtre est plus efficient, c'est-à-dire qu'en fait, il transporte beaucoup plus d'informations, il est plus informatif, il est plus complexe, mais cette complexité le rend plus fragile. D'un côté, le singe, robustesse du signal, simplicité du signal, et de notre côté, complexité, informativité et faiblesse, fragilité de ce signal. Et en fait, dans le cerveau, il en faut de très peu pour que le code soit altéré et que la transmission de l'information d'un lieu à l'autre du cerveau soit altérée. Il en faut de très peu, en fait, il suffit d'une microseconde de décalage. pour que ce que produit votre cerveau, par exemple, puisse être perçu non comme une production de votre cerveau, mais comme quelque chose qui vient de l'extérieur de votre cerveau. Ce que j'ai décrit à l'instant présent, c'est en fait l'expérience d'une hallucination. Mon propre cerveau, les régions de mon cerveau auditives s'activent et il existe un micro-décalage avec d'autres régions du cerveau, singulaires notamment. qui vont faire considérer que ce que produit ce cerveau est en fait la transformation d'un signal qui vient de l'extérieur et non l'activité interne de ce cerveau, l'activité endogène de ce cerveau. Il suffit d'un micro-décalage dans la transmission du signal pour que ça change. En fait, la complexité du signal est telle qu'il est faillible, il y a des bugs et... À certains moments, nous en faisons l'expérience sous la forme des troubles mentaux. Et l'une des explications que nous considérons aujourd'hui à l'immense fréquence des troubles mentaux, c'est celle-ci, c'est que nous payons le prix de la puissance de notre cerveau. Notre cerveau, je peux le dire autrement, ne se supporte plus. À ce niveau de complexité, à ce niveau de puissance, il y a des bugs. Et ces bugs, nous en faisons collectivement l'expérience sous la forme des troubles psychiques. On peut se demander d'ailleurs si, dans la perspective de l'augmentation de cette puissance, l'augmentation du cerveau, ce prix à payer ne sera pas plus élevé encore. Dans les mots d'introduction de cette session, nous avons entendu plusieurs fois parler des enjeux de notre hybridation, que je qualifie de faible. celles qui nous lient à nos objets connectés, qui sont déjà des modalités d'augmentation, qui seront demain d'une autre puissance encore avec des modalités d'hybridation dites fortes, c'est-à-dire qui amèneront à ce que cette technologie soit même dans notre cerveau et pas seulement au travers d'objets connectés qui sont extérieurs à notre cerveau. On peut se demander déjà si nous ne voyons pas aujourd'hui les effets secondaires de cette hybridation faible. Il y a quelque chose qui semble se profiler, malheureusement. J'ai dit que les grands chiffres de la santé mentale ou des pathologies, la psychiatrie était relativement constante, mais certains troubles semblent augmenter. La dépression et les troubles anxieux essentiellement, pour ce qui est des données françaises. Avant le Covid, l'incidence de la dépression a augmenté sur la décennie précédente de 2%. de 3% donc on est à plus 5% sur 15 ans et vous savez qu'il y a une population qui est beaucoup plus touchée que les autres c'est celle des jeunes de façon très inquiétante puisque là on n'est pas passé de 8% à 13% mais on est aujourd'hui à 22 23% donc on est au double et on peut remonter encore dans le temps, les adolescents sont encore plus fragiles et puis on voit même apparaître une fragilité chez les pré-adolescents alors que la psychiatrie a longtemps considéré que les pré-adolescents c'était un moment très simple à tel point d'ailleurs que nos collègues psychanalystes parlaient de période de latence il ne devait rien se passer, un gamin de 9 ou 10 ans était... un peu obsessionnel, s'intéressant à l'histoire, mais n'embêtant pas ses parents, loin des turbulences de l'enfance et avant les tourments de l'adolescence. Alors on sait aujourd'hui, nous voyons arriver dans les services d'urgence des pré-adolescents ayant des idées suicidaires. Donc il se passe quelque chose, peut-être que c'est un effet secondaire, peut-être que c'est autre chose, peut-être que c'est la fin des grands idéaux, la fin d'un modèle du monde, peut-être que c'est le fait que la Terre est en train de rôtir, peut-être toutes sortes d'explications. Je fais partie de ceux qui s'interrogent quand même sur les effets de notre hibridation et ses effets secondaires. Toujours est-il que cette question de l'augmentation de l'homme, à laquelle je fais référence, en indiquant qu'elle porte sur cet organe bien particulier qu'est le cerveau, celui qui nous consacre comme homo sapiens, cette augmentation, elle est quelque chose qui en fait est consubstantielle à l'homme et ne date pas des technologies en question. Je vous ai dit tout à l'heure que les sciences venaient renouveler une position ancienne de la philosophie. Je peux reprendre la position de la philosophie. Je vous ai dit que le cerveau ne se supporte plus, je vous ai parlé du codage, mais je pourrais le dire dans des termes plus philosophiques. Le seul fait que nous nous représentons le monde par la pensée fait que nous sommes des orphelins de ce monde, que nous n'avons pas dans les mains ce monde mais les représentations que nous manipulons de ce monde. Et ça c'est une caractéristique des êtres humains que nous sommes, que de devoir faire avec le fait que nous sommes coupés du réel par le seul fait que nous pensons. La philosophie l'a dit, ou les philosophes l'ont dit, de maintes façons, et je ne vais pas vous infliger de les citer les uns après les autres. Notre chute du paradis, c'est peut-être celle-là, en fait, c'est d'avoir commencé à penser, avec d'ailleurs un rôle bien particulier du langage dans la pensée, puisqu'il donne forme à notre pensée. Et donc si nous sommes coupés du réel, orphelins du réel, nous sommes en même temps fils du langage, puisque ce langage donne forme à nos cerveaux. Je voudrais terminer. Par la question de la technologie, justement, je vous ai dit mon inquiétude quant aux effets secondaires de la technologie. Et en même temps, je fais partie de ceux, et je crois qu'il faut le dire en ce lieu, dans un forum de bioéthique, qui pensent qu'en même temps que les effets secondaires sont à attendre, à savoir davantage encore de troubles mentaux par cette nouvelle façon. d'augmenter l'homme sur un cerveau qui ne se supporte déjà plus, nous avons quand même l'expérience de l'hybridation de notre cerveau. Et cette expérience de l'hybridation de notre cerveau, elle est justement le fait de notre rapport au savoir, notre rapport au langage notamment, qui nous accompagne depuis un certain temps, et notamment... sous une forme bien particulière qui est celle de la naissance de l'écriture depuis à peu près 5000 ans. Parce que là, c'est passé quelque chose qui relève aussi de l'hybridation. À partir du moment où nous nous sommes mis à écrire, nous avons décidé d'externaliser notre savoir, de le déposer en hors de nous. Et à ce titre, le livre est... Pas loin d'être le premier disque dur externe, il est quelque chose que l'on externalise, que l'on met hors de soi, et nous le réincorporons par la lecture, ce qui n'est pas un exercice anodin, avec toutes sortes d'effets secondaires, là aussi, on pourrait le reprendre autour de l'histoire, je résumerais juste par une expression géniale du romancier Daniel Pénac, lorsqu'il parle des maladies textuellement transmissibles. Il y a des maladies textuellement transmissibles, Emma Bovary, Don Quichotte, entre autres, et plein d'autres, mais dans l'ensemble, ça a été une grande réussite. Et il s'est passé, c'était le thème de votre forum l'année dernière, quelque chose d'assez fascinant, c'est que... L'intelligence artificielle, la dernière en date, Tchad-GPT, est venue à nouveau confirmer la puissance de cette hybridation. Et que nous ne le dirons jamais assez en fait. Nous sommes aujourd'hui dans un rapport d'hybridation à Tchad-GPT, mais en amont de notre rapport à Tchad-GPT, qu'est-ce qui a rendu intelligent un simple réseau de neurones construit en imitant notre cerveau ? Eh bien ça n'est pas d'avoir vu des millions d'images, c'est d'avoir lu des millions de pages. Et la démonstration la plus puissante de cette hybridation par la lecture, des effets de la lecture sur le cerveau, in silico en l'occurrence, c'est justement l'arrivée de l'intelligence artificielle sous cette forme, celle des IA génératives. Alors, pourquoi je vous dis ça ? Parce que je vous dis, fréquence des troubles mentaux, Je vous dis que c'est la caractéristique des homo sapiens que nous sommes, et puisque c'est le prix à payer de notre humanité, et bien ces personnes qui souffrent de troubles mentaux, il ne faut pas les mettre en dehors de notre humanité, mais vraiment au cœur de notre humanité. Ils sont les témoins de ce que nous sommes collectivement comme homo sapiens. Demain, il y a tout à craindre. d'une augmentation de ces mêmes troubles mentaux par l'augmentation de la puissance de notre cerveau par ces technologies que nous ne pourrons pas nous empêcher d'utiliser pour nous augmenter. Et donc il faut l'anticiper et il est heureux qu'un forum y soit consacré. Et dans le même temps, il se trouve que cette technologie elle-même vient témoigner de la puissance de ce qui a fait nos cerveaux. c'est-à-dire cette hybridation primordiale, celle de la lecture et l'écriture, qui peut-être nous montre le chemin, nous montre ce qui nous permettrait de nous arrimer à quelque chose qui nous permettra de voyager plus sereinement dans cette nouvelle aventure de l'humanité, son rapport aux technologies, dans son risque aussi, ce risque... systémique qui a été évoqué tout à l'heure, celui de la santé mentale, celui de la psychiatrie. Au fond donc, dans le même temps où nous allons vers la technologie au risque de notre santé mentale, la même technologie vient nous rappeler ce qui constitue nos cerveaux, à savoir cette hybridation qui a fait l'histoire de l'humanité. J'achève ici cette... Courte introduction, en comprenant donc, tout en la prononçant, cette conférence, pourquoi je ne devais pas utiliser de support de type diaporama. Pas d'image, que des paroles. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci monsieur Raphaël Gaillard. Il me revient maintenant de vous annoncer le second intervenant de ce soir, Aurélien Benoît-Lide, président du Forum européen de bioéthique. Il est médecin neurologue, spécialité dont il aime à dire qu'il l'a choisi pour sa proximité avec la psychiatrie, plus ou moins marquée tout au long de l'histoire de la médecine. Diplômé de neurosciences et d'hypnothérapie, Son parcours est le reflet d'une réflexion poussée sur les frontières de ces deux disciplines et leurs interactions sans cesse questionnées. Nous écoutons Aurélien pour ouvrir cette nouvelle session du Forum européen de bioéthique sur la santé mentale. Merci. Alors, note pour plus tard, ne jamais passer après un académicien, surtout quand on n'est pas d'accord avec lui. Après l'activité physique et sportive en 2024, c'est au tour de la santé mentale d'être mise en lumière et labellisée grande cause nationale par notre ancien Premier ministre Michel Barnier. Je m'en réjouis, évidemment. Sans être parfaitement certain de ce que recouvre le terme de santé mentale, je suis, en tant que médecin et citoyen du monde, conscient des carences et des manques dont souffre la discipline. Depuis que j'ai commencé les études de médecine, j'entends parler de la crise de la psychiatrie et des différents plans mis en œuvre pour lui porter secours. Le tout récent avis n°147 du Comité Consultatif National d'Ethique nous alerte, décrivant une crise grave, profonde et systémique, associant une offre de soins largement saturée, une qualité de soins qui se dégrade faute de moyens adaptés, de très longs délais d'attente pour des soins chroniques, une très grande disparité territoriale, une crise de la démographie médicale et de l'attractivité de la discipline, une difficulté à recruter des soignants, des conditions d'accueil souvent indignes, dans des établissements vétustes ainsi qu'une banalisation et un déni de l'état actuel du système des soins en psychiatrie. C'est dire si le sujet de la crise de la psychiatrie est brûlant, qu'il impose le respect et qu'il nous occupera une bonne partie de ce forum européen de bioéthique. Mais ce n'est pas la crise de la psychiatrie qui a été décrétée grande cause nationale, mais bien la santé mentale. Or il y a, dans le coup de projecteur sur la santé mentale, un effet paradoxal. qui, à l'instar de la physique quantique, il suffit de mettre la santé mentale sous la lumière du microscope pour modifier son état et la rendre moins compréhensible à ses observateurs. C'est pourquoi, pour introduire ce forum, je me permettrai de faire un pas de côté, peut-être un grand écart, et de vous parler d'une autre crise de la santé mentale, une crise identitaire. Selon le site info.gouv, qui annonce le décret, un Français sur cinq souffrirait d'un trouble de la santé mentale. En creux, cela sous-entendrait que quatre Français sur cinq, sur une période de vie d'environ 80 ans, n'en souffriraient jamais. Peut-on en dire autant de la santé physique ? Toujours sur le site du gouvernement, on peut lire que ce décret a pour objectif de changer les regards sur les troubles psychiques et les troubles mentaux. À ce stade, si je compte bien, il y a donc déjà la santé physique, la santé mentale et la santé psychique. Beaucoup de santé pour cette nouvelle année. Et puis, comme disait le riche, très à la mode ce soir, la santé c'est la vie dans le silence de ses organes. Qu'est-ce que la santé mentale, sinon la mort encéphalique ? Et quelle aurait été votre réaction à l'annonce d'une année 2025 placée sous le signe de la santé physique ? J'ai toujours été gêné par cette distinction faite entre la santé physique et la santé mentale. Enfin gêné n'est probablement pas le terme le plus approprié. Disons plutôt révolté. Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde, disait Albert Camus. Mais en réalité, il suffit parfois de seulement les nommer pour les dénaturer. Alors même que le sujet du forum de cette année a été choisi un an avant cette décision politique, Je crois qu'il y a dans cet effet d'annonce non pas le germe mais bien le fruit d'un problème plus profond. Un problème de santé publique à composante philosophique, une immense question de bioéthique qui mérite que l'on s'y penche au moins quelques instants. Pour ce faire, je voudrais vous raconter l'histoire d'un rendez-vous manqué. Ou plutôt de deux rendez-vous manqués. Tout d'abord, la petite histoire de mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie, qui n'a qu'une importance très relative. Puis la grande histoire du rendez-vous manqué de la psychiatrie qui, à mon avis, est beaucoup plus problématique et universelle. Pour arriver à mes fins, j'emprunterai les chemins détournés de la mythologie, de la génétique et de Darwin. Pour vous tenir en haleine, je vous promets de répondre à au moins deux questions existentielles, à savoir quel est le propre de l'homme et quel est le sens de la vie. Enfin, je vous révélerai une information personnelle d'une particulière importance. Il y aura quelques détours, de rares impasses. pas mal de rancœur et même un brin de mauvaise foi. Mais je vous le promets, je ne vais jamais quitter le précieux centre qui est de la santé mentale, enfin, je l'espère. Est-ce que vous êtes prêts ? Il était une fois, dans la cité de Gordion, au centre de l'Anatolie, c'est l'Empire perse, Gordios, un pauvre Phrygien qui n'avait pas de terre, seulement deux paires de bœufs. Un beau jour, un aigle se posa sur le jou de son char. L'animal y resta perché jusqu'à l'heure où l'on détacha les bœufs. Perturbé par ce drôle de comportement ornithologique, Gordios se rendit dans un village où les habitants, paraît-il, étaient connus pour posséder des dons divinatoires. Sur la route, il rencontra une jeune fille qui possédait elle-même ses dons, qui lui conseilla alors de retourner au même endroit et de faire un sacrifice à Zeus. Elle suivit Gordios sur le lieu du sacrifice. Évidemment, ils se marièrent et eurent un fils nommé Midas, bien connu pour changer les pneus en or. Plus tard, lorsque l'Afrigie fut traversée par des troubles politiques liés à l'élection d'un nouveau roi, toute ressemblance avec des faits récents serait fortuit, un oracle leur annonça qu'un char leur amènerait un roi, mettant terme à la guerre civile. Alors que les Phrygiens réunis en assemblée étaient encore en train de débattre, Midas s'arrêta devant l'assemblée sur son char. Les Phrygiens, interprétant l'oracle, reconnurent en cet événement la prophétie. Par conséquent, ils élurent Midas, roi de Phrygie, et celui-ci fit placer le char de son père sur l'acropole, afin d'exprimer sa reconnaissance envers Zeus pour lui avoir envoyé l'aigle. Ensuite, une autre légende fut établie. disant que celui qui réussirait à dénouer le nœud, évidemment inextricable, de Gordios, deviendrait maître de l'Asie. Enfin, au début de l'année 333 avant Jésus-Christ, c'était un mardi, quand il arriva dans la ville, Alexandre le Grand fut informé de la légende du nœud gordien et s'en passionna. Il demanda qu'on lui montre le char de Gordios. Après avoir cherché une solution, il trancha le nœud avec son épée. Depuis, l'expression nœud gordien désigne métaphoriquement un problème qui ne présente pas de solution apparente, finalement résolu par une action radicale. Par extension, la nature radicale de la solution apportée à ce problème a forgé l'expression trancher le nœud gordien Ce nœud gordien, comme tout le monde, j'ai essayé et j'essaye encore de le détricoter. Parfois avec la patience de Pénélope et parfois la manière plus radicale d'Alexandre Legrand. Obsédé par la question du corps et de l'esprit, j'ai longtemps hésité entre la neurologie et la psychiatrie. Ce qui m'intéressait, je n'étais alors qu'un jeune adulte, c'était d'étudier, éventuellement de soigner, ce qui faisait de nous des êtres humains. Chercher la flamme qui ne brûle que dans l'humanité et qu'on appelle communément le propre de l'être humain. Assurément, j'étais plus intrigué, et je le suis encore, par la noblesse de la santé mentale que par la vulgarité de la santé physique. Si on dit des yeux qu'ils sont le reflet de l'âme, le cœur et les poumons le souffle de la vie, et le système digestif comme un deuxième cerveau, j'ai éliminé tour à tour l'ophtalmologie, la cardiologie, la pneumologie et la gastroenterologie de mon champ des possibles. Rétif aux urgences comme aux bistouris, mon inclination bredouillait donc entre la neurologie et la psychiatrie, incapable de préférer l'une à l'autre. J'ai lu quelques ouvrages, qui ont sans doute orienté mes choix, de l'origine des espèces de Darwin à l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau et l'œil de l'esprit du neurologue Oliver Sacks, en passant par l'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux. Et finalement... Dans l'intempérance de ma jeunesse, et puisqu'il fallait bien choisir, j'ai tranché le nœud gordien de mes études en embrassant fougueusement la neurologie. Mais je vais vous faire une confidence. Après 20 ans de vie commune avec la neurologie, je me dis, parfois, que je ne suis pas certain d'avoir fait le bon choix. En tout cas, si je dois être parfaitement honnête, il me semble qu'à l'époque, j'ai choisi l'option la plus facile. Celle qui consistait à opter pour la discipline la plus prometteuse. Car je suis de cette génération qui a vu la médecine acquérir ses lettres de noblesse. Cette médecine qui décrit, qui cherche, qui greffe, qui répare, qui remplace, régénère et qui prévient les maladies. Du haut de mon ignorance et de mes velléités d'explorateur, Il ne restait, me semblait-il, sur le planisphère de la médecine qu'une seule véritable terra incognita, partagée en deux états aussi distincts que la Corée du Nord peut l'être de la Corée du Sud, j'ai nommé la neurologie et la psychiatrie. Et si je dis que j'ai choisi l'option de la simplicité ? C'est bien parce que la neurologie parlait la langue rassurante des sciences et de l'imagerie, tandis que la psychiatrie, en me donnant l'impression d'encore chercher sa voie, ne me rassurait guère. Mais je reviendrai plus tard sur l'évolution de ces deux disciplines. Je me suis donc lancé à corps perdu dans la neurologie, espérant y trouver la pierre philosophale qui parachèverait le grand œuvre que je m'étais fixé. Je suis même allé un peu plus loin dans le domaine des neurosciences, et je n'ai trouvé ni de réponse à mes questions. Et c'est peut-être plus grave encore, ni de questions à mes réponses. Non pas que je regrette mon choix. Il n'y a pas un jour sans que je m'enthousiasme de la neurologie. Mais je n'ai jamais trouvé dans les circonvolutions du cerveau une quelconque trace du propre de l'être humain. J'ai tout misé sur les neurosciences, et je dois avouer m'être senti déçu, voire trahi, même si en réalité je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Quand j'ai commencé à m'intéresser à la neurologie, j'imaginais que les neurosciences révolutionneraient la médecine, la neurologie, la psychiatrie et la vie des patients. Après tout, les neurosciences étaient à la neurologiste que la physiologie rénale était au néphrologue. Dans une approche mécaniciste, je pensais raisonnablement qu'à la vitesse où allaient les choses, et compte tenu des sommes considérables injectées dans la recherche, une décennie nous permettrait de venir à bout de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson, de la dépression, de la schizophrénie et des troubles de l'humeur. Les neurosciences... ou plutôt le discours qui s'y réfère, nous promettait et nous promet encore une révolution dans le domaine des maladies neurologiques et psychiatriques, dans le domaine de l'éducation, de l'égalité sociale, nourrissant le fantasme de la compréhension de l'âme humaine. A vrai dire, des neurosciences, je n'en attends plus rien. La déception n'est pas le terme le plus approprié. Je parlerai davantage de déceptivité, s'appliquant généralement à la publicité, la déceptivité d'une marque et le caractère qu'elle présente lorsqu'elle est jugée de nature à induire le public en erreur sur la qualité, l'origine ou la nature du produit. Posez-vous la question. Que vous apportent les neurosciences au quotidien ? Avons-nous révolutionné la prise en charge des maladies mentales comme nous l'avons fait du cancer ? Où sont les biomarqueurs si attendus et les innovations thérapeutiques ? Notre système éducatif est-il devenu tellement plus efficace que celui de nos grands-parents ? La société est-elle moins violente, moins égalitaire ? Les neurosciences nous permettent-ils de dire quelque chose de sensé, de nos angoisses ou de nos aspirations individuelles ? Alors certes, nous achetons plus et plus vite. Nous pourrons demain contrôler notre playlist de musique sans les mains, avec un peu d'apprentissage et mon ayant un abonnement spécial. Nous scrollons et scrollerons à longueur de journée, sacrifiant sans le savoir ce que nous avons de plus cher, le temps qui nous reste. reste à vivre. Les drogues et les comportements de plus en plus addictifs seront peut-être remboursés par la sécurité sociale ou taxés par l'État. Tandis que les grandes évolutions de notre monde, le respect du consentement, l'égalité des genres, la bienveillance éducationnelle, l'inclusion des personnes handicapées, la communication intergénérationnelle et bien toutes ces évolutions-là ne doivent en réalité pas grand-chose aux neurosciences. Trouvez-vous sincèrement que les avancées obtenues soient à la hauteur de nos espoirs ? Combien de fois par jour suis-je obligé de dire aux personnes qui viennent me voir en consultation que je ne sais pas ? Exactement le même je ne sais pas que celui que je disais il y a déjà 20 ans. Qu'il n'y a aucun traitement ou qu'ils existent mais ne fonctionnent pas. Rendez-vous compte, le meilleur traitement pour soigner les dépressions légères qui pèsent infiniment sur les finances publiques, c'est l'activité physique. Cette déception, petite sœur de la colère, n'est pas seulement la mienne. D'autres la partagent. C'est le cas notamment de François Gonon, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS, qui s'interroge sur l'usage discursif des neurosciences et de ce que l'auteur de Neurosciences, un discours néolibéral édité en 2024, appelle un neuro-essentialisme. Il révèle l'écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand public et la réalité des avancées. Plus grave peut-être, le discours idéologique des neurosciences fait du cerveau l'unique responsable de la destinée sociale d'un individu. Il y a de l'aigreur dans mon propos, je vous le concède, et ce n'est pas fini, mais on garde parfois une certaine amertume de nos rendez-vous manqués. Cependant, je n'ai pas totalement abandonné cette idée et cette quête de l'indicible humanité. Comme je vous l'ai dit, une partie de moi, aujourd'hui désabusée, restait optimiste quant aux avancées des neurosciences, espérant qu'elles trouveraient la réponse à mes questions existentielles. Mais la science ne faisait que nous déshabiller, tous les jours un peu plus, dans la lumière crue du ciel itique, jusqu'à nous laisser nus de moins en moins dissemblables des autres animaux. Darwin, il y a déjà très longtemps, semblait l'avoir deviné. Estimant qu'il n'y avait, entre l'être humain et ses plus proches cousins, qu'une différence de degré et non de nature. Dit autrement, il n'y a pas dans le nœud gordien de l'humanité le moindre fil doré. Je balayais rapidement ce qu'aurait pu être le propre de l'homme, les outils. Jane Goodell, primatologue de génie, a observé plus d'une quarantaine d'outils différents chez les chimpanzés. La conscience de soi peut-être. Les bonobos, les dauphins, les éléphants et même certaines pies sont capables de se reconnaître dans un miroir. Lire les intentions des autres. Projeter sa propre expérience sur les autres, ce qu'on appelle la théorie de l'esprit. Léger et de nombreuses autres espèces animales savent le faire. La culture alors. Cela fait 70 ans et plusieurs générations successives de singes qui se transmettent dans un endroit précis du globe une manière de laver les patates dans l'eau de mer pour leur donner un bon goût salé. Le langage. Les baleines, les singes, utilisent des combinaisons de sons auxquels ils rajoutent volontiers des suffixes pour en adapter le sens. Les émotions, le sens moral, l'empathie, le sourire ou le rire ne sont plus grâce à la magie des neurones miroirs qu'un trait d'union entre nous. et d'autres mammifères.

  • Speaker #0

    Si on tire le fil de ces constatations, on se retrouve désemparé. Si nous ne sommes que de la chair en cours de décomposition, alors il n'y a pas de sens à la vie, et peut-être vaudrait mieux-t-il abréger nos souffrances et ne pas perdre notre temps à faire de la bioéthique. Le propre de l'homme est le sens de la vie. Voilà deux questions existentielles qui nous animent, tous et pour lesquelles je vous propose une réponse. qui, je l'espère, nous permettra d'éclairer à sa manière la distinction que l'on peut faire entre la santé physique et la santé mentale. Car en réalité, tenez-vous bien, il existe une explication au sens de la vie, et celle-ci est déjà bien connue. La vie ne semble suivre qu'un seul courant, celui de la conservation et la transmission de l'information. En matière de vie, il n'y a qu'une seule information qui semble importante, et que l'on peut résumer en quatre lettres. Monsieur Mandel ? A, C, T, G. Adénine, cytosine, thymine et guanine, supportées par la molécule de l'ADN. Albert Jacquard, dans un article intitulé L'ADN et la vie disait la chose suivante. Bien que cette molécule ne soit pas plus énigmatique aux yeux d'un chimiste qu'une molécule de benzène ou d'acide sulfurique, sa structure lui apporte deux performances spécifiques ou, si l'on préfère, lui permet d'exercer deux pouvoirs dont elle a l'exclusivité. faire un double d'elle-même et gérer la réalisation d'autres molécules. Elle est à la fois phénix et chef d'orchestre. ACTG n'a pas de volonté propre ni d'intelligence. Elle porte seulement dans sa physico-chimie spécifique une sorte d'instinct de survie, archaïque mais diablement tenace. Ce sont des molécules prêtes à emprunter la forme la plus apte à survivre et ce quel que soit le prix à payer. Et qu'importe si elle doit ressembler à une cellule difforme. Une algue, un poulpe ou un énarque. ACTG sera prête à avaler toutes les couleuvres qui serviront ces projets survivalistes. Albert Jacquard poursuivait dans le même article. Le mystère de la vie a été ramené à une séquence de processus chimiques. Le mot vie, qui joue dans notre pensée un rôle fondamental. n'est qu'un cache-misère conceptuel. La découverte de l'ADN élimine toute difficulté relative au concept de la vie en fondant la distinction entre les objets inanimés et les êtres vivants non sur un principe vital mais sur la présence d'une molécule sans mystère. Mais je dois dire que sur ce point précis, Albert Jacquard et moi ne sommes pas tout à fait d'accord. Ça fait déjà deux personnes ce soir. J'estime qu'il y a dans le monde du vivant une espèce qui, sans se dédier complètement de cette définition, s'en soustrait au moins partiellement. L'être humain vise une toute autre éternité. Il est animé par la transmission d'une information bien différente de celle médiée par ACTG. Depuis la nuit des temps, l'homo sapiens déploie des monstres d'énergie pour que lui survive autre chose qu'une succession de bases nucléiques. Une information complexe, changeante et nuancée. Des pigments retrouvés sur les murs de Lascaux dont on sait qu'ils nécessitaient d'immenses sacrifices pour les acheminer. Aux murs des cathédrales que l'on baptisait au nom d'une croyance. Aux façades en verre du Parlement européen. Aux musées, aux bibliothèques et jusqu'à Internet. Le moteur de l'humanité n'est plus la conservation de l'information, mais bien la transmission et l'expansion de l'information immatérielle à travers le temps et à travers l'espace du corps. L'être humain est le seul animal au monde à s'inscrire véritablement dans une double transmission de l'information. Une information insensée si on la considère sur un plan matériel, mais qui prend tout son sens dès lors que l'on se place dans le champ plus immatériel des idées. Pour la première fois depuis 3,8 milliards d'années, ça n'est plus le diktat d'ACTG qui conditionne notre destin d'espèce, mais bien Ausha et le sens que l'on met dans les mots et les actes que l'on dit ou que l'on fait. Pour l'être humain, ACTG devient secondaire, accessoire, presque grotesque et encombrant, à tel point que certains veulent s'affranchir de sa médiocrité. S'extirper de la fatalité des hormones, de la reproduction, de l'instinct de survie pour transmettre des valeurs plutôt que des gènes. L'être humain n'est plus le mouton qui pâture mais le berger dont les élans tantôt écologiques, écocides ou démiurges ne sont que les deux faces d'une même médaille. Dès lors que l'on estime que la double transmission est une caractéristique intrinsèque de l'être humain, on se met à considérer la santé humaine d'une manière très différente. La dimension sensible, symbolique, linguistique et historique de l'individu, qu'on appelle à défaut d'avoir mieux la santé mentale ou le psychisme, n'est alors plus relégable à la lointaine périphérie de la médecine. Elle est un des deux cœurs battants de la santé humaine. On entreaperçoit alors une physiologie, une sémiologie et même une génétique d'un genre nouveau, qui se rajoutent et se superposent à la médecine physique. Tout un pan de la science de la vie que l'on n'apprend nulle part. ni au collège, ni au lycée, ni même sur les bancs des universités de médecine. Une partie importante de notre santé totalement invisibilisée et qui pourtant est à l'œuvre dans chacune de nos souffrances et de nos pathologies. Voilà en quelques mots les contrées éloignées où m'a mené mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie. Laissez-moi vous présenter à maintenant et vous raconter ce que j'estime être le rendez-vous manqué de la psychiatrie. Pour ce faire... Il est nécessaire d'appréhender un moment charnière dans l'histoire de la médecine, le divorce de la neurologie et de la psychiatrie. Durant la majeure partie du XXe siècle, la neurologie et la psychiatrie étaient considérées en France comme une seule et même discipline, la neuropsychiatrie. Tout ce petit monde cohabitait plus ou moins bien, entre là du corps et de l'esprit, comme c'est le cas dans d'autres cultures. Mais voilà qu'arrive à la fin du XIXe siècle la psychanalyse qui va rebattre les cartes. Fondée par un certain Sigmund Freud, d'abord considérée comme une simple branche de la neuropsychiatrie, la psychanalyse est une discipline qui a pour fondement d'étudier l'inconscient comme une tectonique du psychisme, qui conditionne en partie les reliefs, les paysages et les accidents de notre univers psychique. Les outils sont simples, probablement trop simples, la libre association, l'analyse des rêves, l'écoute active des patients. Pour ma part, l'idée que je trouve d'une grande modernité est celle d'imaginer que le patient ou la patiente, c'est elle ou lui qui a le pouvoir, que le médecin n'est plus le sachant universel et tout-puissant, mais seulement celui qui écoute et fait entendre, qu'une partie importante de la personne humaine et de sa santé sont parfaitement inaccessibles aux atlas d'anatomie. Mais la psychanalyse va plus loin. Elle propose une théorie générale sur le fonctionnement du psychisme et l'articule autour de certaines hypothèses comme le refoulement, le complexe d'Oedipe, la libido, la théorie des pulsions et le transfert. Freud est neurologue. Il résonne à partir du principe de la physiologie et de la physiopathologie. Parfois jusqu'à l'excès, la psychanalyse voit dans l'individu les ressorts immatériels qui conditionnent ses choix et sa santé. L'histoire aurait pu s'arrêter là. On découvre la gravité, l'interaction électromagnétique, pourquoi pas l'inconscient et certaines forces à l'œuvre de notre fonctionnement psychique. Mais vous allez voir que cette histoire va prendre une tournure plus tragique. Dans les années 60, la psychanalyse connaît un essor incroyable. Dans ces excès, elle nous invite à célébrer la victoire définitive de l'acquis sur l'inné et de l'immatériel sur le matériel. Presque toutes les chaires de psychiatrie sont désormais occupées par des psychanalystes. Or, la psychanalyse se rapproche davantage d'une science humaine que d'une science fondamentale. Et pour cause, elle s'intéresse à un appareil qui échappe à toute description anatomique. Un appareil qui, s'il emprunte sa matérialité à un réseau de neurones, ne produit pas seulement des comportements, mais aussi des idées, des actes manqués, des rêves, de l'art de la beauté ou de la perversion. La psychiatrie des années 60 est aussi agitée en interne par une marée haute d'un mouvement plus ancien et assez complexe, dit anti-psychiatrique, renforcé par l'apparution d'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault ou encore le roman Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kizé. Parallèlement, la neurologie, comme la plupart des spécialités médicales, fait sa propre révolution. Et la cohabitation avec les psychanalystes se fait de plus en plus difficile. On ne se comprend plus, chacun s'enfer dans l'enfer de sa vision du monde. Et finalement, en 1968, ce qui devait arriver arriva. Entre la neurologie et la psychiatrie, rien ne va plus. Les patients qui n'ont rien demandé à personne se retrouvent en garde alternée entre la neurologie et la psychiatrie, à devoir choisir entre la santé physique et la santé mentale. Mais ça ne s'est pas arrêté là. La psychanalyse va perdre du terrain. Et c'est un euphémisme. Les progrès de la science concernant la dimension matérielle de l'être humain sont tellement prodigieux qu'ils éclipsent tout le reste. Sans compter que la psychanalyse souffre d'un certain nombre de handicaps. C'est une discipline culpabilisante, on se souviendra de l'épisode des mères frigidaires, nécessitant un travail introspectif laborieux. C'est une discipline sale, mal encadrée, avec des excès d'interminables guerres de chapelle et une efficacité variable ainsi qu'une fâcheuse tendance à tout ramener au sexe. Jérôme Bruner, un éminent psychologue américain, Mort en 2016, disait dans son autobiographie en parlant de Sigmund Freud qu'il était davantage un dramaturge qu'un théoricien. Et cette critique nous dit, me semble-t-il, quelque chose d'absolument fondamental. La psychanalyse n'est pas une science du cerveau. Elle ne suit aucun dogme physico-chimique et dans ce sens elle est invisible aux neurosciences. Si la neuroscience consiste à comprendre le fonctionnement de la caméra, des ingénieurs audiovisuels, des logiciels de post-production, Et même du metteur en scène, la psychanalyse, elle, ne s'intéresse qu'aux dramaturges. Et c'est souvent du dramaturge dont on se souviendra longtemps après le générique de fin. Quoi qu'il en soit, la psychanalyse disparaît progressivement. A tel point qu'aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on l'appelle la psy-caca. Elle n'est presque plus enseignée de par le vaste monde. On l'invite encore, parfois, sur des plateaux télé ou à des tables rondes, comme on inviterait Fabrice Lucchini pour divertir la plèbe. Faire rêver, entendre de jolis mots avant de revenir à des sujets plus sérieux. On n'enseigne plus la psychanalyse, elle est souvent moquée, classée parmi les pseudosciences. On lui demande des comptes, on veut des résultats, des statistiques, des solutions. Autant de choses que de manière consubstantielle, elle ne peut pas fournir. Chacun en tirera ses propres conclusions. Tout cela pour dire que la psychiatrie, qui avait quitté la neurologie pour s'installer sur le divan douillet de la psychanalyse, se sépare à nouveau et se retrouve seule. Elle nourrit une haine assez irrationnelle vis-à-vis de son ex et doit une fois de plus trouver sa voie et apprendre à se réinventer. C'est précisément là, je crois, qu'il y a un rendez-vous manqué. Un rendez-vous manqué entre la neurologie, la psychiatrie et la psychanalyse ou toute autre science de l'immatérialité de l'être humain. Un mauvais divorce au lieu d'un bon vieux trouble. Et vous m'excuserez encore si je manque un peu de tempérance dans mes tropos, mais la rancœur est vive et j'observe quotidiennement les conséquences de cette évolution. Au risque d'agiter des épouvantails, je terminerai en vous donnant deux exemples, somme toute anecdotiques, puisqu'essentiellement sémantiques. J'ai découvert il y a quelques années qu'un des plus importants congrès de psychiatrie français, qui vient d'ailleurs de s'achever il y a quelques jours, s'appelle l'Encéphale. Cette année, il avait pour thématique l'esprit libre. Et à la lecture du programme, je me suis mis, une fois encore, à regretter mon choix de neurologue. Les thématiques sont passionnantes et les quelques interviews que j'ai pu regarder m'ont impressionné. Mais l'encéphale, bon sang ! L'encéphale, pour ceux qui l'ignorent, c'est l'organe qui se situe tout au bout de la coloscopie. L'encéphale, c'est le mou entre les deux oreilles et c'est la pièce de boucher qu'on laisse reposer dans l'eau toute une nuit pour la rendre plus tendre et que ma grand-mère a grémenté d'épices marocaines pour la rendre meilleure. L'encéphale, c'est le coup de hache qui tranche le nœud gordien de la psychiatrie. Pour les patients et pour le monde entier, l'attente est immense. La psychiatrie, que les psychiatres le veuillent ou non, est la seule discipline médicale capable de prendre en charge la santé mentale et la souffrance morale. Bien sûr, il y a les maladies mentales, telles que les troubles de l'humeur, l'autisme, la schizophrénie, qui sont au même titre que la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson, des maladies de l'encéphale. Mais il y a tout le reste, nous tous, ici présents. Nous souffrons tous de notre histoire et de nos liens aux autres. Et cette souffrance n'a rien d'imaginaire. Elle pèse lourd sur les finances de l'État et le moral des troupes. Et ce n'est pas un hasard si l'on se drogue plus aux antalgiques qu'aux molécules psychédéliques. De nos jours, peut-être parce que nous les médecins n'avons plus la capacité d'entendre la souffrance morale de nos patients, exprime-t-il de la douleur ? Faut-il que l'on se plaigne de notre santé physique pour qu'on se penche enfin sur notre santé mentale ? La névrose n'existe plus dans le DSM-5, qui est la classification diagnostique des maladies mentales. Pire que mal nommer les choses, et de ne pas les nommer du tout. La psychiatrie, qui étymologiquement est la médecine de l'âme, a fait le choix de l'encéphale comme d'une pierre de rosette pour sa discipline. Mais peut-on dire pour autant que la santé mentale est réductible au fonctionnement de notre encéphale ? En s'amputant de la psychanalyse ou de toute autre science de l'indicible immatérialité de la nature humaine, je crains que la psychiatrie se condamne à boiter. Et je crois que les étudiants en médecine ne s'y trompent pas. La psychiatrie reste une discipline désaffectée. Lors des choix des épreuves aux épreuves nationales classantes, qui permettent l'accès aux spécialisations, elle est choisie en 40e position sur 44 spécialités en 2023. Ce qui est constant depuis au moins 10 ans, inconcevable, quand on sait que c'est la première spécialité à avoir vu le jour, et sans nul doute, la plus belle d'entre toutes. C'est pourquoi je pense qu'à côté de la crise institutionnelle qu'elle rencontre actuellement, Elle souffre aussi d'une crise identitaire profonde et ancienne. Mais je vous rassure, la neurologie de son côté n'est pas en reste. J'en veux pour preuve l'essor de ce qu'on appelle les troubles neurologiques fonctionnels. Je cite les informations du Vidal en date du mois de juin 2024 sur les troubles neurologiques fonctionnels. Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes neurologiques tels que des malaises, des crises, des douleurs, des troubles digestifs, sexuels, ORL, moteurs sensitifs. Ils peuvent aisément être confondus avec une atteinte organique, mais diffèrent de ces dernières par l'absence de lésions ou de maladies identifiables. Ils représentent tout de même 10% des consultations. Toujours selon le Vidal, la physiopathologie des troubles neurologiques fonctionnels n'est pas complètement élucidée. Mais les études d'imagerie auraient permis de grandes avancées. Rôles des fonctions attentionnelles, propension à la dissociation, troubles de la gentilité, dysfonction au niveau des réseaux cérébraux. Encore sur le même site. Avant, on parlait d'hystérie, mais on sait bien qu'aujourd'hui, ça n'a pas de lien direct avec l'utérus. Merci le Vidal. Avant, on parlait de symptômes conversifs, mais ça ne se dit plus parce que rien ne prouve scientifiquement qu'il existe un quelconque conflit intra-psychique à l'origine des troubles neurologiques fonctionnels. Finalement, le terme de TNF a été créé pour chercher un consensus à propos de ces quelques 10% de patients et autant d'épines dans le pied des praticiens. Car les neurologues disaient c'est psychiatrique et les psychiatres disaient c'est neurologique Voilà le quotidien de l'activité d'un neurologue aujourd'hui. Ainsi sont nés les troubles neurologiques fonctionnels. Dans la vraie vie, les patients qui sortent de l'hôpital ou de consultation avec une jolie plaquette plastifiée où on leur explique à grand renfort de schémas complexes et de réseaux de neurones qu'ils ont un TNF ne comprennent rien à ces explications, pas plus que je les comprends moi-même. 100% des patients que je vois et qui sont passés par les fourches codines de la case diagnostique des troubles neurologiques fonctionnels étaient à mille lieues d'imaginer qu'il y avait un quelconque lien avec le psychisme, les traumatismes et les liens aux autres. Au moins, quand on parlait de maladies psychosomatiques, les patients réagissaient. Ils s'offusquaient, ils s'énervaient, parfois même ils nous tapaient. Bref, ils savaient de quoi on parlait. Mal nommer les choses. 10% des consultations. Je ne vous parle pas des arrêts maladie et des congés de longue maladie. Nous en sommes là en 2025. La neurologie bande les yeux de ces patients. Libre à elle de le faire. L'être humain, à la différence de l'ensemble du vivant, est un entrelac de deux brins tressés. Le nœud qui en résulte est absolument indétricotable. Pourtant, qu'avons-nous fait ? Nous l'avons tranché d'un coup d'épée. Nous avons choisi, comme nous le faisons toujours, la radicalité. Et nous sommes voués à vivre en deux dimensions, dotés d'une médecine qui n'en accepte plus qu'une. Qu'il est doux d'être neurologue et de pouvoir ne serait-ce qu'une fois de temps en temps réduire ses patients à la physiologie de leur encéphale. Voyez comme j'ai choisi la voie de la facilité. Être psychiatre c'est avoir davantage de responsabilités, car on attend de lui qu'il soigne la matière grise, autant que l'éminence grise qui préside. Peut-être l'ignore-t-il parfois, mais c'est lui qui endosse la vie sacerdotale du médecin, censé soigner l'âme de ses patients. tâche presque inhumaine au demeurant. Et lorsqu'il n'est pas à la hauteur, alors il les pousse sans le vouloir dans les bras des médecines parallèles, aux mains de praticiens plus ou moins consensueux, ou pire, aux griffes de commerciaux de supposées techniques plus ou moins dangereuses et souvent inutiles, bien que se prévalant presque toujours des neurosciences. Je crois qu'il faut de toute urgence réhabiliter la dimension immatérielle de l'être humain au sein de notre corpus scientifique et médical, sans quoi nous risquons de faire d'un rendez-vous manqué une occasion perdue. Terminé. Je vous ai promis une révélation sur ma petite personne, et vous l'avez patiemment attendue, alors je vous la lis. J'ai passé les 20 premières années de ma vie dans une forme d'indolence. indifférent au corps comme à l'esprit. Puis j'ai commencé les études de médecine et j'ai passé les 22 années suivantes à revendiquer un matérialisme radical. Mon livre de chevet, c'était l'erreur de Descartes d'Antonio Damasio. Je ne considérais l'être humain qu'à travers la matérialité de son corps physique, de sa santé physique. Je croyais que tout en lui était réductible à sa matière, aussi complexe fut-elle. Je ne croyais qu'à l'existence d'une seule et même substance dans l'univers. J'étais moniste. Moniste, c'est quand on pense qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers. Mais, peut-être parce que le monde se radicalise et que j'ai gardé dans mon adolescence l'esprit de contradiction, depuis quelques mois, voilà que je vacille sur mes certitudes, entreapercevant une nécessaire et salutaire dualité. Alors moi aussi j'ai décidé de couper ce fichu neugordien d'un coup d'épée. Le couper, comme dit Israël Nizan, fondateur du Forum Européen Bioéthique, c'est coupable. Le trancher à défaut de pouvoir le dénouer, c'est une fois encore faire le choix de la facilité. Et j'ai conscience de le faire dans le sens qui n'est pas le plus juste sur le plan scientifique. Je continue bien évidemment de croire qu'il n'y a pas le corps d'un côté et l'âme indépendante de l'autre. Mais puisqu'il faut trancher, puisqu'on m'impose de trancher, Il me semble que le dualisme est plus digne de notre condition si singulière d'être matériel et immatériel. Considérer l'être humain dans ces deux dimensions nous permet de mieux appréhender nos souffrances, nos joies, de mieux nous soigner, de mieux nous comprendre. Tant que la santé mentale ne sera qu'un label éphémère remplacé dès l'année prochaine par Dieu sait quelle autre grande cause nationale, la médecine ne fera jamais que les choses à moitié. Elle aura beau guérir, penser, régénérer, même ressusciter, elle nous laissera toujours sur notre faim. Car n'en déplaise au chevalier blanc du bio-essentialisme, nous sommes bel et bien irréductibles à nos deux dimensions. charge à nous, à nos enfants, à nos élèves, d'inventer un dualisme laïque, un dualisme éclairé, incarné, pragmatique, une manière d'allier la santé mentale et la santé physique sans jamais les confondre ou pire, les opposer. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour ces deux magnifiques interventions qui ont inauguré notre forum, qui commencera demain par une première table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté que vous pourrez suivre ici même dans la salle de l'Aubette, mais également en direct sur le site Forum européen de bioéthique. A demain, au revoir.

