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Description

Forum Européen de Bioéthique 2025 : Santé mentale & Bioéthique


Santé mentale, justice et libertés


La santé mentale, la justice et la liberté forment un triptyque complexe où les droits individuels et les impératifs de sécurité publique se côtoient et parfois se percutent : stigmatisation, enfermement, injonction thérapeutique, contraintes physiques, vidéosurveillance, responsabilité, expertise, discernement et politique de santé. En focalisant le débat sur une population vulnérable, celle des patient.es atteint.es de troubles mentaux, c’est l’ensemble de notre justice que l’on interroge.


Maria Fartunova Michel, Titulaire de la Chaire Jean Monnet EUBioethics, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine / IRENEE


Panteleimon Giannakopoulos, Professeur ordinaire au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine, Médecin-chef du Service des mesures institutionnelles aux HUG, Directeur général de l'Office cantonal de la santé (OCS) du canton de Genève


Manuel Orsat, Docteur Manuel ORSAT, Psychiatre, Expert près la Cour d’Appel d’Angers, Secrétaire Général de la Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les Cours d’Appel



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour, bienvenue à tous qui vous êtes rendus sur place ce matin dans la salle de l'Aubette, mais qui sont aussi nombreux derrière leurs écrans en streaming. Bienvenue à cette première journée du Forum européen de bioéthique, qui cette année est consacrée au thème santé mentale et bioéthique. Je vais laisser la parole à Monizan, qui va modérer cette table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté

  • Speaker #1

    Merci Aurélien. Nous ouvrons ce matin cette nouvelle édition du Forum européen de bioéthique avec une première table ronde qui a la particularité de traiter la question de la santé mentale du point de vue de l'individu, bien sûr c'est ce qu'on fera chaque jour dans ce forum, l'individu jugé ou condamné alors qu'il est atteint d'une éventuelle pathologie psychiatrique, mais également du point de vue de la société qui demande à être protégé de certains troubles dangereux et qui sont dangereux pour les autres. Alors nous aborderons ces prochains jours la question des soins prodigués en santé mentale et du système de soins qui se porte plus ou moins bien. Ce matin on va naviguer à la lisière entre le système de soins et le système pénal, allant de la décision judiciaire qui détermine si un individu peut être jugé et faire l'objet d'une sanction pénale, à l'organisation des soins psychiatriques pour les personnes détenues. Nous évoquerons également les alternatives à l'incarcération pour les personnes qui souffrent de troubles sévères. et peut-être aussi de la surreprésentation des troubles psychiatriques en milieu carcéral. La question de la santé mentale se pose à toutes les étapes du parcours judiciaire. On va aborder, je pense, ce matin chacune de ces étapes. Avant de juger, comment la justice peut-elle passer face à la personne qui, atteinte d'un trouble psychiatrique, commet un crime ou un délit ? Qu'est-ce que l'irresponsabilité pénale ? Dans quel cas les personnes sont-elles déclarées inaptes à être jugées ? Le droit pénal français distingue les notions d'abolition et d'altération du discernement. À quoi cela correspond-il ? Quelles sont les conséquences d'une telle distinction ? Comment on expertise pour savoir dans quelle situation l'on est ? La question de la santé mentale se pose également au moment de décider de la sanction pénale. Les sanctions pénales peuvent tenir compte de l'existence de troubles, soit parce que les juges vont décider d'amoindrir les sanctions, parce qu'ils vont les aménager, par exemple en ordonnant des soins, notamment lorsqu'il s'agit d'infractions à caractère sexuel. Le sujet de la santé mentale est également présent lorsque la sanction est exécutée. Et c'est la question de la santé mentale en milieu carcéral que nous aborderons sûrement aussi demain, lors de la table ronde santé mentale et isolement. Mais la justice intervient aussi lorsqu'aucune infraction n'a été commise. Et là, il ne s'agit pas de protéger la société, mais uniquement l'individu. privé de liberté en raison de son état de santé. C'est le cas des personnes hospitalisées sans leur consentement, puisque depuis 2011, le contrôle de ces hospitalisations est confié au juge des libertés et de la détention. Nous en parlerons bien évidemment ce matin. Pour évoquer toutes ces questions, qui sont nombreuses, ou en tout cas certaines d'entre elles, nous recevons ce matin Maria Fortunova Michel, titulaire de la chaire EU Bioethics, maître de conférences à l'Université de Lorraine. Nous recevrons également... Pantelemon Giannakopoulos, professeur de psychiatrie, directeur général de l'Office cantonal de la santé du canton de Genève et directeur médical de la prison-hôpital pour détenus dangereux Curabilis, ou ancien directeur, vous nous direz. Je crois que vous avez récemment changé de poste. Et enfin, Manuel Orsat, psychiatre, expert prêtre de la Cour d'appel d'Angers, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Pour commencer cette table ronde, je vais laisser la parole à Maria Fortunova-Michel. Nous vous écoutons.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Tout d'abord, j'aimerais adresser mes remerciements à Aurélien Benoît-Lide, à Raphaël Bloch et à Maud Nison, qui m'ont invité encore une fois pour une deuxième année consécutive à participer au Forum européen de bioéthique dans le cadre du partenariat que nous allons renforcer notamment au niveau de l'Université de Lorraine, puisque le Forum européen de bioéthique est un partenaire de la chaire Jean Monnet. financé par la Commission européenne dont je suis la titulaire. Donc aujourd'hui, je vais vous présenter la thématique de la santé mentale à travers le triptyque qui constitue la problématique bien sûr de cette matinée, le triptyque santé mentale, justice et liberté. Et c'est une formulation qui, à mon sens, n'est pas affirmative, mais davantage interrogative. De manière... tout à fait classique, on doit s'interroger quels sont les rapports entretenus entre ces différents termes. Doit-on les penser de manière frontale en ce qu'ils opposent les droits individuels, la liberté de l'individu, aux impératifs de sécurité publique, donc l'ordre public et l'intérêt collectif, et surtout, comment déterminer le curseur où on doit se placer selon les circonstances de chacun. La méthode aussi se triplique. L'éthique interroge également sur la méthode. Quel focal choisir comme principal étalon d'observation ? Selon qu'on chance les lunettes de la santé mentale, de la justice et de la liberté, l'approche ne sera pas nécessairement la même. Tout d'abord, si on chance les lunettes de la santé mentale, on va penser directement à la politique de la santé et son évolution dans un contexte social et politico-juridique. D'un point de vue de la liberté, On se placera bien sûr du côté de l'individu, de ses droits individuels, mais également de l'exercice de sa liberté politique au sein de la société. Et enfin, d'un point de vue de la justice, bien sûr, on pense en premier lieu à l'institution du juge, son rôle comme arbitre, pour arbitrer le conflit potentiel qui peut exister entre la protection de l'individu dans sa liberté et derrière les impératifs d'ordre public. Et enfin... En s'agissant de la justice, il y a également cette conception de justice sociale, à laquelle fait référence la dernière phrase de la problématique de cette matinée. Dans ces cas-là, la justice sociale sera pensée comme une construction morale et politique fondée sur le principe d'égalité, de solidarité et d'équité. Le choix principal que je vais faire pour cette présentation rapide, c'est un choix discrétionnaire imposé. par le thème central du forum cette année, donc le concept de santé mentale. Dès lors qu'on prend la focale de la santé mentale, les rapports entre santé, liberté et justice seront étudiés dans une approche globale, tant au chelon national, mais aussi européen, voire international, puisqu'il faut quand même le rappeler. La première définition qui a été donnée à la santé mentale revient à l'Organisation mondiale de santé dès les années 1948. Et donc une approche séquentielle de la littérature scientifique et des rapports officiels permet de rendre compte sur ce point que le concept de santé mentale est aujourd'hui banalisé dans son usage. Il n'est plus nécessaire de le mentionner, mais il apparaît de manière fonctionnelle comme un référentiel des pratiques et des discours, un référentiel des pratiques et des discours dont le contenu, dont la construction se fait selon les représentations sociales du moment. Donc ces deux aspects-là, je vais vous les présenter assez rapidement pour vous démontrer l'évolution, l'émergence de ce concept de santé mentale comme référentiel des pratiques et des discours, quelles sont les conséquences sur le plan social, politique et juridique. Et ensuite, quelles sont les perspectives d'évolution compte tenu de l'évolution des représentations sociales ? Alors, la santé mentale en tant que référentiel des pratiques et des discours, il s'agit bien sûr de la construction d'un tel référentiel. Et la construction d'un tel référentiel se fait d'un point de vue historique. D'un point de vue historique, les travaux et la doctrine s'accordent sur le point de savoir. que cette construction se fait clairement grâce à l'évolution de la prise en compte de la santé mentale, non seulement au niveau social, mais aussi juridique. Cette évolution est marquée par le passage d'une approche négative, centrée exclusivement sur l'aliénation et la maladie, vers une perception plus objective, c'est-à-dire pas seulement l'individu, mais aussi les facteurs qui ont une influence sur sa santé mentale. Et sur ce point, l'exemple de ce qui se passe actuellement au niveau de l'Union européenne est particulièrement éclairant. La question de la santé mentale apparaît dans les conclusions et dans des textes non contraignants de l'Union européenne depuis 1999, où la santé mentale a été explicitement reliée à une intervention ponctuelle, sectorielle de l'Union européenne sur des questions de santé, de la mise en place de la santé de l'Union européenne. Mais jusqu'en 2023, on constate un changement véritable de méthode. puisque la Commission européenne va publier en 2023 sa communication relative à l'approche globale en matière de santé mentale. Et là, dans cette approche globale de santé mentale, plusieurs actions vont être envisagées. Et ces actions sont exactement les mêmes que l'on retrouve également dans les discours et dans les plans d'action au niveau national, y compris notamment en France. Merci. Pouvoir la bonne santé mentale, investir dans la formation et le renforcement des capacités, assurer une bonne santé mentale au travail, protéger les enfants et les jeunes, répondre aux besoins des groupes vulnérables, montrer l'exemple à l'échelle internationale, notamment grâce au soutien dans les situations d'urgence humanitaire. Tout cela converge vers un phénomène, vers un constat, selon lequel la santé mentale est devenue aujourd'hui un objet politique public et qui, contrairement à ce que l'on pensait, paraît bien déterminé. C'est-à-dire, on peut identifier les critères objectifs sur lesquels se construit cette approche globale de santé mentale en tant qu'objet de politique publique. Et cela contrairement à ce qu'on peut penser lorsqu'on lit l'indétermination de la définition en données. dans le cadre de l'OMS. Et sur ce point, je rejoins les travaux de l'historien et philosophe Claude-Olivier Doron, selon lesquels la santé mentale apparaît aujourd'hui selon une conception très précise des rapports sociaux de l'individu en développement et des liens affectifs. Donc, cette nouvelle approche de la santé mentale met en exergue tout un ensemble de relations entre sujets individuels. Et à partir de là, il faut quand même s'interroger comment le droit et la société vont répondre à cette nouvelle conception. Bien sûr, le droit se saisit. Il se saisit de ce phénomène, de cette nouvelle conception de l'objet santé mentale en tant qu'élément important de la politique publique. Mais l'objet santé mentale reste. a un réflexe, en quelque sorte, un caractère diffus. On ne peut pas l'appréhender par le haut, mais aussi par le bas. Ce que la doctrine tente d'expliquer par une nouvelle façon de penser le biopouvoir ou les biopolitiques, notamment en modifiant la façon de procéder. C'est-à-dire, on ne va pas intervenir sur un ensemble de dispositifs biopolitiques, je cite, de sorte à modifier, améliorer. réguler les conditions concrètes d'existence des sujets, agir sur leur milieu de vie, par exemple, ou sur la répartition de revenus. Mais ici, il s'agira davantage, et je cite encore une fois, de penser ce phénomène en tant qu'une biopolitique des émotions et des affects. En quelque sorte, on assisterait aujourd'hui, grâce à cette évolution de la conception de la santé mentale, d'une politisation de la vie. ce que les sciences humaines dont se saisissent aujourd'hui de manière assez importante les sciences humaines et sociales. Quels sont ces caractères objectifs qui peuvent identifier cette conception ? C'est la prévention, anticipation, identification des groupes et des situations de crise, surtout non pas par rapport à l'individu. isolé, mais par rapport à l'individu dans son processus de développement. Toutes les phases de son développement et l'identification des périodes de crise où sensiblement un phénomène extérieur peut venir perturber la santé mentale. Et quand on regarde les différents instruments qui sont pris dans ce cadre, on constate que ce catalogue devient de plus en plus fourni, y compris par exemple le postpartum. et le plan d'action qui est revendiqué au niveau de l'Union européenne, mais aussi auquel le droit et le juge vont être particulièrement attentifs. La réponse juridique est bien sûr celle de la logique juridique. La catégorie des personnes, donc la catégorisation, on aura d'un côté la minorité, personnes âgées, personnes en situation irrégulière, Mais également, on va prendre en compte l'environnement dans lequel se trouve l'individu. Et dans ces cas-là, l'objectif de l'objet de santé mentale va se traduire en droit individuel. L'exemple le plus classique, c'est la prise en compte du trouble mental, de la question de l'handicap. Et tous ces éléments vont se poser devant le juge dans un cas concret. Et le juge sera obligé d'en tenir compte dans une appréciation. inconcrétant et circonstancié. C'est la raison pour laquelle la santé mentale en tant que référentiel est nécessairement liée aux représentations sociales. J'arrive à ce deuxième point que je vais développer de manière assez rapide puisqu'il s'agit ici simplement de détailler ce que je viens de préciser. Alors les représentations sociales, elles ont contribué à l'évolution de la conception de la santé mentale, explique qu'elles ne sont plus exclusivement liées aux troubles mentaux, à la maladie. Il s'agit encore une fois d'une objectivation de santé mentale en tant qu'un état général de l'individu. Et les représentations sociales, si on juge les différents textes, mais également les interventions législatives, se construisent autour de deux idées. la stigmatisation et l'inclusion sociale. La stigmatisation est un élément assez classique dès lors qu'on parle de la santé mentale et qui est souvent reliée à la question de la discrimination et d'exclusion. L'évolution de ces trois concepts se retrouve bien sûr dans la notion de vulnérabilité qui change elle aussi d'objet. La vulnérabilité aujourd'hui est objectivée en ce sens où, je cite, sous l'angle de droit, la personne vulnérable est celle qui n'est pas en mesure d'exercer les attributs de la personnalité juridique, c'est-à-dire une personne qui, dans un contexte donné, ne peut, en droit ou en fait, jouir de l'autonomie suffisante pour exercer pleinement ses droits fondamentaux. Et si... En ce sens, la protection de la vulnérabilité devient une obligation à destination de l'État, de la société et de l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire un devoir de résilience et aider l'individu en situation de vulnérabilité à surmonter son état. C'est aussi le deuxième et dernier point de mon intervention, la question de l'inclusion sociale. Et sur ce point, le juge aujourd'hui est devenu un acteur. directeur, arbitre de ce phénomène, puisque lui, dans ses décisions assez concrètes, doit tenir compte de tout ce phénomène d'évolution. Et il y a un exemple qui est très frappant, cette fois-ci, qui est rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en juin 2024, au sujet de l'attribution du statut de réfugié, donc des femmes. Dans cet arrêt, la Cour de justice qualifie l'émergence d'un certain groupe social en tant que motif de persécution, susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié, les femmes ressortissant d'un pays tiers, y compris mineurs, qui partagent comme caractéristiques communes leur identification effective. à la valeur fondamentale de l'égalité entre les femmes et les hommes intervenus au cours de leur séjour dans un État membre. En ce sens, on retrouve cette approche de la justice sociale fondée sur l'égalité, l'équité et la solidarité. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Je passe la parole à Manuel Orsat. Je rappelle que vous êtes psychiatre et surtout, et c'est là le point très intéressant pour nous éclairer, expert près la Cour d'appel danger, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Nous sommes intéressés de savoir comment, en tant qu'expert, vous apportez votre concours à la justice.