Description

Forum Européen de Bioéthique 2025: Santé mentale & Bioéthique


Conférence inaugurale : Santé mentale et Bioéthique


En France, la dépression touche un adulte sur six, et pas moins de seize millions d’entre nous ont déjà utilisé des psychotropes. Entre 2019 et 2022, chez les 12-25 ans, l’Assurance maladie a observé une augmentation de 20 % des maladies psychiatriques et de 60 % de la consommation d’antidépresseurs. Chez les 25-34 ans, le suicide est désormais la première cause de mortalité. Depuis vingt ans, partout dans le monde, les problèmes de santé mentale ne cessent d’augmenter, notamment dans les populations les plus fragiles : jeunes, personnes âgées, sans-abris, détenus, femmes enceintes… C’est dire si la santé mentale est un problème de santé publique.

Pourtant, la prise en charge psychiatrique et psychologique reste encore trop souvent un « véritable parcours du combattant » (rapport du Haut-Commissariat au Plan). La psychiatrie est en crise : manque de lits, de psychiatres, d’infirmier·e·s, manque de moyens et de reconnaissance. Auprès du grand public, mais probablement aussi pour une part importante des médecins et même des institutions, la psychiatrie fait peur, au point d’être souvent reléguée dans l’angle mort de la médecine.

La « santé mentale » pose avant tout un problème de définition. Et comme disait Albert Camus en 1944 : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Si la « santé mentale » était considérée d’égale à égale avec la « santé physique », il y a fort à parier que le monde irait mieux. Imaginez seulement qu’on puisse, en France, en 2025, proclamer que l’on va faire de la « santé physique » une grande cause nationale. C’est inimaginable, car la « santé physique » est depuis longtemps déjà considérée comme le bien le plus précieux de l’humanité. Alors, pourquoi n’en va-t-il pas de même pour la santé mentale ? C’est aussi une forme de médecine à deux vitesses.

Cette année, au Forum Européen de Bioéthique, nous tâcherons d’explorer la santé mentale avec le même degré d’exigence que celui attendu pour la santé physique : évolutions diagnostiques, thérapeutiques, sociétales et juridiques…


Avec


Raphaël Gaillard, Professeur de psychiatrie, Chercheur en neurosciences, Élu à l'académie Française


Aurélien Benoilid, Neurologue, Président du Forum Européen de Bioéthique


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à tous. Dans nos rêves les plus fous du petit carteron de personnes, dont Jean-Louis Mandel que je vois arriver il y a 15 ans, si on nous avait dit qu'on aurait, 15 ans plus tard, encore des salles combles et encore cette appétence du public strasbourgeois à la bioéthique, on ne l'aurait pas cru. Quand on a parlé de bioéthique la première fois, on nous a dit mais ça c'est de la médecine, c'est de la science, ça n'intéresse pas le grand public Et justement, ce n'est pas de la médecine, ce n'est pas de la science, et chacun d'entre vous a un avis sur les sujets bioéthiques. Et depuis 15 ans, la bioéthique, si j'ose dire, nous a rattrapé. Elle nous a rattrapé dans la loi, elle nous a rattrapé dans notre vie de tous les jours. Tout le monde a un avis sur la fin de vie. sur ce qu'il faut mettre dans la loi. Nous sommes, et ces avis finissent par constituer la loi. Alors au Forum, on n'a jamais eu l'intention d'agir sur la loi, mais on a eu l'intention de donner les éléments de compréhension, les éléments scientifiques, les éléments de réflexion. Et je dois dire que depuis 15 ans, il n'y a pas eu une seule séance où même des avis contradictoires ne se sont pas écoutés mutuellement. et où la discussion n'a pas été sereine. Pour ça, je remercie infiniment le public strasbourgeois, parce que quand je vois comment ça se passe parfois dans les débats, et en particulier dans les débats bioéthiques, et parfois même dans les instances parlementaires, je me dis que parfois ça manque de sérénité, et ça manque aussi de culture. C'est donc une joie et un plaisir de vous retrouver. tous et cette année pour la première fois en dehors du streaming il va y avoir des podcasts donc vous pourrez retrouver et beaucoup d'étudiants s'en servent depuis des années vous pouvez retrouver en podcast toutes les conférences qui ont lieu au forum européen de biotique le choix de la nouvelle Troïka qui dirige le forum parce qu'il faut passer la main et la main est le... Le relais a été saisi avec très grande sagesse par Aurélien Belmoilide, qui a choisi Santé mentale et bioéthique, quel beau thème On va, pendant les jours qui viennent, explorer tous les aspects bioéthiques de la santé mentale. Je dois remercier, parce que c'est complètement unique, non seulement en France, mais en Europe, de mettre la bioéthique à la portée du grand public. Et ceci a été possible grâce aux collectivités territoriales. Au début, il y avait un labo de médicaments qui proposait Vous avez besoin de combien ? Voilà, on vous fait le chèque. Et je ne sais pas pourquoi, j'ai refusé. Bien m'en a pris parce qu'aujourd'hui, un forum de bioéthique qui serait financé par un laboratoire pharmaceutique, ça ferait bizarre. Et donc, c'est le préfet... de la région Grand Est, la région Grand Est, la collectivité européenne d'Alsace, l'euro-métropole de Strasbourg et la ville de Strasbourg, qui ont toujours tenu le Forum à bout de bras, avec toutes les difficultés qu'il peut y avoir, de budget, la complexité du montage a toujours été grande, mais nous n'avons jamais été lâchés, parce que le Forum est devenu une marque. Beaucoup de gens cherchent le programme, quand est-ce qu'il paraît, quand est-ce que les gens attendent le forum et c'est une particularité de Strasbourg. Nous avons des nouveaux partenaires, l'agence régionale de santé Grand Est nous aide, la fondation de France avec l'une de ses fondations abritées. Éthique IA, Daniel Gruson, le Crédit Agricole d'Alsace-Vosges, tous ces partenaires financent intégralement cet événement afin de le rendre accessible gratuitement au plus grand nombre. Et donc c'est totalement unique, pas seulement en France, en Europe. Il n'y a pas un seul endroit en Europe, en dehors du Forum européen de Strasbourg, où le public peut s'approcher de la bioéthique, se cultiver. comprendre la complexité des choses et sortir avec sa propre opinion et toutes les opinions se valent. Nous remercions également tous nos autres partenaires qui nous accompagnent dans l'élaboration du programme et qui contribuent à développer le rayonnement de l'événement. Et je remercie tout particulièrement Raphaël Bloch qui est ici, qui est la cheville ouvrière et qui a maintenu... techniquement et pratiquement ce forum dans la qualité qu'il avait au départ et je dirais même qu'il s'est amélioré au fil des années. Merci Raphaël, merci Aurélien, merci Maud. Pour tout ce travail, je donne la parole à Maud.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, bonsoir à tous. Alors je vais passer la parole... aux élus. Et pour commencer, M. Alexandre Fels, qui est adjoint à la maire en charge de la santé publique et environnementale, représentant donc Mme Jeanne Barzéguian, maire de Strasbourg. M. Fels.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Je vous salue toutes et tous. Je voudrais donc au nom de la maire de Strasbourg, Jeanne Barzéguian, mon nom propre, Alexandre Fels, adjoint à la maire et président du Conseil local de santé mentale. Donc vous accueillir ici, remercier bien sûr les organisateurs, notamment Israël qui a été vraiment le père fondateur et qui maintenant a pu transmettre. C'est bien, c'est important de créer, c'est aussi très important de transmettre. Voilà donc ce matin, en réfléchissant à ce que vous allez vous dire et en lisant le quotidien. Régional qu'on lit chaque matin, nous élus, dernière nouvelle d'Alsace, je me suis dit que notre santé mentale était quand même un peu complexe. Quand on a plan que Donald Trump a des propos transphobes, vous savez que maintenant les personnes qui ont transformation de genre ne pourront plus travailler dans l'armée ni dans les fonctions publiques américaines. C'est un peu difficile quand on voit que les pesticides, notamment les néocotinoïdes pour les abeilles, voudraient revenir en France. On se dit waouh, pour la planète, c'est un peu compliqué. Puis quand on voit que la ministre de l'Éducation veut revenir sur le programme d'éducation à la sexualité parce que le mot genre pourrait poser un problème. Et puis, à la fin, quand on voit que... On parle de submersion par le Premier ministre sur la question des migrants. On se rend compte que c'est complexe. Donc la santé mentale a plein de déterminants. On voit que la géopolitique, la guerre, les conflits sont bien sûr des déterminants majeurs. La question de l'environnement est bien sûr aussi quelque chose de très important dans les déterminants sur la santé mentale. Donc tous les chiffres, on reverra tout à l'heure, montrent qu'aujourd'hui on est dans une épidémie de santé mentale et que donc c'est vraiment nécessaire de travailler ensemble, de réfléchir, de questionner cette question. Alors la santé mentale, ce n'est pas forcément la psychiatrie, c'est aussi la psychiatrie, c'est aussi les malades mentaux, mais c'est de façon plus large, quelque chose qui est à la limite de la question de la normalité. D'ailleurs, qu'est-ce que c'est la question de la normalité ? Et puis, je discutais il y a quelques jours avec le professeur Dagnon, on était à la maison de la santé mentale, donc madame la présidente Piaïms nous parlera tout à l'heure. Et il disait que la limite, elle est... Elle est très ténue, en fait, en ce qui serait la normalité, et ce qui serait la santé mentale, et ce qui serait la psychiatrie. Et souvent, les gens ont du mal à comprendre ça. C'est-à-dire la stigmatisation, notamment, qui est faite sur les questions de santé mentale, et quelque chose qui vient qu'on aimerait que ça soit en dehors de nous, mais on voit bien, en tout cas, moi, ce matin, j'étais pas très bien, en fait. Donc, on peut tous avoir ces moments-là. Voilà, donc, merci beaucoup. de nous aider à réfléchir à ces questions. Et puis, la question de la santé mentale, elle est présente partout. On le voit, moi, je suis président de la maison des adolescents du Barin. Aujourd'hui, les situations sont plus nombreuses, mais surtout plus complexes. Je le vois aussi à la maison du sport santé. Vous savez peut-être que l'activité physique... est un médicament recommandé dans l'anxiété et la dépression légère. D'ailleurs, la Chalais dit que c'est la première des prescriptions. Et alors que c'était les maladies métaboliques qui étaient la première prescription, aujourd'hui, c'est les questions de santé mentale, puisqu'à Strasbourg, l'anxiété légère, la dépression, mais aussi les problèmes psychiatriques sont pris en charge par la Maison du Sport Santé gratuitement avec un accompagnement médico-sportif. Donc, on voit bien que cette diversité, cette réalité-là, nous impose une réflexion majeure. Et pour ne pas être trop long et laisser Madame la Présidente parler de l'action de la santé mentale et de la maison de la santé mentale, ce lieu, c'est un lieu citoyen. Et je pense que le Forum interroge la question du citoyen. Et c'est fondamental qu'on crée des lieux physiques ou des lieux d'échange comme le Forum pour remettre le citoyen, l'usager, le malade, on dit quelquefois, mais plus globalement le citoyen. au cœur de nos réflexions. Et donc, comme je peux encore le faire, je vous souhaite une bonne année, une bonne santé physique et mentale. Voilà, et merci au Forum de nous permettre de nous accompagner. Je suis persuadé que participer au Forum, ça va améliorer notre santé mentale. Voilà, merci à toutes et tous.

  • Speaker #1

    Voilà, nous accueillons Madame Pia Ims. Présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous et à toutes et je vous salue en vos grades et qualités. Quel plaisir de voir cette année encore une salle très remplie. Cet événement maintenant bien connu, ça a été dit, qui fait référence et qui est résolument de qualité. C'est donc un... Un plaisir d'être là pour ce rendez-vous incontournable pour Bioéthique qui questionne chaque année, année après année, les enjeux décisifs pour notre société. Je voudrais saluer et remercier salueusement les organisateurs de ce forum qui est devenu un véritable laboratoire d'idées et d'échanges sur les grandes questions de bioéthique et encore une fois plus largement de société. Au fil des éditions... Vous avez pris une belle place et c'est pour cela que l'Eurométropole réaffirme son soutien d'une manière pérenne aussi. Et je remercie aussi le représentant du préfet de nous avoir aidé pour cela, puisque le financement est dorénavant inscrit dans un contrat triennal, où on retrouve tous les partenaires financeurs de ce soir d'ailleurs, ce qui permet d'imaginer avec sérénité l'avenir de ce grand forum. Le thème choisi cette année, santé mentale et bioéthique, montre bien, tout le monde le sait, que ce sujet certainement exacerbé avec la crise du Covid est aussi renforcé avec toutes les thématiques, les crises, les questionnements d'origine sociale ou environnementale. Et donc, il nous faut traiter la santé mentale avec autant d'exigences qu'on traite déjà la santé physique et le bien-être mental, on le sait bien. tout aussi essentiel à notre épanouissement que le bien-être physique pour lequel la ville, l'euro-métropole sont déjà tout à fait convaincu et s'engage pour le sport santé. Alexandre Fels connaît bien ce sujet, il en est à l'origine. Et donc, vous le savez, les troubles psychiques, au sens large, concernent environ une personne sur cinq chaque année en France. C'est devenu d'ailleurs donc la grande cause nationale. Et il faut dire sans doute que les questions de santé mentale ne doivent plus être un tabou, sans toutefois peut-être tomber dans la jonction inverse. et que l'épanouissement mental absolu et inconditionnel serait nécessaire. Il est aussi normal de traverser des phases de tristesse sans pour autant en faire une pathologie. Je referme la parenthèse. Pourtant, le poids des réseaux sociaux est là et on en fait beaucoup en fond sans doute un mauvais usage et ceci peut contribuer à ce dont nous allons parler, vous allez parler au cours des prochains jours. causes d'anxiété, causes de dépression ou d'autres troubles certainement liés à l'usage excessif des réseaux sociaux, j'en suis assez convaincue. Et donc, à l'Eurométropole, nous avons depuis plus d'un mandat maintenant mis au cœur de nos politiques publiques la question de la santé. Nous travaillons d'ailleurs sur le concept une seule santé qui englobe beaucoup d'éléments, notamment la santé environnementale, et donc qui complète. Beaucoup d'aspects de ce que j'ai déjà indiqué, par exemple le soutien au sport pour tous, mais c'est aussi la prise en compte de la réalité sociale. Nous soutenons la maison des adolescents, par exemple la maison des ados à Strasbourg, où convergent des adolescents de tout le territoire métropolitain, et pas que strasbourgeois, parce qu'il y a des décrochements scolaires, parce qu'il y a eu encore et toujours la période post-Covid. et que donc l'intelligence artificielle dont on a parlé l'année dernière se rajoute à cette réalité de perte de repère finalement. Et donc il faut savoir travailler ces sujets. Grande cause du gouvernement pour 2025, je l'ai dit, à notre niveau, nous sommes convaincus de l'intérêt d'une maison de la santé mentale qui verra concrètement le jour et qui sera inaugurée en juillet 2025 pour... Là encore, c'est une première en France pour apporter du conseil et de l'accompagnement. Parce que le réflexe serait de dire, il faut un parcours de soins en santé mentale, pas seulement. Il faut de l'aide pour faire des papiers, avoir des liens sociaux, accepter et faire comprendre sa différence, être écouté, bref, un lieu innovant qui a toute sa place, me semble-t-il, un lieu d'écoute, d'accompagnement, pour aussi changer les regards. prévenir, offrir du soutien où des professionnels sont présents. Voilà tout ce que la maison de la santé mentale va apporter sur notre territoire et je pense qu'il aura son utilité et trouvera sa place. Voilà des exemples très concrets du volontarisme, je crois, dont les élus peuvent et doivent s'emparer, sans parler d'autres aspects, lorsque l'Eurométropole soutient évidemment NextMed, qui est notre campus des technologies médicales. l'innovation médicale est également importante dans ce contexte. Pour finir, encore une fois, la santé mentale nous concerne tous et toutes. Vous avez tellement raison de mettre ce sujet en débat pour les prochains jours, aux élus aussi, et dont j'en fais partie, de prendre leur responsabilité là où ils le peuvent, trouver des pistes d'action et montrer donc de la... Vraie compréhension au sens fort du terme sur ce sujet on ne peut plus prégnant. Donc l'Eurométropole sera encore et toujours aux côtés de ces grands forums qui nous permettent de réfléchir et de débattre. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci. J'accueille maintenant M. Nicolas Matt. Vice-président représentant M. Frédéric Biéry, président de la collectivité européenne d'Alsace.

  • Speaker #4

    Mesdames et messieurs, chers intervenants, chers collègues élus, cher Israël Nizan, fondateur du Forum de bioéthique, cher Aurélien Benloïd, président du Forum de bioéthique, c'est un vrai... Plaisir de prendre la parole ici ce soir à l'occasion de ce 15e forum de bioéthique intitulé santé mentale et bioéthique. Plaisir d'y représenter la collectivité européenne d'Alsace en tant que vice-président, puisque nous avons comme collectivité, comme institution, bien des choses à dire sur ce thème. J'y reviendrai. Sachez aussi que notre collectivité, et moi-même, je me réjouis que la santé mentale ait été mise à l'honneur par le Premier ministre Michel Barnier, qui a décidé de faire de l'année 2025 l'année... de la santé mentale. La CEA, vous ne le savez peut-être pas forcément, est chef de file des politiques des solidarités comme tous les autres départements. Elle dispose d'un ensemble de leviers qui lui permettent également d'agir, soit de manière directe ou indirecte, sur la santé. Et je pense au plan santé 2024-2028 que nous avons adopté en juin 2024. et qui nous permettra d'agir notamment sur la santé mentale en investissant chaque année en fonctionnement un peu plus de 2 millions d'euros pour soutenir un ensemble d'initiatives et 1 million d'euros en investissement pour soutenir encore une fois des politiques de santé publique en lien avec la santé mentale. Alors bien évidemment, vous le savez, ce n'est pas une nouveauté, la santé est une compétence de... de l'État, bien évidemment. Néanmoins, je crois, et avec mes collègues, nous sommes convaincus que les collectivités ont quand même un rôle important à jouer et la crise de la Covid-19 l'a démontré. Nous sommes capables de cette agilité et de cette intelligence fine de territoire qui nous permet également d'agir avec pertinence au plus près de nos concitoyens. Et dans la boîte à outils dont nous disposons, je pense également à l'équipe mobile santé-précarité. qui est en œuvre depuis 2018 et qui permet d'intervenir directement sur les populations en grande précarité pour assurer autant que l'on peut un suivi de la santé mentale. Et c'est aussi pour nous, cette équipe mobile, un moyen de réduire les inégalités territoriales liées aux difficultés d'accès aux soins. Plus généralement par rapport au thème du forum d'aujourd'hui, il semble... Que la santé mentale des habitants, de nos concitoyens, soit influencée par une multitude de facteurs qui nous interrogent, nous, les collectivités territoriales, l'État bien évidemment, et finalement toute la société. Je pense à l'isolement social, à la précarité économique, à la stigmatisation des personnes souffrant de difficultés liées à leur mental. La stigmatisation peut aussi empêcher aux soins de se développer directement. L'accès aux soins, j'en ai parlé, et tout un ensemble de facteurs environnementaux liés aux conditions de vie, au stress et à d'autres facteurs qui peuvent influencer la vie quotidienne. Et si vous me le permettez, comme vice-président en charge de la jeunesse, de la collectivité européenne d'Alsace, j'aimerais dire quelques mots un peu plus précisément sur les jeunes. De la tour de contrôle du social. qu'est la collectivité européenne Alsace, je m'aperçois que notre jeunesse ne va vraiment pas bien. Plus 20% d'informations préoccupantes par an. Toujours plus de familles en crise. Toujours plus de familles à placer. Des détresses un peu partout dans le monde qui déclenchent des flux migratoires qui font arriver sur notre sol 10 fois plus de jeunes mineurs non accompagnés, 10 fois plus entre 2014 et 2024. Des jeunes qui ont parfois un parcours de vie, et le plus souvent d'ailleurs, extrêmement compliqué, parfois même traumatisant. Oui, ils souffrent par conséquent de pathologies mentales. Toutes ces jeunesses sont en crise. Cher Alexandre, nous rencontrons à la maison des adolescents du 67, et je le vois aussi dans le 68, les suicides repartent à la hausse. Il y a des choses qui ne mentent pas. Donc cette jeunesse, il faut s'en occuper. Il faut s'en préoccuper. Et comme élu, moi j'ai une conviction, si je dois agir à un niveau qui est le mien, c'est celui de la prévention. Celui de la prévention. Dans les champs de compétences qui sont les nôtres. Et je suis très heureux que nous ayons pu mettre en œuvre, dès l'année dernière, ça fait un an maintenant que nous avons du recul, un grand plan de lutte contre le harcèlement chez les mineurs. Nous avons sensibilisé plus de 10 000 collégiens. Nous avons formé nos 1280 personnels des collèges. à la détection de situations de harcèlement. Parce qu'être harcelé, c'est des portes ouvertes, cher Israël, cher Aurélien, à la dépression. au doute, à l'angoisse et peut-être au geste ultime. C'est un nouveau plan qui commence cette année aussi d'éducation à la sexualité pour briser le tabou des règles, aller dans les zones où c'est difficile pour prévenir ces situations de tension intersexe, pour que les jeunes filles et les jeunes hommes se sentent bien autant que possible dans leur corps et comprennent ces changements et puissent surtout en parler naturellement. C'est ce qu'on appelle l'action des indispensables. Mais c'est aussi... Une logique à 360 degrés qui consiste à soutenir le tissu associatif. Parce que ces jeunes ne sont pas tout le temps dans un lycée, ils ne sont pas tout le temps dans un club sportif, loin de là. Il faut les accompagner au quotidien, surtout dans les quartiers où ça ne va pas bien, pour leur montrer d'autres choses, les entraîner vers une piste d'action. C'est le soutien au centre socioculturel que nous réaffirmerons cette année, et ça j'y crois tout particulièrement. C'est la prévention en lien avec la protection maternelle infantile. Tu le disais avec force, cher Pia, et je te remercie, Les réseaux sociaux ne sont pas là que pour le meilleur. Et nous, on se doit d'éduquer, de faire de la prévention. Parce que je pense bien sûr aux images choquantes, bien sûr, mais de ma fenêtre, je pense surtout à ces parents qui ne portent plus 20 minutes par jour leurs nourrissons parce qu'ils ont le nez vissé sur leurs écrans. Et c'est un lien social, un lien parental qui ne se fait plus. Et c'est des situations de grand stress et de grande souffrance après pour l'enfant. On a déclenché Croc-écran, on a déclenché Nono et les écrans pour essayer d'apprendre aux parents à décrocher aussi des portables et accompagner les familles qui ont des adolescents, qui ont une consommation anormale d'Internet et des mésusages qui au final est délétère pour leur santé. Et c'est, cher Alexandre, tu le disais aussi avec conviction, j'ai beaucoup aimé sur la maison du Sport Santé où on travaille aussi ensemble, Nous avons lancé dans de très nombreux collèges d'Alsace une opération qui s'appelle Boostaform où on a évalué la santé physique, l'activité physique que font les jeunes, les jeunes ados pour essayer de détecter des situations problématiques. Quand on ne bouge pas, ce n'est pas bon. Un enfant qui ne bouge pas, ce n'est pas bon. Donc c'est tout un ensemble d'actions qu'on espère voir aboutir. Encore une fois, cette logique, c'est celle de la prévention, mais il y a beaucoup de travail à faire. Je vous le dis peut-être avec force, mais avec beaucoup d'humilité, le chemin est long. On a besoin de toutes les énergies, des collectivités, du monde scientifique, médical, de l'État, de la société en général. Et je pense que c'est bien l'ADN de ce forum européen de conjuguer ces forces-là, de croiser les regards pour évidemment éclairer, apprendre. On est toujours plus intelligent quand on sort du forum de bioéthique, mais surtout entraîner l'énergie sur une thématique précise. Et pour cela, je vous remercie. infiniment. Bon forum à tous.

  • Speaker #1

    Merci M. Matt. Nous accueillons maintenant Mme Nadege Hornbeck, vice-présidente, représentant M. Franck Leroy, président de la région Grand Est.

  • Speaker #5

    Merci, bonsoir à toutes et à tous. C'est également pour moi un réel plaisir de Faire partie de l'ouverture de ce magnifique forum qui existe maintenant depuis 15 ans, que la région soutient maintenant depuis quelques années. Alors si je peux avoir des mots réconfortants, parce que je sais que c'est avec toujours plus de sérénité pour le fondateur et le président de pouvoir penser les différentes et les prochaines éditions. En tous les cas, je peux affirmer que tant que je serai vice-présidente de cette région, la région accompagnera. Elle l'a déjà fait avant que je ne sois là. Elle le fera encore après. Mais en tous les cas, la région a bien conscience de la qualité de ce forum et des intervenants qui y participent également. C'est tout naturellement que vous avez les institutionnels de votre côté. En ce début d'année 2025, nous voici réunis pour évoquer ensemble une problématique, je crois, essentielle. D'ailleurs, ça a été dit à plusieurs reprises ici, donc la santé mentale et la bioéthique. Le choix de ce thème n'est pas anodin, comme le souligne d'ailleurs l'édito de cette édition. La santé mentale s'impose aujourd'hui comme un enjeu majeur, voire comme le véritable mal du siècle. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et sont éloquents. Un adulte sur six souffre de dépression en France. Le suicide est désormais la première cause de mortalité chez les jeunes. Le mal du siècle, c'est une souffrance souvent invisible, mais pourtant si réelle, qui découle de pressions constantes exercées par les différents environnements, qu'ils soient professionnels, familiaux et sociaux. C'est le poids de l'isolement que beaucoup peuvent ressentir, accentué par les crises sanitaires récentes. C'est aussi l'angoisse d'un futur incertain. dans un monde marqué par le dérèglement climatique, les inégalités croissantes et les bouleversements géopolitiques. Et ça a été là aussi évoqué précédemment. Alors nous sommes aussi dans une société qui valorise la performance, la rapidité et la productivité.

  • Speaker #0

    La détresse psychologique, souvent silencieuse, devient d'ailleurs omniprésente chez chacun d'entre nous. Directement ou indirectement, nous sommes tous concernés par cela. Ça transcende bien évidemment les âges, les milieux sociaux et bien évidemment les frontières. Donc la santé mentale est donc devenue un sujet universel, j'irais même inévitable. Il s'agira ici, dans le cadre de ce forum, d'évoquer des sujets cruciaux, comme je l'imagine en tout cas, et là encore ça a été dit, je crois que c'est un sujet très important de santé mentale, l'impact des réseaux sociaux et de l'hyperconnexion sur la santé mentale de chacun d'entre nous. Je fais partie moi de cette génération qui est naissante. et qui agrandit sans cet outil. Et je peux, alors moi je suis concernée aussi par cette problématique d'être tout le temps sur mon téléphone ou en tout cas d'en avoir énormément l'utilité pour chaque pan de ma vie finalement. Mais en tant que génération qui est née dans les années 90, je peux dire aussi qu'on n'en a pas fondamentalement besoin. Mais en tous les cas, je sais que ça en est devenu une drogue pour les uns et les autres, et que ça a un réel impact au final sur notre état mental à tous. Et je pense particulièrement aux jeunes, et ça a été dit ici par mes collègues, sur la santé des jeunes. Les jeunes vont mal, alors pas tous. En tous les cas, je crois pouvoir dire que... Au vu de l'accès important à l'information ou à la désinformation que permet cet outil, en tout cas le numérique, peut rendre nos jeunes peut-être moins épanouis et surtout plus anxieux. Et l'anxiété est quand même une problématique de santé majeure, je crois en tout cas pour notre société aujourd'hui. Il en va de notre responsabilité en tant que institutionnelle, en tant que politique, de pouvoir traiter ces sujets. Alors tout l'intérêt d'un forum tel que celui-ci, c'est de traiter ces sujets de manière plus éclairée, plus scientifique, parce que le débat public, et vous pourrez parler de la santé mentale... en politique, je crois aussi que c'est un sujet surtout en ce moment et avec ce qu'on voit, mais ce que je peux dire c'est que tout l'intérêt d'un tel forum, c'est de pouvoir éclairer le politique qui prend les décisions sur l'avenir de nos sociétés, et je crois qu'on peut être fiers de pouvoir accueillir une telle instance citoyenne, transpartisane, qui évoque les différents... sujet notamment de santé mentale, en tout cas toutes ses composantes. La région Grand Est bien évidemment est engagée en faveur de la santé mentale, la santé notamment des jeunes. Nous avons mis en place un appel à projets pour soutenir finalement les projets et les acteurs qui accompagnent les jeunes. Ça a été le cas notamment de Strasbourg, où nous avons très bien travaillé sur ce sujet-là. au niveau de la maison des adolescents. Donc c'est un enjeu transpartisan, collectif, et nous nous attelons bien évidemment à pouvoir traiter ce sujet. Et chacun, j'aurais envie de dire qu'on a tous, au-delà des institutionnels, un rôle à jouer sur ce sujet-là, puisque chacun a une sphère d'influence et chacun a un rôle à jouer. pour créer un environnement plus bienveillant et plus inclusif autour de lui. La connaissance de soi, des autres et du monde qui nous entoure est essentielle. La quête de sens aussi, pour faire barrage à tout ce qui nuit, à la santé mentale, je crois. Et nous devons là aussi collectivement œuvrer pour que chacun puisse construire son propre avenir et son propre chemin, libre des injonctions artificielles du digital. par exemple, ou des modes de pensée de nos sociétés qui s'imposent parfois à nous, et plutôt rester connecté à ce qui apporte réellement de la satisfaction et de la joie. En tous les cas, c'est ensemble, à travers nos politiques publiques volontaristes, des espaces d'échange comme ce forum, que nous pouvons bâtir un avenir qui contribue à l'épanouissement de chacun. Et en guise de conclusion, permettez-moi de citer ces mots d'Albert Camus. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. Ces paroles reflètent l'essence de notre démarche ici. Nous sommes rassemblés pour penser ensemble l'avenir de nos sociétés, avec la volonté de bâtir un présent plus éclairé, pour un futur plus éthique. Alors mesdames, messieurs, merci de votre présence et de votre contribution, aujourd'hui et dans les jours à venir. Que ces journées soient une source d'inspiration pour vous, de réflexion, mais surtout d'espoir, pour nous tous. et pour notre société ou nos sociétés. Merci à tous et très bon forum.

  • Speaker #1

    Merci et nous accueillons enfin M. Jacques Lallement, directeur de projet du contrat triennal Strasbourg-Capitale européenne, représentant M. Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est.

  • Speaker #2

    Mesdames, Messieurs, je m'associe aux salutations précédentes. Je débuterai mes propos en rappelant que l'identité européenne se forge à Strasbourg et que Strasbourg est un lieu de débat, d'échange et d'avancée, tant au Parlement européen qu'au sein des autres institutions européennes, notamment au Conseil de l'Europe où, dès ce matin, il y a eu des échanges du Forum européen de bioéthique. L'État, la région, la CEA, l'euro-métropole et la ville de Strasbourg s'associent, travaillent, collaborent. au travers du contrat triennal Strasbourg-Capitale Européenne pour conforter et amplifier la place des institutions européennes à Strasbourg qui guide l'Europe et qui guide notre pays. Ce contrat triennal passe par le soutien à des projets structurants mais aussi par des actions qui favorisent le débat public, les échanges, la défense des valeurs et d'intérêts communs qui sont partagés par tous. Je crois que le Forum L'Union Européenne de Bioéthique, qui est soutenue par le contrat triennal, illustre ce lieu d'échange sur des valeurs communes. Ainsi, le contrat triennal souhaite promouvoir des valeurs qui sont débattues par vous, l'ensemble de la société civile. La présente édition du Forum Européen de Bioéthique est soutenue par l'ensemble des collectivités, par l'État, cela a été dit. L'État a une grande diversité, à la fois par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais aussi, et je salue la représentante de l'Agence régionale de santé, qui, aux côtés des collectivités, finance ces journées depuis de nombreuses éditions, comme le contrat triennal, c'est le 15e contrat triennal. Cette fois-ci, c'est le 15e forum de bioéthique, et on peut espérer, et on le souhaite tous, que le contrat triennal continuera à soutenir le forum européen de bioéthique. Ces journées vont permettre d'avoir un éclairage sur l'équilibre entre le progrès scientifique et le respect des droits humains, équilibre délicat. Il nous incombe à tous, citoyens, professionnels, collectivités, Etats, de tracer la voie d'un futur où la santé mentale est prise en compte avec éthique et compassion. Et cela a été souligné précédemment. C'est pourquoi la santé mentale a été déclarée grande cause nationale pour l'année 2025. Cela a été réaffirmé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale le 15 janvier 2025 à l'Assemblée nationale. Quatre priorités ont été énoncées et qui s'appuient sur des actions déjà engagées par l'État en la matière, notamment la feuille de route nationale psychiatrie et santé mentale 2018-2026. Les journées du Forum européen de la bioéthique, qui questionnent les implications morales et éthiques des progrès médicaux et scientifiques, trouvent une résonance particulière dans le domaine de la santé mentale. Cependant, ces innovations posent des questions éthiques majeures. Comment garantir que les traitements respectent la dignité et l'autonomie des patients ? Quelles sont les limites de l'utilisation de la technologie invasive sur le cerveau humain ? Quels sont les traitements adaptés ? quels sont l'usage des nouvelles technologies comme ça a été souligné précédemment auprès des jeunes. Mais il est aussi essentiel de veiller à ce que les progrès en santé mentale ne creusent pas davantage les inégalités. On peut souligner les actions des collectivités aux côtés de l'Etat pour lutter sur ces inégalités. La bioéthique nous invite à réfléchir aux normes et aux valeurs qui guideront ces innovations pour qu'elles soient au service du bien-être de tous. Ainsi ces journées apporteront un éclairage sur ces questions qui nous touchent tous. sur notre territoire, mais aussi sur le territoire national et au sein de l'Union européenne. Que ces journées soient riches de débats, de conclusions et de préconisations pour l'ensemble de l'Union européenne. Je vous souhaite de bons échanges et surtout de très très belles journées de Forum européen de bioéthique.

  • Speaker #1

    Nous avons la chance et l'honneur de recevoir M. le professeur Raphaël Gaillard pour ouvrir ce forum sur la santé mentale. Vous qui avez écrit sur des sujets qui nous occupent régulièrement au Forum européen de bioéthique comme l'homme augmenté et l'intelligence artificielle. La lecture de votre page Wikipédia renseigne sur les multiples cordes que vous avez à votre arc ou plutôt à votre violon. Et ce soir, ce sont vos cascades de psychiatre bien sûr et d'écrivain qui nous intéressent au premier plan. Le professeur Gaillard dirige le pôle psychiatrie de l'hôpital Saint-Anne et préside la fondation Pierre Dénicaire qui oeuvre pour la recherche en santé mentale et une meilleure connaissance des troubles psychiques par le grand public, objectif que nous allons également poursuivre pendant ce forum. Monsieur Gaillard est également l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Un coup de hache dans la tête, dans lequel il fait le lien entre folie et créativité. Il a été élu à l'Académie française en avril 2024. Médecin et penseur donc. Penser la médecine, c'est la raison d'être du Forum européen de bioéthique. Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir pour avancer ensemble vers cet objectif commun. Et nous vous écoutons, M. Gaillard, pour ouvrir notre forum sur la santé mentale et la bioéthique.