  • Speaker #0

    Merci Maître. Mesdames, Messieurs, je me joins en remerciement de mon prédécesseur pour cette invitation. Effectivement, je propose d'intervenir, vous m'avez invité dans le cadre de ces fonctions de représentation de l'expertise psychiatrique et on va nécessairement plutôt parler de l'expertise psychiatrique pénale. C'est une chance pour moi d'être invité à un tel forum puisque... Et finalement, comme on se le disait hier soir, on a plutôt l'habitude de colloques entre professionnels. Et finalement, la possibilité de s'ouvrir à la société est un aspect sans doute fondamental de la question de l'expertise psychiatrique pour la justice. Alors finalement, vous avez fait le choix d'ouvrir ce forum sur une question qui... Même d'un point de vue éthique, me semble devoir poser question, c'est-à-dire au fond la dimension judiciaire, carcérale, pénale de la maladie psychiatrique et de la psychiatrie en général. Alors, il est vrai que la psychiatrie est à n'en pas douter la discipline médicale qui a le plus d'interconnexion avec la justice, que ce soit au travers des soins psychiatriques sans consentement, de l'évaluation et de la protection des... des personnes vulnérables, des questions de dangerosité, de soins en détention et donc de l'expertise psychiatrique. Pour reprendre enfin et pour m'inscrire naturellement dans le sillage de certains des propos de l'un de mes maîtres qui donnait la conférence d'ouverture hier, le professeur Gaillard, il est certain que les maladies mentales sont sans doute parmi les maladies celles qui font le plus peur. Elles font le plus peur à raison puisque la souffrance qu'elles induisent est immense. La peur, l'angoisse sont d'ailleurs des symptômes assez constamment retrouvés chez les patients affectés de troubles psychiatriques. Elles font peur à raison parce que les prises en charge qu'on peut proposer sont limitées dans leur efficacité, qu'il s'agisse à la fois des prises en charge chimiothérapiques dont on sait qu'elles ne sont pas... la panacée et puis les prises en charge en général, quand on sait aujourd'hui l'état de déliquescence du système de santé psychiatrique dans notre pays. Mais elles font vraisemblablement aussi peur à tort, à tort lorsqu'il s'agit d'avoir peur des malades mentaux en eux-mêmes. D'abord parce que, et je crois que puisque ce forum s'ouvre sur cette session, il faut d'abord rappeler que les patients atteints de troubles psychiatriques sont premièrement victimes à la fois du stigma dont il a été parlé, dont je redirais un mot, mais également victimes, y compris d'agressions violentes, la situation sociale, de précarité, la difficulté à appréhender le risque, etc. Ce sont des facteurs qui exposent davantage à la victimation les patients atteints de troubles psychiatriques. atteints de troubles psychiatriques. En outre, il est vrai et c'est scientifiquement démontré qu'un certain nombre de pathologies psychiatriques sont associées à des passages à l'acte violents. Néanmoins, il est tout aussi vrai que les déterminants de ces passages à l'acte violents chez les patients atteints de troubles psychiatriques sont des déterminants finalement basiques ou je dirais génériques, c'est-à-dire les mêmes déterminants qui font passer à l'acte les personnes qui ne présentent pas de troubles psychiatriques ou mentaux, c'est-à-dire notamment l'usage de substances psychoactives, c'est-à-dire aussi des traits de personnalité particuliers, mais qui ne relèvent pas de la maladie psychiatrique. Peur dans la population générale a tort aussi, puisque probablement les craintes qui sont générées par les troubles psychiatriques et mentaux relèvent de ce que... Nous avons collectivement une difficulté avec l'écart à la norme, laquelle difficulté ne repose sur rien de rationnel naturellement. Parmi les rôles sociaux du psychiatre, je dirais qu'expliquer ce qui paraît fou, incompréhensible, invraisemblable, essayer de remettre du sens lorsqu'il n'y en a plus, sont ceux qui me tiennent le plus à cœur. Je crois qu'on pourra en dire quelque chose dans la fonction du psychiatre expert. Mais c'est avant tout demeurer humble dans la capacité à se faire entendre. dans la polysémie du verbe entendre, qui me semble être au devant de la pratique psychiatrique. Alors, tenter de dire ce qui ne veut pas ou ne peut pas être entendu, tel est un des offices du psychiatre expert, et c'est ce que je vais essayer de vous expliquer. D'abord, qu'est-ce que c'est que l'expertise psychiatrique pénale ? C'est essentiellement, même s'il en existe d'autres, mais mon propos se focalisera sur celle-ci, c'est ce qu'on appelle l'expertise de responsabilité, laquelle intervient dans de nombreuses situations de procédure. Elles sont prévues par la loi afin d'éclairer le juge sur le degré de responsabilité d'un sujet auquel on pourrait imputer une faute. On va demander au psychiatre expert, au fond, d'éclairer le juge sur un domaine dans lequel il n'a pas compétence. Le juge n'est pas médecin, il n'est pas psychiatre. Et c'est au fond, bien là, la seule mission du psychiatre, c'est-à-dire apporter des éclairages au juge et certainement pas davantage. Le juge n'étant jamais tenu par les conclusions d'un expert, son office à lui, c'est de juger et donc certainement pas d'enteriner. des conclusions d'expertise. Ça, c'est pour dire la limite au fond de ce que l'exercice de l'expertise psychiatrique est. Au centre de la question de l'expertise psychiatrique de responsabilité se pose la notion de discernement en droit français prévu à l'article 122 du Code pénal. Et donc, il va être demandé aux psychiatres experts de... procéder à un examen clinique de la personne mise en cause, au fin d'évaluer ce discernement. D'emblée, puisque nous parlons éthique et que nous réfléchissons, peut-être d'un point de vue dialectique, on pourra tout de suite souligner qu'il n'existe pas de définition du discernement, ni du côté de la psychiatrie, ni du côté de la justice. Il s'agira donc pour le psychiatre de répondre à une question d'une certaine manière, n'existe pas vraiment dans les référentiels. Il n'y a pas de définition du discernement, mais comment se tire-t-on sur ce que cela pourrait être ? Au fond, on considère qu'être doué de discernement, c'est être capable de comprendre la situation dans laquelle on se trouve. Ça nécessite d'avoir certaines compétences en matière de sens, par exemple, voir, entendre, se saisir de ce qu'il se passe. C'est également dans un deuxième temps être en capacité d'analyser ce qu'on a perçu et compris de la situation dans laquelle on se trouve. Et c'est enfin ajuster ses comportements, ses raisonnements, ses actions au regard des deux précédents temps que je viens d'énoncer. Il se trouve que dans certaines situations de pathologie psychiatrique ou mentale, ces capacités, à quelque temps que ce soit, peuvent se trouver. partiellement ou complètement entravée. Partiellement, c'est ce qu'on appelle l'altération du discernement. Complètement, c'est ce qu'on appelle l'abolition du discernement. L'abolition du discernement ayant quand même une conséquence majeure si elle est retenue par le juge, c'est qu'elle entraîne l'irresponsabilité pénale de la personne mise en cause et dès lors que l'on n'est pas responsable pénalement, on ne peut pas être sanctionné. Alors, naturellement, au regard de ce que je viens de commencer à énoncer, on voit d'emblée, et puis on le sait, vous le savez, on voit poindre des fantasmes et des représentations erronées autour de cette question posée au psychiatre. D'abord, comment est-ce qu'on fait pour avoir un avis, quand on est médecin psychiatre, sur les éléments que je viens de détailler ? Ensuite, dans quelle mesure on ne peut pas... feindre, enfin faire semblant, mimer des troubles qui viendraient comme cela faire croire qu'on est atteint d'une pathologie psychiatrique pour échapper à la justice puisque l'abolition du discernement entraîne l'irresponsabilité pénale. Bon, je voudrais démystifier d'emblée tout cela. L'examen psychiatrique d'expertise est un examen somme toute assez simple qui est l'examen psychiatrique que réalise... psychiatre au quotidien et qui permet de bien identifier certaines manifestations, certains symptômes, de les articuler les uns aux autres pour éventuellement comprendre une maladie caractérisée et puis ensuite dans un temps second de raisonner au moment des faits puisque la loi nous impose de raisonner au moment des faits enquêtés ou instruits. En effet on peut être affecté d'une maladie psychiatrique ou mentale chronique c'est assez fréquent. Mais les maladies chroniques ne s'expriment pas de manière longitudinale. Elles peuvent parfois être très exacerbées et parfois tout à fait silencieuses. La question qui est posée à l'expert, c'est précisément au moment des faits de savoir si la maladie s'exprimait et dans quelle mesure elle avait une relation avec les faits. Il est important ici de souligner, et c'est une particularité, alors pas exclusive, mais c'est une particularité du droit français. que la loi ne prévoit pas de liste de maladies psychiatriques ou mentales qui viendraient par principe altérer ou abolir le discernement. Ce n'est pas le cas dans d'autres lois, y compris en Europe. De sorte que... Présenter certaines maladies psychiatriques ou mentales qui parfois sont sévères, des troubles schizophréniques, des troubles bipolaires, d'autres types de troubles de l'humeur, n'est pas en soi un critère qui va à priori interférer avec le discernement. De notre point de vue, c'est à défendre. C'est une particularité de notre droit à défendre. Car en effet, comme je viens de l'indiquer à l'instant, l'évolution des maladies psychiatriques fait qu'à certains moments, on peut être en... pleine possession de ses moyens et puis à d'autres moments ne l'être pas. Ce sont effectivement les manifestations cliniques et non pas une maladie au sens de diagnostic qui vont déterminer l'analyse au moment des faits de la relation entre ces manifestations et le passage à l'acte. Alors pourquoi c'est essentiel de faire cette part à l'analyse de l'état psychique d'un individu au moment où il passe à l'acte ? Je pense que ça s'articulera avec le propos de l'orateur suivant. C'est essentiel parce que dans nos sociétés et depuis le droit romain, nous donnons pour axe fondamental que l'on doit préférentiellement soigner les patients atteints de troubles psychiatriques plutôt que les punir. Il est constant que notre préoccupation est de permettre une bonne orientation vers les soins. C'est l'expression d'une forme d'humanisme des soins, d'orienter vers les soins les patients atteints de troubles mentaux, même si à un moment donné ils ont pu commettre une infraction, davantage que de les sanctionner, puisque cela n'aurait pas de sens. On pourra y revenir. Alors je voudrais à ce moment-là, et on en avait parlé en préparant la session, déconstruire quelque chose que l'on peut associer à ce qu'on appelle parfois une forme de populisme pénal. Au regard de ce que je vous ai dit, on pourrait se dire finalement, et d'ailleurs on le dit parfois dans les médias lorsqu'il est question d'affaires souvent un peu sulfureuses, certains ont parlé, en l'espèce sénatrice, il y a quelque temps dans le... Le prolongement d'une affaire médiatique, qui est l'affaire Alimi Traoré, avait parlé d'impunité psychiatrique, dans le sens où harguer de présenter un trouble psychiatrique au mental au moment où on passe à l'acte, en l'espèce un acte criminel, pourrait faire échapper, au fond, à la justice. Et donc il y aurait, comme ça, des gens qui échapperaient à la sévérité de la justice en faisant valoir qu'ils présentent des maladies psychiatriques au mental. Alors moi je laisse à chacun la possibilité de croire à ces choses là, mais je voudrais vous énoncer quelques éléments assez factuels que sont les statistiques de la justice pour vous faire une petite idée de ce que c'est que l'irresponsabilité pénale en termes de chiffres. Désolé, c'est un peu épais, mais ça me semble très éclairant. En France, il y a en moyenne chaque année 30 000 règlements d'information, c'est-à-dire que les juges d'instruction ferment 30 000 dossiers par an. Ils vont au terme de leur instruction pour 30 000 affaires chaque année. Parmi ces 30 000 règlements d'information, 7 000... Ce solde par ce qu'on appelle un non-lieu, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de poursuite parce que le juge d'instruction n'a pas réuni suffisamment d'éléments pour pouvoir amener son dossier devant une juridiction de jugement. 30 000 informations réglées, 7 000 qui ne vont pas aller devant une juridiction de jugement et parmi ces 30 000, dont 7 000 ne vont pas être jugées, parmi ces 7 000 qui ne vont pas être jugées, 200... ne le sont pas pour des raisons d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble psychiatrique. C'est-à-dire que chaque année en France, 200 personnes échappent à la justice sur 30 000 règlements d'information. On parle d'information judiciaire, donc je ne parle pas d'enquête préliminaire ici, mais c'est pour vous indiquer qu'en réalité, 0,6% des règlements d'information judiciaire se soldent par une irresponsabilité pénale pour trouble mental. 0,6%, chacun appréciera si c'est beaucoup, si ça représente de l'impunité psychiatrique ou si c'est anecdotique. Pour ce qui me concerne, j'estime que c'est particulièrement anecdotique et je l'estime d'autant plus dans un raccourci, peut-être pourrons-nous en discuter, que l'épidémiologie des troubles psychiatriques dans les prisons françaises témoigne de ce qu'en réalité on oriente bien davantage vers la... prison les personnes commettant des infractions et présentant des troubles psychiatriques que vers l'hôpital psychiatrique. On pourra en redire un mot, y compris sur le plan statistique. Alors, quels sont au fond les enjeux de l'expertise psychiatrique lorsqu'on regarde un petit peu ce panorama que je viens de vous indiquer ? Il me semble que l'exercice de l'expertise psychiatrique pénale, c'est celui d'une mise en tension permanente des valeurs, notamment si on le regarde sous le champ. de l'éthique. Parce qu'il s'agit d'abord pour le psychiatre, avant tout, peut-être j'aurais dû commencer par ça, un psychiatre expert, notre compagnie est mal nommée, elle s'appelle compagnie des experts psychiatres, mais nous sommes en réalité psychiatres experts, l'ordre des mots importe. Un psychiatre expert c'est avant tout un médecin, un médecin psychiatre qui a une pratique médicale et soignante et qui met... soit au service de la justice les compétences qu'il a acquises et son expérience. Mais ce n'est évidemment pas naturel, je dirais. Il s'agit d'une mise en tension ici que de collaborer à l'œuvre de justice avec tous les risques d'amalgame et d'instrumentalisation que cela pourrait représenter. Il n'est pas rare dans d'autres... pays et dans d'autres régimes politiques, naturellement, que la psychiatrie soit convoquée par les semblants de justice pour venir. On le sait, l'histoire nous l'a enseigné, mais l'actualité encore dans certains pays, pas forcément très éloignés d'ici, nous montre que la psychiatrie peut être instrumentalisée aux fins de pseudo-justice. Donc, il s'agit évidemment de ne pas être dupe de ça. Pour autant, comme je l'ai dit, comment s'y prendre ? conserver ce pilier de l'humanisme des soins qui consiste à aider à l'orientation d'une personne qui va commettre une infraction, soit vers effectivement le fait qu'elle soit jugée, condamnée, éventuellement incarcérée, soit vers le fait qu'elle aille vers les soins. Il va bien falloir discriminer, il va bien falloir apporter des éléments de compréhension au juge et c'est là une pratique. En tension pour le psychiatre expert, mais une pratique qui me semble essentielle. Évidemment, il s'agit aussi dans cette position de participer, je ne sais pas si c'est une œuvre, j'allais dire à l'œuvre de sécurité publique, mais enfin en tout cas... à l'attente d'une sécurité publique. Or, certains troubles psychiatriques ou mentaux peuvent troubler la sécurité publique. Et quand on est spécialiste des troubles psychiatriques et mentaux, il s'agit aussi de prendre en considération cet aspect-là. Mais, et c'est essentiellement le cas lorsque nous sommes amenés... puisque la procédure est orale et exclusivement orale en matière de cour d'assises, lorsque le psychiatre expert est amené à venir exposer ses travaux devant la cour d'assises, il va s'agir non seulement de faire œuvre de pédagogie, de pouvoir expliquer ce qui n'est pas toujours très simple du côté des termes, du côté des concepts en psychiatrie à des non-psychiatres, que sont les magistrats professionnels ou que sont les jurés populaires. Faire donc œuvre de pédagogie, mais également, me semble-t-il, rappeler sans cesse les limites de notre exercice. Il s'agit, et nous sommes attendus là-dessus, d'apporter des éléments de compréhension de faits souvent incompréhensibles. On a tous à l'idée des crimes abominables sur des personnes. particulièrement fragiles, les crimes qui concernent les enfants, etc. et qui paraissent incompréhensibles. Et pour cheminer dans la mission que se donne la justice, mettre du sens, comprendre, établir une vérité judiciaire, on passe parfois par le fait de proposer des explications qui reposent sur les mécanismes du fonctionnement psychique, bien au-delà de la présence ou non d'un diagnostic. Vous avez compris que finalement... L'essentiel du temps, lorsque l'on va devant une cour d'assises, c'est pour expliquer qu'on n'a pas affaire à des personnes atteintes de troubles psychiatriques, quand bien même les actes qu'elles ont commis paraissent fous, je dirais, au sens trivial. C'est donc ici un rôle délicat, je trouve, là encore, de mise en tension, où il ne s'agit pas seulement pour le psychiatre de dire il y a de la maladie ou il n'y a pas de la maladie, au-delà de ces aspects de l'hypnologie. du diagnostic, il s'agit aussi d'apporter des éléments de compréhension psychopathologique, psychodynamique, de comment ça marche la vie psychique et comment parfois ça aboutit à des passages à l'acte paraissant en rupture avec un fonctionnement normal. Mais au fond, nous sommes avant tout experts de nos limites. L'expertise psychiatrique pénale n'est pas un exercice de la toute puissance du savoir. Nous n'expliquons pas grand chose. Nous devons surtout... pour tout faire avec l'attente sans doute jamais satisfaite, et c'est heureux, des magistrats, des juges, des jurys populaires, à ne pas tout pouvoir expliquer. Être expert en psychiatrie, c'est d'abord mesurer la complexité de la vie psychique, qu'elle soit physiologique ou psychopathologique, même lorsque nous ne sommes pas atteints de maladies psychiatriques ou mentales, nous avons affaire. avec ce que notre vie psychique a de particularités et parfois de complexités, c'est cette complexité qu'il convient de mesurer, de dialectiser, d'expliquer. Et c'est savoir aussi, lorsqu'on est en position d'être psychiatre expert, en dépit de ce que le titre peut avoir l'air de ronflant, d'autoritaire, c'est surtout pouvoir dire l'humilité qu'exige l'appréhension des phénomènes psychiques. Pour finir, au fond... Je pourrais interroger ou mettre l'accent sur le fait que l'époque dans laquelle nous vivons, paradoxale, d'exigence à la fois de rationalité, grande prégnance des neurosciences aujourd'hui dans l'approche des maladies psychiatriques et mentales, attente tous azimuts d'explications, de rationalisation. Tout problème doit avoir une solution, on doit pouvoir tout expliquer. Et puis en même temps, on est quand même... je crois que l'actualité nous le montre, dans une période d'expansion du fake, du superficiel, de la fausse information, des vérités parallèles, d'un émotionnel qui prend le pas, au fond peut-être le rôle, la mission du psychiatre expert en matière pénale, c'est de demeurer une boussole de la complexité et de l'esprit critique, y compris même du savoir qu'on lui confère. En ce sens... L'expertise psychiatrique pénale me semble être un acte médical avant tout et politique qui implique une réflexion éthique. C'est la raison pour laquelle il me paraissait important de pouvoir venir en discuter avec vous et surtout de pouvoir prolonger ces bribes de réflexion avec vous. Merci. Je passe la parole à Pantéléon Giacognacopoulos. Vous êtes professeur de psychiatrie et vous êtes aussi en charge de, enfin on appelle ça directeur général de l'office cantonal de la santé du canton de Genève. Donc vous êtes le ministre de la santé de Genève, si j'ai compris.