  • Speaker #3

    Merci beaucoup. Merci vivement pour votre invitation pour prononcer cette conférence d'ouverture du Forum européen de bioéthique. Alors longtemps, j'ai lu le programme avec ce sentiment qu'il devait y avoir à Strasbourg la convergence de ce que l'Europe... à de plus heureux, la sédimentation d'une pensée juste, irriguée par la culture de ce continent, l'effet de ces brassages également, pour donner un si passionnant programme. Et chaque année, je regrettais de ne pas assister au Forum européen de bioéthique. Je vivais à ma façon un FMO, un Fear of Missing Out, cette peur de rater quelque chose qui ramène chacun sur son écran de téléphone dit intelligent. Mais c'était bien davantage justifié que le scrolling qui fait parcourir à nos pouces 100 km par an, c'est dire si je suis honoré et heureux d'être ici. Merci encore. Alors dans le même temps, j'ai un léger flottement. Celui que je dois à ma grippe, qui a succédé à un Covid, j'y reviendrai. Et celui que je dois aux instructions reçues, j'ai, paraît-il, toute liberté. Ce qui ne peut que m'angoisser, et je pense aux mots d'André Gilles, il en sera question demain peut-être dans la session sur la créativité, l'art n'est de contrainte, vie de lutte, émeure de liberté, me voilà bien parti. Alors ce d'autant que le piquette que je suis sait bien que ce qui dans les mots, ou pire dans le silence, sous couvert de liberté, peut contraindre. Ainsi me suis-je entendu dire qu'il m'était possible de projeter un diaporama, que le dernier conférentiel ayant fait était Laurent Alexandre, façon donc de me demander de choisir mon camp, celui de la technologie, celui du triomphe de l'IA dans la guerre des intelligences, ou bien me passer d'un diaporama, mais pas de mon ordinateur, bien sûr. En guise de liberté donc, je n'avais guère le choix. Alors cela étant, je me suis permis de m'octroyer quelques libertés pour planter le décor de la santé mentale, le thème de cette session, et déminer quelques pièges qui, peut-être, menacent notre réflexion en la matière. Car l'enfer est pavé de bonnes intentions, et il vaut mieux, pour filer la métaphore des pièges, lever d'emblée quelques lièvres. Alors première difficulté, elle a dû susciter quelques débats. Nous avons entendu cette question esquissée dans les mots d'introduction. Faut-il parler de santé mentale ou de psychiatrie ? Le programme fait résolument le choix de la première, la santé mentale. Le CCNE, le Comité National d'Éthique, lui fait le choix dans sa récente alerte, son avis 147, récemment publié, de la psychiatrie. après de nombreux débats à ma connaissance. Ma première réaction est de m'inquiéter du risque d'édulcoration que représente le choix de la santé mentale. À présenter les choses positivement, on évite de regarder ce qui cloche. On ferme les yeux devant la souffrance, on passe son chemin et c'est justement ce qu'induit par la stigmatisation La santé mentale sous la forme des troubles mentaux, c'est-à-dire la psychiatrie. En anglais, on parle de sugar coating, cette façon d'enrober de sucre pour adoucir une mauvaise nouvelle, d'édulcorer donc. Et c'est d'autant plus un risque que c'est une tendance lourde que l'OMS n'hésite pas à incarner. Songeons à sa définition, à mes yeux mégalomaniacs de la santé, je cite, état de bien-être physique, mental et social. Qu'elle se pique de social en a choqué certains, je ne suis pas de ceux-là, mais qu'elle fasse du bien-être, l'objectif à atteindre est lourd de conséquences. J'ai comme beaucoup appris la médecine accompagnée par la définition de Leriche, la santé c'est la vie dans le silence des organes. Et que cette définition du silence est parfois difficile à atteindre dans l'exercice quotidien des médecins. Quand les organes grincent, s'enrayent, empêchent, handicapent et surtout se font entendre par la douleur, par la souffrance. Et là, il faudrait donc viser plus haut encore, non seulement le silence des organes, que tout malade saluera déjà comme l'expérience d'une félicité, mais le bien-être, au risque de constater que s'est instaurée une dictature à laquelle, en fait, bien peu résiste. Je vis sous le plus dur des despotismes celui que l'on s'impose à soi-même a pu écrire un certain Balzac. Oui, mais voilà, tout le monde n'aspire pas à cette tyrannie. Tout le monde n'est pas Balzac. Au reste, Balzac était-il dans un état de bien-être, physique, mental et social, lorsqu'il s'échappait ? de ses créanciers par la porte arrière de son hôtel, qui n'était pas son hôtel particulier, lorsqu'il tentait de faire fortune dans les plantations d'ananas, en plein Paris ou presque. Heureusement pour nous, non. Lorsque la OMS s'aventure plus spécifiquement du côté de la santé mentale, elle n'a guère la main plus heureuse. Elle nous dit ainsi en 2001, je cite, La santé mentale correspond à un état de bien-être, à nouveau, mental, en circonscrit, qui nous permet de faire face aux sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Tout ça. Nous y retrouvons le même travers donc du bien-être, mais aggravé de l'ambition de, je cite, réaliser son potentiel potentielle, avec de pareilles définitions, qui donc peut se prétendre en bonne santé mentale ici dans cette salle, pas moi en tout cas. Ou plutôt cette seule définition n'est-elle pas susceptible de nous plonger dans les affres de la frustration relative née de ce que nous observons chez les autres et que nous n'aurions pu obtenir en nous plongeant dans les tourments de la comparaison, celle qui indexe chaque chose. par un selfie pour surenchérir sur le grand marché des indices de bonheur et de réussite. Voilà la tyrannie, celle du bien-être, pour s'accomplir, forme de coaching de vie, plutôt donc que de santé. Alors commençons par parler de ceux qui souffrent de troubles mentaux, de maladies mentales, de troubles psychiques. Commençons par parler de souffrance. Un français sur cinq. est concernée, vous connaissez les grands chiffres, la schizophrénie affecte un peu moins d'un pour cent de la population générale, les troubles bipolaires deux pour cent, une personne sur cinq connaîtra au cours de sa vie un épisode dépressif caractérisé pour ne citer que ces trois maladies. Je n'exclue pas le vocable de santé mentale. Je comprends même le choix de présenter positivement les enjeux en question. Mais pas si c'est pour laisser de côté des premières personnes concernées, les patients, leur famille, les soignants qui les accompagnent. En tant que psychiatre, évidemment, je suis susceptible d'être biaisé du côté de la psychiatrie. En fait, en tant que psychiatre, je suis vissé, arrimé à la psychiatrie. Le pôle dont j'ai la responsabilité, à Sainte-Anne, reçoit 12 000 patients par an. C'est énorme et en même temps, c'est une simple goutte. d'eau dans l'océan de la santé mentale et de la psychiatrie. Je sais l'immense souffrance qui affecte les patients et je ne voudrais pas ici que pendant ce forum européen de bioéthique, nous risquions de ne pas être à la hauteur de cette souffrance pour nous réfugier derrière quelques effets de mode, quelques édulcorants, quelques prêtres à penser qui sortent sur une vague qui mérite la plus grande rigueur, en fait le plus grand respect. Le deuxième thème que je voudrais aborder est celui du soin. et notamment celui de la thérapeutique, qui est elle-même stigmatisée. Elle fait l'objet de nombreux procès, dont le premier tient à notre indéfectible dualisme. Chassez-le et il revient au galop. Nous sommes en permanence dualistes, y compris ceux qui prétendent ne pas l'être, y compris moi-même donc, de sorte qu'il ne s'agit pas de ne pas être dualiste, mais de faire l'effort constant. de juguler notre dualisme. Pour certains, il y aurait tout de même d'un côté l'esprit, armé du langage, le logos, et de l'autre le corps et sa mécanique triviale. Cette dichotomie n'a aucun sens, c'est une aporie, d'un point de vue logique, sauf à revendiquer que l'esprit est d'une autre nature que le corps, ce qui lui suppose encore une nature, et donc une substance. Bref, je le redis, cela n'a aucun sens. Et la semaine dernière, un conférencier du Congrès de l'Encéphale nous apprenait à juste titre que la seule façon crédible de tenter de dissocier le corps de l'esprit à la française, c'était encore la guillotine. Et encore, j'ajouterais que cela suppose qu'il persiste un esprit dans cet encéphale séparé du corps, j'en doute. Pour ce qui est des soins, il n'y a pas d'un côté la parole et de l'autre l'ordonnance. C'est une vue de l'esprit germano-pratine. une maladie parisienne hélas bien répandue, que même la psychanalyse réprouve aujourd'hui. Au quotidien exercé de la psychiatrie, tout psychiatre vous dira qu'il s'agit non d'une opposition, mais d'un cercle vertueux. Le plus souvent, le traitement médicamenteux permet un suivi psychothérapeutique qui lui-même donne accès à de tout autre développement, y compris d'ailleurs dans certains cas, et dans un second temps, le fait de se passer du traitement médicamenteux. Et aujourd'hui d'ailleurs l'essor des psychédéliques démontre encore mieux ce cercle vertueux puisque vous savez que l'usage des psychédéliques requiert une psychothérapie de sorte que nous devrions même considérer que l'expérience est de l'ordre de la psychothérapie augmentée par la substance qui est la substance psychédélique. Deuxième charge contre la thérapeutique, la question de la chimie. On voit partout, dans les médias et surtout sur les présentoirs des parapharmacies, se multiplier les compléments alimentaires et autres promesses de, je cite, bonne santé mentale La demande d'ailleurs du grand public est majeure. Le marché est estimé à l'heure actuelle à 150 milliards dans le monde et à 250 milliards d'ici 4 ans. Et dans nos consultations, tout est fait pour éviter les psychotropes, pour leurs préférées plantes, poudres, vitamines, qui prétendent faire aussi bien. Rappelons-le, si la santé mentale est en effet conditionnée par l'alimentation, et la démonstration est forte, le niveau de preuve est fort, il faut en avoir conscience, cela ne signifie pas qu'un trouble psychique puisse se soigner par l'alimentation. La causalité va dans un sens mais pas dans l'autre. En pratique d'ailleurs, en comparaison directe avec les psychotropes, les compléments alimentaires et autres poudres sont à peu près sans efficacité. Par contre, les effets secondaires existent. Un de mes patients a partiellement détruit ses reins avec la glucosamine, qui est très couramment utilisée, qui était censée améliorer son arthrose. Le nombre de transplantations hépatiques après la consommation de plantes ou de compléments alimentaires a été multiplié par 8 en 25 ans aux Etats-Unis. À choisir, il me semble plus prudent de choisir une molécule dont les conditions de fabrication sont strictement surveillées. On appelle ça un médicament. plutôt que des offres qui tiennent avant tout du marketing, sous couvert de quelques données scientifiques qui ne pourraient satisfaire aucune autorité de régulation. En fait, qu'on se le dise, tout est chimie. La ciguë, qui donne la mort au philosophe Socrate, devait être parfaitement bio. Et la cicutine, son alcaloïde toxique, est bien une molécule et non une vue de l'esprit. Le dualisme à l'œuvre. Encore et toujours. Et si je parviens à vous parler, ce soir à 7h, malgré donc le Covid il y a 15 jours, la grippe la semaine dernière, rien que vacciné, et je ne suis plus contagieux selon la virologie. Sans jamais pouvoir m'arrêter une seconde dans des semaines de 80 heures, c'est que coule dans mon sang cette substance qui me donne l'illusion de l'énergie, la caféine. Talleyrand le dit, noir comme le diable, chaud comme l'enfer, pur comme un ange, doux comme l'amour, qu'est-ce le café ? Dans son traité des excitants modernes, Balzac s'extasie, toujours Balzac, je cite, dès lors tout s'agite. Les idées s'ébranlent comme les bataillons de la grande armée sur le terrain d'une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées. La cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop. L'artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses. Les traits d'esprit arrivent en tirailleur. Les figures se dressent, le papier se couvre d'encre, car la veille commence et finit par des torrents d'eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. Mais voilà, à nouveau, il faut faire le constat que tout le monde n'est pas balzac. En ce qui me concerne, ce feu de paille sera suivi par cette fatigue incommensurable que je traîne avec moi depuis 15 jours faute de repos, celle qui me fera d'ailleurs m'esquiver après cette conférence en faisant l'expérience amère des psychostimulants. Grande question. Après la fête, la défaite, il faut en payer le prix. Tout est chimie, vous disais-je. Et tout le reste n'est qu'une fiction qui vise à nous divertir de cette vérité, à coup de contre-vérité, faribole et espèce sonnante et trébuchante. Je voudrais poursuivre par la question initiale, en fait, celle de la fréquence des troubles mentaux. Pourquoi sont-ils si fréquents ? Une personne sur cinq concernée en France, 1% de la population de l'Arche, je reprends juste ces chiffres pour ne pas en utiliser d'autres, mais il y en a des dizaines d'autres. souffre de schizophrénie, 2% de troubles bipolaires, une personne sur cinq souffrira d'un trouble dépressif caractérisé, épisode dépressif caractérisé, c'est-à-dire un nécessitant de prise en charge spécifique, pas forcément médicamenteuse, elle peut être psychothérapeutique ou les deux, au cours de sa vie. Donc c'est extrêmement fréquent. Puis une autre caractéristique essentielle, c'est que ces troubles, ces grands troubles, ont à peu près la même incidence, la même fréquence, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes. Comme si nous les trimballions avec nous, les êtres humains que nous sommes, que nous soyons des Inuits, des Strasbourgeois ou des fermiers d'Arkansas. Ce qui est toujours très surprenant, parce que, je l'ai dit, ce qui marque avant tout ces troubles, c'est la souffrance, c'est le handicap, c'est tout le cortège de souffrance, de limitation. qu'imposent ces troubles et donc pas davantage dans les termes consacrés de notre réflexion darwinienne à ces troubles. Alors pourquoi cette fréquence élevée et pourquoi cette relative constance au travers de l'humanité ?

  • Speaker #0

    On tourne beaucoup autour de cette question, je pense que tout psychiatre, au-delà de tout psychiatre, tout patient, au-delà de tout patient, toute personne entourant un patient, se pose cette question, pourquoi c'est aussi fréquent, pourquoi ça affecte autant de personnes ? Et dans notre réflexion est venue relativement récemment, c'est-à-dire dans les cinq à dix dernières années, l'idée que c'était... au fond la contrepartie du fonctionnement de notre cerveau. Alors cette idée était une vieille idée de la philosophie, j'y reviendrai, mais elle a été renouvelée par des données expérimentales, des données neuroscientifiques, montrant par exemple que le codage de l'information dans le cerveau d'un primate non humain, c'est-à-dire d'un singe, si on le compare au codage de l'information dans le cerveau d'un primate... humain, c'est-à-dire vous et moi, eh bien, il est beaucoup plus robuste, il est plus simple, mais il est beaucoup plus robuste. Quand le nôtre est plus efficient, c'est-à-dire qu'en fait, il transporte beaucoup plus d'informations, il est plus informatif, il est plus complexe, mais cette complexité le rend plus fragile. D'un côté, le singe, robustesse du signal, simplicité du signal, et de notre côté, complexité, informativité et faiblesse, fragilité de ce signal. Et en fait, dans le cerveau, il en faut de très peu pour que le code soit altéré et que la transmission de l'information d'un lieu à l'autre du cerveau soit altérée. Il en faut de très peu, en fait, il suffit d'une microseconde de décalage. pour que ce que produit votre cerveau, par exemple, puisse être perçu non comme une production de votre cerveau, mais comme quelque chose qui vient de l'extérieur de votre cerveau. Ce que j'ai décrit à l'instant présent, c'est en fait l'expérience d'une hallucination. Mon propre cerveau, les régions de mon cerveau auditives s'activent et il existe un micro-décalage avec d'autres régions du cerveau, singulaires notamment. qui vont faire considérer que ce que produit ce cerveau est en fait la transformation d'un signal qui vient de l'extérieur et non l'activité interne de ce cerveau, l'activité endogène de ce cerveau. Il suffit d'un micro-décalage dans la transmission du signal pour que ça change. En fait, la complexité du signal est telle qu'il est faillible, il y a des bugs et... À certains moments, nous en faisons l'expérience sous la forme des troubles mentaux. Et l'une des explications que nous considérons aujourd'hui à l'immense fréquence des troubles mentaux, c'est celle-ci, c'est que nous payons le prix de la puissance de notre cerveau. Notre cerveau, je peux le dire autrement, ne se supporte plus. À ce niveau de complexité, à ce niveau de puissance, il y a des bugs. Et ces bugs, nous en faisons collectivement l'expérience sous la forme des troubles psychiques. On peut se demander d'ailleurs si, dans la perspective de l'augmentation de cette puissance, l'augmentation du cerveau, ce prix à payer ne sera pas plus élevé encore. Dans les mots d'introduction de cette session, nous avons entendu plusieurs fois parler des enjeux de notre hybridation, que je qualifie de faible. celles qui nous lient à nos objets connectés, qui sont déjà des modalités d'augmentation, qui seront demain d'une autre puissance encore avec des modalités d'hybridation dites fortes, c'est-à-dire qui amèneront à ce que cette technologie soit même dans notre cerveau et pas seulement au travers d'objets connectés qui sont extérieurs à notre cerveau. On peut se demander déjà si nous ne voyons pas aujourd'hui les effets secondaires de cette hybridation faible. Il y a quelque chose qui semble se profiler, malheureusement. J'ai dit que les grands chiffres de la santé mentale ou des pathologies, la psychiatrie était relativement constante, mais certains troubles semblent augmenter. La dépression et les troubles anxieux essentiellement, pour ce qui est des données françaises. Avant le Covid, l'incidence de la dépression a augmenté sur la décennie précédente de 2%. de 3% donc on est à plus 5% sur 15 ans et vous savez qu'il y a une population qui est beaucoup plus touchée que les autres c'est celle des jeunes de façon très inquiétante puisque là on n'est pas passé de 8% à 13% mais on est aujourd'hui à 22 23% donc on est au double et on peut remonter encore dans le temps, les adolescents sont encore plus fragiles et puis on voit même apparaître une fragilité chez les pré-adolescents alors que la psychiatrie a longtemps considéré que les pré-adolescents c'était un moment très simple à tel point d'ailleurs que nos collègues psychanalystes parlaient de période de latence il ne devait rien se passer, un gamin de 9 ou 10 ans était... un peu obsessionnel, s'intéressant à l'histoire, mais n'embêtant pas ses parents, loin des turbulences de l'enfance et avant les tourments de l'adolescence. Alors on sait aujourd'hui, nous voyons arriver dans les services d'urgence des pré-adolescents ayant des idées suicidaires. Donc il se passe quelque chose, peut-être que c'est un effet secondaire, peut-être que c'est autre chose, peut-être que c'est la fin des grands idéaux, la fin d'un modèle du monde, peut-être que c'est le fait que la Terre est en train de rôtir, peut-être toutes sortes d'explications. Je fais partie de ceux qui s'interrogent quand même sur les effets de notre hibridation et ses effets secondaires. Toujours est-il que cette question de l'augmentation de l'homme, à laquelle je fais référence, en indiquant qu'elle porte sur cet organe bien particulier qu'est le cerveau, celui qui nous consacre comme homo sapiens, cette augmentation, elle est quelque chose qui en fait est consubstantielle à l'homme et ne date pas des technologies en question. Je vous ai dit tout à l'heure que les sciences venaient renouveler une position ancienne de la philosophie. Je peux reprendre la position de la philosophie. Je vous ai dit que le cerveau ne se supporte plus, je vous ai parlé du codage, mais je pourrais le dire dans des termes plus philosophiques. Le seul fait que nous nous représentons le monde par la pensée fait que nous sommes des orphelins de ce monde, que nous n'avons pas dans les mains ce monde mais les représentations que nous manipulons de ce monde. Et ça c'est une caractéristique des êtres humains que nous sommes, que de devoir faire avec le fait que nous sommes coupés du réel par le seul fait que nous pensons. La philosophie l'a dit, ou les philosophes l'ont dit, de maintes façons, et je ne vais pas vous infliger de les citer les uns après les autres. Notre chute du paradis, c'est peut-être celle-là, en fait, c'est d'avoir commencé à penser, avec d'ailleurs un rôle bien particulier du langage dans la pensée, puisqu'il donne forme à notre pensée. Et donc si nous sommes coupés du réel, orphelins du réel, nous sommes en même temps fils du langage, puisque ce langage donne forme à nos cerveaux. Je voudrais terminer. Par la question de la technologie, justement, je vous ai dit mon inquiétude quant aux effets secondaires de la technologie. Et en même temps, je fais partie de ceux, et je crois qu'il faut le dire en ce lieu, dans un forum de bioéthique, qui pensent qu'en même temps que les effets secondaires sont à attendre, à savoir davantage encore de troubles mentaux par cette nouvelle façon. d'augmenter l'homme sur un cerveau qui ne se supporte déjà plus, nous avons quand même l'expérience de l'hybridation de notre cerveau. Et cette expérience de l'hybridation de notre cerveau, elle est justement le fait de notre rapport au savoir, notre rapport au langage notamment, qui nous accompagne depuis un certain temps, et notamment... sous une forme bien particulière qui est celle de la naissance de l'écriture depuis à peu près 5000 ans. Parce que là, c'est passé quelque chose qui relève aussi de l'hybridation. À partir du moment où nous nous sommes mis à écrire, nous avons décidé d'externaliser notre savoir, de le déposer en hors de nous. Et à ce titre, le livre est... Pas loin d'être le premier disque dur externe, il est quelque chose que l'on externalise, que l'on met hors de soi, et nous le réincorporons par la lecture, ce qui n'est pas un exercice anodin, avec toutes sortes d'effets secondaires, là aussi, on pourrait le reprendre autour de l'histoire, je résumerais juste par une expression géniale du romancier Daniel Pénac, lorsqu'il parle des maladies textuellement transmissibles. Il y a des maladies textuellement transmissibles, Emma Bovary, Don Quichotte, entre autres, et plein d'autres, mais dans l'ensemble, ça a été une grande réussite. Et il s'est passé, c'était le thème de votre forum l'année dernière, quelque chose d'assez fascinant, c'est que... L'intelligence artificielle, la dernière en date, Tchad-GPT, est venue à nouveau confirmer la puissance de cette hybridation. Et que nous ne le dirons jamais assez en fait. Nous sommes aujourd'hui dans un rapport d'hybridation à Tchad-GPT, mais en amont de notre rapport à Tchad-GPT, qu'est-ce qui a rendu intelligent un simple réseau de neurones construit en imitant notre cerveau ? Eh bien ça n'est pas d'avoir vu des millions d'images, c'est d'avoir lu des millions de pages. Et la démonstration la plus puissante de cette hybridation par la lecture, des effets de la lecture sur le cerveau, in silico en l'occurrence, c'est justement l'arrivée de l'intelligence artificielle sous cette forme, celle des IA génératives. Alors, pourquoi je vous dis ça ? Parce que je vous dis, fréquence des troubles mentaux, Je vous dis que c'est la caractéristique des homo sapiens que nous sommes, et puisque c'est le prix à payer de notre humanité, et bien ces personnes qui souffrent de troubles mentaux, il ne faut pas les mettre en dehors de notre humanité, mais vraiment au cœur de notre humanité. Ils sont les témoins de ce que nous sommes collectivement comme homo sapiens. Demain, il y a tout à craindre. d'une augmentation de ces mêmes troubles mentaux par l'augmentation de la puissance de notre cerveau par ces technologies que nous ne pourrons pas nous empêcher d'utiliser pour nous augmenter. Et donc il faut l'anticiper et il est heureux qu'un forum y soit consacré. Et dans le même temps, il se trouve que cette technologie elle-même vient témoigner de la puissance de ce qui a fait nos cerveaux. c'est-à-dire cette hybridation primordiale, celle de la lecture et l'écriture, qui peut-être nous montre le chemin, nous montre ce qui nous permettrait de nous arrimer à quelque chose qui nous permettra de voyager plus sereinement dans cette nouvelle aventure de l'humanité, son rapport aux technologies, dans son risque aussi, ce risque... systémique qui a été évoqué tout à l'heure, celui de la santé mentale, celui de la psychiatrie. Au fond donc, dans le même temps où nous allons vers la technologie au risque de notre santé mentale, la même technologie vient nous rappeler ce qui constitue nos cerveaux, à savoir cette hybridation qui a fait l'histoire de l'humanité. J'achève ici cette... Courte introduction, en comprenant donc, tout en la prononçant, cette conférence, pourquoi je ne devais pas utiliser de support de type diaporama. Pas d'image, que des paroles. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci monsieur Raphaël Gaillard. Il me revient maintenant de vous annoncer le second intervenant de ce soir, Aurélien Benoît-Lide, président du Forum européen de bioéthique. Il est médecin neurologue, spécialité dont il aime à dire qu'il l'a choisi pour sa proximité avec la psychiatrie, plus ou moins marquée tout au long de l'histoire de la médecine. Diplômé de neurosciences et d'hypnothérapie, Son parcours est le reflet d'une réflexion poussée sur les frontières de ces deux disciplines et leurs interactions sans cesse questionnées. Nous écoutons Aurélien pour ouvrir cette nouvelle session du Forum européen de bioéthique sur la santé mentale. Merci. Alors, note pour plus tard, ne jamais passer après un académicien, surtout quand on n'est pas d'accord avec lui. Après l'activité physique et sportive en 2024, c'est au tour de la santé mentale d'être mise en lumière et labellisée grande cause nationale par notre ancien Premier ministre Michel Barnier. Je m'en réjouis, évidemment. Sans être parfaitement certain de ce que recouvre le terme de santé mentale, je suis, en tant que médecin et citoyen du monde, conscient des carences et des manques dont souffre la discipline. Depuis que j'ai commencé les études de médecine, j'entends parler de la crise de la psychiatrie et des différents plans mis en œuvre pour lui porter secours. Le tout récent avis n°147 du Comité Consultatif National d'Ethique nous alerte, décrivant une crise grave, profonde et systémique, associant une offre de soins largement saturée, une qualité de soins qui se dégrade faute de moyens adaptés, de très longs délais d'attente pour des soins chroniques, une très grande disparité territoriale, une crise de la démographie médicale et de l'attractivité de la discipline, une difficulté à recruter des soignants, des conditions d'accueil souvent indignes, dans des établissements vétustes ainsi qu'une banalisation et un déni de l'état actuel du système des soins en psychiatrie. C'est dire si le sujet de la crise de la psychiatrie est brûlant, qu'il impose le respect et qu'il nous occupera une bonne partie de ce forum européen de bioéthique. Mais ce n'est pas la crise de la psychiatrie qui a été décrétée grande cause nationale, mais bien la santé mentale. Or il y a, dans le coup de projecteur sur la santé mentale, un effet paradoxal. qui, à l'instar de la physique quantique, il suffit de mettre la santé mentale sous la lumière du microscope pour modifier son état et la rendre moins compréhensible à ses observateurs. C'est pourquoi, pour introduire ce forum, je me permettrai de faire un pas de côté, peut-être un grand écart, et de vous parler d'une autre crise de la santé mentale, une crise identitaire. Selon le site info.gouv, qui annonce le décret, un Français sur cinq souffrirait d'un trouble de la santé mentale. En creux, cela sous-entendrait que quatre Français sur cinq, sur une période de vie d'environ 80 ans, n'en souffriraient jamais. Peut-on en dire autant de la santé physique ? Toujours sur le site du gouvernement, on peut lire que ce décret a pour objectif de changer les regards sur les troubles psychiques et les troubles mentaux. À ce stade, si je compte bien, il y a donc déjà la santé physique, la santé mentale et la santé psychique. Beaucoup de santé pour cette nouvelle année. Et puis, comme disait le riche, très à la mode ce soir, la santé c'est la vie dans le silence de ses organes. Qu'est-ce que la santé mentale, sinon la mort encéphalique ? Et quelle aurait été votre réaction à l'annonce d'une année 2025 placée sous le signe de la santé physique ? J'ai toujours été gêné par cette distinction faite entre la santé physique et la santé mentale. Enfin gêné n'est probablement pas le terme le plus approprié. Disons plutôt révolté. Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde, disait Albert Camus. Mais en réalité, il suffit parfois de seulement les nommer pour les dénaturer. Alors même que le sujet du forum de cette année a été choisi un an avant cette décision politique, Je crois qu'il y a dans cet effet d'annonce non pas le germe mais bien le fruit d'un problème plus profond. Un problème de santé publique à composante philosophique, une immense question de bioéthique qui mérite que l'on s'y penche au moins quelques instants. Pour ce faire, je voudrais vous raconter l'histoire d'un rendez-vous manqué. Ou plutôt de deux rendez-vous manqués. Tout d'abord, la petite histoire de mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie, qui n'a qu'une importance très relative. Puis la grande histoire du rendez-vous manqué de la psychiatrie qui, à mon avis, est beaucoup plus problématique et universelle. Pour arriver à mes fins, j'emprunterai les chemins détournés de la mythologie, de la génétique et de Darwin. Pour vous tenir en haleine, je vous promets de répondre à au moins deux questions existentielles, à savoir quel est le propre de l'homme et quel est le sens de la vie. Enfin, je vous révélerai une information personnelle d'une particulière importance. Il y aura quelques détours, de rares impasses. pas mal de rancœur et même un brin de mauvaise foi. Mais je vous le promets, je ne vais jamais quitter le précieux centre qui est de la santé mentale, enfin, je l'espère. Est-ce que vous êtes prêts ? Il était une fois, dans la cité de Gordion, au centre de l'Anatolie, c'est l'Empire perse, Gordios, un pauvre Phrygien qui n'avait pas de terre, seulement deux paires de bœufs. Un beau jour, un aigle se posa sur le jou de son char. L'animal y resta perché jusqu'à l'heure où l'on détacha les bœufs. Perturbé par ce drôle de comportement ornithologique, Gordios se rendit dans un village où les habitants, paraît-il, étaient connus pour posséder des dons divinatoires. Sur la route, il rencontra une jeune fille qui possédait elle-même ses dons, qui lui conseilla alors de retourner au même endroit et de faire un sacrifice à Zeus. Elle suivit Gordios sur le lieu du sacrifice. Évidemment, ils se marièrent et eurent un fils nommé Midas, bien connu pour changer les pneus en or. Plus tard, lorsque l'Afrigie fut traversée par des troubles politiques liés à l'élection d'un nouveau roi, toute ressemblance avec des faits récents serait fortuit, un oracle leur annonça qu'un char leur amènerait un roi, mettant terme à la guerre civile. Alors que les Phrygiens réunis en assemblée étaient encore en train de débattre, Midas s'arrêta devant l'assemblée sur son char. Les Phrygiens, interprétant l'oracle, reconnurent en cet événement la prophétie. Par conséquent, ils élurent Midas, roi de Phrygie, et celui-ci fit placer le char de son père sur l'acropole, afin d'exprimer sa reconnaissance envers Zeus pour lui avoir envoyé l'aigle. Ensuite, une autre légende fut établie. disant que celui qui réussirait à dénouer le nœud, évidemment inextricable, de Gordios, deviendrait maître de l'Asie. Enfin, au début de l'année 333 avant Jésus-Christ, c'était un mardi, quand il arriva dans la ville, Alexandre le Grand fut informé de la légende du nœud gordien et s'en passionna. Il demanda qu'on lui montre le char de Gordios. Après avoir cherché une solution, il trancha le nœud avec son épée. Depuis, l'expression nœud gordien désigne métaphoriquement un problème qui ne présente pas de solution apparente, finalement résolu par une action radicale. Par extension, la nature radicale de la solution apportée à ce problème a forgé l'expression trancher le nœud gordien Ce nœud gordien, comme tout le monde, j'ai essayé et j'essaye encore de le détricoter. Parfois avec la patience de Pénélope et parfois la manière plus radicale d'Alexandre Legrand. Obsédé par la question du corps et de l'esprit, j'ai longtemps hésité entre la neurologie et la psychiatrie. Ce qui m'intéressait, je n'étais alors qu'un jeune adulte, c'était d'étudier, éventuellement de soigner, ce qui faisait de nous des êtres humains. Chercher la flamme qui ne brûle que dans l'humanité et qu'on appelle communément le propre de l'être humain. Assurément, j'étais plus intrigué, et je le suis encore, par la noblesse de la santé mentale que par la vulgarité de la santé physique. Si on dit des yeux qu'ils sont le reflet de l'âme, le cœur et les poumons le souffle de la vie, et le système digestif comme un deuxième cerveau, j'ai éliminé tour à tour l'ophtalmologie, la cardiologie, la pneumologie et la gastroenterologie de mon champ des possibles. Rétif aux urgences comme aux bistouris, mon inclination bredouillait donc entre la neurologie et la psychiatrie, incapable de préférer l'une à l'autre. J'ai lu quelques ouvrages, qui ont sans doute orienté mes choix, de l'origine des espèces de Darwin à l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau et l'œil de l'esprit du neurologue Oliver Sacks, en passant par l'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux. Et finalement... Dans l'intempérance de ma jeunesse, et puisqu'il fallait bien choisir, j'ai tranché le nœud gordien de mes études en embrassant fougueusement la neurologie. Mais je vais vous faire une confidence. Après 20 ans de vie commune avec la neurologie, je me dis, parfois, que je ne suis pas certain d'avoir fait le bon choix. En tout cas, si je dois être parfaitement honnête, il me semble qu'à l'époque, j'ai choisi l'option la plus facile. Celle qui consistait à opter pour la discipline la plus prometteuse. Car je suis de cette génération qui a vu la médecine acquérir ses lettres de noblesse. Cette médecine qui décrit, qui cherche, qui greffe, qui répare, qui remplace, régénère et qui prévient les maladies. Du haut de mon ignorance et de mes velléités d'explorateur, Il ne restait, me semblait-il, sur le planisphère de la médecine qu'une seule véritable terra incognita, partagée en deux états aussi distincts que la Corée du Nord peut l'être de la Corée du Sud, j'ai nommé la neurologie et la psychiatrie. Et si je dis que j'ai choisi l'option de la simplicité ? C'est bien parce que la neurologie parlait la langue rassurante des sciences et de l'imagerie, tandis que la psychiatrie, en me donnant l'impression d'encore chercher sa voie, ne me rassurait guère. Mais je reviendrai plus tard sur l'évolution de ces deux disciplines. Je me suis donc lancé à corps perdu dans la neurologie, espérant y trouver la pierre philosophale qui parachèverait le grand œuvre que je m'étais fixé. Je suis même allé un peu plus loin dans le domaine des neurosciences, et je n'ai trouvé ni de réponse à mes questions. Et c'est peut-être plus grave encore, ni de questions à mes réponses. Non pas que je regrette mon choix. Il n'y a pas un jour sans que je m'enthousiasme de la neurologie. Mais je n'ai jamais trouvé dans les circonvolutions du cerveau une quelconque trace du propre de l'être humain. J'ai tout misé sur les neurosciences, et je dois avouer m'être senti déçu, voire trahi, même si en réalité je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Quand j'ai commencé à m'intéresser à la neurologie, j'imaginais que les neurosciences révolutionneraient la médecine, la neurologie, la psychiatrie et la vie des patients. Après tout, les neurosciences étaient à la neurologiste que la physiologie rénale était au néphrologue. Dans une approche mécaniciste, je pensais raisonnablement qu'à la vitesse où allaient les choses, et compte tenu des sommes considérables injectées dans la recherche, une décennie nous permettrait de venir à bout de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson, de la dépression, de la schizophrénie et des troubles de l'humeur. Les neurosciences... ou plutôt le discours qui s'y réfère, nous promettait et nous promet encore une révolution dans le domaine des maladies neurologiques et psychiatriques, dans le domaine de l'éducation, de l'égalité sociale, nourrissant le fantasme de la compréhension de l'âme humaine. A vrai dire, des neurosciences, je n'en attends plus rien. La déception n'est pas le terme le plus approprié. Je parlerai davantage de déceptivité, s'appliquant généralement à la publicité, la déceptivité d'une marque et le caractère qu'elle présente lorsqu'elle est jugée de nature à induire le public en erreur sur la qualité, l'origine ou la nature du produit. Posez-vous la question. Que vous apportent les neurosciences au quotidien ? Avons-nous révolutionné la prise en charge des maladies mentales comme nous l'avons fait du cancer ? Où sont les biomarqueurs si attendus et les innovations thérapeutiques ? Notre système éducatif est-il devenu tellement plus efficace que celui de nos grands-parents ? La société est-elle moins violente, moins égalitaire ? Les neurosciences nous permettent-ils de dire quelque chose de sensé, de nos angoisses ou de nos aspirations individuelles ? Alors certes, nous achetons plus et plus vite. Nous pourrons demain contrôler notre playlist de musique sans les mains, avec un peu d'apprentissage et mon ayant un abonnement spécial. Nous scrollons et scrollerons à longueur de journée, sacrifiant sans le savoir ce que nous avons de plus cher, le temps qui nous reste. reste à vivre. Les drogues et les comportements de plus en plus addictifs seront peut-être remboursés par la sécurité sociale ou taxés par l'État. Tandis que les grandes évolutions de notre monde, le respect du consentement, l'égalité des genres, la bienveillance éducationnelle, l'inclusion des personnes handicapées, la communication intergénérationnelle et bien toutes ces évolutions-là ne doivent en réalité pas grand-chose aux neurosciences. Trouvez-vous sincèrement que les avancées obtenues soient à la hauteur de nos espoirs ? Combien de fois par jour suis-je obligé de dire aux personnes qui viennent me voir en consultation que je ne sais pas ? Exactement le même je ne sais pas que celui que je disais il y a déjà 20 ans. Qu'il n'y a aucun traitement ou qu'ils existent mais ne fonctionnent pas. Rendez-vous compte, le meilleur traitement pour soigner les dépressions légères qui pèsent infiniment sur les finances publiques, c'est l'activité physique. Cette déception, petite sœur de la colère, n'est pas seulement la mienne. D'autres la partagent. C'est le cas notamment de François Gonon, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS, qui s'interroge sur l'usage discursif des neurosciences et de ce que l'auteur de Neurosciences, un discours néolibéral édité en 2024, appelle un neuro-essentialisme. Il révèle l'écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand public et la réalité des avancées. Plus grave peut-être, le discours idéologique des neurosciences fait du cerveau l'unique responsable de la destinée sociale d'un individu. Il y a de l'aigreur dans mon propos, je vous le concède, et ce n'est pas fini, mais on garde parfois une certaine amertume de nos rendez-vous manqués. Cependant, je n'ai pas totalement abandonné cette idée et cette quête de l'indicible humanité. Comme je vous l'ai dit, une partie de moi, aujourd'hui désabusée, restait optimiste quant aux avancées des neurosciences, espérant qu'elles trouveraient la réponse à mes questions existentielles. Mais la science ne faisait que nous déshabiller, tous les jours un peu plus, dans la lumière crue du ciel itique, jusqu'à nous laisser nus de moins en moins dissemblables des autres animaux. Darwin, il y a déjà très longtemps, semblait l'avoir deviné. Estimant qu'il n'y avait, entre l'être humain et ses plus proches cousins, qu'une différence de degré et non de nature. Dit autrement, il n'y a pas dans le nœud gordien de l'humanité le moindre fil doré. Je balayais rapidement ce qu'aurait pu être le propre de l'homme, les outils. Jane Goodell, primatologue de génie, a observé plus d'une quarantaine d'outils différents chez les chimpanzés. La conscience de soi peut-être. Les bonobos, les dauphins, les éléphants et même certaines pies sont capables de se reconnaître dans un miroir. Lire les intentions des autres. Projeter sa propre expérience sur les autres, ce qu'on appelle la théorie de l'esprit. Léger et de nombreuses autres espèces animales savent le faire. La culture alors. Cela fait 70 ans et plusieurs générations successives de singes qui se transmettent dans un endroit précis du globe une manière de laver les patates dans l'eau de mer pour leur donner un bon goût salé. Le langage. Les baleines, les singes, utilisent des combinaisons de sons auxquels ils rajoutent volontiers des suffixes pour en adapter le sens. Les émotions, le sens moral, l'empathie, le sourire ou le rire ne sont plus grâce à la magie des neurones miroirs qu'un trait d'union entre nous. et d'autres mammifères.