  • Speaker #1

    Pas exactement, mais je dois organiser la santé, les différents aspects de la santé en collaboration avec le ministre du lieu. Je vous remercie de votre invitation. Je voudrais peut-être compléter les propos qui ont été tenus avant avec un témoignage qui peut paraître un peu plus personnel. Vous retracez une histoire et vous parlez de ce qui, à mon sens, aujourd'hui, est un enjeu fondamental, qui est celui de l'exercice de la contrainte en psychiatrie sur les différents aspects et l'évolution sociétale, qu'on assiste pratiquement les dernières... deux à trois décennies. Alors, c'est là fait environ 30 ans que j'exerce ce métier. J'ai eu l'occasion par différents promontoires d'observer le lien entre la contrainte et les soins psychiatriques dans les différentes déclinaisons. Donc je reprendrai certains des propos qui ont été nus ici. J'ai envie de dire que dans une assez longue période, ce type de contrainte concernait, pour la plupart des psychiatres, le lien avec les codes civils. C'est-à-dire que dans les différents pays, j'ai eu l'occasion de vivre et de travailler dans différents pays, dans les différents pays pourrait être ce qu'on appelle le placement à des fins d'assistance, c'est-à-dire limiter la liberté d'un individu pour lui procurer des soins quand cet individu peut se mettre en danger ou peut mettre les autres en danger. Le danger est un mot extraordinairement important, je vais essayer de vous décrire dans les quelques minutes qui me sont données. Puisqu'on a progressivement évolué d'un monde qui était centré sur la question de la responsabilité, ça a été quand même abordé de manière très approfondie juste avant, au monde qui se focalise de plus en plus sur la dangerosité. Et c'est un glissement conceptuel tout à fait important. Je vous décrirai peut-être que la situation est peut-être moins visible aujourd'hui en France. Je vous donnerai des exemples d'autres pays où c'est... Cette modification, ce saut qui était un saut campique, passé c'est-à-dire de la notion de la responsabilité à la crainte de la dangerosité, a eu des répercussions et a des répercussions très importantes au niveau des soins et de l'humanisme des soins psychiatriques. Alors il fut un temps, un temps qui peut paraître lointain aujourd'hui. Quand je parle comme ça j'ai l'impression d'être un dinosaure, mais enfin vous m'excusez les propos. J'ai vécu dans une époque où les hôpitaux L'hôpital que j'ai dirigé, et que je continue à diriger pour quelques mois encore à Genève, les hôpitaux qui prennent en charge des patients qui ont passé à l'acte sur un plan pénal, qui sont considérés des criminels dangereux pour le procurer de soins, il fut un temps que ces hôpitaux étaient en train, dans différents pays, de fermer. C'était le mouvement, pour les plus anciens parmi nous dans la salle, le mouvement des années 60. la grande libération des mœurs, l'interrogation sur la liberté, la quête de liberté qui a caractérisé nos sociétés il y a environ 60 à 70 ans en arrière. C'est loin, mais peut-être pas si loin que ça de nous-mêmes. Alors à cette époque-là, des hôpitaux qui prennent en charge ce type de patients existaient, mais qui étaient essentiellement des îlots de misère, parfois avec des pratiques extraordinairement déviantes. Donc c'était cette histoire assez sulfureuse que les Italiens savaient bien, sous le terme de manicomio criminalis, c'est-à-dire ces institutions très peu dotées où il y avait beaucoup plus un exercice de contraintes et de violences sur des personnes qui étaient devenues avant violentes sur le plan du code pénal, sans véritablement un projet de réinsertion sur le plan social. Alors à cette époque-là, peut-être j'essaierai de faire quelques photographies pour voir un peu comment on a évolué dans le temps. À cette époque-là, la primauté était donnée pour le soin psychiatrique qui s'exerçait en dehors de ces îlots, au lien avec le code civil, c'est-à-dire les placements à des fins d'assistance. Alors, là aussi, il y a des différences tout à fait fondamentales entre les pays. Il y a des pays où cette décision-là, c'est-à-dire priver quelqu'un de sa liberté pour lui donner des soins, revient sans que ce quelqu'un... et à faire avec le monde du droit pénal, revient au tribunal, revient un peu, peut venir au préfet. En Suisse, la Suisse est une situation un peu sui generis, assez particulière, compte tenu de son côté fédéraliste. Donc, ce qui veut dire que vous avez autant de cantons que de législations, ça revient un tout petit peu à un paradigme comme vous le retrouvez aux États-Unis. Il y a des cantons, Genève c'est un exemple, où cette décision est une décision médicale. C'est-à-dire que c'est le médecin qui avait les clés pour dire, une personne en ce moment, elle a un comportement qui le met en danger ou met en danger les autres, et donc on décide d'une hospitalisation au milieu psychiatrique. Je parle là encore une fois d'un milieu psychiatrique loin du monde du droit pénal. Le début et la fin de ces séjours étaient décidés par un psychiatre. Vous allez dire, c'est une évolution tout à fait positive. D'une certaine manière, oui. D'une autre manière, non. Et je dois dire qu'après autant d'années d'exercice de mon métier, je reste toujours perplexe par rapport aux responsabilités qui sont données aux psychiatres. Et je reviens aux propos qui ont été tenus, à la modestie qui doit nous caractériser quand on les assume. Donc ce qui s'est passé souvent, c'est qu'il y avait ces décisions, la psychiatrie a pris un rôle sociétal extraordinairement important, puisque c'était les psychiatres qui tenaient les clés, finalement, au lien avec la liberté de l'individu. Deuxième pas, toujours dans ce Ausha... qui devenait un champ de tension très important, le traitement sous contrainte. Parce que dans les législations, c'était la même réalité dans les pays scandinaves et en Allemagne. La Suisse est quand même assez inspirée sur le plan du droit de ces deux pays, de ces deux régions. Il y avait la question du traitement sous contrainte, ça veut dire non seulement limiter la liberté d'un individu, Mais le traité, pharmacologiquement, compte son gré. Ça, c'était une autre part. Et alors, je vous éviterai de voir la nuance qui existe là-dessus. Jusqu'à aujourd'hui, dans un canton comme Genève, c'est la même chose dans certaines landes en Allemagne, vous pouvez décider, un médecin peut décider, de limiter la liberté d'individu en le plaçant dans un hôpital psychiatrique, mais pour le traité... c'est-à-dire pour utiliser la pharmacothérapie contre son gré, il faudrait quelques critères supplémentaires, dont, et je reviens aux propos qui ont été tenus, et c'est le fil conducteur qui va nous amener au droit pénal, la question de la capacité de discernement. Si la personne n'a pas perdu sa capacité de discernement, avec toutes les caveats qui ont été très bien expliquées avant, vous ne pouvez pas le traiter contre sa force. Résultat des courses, vous pouvez limiter la liberté, vous retrouver par certains aspects dans une impasse sur le plan thérapeutique, ou alors par contre aller plus loin, prêter, et se poser toujours la question, mais est-ce que véritablement les capacités de discernement sont abolies ? Comme très clairement expliqué avant, il y a une interrogation sur la notion même du discernement, et encore plus grande interrogation sur qui juge. et quelles sont les libertés qui sont données aux individus pour aller contre, pour protéger leurs droits dans une société comme la nôtre. Alors, il y a, j'ai envie de dire, des protections qui ont été mises en place, comme les possibilités de recours, et ce système-là semblait, sans doute, avec toutes les limitations et toutes les précautions d'usage, être relativement bien huilé et fonctionnel, avec un nombre d'hospitalisations qui... comme en France, comme dans d'autres pays européens, a pris l'ascenseur progressivement, les hospitalisations contre les grès des personnes, ce qu'on appelle les hospitalisations non volontaires. Mais encore là, on était en dehors du champ, qui est le champ pénal. La contrainte, quand elle est exercée, j'ai envie de dire, pour votre bien. ou la possibilité de faire du bien à l'autre, semble être plus compréhensible, humainement plus acceptable que quand vous l'exercez pour des raisons de protection sociétale. Quand on va vers le droit pénal, on est dans un champ de tension, ça a été décrit, qui concerne la société, comment on protège la société, et de l'autre côté... Comment on protège le droit de l'individu ? Et c'est là où une mutation très importante s'est opérée progressivement, et pratiquement après les années 2000. Je pense que c'est très important d'être conscient de cette mutation. On peut bien évidemment, comme ça a été dit avant, déprésenter et dire, mais dans le fond, si vous prenez tout le nombre de procès qui existent, le pourcentage qui concerne l'irresponsabilité pénale, très franchement, c'est mineur. Vous ne pouvez pas... accuser les psychiatres d'aider les criminels d'échapper à leurs sanctions. Ce qui est formellement vrai. Mais dans le fond, on est entré dans une société qui a été très bien décrite par Vargas Llosa. C'est la civilisation du spectacle. C'est-à-dire, le poids du fait divers est extraordinairement important. Même une situation suffit. Et progressivement, on a assisté à un durcissement. de la vision de la société, mais aussi du cadre légal, autour des passages à l'acte et de la dangerosité d'un individu. On ne parle plus, on parle de moins en moins, je vous donnerai un exemple, de responsabilité pénale. une notion qui existe depuis l'époque d'Amourabi, j'entends ce que je veux dire, et puis après a été très bien balisée au fil du temps, et on parle beaucoup plus de dangerosité. Je vous donne un exemple qui est quand même assez frimpant et qui n'a pas cessé de m'interroger jusqu'à aujourd'hui. Je me suis demandé d'ailleurs, est-ce que ça ne m'a pas poussé, après dix ans de direction de cet hôpital que j'ai vu grandir et que je portais de changer d'orientation de carrière, la modification du droit pénal. qui est arrivé à peu près en même temps en Allemagne, en Suisse, et pourtant d'un exemple qu'on considère parfois plus, je dirais, plus politiquement correct par certains aspects, en Suède. La modification du droit pénal qui est apparue au début des années 2000 a progressivement, et à travers des mots, changé le focus. Exemple. Jusque-là on disait mais est-ce qu'il y a une responsabilité ou une irresponsabilité pénale ? Est-ce qu'une personne qui passe à l'acte sur un plan pénal, il est en pleine possession de ses moyens cognitifs, volitifs, donc les deux piliers de la responsabilité pénale, et donc est-ce qu'il y a une irresponsabilité pénale ou, dans certains pays, partielle, totale ou partielle, pour un acte qui est causalement lié à une pathologie psychiatrique ? Aujourd'hui, les choses ne sont pas comme ça. Dans le droit pénal suisse aujourd'hui, ce qui prime, ce n'est pas un lien causal, c'est un lien, la présence d'un lien qui peut augmenter les risques de récidive. Le saut est ici un saut quantique, parce que comme... Comme Sartre, dans le fond, le disait, on ne fait pas d'à la vue ce qu'on veut, mais on est responsable de qui on est. Et en fait, en réalité, on commence maintenant à s'occuper de qui on est, et donc à punir ou à contraindre en lien avec qui on est. Alors, le lien, quand ce n'est pas un lien causal, quand il ne s'agit pas de responsabilité, mais un focus sur le risque de récidive et de la dangerosité d'un individu, ouvre une porte très grande. Et dans la plupart des pays du nord de l'Europe, on a insisté. Je ne mets pas la France dans le nord de l'Europe, donc je parlerai plutôt dans les pays qui sont évidemment la Suisse, l'Allemagne, les pays scandinaves, qui sont des exemples. L'Angleterre a pris le même chemin, mais dans un contexte aussi de choix, comme un plus pauvre, il faut bien le dire. Et ce qui s'est passé progressivement, c'est que... Le système, je dirais l'étoile pénale, a reconnu, je viens là sur la notion de la création des hôpitaux qui prennent en charge les criminels dangereux, a reconnu une séparation et est devenu un système dualiste, c'est-à-dire un système qui sépare les peines des mesures, les sanctions des mesures. Autrement dit, sur la base de l'expertise psychiatrique, le juge doit décider, c'est la réalité actuelle, typiquement on... en Suisse ou en Allemagne, il doit décider est-ce qu'un individu, pas seulement si l'individu est responsable ou irresponsable, mais aussi est-ce qu'au lien avec une maladie mentale, un individu a un très haut risque de récidive par rapport à un acte. Et dans ce cas, décider de le sortir du champ pénal classique des sanctions et l'amener dans le champ des mesures. Les mesures, ça veut dire, quand vous prononcez une mesure dans le droit suisse, et en Allemagne aussi, vous suspendez la peine. L'individu entre dans un autre track dans un autre type de sanctions dans le fond, mais où les choix priment. C'est-à-dire qu'il doit être pris en charge avec des mesures qui sont renouvelables chaque cinq ans. Alors, il a existé... Un débat, il existe toujours, un débat extraordinairement important sur cela. C'est-à-dire quels moyens on donne comme société pour traiter les personnes et pour combien de temps.

  • Speaker #0

    Et donc je terminerai en vous donnant cet exemple, on aura l'occasion d'en discuter, mais je terminerai en vous donnant cet exemple de ce qui s'est passé par rapport à l'hôpital que je dirige encore d'ailleurs, qui a été construit pour une très grande partie de la Suisse, toute la Suisse qui parle, je dirais, français, italien, pour accueillir ce type de personnes. Dans le cadre des mesures, qui sont des mesures thérapeutiques. Les mesures thérapeutiques nécessitent une mobilisation de moyens. Et là je viendrais peut-être au côté plus positif quand même de ce tableau qui pourrait inquiéter, qui inquiète à juste titre la société. Les mesures, on accueille environ 100 mesures, il y a 100 lits pour ça, et c'est des personnes qui peuvent rester ad vitam aeternam, c'est-à-dire il n'y a pas de limitation dans le temps. Et c'est une grande différence par rapport à la sanction pénale. J'ai rencontré dans ma carrière des personnes qui m'ont dit très clairement pour revenir sur le propos qui a été tenu avant. Mais dans le fond, pourquoi j'ai eu le malheur de me retrouver devant un expert psychiatre ? Si j'étais jugé uniquement pour ce que j'ai fait, j'aurais pris peut-être une année avec sursis, deux ans. Mais du moment où il y a eu l'expertise et la décision du juge pour aller vers les mesures, le temps peut devenir un temps indéfini. Et donc la responsabilité de ceux qui travaillent et soignent ces personnes, c'est rendre le temps défini. Parce que sinon, le temps est défini, est une source de désespoir et de préparation pour le passage à l'acte suivant. Et pour ça, les psychiatres doivent être très conscients de la responsabilité qu'ils prennent. C'est la responsabilité de garder allumé, comme dans le film de Tarkovsky, de garder la lumière allumée, de garder l'espoir de ces personnes. Ce qui veut dire aussi des moyens. Je reviens sur un point qui n'a pas été abordé, mais qui, à mon sens, est très important quand on discute du lien entre la santé et la justice au niveau de la santé mentale. C'est les moyens qu'une société met pour soigner et accompagner ces personnes vers la réinsertion. Alors, vous allez dire, je peux bien imaginer, vous savez, comme vous pouvez imaginer par mon nom, je ne suis pas d'origine helvétique tout de même. Malgré le fait que je vis depuis 25 ans dans ce pays, je connais des milliers et des millions d'Europe beaucoup plus pauvre. La Suisse est un exemple où il y a une mobilisation très importante et des moyens que la société a mis pour soigner ces personnes. Donc je vous donne un exemple, alors ça frappe toujours quand je le dis, mais une nuit dans l'hôpital que je dirige, une nuit coûte 1200 euros. Ça paraît énorme et ça c'est de l'argent public. Donc ça veut dire qu'une société a dit, on peut toujours critiquer évidemment les choix qu'une société fait. Mais là-dessus le choix était de dire, on met de l'argent, on met des moyens, infirmiers, médecins, agents de détention parce qu'on travaille dans un système avec eux, dans une collaboration avec eux, très étroite, pour accompagner ces personnes. Mais accompagner ne signifie pas juste donner des soins, ça signifie convaincre. Convaincre le juge d'application des mesures, convaincre les proches, convaincre aussi le monde de la détention, pour amener peu à peu une progression de la mesure et la possibilité d'ouvrir les portes. Alors, en fonction des lunettes qu'on peut mettre, dire que chaque année, la moitié des personnes sortent vers un milieu ouvert, vous pouvez le voir comme un succès ou comme un échec. Ça dépend du prix que vous voulez mettre comme une société pour cela. Mais c'est la seule manière de faire, si vous prenez l'optique, dans une société, d'utiliser les mesures, c'est-à-dire les soins psychiatriques, pour gérer non plus la question de la responsabilité uniquement, mais ce néologisme. qui est la dangerosité. Donc c'est là où on en est aujourd'hui et chaque fois, je termine mon propos ainsi, chaque fois qu'un fait divers arrive dans les prisons, arrive dans des établissements comme ceux que je dirige, il y a toujours des voix pour crier au scandale, pour crier à l'incurie, pour crier à la nécessité d'être encore plus restrictif. Cependant, de l'autre côté, ça m'est arrivé dans mon carrière de rencontrer des personnes qui sont restées 12 ans en prison suite à des menaces par la décision des mesures. Et ça, ça interroge humainement. On n'est pas juste des professionnels de santé, on est des êtres humains. Et ça interroge. Ça interroge aussi par rapport au pouvoir qui est donné et à la responsabilité qui est donnée aux soins psychiatriques dans une société. Donc, j'ai envie de dire que face à n'importe quel fait divers, il faut pouvoir garder une vision qui est une vision de ce qu'on veut faire collectivement de notre société. sans naïveté, sans angélisme, mais sans la tendance de courir derrière le dernier prophète. J'arrête là, merci.

  • Speaker #1

    Alors, il y a une question qu'on se pose tous lorsqu'il y a un fait divers qui conduit à l'irresponsabilité. pénale d'un individu, parce que c'est des faits qui peuvent être très marquants pour la population et effectivement faire peur, on se pose la question du sort de l'individu qui a été déclaré irresponsable pénal. Est-ce qu'il y a une garantie ? Puisque l'expert s'est prononcé bien sûr sur le moment de la commission des faits, il a indiqué qu'au moment de la commission des faits, il y avait eu une abolition du discernement tel qu'il ne pouvait pas être jugé. C'est ce que dit notre droit et depuis fort longtemps, et beaucoup de droits autour de nous. Mais une fois qu'il a été diagnostiqué ou expertisé irresponsable pénal, qu'est-ce qu'il devient cet individu ? Et est-ce que la société, puisque c'est ça que le grand public attend, a une garantie que derrière, le lendemain, parce qu'il ne sera plus en état d'abolition, il ne va pas ressortir et peut-être... également se retrouvaient en capacité de recommencer. Manuel Orsat.

  • Speaker #2

    Alors, peut-être repréciser les aspects un peu procéduraux, mais d'abord, il n'y a pas de systématicité, mais ce que la loi prévoit, c'est que lorsque des conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, si on se met en matière criminelle, enfin pour les infractions les plus graves, mais... On rend aussi des conclusions d'irresponsabilité pour des infractions tout à fait bénignes. J'ai finissé un rapport d'expertise ce matin pour un vol de cage à oiseaux pour lequel j'ai conclu une irresponsabilité. On voit bien que les enjeux sont beaucoup plus faibles que d'autres dossiers. Par exemple, nous avons conclu récemment avec une collègue pour quelqu'un qui a eu... commis trois homicides successifs. Ce n'est pas la même chose, évidemment. Lorsque ces conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, il est de droit qu'il y ait des contre-expertises, c'est-à-dire qu'un seul avis d'un seul psychiatre expert ne suffit pas et des contre-expertises peuvent être diligentées. Et si, puisque je l'ai dit, mais je le rappelle, les conclusions d'abolition du discernement sont retenues par le juge, qui n'y est pas tenu, le juge peut aller contre des rendus de conclusion d'expertise, et bien l'irresponsabilité sera retenue. Dans ce cas, la chambre de l'instruction va, pour les affaires les plus graves à l'évidence, prononcer un arrêt d'irresponsabilité pénale et plusieurs choses. D'abord, la responsabilité civile est préservée, c'est-à-dire que même si la responsabilité pénale n'est pas maintenue, Tout ce qui est en matière de réparation du dommage des victimes, etc. Tout ça, ça reste maintenu et l'auteur, bien que très malade au moment des faits, devra réparer, etc. Tout ça est préservé. Deuxièmement, il y a le champ des soins dits sous contrainte, enfin en fait sans consentement. la juridiction de jugement pourra demander à ce que soit prononcée une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Et donc en pratique, à l'issue de l'audience, la personne qui souvent est préventivement détenue pour les infractions criminelles va être emmenée à l'hôpital psychiatrique sous le régime du SDRE, donc du soin sur décision du représentant de l'État, passant du coup... dans un tout autre champ que celui de la justice, qui va être celui de l'autorité sanitaire et de l'autorité administrative. Ce qui prévaut dorénavant à ce stade-là, c'est les soins. Et donc, c'est l'état clinique de la personne concernée. Et puis, troisième volet, malgré tout, ça va dans le sens de ce qui vient d'être dit. Les réformes successives du droit pénal en France depuis le début des années 2000 vont vers quand même davantage de précautions. Un principe très important. Et donc il y aura ce troisième volet, la juridiction du jour, la chambre de l'instruction peut prononcer des mesures de sûreté associées à l'irresponsabilité pénale. On ne va pas condamner la personne, elle ne va pas être sanctionnée puisqu'elle ne le peut pas, elle n'est pas responsable, mais elle pourra se voir infliger un certain nombre d'obligations et d'interdictions, en particulier l'interdiction de paraître sur un certain territoire, l'interdiction d'être en rapport avec certaines personnes, l'interdiction de détenir une arme. de conduire, etc., etc., des mesures qui seront considérées comme étant des mesures de prudence pour la vie. Et s'agissant donc de la deuxième volet que j'ai expliqué là, donc les soins, eh bien la personne est hospitalisée en psychiatrie. Alors il y a plusieurs en France dispositifs qui peuvent accueillir ces... Les individus, dans le cas classique, les personnes sont hospitalisées dans leur secteur de psychiatrie générale sous la forme du SDRE, c'est-à-dire privées de leur liberté. En France, on peut priver de la liberté d'aller et venir sur des avis médicaux et sous contrôle du juge des libertés de la détention, qui est la seule autorité à statuer sur la privation de liberté. En revanche, on ne peut pas... contraindre à prendre des médicaments. Toute atteinte au corps est déterminée par le consentement. On peut empêcher un individu d'aller et venir, mais on ne peut pas l'obliger à prendre des cachetons ou à recevoir des piqûres. C'est ensuite l'évolution clinique de l'individu qui va déterminer son avenir. Si l'évolution est défavorable, il se peut que l'individu soit très durablement hospitalisé. Si l'évolution est favorable, ce qu'on peut espérer quand on est soignant et médecin, à la faveur des soins, des traitements, de la réhabilitation sociale, la loi prévoit des dispositifs de soins sans consentement, prévoit que l'individu pourra ponctuellement sortir, puis sortir tout en étant toujours en soins ambulatoires contraints, avec l'obligation de respecter ses soins s'il ne les respecte pas, il sera réadmis, etc. Donc il y a quand même un panel très important, c'est ça que je veux dire en fait, très simplement, c'est qu'il y a un panel très important de soins possibles. Et pour les malades ? qui présentent des troubles plus bruyants, plus graves, on pourrait dire, dans leur expression comportementale. Il existe deux types, les USIP, les unités de soins intensifs psychiatriques, qui ne sont pas déployées partout sur le territoire. Et puis ce qu'on appelle les unités pour malades difficiles, les UMD, qui sont vraiment pour le coup des structures d'hospitalisation à temps complet pour des patients qui présentent des signes de résistance et notamment de difficulté de prise en charge avec des manifestations comportementales importantes. Donc... Vraiment, ce qu'il faut bien se dire, c'est que non, on ne se retrouve pas le lendemain dans la rue quand on a commis un crime, alors qu'on était dans un état d'activité de sa maladie psychiatrique. Mais en revanche, et en toute logique, ce sont ensuite les soins et donc l'évolution de l'état psychiatrique qui va déterminer la trajectoire de l'individu, avec malgré tout des précautions importantes.

  • Speaker #1

    Alors, monsieur Giannakopoulos, vous avez évoqué la question de l'hospitalisation sans le consentement de la personne et indiqué que la décision était prise selon les pays, soit par les soignants, soit par les juges. En France, en l'occurrence, une fois qu'elle est prise, cette décision, elle fait l'objet du contrôle du juge. C'est assez récent, c'est depuis 2011, que le juge des libertés et de la détention contrôle. Les hospitalisations sous contrainte. En tant qu'avocat, j'ai été amenée, puisque les personnes hospitalisées ont droit à un avocat. Au début, il y a toujours une permanence d'avocats qui se succèdent pour aller dans les hôpitaux, dans les services psychiatriques, pour assister ces personnes qui comparaissent devant un juge des libertés et de la détention, pour savoir si elles vont continuer d'être hospitalisées. Et j'avoue que je ne l'ai pas fait très longtemps parce que j'ai été extrêmement gênée, et je voudrais avoir votre avis tous les deux de psychiatre, par la situation qui confère au juge la possibilité de faire sortir finalement une personne qui a été hospitalisée sous contrainte, parfois pour des raisons procédurales, cette procédure étant importante puisqu'elle protège les individus de l'arbitraire éventuel des soignants. S'il devait y en avoir, puisque l'intérêt n'est pas toujours là. Mais bon, en tout cas, la question, c'est de savoir, est-ce que le juge, avec quelles compétences, le juge peut-il se prononcer sur la nécessité de maintenir une hospitalisation sous contrainte ? Nous, les avocats, notre rôle, et c'est pour ça que j'ai très rapidement arrêté, il est finalement d'aller vérifier si cette procédure a été respectée. Et ça, c'est encore une fois important. parce qu'elle est garante de la liberté, mais cette procédure, quand elle n'est pas respectée, parce que les soignants sont en grande difficulté aussi de paperasserie administrative majeure, en plus d'avoir quand même des gros problèmes d'effectifs, donc quand elle n'est pas respectée, ça peut conduire à faire sortir quelqu'un qui pourtant avait été jugé par les soignants en nécessité d'être hospitalisé. Enfin voilà, ça pose la difficulté de décompétence. du juge et de savoir comment le juge peut se prononcer au-delà de la simple procédure sur le fond. Comment le juge peut être amené à dire que la personne n'a plus besoin d'être hospitalisée.

  • Speaker #0

    Disons que chaque pays, dans ce cas-là, a trouvé des manières de faire, et parfois même des manières assez agiles de faire. Donc, quand il y a une décision de médecin par rapport à une expédition volontaire, vous pouvez choisir de, je dirais, une limitation temporelle, ou alors... la possibilité de juger par quelqu'un de l'extérieur de la pertinence d'une hospitalisation non volontaire. La question de fond, c'est quel droit vous donnez à un individu de pouvoir recourir contre cela. Ensuite, ce qui se passe, c'est que la personne peut recourir, et donc le tribunal qui s'en charge a la possibilité d'ordonner rapidement et de manière agile, et ça c'est important compte tenu du nombre d'admissions non volontaires, une expertise faite par un tiers qui vient voir la personne et qui statue. Et cette fois-ci assez rapidement, est-ce que ça a un sens de garder l'hospitalisation ou pas ? Après, deuxième limitation qui me semble quand même très importante et qui a été très bien aussi appliquée en Allemagne, c'est la limitation temporelle, c'est-à-dire une admission volontaire dans les droits suisses dure 40 jours. Si vous devez, et c'est valable aussi en Italie aujourd'hui, si vous devez faire plus, vous devez retourner vers le juge avec des arguments, en disant mais la situation se prolonge, elle est quand même compliquée On a certains éléments qui nous font dire qu'il faut continuer l'hospitalisation. Et là vient votre question, c'est comment le juge va dire, mais est-ce que c'est juste ou pas ? Ce qui a été trouvé, et là je veux dire qu'on a copié beaucoup plus ce qui a été fait dans d'autres pays du Nord, c'est-à-dire d'utiliser la notion des juges-assesseurs, c'est-à-dire que le tribunal est entouré par des juges qui viennent de la société civile, des juges-assesseurs, c'est-à-dire des personnes qui ont une formation en psychologie ou en psychiatrie et qui peuvent être des conseils du juge. pour la prise de décision. Le système comme ça marche assez bien, mais il est basé sur un élément qui était fondamental, la possibilité pour le juge d'avoir recours rapidement à l'aide et à l'avis d'un tiers qui n'est pas pris dans les soins, parce qu'on ne peut pas exclure un biais de regard, bien évidemment, qui fait que les soignants peuvent avoir la tendance ou de prolonger l'hospitalisation quand il n'y a pas lieu d'être. ça humainement on ne peut pas l'exclure donc la nécessité de mettre à disposition du juge une aide spécialisée me semble être la clé de voûte d'un tel système

  • Speaker #1

    Je précise juste, je vous donne la parole c'est pas le cas en France et en France le juge se prononce au bout de 12 jours d'hospitalisation puis au bout de 6 mois et tous les 6 mois Manuel Orsan ?

  • Speaker #2

    Mais il peut être saisi à tout moment Oui, c'est vrai Néanmoins, ça c'est les contrôles obligatoires Pour répondre ou prolonger certaines de vos questions ou de vos remarques, d'abord, je crois que le contrôle sur le fond du juge des libertés et de la détention, je ne suis pas magistrat, je ne sais pas s'il y en a dans la salle, mais il me semble quand même en partie lié à la description. Le juge ne se prononce pas aux doigts mouillés, il reçoit en audience la personne, mais aussi à la lecture des certificats médicaux. qui sont obligatoires dans la procédure à des temps très précis par des médecins différents et qui sont censés donc éclairer le juge sur les justifications médicales cliniques de la privation de liberté donc il me semble que bien sûr on peut pas demander aux juges des libertés d'être psychiatre de même qu'on peut pas demander au président de la cour d'assises ou présidente correctionnelle d'être psychiatre en matière d'expertise et donc quoi que la balayon de vos notes C'est de la responsabilité des psychiatres hospitaliers que de produire des certificats les plus précis, les plus étayés, les plus didactiques possibles pour donner du matériau au juge des libertés au fin de se prononcer sur le fond. Sur la forme, effectivement, c'est tout à fait important de respecter la procédure parce qu'elle est la garante des libertés. C'est aussi, je dirais, sur le plan clinique. Moi, j'ai eu le... J'étais interne déjà en 2011, donc j'ai pu avoir l'expérience d'avant et d'après l'entrée du contrôle par le juge des libertés et de la détention. Au-delà des aspects purement procéduraux propres à la question de la préservation des libertés, c'est aussi la possibilité dans la relation de soins de redire tout le temps aux malades que nous, en cliniciens, on pense que l'état du malade impose son hospitalisation. malgré son refus à lui, mais que néanmoins on n'est pas le seul à décider en tant que clinicien et qu'une autorité parfaitement indépendante sur le plan même constitutionnel, le juge judiciaire va aussi jeter un oeil. Et sur le plan de la relation soignante, ça peut parfois aussi avoir symboliquement un intérêt de décaler le fait que ce n'est pas celui qui vous soigne qui en même temps... temps à les clés. Il y a cette articulation-là qui est importante. Vous disiez aussi, et effectivement ça peut arriver, le pouvoir du juge des libertés de libérer un malade qui ne serait pas stabilisé. Oui, c'est la loi, mais de même qu'on peut libérer un prisonnier pour des raisons de procédure, quand bien même il a commis des infractions très graves. Il se trouve que s'agissant des soins, je voudrais vraiment insister là-dessus, la privation de liberté doit être l'exception. D'abord, il n'y a que les maladies psychiatriques et mentales qui peuvent justifier la privation de liberté. C'est une des spécificités de notre spécialité médicale. Aucun autre médecin ne réalise des soins hors le consentement de son patient. Mais c'est l'exception. La règle, y compris en psychiatrie, peut-être même surtout en psychiatrie, c'est de soigner les patients avec leur accord, avec eux. Ça, ça doit être tout à fait rappelé. Et en même temps que je rappelle ça, il faut quand même rappeler que statistiquement, le nombre de mesures de soins psychiatriques sans consentement, donc d'internement, ne cesse de croître pour prendre des proportions qui deviennent tout de même assez préoccupantes et qui, à mon sens, n'ont pas que à voir avec la question de la dangerosité. de la sécurité, etc. L'essentiel des mesures d'hospitalisation sont des hospitalisations à demande d'un tiers et qui correspondent à des patients qui sont d'abord et avant tout dangereux pour eux-mêmes, qui tenteraient de se suicider, de se mettre très en danger, etc. Et il me semble que l'inflation du nombre du recours à ces mesures coercitives, en tout cas privatives de liberté, a plus à voir avec des déterminants sociaux. Des familles moins contenantes, un espace social moins contenant, un espace public moins tolérant aux variations à la norme, des dispositifs de corps intermédiaires qui sont moins présents, associations, tous les outils qui, dans une vie collective, permettent de... de tamponner, d'absorber éventuellement ces problématiques comportementales qui se délitent et qui font qu'effectivement, on se retrouve aux urgences et puis éventuellement internés.

  • Speaker #1

    Vous vouliez intervenir ?

  • Speaker #3

    De ce point de vue-là, la question du consentement justement et de l'absence de consentement sur les traitements, je pense que c'est un élément assez important. Alors qu'on parle de la question de la santé mentale, et de l'évolution de la société. Et puis moi, c'est plutôt une question que j'aimerais bien leur poser. Comment réagirez-vous, comment réagissez-vous face à un traitement que vous devez imposer sans consentement ? C'est ça, non ? Non, mais c'est vraiment une question qui me...

  • Speaker #0

    Vous savez, pour répondre peut-être sur un plan clinique... la question de l'absence de consentement par rapport à un traitement et donc de la violence que vous faites subir à quelqu'un, parce que c'est bien de cela quand même, pose la question de proportionnalité par rapport à ce que vous attendez. De nouveau, quel espoir vous pouvez avoir par rapport à la suite. Je me rappelle avoir été confronté à des situations très antithétiques, c'est-à-dire, parce que contrairement à ce qui... a été dit avant par rapport à la France, quand vous êtes dans un régime de mesures en Suisse, vous pouvez demander un traitement ordonné par la justice pharmacologique contre le gré de la personne dans le cadre de la mesure pénale. Ça, vous pouvez le faire. Si ces données, par la suite, parce que je vous décris la vraie vie, ce qui veut dire que la personne qui se retrouve dans un hôpital forensique, il y a des... des forces d'intervention qui viennent pour l'obliger de prendre une injection. C'est comme ça. Et quelqu'un qui est confronté à ça, qui voit ça, ce n'est pas, je vous assure, ce n'est pas quand même des scènes particulièrement agréables à voir. Et dans ces situations-là, vous devez vous poser la question, est-ce que ceci, une fois que la crise est passée, est-ce que ceci va changer la perspective ? Est-ce que véritablement, pour le faire simple, Le jeu en vaut la chandelle. Parce qu'il y a des situations cliniques où vous ne pouvez pas être uniquement normatif. C'est-à-dire, parce qu'une personne, je prends un exemple clinique assez classique, une personne qui est envahie par une idéation délirante, qui a une certaine vision, qui peut être une vision force du monde, qui l'habite et qui détermine ses agissements, est-ce que pour autant vous allez le traiter de force ? Il y a des situations où... Le traité de force va aboutir probablement à une péjoration de sa situation, où vous n'allez pas être efficace, parce que tout simplement le délire a une fonction économique très importante pour que l'individu puisse tenir debout. Donc là, il y a, je pense, de nouveau une responsabilité qui doit être assumée par le psychiatre. C'est une responsabilité qu'on ne peut pas déléguer à quelqu'un d'autre. Et il ne faut pas utiliser, comme la justice ne doit pas pouvoir utiliser la psychiatrie à des fins qui sont des fins détournées de contrôle social, la psychiatrie ne peut pas se dérober de sa responsabilité quand elle demande un traitement contre le gré de quelqu'un en lien avec une capacité de discernement, ne peut pas fermer les yeux sur la violence qui est infligée. Et donc il y a des fois où cette violence est nécessaire si vous avez la possibilité d'imaginer... Un bénéfice pour l'individu après, mais pas juste pour une vision qui est une vision, je dirais, normative de soins.

  • Speaker #2

    On va maintenant laisser la place aux questions du public.

  • Speaker #1

    Le micro arrive.

  • Speaker #4

    Bonjour et merci pour vos interventions très intéressantes. En fait, moi j'avais une question pour le psychiatre expert. Donc, en fait, par rapport à la société, déjà je pense, de mon point de vue, qu'il y a une méconnaissance des pratiques de soins de la psychiatrie, connaissance... du fonctionnement mental des personnes qui sont malheureusement malades de ça. Et ce qui a aussi, enfin ce qui parfois, de mon impression, donne aussi un mauvais écho à tout ça, c'est qu'en fait, quand on parle d'expertise psychiatrique, dans des situations vraiment très graves, il y a aussi les notions de contre-expertise. ou d'avis différents. Et en fait, cette expertise, elle est souvent mise à mal parce que, même au sein des psychiatres experts, il n'y a pas une unanimité. Et ça, je pense qu'au regard de la société, ça porte préjudice, quelque part, justement. cette valeur de cette expertise. Je voulais savoir quel pouvait être votre avis là-dessus.

  • Speaker #2

    Vous soulevez un point qui est tout à fait important, qui appelle plusieurs remarques. D'abord, dans la communauté des psychiatres experts, comme dans toute autre communauté, il y a probablement des médiocres, des nuls, etc. On ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Sur la question de la divergence des conclusions d'expertise que vous soulevez, J'entends bien que ça puisse donner une impression de cafouillage ou d'hétérogénéité qui est malvenue. Je crois qu'on peut aussi la regarder autrement et de dire qu'au regard de la grande complexité d'analyse de ces situations, il est heureux que parfois l'on puisse produire des conclusions. qui soit divergente. Et ça ne veut pas dire, alors souvent, évidemment, l'écho médiatique qu'on en a va être focalisé sur le fait que, oui, mais Pierre a dit bleu et puis Paul a dit jaune et Jacques a dit vert. Et donc, ils disent n'importe quoi.