  • Speaker #0

    Si on tire le fil de ces constatations, on se retrouve désemparé. Si nous ne sommes que de la chair en cours de décomposition, alors il n'y a pas de sens à la vie, et peut-être vaudrait mieux-t-il abréger nos souffrances et ne pas perdre notre temps à faire de la bioéthique. Le propre de l'homme est le sens de la vie. Voilà deux questions existentielles qui nous animent, tous et pour lesquelles je vous propose une réponse. qui, je l'espère, nous permettra d'éclairer à sa manière la distinction que l'on peut faire entre la santé physique et la santé mentale. Car en réalité, tenez-vous bien, il existe une explication au sens de la vie, et celle-ci est déjà bien connue. La vie ne semble suivre qu'un seul courant, celui de la conservation et la transmission de l'information. En matière de vie, il n'y a qu'une seule information qui semble importante, et que l'on peut résumer en quatre lettres. Monsieur Mandel ? A, C, T, G. Adénine, cytosine, thymine et guanine, supportées par la molécule de l'ADN. Albert Jacquard, dans un article intitulé L'ADN et la vie disait la chose suivante. Bien que cette molécule ne soit pas plus énigmatique aux yeux d'un chimiste qu'une molécule de benzène ou d'acide sulfurique, sa structure lui apporte deux performances spécifiques ou, si l'on préfère, lui permet d'exercer deux pouvoirs dont elle a l'exclusivité. faire un double d'elle-même et gérer la réalisation d'autres molécules. Elle est à la fois phénix et chef d'orchestre. ACTG n'a pas de volonté propre ni d'intelligence. Elle porte seulement dans sa physico-chimie spécifique une sorte d'instinct de survie, archaïque mais diablement tenace. Ce sont des molécules prêtes à emprunter la forme la plus apte à survivre et ce quel que soit le prix à payer. Et qu'importe si elle doit ressembler à une cellule difforme. Une algue, un poulpe ou un énarque. ACTG sera prête à avaler toutes les couleuvres qui serviront ces projets survivalistes. Albert Jacquard poursuivait dans le même article. Le mystère de la vie a été ramené à une séquence de processus chimiques. Le mot vie, qui joue dans notre pensée un rôle fondamental. n'est qu'un cache-misère conceptuel. La découverte de l'ADN élimine toute difficulté relative au concept de la vie en fondant la distinction entre les objets inanimés et les êtres vivants non sur un principe vital mais sur la présence d'une molécule sans mystère. Mais je dois dire que sur ce point précis, Albert Jacquard et moi ne sommes pas tout à fait d'accord. Ça fait déjà deux personnes ce soir. J'estime qu'il y a dans le monde du vivant une espèce qui, sans se dédier complètement de cette définition, s'en soustrait au moins partiellement. L'être humain vise une toute autre éternité. Il est animé par la transmission d'une information bien différente de celle médiée par ACTG. Depuis la nuit des temps, l'homo sapiens déploie des monstres d'énergie pour que lui survive autre chose qu'une succession de bases nucléiques. Une information complexe, changeante et nuancée. Des pigments retrouvés sur les murs de Lascaux dont on sait qu'ils nécessitaient d'immenses sacrifices pour les acheminer. Aux murs des cathédrales que l'on baptisait au nom d'une croyance. Aux façades en verre du Parlement européen. Aux musées, aux bibliothèques et jusqu'à Internet. Le moteur de l'humanité n'est plus la conservation de l'information, mais bien la transmission et l'expansion de l'information immatérielle à travers le temps et à travers l'espace du corps. L'être humain est le seul animal au monde à s'inscrire véritablement dans une double transmission de l'information. Une information insensée si on la considère sur un plan matériel, mais qui prend tout son sens dès lors que l'on se place dans le champ plus immatériel des idées. Pour la première fois depuis 3,8 milliards d'années, ça n'est plus le diktat d'ACTG qui conditionne notre destin d'espèce, mais bien Ausha et le sens que l'on met dans les mots et les actes que l'on dit ou que l'on fait. Pour l'être humain, ACTG devient secondaire, accessoire, presque grotesque et encombrant, à tel point que certains veulent s'affranchir de sa médiocrité. S'extirper de la fatalité des hormones, de la reproduction, de l'instinct de survie pour transmettre des valeurs plutôt que des gènes. L'être humain n'est plus le mouton qui pâture mais le berger dont les élans tantôt écologiques, écocides ou démiurges ne sont que les deux faces d'une même médaille. Dès lors que l'on estime que la double transmission est une caractéristique intrinsèque de l'être humain, on se met à considérer la santé humaine d'une manière très différente. La dimension sensible, symbolique, linguistique et historique de l'individu, qu'on appelle à défaut d'avoir mieux la santé mentale ou le psychisme, n'est alors plus relégable à la lointaine périphérie de la médecine. Elle est un des deux cœurs battants de la santé humaine. On entreaperçoit alors une physiologie, une sémiologie et même une génétique d'un genre nouveau, qui se rajoutent et se superposent à la médecine physique. Tout un pan de la science de la vie que l'on n'apprend nulle part. ni au collège, ni au lycée, ni même sur les bancs des universités de médecine. Une partie importante de notre santé totalement invisibilisée et qui pourtant est à l'œuvre dans chacune de nos souffrances et de nos pathologies. Voilà en quelques mots les contrées éloignées où m'a mené mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie. Laissez-moi vous présenter à maintenant et vous raconter ce que j'estime être le rendez-vous manqué de la psychiatrie. Pour ce faire... Il est nécessaire d'appréhender un moment charnière dans l'histoire de la médecine, le divorce de la neurologie et de la psychiatrie. Durant la majeure partie du XXe siècle, la neurologie et la psychiatrie étaient considérées en France comme une seule et même discipline, la neuropsychiatrie. Tout ce petit monde cohabitait plus ou moins bien, entre là du corps et de l'esprit, comme c'est le cas dans d'autres cultures. Mais voilà qu'arrive à la fin du XIXe siècle la psychanalyse qui va rebattre les cartes. Fondée par un certain Sigmund Freud, d'abord considérée comme une simple branche de la neuropsychiatrie, la psychanalyse est une discipline qui a pour fondement d'étudier l'inconscient comme une tectonique du psychisme, qui conditionne en partie les reliefs, les paysages et les accidents de notre univers psychique. Les outils sont simples, probablement trop simples, la libre association, l'analyse des rêves, l'écoute active des patients. Pour ma part, l'idée que je trouve d'une grande modernité est celle d'imaginer que le patient ou la patiente, c'est elle ou lui qui a le pouvoir, que le médecin n'est plus le sachant universel et tout-puissant, mais seulement celui qui écoute et fait entendre, qu'une partie importante de la personne humaine et de sa santé sont parfaitement inaccessibles aux atlas d'anatomie. Mais la psychanalyse va plus loin. Elle propose une théorie générale sur le fonctionnement du psychisme et l'articule autour de certaines hypothèses comme le refoulement, le complexe d'Oedipe, la libido, la théorie des pulsions et le transfert. Freud est neurologue. Il résonne à partir du principe de la physiologie et de la physiopathologie. Parfois jusqu'à l'excès, la psychanalyse voit dans l'individu les ressorts immatériels qui conditionnent ses choix et sa santé. L'histoire aurait pu s'arrêter là. On découvre la gravité, l'interaction électromagnétique, pourquoi pas l'inconscient et certaines forces à l'œuvre de notre fonctionnement psychique. Mais vous allez voir que cette histoire va prendre une tournure plus tragique. Dans les années 60, la psychanalyse connaît un essor incroyable. Dans ces excès, elle nous invite à célébrer la victoire définitive de l'acquis sur l'inné et de l'immatériel sur le matériel. Presque toutes les chaires de psychiatrie sont désormais occupées par des psychanalystes. Or, la psychanalyse se rapproche davantage d'une science humaine que d'une science fondamentale. Et pour cause, elle s'intéresse à un appareil qui échappe à toute description anatomique. Un appareil qui, s'il emprunte sa matérialité à un réseau de neurones, ne produit pas seulement des comportements, mais aussi des idées, des actes manqués, des rêves, de l'art de la beauté ou de la perversion. La psychiatrie des années 60 est aussi agitée en interne par une marée haute d'un mouvement plus ancien et assez complexe, dit anti-psychiatrique, renforcé par l'apparution d'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault ou encore le roman Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kizé. Parallèlement, la neurologie, comme la plupart des spécialités médicales, fait sa propre révolution. Et la cohabitation avec les psychanalystes se fait de plus en plus difficile. On ne se comprend plus, chacun s'enfer dans l'enfer de sa vision du monde. Et finalement, en 1968, ce qui devait arriver arriva. Entre la neurologie et la psychiatrie, rien ne va plus. Les patients qui n'ont rien demandé à personne se retrouvent en garde alternée entre la neurologie et la psychiatrie, à devoir choisir entre la santé physique et la santé mentale. Mais ça ne s'est pas arrêté là. La psychanalyse va perdre du terrain. Et c'est un euphémisme. Les progrès de la science concernant la dimension matérielle de l'être humain sont tellement prodigieux qu'ils éclipsent tout le reste. Sans compter que la psychanalyse souffre d'un certain nombre de handicaps. C'est une discipline culpabilisante, on se souviendra de l'épisode des mères frigidaires, nécessitant un travail introspectif laborieux. C'est une discipline sale, mal encadrée, avec des excès d'interminables guerres de chapelle et une efficacité variable ainsi qu'une fâcheuse tendance à tout ramener au sexe. Jérôme Bruner, un éminent psychologue américain, Mort en 2016, disait dans son autobiographie en parlant de Sigmund Freud qu'il était davantage un dramaturge qu'un théoricien. Et cette critique nous dit, me semble-t-il, quelque chose d'absolument fondamental. La psychanalyse n'est pas une science du cerveau. Elle ne suit aucun dogme physico-chimique et dans ce sens elle est invisible aux neurosciences. Si la neuroscience consiste à comprendre le fonctionnement de la caméra, des ingénieurs audiovisuels, des logiciels de post-production, Et même du metteur en scène, la psychanalyse, elle, ne s'intéresse qu'aux dramaturges. Et c'est souvent du dramaturge dont on se souviendra longtemps après le générique de fin. Quoi qu'il en soit, la psychanalyse disparaît progressivement. A tel point qu'aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on l'appelle la psy-caca. Elle n'est presque plus enseignée de par le vaste monde. On l'invite encore, parfois, sur des plateaux télé ou à des tables rondes, comme on inviterait Fabrice Lucchini pour divertir la plèbe. Faire rêver, entendre de jolis mots avant de revenir à des sujets plus sérieux. On n'enseigne plus la psychanalyse, elle est souvent moquée, classée parmi les pseudosciences. On lui demande des comptes, on veut des résultats, des statistiques, des solutions. Autant de choses que de manière consubstantielle, elle ne peut pas fournir. Chacun en tirera ses propres conclusions. Tout cela pour dire que la psychiatrie, qui avait quitté la neurologie pour s'installer sur le divan douillet de la psychanalyse, se sépare à nouveau et se retrouve seule. Elle nourrit une haine assez irrationnelle vis-à-vis de son ex et doit une fois de plus trouver sa voie et apprendre à se réinventer. C'est précisément là, je crois, qu'il y a un rendez-vous manqué. Un rendez-vous manqué entre la neurologie, la psychiatrie et la psychanalyse ou toute autre science de l'immatérialité de l'être humain. Un mauvais divorce au lieu d'un bon vieux trouble. Et vous m'excuserez encore si je manque un peu de tempérance dans mes tropos, mais la rancœur est vive et j'observe quotidiennement les conséquences de cette évolution. Au risque d'agiter des épouvantails, je terminerai en vous donnant deux exemples, somme toute anecdotiques, puisqu'essentiellement sémantiques. J'ai découvert il y a quelques années qu'un des plus importants congrès de psychiatrie français, qui vient d'ailleurs de s'achever il y a quelques jours, s'appelle l'Encéphale. Cette année, il avait pour thématique l'esprit libre. Et à la lecture du programme, je me suis mis, une fois encore, à regretter mon choix de neurologue. Les thématiques sont passionnantes et les quelques interviews que j'ai pu regarder m'ont impressionné. Mais l'encéphale, bon sang ! L'encéphale, pour ceux qui l'ignorent, c'est l'organe qui se situe tout au bout de la coloscopie. L'encéphale, c'est le mou entre les deux oreilles et c'est la pièce de boucher qu'on laisse reposer dans l'eau toute une nuit pour la rendre plus tendre et que ma grand-mère a grémenté d'épices marocaines pour la rendre meilleure. L'encéphale, c'est le coup de hache qui tranche le nœud gordien de la psychiatrie. Pour les patients et pour le monde entier, l'attente est immense. La psychiatrie, que les psychiatres le veuillent ou non, est la seule discipline médicale capable de prendre en charge la santé mentale et la souffrance morale. Bien sûr, il y a les maladies mentales, telles que les troubles de l'humeur, l'autisme, la schizophrénie, qui sont au même titre que la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson, des maladies de l'encéphale. Mais il y a tout le reste, nous tous, ici présents. Nous souffrons tous de notre histoire et de nos liens aux autres. Et cette souffrance n'a rien d'imaginaire. Elle pèse lourd sur les finances de l'État et le moral des troupes. Et ce n'est pas un hasard si l'on se drogue plus aux antalgiques qu'aux molécules psychédéliques. De nos jours, peut-être parce que nous les médecins n'avons plus la capacité d'entendre la souffrance morale de nos patients, exprime-t-il de la douleur ? Faut-il que l'on se plaigne de notre santé physique pour qu'on se penche enfin sur notre santé mentale ? La névrose n'existe plus dans le DSM-5, qui est la classification diagnostique des maladies mentales. Pire que mal nommer les choses, et de ne pas les nommer du tout. La psychiatrie, qui étymologiquement est la médecine de l'âme, a fait le choix de l'encéphale comme d'une pierre de rosette pour sa discipline. Mais peut-on dire pour autant que la santé mentale est réductible au fonctionnement de notre encéphale ? En s'amputant de la psychanalyse ou de toute autre science de l'indicible immatérialité de la nature humaine, je crains que la psychiatrie se condamne à boiter. Et je crois que les étudiants en médecine ne s'y trompent pas. La psychiatrie reste une discipline désaffectée. Lors des choix des épreuves aux épreuves nationales classantes, qui permettent l'accès aux spécialisations, elle est choisie en 40e position sur 44 spécialités en 2023. Ce qui est constant depuis au moins 10 ans, inconcevable, quand on sait que c'est la première spécialité à avoir vu le jour, et sans nul doute, la plus belle d'entre toutes. C'est pourquoi je pense qu'à côté de la crise institutionnelle qu'elle rencontre actuellement, Elle souffre aussi d'une crise identitaire profonde et ancienne. Mais je vous rassure, la neurologie de son côté n'est pas en reste. J'en veux pour preuve l'essor de ce qu'on appelle les troubles neurologiques fonctionnels. Je cite les informations du Vidal en date du mois de juin 2024 sur les troubles neurologiques fonctionnels. Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes neurologiques tels que des malaises, des crises, des douleurs, des troubles digestifs, sexuels, ORL, moteurs sensitifs. Ils peuvent aisément être confondus avec une atteinte organique, mais diffèrent de ces dernières par l'absence de lésions ou de maladies identifiables. Ils représentent tout de même 10% des consultations. Toujours selon le Vidal, la physiopathologie des troubles neurologiques fonctionnels n'est pas complètement élucidée. Mais les études d'imagerie auraient permis de grandes avancées. Rôles des fonctions attentionnelles, propension à la dissociation, troubles de la gentilité, dysfonction au niveau des réseaux cérébraux. Encore sur le même site. Avant, on parlait d'hystérie, mais on sait bien qu'aujourd'hui, ça n'a pas de lien direct avec l'utérus. Merci le Vidal. Avant, on parlait de symptômes conversifs, mais ça ne se dit plus parce que rien ne prouve scientifiquement qu'il existe un quelconque conflit intra-psychique à l'origine des troubles neurologiques fonctionnels. Finalement, le terme de TNF a été créé pour chercher un consensus à propos de ces quelques 10% de patients et autant d'épines dans le pied des praticiens. Car les neurologues disaient c'est psychiatrique et les psychiatres disaient c'est neurologique Voilà le quotidien de l'activité d'un neurologue aujourd'hui. Ainsi sont nés les troubles neurologiques fonctionnels. Dans la vraie vie, les patients qui sortent de l'hôpital ou de consultation avec une jolie plaquette plastifiée où on leur explique à grand renfort de schémas complexes et de réseaux de neurones qu'ils ont un TNF ne comprennent rien à ces explications, pas plus que je les comprends moi-même. 100% des patients que je vois et qui sont passés par les fourches codines de la case diagnostique des troubles neurologiques fonctionnels étaient à mille lieues d'imaginer qu'il y avait un quelconque lien avec le psychisme, les traumatismes et les liens aux autres. Au moins, quand on parlait de maladies psychosomatiques, les patients réagissaient. Ils s'offusquaient, ils s'énervaient, parfois même ils nous tapaient. Bref, ils savaient de quoi on parlait. Mal nommer les choses. 10% des consultations. Je ne vous parle pas des arrêts maladie et des congés de longue maladie. Nous en sommes là en 2025. La neurologie bande les yeux de ces patients. Libre à elle de le faire. L'être humain, à la différence de l'ensemble du vivant, est un entrelac de deux brins tressés. Le nœud qui en résulte est absolument indétricotable. Pourtant, qu'avons-nous fait ? Nous l'avons tranché d'un coup d'épée. Nous avons choisi, comme nous le faisons toujours, la radicalité. Et nous sommes voués à vivre en deux dimensions, dotés d'une médecine qui n'en accepte plus qu'une. Qu'il est doux d'être neurologue et de pouvoir ne serait-ce qu'une fois de temps en temps réduire ses patients à la physiologie de leur encéphale. Voyez comme j'ai choisi la voie de la facilité. Être psychiatre c'est avoir davantage de responsabilités, car on attend de lui qu'il soigne la matière grise, autant que l'éminence grise qui préside. Peut-être l'ignore-t-il parfois, mais c'est lui qui endosse la vie sacerdotale du médecin, censé soigner l'âme de ses patients. tâche presque inhumaine au demeurant. Et lorsqu'il n'est pas à la hauteur, alors il les pousse sans le vouloir dans les bras des médecines parallèles, aux mains de praticiens plus ou moins consensueux, ou pire, aux griffes de commerciaux de supposées techniques plus ou moins dangereuses et souvent inutiles, bien que se prévalant presque toujours des neurosciences. Je crois qu'il faut de toute urgence réhabiliter la dimension immatérielle de l'être humain au sein de notre corpus scientifique et médical, sans quoi nous risquons de faire d'un rendez-vous manqué une occasion perdue. Terminé. Je vous ai promis une révélation sur ma petite personne, et vous l'avez patiemment attendue, alors je vous la lis. J'ai passé les 20 premières années de ma vie dans une forme d'indolence. indifférent au corps comme à l'esprit. Puis j'ai commencé les études de médecine et j'ai passé les 22 années suivantes à revendiquer un matérialisme radical. Mon livre de chevet, c'était l'erreur de Descartes d'Antonio Damasio. Je ne considérais l'être humain qu'à travers la matérialité de son corps physique, de sa santé physique. Je croyais que tout en lui était réductible à sa matière, aussi complexe fut-elle. Je ne croyais qu'à l'existence d'une seule et même substance dans l'univers. J'étais moniste. Moniste, c'est quand on pense qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers. Mais, peut-être parce que le monde se radicalise et que j'ai gardé dans mon adolescence l'esprit de contradiction, depuis quelques mois, voilà que je vacille sur mes certitudes, entreapercevant une nécessaire et salutaire dualité. Alors moi aussi j'ai décidé de couper ce fichu neugordien d'un coup d'épée. Le couper, comme dit Israël Nizan, fondateur du Forum Européen Bioéthique, c'est coupable. Le trancher à défaut de pouvoir le dénouer, c'est une fois encore faire le choix de la facilité. Et j'ai conscience de le faire dans le sens qui n'est pas le plus juste sur le plan scientifique. Je continue bien évidemment de croire qu'il n'y a pas le corps d'un côté et l'âme indépendante de l'autre. Mais puisqu'il faut trancher, puisqu'on m'impose de trancher, Il me semble que le dualisme est plus digne de notre condition si singulière d'être matériel et immatériel. Considérer l'être humain dans ces deux dimensions nous permet de mieux appréhender nos souffrances, nos joies, de mieux nous soigner, de mieux nous comprendre. Tant que la santé mentale ne sera qu'un label éphémère remplacé dès l'année prochaine par Dieu sait quelle autre grande cause nationale, la médecine ne fera jamais que les choses à moitié. Elle aura beau guérir, penser, régénérer, même ressusciter, elle nous laissera toujours sur notre faim. Car n'en déplaise au chevalier blanc du bio-essentialisme, nous sommes bel et bien irréductibles à nos deux dimensions. charge à nous, à nos enfants, à nos élèves, d'inventer un dualisme laïque, un dualisme éclairé, incarné, pragmatique, une manière d'allier la santé mentale et la santé physique sans jamais les confondre ou pire, les opposer. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour ces deux magnifiques interventions qui ont inauguré notre forum, qui commencera demain par une première table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté que vous pourrez suivre ici même dans la salle de l'Aubette, mais également en direct sur le site Forum européen de bioéthique. A demain, au revoir.

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Description

Forum Européen de Bioéthique 2025: Santé mentale & Bioéthique


Conférence inaugurale : Santé mentale et Bioéthique


En France, la dépression touche un adulte sur six, et pas moins de seize millions d’entre nous ont déjà utilisé des psychotropes. Entre 2019 et 2022, chez les 12-25 ans, l’Assurance maladie a observé une augmentation de 20 % des maladies psychiatriques et de 60 % de la consommation d’antidépresseurs. Chez les 25-34 ans, le suicide est désormais la première cause de mortalité. Depuis vingt ans, partout dans le monde, les problèmes de santé mentale ne cessent d’augmenter, notamment dans les populations les plus fragiles : jeunes, personnes âgées, sans-abris, détenus, femmes enceintes… C’est dire si la santé mentale est un problème de santé publique.

Pourtant, la prise en charge psychiatrique et psychologique reste encore trop souvent un « véritable parcours du combattant » (rapport du Haut-Commissariat au Plan). La psychiatrie est en crise : manque de lits, de psychiatres, d’infirmier·e·s, manque de moyens et de reconnaissance. Auprès du grand public, mais probablement aussi pour une part importante des médecins et même des institutions, la psychiatrie fait peur, au point d’être souvent reléguée dans l’angle mort de la médecine.

La « santé mentale » pose avant tout un problème de définition. Et comme disait Albert Camus en 1944 : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Si la « santé mentale » était considérée d’égale à égale avec la « santé physique », il y a fort à parier que le monde irait mieux. Imaginez seulement qu’on puisse, en France, en 2025, proclamer que l’on va faire de la « santé physique » une grande cause nationale. C’est inimaginable, car la « santé physique » est depuis longtemps déjà considérée comme le bien le plus précieux de l’humanité. Alors, pourquoi n’en va-t-il pas de même pour la santé mentale ? C’est aussi une forme de médecine à deux vitesses.

Cette année, au Forum Européen de Bioéthique, nous tâcherons d’explorer la santé mentale avec le même degré d’exigence que celui attendu pour la santé physique : évolutions diagnostiques, thérapeutiques, sociétales et juridiques…


Avec


Raphaël Gaillard, Professeur de psychiatrie, Chercheur en neurosciences, Élu à l'académie Française


Aurélien Benoilid, Neurologue, Président du Forum Européen de Bioéthique


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à tous. Dans nos rêves les plus fous du petit carteron de personnes, dont Jean-Louis Mandel que je vois arriver il y a 15 ans, si on nous avait dit qu'on aurait, 15 ans plus tard, encore des salles combles et encore cette appétence du public strasbourgeois à la bioéthique, on ne l'aurait pas cru. Quand on a parlé de bioéthique la première fois, on nous a dit mais ça c'est de la médecine, c'est de la science, ça n'intéresse pas le grand public Et justement, ce n'est pas de la médecine, ce n'est pas de la science, et chacun d'entre vous a un avis sur les sujets bioéthiques. Et depuis 15 ans, la bioéthique, si j'ose dire, nous a rattrapé. Elle nous a rattrapé dans la loi, elle nous a rattrapé dans notre vie de tous les jours. Tout le monde a un avis sur la fin de vie. sur ce qu'il faut mettre dans la loi. Nous sommes, et ces avis finissent par constituer la loi. Alors au Forum, on n'a jamais eu l'intention d'agir sur la loi, mais on a eu l'intention de donner les éléments de compréhension, les éléments scientifiques, les éléments de réflexion. Et je dois dire que depuis 15 ans, il n'y a pas eu une seule séance où même des avis contradictoires ne se sont pas écoutés mutuellement. et où la discussion n'a pas été sereine. Pour ça, je remercie infiniment le public strasbourgeois, parce que quand je vois comment ça se passe parfois dans les débats, et en particulier dans les débats bioéthiques, et parfois même dans les instances parlementaires, je me dis que parfois ça manque de sérénité, et ça manque aussi de culture. C'est donc une joie et un plaisir de vous retrouver. tous et cette année pour la première fois en dehors du streaming il va y avoir des podcasts donc vous pourrez retrouver et beaucoup d'étudiants s'en servent depuis des années vous pouvez retrouver en podcast toutes les conférences qui ont lieu au forum européen de biotique le choix de la nouvelle Troïka qui dirige le forum parce qu'il faut passer la main et la main est le... Le relais a été saisi avec très grande sagesse par Aurélien Belmoilide, qui a choisi Santé mentale et bioéthique, quel beau thème On va, pendant les jours qui viennent, explorer tous les aspects bioéthiques de la santé mentale. Je dois remercier, parce que c'est complètement unique, non seulement en France, mais en Europe, de mettre la bioéthique à la portée du grand public. Et ceci a été possible grâce aux collectivités territoriales. Au début, il y avait un labo de médicaments qui proposait Vous avez besoin de combien ? Voilà, on vous fait le chèque. Et je ne sais pas pourquoi, j'ai refusé. Bien m'en a pris parce qu'aujourd'hui, un forum de bioéthique qui serait financé par un laboratoire pharmaceutique, ça ferait bizarre. Et donc, c'est le préfet... de la région Grand Est, la région Grand Est, la collectivité européenne d'Alsace, l'euro-métropole de Strasbourg et la ville de Strasbourg, qui ont toujours tenu le Forum à bout de bras, avec toutes les difficultés qu'il peut y avoir, de budget, la complexité du montage a toujours été grande, mais nous n'avons jamais été lâchés, parce que le Forum est devenu une marque. Beaucoup de gens cherchent le programme, quand est-ce qu'il paraît, quand est-ce que les gens attendent le forum et c'est une particularité de Strasbourg. Nous avons des nouveaux partenaires, l'agence régionale de santé Grand Est nous aide, la fondation de France avec l'une de ses fondations abritées. Éthique IA, Daniel Gruson, le Crédit Agricole d'Alsace-Vosges, tous ces partenaires financent intégralement cet événement afin de le rendre accessible gratuitement au plus grand nombre. Et donc c'est totalement unique, pas seulement en France, en Europe. Il n'y a pas un seul endroit en Europe, en dehors du Forum européen de Strasbourg, où le public peut s'approcher de la bioéthique, se cultiver. comprendre la complexité des choses et sortir avec sa propre opinion et toutes les opinions se valent. Nous remercions également tous nos autres partenaires qui nous accompagnent dans l'élaboration du programme et qui contribuent à développer le rayonnement de l'événement. Et je remercie tout particulièrement Raphaël Bloch qui est ici, qui est la cheville ouvrière et qui a maintenu... techniquement et pratiquement ce forum dans la qualité qu'il avait au départ et je dirais même qu'il s'est amélioré au fil des années. Merci Raphaël, merci Aurélien, merci Maud. Pour tout ce travail, je donne la parole à Maud.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, bonsoir à tous. Alors je vais passer la parole... aux élus. Et pour commencer, M. Alexandre Fels, qui est adjoint à la maire en charge de la santé publique et environnementale, représentant donc Mme Jeanne Barzéguian, maire de Strasbourg. M. Fels.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Je vous salue toutes et tous. Je voudrais donc au nom de la maire de Strasbourg, Jeanne Barzéguian, mon nom propre, Alexandre Fels, adjoint à la maire et président du Conseil local de santé mentale. Donc vous accueillir ici, remercier bien sûr les organisateurs, notamment Israël qui a été vraiment le père fondateur et qui maintenant a pu transmettre. C'est bien, c'est important de créer, c'est aussi très important de transmettre. Voilà donc ce matin, en réfléchissant à ce que vous allez vous dire et en lisant le quotidien. Régional qu'on lit chaque matin, nous élus, dernière nouvelle d'Alsace, je me suis dit que notre santé mentale était quand même un peu complexe. Quand on a plan que Donald Trump a des propos transphobes, vous savez que maintenant les personnes qui ont transformation de genre ne pourront plus travailler dans l'armée ni dans les fonctions publiques américaines. C'est un peu difficile quand on voit que les pesticides, notamment les néocotinoïdes pour les abeilles, voudraient revenir en France. On se dit waouh, pour la planète, c'est un peu compliqué. Puis quand on voit que la ministre de l'Éducation veut revenir sur le programme d'éducation à la sexualité parce que le mot genre pourrait poser un problème. Et puis, à la fin, quand on voit que... On parle de submersion par le Premier ministre sur la question des migrants. On se rend compte que c'est complexe. Donc la santé mentale a plein de déterminants. On voit que la géopolitique, la guerre, les conflits sont bien sûr des déterminants majeurs. La question de l'environnement est bien sûr aussi quelque chose de très important dans les déterminants sur la santé mentale. Donc tous les chiffres, on reverra tout à l'heure, montrent qu'aujourd'hui on est dans une épidémie de santé mentale et que donc c'est vraiment nécessaire de travailler ensemble, de réfléchir, de questionner cette question. Alors la santé mentale, ce n'est pas forcément la psychiatrie, c'est aussi la psychiatrie, c'est aussi les malades mentaux, mais c'est de façon plus large, quelque chose qui est à la limite de la question de la normalité. D'ailleurs, qu'est-ce que c'est la question de la normalité ? Et puis, je discutais il y a quelques jours avec le professeur Dagnon, on était à la maison de la santé mentale, donc madame la présidente Piaïms nous parlera tout à l'heure. Et il disait que la limite, elle est... Elle est très ténue, en fait, en ce qui serait la normalité, et ce qui serait la santé mentale, et ce qui serait la psychiatrie. Et souvent, les gens ont du mal à comprendre ça. C'est-à-dire la stigmatisation, notamment, qui est faite sur les questions de santé mentale, et quelque chose qui vient qu'on aimerait que ça soit en dehors de nous, mais on voit bien, en tout cas, moi, ce matin, j'étais pas très bien, en fait. Donc, on peut tous avoir ces moments-là. Voilà, donc, merci beaucoup. de nous aider à réfléchir à ces questions. Et puis, la question de la santé mentale, elle est présente partout. On le voit, moi, je suis président de la maison des adolescents du Barin. Aujourd'hui, les situations sont plus nombreuses, mais surtout plus complexes. Je le vois aussi à la maison du sport santé. Vous savez peut-être que l'activité physique... est un médicament recommandé dans l'anxiété et la dépression légère. D'ailleurs, la Chalais dit que c'est la première des prescriptions. Et alors que c'était les maladies métaboliques qui étaient la première prescription, aujourd'hui, c'est les questions de santé mentale, puisqu'à Strasbourg, l'anxiété légère, la dépression, mais aussi les problèmes psychiatriques sont pris en charge par la Maison du Sport Santé gratuitement avec un accompagnement médico-sportif. Donc, on voit bien que cette diversité, cette réalité-là, nous impose une réflexion majeure. Et pour ne pas être trop long et laisser Madame la Présidente parler de l'action de la santé mentale et de la maison de la santé mentale, ce lieu, c'est un lieu citoyen. Et je pense que le Forum interroge la question du citoyen. Et c'est fondamental qu'on crée des lieux physiques ou des lieux d'échange comme le Forum pour remettre le citoyen, l'usager, le malade, on dit quelquefois, mais plus globalement le citoyen. au cœur de nos réflexions. Et donc, comme je peux encore le faire, je vous souhaite une bonne année, une bonne santé physique et mentale. Voilà, et merci au Forum de nous permettre de nous accompagner. Je suis persuadé que participer au Forum, ça va améliorer notre santé mentale. Voilà, merci à toutes et tous.

  • Speaker #1

    Voilà, nous accueillons Madame Pia Ims. Présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous et à toutes et je vous salue en vos grades et qualités. Quel plaisir de voir cette année encore une salle très remplie. Cet événement maintenant bien connu, ça a été dit, qui fait référence et qui est résolument de qualité. C'est donc un... Un plaisir d'être là pour ce rendez-vous incontournable pour Bioéthique qui questionne chaque année, année après année, les enjeux décisifs pour notre société. Je voudrais saluer et remercier salueusement les organisateurs de ce forum qui est devenu un véritable laboratoire d'idées et d'échanges sur les grandes questions de bioéthique et encore une fois plus largement de société. Au fil des éditions... Vous avez pris une belle place et c'est pour cela que l'Eurométropole réaffirme son soutien d'une manière pérenne aussi. Et je remercie aussi le représentant du préfet de nous avoir aidé pour cela, puisque le financement est dorénavant inscrit dans un contrat triennal, où on retrouve tous les partenaires financeurs de ce soir d'ailleurs, ce qui permet d'imaginer avec sérénité l'avenir de ce grand forum. Le thème choisi cette année, santé mentale et bioéthique, montre bien, tout le monde le sait, que ce sujet certainement exacerbé avec la crise du Covid est aussi renforcé avec toutes les thématiques, les crises, les questionnements d'origine sociale ou environnementale. Et donc, il nous faut traiter la santé mentale avec autant d'exigences qu'on traite déjà la santé physique et le bien-être mental, on le sait bien. tout aussi essentiel à notre épanouissement que le bien-être physique pour lequel la ville, l'euro-métropole sont déjà tout à fait convaincu et s'engage pour le sport santé. Alexandre Fels connaît bien ce sujet, il en est à l'origine. Et donc, vous le savez, les troubles psychiques, au sens large, concernent environ une personne sur cinq chaque année en France. C'est devenu d'ailleurs donc la grande cause nationale. Et il faut dire sans doute que les questions de santé mentale ne doivent plus être un tabou, sans toutefois peut-être tomber dans la jonction inverse. et que l'épanouissement mental absolu et inconditionnel serait nécessaire. Il est aussi normal de traverser des phases de tristesse sans pour autant en faire une pathologie. Je referme la parenthèse. Pourtant, le poids des réseaux sociaux est là et on en fait beaucoup en fond sans doute un mauvais usage et ceci peut contribuer à ce dont nous allons parler, vous allez parler au cours des prochains jours. causes d'anxiété, causes de dépression ou d'autres troubles certainement liés à l'usage excessif des réseaux sociaux, j'en suis assez convaincue. Et donc, à l'Eurométropole, nous avons depuis plus d'un mandat maintenant mis au cœur de nos politiques publiques la question de la santé. Nous travaillons d'ailleurs sur le concept une seule santé qui englobe beaucoup d'éléments, notamment la santé environnementale, et donc qui complète. Beaucoup d'aspects de ce que j'ai déjà indiqué, par exemple le soutien au sport pour tous, mais c'est aussi la prise en compte de la réalité sociale. Nous soutenons la maison des adolescents, par exemple la maison des ados à Strasbourg, où convergent des adolescents de tout le territoire métropolitain, et pas que strasbourgeois, parce qu'il y a des décrochements scolaires, parce qu'il y a eu encore et toujours la période post-Covid. et que donc l'intelligence artificielle dont on a parlé l'année dernière se rajoute à cette réalité de perte de repère finalement. Et donc il faut savoir travailler ces sujets. Grande cause du gouvernement pour 2025, je l'ai dit, à notre niveau, nous sommes convaincus de l'intérêt d'une maison de la santé mentale qui verra concrètement le jour et qui sera inaugurée en juillet 2025 pour... Là encore, c'est une première en France pour apporter du conseil et de l'accompagnement. Parce que le réflexe serait de dire, il faut un parcours de soins en santé mentale, pas seulement. Il faut de l'aide pour faire des papiers, avoir des liens sociaux, accepter et faire comprendre sa différence, être écouté, bref, un lieu innovant qui a toute sa place, me semble-t-il, un lieu d'écoute, d'accompagnement, pour aussi changer les regards. prévenir, offrir du soutien où des professionnels sont présents. Voilà tout ce que la maison de la santé mentale va apporter sur notre territoire et je pense qu'il aura son utilité et trouvera sa place. Voilà des exemples très concrets du volontarisme, je crois, dont les élus peuvent et doivent s'emparer, sans parler d'autres aspects, lorsque l'Eurométropole soutient évidemment NextMed, qui est notre campus des technologies médicales. l'innovation médicale est également importante dans ce contexte. Pour finir, encore une fois, la santé mentale nous concerne tous et toutes. Vous avez tellement raison de mettre ce sujet en débat pour les prochains jours, aux élus aussi, et dont j'en fais partie, de prendre leur responsabilité là où ils le peuvent, trouver des pistes d'action et montrer donc de la... Vraie compréhension au sens fort du terme sur ce sujet on ne peut plus prégnant. Donc l'Eurométropole sera encore et toujours aux côtés de ces grands forums qui nous permettent de réfléchir et de débattre. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci. J'accueille maintenant M. Nicolas Matt. Vice-président représentant M. Frédéric Biéry, président de la collectivité européenne d'Alsace.

  • Speaker #4

    Mesdames et messieurs, chers intervenants, chers collègues élus, cher Israël Nizan, fondateur du Forum de bioéthique, cher Aurélien Benloïd, président du Forum de bioéthique, c'est un vrai... Plaisir de prendre la parole ici ce soir à l'occasion de ce 15e forum de bioéthique intitulé santé mentale et bioéthique. Plaisir d'y représenter la collectivité européenne d'Alsace en tant que vice-président, puisque nous avons comme collectivité, comme institution, bien des choses à dire sur ce thème. J'y reviendrai. Sachez aussi que notre collectivité, et moi-même, je me réjouis que la santé mentale ait été mise à l'honneur par le Premier ministre Michel Barnier, qui a décidé de faire de l'année 2025 l'année... de la santé mentale. La CEA, vous ne le savez peut-être pas forcément, est chef de file des politiques des solidarités comme tous les autres départements. Elle dispose d'un ensemble de leviers qui lui permettent également d'agir, soit de manière directe ou indirecte, sur la santé. Et je pense au plan santé 2024-2028 que nous avons adopté en juin 2024. et qui nous permettra d'agir notamment sur la santé mentale en investissant chaque année en fonctionnement un peu plus de 2 millions d'euros pour soutenir un ensemble d'initiatives et 1 million d'euros en investissement pour soutenir encore une fois des politiques de santé publique en lien avec la santé mentale. Alors bien évidemment, vous le savez, ce n'est pas une nouveauté, la santé est une compétence de... de l'État, bien évidemment. Néanmoins, je crois, et avec mes collègues, nous sommes convaincus que les collectivités ont quand même un rôle important à jouer et la crise de la Covid-19 l'a démontré. Nous sommes capables de cette agilité et de cette intelligence fine de territoire qui nous permet également d'agir avec pertinence au plus près de nos concitoyens. Et dans la boîte à outils dont nous disposons, je pense également à l'équipe mobile santé-précarité. qui est en œuvre depuis 2018 et qui permet d'intervenir directement sur les populations en grande précarité pour assurer autant que l'on peut un suivi de la santé mentale. Et c'est aussi pour nous, cette équipe mobile, un moyen de réduire les inégalités territoriales liées aux difficultés d'accès aux soins. Plus généralement par rapport au thème du forum d'aujourd'hui, il semble... Que la santé mentale des habitants, de nos concitoyens, soit influencée par une multitude de facteurs qui nous interrogent, nous, les collectivités territoriales, l'État bien évidemment, et finalement toute la société. Je pense à l'isolement social, à la précarité économique, à la stigmatisation des personnes souffrant de difficultés liées à leur mental. La stigmatisation peut aussi empêcher aux soins de se développer directement. L'accès aux soins, j'en ai parlé, et tout un ensemble de facteurs environnementaux liés aux conditions de vie, au stress et à d'autres facteurs qui peuvent influencer la vie quotidienne. Et si vous me le permettez, comme vice-président en charge de la jeunesse, de la collectivité européenne d'Alsace, j'aimerais dire quelques mots un peu plus précisément sur les jeunes. De la tour de contrôle du social. qu'est la collectivité européenne Alsace, je m'aperçois que notre jeunesse ne va vraiment pas bien. Plus 20% d'informations préoccupantes par an. Toujours plus de familles en crise. Toujours plus de familles à placer. Des détresses un peu partout dans le monde qui déclenchent des flux migratoires qui font arriver sur notre sol 10 fois plus de jeunes mineurs non accompagnés, 10 fois plus entre 2014 et 2024. Des jeunes qui ont parfois un parcours de vie, et le plus souvent d'ailleurs, extrêmement compliqué, parfois même traumatisant. Oui, ils souffrent par conséquent de pathologies mentales. Toutes ces jeunesses sont en crise. Cher Alexandre, nous rencontrons à la maison des adolescents du 67, et je le vois aussi dans le 68, les suicides repartent à la hausse. Il y a des choses qui ne mentent pas. Donc cette jeunesse, il faut s'en occuper. Il faut s'en préoccuper. Et comme élu, moi j'ai une conviction, si je dois agir à un niveau qui est le mien, c'est celui de la prévention. Celui de la prévention. Dans les champs de compétences qui sont les nôtres. Et je suis très heureux que nous ayons pu mettre en œuvre, dès l'année dernière, ça fait un an maintenant que nous avons du recul, un grand plan de lutte contre le harcèlement chez les mineurs. Nous avons sensibilisé plus de 10 000 collégiens. Nous avons formé nos 1280 personnels des collèges. à la détection de situations de harcèlement. Parce qu'être harcelé, c'est des portes ouvertes, cher Israël, cher Aurélien, à la dépression. au doute, à l'angoisse et peut-être au geste ultime. C'est un nouveau plan qui commence cette année aussi d'éducation à la sexualité pour briser le tabou des règles, aller dans les zones où c'est difficile pour prévenir ces situations de tension intersexe, pour que les jeunes filles et les jeunes hommes se sentent bien autant que possible dans leur corps et comprennent ces changements et puissent surtout en parler naturellement. C'est ce qu'on appelle l'action des indispensables. Mais c'est aussi... Une logique à 360 degrés qui consiste à soutenir le tissu associatif. Parce que ces jeunes ne sont pas tout le temps dans un lycée, ils ne sont pas tout le temps dans un club sportif, loin de là. Il faut les accompagner au quotidien, surtout dans les quartiers où ça ne va pas bien, pour leur montrer d'autres choses, les entraîner vers une piste d'action. C'est le soutien au centre socioculturel que nous réaffirmerons cette année, et ça j'y crois tout particulièrement. C'est la prévention en lien avec la protection maternelle infantile. Tu le disais avec force, cher Pia, et je te remercie, Les réseaux sociaux ne sont pas là que pour le meilleur. Et nous, on se doit d'éduquer, de faire de la prévention. Parce que je pense bien sûr aux images choquantes, bien sûr, mais de ma fenêtre, je pense surtout à ces parents qui ne portent plus 20 minutes par jour leurs nourrissons parce qu'ils ont le nez vissé sur leurs écrans. Et c'est un lien social, un lien parental qui ne se fait plus. Et c'est des situations de grand stress et de grande souffrance après pour l'enfant. On a déclenché Croc-écran, on a déclenché Nono et les écrans pour essayer d'apprendre aux parents à décrocher aussi des portables et accompagner les familles qui ont des adolescents, qui ont une consommation anormale d'Internet et des mésusages qui au final est délétère pour leur santé. Et c'est, cher Alexandre, tu le disais aussi avec conviction, j'ai beaucoup aimé sur la maison du Sport Santé où on travaille aussi ensemble, Nous avons lancé dans de très nombreux collèges d'Alsace une opération qui s'appelle Boostaform où on a évalué la santé physique, l'activité physique que font les jeunes, les jeunes ados pour essayer de détecter des situations problématiques. Quand on ne bouge pas, ce n'est pas bon. Un enfant qui ne bouge pas, ce n'est pas bon. Donc c'est tout un ensemble d'actions qu'on espère voir aboutir. Encore une fois, cette logique, c'est celle de la prévention, mais il y a beaucoup de travail à faire. Je vous le dis peut-être avec force, mais avec beaucoup d'humilité, le chemin est long. On a besoin de toutes les énergies, des collectivités, du monde scientifique, médical, de l'État, de la société en général. Et je pense que c'est bien l'ADN de ce forum européen de conjuguer ces forces-là, de croiser les regards pour évidemment éclairer, apprendre. On est toujours plus intelligent quand on sort du forum de bioéthique, mais surtout entraîner l'énergie sur une thématique précise. Et pour cela, je vous remercie. infiniment. Bon forum à tous.

  • Speaker #1

    Merci M. Matt. Nous accueillons maintenant Mme Nadege Hornbeck, vice-présidente, représentant M. Franck Leroy, président de la région Grand Est.

  • Speaker #5

    Merci, bonsoir à toutes et à tous. C'est également pour moi un réel plaisir de Faire partie de l'ouverture de ce magnifique forum qui existe maintenant depuis 15 ans, que la région soutient maintenant depuis quelques années. Alors si je peux avoir des mots réconfortants, parce que je sais que c'est avec toujours plus de sérénité pour le fondateur et le président de pouvoir penser les différentes et les prochaines éditions. En tous les cas, je peux affirmer que tant que je serai vice-présidente de cette région, la région accompagnera. Elle l'a déjà fait avant que je ne sois là. Elle le fera encore après. Mais en tous les cas, la région a bien conscience de la qualité de ce forum et des intervenants qui y participent également. C'est tout naturellement que vous avez les institutionnels de votre côté. En ce début d'année 2025, nous voici réunis pour évoquer ensemble une problématique, je crois, essentielle. D'ailleurs, ça a été dit à plusieurs reprises ici, donc la santé mentale et la bioéthique. Le choix de ce thème n'est pas anodin, comme le souligne d'ailleurs l'édito de cette édition. La santé mentale s'impose aujourd'hui comme un enjeu majeur, voire comme le véritable mal du siècle. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et sont éloquents. Un adulte sur six souffre de dépression en France. Le suicide est désormais la première cause de mortalité chez les jeunes. Le mal du siècle, c'est une souffrance souvent invisible, mais pourtant si réelle, qui découle de pressions constantes exercées par les différents environnements, qu'ils soient professionnels, familiaux et sociaux. C'est le poids de l'isolement que beaucoup peuvent ressentir, accentué par les crises sanitaires récentes. C'est aussi l'angoisse d'un futur incertain. dans un monde marqué par le dérèglement climatique, les inégalités croissantes et les bouleversements géopolitiques. Et ça a été là aussi évoqué précédemment. Alors nous sommes aussi dans une société qui valorise la performance, la rapidité et la productivité.