  • Speaker #0

    Il faut bien entendre, reprenons l'exemple de l'affaire Alimi Traoré que j'ai évoqué tout à l'heure, qui a vu se succéder trois expertises missionnant au total sept experts différents avec des conclusions divergentes. Des conclusions divergentes, la mise en relation causale, etc. Mais en réalité, des analyses strictement identiques, des analyses complexes, techniques, mais strictement identiques. Ce qui me paraît vraiment crucial là-dedans, c'est de rappeler ce que j'ai dit. C'est que le juge n'est pas... tenu par les conclusions des experts. Il ne s'agit pas de dire que du coup, on peut faire n'importe quoi et dire tout et le contraire de tout. Mais il s'agit de dire que dans ces situations complexes, délicates, difficiles, l'appréciation qu'on peut avoir, non pas aux doigts mouillés, mais l'appréciation clinique, puis médico-légale, c'est-à-dire d'abord on regarde ce qui se passe d'un point de vue médical, puis ensuite on l'articule à des notions juridiques, cette appréciation peut varier parfois dans ses conclusions. Mais in fine, et c'est heureux, c'est le juge qui tranche. Donc à la fois, j'entends bien que médiatiquement, ça peut être regardé comme un caractère un peu clownesque de notre activité. Mais je crois qu'il faut aussi, d'un point de vue du citoyen et de la société, entendre que c'est finalement précieux qu'on puisse avoir des avis divergents, parfois complémentaires, et qui vont donner... au juge, et d'ailleurs il y a de la jurisprudence là-dessus, de la Cour de cassation, qui dit que, bah oui, parfois il y a des conclusions divergentes, mais ce sur quoi le juge devra se fonder, c'est sur, par exemple, la qualité des développements. Et une expertise qui va être balayée vite fait en deux pages, qui ne dira rien, versus une expertise en 20 pages qui sera très développée, la Cour de cassation indique que le juge du fond doit regarder d'abord aussi la qualité des développements. Donc le juge, il n'est pas juste un enregistreur de ce qui s'est passé dans les rapports d'expertise, c'est lui qui, in fine, décide.

  • Speaker #1

    Oui, merci. Merci également pour vos interventions qui étaient à la fois très riches et très complémentaires. Je voudrais revenir rapidement sur la capacité de discernement que vous avez d'ailleurs définie en commençant par... par dire qu'on ne pouvait pas la définir ou qu'elle n'était pas définissable. Mais vous avez donné des critères, notamment le critère de compréhension, les critères de raisonnement, de capacité de prendre une décision conforme à la délibération. En bioéthique et notamment en éthique clinique, on parle plus précisément d'autonomie décisionnelle. Il y a un vrai débat en bioéthique et en éthique clinique sur la question de l'évaluation. Vous allez voir, c'est une question commune à celle que vous avez posée. de l'évaluation de l'autonomie décisionnelle, aussi bien dans le soin, le patient, la patiente, même atteinte de troubles psychiatriques, a-t-elle la capacité à consentir ou non à un traitement ? Et le patient ou la personne était-elle suffisamment autonome lorsqu'elle a commis un acte criminel ? Ma question est la suivante, et peut-être en particulier au Dr Orsat, est-ce que vous avez, et elle est assez simple, est-ce que vous avez des outils ? qui en tant qu'experts psychiatres, psychiatres experts, vous permettent d'évaluer cette capacité de discerner au moment de l'acte. Je vous dis, nous en éthique clinique, on n'est vraiment pas d'accord sur 1. quels sont les outils ? 2. faut-il des outils ? Il y a débat vraiment sur la question. Moi je suis plutôt partisan de il faut des outils et pas seulement se baser sur des intuitions par exemple qu'on aurait. face au patient ou à la patiente ? Merci.

  • Speaker #0

    D'abord, une réponse en forme de boutade. Compte tenu de mes capacités en bricolage, me confier un outil est plutôt plus dangereux qu'autre chose. Et donc, ma méfiance presque persécutive à l'endroit des outils en psychiatrie en général, des outils évaluatifs en psychiatrie en général, me conduit à en écarter l'autorité. L'intérêt, non, mais en tout cas l'autorité. Et donc, c'est un avis personnel qui est partagé par d'autres, mais qui n'est pas unanime. D'autres, des psychiatres experts, recourent à des outils, c'est-à-dire notamment à des tests d'évaluation standardisés. C'est une autre discussion, à mon avis, qu'on pourrait avoir. Mais non, il me semble que la clinique psychiatrique... Et il faut le dire ici en forme de militantisme parce que ça implique la formation des internes. La psychiatrie, c'est une discipline clinique. Il n'y a pas d'examens complémentaires qui tiennent la route en psychiatrie. Il n'y a pas de dosage biologique. Il n'y a pas d'imagerie. La psychiatrie est une discipline clinique. C'est une discipline de la rencontre avec le malade ou avec le sujet. Et c'est à partir de là qu'on peut raisonner. Alors, du coup, je relis votre question. à celle que vous posiez tout à l'heure sur la question de la possibilité de consentir dans le non-consentement. Je trouve que, et c'est précisément ce que permet la loi en France, c'est que, encore une fois, l'au-delà du consentement autorisé par la loi, il est dans la question de la liberté d'aller et venir. En gros, on peut priver un malade de sa liberté d'aller et venir. Et donc, il est interné, il est enfermé. Néanmoins, on ne peut pas, en tout cas de manière durable, je vais donner quelques contre-exemples, mais on ne peut pas lui administrer des traitements de manière durable contre son consentement. Toute atteinte au corps doit être préalablement consentie. Mais en réalité, d'abord, cette question, elle se pose pas systématiquement. C'est-à-dire que finalement, vous avez... Dans le cadre de la relation thérapeutique, des patients qui sont hospitalisés sans leur consentement, à qui vous dites, bah oui, on vous garde à l'hôpital même si vous ne voulez pas, mais parce qu'on pense, et j'y reviens après d'un point de vue éthique, on pense que c'est mieux pour votre santé, et on pense d'ailleurs que vous en sortirez d'autant plus vite que vous serez stabilisé, que pour être stabilisé, le traitement qui est recommandé, c'est plutôt ça, et on va pouvoir travailler d'autres aspects, c'est-à-dire, ok, vous n'êtes pas d'accord pour être là, mais vous avez le droit, en revanche, de nous dire si vous préférez, je ne sais pas quoi, moi... avoir des visites ou pas de visite, recevoir tel médicament plutôt que tel autre, sachant que celui-ci a tels effets secondaires et tels avantages, celui-là tel autre et tel autre. Ce n'est pas parce qu'on est hospitalisé sans consentement que plus rien ne doit être consenti ni discuté. Le seul au-delà du consentement, c'est celui de priver d'aller et venir, ce qui est déjà tout à fait important, mais c'est à ça que ça se limite. Et du coup, la manière dont je le... conceptualise d'un point de vue éthique, je l'ai écrit et discuté sur notamment la question des soins ambulatoires sans consentement il y a quelques années, c'est que finalement c'est une question de temporalité. Je crois qu'on peut comprendre les choses de cette manière. À un moment donné, on va prioriser parmi les principes fondamentaux de l'éthique clinique, on va prioriser le principe de non-malfaisance et de bienfaisance un peu au détriment du principe d'autonomie. On sait qu'un malade qui est en proie à certaines symptomatologies délirantes, auto-agressives, est susceptible de se mettre très en danger et de se tuer à un moment donné. Et on va considérer que la bienveillance et la bienfaisance doivent prévaloir en étant interventionnistes et en mettant un peu de côté son autonomie, laquelle le conduirait à vouloir se tuer. Et on considère que d'un point de vue éthique, on peut dans un temps donné... d'abord prioriser certains repères pour ensuite regagner l'ensemble des déterminants d'autonomie, de bienfaisance, etc. et de participation du sujet à ses soins. Je crois qu'il se joue quelque chose là dans la temporalité et de dire à certains patients, et de l'expliquer, effectivement, présentement, on va dépasser ce qui est votre avis, mais c'est dans l'objectif qu'ultérieurement, et dans un ultérieur très proche, vous puissiez retrouver un avis qui nous paraît dans votre intérêt. Et sur les soins médicamenteux, je dirais, qui peuvent inclure d'autres types de prise en charge, là encore, le contre-exemple que je voulais donner sur le fait qu'on ne peut pas donner des traitements contre le consentement, c'est hors le cas de la grande urgence, ou la grande urgence auto-ou hétéro-agressive. très agité, qui va mettre très gravement en danger les personnels soignants ou les autres patients, ou qui va très gravement se mettre en danger dans l'imminence, dans la seconde, dans la minute, eh bien oui, là encore, pour le protéger, on pourra être amené à avoir des mesures interventionnistes. Mais encore une fois, c'est très proportionné à l'État et c'est très circonscrit dans une temporalité très précise. Je crois que c'est l'ensemble de ces paramètres qui permet de naviguer sur ces conceptions qui sont très tendues, je trouve. Bonjour,

  • Speaker #2

    merci. Il existe des cas assez nombreux probablement où le délinquant est parfaitement responsable de ses actes pénalement et civilement. Mais cependant, il présente des troubles mentaux. Il est donc incarcéré et il semble que dans les prisons françaises, il y ait au moins 20% de délinquants qui présentent des troubles mentaux et qui sont laissés pratiquement sans. traitement, sans attention particulière. Est-ce qu'il n'y a pas de solution à ce problème qui est tout de même préoccupant ?

  • Speaker #0

    Oui, alors au moins 20%, en fait, bien plus sans doute, pratiquement 50% avec un trouble catégoriel et effectivement une surreprésentation, j'avais sorti des chiffres, une grande étude, enfin... 17% de troubles psychotiques en détention. Le professeur Gaillard a rappelé hier que c'est 1% de la population générale, donc ça pose quand même certains problèmes. Quant à la solution, j'ose espérer que si elle existait, elle serait mise en œuvre déjà depuis fort longtemps. Il n'y a probablement pas une réponse univoque à votre question qui est essentielle. C'est un vrai problème qu'aujourd'hui, la prison devienne un lieu de soins. Parce que ces détenus ne sont tout de même pas laissés sans soins. Il y a trois niveaux, on va dire, de soins en détention. L'unité sanitaire, dans tous les établissements de santé, il y a une unité sanitaire avec des psychiatres. et des équipes de psychiatrie, l'hospitalisation de jour, qui s'appelle les SMPR, et puis les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, qui sont l'hospitalisation en prison pour la psychiatrie. Et donc il y a des dispositifs qui existent. Alors, totalement sous-calibrés, finalement, comme pour toute la psychiatrie en France à ce jour, finalement, ça pose d'autres questions. C'est-à-dire... Je ne sais pas quelle était votre idée de la solution, parce que si vous vous interrogez, c'est que peut-être vous avez vous-même des idées. Moi, je n'ai pas d'idée personnellement, mais j'ai en revanche une précaution, un point à souligner. C'est-à-dire que si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, alors c'est vrai que c'est utile parce qu'il y a beaucoup de malades en détention, mais si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, Est-ce que l'offre suscitant la demande, d'une certaine manière, on ne va pas toujours plus incarcérer des malades ? Il est utile d'avoir des dispositifs de soins en détention. Il est prudent de se dire que la prison n'est quand même pas un lieu de soins. Enfin, je vais problématiser ça.

  • Speaker #3

    Pour répondre un peu plus sur ça. C'est une question éminemment politique en réalité. Ça dépend quel investissement une société fait par rapport à ses prisons au niveau des soins. Des outils peuvent exister, mais même dans des systèmes qui sont des systèmes dualistes, c'est-à-dire des systèmes qui séparent les personnes qui ont des pathologies psychiatriques et qui ont passé à l'acte, non pas en lien avec leurs responsabilités, mais beaucoup plus en lien avec l'impact de la maladie mentale sur le risque de récidive, même dans ces situations en prison, il y a une accumulation de situations aiguës qu'il faut pouvoir traiter. Alors, bien sûr, on peut dire que plus on traite, plus on va mettre des personnes malades en prison, dans l'optique que l'on connaît très bien. La psychiatrie qui s'est désinstitutionnalisée progressivement, c'est-à-dire avec une diminution des lits psychiatriques, il y a une fonction d'hospice qui a été reprise par d'autres institutions, et une institution est effectivement la prison. Mais ça dépend de ce que quelqu'un peut investir là-dedans. Les unités, comme ça a été décrit en France, mais qui existent depuis environ 20-25 ans en fait, pratiquement, les unités spécialement aménagées, en réalité, les structures aiguës de soins en prison peuvent répondre assez bien à des situations de crise, mais elles doivent être très staffées et très surveillées. Et donc ça, c'est une décision de fond. Et quand on voit les différents articles qui concernent la situation des prisons en France particulièrement, mais pas seulement, il y a aussi dans notre pays la même situation, on doit se demander est-ce que collectivement, comme une société, on veut mettre plus de moyens pour traiter ce type de souffrance en prison ? Ou pas ? Parce que ça revient à ça, c'est au début et avant tout une question de moyens qu'on met à disposition. Ce n'est pas tellement le type de prison-soin, parce que pour l'aigu, La psychiatrie est assez bien armée, c'est-à-dire de comment elle peut traiter les décompensations. Mais est-ce qu'on veut véritablement le faire ? Bien sûr, on aura la tendance de dire oui, bien sûr, il faut que les politiciens le fassent. Mais quand on doit voir et on doit décider entre renforcer les soins en prison, construire une école ou une crèche, faire des investissements pour les personnes handicapées, c'est-à-dire là, le choix devient le choix cornelien. Ce n'est pas si simple à faire, il ne veut pas juste être décrété sur une idée romantique du soin.

  • Speaker #4

    Une dernière question du public ?

  • Speaker #5

    Oui,

  • Speaker #0

    bonjour.

  • Speaker #5

    Une question adressée au docteur Orsat également. Dans le cadre des expertises psychiatriques que vous réalisez, est-ce que vous avez la possibilité, le droit et le temps, de prendre attache avec d'autres intervenants pour affiner vos observations ?

  • Speaker #0

    D'autres intervenants ?

  • Speaker #5

    Vous avez qualifié des intervenants sociaux, judiciaires, sur le plan de l'insertion sociale, professionnelle ?

  • Speaker #0

    Non, on n'en a pas le droit. L'expertise psychiatrique, c'est une mission qui est ordonnée en matière criminelle, ordonnée par le juge d'instruction en personne. Éventuellement, on peut être deux, on peut être désigné à deux ou à trois experts, un collège d'experts. Mais nous n'avons pas le droit d'enquêter. Nous ne sommes pas là pour ça. Au reste, pour ce qui est de la question de l'évaluation de l'environnement social, familial, professionnel. En matière criminelle, il y a des enquêtes de personnalité qui sont diligentées, qui sont confiées à des enquêteurs de personnalité et qui sont souvent d'ailleurs très riches. De ce point de vue, on peut en revanche prendre connaissance de ces pièces lorsqu'elles figurent déjà au dossier d'instruction, lorsqu'on est désigné, parce que je ne l'ai pas indiqué. Mais l'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer un malade. D'ailleurs, parfois, c'est les mauvais. Mais les mauvais avocats essaient de nous mettre en difficulté à la cour d'assises en disant Mais enfin, docteur, vous avez passé combien de temps avec cet accusé ? Et donc, en gros, un examen psychiatrique d'expertise. Alors en France, je sais bien que d'autres moyens sont alloués dans d'autres pays, mais globalement, en France, on rencontre pour des affaires, on va dire un peu significatives, l'individu une à deux fois, en moyenne une à deux heures. Donc, effectivement, ça ne peut paraître pas beaucoup que d'avoir passé avec l'individu deux à trois à quatre heures lorsqu'il va s'agir de déterminer parfois beaucoup de son avenir. Néanmoins, ce n'est pas que ça. L'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer l'individu, c'est aussi. prendre connaissance de tout un tas de pièces qui peuvent nous être transmises par le juge d'instruction, jusqu'à y compris le dossier médical qui va parfois être saisi. Et lorsque j'ai 37 kilos de scellés pour un dossier, là je ne sais pas si vous comprenez, des énormes cartons dans mon bureau, mes patients m'ont demandé si je déménageais. C'est aussi ça qui va nous aider dans notre analyse. C'est les pièces de l'instruction, y compris par exemple les interrogatoires par les enquêteurs sur le moment. C'est-à-dire parfois les individus sont interpellés. et auditionner immédiatement. Et on voit dans les auditions des éléments langagiers qui orientent vers des décompensations de maladies psychiatriques. Là où, quand on le voit une année après, parfois l'individu est bien stabilisé. Donc c'est toute une cohorte d'éléments qui nous permet d'avancer dans notre raisonnement, mais qui sont des éléments de procédure, qui figurent au dossier, qui doivent respecter le principe du contradictoire. Tout le monde a connaissance de ces éléments, sauf les scellés médicaux, bien sûr. Et en revanche, on n'est pas en relation avec d'autres personnes. On peut éventuellement, sous couvert de la procédure, s'allouer les services d'un sapiteur, c'est-à-dire d'un autre médecin expert dans une autre discipline. Ça arrive parfois en neurologie. Quand je pense à un dossier dans lequel j'ai eu un doute sur la question de l'épilepsie, évidemment, je n'y connais rien. Et donc, j'ai sollicité un sapiteur neurologue. Mais en revanche, on n'est pas amené à rencontrer la famille, à enquêter sur le plan social. C'est vraiment le rôle de l'enquêteur social.

  • Speaker #6

    Je m'occupe juste du privilège d'une ultime question subsidiaire. Désolé pour le public, mais on a vu tout en haut de la chaîne alimentaire ou de la pyramide des responsabilités. Il y a le juge. Comment les gens ? Moi, j'ai passé six mois en psychiatrie. Je suis médecin et je me sens totalement incompétent pour me prononcer quand je suis face à des patients un peu dissociés ou quoi que ce soit. Comment sont formés finalement les juges ? Qu'est ce qu'ils ont comme formation pour pouvoir ? Être tout au bout et prendre une décision en acceptant ou pas finalement le diagnostic du psychiatre ?

  • Speaker #4

    Alors les juges, la formation se fait dans le cadre de l'école nationale de magistrature et je pense qu'il y a un module de formation justement en psychiatrie d'ailleurs, non, sur des soins en psychiatrie. Et donc ils ont déjà une vision peut-être ? très partiel de la profession, de la façon de l'expertise, notamment sur les questions d'expertise. Mais il y a aussi, comme je le disais tout à l'heure, le juge doit décider selon des fondements objectifs. De toute façon, il ne peut s'en tenir qu'à la loi. C'est la première chose qui le garantit, qui lui garantit un certain format d'objectivité, pas qu'à la loi au sens, au cadre légal, pardon, au cadre légal qui est fixé. L'expertise... également fait partie des observations que le juge peut prendre également en considération. Et surtout, bien sûr, c'est l'effet sur lequel il doit se prononcer. Donc je ne pense pas qu'il y ait une seule façon de procéder, c'est que des éléments objectifs en fonction de chaque espèce que le juge doit prendre en considération. Et notamment, comme vous l'avez à juste titre rappelé à plusieurs reprises, c'est que le juge n'est pas tenu de suivre. de suivre les expertises qui sont données. Il peut prendre d'autres considérations, le contexte familial, le contexte social de l'individu. Et ce qui est intéressant, d'ailleurs, c'est pour cela, je vous ai reposé la question tout à l'heure, puisque cela m'interpellait, c'est aussi, il a toute la fonction de la peine pénale. C'est quand même, et ce n'est pas une peine d'exclusion. C'est une peine justement de l'isoler l'individu de la société, le temps de réparer la faute qu'il a commise, donc le tort à la société. Mais ensuite, il faut également le penser dans une dimension de réinsertion, de réintégration dans la société. Et donc peut-être c'est aussi un phénomène que le juge doit prendre également en compte. Après, avec ces risques et les questions de responsabilité, de récidive et de sécurité juridique par rapport à l'ordre public, qu'on a également évoqué. Donc, pour cela, c'est quelque chose qui m'avait interpellée, ce qui expliquait que, par rapport à votre témoignage, je m'avais suscité cette interrogation, comment fait-on d'un individu qu'on isole, qu'on traite, mais en même temps, par la suite, il faut penser aussi à son insertion sociale. Voilà, après, il faut aussi prendre en considération cela. Oui, oui.