  • Speaker #0

    La détresse psychologique, souvent silencieuse, devient d'ailleurs omniprésente chez chacun d'entre nous. Directement ou indirectement, nous sommes tous concernés par cela. Ça transcende bien évidemment les âges, les milieux sociaux et bien évidemment les frontières. Donc la santé mentale est donc devenue un sujet universel, j'irais même inévitable. Il s'agira ici, dans le cadre de ce forum, d'évoquer des sujets cruciaux, comme je l'imagine en tout cas, et là encore ça a été dit, je crois que c'est un sujet très important de santé mentale, l'impact des réseaux sociaux et de l'hyperconnexion sur la santé mentale de chacun d'entre nous. Je fais partie moi de cette génération qui est naissante. et qui agrandit sans cet outil. Et je peux, alors moi je suis concernée aussi par cette problématique d'être tout le temps sur mon téléphone ou en tout cas d'en avoir énormément l'utilité pour chaque pan de ma vie finalement. Mais en tant que génération qui est née dans les années 90, je peux dire aussi qu'on n'en a pas fondamentalement besoin. Mais en tous les cas, je sais que ça en est devenu une drogue pour les uns et les autres, et que ça a un réel impact au final sur notre état mental à tous. Et je pense particulièrement aux jeunes, et ça a été dit ici par mes collègues, sur la santé des jeunes. Les jeunes vont mal, alors pas tous. En tous les cas, je crois pouvoir dire que... Au vu de l'accès important à l'information ou à la désinformation que permet cet outil, en tout cas le numérique, peut rendre nos jeunes peut-être moins épanouis et surtout plus anxieux. Et l'anxiété est quand même une problématique de santé majeure, je crois en tout cas pour notre société aujourd'hui. Il en va de notre responsabilité en tant que institutionnelle, en tant que politique, de pouvoir traiter ces sujets. Alors tout l'intérêt d'un forum tel que celui-ci, c'est de traiter ces sujets de manière plus éclairée, plus scientifique, parce que le débat public, et vous pourrez parler de la santé mentale... en politique, je crois aussi que c'est un sujet surtout en ce moment et avec ce qu'on voit, mais ce que je peux dire c'est que tout l'intérêt d'un tel forum, c'est de pouvoir éclairer le politique qui prend les décisions sur l'avenir de nos sociétés, et je crois qu'on peut être fiers de pouvoir accueillir une telle instance citoyenne, transpartisane, qui évoque les différents... sujet notamment de santé mentale, en tout cas toutes ses composantes. La région Grand Est bien évidemment est engagée en faveur de la santé mentale, la santé notamment des jeunes. Nous avons mis en place un appel à projets pour soutenir finalement les projets et les acteurs qui accompagnent les jeunes. Ça a été le cas notamment de Strasbourg, où nous avons très bien travaillé sur ce sujet-là. au niveau de la maison des adolescents. Donc c'est un enjeu transpartisan, collectif, et nous nous attelons bien évidemment à pouvoir traiter ce sujet. Et chacun, j'aurais envie de dire qu'on a tous, au-delà des institutionnels, un rôle à jouer sur ce sujet-là, puisque chacun a une sphère d'influence et chacun a un rôle à jouer. pour créer un environnement plus bienveillant et plus inclusif autour de lui. La connaissance de soi, des autres et du monde qui nous entoure est essentielle. La quête de sens aussi, pour faire barrage à tout ce qui nuit, à la santé mentale, je crois. Et nous devons là aussi collectivement œuvrer pour que chacun puisse construire son propre avenir et son propre chemin, libre des injonctions artificielles du digital. par exemple, ou des modes de pensée de nos sociétés qui s'imposent parfois à nous, et plutôt rester connecté à ce qui apporte réellement de la satisfaction et de la joie. En tous les cas, c'est ensemble, à travers nos politiques publiques volontaristes, des espaces d'échange comme ce forum, que nous pouvons bâtir un avenir qui contribue à l'épanouissement de chacun. Et en guise de conclusion, permettez-moi de citer ces mots d'Albert Camus. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. Ces paroles reflètent l'essence de notre démarche ici. Nous sommes rassemblés pour penser ensemble l'avenir de nos sociétés, avec la volonté de bâtir un présent plus éclairé, pour un futur plus éthique. Alors mesdames, messieurs, merci de votre présence et de votre contribution, aujourd'hui et dans les jours à venir. Que ces journées soient une source d'inspiration pour vous, de réflexion, mais surtout d'espoir, pour nous tous. et pour notre société ou nos sociétés. Merci à tous et très bon forum.

  • Speaker #1

    Merci et nous accueillons enfin M. Jacques Lallement, directeur de projet du contrat triennal Strasbourg-Capitale européenne, représentant M. Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est.

  • Speaker #2

    Mesdames, Messieurs, je m'associe aux salutations précédentes. Je débuterai mes propos en rappelant que l'identité européenne se forge à Strasbourg et que Strasbourg est un lieu de débat, d'échange et d'avancée, tant au Parlement européen qu'au sein des autres institutions européennes, notamment au Conseil de l'Europe où, dès ce matin, il y a eu des échanges du Forum européen de bioéthique. L'État, la région, la CEA, l'euro-métropole et la ville de Strasbourg s'associent, travaillent, collaborent. au travers du contrat triennal Strasbourg-Capitale Européenne pour conforter et amplifier la place des institutions européennes à Strasbourg qui guide l'Europe et qui guide notre pays. Ce contrat triennal passe par le soutien à des projets structurants mais aussi par des actions qui favorisent le débat public, les échanges, la défense des valeurs et d'intérêts communs qui sont partagés par tous. Je crois que le Forum L'Union Européenne de Bioéthique, qui est soutenue par le contrat triennal, illustre ce lieu d'échange sur des valeurs communes. Ainsi, le contrat triennal souhaite promouvoir des valeurs qui sont débattues par vous, l'ensemble de la société civile. La présente édition du Forum Européen de Bioéthique est soutenue par l'ensemble des collectivités, par l'État, cela a été dit. L'État a une grande diversité, à la fois par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais aussi, et je salue la représentante de l'Agence régionale de santé, qui, aux côtés des collectivités, finance ces journées depuis de nombreuses éditions, comme le contrat triennal, c'est le 15e contrat triennal. Cette fois-ci, c'est le 15e forum de bioéthique, et on peut espérer, et on le souhaite tous, que le contrat triennal continuera à soutenir le forum européen de bioéthique. Ces journées vont permettre d'avoir un éclairage sur l'équilibre entre le progrès scientifique et le respect des droits humains, équilibre délicat. Il nous incombe à tous, citoyens, professionnels, collectivités, Etats, de tracer la voie d'un futur où la santé mentale est prise en compte avec éthique et compassion. Et cela a été souligné précédemment. C'est pourquoi la santé mentale a été déclarée grande cause nationale pour l'année 2025. Cela a été réaffirmé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale le 15 janvier 2025 à l'Assemblée nationale. Quatre priorités ont été énoncées et qui s'appuient sur des actions déjà engagées par l'État en la matière, notamment la feuille de route nationale psychiatrie et santé mentale 2018-2026. Les journées du Forum européen de la bioéthique, qui questionnent les implications morales et éthiques des progrès médicaux et scientifiques, trouvent une résonance particulière dans le domaine de la santé mentale. Cependant, ces innovations posent des questions éthiques majeures. Comment garantir que les traitements respectent la dignité et l'autonomie des patients ? Quelles sont les limites de l'utilisation de la technologie invasive sur le cerveau humain ? Quels sont les traitements adaptés ? quels sont l'usage des nouvelles technologies comme ça a été souligné précédemment auprès des jeunes. Mais il est aussi essentiel de veiller à ce que les progrès en santé mentale ne creusent pas davantage les inégalités. On peut souligner les actions des collectivités aux côtés de l'Etat pour lutter sur ces inégalités. La bioéthique nous invite à réfléchir aux normes et aux valeurs qui guideront ces innovations pour qu'elles soient au service du bien-être de tous. Ainsi ces journées apporteront un éclairage sur ces questions qui nous touchent tous. sur notre territoire, mais aussi sur le territoire national et au sein de l'Union européenne. Que ces journées soient riches de débats, de conclusions et de préconisations pour l'ensemble de l'Union européenne. Je vous souhaite de bons échanges et surtout de très très belles journées de Forum européen de bioéthique.

  • Speaker #1

    Nous avons la chance et l'honneur de recevoir M. le professeur Raphaël Gaillard pour ouvrir ce forum sur la santé mentale. Vous qui avez écrit sur des sujets qui nous occupent régulièrement au Forum européen de bioéthique comme l'homme augmenté et l'intelligence artificielle. La lecture de votre page Wikipédia renseigne sur les multiples cordes que vous avez à votre arc ou plutôt à votre violon. Et ce soir, ce sont vos cascades de psychiatre bien sûr et d'écrivain qui nous intéressent au premier plan. Le professeur Gaillard dirige le pôle psychiatrie de l'hôpital Saint-Anne et préside la fondation Pierre Dénicaire qui oeuvre pour la recherche en santé mentale et une meilleure connaissance des troubles psychiques par le grand public, objectif que nous allons également poursuivre pendant ce forum. Monsieur Gaillard est également l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Un coup de hache dans la tête, dans lequel il fait le lien entre folie et créativité. Il a été élu à l'Académie française en avril 2024. Médecin et penseur donc. Penser la médecine, c'est la raison d'être du Forum européen de bioéthique. Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir pour avancer ensemble vers cet objectif commun. Et nous vous écoutons, M. Gaillard, pour ouvrir notre forum sur la santé mentale et la bioéthique.

  • Speaker #3

    Merci beaucoup. Merci vivement pour votre invitation pour prononcer cette conférence d'ouverture du Forum européen de bioéthique. Alors longtemps, j'ai lu le programme avec ce sentiment qu'il devait y avoir à Strasbourg la convergence de ce que l'Europe... à de plus heureux, la sédimentation d'une pensée juste, irriguée par la culture de ce continent, l'effet de ces brassages également, pour donner un si passionnant programme. Et chaque année, je regrettais de ne pas assister au Forum européen de bioéthique. Je vivais à ma façon un FMO, un Fear of Missing Out, cette peur de rater quelque chose qui ramène chacun sur son écran de téléphone dit intelligent. Mais c'était bien davantage justifié que le scrolling qui fait parcourir à nos pouces 100 km par an, c'est dire si je suis honoré et heureux d'être ici. Merci encore. Alors dans le même temps, j'ai un léger flottement. Celui que je dois à ma grippe, qui a succédé à un Covid, j'y reviendrai. Et celui que je dois aux instructions reçues, j'ai, paraît-il, toute liberté. Ce qui ne peut que m'angoisser, et je pense aux mots d'André Gilles, il en sera question demain peut-être dans la session sur la créativité, l'art n'est de contrainte, vie de lutte, émeure de liberté, me voilà bien parti. Alors ce d'autant que le piquette que je suis sait bien que ce qui dans les mots, ou pire dans le silence, sous couvert de liberté, peut contraindre. Ainsi me suis-je entendu dire qu'il m'était possible de projeter un diaporama, que le dernier conférentiel ayant fait était Laurent Alexandre, façon donc de me demander de choisir mon camp, celui de la technologie, celui du triomphe de l'IA dans la guerre des intelligences, ou bien me passer d'un diaporama, mais pas de mon ordinateur, bien sûr. En guise de liberté donc, je n'avais guère le choix. Alors cela étant, je me suis permis de m'octroyer quelques libertés pour planter le décor de la santé mentale, le thème de cette session, et déminer quelques pièges qui, peut-être, menacent notre réflexion en la matière. Car l'enfer est pavé de bonnes intentions, et il vaut mieux, pour filer la métaphore des pièges, lever d'emblée quelques lièvres. Alors première difficulté, elle a dû susciter quelques débats. Nous avons entendu cette question esquissée dans les mots d'introduction. Faut-il parler de santé mentale ou de psychiatrie ? Le programme fait résolument le choix de la première, la santé mentale. Le CCNE, le Comité National d'Éthique, lui fait le choix dans sa récente alerte, son avis 147, récemment publié, de la psychiatrie. après de nombreux débats à ma connaissance. Ma première réaction est de m'inquiéter du risque d'édulcoration que représente le choix de la santé mentale. À présenter les choses positivement, on évite de regarder ce qui cloche. On ferme les yeux devant la souffrance, on passe son chemin et c'est justement ce qu'induit par la stigmatisation La santé mentale sous la forme des troubles mentaux, c'est-à-dire la psychiatrie. En anglais, on parle de sugar coating, cette façon d'enrober de sucre pour adoucir une mauvaise nouvelle, d'édulcorer donc. Et c'est d'autant plus un risque que c'est une tendance lourde que l'OMS n'hésite pas à incarner. Songeons à sa définition, à mes yeux mégalomaniacs de la santé, je cite, état de bien-être physique, mental et social. Qu'elle se pique de social en a choqué certains, je ne suis pas de ceux-là, mais qu'elle fasse du bien-être, l'objectif à atteindre est lourd de conséquences. J'ai comme beaucoup appris la médecine accompagnée par la définition de Leriche, la santé c'est la vie dans le silence des organes. Et que cette définition du silence est parfois difficile à atteindre dans l'exercice quotidien des médecins. Quand les organes grincent, s'enrayent, empêchent, handicapent et surtout se font entendre par la douleur, par la souffrance. Et là, il faudrait donc viser plus haut encore, non seulement le silence des organes, que tout malade saluera déjà comme l'expérience d'une félicité, mais le bien-être, au risque de constater que s'est instaurée une dictature à laquelle, en fait, bien peu résiste. Je vis sous le plus dur des despotismes celui que l'on s'impose à soi-même a pu écrire un certain Balzac. Oui, mais voilà, tout le monde n'aspire pas à cette tyrannie. Tout le monde n'est pas Balzac. Au reste, Balzac était-il dans un état de bien-être, physique, mental et social, lorsqu'il s'échappait ? de ses créanciers par la porte arrière de son hôtel, qui n'était pas son hôtel particulier, lorsqu'il tentait de faire fortune dans les plantations d'ananas, en plein Paris ou presque. Heureusement pour nous, non. Lorsque la OMS s'aventure plus spécifiquement du côté de la santé mentale, elle n'a guère la main plus heureuse. Elle nous dit ainsi en 2001, je cite, La santé mentale correspond à un état de bien-être, à nouveau, mental, en circonscrit, qui nous permet de faire face aux sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Tout ça. Nous y retrouvons le même travers donc du bien-être, mais aggravé de l'ambition de, je cite, réaliser son potentiel potentielle, avec de pareilles définitions, qui donc peut se prétendre en bonne santé mentale ici dans cette salle, pas moi en tout cas. Ou plutôt cette seule définition n'est-elle pas susceptible de nous plonger dans les affres de la frustration relative née de ce que nous observons chez les autres et que nous n'aurions pu obtenir en nous plongeant dans les tourments de la comparaison, celle qui indexe chaque chose. par un selfie pour surenchérir sur le grand marché des indices de bonheur et de réussite. Voilà la tyrannie, celle du bien-être, pour s'accomplir, forme de coaching de vie, plutôt donc que de santé. Alors commençons par parler de ceux qui souffrent de troubles mentaux, de maladies mentales, de troubles psychiques. Commençons par parler de souffrance. Un français sur cinq. est concernée, vous connaissez les grands chiffres, la schizophrénie affecte un peu moins d'un pour cent de la population générale, les troubles bipolaires deux pour cent, une personne sur cinq connaîtra au cours de sa vie un épisode dépressif caractérisé pour ne citer que ces trois maladies. Je n'exclue pas le vocable de santé mentale. Je comprends même le choix de présenter positivement les enjeux en question. Mais pas si c'est pour laisser de côté des premières personnes concernées, les patients, leur famille, les soignants qui les accompagnent. En tant que psychiatre, évidemment, je suis susceptible d'être biaisé du côté de la psychiatrie. En fait, en tant que psychiatre, je suis vissé, arrimé à la psychiatrie. Le pôle dont j'ai la responsabilité, à Sainte-Anne, reçoit 12 000 patients par an. C'est énorme et en même temps, c'est une simple goutte. d'eau dans l'océan de la santé mentale et de la psychiatrie. Je sais l'immense souffrance qui affecte les patients et je ne voudrais pas ici que pendant ce forum européen de bioéthique, nous risquions de ne pas être à la hauteur de cette souffrance pour nous réfugier derrière quelques effets de mode, quelques édulcorants, quelques prêtres à penser qui sortent sur une vague qui mérite la plus grande rigueur, en fait le plus grand respect. Le deuxième thème que je voudrais aborder est celui du soin. et notamment celui de la thérapeutique, qui est elle-même stigmatisée. Elle fait l'objet de nombreux procès, dont le premier tient à notre indéfectible dualisme. Chassez-le et il revient au galop. Nous sommes en permanence dualistes, y compris ceux qui prétendent ne pas l'être, y compris moi-même donc, de sorte qu'il ne s'agit pas de ne pas être dualiste, mais de faire l'effort constant. de juguler notre dualisme. Pour certains, il y aurait tout de même d'un côté l'esprit, armé du langage, le logos, et de l'autre le corps et sa mécanique triviale. Cette dichotomie n'a aucun sens, c'est une aporie, d'un point de vue logique, sauf à revendiquer que l'esprit est d'une autre nature que le corps, ce qui lui suppose encore une nature, et donc une substance. Bref, je le redis, cela n'a aucun sens. Et la semaine dernière, un conférencier du Congrès de l'Encéphale nous apprenait à juste titre que la seule façon crédible de tenter de dissocier le corps de l'esprit à la française, c'était encore la guillotine. Et encore, j'ajouterais que cela suppose qu'il persiste un esprit dans cet encéphale séparé du corps, j'en doute. Pour ce qui est des soins, il n'y a pas d'un côté la parole et de l'autre l'ordonnance. C'est une vue de l'esprit germano-pratine. une maladie parisienne hélas bien répandue, que même la psychanalyse réprouve aujourd'hui. Au quotidien exercé de la psychiatrie, tout psychiatre vous dira qu'il s'agit non d'une opposition, mais d'un cercle vertueux. Le plus souvent, le traitement médicamenteux permet un suivi psychothérapeutique qui lui-même donne accès à de tout autre développement, y compris d'ailleurs dans certains cas, et dans un second temps, le fait de se passer du traitement médicamenteux. Et aujourd'hui d'ailleurs l'essor des psychédéliques démontre encore mieux ce cercle vertueux puisque vous savez que l'usage des psychédéliques requiert une psychothérapie de sorte que nous devrions même considérer que l'expérience est de l'ordre de la psychothérapie augmentée par la substance qui est la substance psychédélique. Deuxième charge contre la thérapeutique, la question de la chimie. On voit partout, dans les médias et surtout sur les présentoirs des parapharmacies, se multiplier les compléments alimentaires et autres promesses de, je cite, bonne santé mentale La demande d'ailleurs du grand public est majeure. Le marché est estimé à l'heure actuelle à 150 milliards dans le monde et à 250 milliards d'ici 4 ans. Et dans nos consultations, tout est fait pour éviter les psychotropes, pour leurs préférées plantes, poudres, vitamines, qui prétendent faire aussi bien. Rappelons-le, si la santé mentale est en effet conditionnée par l'alimentation, et la démonstration est forte, le niveau de preuve est fort, il faut en avoir conscience, cela ne signifie pas qu'un trouble psychique puisse se soigner par l'alimentation. La causalité va dans un sens mais pas dans l'autre. En pratique d'ailleurs, en comparaison directe avec les psychotropes, les compléments alimentaires et autres poudres sont à peu près sans efficacité. Par contre, les effets secondaires existent. Un de mes patients a partiellement détruit ses reins avec la glucosamine, qui est très couramment utilisée, qui était censée améliorer son arthrose. Le nombre de transplantations hépatiques après la consommation de plantes ou de compléments alimentaires a été multiplié par 8 en 25 ans aux Etats-Unis. À choisir, il me semble plus prudent de choisir une molécule dont les conditions de fabrication sont strictement surveillées. On appelle ça un médicament. plutôt que des offres qui tiennent avant tout du marketing, sous couvert de quelques données scientifiques qui ne pourraient satisfaire aucune autorité de régulation. En fait, qu'on se le dise, tout est chimie. La ciguë, qui donne la mort au philosophe Socrate, devait être parfaitement bio. Et la cicutine, son alcaloïde toxique, est bien une molécule et non une vue de l'esprit. Le dualisme à l'œuvre. Encore et toujours. Et si je parviens à vous parler, ce soir à 7h, malgré donc le Covid il y a 15 jours, la grippe la semaine dernière, rien que vacciné, et je ne suis plus contagieux selon la virologie. Sans jamais pouvoir m'arrêter une seconde dans des semaines de 80 heures, c'est que coule dans mon sang cette substance qui me donne l'illusion de l'énergie, la caféine. Talleyrand le dit, noir comme le diable, chaud comme l'enfer, pur comme un ange, doux comme l'amour, qu'est-ce le café ? Dans son traité des excitants modernes, Balzac s'extasie, toujours Balzac, je cite, dès lors tout s'agite. Les idées s'ébranlent comme les bataillons de la grande armée sur le terrain d'une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées. La cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop. L'artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses. Les traits d'esprit arrivent en tirailleur. Les figures se dressent, le papier se couvre d'encre, car la veille commence et finit par des torrents d'eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. Mais voilà, à nouveau, il faut faire le constat que tout le monde n'est pas balzac. En ce qui me concerne, ce feu de paille sera suivi par cette fatigue incommensurable que je traîne avec moi depuis 15 jours faute de repos, celle qui me fera d'ailleurs m'esquiver après cette conférence en faisant l'expérience amère des psychostimulants. Grande question. Après la fête, la défaite, il faut en payer le prix. Tout est chimie, vous disais-je. Et tout le reste n'est qu'une fiction qui vise à nous divertir de cette vérité, à coup de contre-vérité, faribole et espèce sonnante et trébuchante. Je voudrais poursuivre par la question initiale, en fait, celle de la fréquence des troubles mentaux. Pourquoi sont-ils si fréquents ? Une personne sur cinq concernée en France, 1% de la population de l'Arche, je reprends juste ces chiffres pour ne pas en utiliser d'autres, mais il y en a des dizaines d'autres. souffre de schizophrénie, 2% de troubles bipolaires, une personne sur cinq souffrira d'un trouble dépressif caractérisé, épisode dépressif caractérisé, c'est-à-dire un nécessitant de prise en charge spécifique, pas forcément médicamenteuse, elle peut être psychothérapeutique ou les deux, au cours de sa vie. Donc c'est extrêmement fréquent. Puis une autre caractéristique essentielle, c'est que ces troubles, ces grands troubles, ont à peu près la même incidence, la même fréquence, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes. Comme si nous les trimballions avec nous, les êtres humains que nous sommes, que nous soyons des Inuits, des Strasbourgeois ou des fermiers d'Arkansas. Ce qui est toujours très surprenant, parce que, je l'ai dit, ce qui marque avant tout ces troubles, c'est la souffrance, c'est le handicap, c'est tout le cortège de souffrance, de limitation. qu'imposent ces troubles et donc pas davantage dans les termes consacrés de notre réflexion darwinienne à ces troubles. Alors pourquoi cette fréquence élevée et pourquoi cette relative constance au travers de l'humanité ?

  • Speaker #0

    On tourne beaucoup autour de cette question, je pense que tout psychiatre, au-delà de tout psychiatre, tout patient, au-delà de tout patient, toute personne entourant un patient, se pose cette question, pourquoi c'est aussi fréquent, pourquoi ça affecte autant de personnes ? Et dans notre réflexion est venue relativement récemment, c'est-à-dire dans les cinq à dix dernières années, l'idée que c'était... au fond la contrepartie du fonctionnement de notre cerveau. Alors cette idée était une vieille idée de la philosophie, j'y reviendrai, mais elle a été renouvelée par des données expérimentales, des données neuroscientifiques, montrant par exemple que le codage de l'information dans le cerveau d'un primate non humain, c'est-à-dire d'un singe, si on le compare au codage de l'information dans le cerveau d'un primate... humain, c'est-à-dire vous et moi, eh bien, il est beaucoup plus robuste, il est plus simple, mais il est beaucoup plus robuste. Quand le nôtre est plus efficient, c'est-à-dire qu'en fait, il transporte beaucoup plus d'informations, il est plus informatif, il est plus complexe, mais cette complexité le rend plus fragile. D'un côté, le singe, robustesse du signal, simplicité du signal, et de notre côté, complexité, informativité et faiblesse, fragilité de ce signal. Et en fait, dans le cerveau, il en faut de très peu pour que le code soit altéré et que la transmission de l'information d'un lieu à l'autre du cerveau soit altérée. Il en faut de très peu, en fait, il suffit d'une microseconde de décalage. pour que ce que produit votre cerveau, par exemple, puisse être perçu non comme une production de votre cerveau, mais comme quelque chose qui vient de l'extérieur de votre cerveau. Ce que j'ai décrit à l'instant présent, c'est en fait l'expérience d'une hallucination. Mon propre cerveau, les régions de mon cerveau auditives s'activent et il existe un micro-décalage avec d'autres régions du cerveau, singulaires notamment. qui vont faire considérer que ce que produit ce cerveau est en fait la transformation d'un signal qui vient de l'extérieur et non l'activité interne de ce cerveau, l'activité endogène de ce cerveau. Il suffit d'un micro-décalage dans la transmission du signal pour que ça change. En fait, la complexité du signal est telle qu'il est faillible, il y a des bugs et... À certains moments, nous en faisons l'expérience sous la forme des troubles mentaux. Et l'une des explications que nous considérons aujourd'hui à l'immense fréquence des troubles mentaux, c'est celle-ci, c'est que nous payons le prix de la puissance de notre cerveau. Notre cerveau, je peux le dire autrement, ne se supporte plus. À ce niveau de complexité, à ce niveau de puissance, il y a des bugs. Et ces bugs, nous en faisons collectivement l'expérience sous la forme des troubles psychiques. On peut se demander d'ailleurs si, dans la perspective de l'augmentation de cette puissance, l'augmentation du cerveau, ce prix à payer ne sera pas plus élevé encore. Dans les mots d'introduction de cette session, nous avons entendu plusieurs fois parler des enjeux de notre hybridation, que je qualifie de faible. celles qui nous lient à nos objets connectés, qui sont déjà des modalités d'augmentation, qui seront demain d'une autre puissance encore avec des modalités d'hybridation dites fortes, c'est-à-dire qui amèneront à ce que cette technologie soit même dans notre cerveau et pas seulement au travers d'objets connectés qui sont extérieurs à notre cerveau. On peut se demander déjà si nous ne voyons pas aujourd'hui les effets secondaires de cette hybridation faible. Il y a quelque chose qui semble se profiler, malheureusement. J'ai dit que les grands chiffres de la santé mentale ou des pathologies, la psychiatrie était relativement constante, mais certains troubles semblent augmenter. La dépression et les troubles anxieux essentiellement, pour ce qui est des données françaises. Avant le Covid, l'incidence de la dépression a augmenté sur la décennie précédente de 2%. de 3% donc on est à plus 5% sur 15 ans et vous savez qu'il y a une population qui est beaucoup plus touchée que les autres c'est celle des jeunes de façon très inquiétante puisque là on n'est pas passé de 8% à 13% mais on est aujourd'hui à 22 23% donc on est au double et on peut remonter encore dans le temps, les adolescents sont encore plus fragiles et puis on voit même apparaître une fragilité chez les pré-adolescents alors que la psychiatrie a longtemps considéré que les pré-adolescents c'était un moment très simple à tel point d'ailleurs que nos collègues psychanalystes parlaient de période de latence il ne devait rien se passer, un gamin de 9 ou 10 ans était... un peu obsessionnel, s'intéressant à l'histoire, mais n'embêtant pas ses parents, loin des turbulences de l'enfance et avant les tourments de l'adolescence. Alors on sait aujourd'hui, nous voyons arriver dans les services d'urgence des pré-adolescents ayant des idées suicidaires. Donc il se passe quelque chose, peut-être que c'est un effet secondaire, peut-être que c'est autre chose, peut-être que c'est la fin des grands idéaux, la fin d'un modèle du monde, peut-être que c'est le fait que la Terre est en train de rôtir, peut-être toutes sortes d'explications. Je fais partie de ceux qui s'interrogent quand même sur les effets de notre hibridation et ses effets secondaires. Toujours est-il que cette question de l'augmentation de l'homme, à laquelle je fais référence, en indiquant qu'elle porte sur cet organe bien particulier qu'est le cerveau, celui qui nous consacre comme homo sapiens, cette augmentation, elle est quelque chose qui en fait est consubstantielle à l'homme et ne date pas des technologies en question. Je vous ai dit tout à l'heure que les sciences venaient renouveler une position ancienne de la philosophie. Je peux reprendre la position de la philosophie. Je vous ai dit que le cerveau ne se supporte plus, je vous ai parlé du codage, mais je pourrais le dire dans des termes plus philosophiques. Le seul fait que nous nous représentons le monde par la pensée fait que nous sommes des orphelins de ce monde, que nous n'avons pas dans les mains ce monde mais les représentations que nous manipulons de ce monde. Et ça c'est une caractéristique des êtres humains que nous sommes, que de devoir faire avec le fait que nous sommes coupés du réel par le seul fait que nous pensons. La philosophie l'a dit, ou les philosophes l'ont dit, de maintes façons, et je ne vais pas vous infliger de les citer les uns après les autres. Notre chute du paradis, c'est peut-être celle-là, en fait, c'est d'avoir commencé à penser, avec d'ailleurs un rôle bien particulier du langage dans la pensée, puisqu'il donne forme à notre pensée. Et donc si nous sommes coupés du réel, orphelins du réel, nous sommes en même temps fils du langage, puisque ce langage donne forme à nos cerveaux. Je voudrais terminer. Par la question de la technologie, justement, je vous ai dit mon inquiétude quant aux effets secondaires de la technologie. Et en même temps, je fais partie de ceux, et je crois qu'il faut le dire en ce lieu, dans un forum de bioéthique, qui pensent qu'en même temps que les effets secondaires sont à attendre, à savoir davantage encore de troubles mentaux par cette nouvelle façon. d'augmenter l'homme sur un cerveau qui ne se supporte déjà plus, nous avons quand même l'expérience de l'hybridation de notre cerveau. Et cette expérience de l'hybridation de notre cerveau, elle est justement le fait de notre rapport au savoir, notre rapport au langage notamment, qui nous accompagne depuis un certain temps, et notamment... sous une forme bien particulière qui est celle de la naissance de l'écriture depuis à peu près 5000 ans. Parce que là, c'est passé quelque chose qui relève aussi de l'hybridation. À partir du moment où nous nous sommes mis à écrire, nous avons décidé d'externaliser notre savoir, de le déposer en hors de nous. Et à ce titre, le livre est... Pas loin d'être le premier disque dur externe, il est quelque chose que l'on externalise, que l'on met hors de soi, et nous le réincorporons par la lecture, ce qui n'est pas un exercice anodin, avec toutes sortes d'effets secondaires, là aussi, on pourrait le reprendre autour de l'histoire, je résumerais juste par une expression géniale du romancier Daniel Pénac, lorsqu'il parle des maladies textuellement transmissibles. Il y a des maladies textuellement transmissibles, Emma Bovary, Don Quichotte, entre autres, et plein d'autres, mais dans l'ensemble, ça a été une grande réussite. Et il s'est passé, c'était le thème de votre forum l'année dernière, quelque chose d'assez fascinant, c'est que... L'intelligence artificielle, la dernière en date, Tchad-GPT, est venue à nouveau confirmer la puissance de cette hybridation. Et que nous ne le dirons jamais assez en fait. Nous sommes aujourd'hui dans un rapport d'hybridation à Tchad-GPT, mais en amont de notre rapport à Tchad-GPT, qu'est-ce qui a rendu intelligent un simple réseau de neurones construit en imitant notre cerveau ? Eh bien ça n'est pas d'avoir vu des millions d'images, c'est d'avoir lu des millions de pages. Et la démonstration la plus puissante de cette hybridation par la lecture, des effets de la lecture sur le cerveau, in silico en l'occurrence, c'est justement l'arrivée de l'intelligence artificielle sous cette forme, celle des IA génératives. Alors, pourquoi je vous dis ça ? Parce que je vous dis, fréquence des troubles mentaux, Je vous dis que c'est la caractéristique des homo sapiens que nous sommes, et puisque c'est le prix à payer de notre humanité, et bien ces personnes qui souffrent de troubles mentaux, il ne faut pas les mettre en dehors de notre humanité, mais vraiment au cœur de notre humanité. Ils sont les témoins de ce que nous sommes collectivement comme homo sapiens. Demain, il y a tout à craindre. d'une augmentation de ces mêmes troubles mentaux par l'augmentation de la puissance de notre cerveau par ces technologies que nous ne pourrons pas nous empêcher d'utiliser pour nous augmenter. Et donc il faut l'anticiper et il est heureux qu'un forum y soit consacré. Et dans le même temps, il se trouve que cette technologie elle-même vient témoigner de la puissance de ce qui a fait nos cerveaux. c'est-à-dire cette hybridation primordiale, celle de la lecture et l'écriture, qui peut-être nous montre le chemin, nous montre ce qui nous permettrait de nous arrimer à quelque chose qui nous permettra de voyager plus sereinement dans cette nouvelle aventure de l'humanité, son rapport aux technologies, dans son risque aussi, ce risque... systémique qui a été évoqué tout à l'heure, celui de la santé mentale, celui de la psychiatrie. Au fond donc, dans le même temps où nous allons vers la technologie au risque de notre santé mentale, la même technologie vient nous rappeler ce qui constitue nos cerveaux, à savoir cette hybridation qui a fait l'histoire de l'humanité. J'achève ici cette... Courte introduction, en comprenant donc, tout en la prononçant, cette conférence, pourquoi je ne devais pas utiliser de support de type diaporama. Pas d'image, que des paroles. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci monsieur Raphaël Gaillard. Il me revient maintenant de vous annoncer le second intervenant de ce soir, Aurélien Benoît-Lide, président du Forum européen de bioéthique. Il est médecin neurologue, spécialité dont il aime à dire qu'il l'a choisi pour sa proximité avec la psychiatrie, plus ou moins marquée tout au long de l'histoire de la médecine. Diplômé de neurosciences et d'hypnothérapie, Son parcours est le reflet d'une réflexion poussée sur les frontières de ces deux disciplines et leurs interactions sans cesse questionnées. Nous écoutons Aurélien pour ouvrir cette nouvelle session du Forum européen de bioéthique sur la santé mentale. Merci. Alors, note pour plus tard, ne jamais passer après un académicien, surtout quand on n'est pas d'accord avec lui. Après l'activité physique et sportive en 2024, c'est au tour de la santé mentale d'être mise en lumière et labellisée grande cause nationale par notre ancien Premier ministre Michel Barnier. Je m'en réjouis, évidemment. Sans être parfaitement certain de ce que recouvre le terme de santé mentale, je suis, en tant que médecin et citoyen du monde, conscient des carences et des manques dont souffre la discipline. Depuis que j'ai commencé les études de médecine, j'entends parler de la crise de la psychiatrie et des différents plans mis en œuvre pour lui porter secours. Le tout récent avis n°147 du Comité Consultatif National d'Ethique nous alerte, décrivant une crise grave, profonde et systémique, associant une offre de soins largement saturée, une qualité de soins qui se dégrade faute de moyens adaptés, de très longs délais d'attente pour des soins chroniques, une très grande disparité territoriale, une crise de la démographie médicale et de l'attractivité de la discipline, une difficulté à recruter des soignants, des conditions d'accueil souvent indignes, dans des établissements vétustes ainsi qu'une banalisation et un déni de l'état actuel du système des soins en psychiatrie. C'est dire si le sujet de la crise de la psychiatrie est brûlant, qu'il impose le respect et qu'il nous occupera une bonne partie de ce forum européen de bioéthique. Mais ce n'est pas la crise de la psychiatrie qui a été décrétée grande cause nationale, mais bien la santé mentale. Or il y a, dans le coup de projecteur sur la santé mentale, un effet paradoxal. qui, à l'instar de la physique quantique, il suffit de mettre la santé mentale sous la lumière du microscope pour modifier son état et la rendre moins compréhensible à ses observateurs. C'est pourquoi, pour introduire ce forum, je me permettrai de faire un pas de côté, peut-être un grand écart, et de vous parler d'une autre crise de la santé mentale, une crise identitaire. Selon le site info.gouv, qui annonce le décret, un Français sur cinq souffrirait d'un trouble de la santé mentale. En creux, cela sous-entendrait que quatre Français sur cinq, sur une période de vie d'environ 80 ans, n'en souffriraient jamais. Peut-on en dire autant de la santé physique ? Toujours sur le site du gouvernement, on peut lire que ce décret a pour objectif de changer les regards sur les troubles psychiques et les troubles mentaux. À ce stade, si je compte bien, il y a donc déjà la santé physique, la santé mentale et la santé psychique. Beaucoup de santé pour cette nouvelle année. Et puis, comme disait le riche, très à la mode ce soir, la santé c'est la vie dans le silence de ses organes. Qu'est-ce que la santé mentale, sinon la mort encéphalique ? Et quelle aurait été votre réaction à l'annonce d'une année 2025 placée sous le signe de la santé physique ? J'ai toujours été gêné par cette distinction faite entre la santé physique et la santé mentale. Enfin gêné n'est probablement pas le terme le plus approprié. Disons plutôt révolté. Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde, disait Albert Camus. Mais en réalité, il suffit parfois de seulement les nommer pour les dénaturer. Alors même que le sujet du forum de cette année a été choisi un an avant cette décision politique, Je crois qu'il y a dans cet effet d'annonce non pas le germe mais bien le fruit d'un problème plus profond. Un problème de santé publique à composante philosophique, une immense question de bioéthique qui mérite que l'on s'y penche au moins quelques instants. Pour ce faire, je voudrais vous raconter l'histoire d'un rendez-vous manqué. Ou plutôt de deux rendez-vous manqués. Tout d'abord, la petite histoire de mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie, qui n'a qu'une importance très relative. Puis la grande histoire du rendez-vous manqué de la psychiatrie qui, à mon avis, est beaucoup plus problématique et universelle. Pour arriver à mes fins, j'emprunterai les chemins détournés de la mythologie, de la génétique et de Darwin. Pour vous tenir en haleine, je vous promets de répondre à au moins deux questions existentielles, à savoir quel est le propre de l'homme et quel est le sens de la vie. Enfin, je vous révélerai une information personnelle d'une particulière importance. Il y aura quelques détours, de rares impasses. pas mal de rancœur et même un brin de mauvaise foi. Mais je vous le promets, je ne vais jamais quitter le précieux centre qui est de la santé mentale, enfin, je l'espère. Est-ce que vous êtes prêts ? Il était une fois, dans la cité de Gordion, au centre de l'Anatolie, c'est l'Empire perse, Gordios, un pauvre Phrygien qui n'avait pas de terre, seulement deux paires de bœufs. Un beau jour, un aigle se posa sur le jou de son char. L'animal y resta perché jusqu'à l'heure où l'on détacha les bœufs. Perturbé par ce drôle de comportement ornithologique, Gordios se rendit dans un village où les habitants, paraît-il, étaient connus pour posséder des dons divinatoires. Sur la route, il rencontra une jeune fille qui possédait elle-même ses dons, qui lui conseilla alors de retourner au même endroit et de faire un sacrifice à Zeus. Elle suivit Gordios sur le lieu du sacrifice. Évidemment, ils se marièrent et eurent un fils nommé Midas, bien connu pour changer les pneus en or. Plus tard, lorsque l'Afrigie fut traversée par des troubles politiques liés à l'élection d'un nouveau roi, toute ressemblance avec des faits récents serait fortuit, un oracle leur annonça qu'un char leur amènerait un roi, mettant terme à la guerre civile. Alors que les Phrygiens réunis en assemblée étaient encore en train de débattre, Midas s'arrêta devant l'assemblée sur son char. Les Phrygiens, interprétant l'oracle, reconnurent en cet événement la prophétie. Par conséquent, ils élurent Midas, roi de Phrygie, et celui-ci fit placer le char de son père sur l'acropole, afin d'exprimer sa reconnaissance envers Zeus pour lui avoir envoyé l'aigle. Ensuite, une autre légende fut établie. disant que celui qui réussirait à dénouer le nœud, évidemment inextricable, de Gordios, deviendrait maître de l'Asie. Enfin, au début de l'année 333 avant Jésus-Christ, c'était un mardi, quand il arriva dans la ville, Alexandre le Grand fut informé de la légende du nœud gordien et s'en passionna. Il demanda qu'on lui montre le char de Gordios. Après avoir cherché une solution, il trancha le nœud avec son épée. Depuis, l'expression nœud gordien désigne métaphoriquement un problème qui ne présente pas de solution apparente, finalement résolu par une action radicale. Par extension, la nature radicale de la solution apportée à ce problème a forgé l'expression trancher le nœud gordien Ce nœud gordien, comme tout le monde, j'ai essayé et j'essaye encore de le détricoter. Parfois avec la patience de Pénélope et parfois la manière plus radicale d'Alexandre Legrand. Obsédé par la question du corps et de l'esprit, j'ai longtemps hésité entre la neurologie et la psychiatrie. Ce qui m'intéressait, je n'étais alors qu'un jeune adulte, c'était d'étudier, éventuellement de soigner, ce qui faisait de nous des êtres humains. Chercher la flamme qui ne brûle que dans l'humanité et qu'on appelle communément le propre de l'être humain. Assurément, j'étais plus intrigué, et je le suis encore, par la noblesse de la santé mentale que par la vulgarité de la santé physique. Si on dit des yeux qu'ils sont le reflet de l'âme, le cœur et les poumons le souffle de la vie, et le système digestif comme un deuxième cerveau, j'ai éliminé tour à tour l'ophtalmologie, la cardiologie, la pneumologie et la gastroenterologie de mon champ des possibles. Rétif aux urgences comme aux bistouris, mon inclination bredouillait donc entre la neurologie et la psychiatrie, incapable de préférer l'une à l'autre. J'ai lu quelques ouvrages, qui ont sans doute orienté mes choix, de l'origine des espèces de Darwin à l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau et l'œil de l'esprit du neurologue Oliver Sacks, en passant par l'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux. Et finalement... Dans l'intempérance de ma jeunesse, et puisqu'il fallait bien choisir, j'ai tranché le nœud gordien de mes études en embrassant fougueusement la neurologie. Mais je vais vous faire une confidence. Après 20 ans de vie commune avec la neurologie, je me dis, parfois, que je ne suis pas certain d'avoir fait le bon choix. En tout cas, si je dois être parfaitement honnête, il me semble qu'à l'époque, j'ai choisi l'option la plus facile. Celle qui consistait à opter pour la discipline la plus prometteuse. Car je suis de cette génération qui a vu la médecine acquérir ses lettres de noblesse. Cette médecine qui décrit, qui cherche, qui greffe, qui répare, qui remplace, régénère et qui prévient les maladies. Du haut de mon ignorance et de mes velléités d'explorateur, Il ne restait, me semblait-il, sur le planisphère de la médecine qu'une seule véritable terra incognita, partagée en deux états aussi distincts que la Corée du Nord peut l'être de la Corée du Sud, j'ai nommé la neurologie et la psychiatrie. Et si je dis que j'ai choisi l'option de la simplicité ? C'est bien parce que la neurologie parlait la langue rassurante des sciences et de l'imagerie, tandis que la psychiatrie, en me donnant l'impression d'encore chercher sa voie, ne me rassurait guère. Mais je reviendrai plus tard sur l'évolution de ces deux disciplines. Je me suis donc lancé à corps perdu dans la neurologie, espérant y trouver la pierre philosophale qui parachèverait le grand œuvre que je m'étais fixé. Je suis même allé un peu plus loin dans le domaine des neurosciences, et je n'ai trouvé ni de réponse à mes questions. Et c'est peut-être plus grave encore, ni de questions à mes réponses. Non pas que je regrette mon choix. Il n'y a pas un jour sans que je m'enthousiasme de la neurologie. Mais je n'ai jamais trouvé dans les circonvolutions du cerveau une quelconque trace du propre de l'être humain. J'ai tout misé sur les neurosciences, et je dois avouer m'être senti déçu, voire trahi, même si en réalité je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Quand j'ai commencé à m'intéresser à la neurologie, j'imaginais que les neurosciences révolutionneraient la médecine, la neurologie, la psychiatrie et la vie des patients. Après tout, les neurosciences étaient à la neurologiste que la physiologie rénale était au néphrologue. Dans une approche mécaniciste, je pensais raisonnablement qu'à la vitesse où allaient les choses, et compte tenu des sommes considérables injectées dans la recherche, une décennie nous permettrait de venir à bout de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson, de la dépression, de la schizophrénie et des troubles de l'humeur. Les neurosciences... ou plutôt le discours qui s'y réfère, nous promettait et nous promet encore une révolution dans le domaine des maladies neurologiques et psychiatriques, dans le domaine de l'éducation, de l'égalité sociale, nourrissant le fantasme de la compréhension de l'âme humaine. A vrai dire, des neurosciences, je n'en attends plus rien. La déception n'est pas le terme le plus approprié. Je parlerai davantage de déceptivité, s'appliquant généralement à la publicité, la déceptivité d'une marque et le caractère qu'elle présente lorsqu'elle est jugée de nature à induire le public en erreur sur la qualité, l'origine ou la nature du produit. Posez-vous la question. Que vous apportent les neurosciences au quotidien ? Avons-nous révolutionné la prise en charge des maladies mentales comme nous l'avons fait du cancer ? Où sont les biomarqueurs si attendus et les innovations thérapeutiques ? Notre système éducatif est-il devenu tellement plus efficace que celui de nos grands-parents ? La société est-elle moins violente, moins égalitaire ? Les neurosciences nous permettent-ils de dire quelque chose de sensé, de nos angoisses ou de nos aspirations individuelles ? Alors certes, nous achetons plus et plus vite. Nous pourrons demain contrôler notre playlist de musique sans les mains, avec un peu d'apprentissage et mon ayant un abonnement spécial. Nous scrollons et scrollerons à longueur de journée, sacrifiant sans le savoir ce que nous avons de plus cher, le temps qui nous reste. reste à vivre. Les drogues et les comportements de plus en plus addictifs seront peut-être remboursés par la sécurité sociale ou taxés par l'État. Tandis que les grandes évolutions de notre monde, le respect du consentement, l'égalité des genres, la bienveillance éducationnelle, l'inclusion des personnes handicapées, la communication intergénérationnelle et bien toutes ces évolutions-là ne doivent en réalité pas grand-chose aux neurosciences. Trouvez-vous sincèrement que les avancées obtenues soient à la hauteur de nos espoirs ? Combien de fois par jour suis-je obligé de dire aux personnes qui viennent me voir en consultation que je ne sais pas ? Exactement le même je ne sais pas que celui que je disais il y a déjà 20 ans. Qu'il n'y a aucun traitement ou qu'ils existent mais ne fonctionnent pas. Rendez-vous compte, le meilleur traitement pour soigner les dépressions légères qui pèsent infiniment sur les finances publiques, c'est l'activité physique. Cette déception, petite sœur de la colère, n'est pas seulement la mienne. D'autres la partagent. C'est le cas notamment de François Gonon, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS, qui s'interroge sur l'usage discursif des neurosciences et de ce que l'auteur de Neurosciences, un discours néolibéral édité en 2024, appelle un neuro-essentialisme. Il révèle l'écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand public et la réalité des avancées. Plus grave peut-être, le discours idéologique des neurosciences fait du cerveau l'unique responsable de la destinée sociale d'un individu. Il y a de l'aigreur dans mon propos, je vous le concède, et ce n'est pas fini, mais on garde parfois une certaine amertume de nos rendez-vous manqués. Cependant, je n'ai pas totalement abandonné cette idée et cette quête de l'indicible humanité. Comme je vous l'ai dit, une partie de moi, aujourd'hui désabusée, restait optimiste quant aux avancées des neurosciences, espérant qu'elles trouveraient la réponse à mes questions existentielles. Mais la science ne faisait que nous déshabiller, tous les jours un peu plus, dans la lumière crue du ciel itique, jusqu'à nous laisser nus de moins en moins dissemblables des autres animaux. Darwin, il y a déjà très longtemps, semblait l'avoir deviné. Estimant qu'il n'y avait, entre l'être humain et ses plus proches cousins, qu'une différence de degré et non de nature. Dit autrement, il n'y a pas dans le nœud gordien de l'humanité le moindre fil doré. Je balayais rapidement ce qu'aurait pu être le propre de l'homme, les outils. Jane Goodell, primatologue de génie, a observé plus d'une quarantaine d'outils différents chez les chimpanzés. La conscience de soi peut-être. Les bonobos, les dauphins, les éléphants et même certaines pies sont capables de se reconnaître dans un miroir. Lire les intentions des autres. Projeter sa propre expérience sur les autres, ce qu'on appelle la théorie de l'esprit. Léger et de nombreuses autres espèces animales savent le faire. La culture alors. Cela fait 70 ans et plusieurs générations successives de singes qui se transmettent dans un endroit précis du globe une manière de laver les patates dans l'eau de mer pour leur donner un bon goût salé. Le langage. Les baleines, les singes, utilisent des combinaisons de sons auxquels ils rajoutent volontiers des suffixes pour en adapter le sens. Les émotions, le sens moral, l'empathie, le sourire ou le rire ne sont plus grâce à la magie des neurones miroirs qu'un trait d'union entre nous. et d'autres mammifères.

  • Speaker #0

    Si on tire le fil de ces constatations, on se retrouve désemparé. Si nous ne sommes que de la chair en cours de décomposition, alors il n'y a pas de sens à la vie, et peut-être vaudrait mieux-t-il abréger nos souffrances et ne pas perdre notre temps à faire de la bioéthique. Le propre de l'homme est le sens de la vie. Voilà deux questions existentielles qui nous animent, tous et pour lesquelles je vous propose une réponse. qui, je l'espère, nous permettra d'éclairer à sa manière la distinction que l'on peut faire entre la santé physique et la santé mentale. Car en réalité, tenez-vous bien, il existe une explication au sens de la vie, et celle-ci est déjà bien connue. La vie ne semble suivre qu'un seul courant, celui de la conservation et la transmission de l'information. En matière de vie, il n'y a qu'une seule information qui semble importante, et que l'on peut résumer en quatre lettres. Monsieur Mandel ? A, C, T, G. Adénine, cytosine, thymine et guanine, supportées par la molécule de l'ADN. Albert Jacquard, dans un article intitulé L'ADN et la vie disait la chose suivante. Bien que cette molécule ne soit pas plus énigmatique aux yeux d'un chimiste qu'une molécule de benzène ou d'acide sulfurique, sa structure lui apporte deux performances spécifiques ou, si l'on préfère, lui permet d'exercer deux pouvoirs dont elle a l'exclusivité. faire un double d'elle-même et gérer la réalisation d'autres molécules. Elle est à la fois phénix et chef d'orchestre. ACTG n'a pas de volonté propre ni d'intelligence. Elle porte seulement dans sa physico-chimie spécifique une sorte d'instinct de survie, archaïque mais diablement tenace. Ce sont des molécules prêtes à emprunter la forme la plus apte à survivre et ce quel que soit le prix à payer. Et qu'importe si elle doit ressembler à une cellule difforme. Une algue, un poulpe ou un énarque. ACTG sera prête à avaler toutes les couleuvres qui serviront ces projets survivalistes. Albert Jacquard poursuivait dans le même article. Le mystère de la vie a été ramené à une séquence de processus chimiques. Le mot vie, qui joue dans notre pensée un rôle fondamental. n'est qu'un cache-misère conceptuel. La découverte de l'ADN élimine toute difficulté relative au concept de la vie en fondant la distinction entre les objets inanimés et les êtres vivants non sur un principe vital mais sur la présence d'une molécule sans mystère. Mais je dois dire que sur ce point précis, Albert Jacquard et moi ne sommes pas tout à fait d'accord. Ça fait déjà deux personnes ce soir. J'estime qu'il y a dans le monde du vivant une espèce qui, sans se dédier complètement de cette définition, s'en soustrait au moins partiellement. L'être humain vise une toute autre éternité. Il est animé par la transmission d'une information bien différente de celle médiée par ACTG. Depuis la nuit des temps, l'homo sapiens déploie des monstres d'énergie pour que lui survive autre chose qu'une succession de bases nucléiques. Une information complexe, changeante et nuancée. Des pigments retrouvés sur les murs de Lascaux dont on sait qu'ils nécessitaient d'immenses sacrifices pour les acheminer. Aux murs des cathédrales que l'on baptisait au nom d'une croyance. Aux façades en verre du Parlement européen. Aux musées, aux bibliothèques et jusqu'à Internet. Le moteur de l'humanité n'est plus la conservation de l'information, mais bien la transmission et l'expansion de l'information immatérielle à travers le temps et à travers l'espace du corps. L'être humain est le seul animal au monde à s'inscrire véritablement dans une double transmission de l'information. Une information insensée si on la considère sur un plan matériel, mais qui prend tout son sens dès lors que l'on se place dans le champ plus immatériel des idées. Pour la première fois depuis 3,8 milliards d'années, ça n'est plus le diktat d'ACTG qui conditionne notre destin d'espèce, mais bien Ausha et le sens que l'on met dans les mots et les actes que l'on dit ou que l'on fait. Pour l'être humain, ACTG devient secondaire, accessoire, presque grotesque et encombrant, à tel point que certains veulent s'affranchir de sa médiocrité. S'extirper de la fatalité des hormones, de la reproduction, de l'instinct de survie pour transmettre des valeurs plutôt que des gènes. L'être humain n'est plus le mouton qui pâture mais le berger dont les élans tantôt écologiques, écocides ou démiurges ne sont que les deux faces d'une même médaille. Dès lors que l'on estime que la double transmission est une caractéristique intrinsèque de l'être humain, on se met à considérer la santé humaine d'une manière très différente. La dimension sensible, symbolique, linguistique et historique de l'individu, qu'on appelle à défaut d'avoir mieux la santé mentale ou le psychisme, n'est alors plus relégable à la lointaine périphérie de la médecine. Elle est un des deux cœurs battants de la santé humaine. On entreaperçoit alors une physiologie, une sémiologie et même une génétique d'un genre nouveau, qui se rajoutent et se superposent à la médecine physique. Tout un pan de la science de la vie que l'on n'apprend nulle part. ni au collège, ni au lycée, ni même sur les bancs des universités de médecine. Une partie importante de notre santé totalement invisibilisée et qui pourtant est à l'œuvre dans chacune de nos souffrances et de nos pathologies. Voilà en quelques mots les contrées éloignées où m'a mené mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie. Laissez-moi vous présenter à maintenant et vous raconter ce que j'estime être le rendez-vous manqué de la psychiatrie. Pour ce faire... Il est nécessaire d'appréhender un moment charnière dans l'histoire de la médecine, le divorce de la neurologie et de la psychiatrie. Durant la majeure partie du XXe siècle, la neurologie et la psychiatrie étaient considérées en France comme une seule et même discipline, la neuropsychiatrie. Tout ce petit monde cohabitait plus ou moins bien, entre là du corps et de l'esprit, comme c'est le cas dans d'autres cultures. Mais voilà qu'arrive à la fin du XIXe siècle la psychanalyse qui va rebattre les cartes. Fondée par un certain Sigmund Freud, d'abord considérée comme une simple branche de la neuropsychiatrie, la psychanalyse est une discipline qui a pour fondement d'étudier l'inconscient comme une tectonique du psychisme, qui conditionne en partie les reliefs, les paysages et les accidents de notre univers psychique. Les outils sont simples, probablement trop simples, la libre association, l'analyse des rêves, l'écoute active des patients. Pour ma part, l'idée que je trouve d'une grande modernité est celle d'imaginer que le patient ou la patiente, c'est elle ou lui qui a le pouvoir, que le médecin n'est plus le sachant universel et tout-puissant, mais seulement celui qui écoute et fait entendre, qu'une partie importante de la personne humaine et de sa santé sont parfaitement inaccessibles aux atlas d'anatomie. Mais la psychanalyse va plus loin. Elle propose une théorie générale sur le fonctionnement du psychisme et l'articule autour de certaines hypothèses comme le refoulement, le complexe d'Oedipe, la libido, la théorie des pulsions et le transfert. Freud est neurologue. Il résonne à partir du principe de la physiologie et de la physiopathologie. Parfois jusqu'à l'excès, la psychanalyse voit dans l'individu les ressorts immatériels qui conditionnent ses choix et sa santé. L'histoire aurait pu s'arrêter là. On découvre la gravité, l'interaction électromagnétique, pourquoi pas l'inconscient et certaines forces à l'œuvre de notre fonctionnement psychique. Mais vous allez voir que cette histoire va prendre une tournure plus tragique. Dans les années 60, la psychanalyse connaît un essor incroyable. Dans ces excès, elle nous invite à célébrer la victoire définitive de l'acquis sur l'inné et de l'immatériel sur le matériel. Presque toutes les chaires de psychiatrie sont désormais occupées par des psychanalystes. Or, la psychanalyse se rapproche davantage d'une science humaine que d'une science fondamentale. Et pour cause, elle s'intéresse à un appareil qui échappe à toute description anatomique. Un appareil qui, s'il emprunte sa matérialité à un réseau de neurones, ne produit pas seulement des comportements, mais aussi des idées, des actes manqués, des rêves, de l'art de la beauté ou de la perversion. La psychiatrie des années 60 est aussi agitée en interne par une marée haute d'un mouvement plus ancien et assez complexe, dit anti-psychiatrique, renforcé par l'apparution d'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault ou encore le roman Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kizé. Parallèlement, la neurologie, comme la plupart des spécialités médicales, fait sa propre révolution. Et la cohabitation avec les psychanalystes se fait de plus en plus difficile. On ne se comprend plus, chacun s'enfer dans l'enfer de sa vision du monde. Et finalement, en 1968, ce qui devait arriver arriva. Entre la neurologie et la psychiatrie, rien ne va plus. Les patients qui n'ont rien demandé à personne se retrouvent en garde alternée entre la neurologie et la psychiatrie, à devoir choisir entre la santé physique et la santé mentale. Mais ça ne s'est pas arrêté là. La psychanalyse va perdre du terrain. Et c'est un euphémisme. Les progrès de la science concernant la dimension matérielle de l'être humain sont tellement prodigieux qu'ils éclipsent tout le reste. Sans compter que la psychanalyse souffre d'un certain nombre de handicaps. C'est une discipline culpabilisante, on se souviendra de l'épisode des mères frigidaires, nécessitant un travail introspectif laborieux. C'est une discipline sale, mal encadrée, avec des excès d'interminables guerres de chapelle et une efficacité variable ainsi qu'une fâcheuse tendance à tout ramener au sexe. Jérôme Bruner, un éminent psychologue américain, Mort en 2016, disait dans son autobiographie en parlant de Sigmund Freud qu'il était davantage un dramaturge qu'un théoricien. Et cette critique nous dit, me semble-t-il, quelque chose d'absolument fondamental. La psychanalyse n'est pas une science du cerveau. Elle ne suit aucun dogme physico-chimique et dans ce sens elle est invisible aux neurosciences. Si la neuroscience consiste à comprendre le fonctionnement de la caméra, des ingénieurs audiovisuels, des logiciels de post-production, Et même du metteur en scène, la psychanalyse, elle, ne s'intéresse qu'aux dramaturges. Et c'est souvent du dramaturge dont on se souviendra longtemps après le générique de fin. Quoi qu'il en soit, la psychanalyse disparaît progressivement. A tel point qu'aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on l'appelle la psy-caca. Elle n'est presque plus enseignée de par le vaste monde. On l'invite encore, parfois, sur des plateaux télé ou à des tables rondes, comme on inviterait Fabrice Lucchini pour divertir la plèbe. Faire rêver, entendre de jolis mots avant de revenir à des sujets plus sérieux. On n'enseigne plus la psychanalyse, elle est souvent moquée, classée parmi les pseudosciences. On lui demande des comptes, on veut des résultats, des statistiques, des solutions. Autant de choses que de manière consubstantielle, elle ne peut pas fournir. Chacun en tirera ses propres conclusions. Tout cela pour dire que la psychiatrie, qui avait quitté la neurologie pour s'installer sur le divan douillet de la psychanalyse, se sépare à nouveau et se retrouve seule. Elle nourrit une haine assez irrationnelle vis-à-vis de son ex et doit une fois de plus trouver sa voie et apprendre à se réinventer. C'est précisément là, je crois, qu'il y a un rendez-vous manqué. Un rendez-vous manqué entre la neurologie, la psychiatrie et la psychanalyse ou toute autre science de l'immatérialité de l'être humain. Un mauvais divorce au lieu d'un bon vieux trouble. Et vous m'excuserez encore si je manque un peu de tempérance dans mes tropos, mais la rancœur est vive et j'observe quotidiennement les conséquences de cette évolution. Au risque d'agiter des épouvantails, je terminerai en vous donnant deux exemples, somme toute anecdotiques, puisqu'essentiellement sémantiques. J'ai découvert il y a quelques années qu'un des plus importants congrès de psychiatrie français, qui vient d'ailleurs de s'achever il y a quelques jours, s'appelle l'Encéphale. Cette année, il avait pour thématique l'esprit libre. Et à la lecture du programme, je me suis mis, une fois encore, à regretter mon choix de neurologue. Les thématiques sont passionnantes et les quelques interviews que j'ai pu regarder m'ont impressionné. Mais l'encéphale, bon sang ! L'encéphale, pour ceux qui l'ignorent, c'est l'organe qui se situe tout au bout de la coloscopie. L'encéphale, c'est le mou entre les deux oreilles et c'est la pièce de boucher qu'on laisse reposer dans l'eau toute une nuit pour la rendre plus tendre et que ma grand-mère a grémenté d'épices marocaines pour la rendre meilleure. L'encéphale, c'est le coup de hache qui tranche le nœud gordien de la psychiatrie. Pour les patients et pour le monde entier, l'attente est immense. La psychiatrie, que les psychiatres le veuillent ou non, est la seule discipline médicale capable de prendre en charge la santé mentale et la souffrance morale. Bien sûr, il y a les maladies mentales, telles que les troubles de l'humeur, l'autisme, la schizophrénie, qui sont au même titre que la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson, des maladies de l'encéphale. Mais il y a tout le reste, nous tous, ici présents. Nous souffrons tous de notre histoire et de nos liens aux autres. Et cette souffrance n'a rien d'imaginaire. Elle pèse lourd sur les finances de l'État et le moral des troupes. Et ce n'est pas un hasard si l'on se drogue plus aux antalgiques qu'aux molécules psychédéliques. De nos jours, peut-être parce que nous les médecins n'avons plus la capacité d'entendre la souffrance morale de nos patients, exprime-t-il de la douleur ? Faut-il que l'on se plaigne de notre santé physique pour qu'on se penche enfin sur notre santé mentale ? La névrose n'existe plus dans le DSM-5, qui est la classification diagnostique des maladies mentales. Pire que mal nommer les choses, et de ne pas les nommer du tout. La psychiatrie, qui étymologiquement est la médecine de l'âme, a fait le choix de l'encéphale comme d'une pierre de rosette pour sa discipline. Mais peut-on dire pour autant que la santé mentale est réductible au fonctionnement de notre encéphale ? En s'amputant de la psychanalyse ou de toute autre science de l'indicible immatérialité de la nature humaine, je crains que la psychiatrie se condamne à boiter. Et je crois que les étudiants en médecine ne s'y trompent pas. La psychiatrie reste une discipline désaffectée. Lors des choix des épreuves aux épreuves nationales classantes, qui permettent l'accès aux spécialisations, elle est choisie en 40e position sur 44 spécialités en 2023. Ce qui est constant depuis au moins 10 ans, inconcevable, quand on sait que c'est la première spécialité à avoir vu le jour, et sans nul doute, la plus belle d'entre toutes. C'est pourquoi je pense qu'à côté de la crise institutionnelle qu'elle rencontre actuellement, Elle souffre aussi d'une crise identitaire profonde et ancienne. Mais je vous rassure, la neurologie de son côté n'est pas en reste. J'en veux pour preuve l'essor de ce qu'on appelle les troubles neurologiques fonctionnels. Je cite les informations du Vidal en date du mois de juin 2024 sur les troubles neurologiques fonctionnels. Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes neurologiques tels que des malaises, des crises, des douleurs, des troubles digestifs, sexuels, ORL, moteurs sensitifs. Ils peuvent aisément être confondus avec une atteinte organique, mais diffèrent de ces dernières par l'absence de lésions ou de maladies identifiables. Ils représentent tout de même 10% des consultations. Toujours selon le Vidal, la physiopathologie des troubles neurologiques fonctionnels n'est pas complètement élucidée. Mais les études d'imagerie auraient permis de grandes avancées. Rôles des fonctions attentionnelles, propension à la dissociation, troubles de la gentilité, dysfonction au niveau des réseaux cérébraux. Encore sur le même site. Avant, on parlait d'hystérie, mais on sait bien qu'aujourd'hui, ça n'a pas de lien direct avec l'utérus. Merci le Vidal. Avant, on parlait de symptômes conversifs, mais ça ne se dit plus parce que rien ne prouve scientifiquement qu'il existe un quelconque conflit intra-psychique à l'origine des troubles neurologiques fonctionnels. Finalement, le terme de TNF a été créé pour chercher un consensus à propos de ces quelques 10% de patients et autant d'épines dans le pied des praticiens. Car les neurologues disaient c'est psychiatrique et les psychiatres disaient c'est neurologique Voilà le quotidien de l'activité d'un neurologue aujourd'hui. Ainsi sont nés les troubles neurologiques fonctionnels. Dans la vraie vie, les patients qui sortent de l'hôpital ou de consultation avec une jolie plaquette plastifiée où on leur explique à grand renfort de schémas complexes et de réseaux de neurones qu'ils ont un TNF ne comprennent rien à ces explications, pas plus que je les comprends moi-même. 100% des patients que je vois et qui sont passés par les fourches codines de la case diagnostique des troubles neurologiques fonctionnels étaient à mille lieues d'imaginer qu'il y avait un quelconque lien avec le psychisme, les traumatismes et les liens aux autres. Au moins, quand on parlait de maladies psychosomatiques, les patients réagissaient. Ils s'offusquaient, ils s'énervaient, parfois même ils nous tapaient. Bref, ils savaient de quoi on parlait. Mal nommer les choses. 10% des consultations. Je ne vous parle pas des arrêts maladie et des congés de longue maladie. Nous en sommes là en 2025. La neurologie bande les yeux de ces patients. Libre à elle de le faire. L'être humain, à la différence de l'ensemble du vivant, est un entrelac de deux brins tressés. Le nœud qui en résulte est absolument indétricotable. Pourtant, qu'avons-nous fait ? Nous l'avons tranché d'un coup d'épée. Nous avons choisi, comme nous le faisons toujours, la radicalité. Et nous sommes voués à vivre en deux dimensions, dotés d'une médecine qui n'en accepte plus qu'une. Qu'il est doux d'être neurologue et de pouvoir ne serait-ce qu'une fois de temps en temps réduire ses patients à la physiologie de leur encéphale. Voyez comme j'ai choisi la voie de la facilité. Être psychiatre c'est avoir davantage de responsabilités, car on attend de lui qu'il soigne la matière grise, autant que l'éminence grise qui préside. Peut-être l'ignore-t-il parfois, mais c'est lui qui endosse la vie sacerdotale du médecin, censé soigner l'âme de ses patients. tâche presque inhumaine au demeurant. Et lorsqu'il n'est pas à la hauteur, alors il les pousse sans le vouloir dans les bras des médecines parallèles, aux mains de praticiens plus ou moins consensueux, ou pire, aux griffes de commerciaux de supposées techniques plus ou moins dangereuses et souvent inutiles, bien que se prévalant presque toujours des neurosciences. Je crois qu'il faut de toute urgence réhabiliter la dimension immatérielle de l'être humain au sein de notre corpus scientifique et médical, sans quoi nous risquons de faire d'un rendez-vous manqué une occasion perdue. Terminé. Je vous ai promis une révélation sur ma petite personne, et vous l'avez patiemment attendue, alors je vous la lis. J'ai passé les 20 premières années de ma vie dans une forme d'indolence. indifférent au corps comme à l'esprit. Puis j'ai commencé les études de médecine et j'ai passé les 22 années suivantes à revendiquer un matérialisme radical. Mon livre de chevet, c'était l'erreur de Descartes d'Antonio Damasio. Je ne considérais l'être humain qu'à travers la matérialité de son corps physique, de sa santé physique. Je croyais que tout en lui était réductible à sa matière, aussi complexe fut-elle. Je ne croyais qu'à l'existence d'une seule et même substance dans l'univers. J'étais moniste. Moniste, c'est quand on pense qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers. Mais, peut-être parce que le monde se radicalise et que j'ai gardé dans mon adolescence l'esprit de contradiction, depuis quelques mois, voilà que je vacille sur mes certitudes, entreapercevant une nécessaire et salutaire dualité. Alors moi aussi j'ai décidé de couper ce fichu neugordien d'un coup d'épée. Le couper, comme dit Israël Nizan, fondateur du Forum Européen Bioéthique, c'est coupable. Le trancher à défaut de pouvoir le dénouer, c'est une fois encore faire le choix de la facilité. Et j'ai conscience de le faire dans le sens qui n'est pas le plus juste sur le plan scientifique. Je continue bien évidemment de croire qu'il n'y a pas le corps d'un côté et l'âme indépendante de l'autre. Mais puisqu'il faut trancher, puisqu'on m'impose de trancher, Il me semble que le dualisme est plus digne de notre condition si singulière d'être matériel et immatériel. Considérer l'être humain dans ces deux dimensions nous permet de mieux appréhender nos souffrances, nos joies, de mieux nous soigner, de mieux nous comprendre. Tant que la santé mentale ne sera qu'un label éphémère remplacé dès l'année prochaine par Dieu sait quelle autre grande cause nationale, la médecine ne fera jamais que les choses à moitié. Elle aura beau guérir, penser, régénérer, même ressusciter, elle nous laissera toujours sur notre faim. Car n'en déplaise au chevalier blanc du bio-essentialisme, nous sommes bel et bien irréductibles à nos deux dimensions. charge à nous, à nos enfants, à nos élèves, d'inventer un dualisme laïque, un dualisme éclairé, incarné, pragmatique, une manière d'allier la santé mentale et la santé physique sans jamais les confondre ou pire, les opposer. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour ces deux magnifiques interventions qui ont inauguré notre forum, qui commencera demain par une première table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté que vous pourrez suivre ici même dans la salle de l'Aubette, mais également en direct sur le site Forum européen de bioéthique. A demain, au revoir.

Description

Forum Européen de Bioéthique 2025: Santé mentale & Bioéthique


Conférence inaugurale : Santé mentale et Bioéthique


En France, la dépression touche un adulte sur six, et pas moins de seize millions d’entre nous ont déjà utilisé des psychotropes. Entre 2019 et 2022, chez les 12-25 ans, l’Assurance maladie a observé une augmentation de 20 % des maladies psychiatriques et de 60 % de la consommation d’antidépresseurs. Chez les 25-34 ans, le suicide est désormais la première cause de mortalité. Depuis vingt ans, partout dans le monde, les problèmes de santé mentale ne cessent d’augmenter, notamment dans les populations les plus fragiles : jeunes, personnes âgées, sans-abris, détenus, femmes enceintes… C’est dire si la santé mentale est un problème de santé publique.

Pourtant, la prise en charge psychiatrique et psychologique reste encore trop souvent un « véritable parcours du combattant » (rapport du Haut-Commissariat au Plan). La psychiatrie est en crise : manque de lits, de psychiatres, d’infirmier·e·s, manque de moyens et de reconnaissance. Auprès du grand public, mais probablement aussi pour une part importante des médecins et même des institutions, la psychiatrie fait peur, au point d’être souvent reléguée dans l’angle mort de la médecine.

La « santé mentale » pose avant tout un problème de définition. Et comme disait Albert Camus en 1944 : « Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur de ce monde. » Si la « santé mentale » était considérée d’égale à égale avec la « santé physique », il y a fort à parier que le monde irait mieux. Imaginez seulement qu’on puisse, en France, en 2025, proclamer que l’on va faire de la « santé physique » une grande cause nationale. C’est inimaginable, car la « santé physique » est depuis longtemps déjà considérée comme le bien le plus précieux de l’humanité. Alors, pourquoi n’en va-t-il pas de même pour la santé mentale ? C’est aussi une forme de médecine à deux vitesses.

Cette année, au Forum Européen de Bioéthique, nous tâcherons d’explorer la santé mentale avec le même degré d’exigence que celui attendu pour la santé physique : évolutions diagnostiques, thérapeutiques, sociétales et juridiques…


Avec


Raphaël Gaillard, Professeur de psychiatrie, Chercheur en neurosciences, Élu à l'académie Française


Aurélien Benoilid, Neurologue, Président du Forum Européen de Bioéthique


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonsoir à tous. Dans nos rêves les plus fous du petit carteron de personnes, dont Jean-Louis Mandel que je vois arriver il y a 15 ans, si on nous avait dit qu'on aurait, 15 ans plus tard, encore des salles combles et encore cette appétence du public strasbourgeois à la bioéthique, on ne l'aurait pas cru. Quand on a parlé de bioéthique la première fois, on nous a dit mais ça c'est de la médecine, c'est de la science, ça n'intéresse pas le grand public Et justement, ce n'est pas de la médecine, ce n'est pas de la science, et chacun d'entre vous a un avis sur les sujets bioéthiques. Et depuis 15 ans, la bioéthique, si j'ose dire, nous a rattrapé. Elle nous a rattrapé dans la loi, elle nous a rattrapé dans notre vie de tous les jours. Tout le monde a un avis sur la fin de vie. sur ce qu'il faut mettre dans la loi. Nous sommes, et ces avis finissent par constituer la loi. Alors au Forum, on n'a jamais eu l'intention d'agir sur la loi, mais on a eu l'intention de donner les éléments de compréhension, les éléments scientifiques, les éléments de réflexion. Et je dois dire que depuis 15 ans, il n'y a pas eu une seule séance où même des avis contradictoires ne se sont pas écoutés mutuellement. et où la discussion n'a pas été sereine. Pour ça, je remercie infiniment le public strasbourgeois, parce que quand je vois comment ça se passe parfois dans les débats, et en particulier dans les débats bioéthiques, et parfois même dans les instances parlementaires, je me dis que parfois ça manque de sérénité, et ça manque aussi de culture. C'est donc une joie et un plaisir de vous retrouver. tous et cette année pour la première fois en dehors du streaming il va y avoir des podcasts donc vous pourrez retrouver et beaucoup d'étudiants s'en servent depuis des années vous pouvez retrouver en podcast toutes les conférences qui ont lieu au forum européen de biotique le choix de la nouvelle Troïka qui dirige le forum parce qu'il faut passer la main et la main est le... Le relais a été saisi avec très grande sagesse par Aurélien Belmoilide, qui a choisi Santé mentale et bioéthique, quel beau thème On va, pendant les jours qui viennent, explorer tous les aspects bioéthiques de la santé mentale. Je dois remercier, parce que c'est complètement unique, non seulement en France, mais en Europe, de mettre la bioéthique à la portée du grand public. Et ceci a été possible grâce aux collectivités territoriales. Au début, il y avait un labo de médicaments qui proposait Vous avez besoin de combien ? Voilà, on vous fait le chèque. Et je ne sais pas pourquoi, j'ai refusé. Bien m'en a pris parce qu'aujourd'hui, un forum de bioéthique qui serait financé par un laboratoire pharmaceutique, ça ferait bizarre. Et donc, c'est le préfet... de la région Grand Est, la région Grand Est, la collectivité européenne d'Alsace, l'euro-métropole de Strasbourg et la ville de Strasbourg, qui ont toujours tenu le Forum à bout de bras, avec toutes les difficultés qu'il peut y avoir, de budget, la complexité du montage a toujours été grande, mais nous n'avons jamais été lâchés, parce que le Forum est devenu une marque. Beaucoup de gens cherchent le programme, quand est-ce qu'il paraît, quand est-ce que les gens attendent le forum et c'est une particularité de Strasbourg. Nous avons des nouveaux partenaires, l'agence régionale de santé Grand Est nous aide, la fondation de France avec l'une de ses fondations abritées. Éthique IA, Daniel Gruson, le Crédit Agricole d'Alsace-Vosges, tous ces partenaires financent intégralement cet événement afin de le rendre accessible gratuitement au plus grand nombre. Et donc c'est totalement unique, pas seulement en France, en Europe. Il n'y a pas un seul endroit en Europe, en dehors du Forum européen de Strasbourg, où le public peut s'approcher de la bioéthique, se cultiver. comprendre la complexité des choses et sortir avec sa propre opinion et toutes les opinions se valent. Nous remercions également tous nos autres partenaires qui nous accompagnent dans l'élaboration du programme et qui contribuent à développer le rayonnement de l'événement. Et je remercie tout particulièrement Raphaël Bloch qui est ici, qui est la cheville ouvrière et qui a maintenu... techniquement et pratiquement ce forum dans la qualité qu'il avait au départ et je dirais même qu'il s'est amélioré au fil des années. Merci Raphaël, merci Aurélien, merci Maud. Pour tout ce travail, je donne la parole à Maud.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup, bonsoir à tous. Alors je vais passer la parole... aux élus. Et pour commencer, M. Alexandre Fels, qui est adjoint à la maire en charge de la santé publique et environnementale, représentant donc Mme Jeanne Barzéguian, maire de Strasbourg. M. Fels.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Je vous salue toutes et tous. Je voudrais donc au nom de la maire de Strasbourg, Jeanne Barzéguian, mon nom propre, Alexandre Fels, adjoint à la maire et président du Conseil local de santé mentale. Donc vous accueillir ici, remercier bien sûr les organisateurs, notamment Israël qui a été vraiment le père fondateur et qui maintenant a pu transmettre. C'est bien, c'est important de créer, c'est aussi très important de transmettre. Voilà donc ce matin, en réfléchissant à ce que vous allez vous dire et en lisant le quotidien. Régional qu'on lit chaque matin, nous élus, dernière nouvelle d'Alsace, je me suis dit que notre santé mentale était quand même un peu complexe. Quand on a plan que Donald Trump a des propos transphobes, vous savez que maintenant les personnes qui ont transformation de genre ne pourront plus travailler dans l'armée ni dans les fonctions publiques américaines. C'est un peu difficile quand on voit que les pesticides, notamment les néocotinoïdes pour les abeilles, voudraient revenir en France. On se dit waouh, pour la planète, c'est un peu compliqué. Puis quand on voit que la ministre de l'Éducation veut revenir sur le programme d'éducation à la sexualité parce que le mot genre pourrait poser un problème. Et puis, à la fin, quand on voit que... On parle de submersion par le Premier ministre sur la question des migrants. On se rend compte que c'est complexe. Donc la santé mentale a plein de déterminants. On voit que la géopolitique, la guerre, les conflits sont bien sûr des déterminants majeurs. La question de l'environnement est bien sûr aussi quelque chose de très important dans les déterminants sur la santé mentale. Donc tous les chiffres, on reverra tout à l'heure, montrent qu'aujourd'hui on est dans une épidémie de santé mentale et que donc c'est vraiment nécessaire de travailler ensemble, de réfléchir, de questionner cette question. Alors la santé mentale, ce n'est pas forcément la psychiatrie, c'est aussi la psychiatrie, c'est aussi les malades mentaux, mais c'est de façon plus large, quelque chose qui est à la limite de la question de la normalité. D'ailleurs, qu'est-ce que c'est la question de la normalité ? Et puis, je discutais il y a quelques jours avec le professeur Dagnon, on était à la maison de la santé mentale, donc madame la présidente Piaïms nous parlera tout à l'heure. Et il disait que la limite, elle est... Elle est très ténue, en fait, en ce qui serait la normalité, et ce qui serait la santé mentale, et ce qui serait la psychiatrie. Et souvent, les gens ont du mal à comprendre ça. C'est-à-dire la stigmatisation, notamment, qui est faite sur les questions de santé mentale, et quelque chose qui vient qu'on aimerait que ça soit en dehors de nous, mais on voit bien, en tout cas, moi, ce matin, j'étais pas très bien, en fait. Donc, on peut tous avoir ces moments-là. Voilà, donc, merci beaucoup. de nous aider à réfléchir à ces questions. Et puis, la question de la santé mentale, elle est présente partout. On le voit, moi, je suis président de la maison des adolescents du Barin. Aujourd'hui, les situations sont plus nombreuses, mais surtout plus complexes. Je le vois aussi à la maison du sport santé. Vous savez peut-être que l'activité physique... est un médicament recommandé dans l'anxiété et la dépression légère. D'ailleurs, la Chalais dit que c'est la première des prescriptions. Et alors que c'était les maladies métaboliques qui étaient la première prescription, aujourd'hui, c'est les questions de santé mentale, puisqu'à Strasbourg, l'anxiété légère, la dépression, mais aussi les problèmes psychiatriques sont pris en charge par la Maison du Sport Santé gratuitement avec un accompagnement médico-sportif. Donc, on voit bien que cette diversité, cette réalité-là, nous impose une réflexion majeure. Et pour ne pas être trop long et laisser Madame la Présidente parler de l'action de la santé mentale et de la maison de la santé mentale, ce lieu, c'est un lieu citoyen. Et je pense que le Forum interroge la question du citoyen. Et c'est fondamental qu'on crée des lieux physiques ou des lieux d'échange comme le Forum pour remettre le citoyen, l'usager, le malade, on dit quelquefois, mais plus globalement le citoyen. au cœur de nos réflexions. Et donc, comme je peux encore le faire, je vous souhaite une bonne année, une bonne santé physique et mentale. Voilà, et merci au Forum de nous permettre de nous accompagner. Je suis persuadé que participer au Forum, ça va améliorer notre santé mentale. Voilà, merci à toutes et tous.

  • Speaker #1

    Voilà, nous accueillons Madame Pia Ims. Présidente de l'Eurométropole de Strasbourg.