  • Speaker #3

    Cela dit, vous posez une question assez importante et aussi une perspective d'avenir, c'est-à-dire la notion de la formation continue qui peut être donnée au juge par rapport à la communauté du langage, ou en tout cas un langage qui peut paraître moins cryptique, allergique, qui peut s'apprivoiser quand même aussi les nuances. Il y a aujourd'hui des outils, typiquement on a mis en place des formations de type CAS conjointes entre les juristes et... les psychiatres pour pouvoir favoriser ce type de communication. Bien évidemment, chacun a sa particularité, mais je suis d'accord à l'idée de fond qu'il faudra quand même que l'un apprivoise la réalité de l'autre pour pouvoir collaborer, pas seulement dans le cadre de l'expertise, mais dans le cadre aussi de l'exécution d'une peine et d'une mesure. Donc ça, c'est une perspective sur laquelle l'éducation, la formation, est une perspective sur laquelle il faut s'arrêter un moment, il faut véritablement investir, à mon sens.

  • Speaker #0

    Tout en gardant quand même peut-être à l'esprit un des aspects que j'ai essayé de développer, c'est-à-dire que, imaginez que vous dites qu'ayant passé six mois d'internat en psychiatrie, vous vous sentez, oui, j'ai passé quatre ans d'internat et puis maintenant plus de dix ans d'expérience clinique. Et au fond, la seule certitude que j'ai, c'est que je ne sais pas. Et donc, c'est aussi ça qui est important. Et je trouve que c'est là où l'office du juge est important. C'est que le juge, il ne juge pas. la matière, enfin il ne juge pas, je veux dire, la folie, etc. Il a précisément à ne pas savoir ce que c'est que la folie et la maladie psychiatrique, qui restent des choses très complexes, et s'imaginer que ce serait toujours dans un degré supérieur d'expertise, de technicité qui permettrait de dire, de discriminer tel ou tel trouble, tel ou tel niveau de responsabilité, c'est comme ça qu'on s'en sortirait. Je crois que précisément, c'est comme ça qu'on s'enfermerait. Donc oui, le juge ne sait pas ce qu'il y a dans le cadre de la folie, pas plus que le psychiatre. Ce qui est important, c'est de savoir qu'on ne sait pas.

  • Speaker #4

    Merci beaucoup pour ce très beau mot de la fin. Je vous remercie chacun d'entre vous pour la qualité de cette table ronde. Et je laisse la parole à notre président pour annoncer la suite.

  • Speaker #6

    On se retrouve tout à l'heure à 14h, toujours en direct et à la salle de l'Aubette pour la folle histoire de la créativité. Merci à vous tous. A tout à l'heure.

Description

Forum Européen de Bioéthique 2025 : Santé mentale & Bioéthique


Santé mentale, justice et libertés


La santé mentale, la justice et la liberté forment un triptyque complexe où les droits individuels et les impératifs de sécurité publique se côtoient et parfois se percutent : stigmatisation, enfermement, injonction thérapeutique, contraintes physiques, vidéosurveillance, responsabilité, expertise, discernement et politique de santé. En focalisant le débat sur une population vulnérable, celle des patient.es atteint.es de troubles mentaux, c’est l’ensemble de notre justice que l’on interroge.


Maria Fartunova Michel, Titulaire de la Chaire Jean Monnet EUBioethics, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine / IRENEE


Panteleimon Giannakopoulos, Professeur ordinaire au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine, Médecin-chef du Service des mesures institutionnelles aux HUG, Directeur général de l'Office cantonal de la santé (OCS) du canton de Genève


Manuel Orsat, Docteur Manuel ORSAT, Psychiatre, Expert près la Cour d’Appel d’Angers, Secrétaire Général de la Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les Cours d’Appel



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour, bienvenue à tous qui vous êtes rendus sur place ce matin dans la salle de l'Aubette, mais qui sont aussi nombreux derrière leurs écrans en streaming. Bienvenue à cette première journée du Forum européen de bioéthique, qui cette année est consacrée au thème santé mentale et bioéthique. Je vais laisser la parole à Monizan, qui va modérer cette table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté

  • Speaker #1

    Merci Aurélien. Nous ouvrons ce matin cette nouvelle édition du Forum européen de bioéthique avec une première table ronde qui a la particularité de traiter la question de la santé mentale du point de vue de l'individu, bien sûr c'est ce qu'on fera chaque jour dans ce forum, l'individu jugé ou condamné alors qu'il est atteint d'une éventuelle pathologie psychiatrique, mais également du point de vue de la société qui demande à être protégé de certains troubles dangereux et qui sont dangereux pour les autres. Alors nous aborderons ces prochains jours la question des soins prodigués en santé mentale et du système de soins qui se porte plus ou moins bien. Ce matin on va naviguer à la lisière entre le système de soins et le système pénal, allant de la décision judiciaire qui détermine si un individu peut être jugé et faire l'objet d'une sanction pénale, à l'organisation des soins psychiatriques pour les personnes détenues. Nous évoquerons également les alternatives à l'incarcération pour les personnes qui souffrent de troubles sévères. et peut-être aussi de la surreprésentation des troubles psychiatriques en milieu carcéral. La question de la santé mentale se pose à toutes les étapes du parcours judiciaire. On va aborder, je pense, ce matin chacune de ces étapes. Avant de juger, comment la justice peut-elle passer face à la personne qui, atteinte d'un trouble psychiatrique, commet un crime ou un délit ? Qu'est-ce que l'irresponsabilité pénale ? Dans quel cas les personnes sont-elles déclarées inaptes à être jugées ? Le droit pénal français distingue les notions d'abolition et d'altération du discernement. À quoi cela correspond-il ? Quelles sont les conséquences d'une telle distinction ? Comment on expertise pour savoir dans quelle situation l'on est ? La question de la santé mentale se pose également au moment de décider de la sanction pénale. Les sanctions pénales peuvent tenir compte de l'existence de troubles, soit parce que les juges vont décider d'amoindrir les sanctions, parce qu'ils vont les aménager, par exemple en ordonnant des soins, notamment lorsqu'il s'agit d'infractions à caractère sexuel. Le sujet de la santé mentale est également présent lorsque la sanction est exécutée. Et c'est la question de la santé mentale en milieu carcéral que nous aborderons sûrement aussi demain, lors de la table ronde santé mentale et isolement. Mais la justice intervient aussi lorsqu'aucune infraction n'a été commise. Et là, il ne s'agit pas de protéger la société, mais uniquement l'individu. privé de liberté en raison de son état de santé. C'est le cas des personnes hospitalisées sans leur consentement, puisque depuis 2011, le contrôle de ces hospitalisations est confié au juge des libertés et de la détention. Nous en parlerons bien évidemment ce matin. Pour évoquer toutes ces questions, qui sont nombreuses, ou en tout cas certaines d'entre elles, nous recevons ce matin Maria Fortunova Michel, titulaire de la chaire EU Bioethics, maître de conférences à l'Université de Lorraine. Nous recevrons également... Pantelemon Giannakopoulos, professeur de psychiatrie, directeur général de l'Office cantonal de la santé du canton de Genève et directeur médical de la prison-hôpital pour détenus dangereux Curabilis, ou ancien directeur, vous nous direz. Je crois que vous avez récemment changé de poste. Et enfin, Manuel Orsat, psychiatre, expert prêtre de la Cour d'appel d'Angers, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Pour commencer cette table ronde, je vais laisser la parole à Maria Fortunova-Michel. Nous vous écoutons.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Tout d'abord, j'aimerais adresser mes remerciements à Aurélien Benoît-Lide, à Raphaël Bloch et à Maud Nison, qui m'ont invité encore une fois pour une deuxième année consécutive à participer au Forum européen de bioéthique dans le cadre du partenariat que nous allons renforcer notamment au niveau de l'Université de Lorraine, puisque le Forum européen de bioéthique est un partenaire de la chaire Jean Monnet. financé par la Commission européenne dont je suis la titulaire. Donc aujourd'hui, je vais vous présenter la thématique de la santé mentale à travers le triptyque qui constitue la problématique bien sûr de cette matinée, le triptyque santé mentale, justice et liberté. Et c'est une formulation qui, à mon sens, n'est pas affirmative, mais davantage interrogative. De manière... tout à fait classique, on doit s'interroger quels sont les rapports entretenus entre ces différents termes. Doit-on les penser de manière frontale en ce qu'ils opposent les droits individuels, la liberté de l'individu, aux impératifs de sécurité publique, donc l'ordre public et l'intérêt collectif, et surtout, comment déterminer le curseur où on doit se placer selon les circonstances de chacun. La méthode aussi se triplique. L'éthique interroge également sur la méthode. Quel focal choisir comme principal étalon d'observation ? Selon qu'on chance les lunettes de la santé mentale, de la justice et de la liberté, l'approche ne sera pas nécessairement la même. Tout d'abord, si on chance les lunettes de la santé mentale, on va penser directement à la politique de la santé et son évolution dans un contexte social et politico-juridique. D'un point de vue de la liberté, On se placera bien sûr du côté de l'individu, de ses droits individuels, mais également de l'exercice de sa liberté politique au sein de la société. Et enfin, d'un point de vue de la justice, bien sûr, on pense en premier lieu à l'institution du juge, son rôle comme arbitre, pour arbitrer le conflit potentiel qui peut exister entre la protection de l'individu dans sa liberté et derrière les impératifs d'ordre public. Et enfin... En s'agissant de la justice, il y a également cette conception de justice sociale, à laquelle fait référence la dernière phrase de la problématique de cette matinée. Dans ces cas-là, la justice sociale sera pensée comme une construction morale et politique fondée sur le principe d'égalité, de solidarité et d'équité. Le choix principal que je vais faire pour cette présentation rapide, c'est un choix discrétionnaire imposé. par le thème central du forum cette année, donc le concept de santé mentale. Dès lors qu'on prend la focale de la santé mentale, les rapports entre santé, liberté et justice seront étudiés dans une approche globale, tant au chelon national, mais aussi européen, voire international, puisqu'il faut quand même le rappeler. La première définition qui a été donnée à la santé mentale revient à l'Organisation mondiale de santé dès les années 1948. Et donc une approche séquentielle de la littérature scientifique et des rapports officiels permet de rendre compte sur ce point que le concept de santé mentale est aujourd'hui banalisé dans son usage. Il n'est plus nécessaire de le mentionner, mais il apparaît de manière fonctionnelle comme un référentiel des pratiques et des discours, un référentiel des pratiques et des discours dont le contenu, dont la construction se fait selon les représentations sociales du moment. Donc ces deux aspects-là, je vais vous les présenter assez rapidement pour vous démontrer l'évolution, l'émergence de ce concept de santé mentale comme référentiel des pratiques et des discours, quelles sont les conséquences sur le plan social, politique et juridique. Et ensuite, quelles sont les perspectives d'évolution compte tenu de l'évolution des représentations sociales ? Alors, la santé mentale en tant que référentiel des pratiques et des discours, il s'agit bien sûr de la construction d'un tel référentiel. Et la construction d'un tel référentiel se fait d'un point de vue historique. D'un point de vue historique, les travaux et la doctrine s'accordent sur le point de savoir. que cette construction se fait clairement grâce à l'évolution de la prise en compte de la santé mentale, non seulement au niveau social, mais aussi juridique. Cette évolution est marquée par le passage d'une approche négative, centrée exclusivement sur l'aliénation et la maladie, vers une perception plus objective, c'est-à-dire pas seulement l'individu, mais aussi les facteurs qui ont une influence sur sa santé mentale. Et sur ce point, l'exemple de ce qui se passe actuellement au niveau de l'Union européenne est particulièrement éclairant. La question de la santé mentale apparaît dans les conclusions et dans des textes non contraignants de l'Union européenne depuis 1999, où la santé mentale a été explicitement reliée à une intervention ponctuelle, sectorielle de l'Union européenne sur des questions de santé, de la mise en place de la santé de l'Union européenne. Mais jusqu'en 2023, on constate un changement véritable de méthode. puisque la Commission européenne va publier en 2023 sa communication relative à l'approche globale en matière de santé mentale. Et là, dans cette approche globale de santé mentale, plusieurs actions vont être envisagées. Et ces actions sont exactement les mêmes que l'on retrouve également dans les discours et dans les plans d'action au niveau national, y compris notamment en France. Merci. Pouvoir la bonne santé mentale, investir dans la formation et le renforcement des capacités, assurer une bonne santé mentale au travail, protéger les enfants et les jeunes, répondre aux besoins des groupes vulnérables, montrer l'exemple à l'échelle internationale, notamment grâce au soutien dans les situations d'urgence humanitaire. Tout cela converge vers un phénomène, vers un constat, selon lequel la santé mentale est devenue aujourd'hui un objet politique public et qui, contrairement à ce que l'on pensait, paraît bien déterminé. C'est-à-dire, on peut identifier les critères objectifs sur lesquels se construit cette approche globale de santé mentale en tant qu'objet de politique publique. Et cela contrairement à ce qu'on peut penser lorsqu'on lit l'indétermination de la définition en données. dans le cadre de l'OMS. Et sur ce point, je rejoins les travaux de l'historien et philosophe Claude-Olivier Doron, selon lesquels la santé mentale apparaît aujourd'hui selon une conception très précise des rapports sociaux de l'individu en développement et des liens affectifs. Donc, cette nouvelle approche de la santé mentale met en exergue tout un ensemble de relations entre sujets individuels. Et à partir de là, il faut quand même s'interroger comment le droit et la société vont répondre à cette nouvelle conception. Bien sûr, le droit se saisit. Il se saisit de ce phénomène, de cette nouvelle conception de l'objet santé mentale en tant qu'élément important de la politique publique. Mais l'objet santé mentale reste. a un réflexe, en quelque sorte, un caractère diffus. On ne peut pas l'appréhender par le haut, mais aussi par le bas. Ce que la doctrine tente d'expliquer par une nouvelle façon de penser le biopouvoir ou les biopolitiques, notamment en modifiant la façon de procéder. C'est-à-dire, on ne va pas intervenir sur un ensemble de dispositifs biopolitiques, je cite, de sorte à modifier, améliorer. réguler les conditions concrètes d'existence des sujets, agir sur leur milieu de vie, par exemple, ou sur la répartition de revenus. Mais ici, il s'agira davantage, et je cite encore une fois, de penser ce phénomène en tant qu'une biopolitique des émotions et des affects. En quelque sorte, on assisterait aujourd'hui, grâce à cette évolution de la conception de la santé mentale, d'une politisation de la vie. ce que les sciences humaines dont se saisissent aujourd'hui de manière assez importante les sciences humaines et sociales. Quels sont ces caractères objectifs qui peuvent identifier cette conception ? C'est la prévention, anticipation, identification des groupes et des situations de crise, surtout non pas par rapport à l'individu. isolé, mais par rapport à l'individu dans son processus de développement. Toutes les phases de son développement et l'identification des périodes de crise où sensiblement un phénomène extérieur peut venir perturber la santé mentale. Et quand on regarde les différents instruments qui sont pris dans ce cadre, on constate que ce catalogue devient de plus en plus fourni, y compris par exemple le postpartum. et le plan d'action qui est revendiqué au niveau de l'Union européenne, mais aussi auquel le droit et le juge vont être particulièrement attentifs. La réponse juridique est bien sûr celle de la logique juridique. La catégorie des personnes, donc la catégorisation, on aura d'un côté la minorité, personnes âgées, personnes en situation irrégulière, Mais également, on va prendre en compte l'environnement dans lequel se trouve l'individu. Et dans ces cas-là, l'objectif de l'objet de santé mentale va se traduire en droit individuel. L'exemple le plus classique, c'est la prise en compte du trouble mental, de la question de l'handicap. Et tous ces éléments vont se poser devant le juge dans un cas concret. Et le juge sera obligé d'en tenir compte dans une appréciation. inconcrétant et circonstancié. C'est la raison pour laquelle la santé mentale en tant que référentiel est nécessairement liée aux représentations sociales. J'arrive à ce deuxième point que je vais développer de manière assez rapide puisqu'il s'agit ici simplement de détailler ce que je viens de préciser. Alors les représentations sociales, elles ont contribué à l'évolution de la conception de la santé mentale, explique qu'elles ne sont plus exclusivement liées aux troubles mentaux, à la maladie. Il s'agit encore une fois d'une objectivation de santé mentale en tant qu'un état général de l'individu. Et les représentations sociales, si on juge les différents textes, mais également les interventions législatives, se construisent autour de deux idées. la stigmatisation et l'inclusion sociale. La stigmatisation est un élément assez classique dès lors qu'on parle de la santé mentale et qui est souvent reliée à la question de la discrimination et d'exclusion. L'évolution de ces trois concepts se retrouve bien sûr dans la notion de vulnérabilité qui change elle aussi d'objet. La vulnérabilité aujourd'hui est objectivée en ce sens où, je cite, sous l'angle de droit, la personne vulnérable est celle qui n'est pas en mesure d'exercer les attributs de la personnalité juridique, c'est-à-dire une personne qui, dans un contexte donné, ne peut, en droit ou en fait, jouir de l'autonomie suffisante pour exercer pleinement ses droits fondamentaux. Et si... En ce sens, la protection de la vulnérabilité devient une obligation à destination de l'État, de la société et de l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire un devoir de résilience et aider l'individu en situation de vulnérabilité à surmonter son état. C'est aussi le deuxième et dernier point de mon intervention, la question de l'inclusion sociale. Et sur ce point, le juge aujourd'hui est devenu un acteur. directeur, arbitre de ce phénomène, puisque lui, dans ses décisions assez concrètes, doit tenir compte de tout ce phénomène d'évolution. Et il y a un exemple qui est très frappant, cette fois-ci, qui est rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en juin 2024, au sujet de l'attribution du statut de réfugié, donc des femmes. Dans cet arrêt, la Cour de justice qualifie l'émergence d'un certain groupe social en tant que motif de persécution, susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié, les femmes ressortissant d'un pays tiers, y compris mineurs, qui partagent comme caractéristiques communes leur identification effective. à la valeur fondamentale de l'égalité entre les femmes et les hommes intervenus au cours de leur séjour dans un État membre. En ce sens, on retrouve cette approche de la justice sociale fondée sur l'égalité, l'équité et la solidarité. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Je passe la parole à Manuel Orsat. Je rappelle que vous êtes psychiatre et surtout, et c'est là le point très intéressant pour nous éclairer, expert près la Cour d'appel danger, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Nous sommes intéressés de savoir comment, en tant qu'expert, vous apportez votre concours à la justice.