  • Speaker #3

    Bonsoir à tous et à toutes et je vous salue en vos grades et qualités. Quel plaisir de voir cette année encore une salle très remplie. Cet événement maintenant bien connu, ça a été dit, qui fait référence et qui est résolument de qualité. C'est donc un... Un plaisir d'être là pour ce rendez-vous incontournable pour Bioéthique qui questionne chaque année, année après année, les enjeux décisifs pour notre société. Je voudrais saluer et remercier salueusement les organisateurs de ce forum qui est devenu un véritable laboratoire d'idées et d'échanges sur les grandes questions de bioéthique et encore une fois plus largement de société. Au fil des éditions... Vous avez pris une belle place et c'est pour cela que l'Eurométropole réaffirme son soutien d'une manière pérenne aussi. Et je remercie aussi le représentant du préfet de nous avoir aidé pour cela, puisque le financement est dorénavant inscrit dans un contrat triennal, où on retrouve tous les partenaires financeurs de ce soir d'ailleurs, ce qui permet d'imaginer avec sérénité l'avenir de ce grand forum. Le thème choisi cette année, santé mentale et bioéthique, montre bien, tout le monde le sait, que ce sujet certainement exacerbé avec la crise du Covid est aussi renforcé avec toutes les thématiques, les crises, les questionnements d'origine sociale ou environnementale. Et donc, il nous faut traiter la santé mentale avec autant d'exigences qu'on traite déjà la santé physique et le bien-être mental, on le sait bien. tout aussi essentiel à notre épanouissement que le bien-être physique pour lequel la ville, l'euro-métropole sont déjà tout à fait convaincu et s'engage pour le sport santé. Alexandre Fels connaît bien ce sujet, il en est à l'origine. Et donc, vous le savez, les troubles psychiques, au sens large, concernent environ une personne sur cinq chaque année en France. C'est devenu d'ailleurs donc la grande cause nationale. Et il faut dire sans doute que les questions de santé mentale ne doivent plus être un tabou, sans toutefois peut-être tomber dans la jonction inverse. et que l'épanouissement mental absolu et inconditionnel serait nécessaire. Il est aussi normal de traverser des phases de tristesse sans pour autant en faire une pathologie. Je referme la parenthèse. Pourtant, le poids des réseaux sociaux est là et on en fait beaucoup en fond sans doute un mauvais usage et ceci peut contribuer à ce dont nous allons parler, vous allez parler au cours des prochains jours. causes d'anxiété, causes de dépression ou d'autres troubles certainement liés à l'usage excessif des réseaux sociaux, j'en suis assez convaincue. Et donc, à l'Eurométropole, nous avons depuis plus d'un mandat maintenant mis au cœur de nos politiques publiques la question de la santé. Nous travaillons d'ailleurs sur le concept une seule santé qui englobe beaucoup d'éléments, notamment la santé environnementale, et donc qui complète. Beaucoup d'aspects de ce que j'ai déjà indiqué, par exemple le soutien au sport pour tous, mais c'est aussi la prise en compte de la réalité sociale. Nous soutenons la maison des adolescents, par exemple la maison des ados à Strasbourg, où convergent des adolescents de tout le territoire métropolitain, et pas que strasbourgeois, parce qu'il y a des décrochements scolaires, parce qu'il y a eu encore et toujours la période post-Covid. et que donc l'intelligence artificielle dont on a parlé l'année dernière se rajoute à cette réalité de perte de repère finalement. Et donc il faut savoir travailler ces sujets. Grande cause du gouvernement pour 2025, je l'ai dit, à notre niveau, nous sommes convaincus de l'intérêt d'une maison de la santé mentale qui verra concrètement le jour et qui sera inaugurée en juillet 2025 pour... Là encore, c'est une première en France pour apporter du conseil et de l'accompagnement. Parce que le réflexe serait de dire, il faut un parcours de soins en santé mentale, pas seulement. Il faut de l'aide pour faire des papiers, avoir des liens sociaux, accepter et faire comprendre sa différence, être écouté, bref, un lieu innovant qui a toute sa place, me semble-t-il, un lieu d'écoute, d'accompagnement, pour aussi changer les regards. prévenir, offrir du soutien où des professionnels sont présents. Voilà tout ce que la maison de la santé mentale va apporter sur notre territoire et je pense qu'il aura son utilité et trouvera sa place. Voilà des exemples très concrets du volontarisme, je crois, dont les élus peuvent et doivent s'emparer, sans parler d'autres aspects, lorsque l'Eurométropole soutient évidemment NextMed, qui est notre campus des technologies médicales. l'innovation médicale est également importante dans ce contexte. Pour finir, encore une fois, la santé mentale nous concerne tous et toutes. Vous avez tellement raison de mettre ce sujet en débat pour les prochains jours, aux élus aussi, et dont j'en fais partie, de prendre leur responsabilité là où ils le peuvent, trouver des pistes d'action et montrer donc de la... Vraie compréhension au sens fort du terme sur ce sujet on ne peut plus prégnant. Donc l'Eurométropole sera encore et toujours aux côtés de ces grands forums qui nous permettent de réfléchir et de débattre. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci. J'accueille maintenant M. Nicolas Matt. Vice-président représentant M. Frédéric Biéry, président de la collectivité européenne d'Alsace.

  • Speaker #4

    Mesdames et messieurs, chers intervenants, chers collègues élus, cher Israël Nizan, fondateur du Forum de bioéthique, cher Aurélien Benloïd, président du Forum de bioéthique, c'est un vrai... Plaisir de prendre la parole ici ce soir à l'occasion de ce 15e forum de bioéthique intitulé santé mentale et bioéthique. Plaisir d'y représenter la collectivité européenne d'Alsace en tant que vice-président, puisque nous avons comme collectivité, comme institution, bien des choses à dire sur ce thème. J'y reviendrai. Sachez aussi que notre collectivité, et moi-même, je me réjouis que la santé mentale ait été mise à l'honneur par le Premier ministre Michel Barnier, qui a décidé de faire de l'année 2025 l'année... de la santé mentale. La CEA, vous ne le savez peut-être pas forcément, est chef de file des politiques des solidarités comme tous les autres départements. Elle dispose d'un ensemble de leviers qui lui permettent également d'agir, soit de manière directe ou indirecte, sur la santé. Et je pense au plan santé 2024-2028 que nous avons adopté en juin 2024. et qui nous permettra d'agir notamment sur la santé mentale en investissant chaque année en fonctionnement un peu plus de 2 millions d'euros pour soutenir un ensemble d'initiatives et 1 million d'euros en investissement pour soutenir encore une fois des politiques de santé publique en lien avec la santé mentale. Alors bien évidemment, vous le savez, ce n'est pas une nouveauté, la santé est une compétence de... de l'État, bien évidemment. Néanmoins, je crois, et avec mes collègues, nous sommes convaincus que les collectivités ont quand même un rôle important à jouer et la crise de la Covid-19 l'a démontré. Nous sommes capables de cette agilité et de cette intelligence fine de territoire qui nous permet également d'agir avec pertinence au plus près de nos concitoyens. Et dans la boîte à outils dont nous disposons, je pense également à l'équipe mobile santé-précarité. qui est en œuvre depuis 2018 et qui permet d'intervenir directement sur les populations en grande précarité pour assurer autant que l'on peut un suivi de la santé mentale. Et c'est aussi pour nous, cette équipe mobile, un moyen de réduire les inégalités territoriales liées aux difficultés d'accès aux soins. Plus généralement par rapport au thème du forum d'aujourd'hui, il semble... Que la santé mentale des habitants, de nos concitoyens, soit influencée par une multitude de facteurs qui nous interrogent, nous, les collectivités territoriales, l'État bien évidemment, et finalement toute la société. Je pense à l'isolement social, à la précarité économique, à la stigmatisation des personnes souffrant de difficultés liées à leur mental. La stigmatisation peut aussi empêcher aux soins de se développer directement. L'accès aux soins, j'en ai parlé, et tout un ensemble de facteurs environnementaux liés aux conditions de vie, au stress et à d'autres facteurs qui peuvent influencer la vie quotidienne. Et si vous me le permettez, comme vice-président en charge de la jeunesse, de la collectivité européenne d'Alsace, j'aimerais dire quelques mots un peu plus précisément sur les jeunes. De la tour de contrôle du social. qu'est la collectivité européenne Alsace, je m'aperçois que notre jeunesse ne va vraiment pas bien. Plus 20% d'informations préoccupantes par an. Toujours plus de familles en crise. Toujours plus de familles à placer. Des détresses un peu partout dans le monde qui déclenchent des flux migratoires qui font arriver sur notre sol 10 fois plus de jeunes mineurs non accompagnés, 10 fois plus entre 2014 et 2024. Des jeunes qui ont parfois un parcours de vie, et le plus souvent d'ailleurs, extrêmement compliqué, parfois même traumatisant. Oui, ils souffrent par conséquent de pathologies mentales. Toutes ces jeunesses sont en crise. Cher Alexandre, nous rencontrons à la maison des adolescents du 67, et je le vois aussi dans le 68, les suicides repartent à la hausse. Il y a des choses qui ne mentent pas. Donc cette jeunesse, il faut s'en occuper. Il faut s'en préoccuper. Et comme élu, moi j'ai une conviction, si je dois agir à un niveau qui est le mien, c'est celui de la prévention. Celui de la prévention. Dans les champs de compétences qui sont les nôtres. Et je suis très heureux que nous ayons pu mettre en œuvre, dès l'année dernière, ça fait un an maintenant que nous avons du recul, un grand plan de lutte contre le harcèlement chez les mineurs. Nous avons sensibilisé plus de 10 000 collégiens. Nous avons formé nos 1280 personnels des collèges. à la détection de situations de harcèlement. Parce qu'être harcelé, c'est des portes ouvertes, cher Israël, cher Aurélien, à la dépression. au doute, à l'angoisse et peut-être au geste ultime. C'est un nouveau plan qui commence cette année aussi d'éducation à la sexualité pour briser le tabou des règles, aller dans les zones où c'est difficile pour prévenir ces situations de tension intersexe, pour que les jeunes filles et les jeunes hommes se sentent bien autant que possible dans leur corps et comprennent ces changements et puissent surtout en parler naturellement. C'est ce qu'on appelle l'action des indispensables. Mais c'est aussi... Une logique à 360 degrés qui consiste à soutenir le tissu associatif. Parce que ces jeunes ne sont pas tout le temps dans un lycée, ils ne sont pas tout le temps dans un club sportif, loin de là. Il faut les accompagner au quotidien, surtout dans les quartiers où ça ne va pas bien, pour leur montrer d'autres choses, les entraîner vers une piste d'action. C'est le soutien au centre socioculturel que nous réaffirmerons cette année, et ça j'y crois tout particulièrement. C'est la prévention en lien avec la protection maternelle infantile. Tu le disais avec force, cher Pia, et je te remercie, Les réseaux sociaux ne sont pas là que pour le meilleur. Et nous, on se doit d'éduquer, de faire de la prévention. Parce que je pense bien sûr aux images choquantes, bien sûr, mais de ma fenêtre, je pense surtout à ces parents qui ne portent plus 20 minutes par jour leurs nourrissons parce qu'ils ont le nez vissé sur leurs écrans. Et c'est un lien social, un lien parental qui ne se fait plus. Et c'est des situations de grand stress et de grande souffrance après pour l'enfant. On a déclenché Croc-écran, on a déclenché Nono et les écrans pour essayer d'apprendre aux parents à décrocher aussi des portables et accompagner les familles qui ont des adolescents, qui ont une consommation anormale d'Internet et des mésusages qui au final est délétère pour leur santé. Et c'est, cher Alexandre, tu le disais aussi avec conviction, j'ai beaucoup aimé sur la maison du Sport Santé où on travaille aussi ensemble, Nous avons lancé dans de très nombreux collèges d'Alsace une opération qui s'appelle Boostaform où on a évalué la santé physique, l'activité physique que font les jeunes, les jeunes ados pour essayer de détecter des situations problématiques. Quand on ne bouge pas, ce n'est pas bon. Un enfant qui ne bouge pas, ce n'est pas bon. Donc c'est tout un ensemble d'actions qu'on espère voir aboutir. Encore une fois, cette logique, c'est celle de la prévention, mais il y a beaucoup de travail à faire. Je vous le dis peut-être avec force, mais avec beaucoup d'humilité, le chemin est long. On a besoin de toutes les énergies, des collectivités, du monde scientifique, médical, de l'État, de la société en général. Et je pense que c'est bien l'ADN de ce forum européen de conjuguer ces forces-là, de croiser les regards pour évidemment éclairer, apprendre. On est toujours plus intelligent quand on sort du forum de bioéthique, mais surtout entraîner l'énergie sur une thématique précise. Et pour cela, je vous remercie. infiniment. Bon forum à tous.

  • Speaker #1

    Merci M. Matt. Nous accueillons maintenant Mme Nadege Hornbeck, vice-présidente, représentant M. Franck Leroy, président de la région Grand Est.

  • Speaker #5

    Merci, bonsoir à toutes et à tous. C'est également pour moi un réel plaisir de Faire partie de l'ouverture de ce magnifique forum qui existe maintenant depuis 15 ans, que la région soutient maintenant depuis quelques années. Alors si je peux avoir des mots réconfortants, parce que je sais que c'est avec toujours plus de sérénité pour le fondateur et le président de pouvoir penser les différentes et les prochaines éditions. En tous les cas, je peux affirmer que tant que je serai vice-présidente de cette région, la région accompagnera. Elle l'a déjà fait avant que je ne sois là. Elle le fera encore après. Mais en tous les cas, la région a bien conscience de la qualité de ce forum et des intervenants qui y participent également. C'est tout naturellement que vous avez les institutionnels de votre côté. En ce début d'année 2025, nous voici réunis pour évoquer ensemble une problématique, je crois, essentielle. D'ailleurs, ça a été dit à plusieurs reprises ici, donc la santé mentale et la bioéthique. Le choix de ce thème n'est pas anodin, comme le souligne d'ailleurs l'édito de cette édition. La santé mentale s'impose aujourd'hui comme un enjeu majeur, voire comme le véritable mal du siècle. Les chiffres parlent d'eux-mêmes et sont éloquents. Un adulte sur six souffre de dépression en France. Le suicide est désormais la première cause de mortalité chez les jeunes. Le mal du siècle, c'est une souffrance souvent invisible, mais pourtant si réelle, qui découle de pressions constantes exercées par les différents environnements, qu'ils soient professionnels, familiaux et sociaux. C'est le poids de l'isolement que beaucoup peuvent ressentir, accentué par les crises sanitaires récentes. C'est aussi l'angoisse d'un futur incertain. dans un monde marqué par le dérèglement climatique, les inégalités croissantes et les bouleversements géopolitiques. Et ça a été là aussi évoqué précédemment. Alors nous sommes aussi dans une société qui valorise la performance, la rapidité et la productivité.

  • Speaker #0

    La détresse psychologique, souvent silencieuse, devient d'ailleurs omniprésente chez chacun d'entre nous. Directement ou indirectement, nous sommes tous concernés par cela. Ça transcende bien évidemment les âges, les milieux sociaux et bien évidemment les frontières. Donc la santé mentale est donc devenue un sujet universel, j'irais même inévitable. Il s'agira ici, dans le cadre de ce forum, d'évoquer des sujets cruciaux, comme je l'imagine en tout cas, et là encore ça a été dit, je crois que c'est un sujet très important de santé mentale, l'impact des réseaux sociaux et de l'hyperconnexion sur la santé mentale de chacun d'entre nous. Je fais partie moi de cette génération qui est naissante. et qui agrandit sans cet outil. Et je peux, alors moi je suis concernée aussi par cette problématique d'être tout le temps sur mon téléphone ou en tout cas d'en avoir énormément l'utilité pour chaque pan de ma vie finalement. Mais en tant que génération qui est née dans les années 90, je peux dire aussi qu'on n'en a pas fondamentalement besoin. Mais en tous les cas, je sais que ça en est devenu une drogue pour les uns et les autres, et que ça a un réel impact au final sur notre état mental à tous. Et je pense particulièrement aux jeunes, et ça a été dit ici par mes collègues, sur la santé des jeunes. Les jeunes vont mal, alors pas tous. En tous les cas, je crois pouvoir dire que... Au vu de l'accès important à l'information ou à la désinformation que permet cet outil, en tout cas le numérique, peut rendre nos jeunes peut-être moins épanouis et surtout plus anxieux. Et l'anxiété est quand même une problématique de santé majeure, je crois en tout cas pour notre société aujourd'hui. Il en va de notre responsabilité en tant que institutionnelle, en tant que politique, de pouvoir traiter ces sujets. Alors tout l'intérêt d'un forum tel que celui-ci, c'est de traiter ces sujets de manière plus éclairée, plus scientifique, parce que le débat public, et vous pourrez parler de la santé mentale... en politique, je crois aussi que c'est un sujet surtout en ce moment et avec ce qu'on voit, mais ce que je peux dire c'est que tout l'intérêt d'un tel forum, c'est de pouvoir éclairer le politique qui prend les décisions sur l'avenir de nos sociétés, et je crois qu'on peut être fiers de pouvoir accueillir une telle instance citoyenne, transpartisane, qui évoque les différents... sujet notamment de santé mentale, en tout cas toutes ses composantes. La région Grand Est bien évidemment est engagée en faveur de la santé mentale, la santé notamment des jeunes. Nous avons mis en place un appel à projets pour soutenir finalement les projets et les acteurs qui accompagnent les jeunes. Ça a été le cas notamment de Strasbourg, où nous avons très bien travaillé sur ce sujet-là. au niveau de la maison des adolescents. Donc c'est un enjeu transpartisan, collectif, et nous nous attelons bien évidemment à pouvoir traiter ce sujet. Et chacun, j'aurais envie de dire qu'on a tous, au-delà des institutionnels, un rôle à jouer sur ce sujet-là, puisque chacun a une sphère d'influence et chacun a un rôle à jouer. pour créer un environnement plus bienveillant et plus inclusif autour de lui. La connaissance de soi, des autres et du monde qui nous entoure est essentielle. La quête de sens aussi, pour faire barrage à tout ce qui nuit, à la santé mentale, je crois. Et nous devons là aussi collectivement œuvrer pour que chacun puisse construire son propre avenir et son propre chemin, libre des injonctions artificielles du digital. par exemple, ou des modes de pensée de nos sociétés qui s'imposent parfois à nous, et plutôt rester connecté à ce qui apporte réellement de la satisfaction et de la joie. En tous les cas, c'est ensemble, à travers nos politiques publiques volontaristes, des espaces d'échange comme ce forum, que nous pouvons bâtir un avenir qui contribue à l'épanouissement de chacun. Et en guise de conclusion, permettez-moi de citer ces mots d'Albert Camus. La vraie générosité envers l'avenir consiste à tout donner au présent. Ces paroles reflètent l'essence de notre démarche ici. Nous sommes rassemblés pour penser ensemble l'avenir de nos sociétés, avec la volonté de bâtir un présent plus éclairé, pour un futur plus éthique. Alors mesdames, messieurs, merci de votre présence et de votre contribution, aujourd'hui et dans les jours à venir. Que ces journées soient une source d'inspiration pour vous, de réflexion, mais surtout d'espoir, pour nous tous. et pour notre société ou nos sociétés. Merci à tous et très bon forum.

  • Speaker #1

    Merci et nous accueillons enfin M. Jacques Lallement, directeur de projet du contrat triennal Strasbourg-Capitale européenne, représentant M. Jacques Witkowski, préfet de la région Grand Est.

  • Speaker #2

    Mesdames, Messieurs, je m'associe aux salutations précédentes. Je débuterai mes propos en rappelant que l'identité européenne se forge à Strasbourg et que Strasbourg est un lieu de débat, d'échange et d'avancée, tant au Parlement européen qu'au sein des autres institutions européennes, notamment au Conseil de l'Europe où, dès ce matin, il y a eu des échanges du Forum européen de bioéthique. L'État, la région, la CEA, l'euro-métropole et la ville de Strasbourg s'associent, travaillent, collaborent. au travers du contrat triennal Strasbourg-Capitale Européenne pour conforter et amplifier la place des institutions européennes à Strasbourg qui guide l'Europe et qui guide notre pays. Ce contrat triennal passe par le soutien à des projets structurants mais aussi par des actions qui favorisent le débat public, les échanges, la défense des valeurs et d'intérêts communs qui sont partagés par tous. Je crois que le Forum L'Union Européenne de Bioéthique, qui est soutenue par le contrat triennal, illustre ce lieu d'échange sur des valeurs communes. Ainsi, le contrat triennal souhaite promouvoir des valeurs qui sont débattues par vous, l'ensemble de la société civile. La présente édition du Forum Européen de Bioéthique est soutenue par l'ensemble des collectivités, par l'État, cela a été dit. L'État a une grande diversité, à la fois par le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, mais aussi, et je salue la représentante de l'Agence régionale de santé, qui, aux côtés des collectivités, finance ces journées depuis de nombreuses éditions, comme le contrat triennal, c'est le 15e contrat triennal. Cette fois-ci, c'est le 15e forum de bioéthique, et on peut espérer, et on le souhaite tous, que le contrat triennal continuera à soutenir le forum européen de bioéthique. Ces journées vont permettre d'avoir un éclairage sur l'équilibre entre le progrès scientifique et le respect des droits humains, équilibre délicat. Il nous incombe à tous, citoyens, professionnels, collectivités, Etats, de tracer la voie d'un futur où la santé mentale est prise en compte avec éthique et compassion. Et cela a été souligné précédemment. C'est pourquoi la santé mentale a été déclarée grande cause nationale pour l'année 2025. Cela a été réaffirmé par le Premier ministre lors de son discours de politique générale le 15 janvier 2025 à l'Assemblée nationale. Quatre priorités ont été énoncées et qui s'appuient sur des actions déjà engagées par l'État en la matière, notamment la feuille de route nationale psychiatrie et santé mentale 2018-2026. Les journées du Forum européen de la bioéthique, qui questionnent les implications morales et éthiques des progrès médicaux et scientifiques, trouvent une résonance particulière dans le domaine de la santé mentale. Cependant, ces innovations posent des questions éthiques majeures. Comment garantir que les traitements respectent la dignité et l'autonomie des patients ? Quelles sont les limites de l'utilisation de la technologie invasive sur le cerveau humain ? Quels sont les traitements adaptés ? quels sont l'usage des nouvelles technologies comme ça a été souligné précédemment auprès des jeunes. Mais il est aussi essentiel de veiller à ce que les progrès en santé mentale ne creusent pas davantage les inégalités. On peut souligner les actions des collectivités aux côtés de l'Etat pour lutter sur ces inégalités. La bioéthique nous invite à réfléchir aux normes et aux valeurs qui guideront ces innovations pour qu'elles soient au service du bien-être de tous. Ainsi ces journées apporteront un éclairage sur ces questions qui nous touchent tous. sur notre territoire, mais aussi sur le territoire national et au sein de l'Union européenne. Que ces journées soient riches de débats, de conclusions et de préconisations pour l'ensemble de l'Union européenne. Je vous souhaite de bons échanges et surtout de très très belles journées de Forum européen de bioéthique.

  • Speaker #1

    Nous avons la chance et l'honneur de recevoir M. le professeur Raphaël Gaillard pour ouvrir ce forum sur la santé mentale. Vous qui avez écrit sur des sujets qui nous occupent régulièrement au Forum européen de bioéthique comme l'homme augmenté et l'intelligence artificielle. La lecture de votre page Wikipédia renseigne sur les multiples cordes que vous avez à votre arc ou plutôt à votre violon. Et ce soir, ce sont vos cascades de psychiatre bien sûr et d'écrivain qui nous intéressent au premier plan. Le professeur Gaillard dirige le pôle psychiatrie de l'hôpital Saint-Anne et préside la fondation Pierre Dénicaire qui oeuvre pour la recherche en santé mentale et une meilleure connaissance des troubles psychiques par le grand public, objectif que nous allons également poursuivre pendant ce forum. Monsieur Gaillard est également l'auteur de plusieurs ouvrages, dont Un coup de hache dans la tête, dans lequel il fait le lien entre folie et créativité. Il a été élu à l'Académie française en avril 2024. Médecin et penseur donc. Penser la médecine, c'est la raison d'être du Forum européen de bioéthique. Nous sommes particulièrement heureux de vous accueillir pour avancer ensemble vers cet objectif commun. Et nous vous écoutons, M. Gaillard, pour ouvrir notre forum sur la santé mentale et la bioéthique.

  • Speaker #3

    Merci beaucoup. Merci vivement pour votre invitation pour prononcer cette conférence d'ouverture du Forum européen de bioéthique. Alors longtemps, j'ai lu le programme avec ce sentiment qu'il devait y avoir à Strasbourg la convergence de ce que l'Europe... à de plus heureux, la sédimentation d'une pensée juste, irriguée par la culture de ce continent, l'effet de ces brassages également, pour donner un si passionnant programme. Et chaque année, je regrettais de ne pas assister au Forum européen de bioéthique. Je vivais à ma façon un FMO, un Fear of Missing Out, cette peur de rater quelque chose qui ramène chacun sur son écran de téléphone dit intelligent. Mais c'était bien davantage justifié que le scrolling qui fait parcourir à nos pouces 100 km par an, c'est dire si je suis honoré et heureux d'être ici. Merci encore. Alors dans le même temps, j'ai un léger flottement. Celui que je dois à ma grippe, qui a succédé à un Covid, j'y reviendrai. Et celui que je dois aux instructions reçues, j'ai, paraît-il, toute liberté. Ce qui ne peut que m'angoisser, et je pense aux mots d'André Gilles, il en sera question demain peut-être dans la session sur la créativité, l'art n'est de contrainte, vie de lutte, émeure de liberté, me voilà bien parti. Alors ce d'autant que le piquette que je suis sait bien que ce qui dans les mots, ou pire dans le silence, sous couvert de liberté, peut contraindre. Ainsi me suis-je entendu dire qu'il m'était possible de projeter un diaporama, que le dernier conférentiel ayant fait était Laurent Alexandre, façon donc de me demander de choisir mon camp, celui de la technologie, celui du triomphe de l'IA dans la guerre des intelligences, ou bien me passer d'un diaporama, mais pas de mon ordinateur, bien sûr. En guise de liberté donc, je n'avais guère le choix. Alors cela étant, je me suis permis de m'octroyer quelques libertés pour planter le décor de la santé mentale, le thème de cette session, et déminer quelques pièges qui, peut-être, menacent notre réflexion en la matière. Car l'enfer est pavé de bonnes intentions, et il vaut mieux, pour filer la métaphore des pièges, lever d'emblée quelques lièvres. Alors première difficulté, elle a dû susciter quelques débats. Nous avons entendu cette question esquissée dans les mots d'introduction. Faut-il parler de santé mentale ou de psychiatrie ? Le programme fait résolument le choix de la première, la santé mentale. Le CCNE, le Comité National d'Éthique, lui fait le choix dans sa récente alerte, son avis 147, récemment publié, de la psychiatrie. après de nombreux débats à ma connaissance. Ma première réaction est de m'inquiéter du risque d'édulcoration que représente le choix de la santé mentale. À présenter les choses positivement, on évite de regarder ce qui cloche. On ferme les yeux devant la souffrance, on passe son chemin et c'est justement ce qu'induit par la stigmatisation La santé mentale sous la forme des troubles mentaux, c'est-à-dire la psychiatrie. En anglais, on parle de sugar coating, cette façon d'enrober de sucre pour adoucir une mauvaise nouvelle, d'édulcorer donc. Et c'est d'autant plus un risque que c'est une tendance lourde que l'OMS n'hésite pas à incarner. Songeons à sa définition, à mes yeux mégalomaniacs de la santé, je cite, état de bien-être physique, mental et social. Qu'elle se pique de social en a choqué certains, je ne suis pas de ceux-là, mais qu'elle fasse du bien-être, l'objectif à atteindre est lourd de conséquences. J'ai comme beaucoup appris la médecine accompagnée par la définition de Leriche, la santé c'est la vie dans le silence des organes. Et que cette définition du silence est parfois difficile à atteindre dans l'exercice quotidien des médecins. Quand les organes grincent, s'enrayent, empêchent, handicapent et surtout se font entendre par la douleur, par la souffrance. Et là, il faudrait donc viser plus haut encore, non seulement le silence des organes, que tout malade saluera déjà comme l'expérience d'une félicité, mais le bien-être, au risque de constater que s'est instaurée une dictature à laquelle, en fait, bien peu résiste. Je vis sous le plus dur des despotismes celui que l'on s'impose à soi-même a pu écrire un certain Balzac. Oui, mais voilà, tout le monde n'aspire pas à cette tyrannie. Tout le monde n'est pas Balzac. Au reste, Balzac était-il dans un état de bien-être, physique, mental et social, lorsqu'il s'échappait ? de ses créanciers par la porte arrière de son hôtel, qui n'était pas son hôtel particulier, lorsqu'il tentait de faire fortune dans les plantations d'ananas, en plein Paris ou presque. Heureusement pour nous, non. Lorsque la OMS s'aventure plus spécifiquement du côté de la santé mentale, elle n'a guère la main plus heureuse. Elle nous dit ainsi en 2001, je cite, La santé mentale correspond à un état de bien-être, à nouveau, mental, en circonscrit, qui nous permet de faire face aux sources de stress de la vie, de réaliser notre potentiel, de bien apprendre et de bien travailler, et de contribuer à la vie de la communauté. Tout ça. Nous y retrouvons le même travers donc du bien-être, mais aggravé de l'ambition de, je cite, réaliser son potentiel potentielle, avec de pareilles définitions, qui donc peut se prétendre en bonne santé mentale ici dans cette salle, pas moi en tout cas. Ou plutôt cette seule définition n'est-elle pas susceptible de nous plonger dans les affres de la frustration relative née de ce que nous observons chez les autres et que nous n'aurions pu obtenir en nous plongeant dans les tourments de la comparaison, celle qui indexe chaque chose. par un selfie pour surenchérir sur le grand marché des indices de bonheur et de réussite. Voilà la tyrannie, celle du bien-être, pour s'accomplir, forme de coaching de vie, plutôt donc que de santé. Alors commençons par parler de ceux qui souffrent de troubles mentaux, de maladies mentales, de troubles psychiques. Commençons par parler de souffrance. Un français sur cinq. est concernée, vous connaissez les grands chiffres, la schizophrénie affecte un peu moins d'un pour cent de la population générale, les troubles bipolaires deux pour cent, une personne sur cinq connaîtra au cours de sa vie un épisode dépressif caractérisé pour ne citer que ces trois maladies. Je n'exclue pas le vocable de santé mentale. Je comprends même le choix de présenter positivement les enjeux en question. Mais pas si c'est pour laisser de côté des premières personnes concernées, les patients, leur famille, les soignants qui les accompagnent. En tant que psychiatre, évidemment, je suis susceptible d'être biaisé du côté de la psychiatrie. En fait, en tant que psychiatre, je suis vissé, arrimé à la psychiatrie. Le pôle dont j'ai la responsabilité, à Sainte-Anne, reçoit 12 000 patients par an. C'est énorme et en même temps, c'est une simple goutte. d'eau dans l'océan de la santé mentale et de la psychiatrie. Je sais l'immense souffrance qui affecte les patients et je ne voudrais pas ici que pendant ce forum européen de bioéthique, nous risquions de ne pas être à la hauteur de cette souffrance pour nous réfugier derrière quelques effets de mode, quelques édulcorants, quelques prêtres à penser qui sortent sur une vague qui mérite la plus grande rigueur, en fait le plus grand respect. Le deuxième thème que je voudrais aborder est celui du soin. et notamment celui de la thérapeutique, qui est elle-même stigmatisée. Elle fait l'objet de nombreux procès, dont le premier tient à notre indéfectible dualisme. Chassez-le et il revient au galop. Nous sommes en permanence dualistes, y compris ceux qui prétendent ne pas l'être, y compris moi-même donc, de sorte qu'il ne s'agit pas de ne pas être dualiste, mais de faire l'effort constant. de juguler notre dualisme. Pour certains, il y aurait tout de même d'un côté l'esprit, armé du langage, le logos, et de l'autre le corps et sa mécanique triviale. Cette dichotomie n'a aucun sens, c'est une aporie, d'un point de vue logique, sauf à revendiquer que l'esprit est d'une autre nature que le corps, ce qui lui suppose encore une nature, et donc une substance. Bref, je le redis, cela n'a aucun sens. Et la semaine dernière, un conférencier du Congrès de l'Encéphale nous apprenait à juste titre que la seule façon crédible de tenter de dissocier le corps de l'esprit à la française, c'était encore la guillotine. Et encore, j'ajouterais que cela suppose qu'il persiste un esprit dans cet encéphale séparé du corps, j'en doute. Pour ce qui est des soins, il n'y a pas d'un côté la parole et de l'autre l'ordonnance. C'est une vue de l'esprit germano-pratine. une maladie parisienne hélas bien répandue, que même la psychanalyse réprouve aujourd'hui. Au quotidien exercé de la psychiatrie, tout psychiatre vous dira qu'il s'agit non d'une opposition, mais d'un cercle vertueux. Le plus souvent, le traitement médicamenteux permet un suivi psychothérapeutique qui lui-même donne accès à de tout autre développement, y compris d'ailleurs dans certains cas, et dans un second temps, le fait de se passer du traitement médicamenteux. Et aujourd'hui d'ailleurs l'essor des psychédéliques démontre encore mieux ce cercle vertueux puisque vous savez que l'usage des psychédéliques requiert une psychothérapie de sorte que nous devrions même considérer que l'expérience est de l'ordre de la psychothérapie augmentée par la substance qui est la substance psychédélique. Deuxième charge contre la thérapeutique, la question de la chimie. On voit partout, dans les médias et surtout sur les présentoirs des parapharmacies, se multiplier les compléments alimentaires et autres promesses de, je cite, bonne santé mentale La demande d'ailleurs du grand public est majeure. Le marché est estimé à l'heure actuelle à 150 milliards dans le monde et à 250 milliards d'ici 4 ans. Et dans nos consultations, tout est fait pour éviter les psychotropes, pour leurs préférées plantes, poudres, vitamines, qui prétendent faire aussi bien. Rappelons-le, si la santé mentale est en effet conditionnée par l'alimentation, et la démonstration est forte, le niveau de preuve est fort, il faut en avoir conscience, cela ne signifie pas qu'un trouble psychique puisse se soigner par l'alimentation. La causalité va dans un sens mais pas dans l'autre. En pratique d'ailleurs, en comparaison directe avec les psychotropes, les compléments alimentaires et autres poudres sont à peu près sans efficacité. Par contre, les effets secondaires existent. Un de mes patients a partiellement détruit ses reins avec la glucosamine, qui est très couramment utilisée, qui était censée améliorer son arthrose. Le nombre de transplantations hépatiques après la consommation de plantes ou de compléments alimentaires a été multiplié par 8 en 25 ans aux Etats-Unis. À choisir, il me semble plus prudent de choisir une molécule dont les conditions de fabrication sont strictement surveillées. On appelle ça un médicament. plutôt que des offres qui tiennent avant tout du marketing, sous couvert de quelques données scientifiques qui ne pourraient satisfaire aucune autorité de régulation. En fait, qu'on se le dise, tout est chimie. La ciguë, qui donne la mort au philosophe Socrate, devait être parfaitement bio. Et la cicutine, son alcaloïde toxique, est bien une molécule et non une vue de l'esprit. Le dualisme à l'œuvre. Encore et toujours. Et si je parviens à vous parler, ce soir à 7h, malgré donc le Covid il y a 15 jours, la grippe la semaine dernière, rien que vacciné, et je ne suis plus contagieux selon la virologie. Sans jamais pouvoir m'arrêter une seconde dans des semaines de 80 heures, c'est que coule dans mon sang cette substance qui me donne l'illusion de l'énergie, la caféine. Talleyrand le dit, noir comme le diable, chaud comme l'enfer, pur comme un ange, doux comme l'amour, qu'est-ce le café ? Dans son traité des excitants modernes, Balzac s'extasie, toujours Balzac, je cite, dès lors tout s'agite. Les idées s'ébranlent comme les bataillons de la grande armée sur le terrain d'une bataille, et la bataille a lieu. Les souvenirs arrivent au pas de charge, enseignes déployées. La cavalerie légère des comparaisons se développe par un magnifique galop. L'artillerie de la logique accourt avec son train et ses gargousses. Les traits d'esprit arrivent en tirailleur. Les figures se dressent, le papier se couvre d'encre, car la veille commence et finit par des torrents d'eau noire, comme la bataille par sa poudre noire. Mais voilà, à nouveau, il faut faire le constat que tout le monde n'est pas balzac. En ce qui me concerne, ce feu de paille sera suivi par cette fatigue incommensurable que je traîne avec moi depuis 15 jours faute de repos, celle qui me fera d'ailleurs m'esquiver après cette conférence en faisant l'expérience amère des psychostimulants. Grande question. Après la fête, la défaite, il faut en payer le prix. Tout est chimie, vous disais-je. Et tout le reste n'est qu'une fiction qui vise à nous divertir de cette vérité, à coup de contre-vérité, faribole et espèce sonnante et trébuchante. Je voudrais poursuivre par la question initiale, en fait, celle de la fréquence des troubles mentaux. Pourquoi sont-ils si fréquents ? Une personne sur cinq concernée en France, 1% de la population de l'Arche, je reprends juste ces chiffres pour ne pas en utiliser d'autres, mais il y en a des dizaines d'autres. souffre de schizophrénie, 2% de troubles bipolaires, une personne sur cinq souffrira d'un trouble dépressif caractérisé, épisode dépressif caractérisé, c'est-à-dire un nécessitant de prise en charge spécifique, pas forcément médicamenteuse, elle peut être psychothérapeutique ou les deux, au cours de sa vie. Donc c'est extrêmement fréquent. Puis une autre caractéristique essentielle, c'est que ces troubles, ces grands troubles, ont à peu près la même incidence, la même fréquence, sous toutes les latitudes et toutes les longitudes. Comme si nous les trimballions avec nous, les êtres humains que nous sommes, que nous soyons des Inuits, des Strasbourgeois ou des fermiers d'Arkansas. Ce qui est toujours très surprenant, parce que, je l'ai dit, ce qui marque avant tout ces troubles, c'est la souffrance, c'est le handicap, c'est tout le cortège de souffrance, de limitation. qu'imposent ces troubles et donc pas davantage dans les termes consacrés de notre réflexion darwinienne à ces troubles. Alors pourquoi cette fréquence élevée et pourquoi cette relative constance au travers de l'humanité ?

  • Speaker #0

    On tourne beaucoup autour de cette question, je pense que tout psychiatre, au-delà de tout psychiatre, tout patient, au-delà de tout patient, toute personne entourant un patient, se pose cette question, pourquoi c'est aussi fréquent, pourquoi ça affecte autant de personnes ? Et dans notre réflexion est venue relativement récemment, c'est-à-dire dans les cinq à dix dernières années, l'idée que c'était... au fond la contrepartie du fonctionnement de notre cerveau. Alors cette idée était une vieille idée de la philosophie, j'y reviendrai, mais elle a été renouvelée par des données expérimentales, des données neuroscientifiques, montrant par exemple que le codage de l'information dans le cerveau d'un primate non humain, c'est-à-dire d'un singe, si on le compare au codage de l'information dans le cerveau d'un primate... humain, c'est-à-dire vous et moi, eh bien, il est beaucoup plus robuste, il est plus simple, mais il est beaucoup plus robuste. Quand le nôtre est plus efficient, c'est-à-dire qu'en fait, il transporte beaucoup plus d'informations, il est plus informatif, il est plus complexe, mais cette complexité le rend plus fragile. D'un côté, le singe, robustesse du signal, simplicité du signal, et de notre côté, complexité, informativité et faiblesse, fragilité de ce signal. Et en fait, dans le cerveau, il en faut de très peu pour que le code soit altéré et que la transmission de l'information d'un lieu à l'autre du cerveau soit altérée. Il en faut de très peu, en fait, il suffit d'une microseconde de décalage. pour que ce que produit votre cerveau, par exemple, puisse être perçu non comme une production de votre cerveau, mais comme quelque chose qui vient de l'extérieur de votre cerveau. Ce que j'ai décrit à l'instant présent, c'est en fait l'expérience d'une hallucination. Mon propre cerveau, les régions de mon cerveau auditives s'activent et il existe un micro-décalage avec d'autres régions du cerveau, singulaires notamment. qui vont faire considérer que ce que produit ce cerveau est en fait la transformation d'un signal qui vient de l'extérieur et non l'activité interne de ce cerveau, l'activité endogène de ce cerveau. Il suffit d'un micro-décalage dans la transmission du signal pour que ça change. En fait, la complexité du signal est telle qu'il est faillible, il y a des bugs et... À certains moments, nous en faisons l'expérience sous la forme des troubles mentaux. Et l'une des explications que nous considérons aujourd'hui à l'immense fréquence des troubles mentaux, c'est celle-ci, c'est que nous payons le prix de la puissance de notre cerveau. Notre cerveau, je peux le dire autrement, ne se supporte plus. À ce niveau de complexité, à ce niveau de puissance, il y a des bugs. Et ces bugs, nous en faisons collectivement l'expérience sous la forme des troubles psychiques. On peut se demander d'ailleurs si, dans la perspective de l'augmentation de cette puissance, l'augmentation du cerveau, ce prix à payer ne sera pas plus élevé encore. Dans les mots d'introduction de cette session, nous avons entendu plusieurs fois parler des enjeux de notre hybridation, que je qualifie de faible. celles qui nous lient à nos objets connectés, qui sont déjà des modalités d'augmentation, qui seront demain d'une autre puissance encore avec des modalités d'hybridation dites fortes, c'est-à-dire qui amèneront à ce que cette technologie soit même dans notre cerveau et pas seulement au travers d'objets connectés qui sont extérieurs à notre cerveau. On peut se demander déjà si nous ne voyons pas aujourd'hui les effets secondaires de cette hybridation faible. Il y a quelque chose qui semble se profiler, malheureusement. J'ai dit que les grands chiffres de la santé mentale ou des pathologies, la psychiatrie était relativement constante, mais certains troubles semblent augmenter. La dépression et les troubles anxieux essentiellement, pour ce qui est des données françaises. Avant le Covid, l'incidence de la dépression a augmenté sur la décennie précédente de 2%. de 3% donc on est à plus 5% sur 15 ans et vous savez qu'il y a une population qui est beaucoup plus touchée que les autres c'est celle des jeunes de façon très inquiétante puisque là on n'est pas passé de 8% à 13% mais on est aujourd'hui à 22 23% donc on est au double et on peut remonter encore dans le temps, les adolescents sont encore plus fragiles et puis on voit même apparaître une fragilité chez les pré-adolescents alors que la psychiatrie a longtemps considéré que les pré-adolescents c'était un moment très simple à tel point d'ailleurs que nos collègues psychanalystes parlaient de période de latence il ne devait rien se passer, un gamin de 9 ou 10 ans était... un peu obsessionnel, s'intéressant à l'histoire, mais n'embêtant pas ses parents, loin des turbulences de l'enfance et avant les tourments de l'adolescence. Alors on sait aujourd'hui, nous voyons arriver dans les services d'urgence des pré-adolescents ayant des idées suicidaires. Donc il se passe quelque chose, peut-être que c'est un effet secondaire, peut-être que c'est autre chose, peut-être que c'est la fin des grands idéaux, la fin d'un modèle du monde, peut-être que c'est le fait que la Terre est en train de rôtir, peut-être toutes sortes d'explications. Je fais partie de ceux qui s'interrogent quand même sur les effets de notre hibridation et ses effets secondaires. Toujours est-il que cette question de l'augmentation de l'homme, à laquelle je fais référence, en indiquant qu'elle porte sur cet organe bien particulier qu'est le cerveau, celui qui nous consacre comme homo sapiens, cette augmentation, elle est quelque chose qui en fait est consubstantielle à l'homme et ne date pas des technologies en question. Je vous ai dit tout à l'heure que les sciences venaient renouveler une position ancienne de la philosophie. Je peux reprendre la position de la philosophie. Je vous ai dit que le cerveau ne se supporte plus, je vous ai parlé du codage, mais je pourrais le dire dans des termes plus philosophiques. Le seul fait que nous nous représentons le monde par la pensée fait que nous sommes des orphelins de ce monde, que nous n'avons pas dans les mains ce monde mais les représentations que nous manipulons de ce monde. Et ça c'est une caractéristique des êtres humains que nous sommes, que de devoir faire avec le fait que nous sommes coupés du réel par le seul fait que nous pensons. La philosophie l'a dit, ou les philosophes l'ont dit, de maintes façons, et je ne vais pas vous infliger de les citer les uns après les autres. Notre chute du paradis, c'est peut-être celle-là, en fait, c'est d'avoir commencé à penser, avec d'ailleurs un rôle bien particulier du langage dans la pensée, puisqu'il donne forme à notre pensée. Et donc si nous sommes coupés du réel, orphelins du réel, nous sommes en même temps fils du langage, puisque ce langage donne forme à nos cerveaux. Je voudrais terminer. Par la question de la technologie, justement, je vous ai dit mon inquiétude quant aux effets secondaires de la technologie. Et en même temps, je fais partie de ceux, et je crois qu'il faut le dire en ce lieu, dans un forum de bioéthique, qui pensent qu'en même temps que les effets secondaires sont à attendre, à savoir davantage encore de troubles mentaux par cette nouvelle façon. d'augmenter l'homme sur un cerveau qui ne se supporte déjà plus, nous avons quand même l'expérience de l'hybridation de notre cerveau. Et cette expérience de l'hybridation de notre cerveau, elle est justement le fait de notre rapport au savoir, notre rapport au langage notamment, qui nous accompagne depuis un certain temps, et notamment... sous une forme bien particulière qui est celle de la naissance de l'écriture depuis à peu près 5000 ans. Parce que là, c'est passé quelque chose qui relève aussi de l'hybridation. À partir du moment où nous nous sommes mis à écrire, nous avons décidé d'externaliser notre savoir, de le déposer en hors de nous. Et à ce titre, le livre est... Pas loin d'être le premier disque dur externe, il est quelque chose que l'on externalise, que l'on met hors de soi, et nous le réincorporons par la lecture, ce qui n'est pas un exercice anodin, avec toutes sortes d'effets secondaires, là aussi, on pourrait le reprendre autour de l'histoire, je résumerais juste par une expression géniale du romancier Daniel Pénac, lorsqu'il parle des maladies textuellement transmissibles. Il y a des maladies textuellement transmissibles, Emma Bovary, Don Quichotte, entre autres, et plein d'autres, mais dans l'ensemble, ça a été une grande réussite. Et il s'est passé, c'était le thème de votre forum l'année dernière, quelque chose d'assez fascinant, c'est que... L'intelligence artificielle, la dernière en date, Tchad-GPT, est venue à nouveau confirmer la puissance de cette hybridation. Et que nous ne le dirons jamais assez en fait. Nous sommes aujourd'hui dans un rapport d'hybridation à Tchad-GPT, mais en amont de notre rapport à Tchad-GPT, qu'est-ce qui a rendu intelligent un simple réseau de neurones construit en imitant notre cerveau ? Eh bien ça n'est pas d'avoir vu des millions d'images, c'est d'avoir lu des millions de pages. Et la démonstration la plus puissante de cette hybridation par la lecture, des effets de la lecture sur le cerveau, in silico en l'occurrence, c'est justement l'arrivée de l'intelligence artificielle sous cette forme, celle des IA génératives. Alors, pourquoi je vous dis ça ? Parce que je vous dis, fréquence des troubles mentaux, Je vous dis que c'est la caractéristique des homo sapiens que nous sommes, et puisque c'est le prix à payer de notre humanité, et bien ces personnes qui souffrent de troubles mentaux, il ne faut pas les mettre en dehors de notre humanité, mais vraiment au cœur de notre humanité. Ils sont les témoins de ce que nous sommes collectivement comme homo sapiens. Demain, il y a tout à craindre. d'une augmentation de ces mêmes troubles mentaux par l'augmentation de la puissance de notre cerveau par ces technologies que nous ne pourrons pas nous empêcher d'utiliser pour nous augmenter. Et donc il faut l'anticiper et il est heureux qu'un forum y soit consacré. Et dans le même temps, il se trouve que cette technologie elle-même vient témoigner de la puissance de ce qui a fait nos cerveaux. c'est-à-dire cette hybridation primordiale, celle de la lecture et l'écriture, qui peut-être nous montre le chemin, nous montre ce qui nous permettrait de nous arrimer à quelque chose qui nous permettra de voyager plus sereinement dans cette nouvelle aventure de l'humanité, son rapport aux technologies, dans son risque aussi, ce risque... systémique qui a été évoqué tout à l'heure, celui de la santé mentale, celui de la psychiatrie. Au fond donc, dans le même temps où nous allons vers la technologie au risque de notre santé mentale, la même technologie vient nous rappeler ce qui constitue nos cerveaux, à savoir cette hybridation qui a fait l'histoire de l'humanité. J'achève ici cette... Courte introduction, en comprenant donc, tout en la prononçant, cette conférence, pourquoi je ne devais pas utiliser de support de type diaporama. Pas d'image, que des paroles. Merci beaucoup pour votre attention.