  • Speaker #0

    Merci Maître. Mesdames, Messieurs, je me joins en remerciement de mon prédécesseur pour cette invitation. Effectivement, je propose d'intervenir, vous m'avez invité dans le cadre de ces fonctions de représentation de l'expertise psychiatrique et on va nécessairement plutôt parler de l'expertise psychiatrique pénale. C'est une chance pour moi d'être invité à un tel forum puisque... Et finalement, comme on se le disait hier soir, on a plutôt l'habitude de colloques entre professionnels. Et finalement, la possibilité de s'ouvrir à la société est un aspect sans doute fondamental de la question de l'expertise psychiatrique pour la justice. Alors finalement, vous avez fait le choix d'ouvrir ce forum sur une question qui... Même d'un point de vue éthique, me semble devoir poser question, c'est-à-dire au fond la dimension judiciaire, carcérale, pénale de la maladie psychiatrique et de la psychiatrie en général. Alors, il est vrai que la psychiatrie est à n'en pas douter la discipline médicale qui a le plus d'interconnexion avec la justice, que ce soit au travers des soins psychiatriques sans consentement, de l'évaluation et de la protection des... des personnes vulnérables, des questions de dangerosité, de soins en détention et donc de l'expertise psychiatrique. Pour reprendre enfin et pour m'inscrire naturellement dans le sillage de certains des propos de l'un de mes maîtres qui donnait la conférence d'ouverture hier, le professeur Gaillard, il est certain que les maladies mentales sont sans doute parmi les maladies celles qui font le plus peur. Elles font le plus peur à raison puisque la souffrance qu'elles induisent est immense. La peur, l'angoisse sont d'ailleurs des symptômes assez constamment retrouvés chez les patients affectés de troubles psychiatriques. Elles font peur à raison parce que les prises en charge qu'on peut proposer sont limitées dans leur efficacité, qu'il s'agisse à la fois des prises en charge chimiothérapiques dont on sait qu'elles ne sont pas... la panacée et puis les prises en charge en général, quand on sait aujourd'hui l'état de déliquescence du système de santé psychiatrique dans notre pays. Mais elles font vraisemblablement aussi peur à tort, à tort lorsqu'il s'agit d'avoir peur des malades mentaux en eux-mêmes. D'abord parce que, et je crois que puisque ce forum s'ouvre sur cette session, il faut d'abord rappeler que les patients atteints de troubles psychiatriques sont premièrement victimes à la fois du stigma dont il a été parlé, dont je redirais un mot, mais également victimes, y compris d'agressions violentes, la situation sociale, de précarité, la difficulté à appréhender le risque, etc. Ce sont des facteurs qui exposent davantage à la victimation les patients atteints de troubles psychiatriques. atteints de troubles psychiatriques. En outre, il est vrai et c'est scientifiquement démontré qu'un certain nombre de pathologies psychiatriques sont associées à des passages à l'acte violents. Néanmoins, il est tout aussi vrai que les déterminants de ces passages à l'acte violents chez les patients atteints de troubles psychiatriques sont des déterminants finalement basiques ou je dirais génériques, c'est-à-dire les mêmes déterminants qui font passer à l'acte les personnes qui ne présentent pas de troubles psychiatriques ou mentaux, c'est-à-dire notamment l'usage de substances psychoactives, c'est-à-dire aussi des traits de personnalité particuliers, mais qui ne relèvent pas de la maladie psychiatrique. Peur dans la population générale a tort aussi, puisque probablement les craintes qui sont générées par les troubles psychiatriques et mentaux relèvent de ce que... Nous avons collectivement une difficulté avec l'écart à la norme, laquelle difficulté ne repose sur rien de rationnel naturellement. Parmi les rôles sociaux du psychiatre, je dirais qu'expliquer ce qui paraît fou, incompréhensible, invraisemblable, essayer de remettre du sens lorsqu'il n'y en a plus, sont ceux qui me tiennent le plus à cœur. Je crois qu'on pourra en dire quelque chose dans la fonction du psychiatre expert. Mais c'est avant tout demeurer humble dans la capacité à se faire entendre. dans la polysémie du verbe entendre, qui me semble être au devant de la pratique psychiatrique. Alors, tenter de dire ce qui ne veut pas ou ne peut pas être entendu, tel est un des offices du psychiatre expert, et c'est ce que je vais essayer de vous expliquer. D'abord, qu'est-ce que c'est que l'expertise psychiatrique pénale ? C'est essentiellement, même s'il en existe d'autres, mais mon propos se focalisera sur celle-ci, c'est ce qu'on appelle l'expertise de responsabilité, laquelle intervient dans de nombreuses situations de procédure. Elles sont prévues par la loi afin d'éclairer le juge sur le degré de responsabilité d'un sujet auquel on pourrait imputer une faute. On va demander au psychiatre expert, au fond, d'éclairer le juge sur un domaine dans lequel il n'a pas compétence. Le juge n'est pas médecin, il n'est pas psychiatre. Et c'est au fond, bien là, la seule mission du psychiatre, c'est-à-dire apporter des éclairages au juge et certainement pas davantage. Le juge n'étant jamais tenu par les conclusions d'un expert, son office à lui, c'est de juger et donc certainement pas d'enteriner. des conclusions d'expertise. Ça, c'est pour dire la limite au fond de ce que l'exercice de l'expertise psychiatrique est. Au centre de la question de l'expertise psychiatrique de responsabilité se pose la notion de discernement en droit français prévu à l'article 122 du Code pénal. Et donc, il va être demandé aux psychiatres experts de... procéder à un examen clinique de la personne mise en cause, au fin d'évaluer ce discernement. D'emblée, puisque nous parlons éthique et que nous réfléchissons, peut-être d'un point de vue dialectique, on pourra tout de suite souligner qu'il n'existe pas de définition du discernement, ni du côté de la psychiatrie, ni du côté de la justice. Il s'agira donc pour le psychiatre de répondre à une question d'une certaine manière, n'existe pas vraiment dans les référentiels. Il n'y a pas de définition du discernement, mais comment se tire-t-on sur ce que cela pourrait être ? Au fond, on considère qu'être doué de discernement, c'est être capable de comprendre la situation dans laquelle on se trouve. Ça nécessite d'avoir certaines compétences en matière de sens, par exemple, voir, entendre, se saisir de ce qu'il se passe. C'est également dans un deuxième temps être en capacité d'analyser ce qu'on a perçu et compris de la situation dans laquelle on se trouve. Et c'est enfin ajuster ses comportements, ses raisonnements, ses actions au regard des deux précédents temps que je viens d'énoncer. Il se trouve que dans certaines situations de pathologie psychiatrique ou mentale, ces capacités, à quelque temps que ce soit, peuvent se trouver. partiellement ou complètement entravée. Partiellement, c'est ce qu'on appelle l'altération du discernement. Complètement, c'est ce qu'on appelle l'abolition du discernement. L'abolition du discernement ayant quand même une conséquence majeure si elle est retenue par le juge, c'est qu'elle entraîne l'irresponsabilité pénale de la personne mise en cause et dès lors que l'on n'est pas responsable pénalement, on ne peut pas être sanctionné. Alors, naturellement, au regard de ce que je viens de commencer à énoncer, on voit d'emblée, et puis on le sait, vous le savez, on voit poindre des fantasmes et des représentations erronées autour de cette question posée au psychiatre. D'abord, comment est-ce qu'on fait pour avoir un avis, quand on est médecin psychiatre, sur les éléments que je viens de détailler ? Ensuite, dans quelle mesure on ne peut pas... feindre, enfin faire semblant, mimer des troubles qui viendraient comme cela faire croire qu'on est atteint d'une pathologie psychiatrique pour échapper à la justice puisque l'abolition du discernement entraîne l'irresponsabilité pénale. Bon, je voudrais démystifier d'emblée tout cela. L'examen psychiatrique d'expertise est un examen somme toute assez simple qui est l'examen psychiatrique que réalise... psychiatre au quotidien et qui permet de bien identifier certaines manifestations, certains symptômes, de les articuler les uns aux autres pour éventuellement comprendre une maladie caractérisée et puis ensuite dans un temps second de raisonner au moment des faits puisque la loi nous impose de raisonner au moment des faits enquêtés ou instruits. En effet on peut être affecté d'une maladie psychiatrique ou mentale chronique c'est assez fréquent. Mais les maladies chroniques ne s'expriment pas de manière longitudinale. Elles peuvent parfois être très exacerbées et parfois tout à fait silencieuses. La question qui est posée à l'expert, c'est précisément au moment des faits de savoir si la maladie s'exprimait et dans quelle mesure elle avait une relation avec les faits. Il est important ici de souligner, et c'est une particularité, alors pas exclusive, mais c'est une particularité du droit français. que la loi ne prévoit pas de liste de maladies psychiatriques ou mentales qui viendraient par principe altérer ou abolir le discernement. Ce n'est pas le cas dans d'autres lois, y compris en Europe. De sorte que... Présenter certaines maladies psychiatriques ou mentales qui parfois sont sévères, des troubles schizophréniques, des troubles bipolaires, d'autres types de troubles de l'humeur, n'est pas en soi un critère qui va à priori interférer avec le discernement. De notre point de vue, c'est à défendre. C'est une particularité de notre droit à défendre. Car en effet, comme je viens de l'indiquer à l'instant, l'évolution des maladies psychiatriques fait qu'à certains moments, on peut être en... pleine possession de ses moyens et puis à d'autres moments ne l'être pas. Ce sont effectivement les manifestations cliniques et non pas une maladie au sens de diagnostic qui vont déterminer l'analyse au moment des faits de la relation entre ces manifestations et le passage à l'acte. Alors pourquoi c'est essentiel de faire cette part à l'analyse de l'état psychique d'un individu au moment où il passe à l'acte ? Je pense que ça s'articulera avec le propos de l'orateur suivant. C'est essentiel parce que dans nos sociétés et depuis le droit romain, nous donnons pour axe fondamental que l'on doit préférentiellement soigner les patients atteints de troubles psychiatriques plutôt que les punir. Il est constant que notre préoccupation est de permettre une bonne orientation vers les soins. C'est l'expression d'une forme d'humanisme des soins, d'orienter vers les soins les patients atteints de troubles mentaux, même si à un moment donné ils ont pu commettre une infraction, davantage que de les sanctionner, puisque cela n'aurait pas de sens. On pourra y revenir. Alors je voudrais à ce moment-là, et on en avait parlé en préparant la session, déconstruire quelque chose que l'on peut associer à ce qu'on appelle parfois une forme de populisme pénal. Au regard de ce que je vous ai dit, on pourrait se dire finalement, et d'ailleurs on le dit parfois dans les médias lorsqu'il est question d'affaires souvent un peu sulfureuses, certains ont parlé, en l'espèce sénatrice, il y a quelque temps dans le... Le prolongement d'une affaire médiatique, qui est l'affaire Alimi Traoré, avait parlé d'impunité psychiatrique, dans le sens où harguer de présenter un trouble psychiatrique au mental au moment où on passe à l'acte, en l'espèce un acte criminel, pourrait faire échapper, au fond, à la justice. Et donc il y aurait, comme ça, des gens qui échapperaient à la sévérité de la justice en faisant valoir qu'ils présentent des maladies psychiatriques au mental. Alors moi je laisse à chacun la possibilité de croire à ces choses là, mais je voudrais vous énoncer quelques éléments assez factuels que sont les statistiques de la justice pour vous faire une petite idée de ce que c'est que l'irresponsabilité pénale en termes de chiffres. Désolé, c'est un peu épais, mais ça me semble très éclairant. En France, il y a en moyenne chaque année 30 000 règlements d'information, c'est-à-dire que les juges d'instruction ferment 30 000 dossiers par an. Ils vont au terme de leur instruction pour 30 000 affaires chaque année. Parmi ces 30 000 règlements d'information, 7 000... Ce solde par ce qu'on appelle un non-lieu, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de poursuite parce que le juge d'instruction n'a pas réuni suffisamment d'éléments pour pouvoir amener son dossier devant une juridiction de jugement. 30 000 informations réglées, 7 000 qui ne vont pas aller devant une juridiction de jugement et parmi ces 30 000, dont 7 000 ne vont pas être jugées, parmi ces 7 000 qui ne vont pas être jugées, 200... ne le sont pas pour des raisons d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble psychiatrique. C'est-à-dire que chaque année en France, 200 personnes échappent à la justice sur 30 000 règlements d'information. On parle d'information judiciaire, donc je ne parle pas d'enquête préliminaire ici, mais c'est pour vous indiquer qu'en réalité, 0,6% des règlements d'information judiciaire se soldent par une irresponsabilité pénale pour trouble mental. 0,6%, chacun appréciera si c'est beaucoup, si ça représente de l'impunité psychiatrique ou si c'est anecdotique. Pour ce qui me concerne, j'estime que c'est particulièrement anecdotique et je l'estime d'autant plus dans un raccourci, peut-être pourrons-nous en discuter, que l'épidémiologie des troubles psychiatriques dans les prisons françaises témoigne de ce qu'en réalité on oriente bien davantage vers la... prison les personnes commettant des infractions et présentant des troubles psychiatriques que vers l'hôpital psychiatrique. On pourra en redire un mot, y compris sur le plan statistique. Alors, quels sont au fond les enjeux de l'expertise psychiatrique lorsqu'on regarde un petit peu ce panorama que je viens de vous indiquer ? Il me semble que l'exercice de l'expertise psychiatrique pénale, c'est celui d'une mise en tension permanente des valeurs, notamment si on le regarde sous le champ. de l'éthique. Parce qu'il s'agit d'abord pour le psychiatre, avant tout, peut-être j'aurais dû commencer par ça, un psychiatre expert, notre compagnie est mal nommée, elle s'appelle compagnie des experts psychiatres, mais nous sommes en réalité psychiatres experts, l'ordre des mots importe. Un psychiatre expert c'est avant tout un médecin, un médecin psychiatre qui a une pratique médicale et soignante et qui met... soit au service de la justice les compétences qu'il a acquises et son expérience. Mais ce n'est évidemment pas naturel, je dirais. Il s'agit d'une mise en tension ici que de collaborer à l'œuvre de justice avec tous les risques d'amalgame et d'instrumentalisation que cela pourrait représenter. Il n'est pas rare dans d'autres... pays et dans d'autres régimes politiques, naturellement, que la psychiatrie soit convoquée par les semblants de justice pour venir. On le sait, l'histoire nous l'a enseigné, mais l'actualité encore dans certains pays, pas forcément très éloignés d'ici, nous montre que la psychiatrie peut être instrumentalisée aux fins de pseudo-justice. Donc, il s'agit évidemment de ne pas être dupe de ça. Pour autant, comme je l'ai dit, comment s'y prendre ? conserver ce pilier de l'humanisme des soins qui consiste à aider à l'orientation d'une personne qui va commettre une infraction, soit vers effectivement le fait qu'elle soit jugée, condamnée, éventuellement incarcérée, soit vers le fait qu'elle aille vers les soins. Il va bien falloir discriminer, il va bien falloir apporter des éléments de compréhension au juge et c'est là une pratique. En tension pour le psychiatre expert, mais une pratique qui me semble essentielle. Évidemment, il s'agit aussi dans cette position de participer, je ne sais pas si c'est une œuvre, j'allais dire à l'œuvre de sécurité publique, mais enfin en tout cas... à l'attente d'une sécurité publique. Or, certains troubles psychiatriques ou mentaux peuvent troubler la sécurité publique. Et quand on est spécialiste des troubles psychiatriques et mentaux, il s'agit aussi de prendre en considération cet aspect-là. Mais, et c'est essentiellement le cas lorsque nous sommes amenés... puisque la procédure est orale et exclusivement orale en matière de cour d'assises, lorsque le psychiatre expert est amené à venir exposer ses travaux devant la cour d'assises, il va s'agir non seulement de faire œuvre de pédagogie, de pouvoir expliquer ce qui n'est pas toujours très simple du côté des termes, du côté des concepts en psychiatrie à des non-psychiatres, que sont les magistrats professionnels ou que sont les jurés populaires. Faire donc œuvre de pédagogie, mais également, me semble-t-il, rappeler sans cesse les limites de notre exercice. Il s'agit, et nous sommes attendus là-dessus, d'apporter des éléments de compréhension de faits souvent incompréhensibles. On a tous à l'idée des crimes abominables sur des personnes. particulièrement fragiles, les crimes qui concernent les enfants, etc. et qui paraissent incompréhensibles. Et pour cheminer dans la mission que se donne la justice, mettre du sens, comprendre, établir une vérité judiciaire, on passe parfois par le fait de proposer des explications qui reposent sur les mécanismes du fonctionnement psychique, bien au-delà de la présence ou non d'un diagnostic. Vous avez compris que finalement... L'essentiel du temps, lorsque l'on va devant une cour d'assises, c'est pour expliquer qu'on n'a pas affaire à des personnes atteintes de troubles psychiatriques, quand bien même les actes qu'elles ont commis paraissent fous, je dirais, au sens trivial. C'est donc ici un rôle délicat, je trouve, là encore, de mise en tension, où il ne s'agit pas seulement pour le psychiatre de dire il y a de la maladie ou il n'y a pas de la maladie, au-delà de ces aspects de l'hypnologie. du diagnostic, il s'agit aussi d'apporter des éléments de compréhension psychopathologique, psychodynamique, de comment ça marche la vie psychique et comment parfois ça aboutit à des passages à l'acte paraissant en rupture avec un fonctionnement normal. Mais au fond, nous sommes avant tout experts de nos limites. L'expertise psychiatrique pénale n'est pas un exercice de la toute puissance du savoir. Nous n'expliquons pas grand chose. Nous devons surtout... pour tout faire avec l'attente sans doute jamais satisfaite, et c'est heureux, des magistrats, des juges, des jurys populaires, à ne pas tout pouvoir expliquer. Être expert en psychiatrie, c'est d'abord mesurer la complexité de la vie psychique, qu'elle soit physiologique ou psychopathologique, même lorsque nous ne sommes pas atteints de maladies psychiatriques ou mentales, nous avons affaire. avec ce que notre vie psychique a de particularités et parfois de complexités, c'est cette complexité qu'il convient de mesurer, de dialectiser, d'expliquer. Et c'est savoir aussi, lorsqu'on est en position d'être psychiatre expert, en dépit de ce que le titre peut avoir l'air de ronflant, d'autoritaire, c'est surtout pouvoir dire l'humilité qu'exige l'appréhension des phénomènes psychiques. Pour finir, au fond... Je pourrais interroger ou mettre l'accent sur le fait que l'époque dans laquelle nous vivons, paradoxale, d'exigence à la fois de rationalité, grande prégnance des neurosciences aujourd'hui dans l'approche des maladies psychiatriques et mentales, attente tous azimuts d'explications, de rationalisation. Tout problème doit avoir une solution, on doit pouvoir tout expliquer. Et puis en même temps, on est quand même... je crois que l'actualité nous le montre, dans une période d'expansion du fake, du superficiel, de la fausse information, des vérités parallèles, d'un émotionnel qui prend le pas, au fond peut-être le rôle, la mission du psychiatre expert en matière pénale, c'est de demeurer une boussole de la complexité et de l'esprit critique, y compris même du savoir qu'on lui confère. En ce sens... L'expertise psychiatrique pénale me semble être un acte médical avant tout et politique qui implique une réflexion éthique. C'est la raison pour laquelle il me paraissait important de pouvoir venir en discuter avec vous et surtout de pouvoir prolonger ces bribes de réflexion avec vous. Merci. Je passe la parole à Pantéléon Giacognacopoulos. Vous êtes professeur de psychiatrie et vous êtes aussi en charge de, enfin on appelle ça directeur général de l'office cantonal de la santé du canton de Genève. Donc vous êtes le ministre de la santé de Genève, si j'ai compris.