  • Speaker #1

    Merci monsieur Raphaël Gaillard. Il me revient maintenant de vous annoncer le second intervenant de ce soir, Aurélien Benoît-Lide, président du Forum européen de bioéthique. Il est médecin neurologue, spécialité dont il aime à dire qu'il l'a choisi pour sa proximité avec la psychiatrie, plus ou moins marquée tout au long de l'histoire de la médecine. Diplômé de neurosciences et d'hypnothérapie, Son parcours est le reflet d'une réflexion poussée sur les frontières de ces deux disciplines et leurs interactions sans cesse questionnées. Nous écoutons Aurélien pour ouvrir cette nouvelle session du Forum européen de bioéthique sur la santé mentale. Merci. Alors, note pour plus tard, ne jamais passer après un académicien, surtout quand on n'est pas d'accord avec lui. Après l'activité physique et sportive en 2024, c'est au tour de la santé mentale d'être mise en lumière et labellisée grande cause nationale par notre ancien Premier ministre Michel Barnier. Je m'en réjouis, évidemment. Sans être parfaitement certain de ce que recouvre le terme de santé mentale, je suis, en tant que médecin et citoyen du monde, conscient des carences et des manques dont souffre la discipline. Depuis que j'ai commencé les études de médecine, j'entends parler de la crise de la psychiatrie et des différents plans mis en œuvre pour lui porter secours. Le tout récent avis n°147 du Comité Consultatif National d'Ethique nous alerte, décrivant une crise grave, profonde et systémique, associant une offre de soins largement saturée, une qualité de soins qui se dégrade faute de moyens adaptés, de très longs délais d'attente pour des soins chroniques, une très grande disparité territoriale, une crise de la démographie médicale et de l'attractivité de la discipline, une difficulté à recruter des soignants, des conditions d'accueil souvent indignes, dans des établissements vétustes ainsi qu'une banalisation et un déni de l'état actuel du système des soins en psychiatrie. C'est dire si le sujet de la crise de la psychiatrie est brûlant, qu'il impose le respect et qu'il nous occupera une bonne partie de ce forum européen de bioéthique. Mais ce n'est pas la crise de la psychiatrie qui a été décrétée grande cause nationale, mais bien la santé mentale. Or il y a, dans le coup de projecteur sur la santé mentale, un effet paradoxal. qui, à l'instar de la physique quantique, il suffit de mettre la santé mentale sous la lumière du microscope pour modifier son état et la rendre moins compréhensible à ses observateurs. C'est pourquoi, pour introduire ce forum, je me permettrai de faire un pas de côté, peut-être un grand écart, et de vous parler d'une autre crise de la santé mentale, une crise identitaire. Selon le site info.gouv, qui annonce le décret, un Français sur cinq souffrirait d'un trouble de la santé mentale. En creux, cela sous-entendrait que quatre Français sur cinq, sur une période de vie d'environ 80 ans, n'en souffriraient jamais. Peut-on en dire autant de la santé physique ? Toujours sur le site du gouvernement, on peut lire que ce décret a pour objectif de changer les regards sur les troubles psychiques et les troubles mentaux. À ce stade, si je compte bien, il y a donc déjà la santé physique, la santé mentale et la santé psychique. Beaucoup de santé pour cette nouvelle année. Et puis, comme disait le riche, très à la mode ce soir, la santé c'est la vie dans le silence de ses organes. Qu'est-ce que la santé mentale, sinon la mort encéphalique ? Et quelle aurait été votre réaction à l'annonce d'une année 2025 placée sous le signe de la santé physique ? J'ai toujours été gêné par cette distinction faite entre la santé physique et la santé mentale. Enfin gêné n'est probablement pas le terme le plus approprié. Disons plutôt révolté. Mal nommer les choses, c'est ajouter au malheur de ce monde, disait Albert Camus. Mais en réalité, il suffit parfois de seulement les nommer pour les dénaturer. Alors même que le sujet du forum de cette année a été choisi un an avant cette décision politique, Je crois qu'il y a dans cet effet d'annonce non pas le germe mais bien le fruit d'un problème plus profond. Un problème de santé publique à composante philosophique, une immense question de bioéthique qui mérite que l'on s'y penche au moins quelques instants. Pour ce faire, je voudrais vous raconter l'histoire d'un rendez-vous manqué. Ou plutôt de deux rendez-vous manqués. Tout d'abord, la petite histoire de mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie, qui n'a qu'une importance très relative. Puis la grande histoire du rendez-vous manqué de la psychiatrie qui, à mon avis, est beaucoup plus problématique et universelle. Pour arriver à mes fins, j'emprunterai les chemins détournés de la mythologie, de la génétique et de Darwin. Pour vous tenir en haleine, je vous promets de répondre à au moins deux questions existentielles, à savoir quel est le propre de l'homme et quel est le sens de la vie. Enfin, je vous révélerai une information personnelle d'une particulière importance. Il y aura quelques détours, de rares impasses. pas mal de rancœur et même un brin de mauvaise foi. Mais je vous le promets, je ne vais jamais quitter le précieux centre qui est de la santé mentale, enfin, je l'espère. Est-ce que vous êtes prêts ? Il était une fois, dans la cité de Gordion, au centre de l'Anatolie, c'est l'Empire perse, Gordios, un pauvre Phrygien qui n'avait pas de terre, seulement deux paires de bœufs. Un beau jour, un aigle se posa sur le jou de son char. L'animal y resta perché jusqu'à l'heure où l'on détacha les bœufs. Perturbé par ce drôle de comportement ornithologique, Gordios se rendit dans un village où les habitants, paraît-il, étaient connus pour posséder des dons divinatoires. Sur la route, il rencontra une jeune fille qui possédait elle-même ses dons, qui lui conseilla alors de retourner au même endroit et de faire un sacrifice à Zeus. Elle suivit Gordios sur le lieu du sacrifice. Évidemment, ils se marièrent et eurent un fils nommé Midas, bien connu pour changer les pneus en or. Plus tard, lorsque l'Afrigie fut traversée par des troubles politiques liés à l'élection d'un nouveau roi, toute ressemblance avec des faits récents serait fortuit, un oracle leur annonça qu'un char leur amènerait un roi, mettant terme à la guerre civile. Alors que les Phrygiens réunis en assemblée étaient encore en train de débattre, Midas s'arrêta devant l'assemblée sur son char. Les Phrygiens, interprétant l'oracle, reconnurent en cet événement la prophétie. Par conséquent, ils élurent Midas, roi de Phrygie, et celui-ci fit placer le char de son père sur l'acropole, afin d'exprimer sa reconnaissance envers Zeus pour lui avoir envoyé l'aigle. Ensuite, une autre légende fut établie. disant que celui qui réussirait à dénouer le nœud, évidemment inextricable, de Gordios, deviendrait maître de l'Asie. Enfin, au début de l'année 333 avant Jésus-Christ, c'était un mardi, quand il arriva dans la ville, Alexandre le Grand fut informé de la légende du nœud gordien et s'en passionna. Il demanda qu'on lui montre le char de Gordios. Après avoir cherché une solution, il trancha le nœud avec son épée. Depuis, l'expression nœud gordien désigne métaphoriquement un problème qui ne présente pas de solution apparente, finalement résolu par une action radicale. Par extension, la nature radicale de la solution apportée à ce problème a forgé l'expression trancher le nœud gordien Ce nœud gordien, comme tout le monde, j'ai essayé et j'essaye encore de le détricoter. Parfois avec la patience de Pénélope et parfois la manière plus radicale d'Alexandre Legrand. Obsédé par la question du corps et de l'esprit, j'ai longtemps hésité entre la neurologie et la psychiatrie. Ce qui m'intéressait, je n'étais alors qu'un jeune adulte, c'était d'étudier, éventuellement de soigner, ce qui faisait de nous des êtres humains. Chercher la flamme qui ne brûle que dans l'humanité et qu'on appelle communément le propre de l'être humain. Assurément, j'étais plus intrigué, et je le suis encore, par la noblesse de la santé mentale que par la vulgarité de la santé physique. Si on dit des yeux qu'ils sont le reflet de l'âme, le cœur et les poumons le souffle de la vie, et le système digestif comme un deuxième cerveau, j'ai éliminé tour à tour l'ophtalmologie, la cardiologie, la pneumologie et la gastroenterologie de mon champ des possibles. Rétif aux urgences comme aux bistouris, mon inclination bredouillait donc entre la neurologie et la psychiatrie, incapable de préférer l'une à l'autre. J'ai lu quelques ouvrages, qui ont sans doute orienté mes choix, de l'origine des espèces de Darwin à l'homme qui prenait sa femme pour un chapeau et l'œil de l'esprit du neurologue Oliver Sacks, en passant par l'homme neuronal de Jean-Pierre Changeux. Et finalement... Dans l'intempérance de ma jeunesse, et puisqu'il fallait bien choisir, j'ai tranché le nœud gordien de mes études en embrassant fougueusement la neurologie. Mais je vais vous faire une confidence. Après 20 ans de vie commune avec la neurologie, je me dis, parfois, que je ne suis pas certain d'avoir fait le bon choix. En tout cas, si je dois être parfaitement honnête, il me semble qu'à l'époque, j'ai choisi l'option la plus facile. Celle qui consistait à opter pour la discipline la plus prometteuse. Car je suis de cette génération qui a vu la médecine acquérir ses lettres de noblesse. Cette médecine qui décrit, qui cherche, qui greffe, qui répare, qui remplace, régénère et qui prévient les maladies. Du haut de mon ignorance et de mes velléités d'explorateur, Il ne restait, me semblait-il, sur le planisphère de la médecine qu'une seule véritable terra incognita, partagée en deux états aussi distincts que la Corée du Nord peut l'être de la Corée du Sud, j'ai nommé la neurologie et la psychiatrie. Et si je dis que j'ai choisi l'option de la simplicité ? C'est bien parce que la neurologie parlait la langue rassurante des sciences et de l'imagerie, tandis que la psychiatrie, en me donnant l'impression d'encore chercher sa voie, ne me rassurait guère. Mais je reviendrai plus tard sur l'évolution de ces deux disciplines. Je me suis donc lancé à corps perdu dans la neurologie, espérant y trouver la pierre philosophale qui parachèverait le grand œuvre que je m'étais fixé. Je suis même allé un peu plus loin dans le domaine des neurosciences, et je n'ai trouvé ni de réponse à mes questions. Et c'est peut-être plus grave encore, ni de questions à mes réponses. Non pas que je regrette mon choix. Il n'y a pas un jour sans que je m'enthousiasme de la neurologie. Mais je n'ai jamais trouvé dans les circonvolutions du cerveau une quelconque trace du propre de l'être humain. J'ai tout misé sur les neurosciences, et je dois avouer m'être senti déçu, voire trahi, même si en réalité je ne peux m'en prendre qu'à moi-même. Quand j'ai commencé à m'intéresser à la neurologie, j'imaginais que les neurosciences révolutionneraient la médecine, la neurologie, la psychiatrie et la vie des patients. Après tout, les neurosciences étaient à la neurologiste que la physiologie rénale était au néphrologue. Dans une approche mécaniciste, je pensais raisonnablement qu'à la vitesse où allaient les choses, et compte tenu des sommes considérables injectées dans la recherche, une décennie nous permettrait de venir à bout de la maladie d'Alzheimer, de la maladie de Parkinson, de la dépression, de la schizophrénie et des troubles de l'humeur. Les neurosciences... ou plutôt le discours qui s'y réfère, nous promettait et nous promet encore une révolution dans le domaine des maladies neurologiques et psychiatriques, dans le domaine de l'éducation, de l'égalité sociale, nourrissant le fantasme de la compréhension de l'âme humaine. A vrai dire, des neurosciences, je n'en attends plus rien. La déception n'est pas le terme le plus approprié. Je parlerai davantage de déceptivité, s'appliquant généralement à la publicité, la déceptivité d'une marque et le caractère qu'elle présente lorsqu'elle est jugée de nature à induire le public en erreur sur la qualité, l'origine ou la nature du produit. Posez-vous la question. Que vous apportent les neurosciences au quotidien ? Avons-nous révolutionné la prise en charge des maladies mentales comme nous l'avons fait du cancer ? Où sont les biomarqueurs si attendus et les innovations thérapeutiques ? Notre système éducatif est-il devenu tellement plus efficace que celui de nos grands-parents ? La société est-elle moins violente, moins égalitaire ? Les neurosciences nous permettent-ils de dire quelque chose de sensé, de nos angoisses ou de nos aspirations individuelles ? Alors certes, nous achetons plus et plus vite. Nous pourrons demain contrôler notre playlist de musique sans les mains, avec un peu d'apprentissage et mon ayant un abonnement spécial. Nous scrollons et scrollerons à longueur de journée, sacrifiant sans le savoir ce que nous avons de plus cher, le temps qui nous reste. reste à vivre. Les drogues et les comportements de plus en plus addictifs seront peut-être remboursés par la sécurité sociale ou taxés par l'État. Tandis que les grandes évolutions de notre monde, le respect du consentement, l'égalité des genres, la bienveillance éducationnelle, l'inclusion des personnes handicapées, la communication intergénérationnelle et bien toutes ces évolutions-là ne doivent en réalité pas grand-chose aux neurosciences. Trouvez-vous sincèrement que les avancées obtenues soient à la hauteur de nos espoirs ? Combien de fois par jour suis-je obligé de dire aux personnes qui viennent me voir en consultation que je ne sais pas ? Exactement le même je ne sais pas que celui que je disais il y a déjà 20 ans. Qu'il n'y a aucun traitement ou qu'ils existent mais ne fonctionnent pas. Rendez-vous compte, le meilleur traitement pour soigner les dépressions légères qui pèsent infiniment sur les finances publiques, c'est l'activité physique. Cette déception, petite sœur de la colère, n'est pas seulement la mienne. D'autres la partagent. C'est le cas notamment de François Gonon, neurobiologiste, directeur de recherche au CNRS, qui s'interroge sur l'usage discursif des neurosciences et de ce que l'auteur de Neurosciences, un discours néolibéral édité en 2024, appelle un neuro-essentialisme. Il révèle l'écart considérable entre le discours triomphant délivré au grand public et la réalité des avancées. Plus grave peut-être, le discours idéologique des neurosciences fait du cerveau l'unique responsable de la destinée sociale d'un individu. Il y a de l'aigreur dans mon propos, je vous le concède, et ce n'est pas fini, mais on garde parfois une certaine amertume de nos rendez-vous manqués. Cependant, je n'ai pas totalement abandonné cette idée et cette quête de l'indicible humanité. Comme je vous l'ai dit, une partie de moi, aujourd'hui désabusée, restait optimiste quant aux avancées des neurosciences, espérant qu'elles trouveraient la réponse à mes questions existentielles. Mais la science ne faisait que nous déshabiller, tous les jours un peu plus, dans la lumière crue du ciel itique, jusqu'à nous laisser nus de moins en moins dissemblables des autres animaux. Darwin, il y a déjà très longtemps, semblait l'avoir deviné. Estimant qu'il n'y avait, entre l'être humain et ses plus proches cousins, qu'une différence de degré et non de nature. Dit autrement, il n'y a pas dans le nœud gordien de l'humanité le moindre fil doré. Je balayais rapidement ce qu'aurait pu être le propre de l'homme, les outils. Jane Goodell, primatologue de génie, a observé plus d'une quarantaine d'outils différents chez les chimpanzés. La conscience de soi peut-être. Les bonobos, les dauphins, les éléphants et même certaines pies sont capables de se reconnaître dans un miroir. Lire les intentions des autres. Projeter sa propre expérience sur les autres, ce qu'on appelle la théorie de l'esprit. Léger et de nombreuses autres espèces animales savent le faire. La culture alors. Cela fait 70 ans et plusieurs générations successives de singes qui se transmettent dans un endroit précis du globe une manière de laver les patates dans l'eau de mer pour leur donner un bon goût salé. Le langage. Les baleines, les singes, utilisent des combinaisons de sons auxquels ils rajoutent volontiers des suffixes pour en adapter le sens. Les émotions, le sens moral, l'empathie, le sourire ou le rire ne sont plus grâce à la magie des neurones miroirs qu'un trait d'union entre nous. et d'autres mammifères.

  • Speaker #0

    Si on tire le fil de ces constatations, on se retrouve désemparé. Si nous ne sommes que de la chair en cours de décomposition, alors il n'y a pas de sens à la vie, et peut-être vaudrait mieux-t-il abréger nos souffrances et ne pas perdre notre temps à faire de la bioéthique. Le propre de l'homme est le sens de la vie. Voilà deux questions existentielles qui nous animent, tous et pour lesquelles je vous propose une réponse. qui, je l'espère, nous permettra d'éclairer à sa manière la distinction que l'on peut faire entre la santé physique et la santé mentale. Car en réalité, tenez-vous bien, il existe une explication au sens de la vie, et celle-ci est déjà bien connue. La vie ne semble suivre qu'un seul courant, celui de la conservation et la transmission de l'information. En matière de vie, il n'y a qu'une seule information qui semble importante, et que l'on peut résumer en quatre lettres. Monsieur Mandel ? A, C, T, G. Adénine, cytosine, thymine et guanine, supportées par la molécule de l'ADN. Albert Jacquard, dans un article intitulé L'ADN et la vie disait la chose suivante. Bien que cette molécule ne soit pas plus énigmatique aux yeux d'un chimiste qu'une molécule de benzène ou d'acide sulfurique, sa structure lui apporte deux performances spécifiques ou, si l'on préfère, lui permet d'exercer deux pouvoirs dont elle a l'exclusivité. faire un double d'elle-même et gérer la réalisation d'autres molécules. Elle est à la fois phénix et chef d'orchestre. ACTG n'a pas de volonté propre ni d'intelligence. Elle porte seulement dans sa physico-chimie spécifique une sorte d'instinct de survie, archaïque mais diablement tenace. Ce sont des molécules prêtes à emprunter la forme la plus apte à survivre et ce quel que soit le prix à payer. Et qu'importe si elle doit ressembler à une cellule difforme. Une algue, un poulpe ou un énarque. ACTG sera prête à avaler toutes les couleuvres qui serviront ces projets survivalistes. Albert Jacquard poursuivait dans le même article. Le mystère de la vie a été ramené à une séquence de processus chimiques. Le mot vie, qui joue dans notre pensée un rôle fondamental. n'est qu'un cache-misère conceptuel. La découverte de l'ADN élimine toute difficulté relative au concept de la vie en fondant la distinction entre les objets inanimés et les êtres vivants non sur un principe vital mais sur la présence d'une molécule sans mystère. Mais je dois dire que sur ce point précis, Albert Jacquard et moi ne sommes pas tout à fait d'accord. Ça fait déjà deux personnes ce soir. J'estime qu'il y a dans le monde du vivant une espèce qui, sans se dédier complètement de cette définition, s'en soustrait au moins partiellement. L'être humain vise une toute autre éternité. Il est animé par la transmission d'une information bien différente de celle médiée par ACTG. Depuis la nuit des temps, l'homo sapiens déploie des monstres d'énergie pour que lui survive autre chose qu'une succession de bases nucléiques. Une information complexe, changeante et nuancée. Des pigments retrouvés sur les murs de Lascaux dont on sait qu'ils nécessitaient d'immenses sacrifices pour les acheminer. Aux murs des cathédrales que l'on baptisait au nom d'une croyance. Aux façades en verre du Parlement européen. Aux musées, aux bibliothèques et jusqu'à Internet. Le moteur de l'humanité n'est plus la conservation de l'information, mais bien la transmission et l'expansion de l'information immatérielle à travers le temps et à travers l'espace du corps. L'être humain est le seul animal au monde à s'inscrire véritablement dans une double transmission de l'information. Une information insensée si on la considère sur un plan matériel, mais qui prend tout son sens dès lors que l'on se place dans le champ plus immatériel des idées. Pour la première fois depuis 3,8 milliards d'années, ça n'est plus le diktat d'ACTG qui conditionne notre destin d'espèce, mais bien Ausha et le sens que l'on met dans les mots et les actes que l'on dit ou que l'on fait. Pour l'être humain, ACTG devient secondaire, accessoire, presque grotesque et encombrant, à tel point que certains veulent s'affranchir de sa médiocrité. S'extirper de la fatalité des hormones, de la reproduction, de l'instinct de survie pour transmettre des valeurs plutôt que des gènes. L'être humain n'est plus le mouton qui pâture mais le berger dont les élans tantôt écologiques, écocides ou démiurges ne sont que les deux faces d'une même médaille. Dès lors que l'on estime que la double transmission est une caractéristique intrinsèque de l'être humain, on se met à considérer la santé humaine d'une manière très différente. La dimension sensible, symbolique, linguistique et historique de l'individu, qu'on appelle à défaut d'avoir mieux la santé mentale ou le psychisme, n'est alors plus relégable à la lointaine périphérie de la médecine. Elle est un des deux cœurs battants de la santé humaine. On entreaperçoit alors une physiologie, une sémiologie et même une génétique d'un genre nouveau, qui se rajoutent et se superposent à la médecine physique. Tout un pan de la science de la vie que l'on n'apprend nulle part. ni au collège, ni au lycée, ni même sur les bancs des universités de médecine. Une partie importante de notre santé totalement invisibilisée et qui pourtant est à l'œuvre dans chacune de nos souffrances et de nos pathologies. Voilà en quelques mots les contrées éloignées où m'a mené mon rendez-vous manqué avec la psychiatrie. Laissez-moi vous présenter à maintenant et vous raconter ce que j'estime être le rendez-vous manqué de la psychiatrie. Pour ce faire... Il est nécessaire d'appréhender un moment charnière dans l'histoire de la médecine, le divorce de la neurologie et de la psychiatrie. Durant la majeure partie du XXe siècle, la neurologie et la psychiatrie étaient considérées en France comme une seule et même discipline, la neuropsychiatrie. Tout ce petit monde cohabitait plus ou moins bien, entre là du corps et de l'esprit, comme c'est le cas dans d'autres cultures. Mais voilà qu'arrive à la fin du XIXe siècle la psychanalyse qui va rebattre les cartes. Fondée par un certain Sigmund Freud, d'abord considérée comme une simple branche de la neuropsychiatrie, la psychanalyse est une discipline qui a pour fondement d'étudier l'inconscient comme une tectonique du psychisme, qui conditionne en partie les reliefs, les paysages et les accidents de notre univers psychique. Les outils sont simples, probablement trop simples, la libre association, l'analyse des rêves, l'écoute active des patients. Pour ma part, l'idée que je trouve d'une grande modernité est celle d'imaginer que le patient ou la patiente, c'est elle ou lui qui a le pouvoir, que le médecin n'est plus le sachant universel et tout-puissant, mais seulement celui qui écoute et fait entendre, qu'une partie importante de la personne humaine et de sa santé sont parfaitement inaccessibles aux atlas d'anatomie. Mais la psychanalyse va plus loin. Elle propose une théorie générale sur le fonctionnement du psychisme et l'articule autour de certaines hypothèses comme le refoulement, le complexe d'Oedipe, la libido, la théorie des pulsions et le transfert. Freud est neurologue. Il résonne à partir du principe de la physiologie et de la physiopathologie. Parfois jusqu'à l'excès, la psychanalyse voit dans l'individu les ressorts immatériels qui conditionnent ses choix et sa santé. L'histoire aurait pu s'arrêter là. On découvre la gravité, l'interaction électromagnétique, pourquoi pas l'inconscient et certaines forces à l'œuvre de notre fonctionnement psychique. Mais vous allez voir que cette histoire va prendre une tournure plus tragique. Dans les années 60, la psychanalyse connaît un essor incroyable. Dans ces excès, elle nous invite à célébrer la victoire définitive de l'acquis sur l'inné et de l'immatériel sur le matériel. Presque toutes les chaires de psychiatrie sont désormais occupées par des psychanalystes. Or, la psychanalyse se rapproche davantage d'une science humaine que d'une science fondamentale. Et pour cause, elle s'intéresse à un appareil qui échappe à toute description anatomique. Un appareil qui, s'il emprunte sa matérialité à un réseau de neurones, ne produit pas seulement des comportements, mais aussi des idées, des actes manqués, des rêves, de l'art de la beauté ou de la perversion. La psychiatrie des années 60 est aussi agitée en interne par une marée haute d'un mouvement plus ancien et assez complexe, dit anti-psychiatrique, renforcé par l'apparution d'Histoire de la folie à l'âge classique de Michel Foucault ou encore le roman Vol au-dessus d'un nid de coucou de Ken Kizé. Parallèlement, la neurologie, comme la plupart des spécialités médicales, fait sa propre révolution. Et la cohabitation avec les psychanalystes se fait de plus en plus difficile. On ne se comprend plus, chacun s'enfer dans l'enfer de sa vision du monde. Et finalement, en 1968, ce qui devait arriver arriva. Entre la neurologie et la psychiatrie, rien ne va plus. Les patients qui n'ont rien demandé à personne se retrouvent en garde alternée entre la neurologie et la psychiatrie, à devoir choisir entre la santé physique et la santé mentale. Mais ça ne s'est pas arrêté là. La psychanalyse va perdre du terrain. Et c'est un euphémisme. Les progrès de la science concernant la dimension matérielle de l'être humain sont tellement prodigieux qu'ils éclipsent tout le reste. Sans compter que la psychanalyse souffre d'un certain nombre de handicaps. C'est une discipline culpabilisante, on se souviendra de l'épisode des mères frigidaires, nécessitant un travail introspectif laborieux. C'est une discipline sale, mal encadrée, avec des excès d'interminables guerres de chapelle et une efficacité variable ainsi qu'une fâcheuse tendance à tout ramener au sexe. Jérôme Bruner, un éminent psychologue américain, Mort en 2016, disait dans son autobiographie en parlant de Sigmund Freud qu'il était davantage un dramaturge qu'un théoricien. Et cette critique nous dit, me semble-t-il, quelque chose d'absolument fondamental. La psychanalyse n'est pas une science du cerveau. Elle ne suit aucun dogme physico-chimique et dans ce sens elle est invisible aux neurosciences. Si la neuroscience consiste à comprendre le fonctionnement de la caméra, des ingénieurs audiovisuels, des logiciels de post-production, Et même du metteur en scène, la psychanalyse, elle, ne s'intéresse qu'aux dramaturges. Et c'est souvent du dramaturge dont on se souviendra longtemps après le générique de fin. Quoi qu'il en soit, la psychanalyse disparaît progressivement. A tel point qu'aujourd'hui, sur les réseaux sociaux, on l'appelle la psy-caca. Elle n'est presque plus enseignée de par le vaste monde. On l'invite encore, parfois, sur des plateaux télé ou à des tables rondes, comme on inviterait Fabrice Lucchini pour divertir la plèbe. Faire rêver, entendre de jolis mots avant de revenir à des sujets plus sérieux. On n'enseigne plus la psychanalyse, elle est souvent moquée, classée parmi les pseudosciences. On lui demande des comptes, on veut des résultats, des statistiques, des solutions. Autant de choses que de manière consubstantielle, elle ne peut pas fournir. Chacun en tirera ses propres conclusions. Tout cela pour dire que la psychiatrie, qui avait quitté la neurologie pour s'installer sur le divan douillet de la psychanalyse, se sépare à nouveau et se retrouve seule. Elle nourrit une haine assez irrationnelle vis-à-vis de son ex et doit une fois de plus trouver sa voie et apprendre à se réinventer. C'est précisément là, je crois, qu'il y a un rendez-vous manqué. Un rendez-vous manqué entre la neurologie, la psychiatrie et la psychanalyse ou toute autre science de l'immatérialité de l'être humain. Un mauvais divorce au lieu d'un bon vieux trouble. Et vous m'excuserez encore si je manque un peu de tempérance dans mes tropos, mais la rancœur est vive et j'observe quotidiennement les conséquences de cette évolution. Au risque d'agiter des épouvantails, je terminerai en vous donnant deux exemples, somme toute anecdotiques, puisqu'essentiellement sémantiques. J'ai découvert il y a quelques années qu'un des plus importants congrès de psychiatrie français, qui vient d'ailleurs de s'achever il y a quelques jours, s'appelle l'Encéphale. Cette année, il avait pour thématique l'esprit libre. Et à la lecture du programme, je me suis mis, une fois encore, à regretter mon choix de neurologue. Les thématiques sont passionnantes et les quelques interviews que j'ai pu regarder m'ont impressionné. Mais l'encéphale, bon sang ! L'encéphale, pour ceux qui l'ignorent, c'est l'organe qui se situe tout au bout de la coloscopie. L'encéphale, c'est le mou entre les deux oreilles et c'est la pièce de boucher qu'on laisse reposer dans l'eau toute une nuit pour la rendre plus tendre et que ma grand-mère a grémenté d'épices marocaines pour la rendre meilleure. L'encéphale, c'est le coup de hache qui tranche le nœud gordien de la psychiatrie. Pour les patients et pour le monde entier, l'attente est immense. La psychiatrie, que les psychiatres le veuillent ou non, est la seule discipline médicale capable de prendre en charge la santé mentale et la souffrance morale. Bien sûr, il y a les maladies mentales, telles que les troubles de l'humeur, l'autisme, la schizophrénie, qui sont au même titre que la sclérose en plaques et la maladie de Parkinson, des maladies de l'encéphale. Mais il y a tout le reste, nous tous, ici présents. Nous souffrons tous de notre histoire et de nos liens aux autres. Et cette souffrance n'a rien d'imaginaire. Elle pèse lourd sur les finances de l'État et le moral des troupes. Et ce n'est pas un hasard si l'on se drogue plus aux antalgiques qu'aux molécules psychédéliques. De nos jours, peut-être parce que nous les médecins n'avons plus la capacité d'entendre la souffrance morale de nos patients, exprime-t-il de la douleur ? Faut-il que l'on se plaigne de notre santé physique pour qu'on se penche enfin sur notre santé mentale ? La névrose n'existe plus dans le DSM-5, qui est la classification diagnostique des maladies mentales. Pire que mal nommer les choses, et de ne pas les nommer du tout. La psychiatrie, qui étymologiquement est la médecine de l'âme, a fait le choix de l'encéphale comme d'une pierre de rosette pour sa discipline. Mais peut-on dire pour autant que la santé mentale est réductible au fonctionnement de notre encéphale ? En s'amputant de la psychanalyse ou de toute autre science de l'indicible immatérialité de la nature humaine, je crains que la psychiatrie se condamne à boiter. Et je crois que les étudiants en médecine ne s'y trompent pas. La psychiatrie reste une discipline désaffectée. Lors des choix des épreuves aux épreuves nationales classantes, qui permettent l'accès aux spécialisations, elle est choisie en 40e position sur 44 spécialités en 2023. Ce qui est constant depuis au moins 10 ans, inconcevable, quand on sait que c'est la première spécialité à avoir vu le jour, et sans nul doute, la plus belle d'entre toutes. C'est pourquoi je pense qu'à côté de la crise institutionnelle qu'elle rencontre actuellement, Elle souffre aussi d'une crise identitaire profonde et ancienne. Mais je vous rassure, la neurologie de son côté n'est pas en reste. J'en veux pour preuve l'essor de ce qu'on appelle les troubles neurologiques fonctionnels. Je cite les informations du Vidal en date du mois de juin 2024 sur les troubles neurologiques fonctionnels. Les troubles neurologiques fonctionnels sont des symptômes neurologiques tels que des malaises, des crises, des douleurs, des troubles digestifs, sexuels, ORL, moteurs sensitifs. Ils peuvent aisément être confondus avec une atteinte organique, mais diffèrent de ces dernières par l'absence de lésions ou de maladies identifiables. Ils représentent tout de même 10% des consultations. Toujours selon le Vidal, la physiopathologie des troubles neurologiques fonctionnels n'est pas complètement élucidée. Mais les études d'imagerie auraient permis de grandes avancées. Rôles des fonctions attentionnelles, propension à la dissociation, troubles de la gentilité, dysfonction au niveau des réseaux cérébraux. Encore sur le même site. Avant, on parlait d'hystérie, mais on sait bien qu'aujourd'hui, ça n'a pas de lien direct avec l'utérus. Merci le Vidal. Avant, on parlait de symptômes conversifs, mais ça ne se dit plus parce que rien ne prouve scientifiquement qu'il existe un quelconque conflit intra-psychique à l'origine des troubles neurologiques fonctionnels. Finalement, le terme de TNF a été créé pour chercher un consensus à propos de ces quelques 10% de patients et autant d'épines dans le pied des praticiens. Car les neurologues disaient c'est psychiatrique et les psychiatres disaient c'est neurologique Voilà le quotidien de l'activité d'un neurologue aujourd'hui. Ainsi sont nés les troubles neurologiques fonctionnels. Dans la vraie vie, les patients qui sortent de l'hôpital ou de consultation avec une jolie plaquette plastifiée où on leur explique à grand renfort de schémas complexes et de réseaux de neurones qu'ils ont un TNF ne comprennent rien à ces explications, pas plus que je les comprends moi-même. 100% des patients que je vois et qui sont passés par les fourches codines de la case diagnostique des troubles neurologiques fonctionnels étaient à mille lieues d'imaginer qu'il y avait un quelconque lien avec le psychisme, les traumatismes et les liens aux autres. Au moins, quand on parlait de maladies psychosomatiques, les patients réagissaient. Ils s'offusquaient, ils s'énervaient, parfois même ils nous tapaient. Bref, ils savaient de quoi on parlait. Mal nommer les choses. 10% des consultations. Je ne vous parle pas des arrêts maladie et des congés de longue maladie. Nous en sommes là en 2025. La neurologie bande les yeux de ces patients. Libre à elle de le faire. L'être humain, à la différence de l'ensemble du vivant, est un entrelac de deux brins tressés. Le nœud qui en résulte est absolument indétricotable. Pourtant, qu'avons-nous fait ? Nous l'avons tranché d'un coup d'épée. Nous avons choisi, comme nous le faisons toujours, la radicalité. Et nous sommes voués à vivre en deux dimensions, dotés d'une médecine qui n'en accepte plus qu'une. Qu'il est doux d'être neurologue et de pouvoir ne serait-ce qu'une fois de temps en temps réduire ses patients à la physiologie de leur encéphale. Voyez comme j'ai choisi la voie de la facilité. Être psychiatre c'est avoir davantage de responsabilités, car on attend de lui qu'il soigne la matière grise, autant que l'éminence grise qui préside. Peut-être l'ignore-t-il parfois, mais c'est lui qui endosse la vie sacerdotale du médecin, censé soigner l'âme de ses patients. tâche presque inhumaine au demeurant. Et lorsqu'il n'est pas à la hauteur, alors il les pousse sans le vouloir dans les bras des médecines parallèles, aux mains de praticiens plus ou moins consensueux, ou pire, aux griffes de commerciaux de supposées techniques plus ou moins dangereuses et souvent inutiles, bien que se prévalant presque toujours des neurosciences. Je crois qu'il faut de toute urgence réhabiliter la dimension immatérielle de l'être humain au sein de notre corpus scientifique et médical, sans quoi nous risquons de faire d'un rendez-vous manqué une occasion perdue. Terminé. Je vous ai promis une révélation sur ma petite personne, et vous l'avez patiemment attendue, alors je vous la lis. J'ai passé les 20 premières années de ma vie dans une forme d'indolence. indifférent au corps comme à l'esprit. Puis j'ai commencé les études de médecine et j'ai passé les 22 années suivantes à revendiquer un matérialisme radical. Mon livre de chevet, c'était l'erreur de Descartes d'Antonio Damasio. Je ne considérais l'être humain qu'à travers la matérialité de son corps physique, de sa santé physique. Je croyais que tout en lui était réductible à sa matière, aussi complexe fut-elle. Je ne croyais qu'à l'existence d'une seule et même substance dans l'univers. J'étais moniste. Moniste, c'est quand on pense qu'il n'y a qu'une seule substance dans l'univers. Mais, peut-être parce que le monde se radicalise et que j'ai gardé dans mon adolescence l'esprit de contradiction, depuis quelques mois, voilà que je vacille sur mes certitudes, entreapercevant une nécessaire et salutaire dualité. Alors moi aussi j'ai décidé de couper ce fichu neugordien d'un coup d'épée. Le couper, comme dit Israël Nizan, fondateur du Forum Européen Bioéthique, c'est coupable. Le trancher à défaut de pouvoir le dénouer, c'est une fois encore faire le choix de la facilité. Et j'ai conscience de le faire dans le sens qui n'est pas le plus juste sur le plan scientifique. Je continue bien évidemment de croire qu'il n'y a pas le corps d'un côté et l'âme indépendante de l'autre. Mais puisqu'il faut trancher, puisqu'on m'impose de trancher, Il me semble que le dualisme est plus digne de notre condition si singulière d'être matériel et immatériel. Considérer l'être humain dans ces deux dimensions nous permet de mieux appréhender nos souffrances, nos joies, de mieux nous soigner, de mieux nous comprendre. Tant que la santé mentale ne sera qu'un label éphémère remplacé dès l'année prochaine par Dieu sait quelle autre grande cause nationale, la médecine ne fera jamais que les choses à moitié. Elle aura beau guérir, penser, régénérer, même ressusciter, elle nous laissera toujours sur notre faim. Car n'en déplaise au chevalier blanc du bio-essentialisme, nous sommes bel et bien irréductibles à nos deux dimensions. charge à nous, à nos enfants, à nos élèves, d'inventer un dualisme laïque, un dualisme éclairé, incarné, pragmatique, une manière d'allier la santé mentale et la santé physique sans jamais les confondre ou pire, les opposer. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup pour ces deux magnifiques interventions qui ont inauguré notre forum, qui commencera demain par une première table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté que vous pourrez suivre ici même dans la salle de l'Aubette, mais également en direct sur le site Forum européen de bioéthique. A demain, au revoir.

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