  • Speaker #1

    Pas exactement, mais je dois organiser la santé, les différents aspects de la santé en collaboration avec le ministre du lieu. Je vous remercie de votre invitation. Je voudrais peut-être compléter les propos qui ont été tenus avant avec un témoignage qui peut paraître un peu plus personnel. Vous retracez une histoire et vous parlez de ce qui, à mon sens, aujourd'hui, est un enjeu fondamental, qui est celui de l'exercice de la contrainte en psychiatrie sur les différents aspects et l'évolution sociétale, qu'on assiste pratiquement les dernières... deux à trois décennies. Alors, c'est là fait environ 30 ans que j'exerce ce métier. J'ai eu l'occasion par différents promontoires d'observer le lien entre la contrainte et les soins psychiatriques dans les différentes déclinaisons. Donc je reprendrai certains des propos qui ont été nus ici. J'ai envie de dire que dans une assez longue période, ce type de contrainte concernait, pour la plupart des psychiatres, le lien avec les codes civils. C'est-à-dire que dans les différents pays, j'ai eu l'occasion de vivre et de travailler dans différents pays, dans les différents pays pourrait être ce qu'on appelle le placement à des fins d'assistance, c'est-à-dire limiter la liberté d'un individu pour lui procurer des soins quand cet individu peut se mettre en danger ou peut mettre les autres en danger. Le danger est un mot extraordinairement important, je vais essayer de vous décrire dans les quelques minutes qui me sont données. Puisqu'on a progressivement évolué d'un monde qui était centré sur la question de la responsabilité, ça a été quand même abordé de manière très approfondie juste avant, au monde qui se focalise de plus en plus sur la dangerosité. Et c'est un glissement conceptuel tout à fait important. Je vous décrirai peut-être que la situation est peut-être moins visible aujourd'hui en France. Je vous donnerai des exemples d'autres pays où c'est... Cette modification, ce saut qui était un saut campique, passé c'est-à-dire de la notion de la responsabilité à la crainte de la dangerosité, a eu des répercussions et a des répercussions très importantes au niveau des soins et de l'humanisme des soins psychiatriques. Alors il fut un temps, un temps qui peut paraître lointain aujourd'hui. Quand je parle comme ça j'ai l'impression d'être un dinosaure, mais enfin vous m'excusez les propos. J'ai vécu dans une époque où les hôpitaux L'hôpital que j'ai dirigé, et que je continue à diriger pour quelques mois encore à Genève, les hôpitaux qui prennent en charge des patients qui ont passé à l'acte sur un plan pénal, qui sont considérés des criminels dangereux pour le procurer de soins, il fut un temps que ces hôpitaux étaient en train, dans différents pays, de fermer. C'était le mouvement, pour les plus anciens parmi nous dans la salle, le mouvement des années 60. la grande libération des mœurs, l'interrogation sur la liberté, la quête de liberté qui a caractérisé nos sociétés il y a environ 60 à 70 ans en arrière. C'est loin, mais peut-être pas si loin que ça de nous-mêmes. Alors à cette époque-là, des hôpitaux qui prennent en charge ce type de patients existaient, mais qui étaient essentiellement des îlots de misère, parfois avec des pratiques extraordinairement déviantes. Donc c'était cette histoire assez sulfureuse que les Italiens savaient bien, sous le terme de manicomio criminalis, c'est-à-dire ces institutions très peu dotées où il y avait beaucoup plus un exercice de contraintes et de violences sur des personnes qui étaient devenues avant violentes sur le plan du code pénal, sans véritablement un projet de réinsertion sur le plan social. Alors à cette époque-là, peut-être j'essaierai de faire quelques photographies pour voir un peu comment on a évolué dans le temps. À cette époque-là, la primauté était donnée pour le soin psychiatrique qui s'exerçait en dehors de ces îlots, au lien avec le code civil, c'est-à-dire les placements à des fins d'assistance. Alors, là aussi, il y a des différences tout à fait fondamentales entre les pays. Il y a des pays où cette décision-là, c'est-à-dire priver quelqu'un de sa liberté pour lui donner des soins, revient sans que ce quelqu'un... et à faire avec le monde du droit pénal, revient au tribunal, revient un peu, peut venir au préfet. En Suisse, la Suisse est une situation un peu sui generis, assez particulière, compte tenu de son côté fédéraliste. Donc, ce qui veut dire que vous avez autant de cantons que de législations, ça revient un tout petit peu à un paradigme comme vous le retrouvez aux États-Unis. Il y a des cantons, Genève c'est un exemple, où cette décision est une décision médicale. C'est-à-dire que c'est le médecin qui avait les clés pour dire, une personne en ce moment, elle a un comportement qui le met en danger ou met en danger les autres, et donc on décide d'une hospitalisation au milieu psychiatrique. Je parle là encore une fois d'un milieu psychiatrique loin du monde du droit pénal. Le début et la fin de ces séjours étaient décidés par un psychiatre. Vous allez dire, c'est une évolution tout à fait positive. D'une certaine manière, oui. D'une autre manière, non. Et je dois dire qu'après autant d'années d'exercice de mon métier, je reste toujours perplexe par rapport aux responsabilités qui sont données aux psychiatres. Et je reviens aux propos qui ont été tenus, à la modestie qui doit nous caractériser quand on les assume. Donc ce qui s'est passé souvent, c'est qu'il y avait ces décisions, la psychiatrie a pris un rôle sociétal extraordinairement important, puisque c'était les psychiatres qui tenaient les clés, finalement, au lien avec la liberté de l'individu. Deuxième pas, toujours dans ce Ausha... qui devenait un champ de tension très important, le traitement sous contrainte. Parce que dans les législations, c'était la même réalité dans les pays scandinaves et en Allemagne. La Suisse est quand même assez inspirée sur le plan du droit de ces deux pays, de ces deux régions. Il y avait la question du traitement sous contrainte, ça veut dire non seulement limiter la liberté d'un individu, Mais le traité, pharmacologiquement, compte son gré. Ça, c'était une autre part. Et alors, je vous éviterai de voir la nuance qui existe là-dessus. Jusqu'à aujourd'hui, dans un canton comme Genève, c'est la même chose dans certaines landes en Allemagne, vous pouvez décider, un médecin peut décider, de limiter la liberté d'individu en le plaçant dans un hôpital psychiatrique, mais pour le traité... c'est-à-dire pour utiliser la pharmacothérapie contre son gré, il faudrait quelques critères supplémentaires, dont, et je reviens aux propos qui ont été tenus, et c'est le fil conducteur qui va nous amener au droit pénal, la question de la capacité de discernement. Si la personne n'a pas perdu sa capacité de discernement, avec toutes les caveats qui ont été très bien expliquées avant, vous ne pouvez pas le traiter contre sa force. Résultat des courses, vous pouvez limiter la liberté, vous retrouver par certains aspects dans une impasse sur le plan thérapeutique, ou alors par contre aller plus loin, prêter, et se poser toujours la question, mais est-ce que véritablement les capacités de discernement sont abolies ? Comme très clairement expliqué avant, il y a une interrogation sur la notion même du discernement, et encore plus grande interrogation sur qui juge. et quelles sont les libertés qui sont données aux individus pour aller contre, pour protéger leurs droits dans une société comme la nôtre. Alors, il y a, j'ai envie de dire, des protections qui ont été mises en place, comme les possibilités de recours, et ce système-là semblait, sans doute, avec toutes les limitations et toutes les précautions d'usage, être relativement bien huilé et fonctionnel, avec un nombre d'hospitalisations qui... comme en France, comme dans d'autres pays européens, a pris l'ascenseur progressivement, les hospitalisations contre les grès des personnes, ce qu'on appelle les hospitalisations non volontaires. Mais encore là, on était en dehors du champ, qui est le champ pénal. La contrainte, quand elle est exercée, j'ai envie de dire, pour votre bien. ou la possibilité de faire du bien à l'autre, semble être plus compréhensible, humainement plus acceptable que quand vous l'exercez pour des raisons de protection sociétale. Quand on va vers le droit pénal, on est dans un champ de tension, ça a été décrit, qui concerne la société, comment on protège la société, et de l'autre côté... Comment on protège le droit de l'individu ? Et c'est là où une mutation très importante s'est opérée progressivement, et pratiquement après les années 2000. Je pense que c'est très important d'être conscient de cette mutation. On peut bien évidemment, comme ça a été dit avant, déprésenter et dire, mais dans le fond, si vous prenez tout le nombre de procès qui existent, le pourcentage qui concerne l'irresponsabilité pénale, très franchement, c'est mineur. Vous ne pouvez pas... accuser les psychiatres d'aider les criminels d'échapper à leurs sanctions. Ce qui est formellement vrai. Mais dans le fond, on est entré dans une société qui a été très bien décrite par Vargas Llosa. C'est la civilisation du spectacle. C'est-à-dire, le poids du fait divers est extraordinairement important. Même une situation suffit. Et progressivement, on a assisté à un durcissement. de la vision de la société, mais aussi du cadre légal, autour des passages à l'acte et de la dangerosité d'un individu. On ne parle plus, on parle de moins en moins, je vous donnerai un exemple, de responsabilité pénale. une notion qui existe depuis l'époque d'Amourabi, j'entends ce que je veux dire, et puis après a été très bien balisée au fil du temps, et on parle beaucoup plus de dangerosité. Je vous donne un exemple qui est quand même assez frimpant et qui n'a pas cessé de m'interroger jusqu'à aujourd'hui. Je me suis demandé d'ailleurs, est-ce que ça ne m'a pas poussé, après dix ans de direction de cet hôpital que j'ai vu grandir et que je portais de changer d'orientation de carrière, la modification du droit pénal. qui est arrivé à peu près en même temps en Allemagne, en Suisse, et pourtant d'un exemple qu'on considère parfois plus, je dirais, plus politiquement correct par certains aspects, en Suède. La modification du droit pénal qui est apparue au début des années 2000 a progressivement, et à travers des mots, changé le focus. Exemple. Jusque-là on disait mais est-ce qu'il y a une responsabilité ou une irresponsabilité pénale ? Est-ce qu'une personne qui passe à l'acte sur un plan pénal, il est en pleine possession de ses moyens cognitifs, volitifs, donc les deux piliers de la responsabilité pénale, et donc est-ce qu'il y a une irresponsabilité pénale ou, dans certains pays, partielle, totale ou partielle, pour un acte qui est causalement lié à une pathologie psychiatrique ? Aujourd'hui, les choses ne sont pas comme ça. Dans le droit pénal suisse aujourd'hui, ce qui prime, ce n'est pas un lien causal, c'est un lien, la présence d'un lien qui peut augmenter les risques de récidive. Le saut est ici un saut quantique, parce que comme... Comme Sartre, dans le fond, le disait, on ne fait pas d'à la vue ce qu'on veut, mais on est responsable de qui on est. Et en fait, en réalité, on commence maintenant à s'occuper de qui on est, et donc à punir ou à contraindre en lien avec qui on est. Alors, le lien, quand ce n'est pas un lien causal, quand il ne s'agit pas de responsabilité, mais un focus sur le risque de récidive et de la dangerosité d'un individu, ouvre une porte très grande. Et dans la plupart des pays du nord de l'Europe, on a insisté. Je ne mets pas la France dans le nord de l'Europe, donc je parlerai plutôt dans les pays qui sont évidemment la Suisse, l'Allemagne, les pays scandinaves, qui sont des exemples. L'Angleterre a pris le même chemin, mais dans un contexte aussi de choix, comme un plus pauvre, il faut bien le dire. Et ce qui s'est passé progressivement, c'est que... Le système, je dirais l'étoile pénale, a reconnu, je viens là sur la notion de la création des hôpitaux qui prennent en charge les criminels dangereux, a reconnu une séparation et est devenu un système dualiste, c'est-à-dire un système qui sépare les peines des mesures, les sanctions des mesures. Autrement dit, sur la base de l'expertise psychiatrique, le juge doit décider, c'est la réalité actuelle, typiquement on... en Suisse ou en Allemagne, il doit décider est-ce qu'un individu, pas seulement si l'individu est responsable ou irresponsable, mais aussi est-ce qu'au lien avec une maladie mentale, un individu a un très haut risque de récidive par rapport à un acte. Et dans ce cas, décider de le sortir du champ pénal classique des sanctions et l'amener dans le champ des mesures. Les mesures, ça veut dire, quand vous prononcez une mesure dans le droit suisse, et en Allemagne aussi, vous suspendez la peine. L'individu entre dans un autre track dans un autre type de sanctions dans le fond, mais où les choix priment. C'est-à-dire qu'il doit être pris en charge avec des mesures qui sont renouvelables chaque cinq ans. Alors, il a existé... Un débat, il existe toujours, un débat extraordinairement important sur cela. C'est-à-dire quels moyens on donne comme société pour traiter les personnes et pour combien de temps.

  • Speaker #0

    Et donc je terminerai en vous donnant cet exemple, on aura l'occasion d'en discuter, mais je terminerai en vous donnant cet exemple de ce qui s'est passé par rapport à l'hôpital que je dirige encore d'ailleurs, qui a été construit pour une très grande partie de la Suisse, toute la Suisse qui parle, je dirais, français, italien, pour accueillir ce type de personnes. Dans le cadre des mesures, qui sont des mesures thérapeutiques. Les mesures thérapeutiques nécessitent une mobilisation de moyens. Et là je viendrais peut-être au côté plus positif quand même de ce tableau qui pourrait inquiéter, qui inquiète à juste titre la société. Les mesures, on accueille environ 100 mesures, il y a 100 lits pour ça, et c'est des personnes qui peuvent rester ad vitam aeternam, c'est-à-dire il n'y a pas de limitation dans le temps. Et c'est une grande différence par rapport à la sanction pénale. J'ai rencontré dans ma carrière des personnes qui m'ont dit très clairement pour revenir sur le propos qui a été tenu avant. Mais dans le fond, pourquoi j'ai eu le malheur de me retrouver devant un expert psychiatre ? Si j'étais jugé uniquement pour ce que j'ai fait, j'aurais pris peut-être une année avec sursis, deux ans. Mais du moment où il y a eu l'expertise et la décision du juge pour aller vers les mesures, le temps peut devenir un temps indéfini. Et donc la responsabilité de ceux qui travaillent et soignent ces personnes, c'est rendre le temps défini. Parce que sinon, le temps est défini, est une source de désespoir et de préparation pour le passage à l'acte suivant. Et pour ça, les psychiatres doivent être très conscients de la responsabilité qu'ils prennent. C'est la responsabilité de garder allumé, comme dans le film de Tarkovsky, de garder la lumière allumée, de garder l'espoir de ces personnes. Ce qui veut dire aussi des moyens. Je reviens sur un point qui n'a pas été abordé, mais qui, à mon sens, est très important quand on discute du lien entre la santé et la justice au niveau de la santé mentale. C'est les moyens qu'une société met pour soigner et accompagner ces personnes vers la réinsertion. Alors, vous allez dire, je peux bien imaginer, vous savez, comme vous pouvez imaginer par mon nom, je ne suis pas d'origine helvétique tout de même. Malgré le fait que je vis depuis 25 ans dans ce pays, je connais des milliers et des millions d'Europe beaucoup plus pauvre. La Suisse est un exemple où il y a une mobilisation très importante et des moyens que la société a mis pour soigner ces personnes. Donc je vous donne un exemple, alors ça frappe toujours quand je le dis, mais une nuit dans l'hôpital que je dirige, une nuit coûte 1200 euros. Ça paraît énorme et ça c'est de l'argent public. Donc ça veut dire qu'une société a dit, on peut toujours critiquer évidemment les choix qu'une société fait. Mais là-dessus le choix était de dire, on met de l'argent, on met des moyens, infirmiers, médecins, agents de détention parce qu'on travaille dans un système avec eux, dans une collaboration avec eux, très étroite, pour accompagner ces personnes. Mais accompagner ne signifie pas juste donner des soins, ça signifie convaincre. Convaincre le juge d'application des mesures, convaincre les proches, convaincre aussi le monde de la détention, pour amener peu à peu une progression de la mesure et la possibilité d'ouvrir les portes. Alors, en fonction des lunettes qu'on peut mettre, dire que chaque année, la moitié des personnes sortent vers un milieu ouvert, vous pouvez le voir comme un succès ou comme un échec. Ça dépend du prix que vous voulez mettre comme une société pour cela. Mais c'est la seule manière de faire, si vous prenez l'optique, dans une société, d'utiliser les mesures, c'est-à-dire les soins psychiatriques, pour gérer non plus la question de la responsabilité uniquement, mais ce néologisme. qui est la dangerosité. Donc c'est là où on en est aujourd'hui et chaque fois, je termine mon propos ainsi, chaque fois qu'un fait divers arrive dans les prisons, arrive dans des établissements comme ceux que je dirige, il y a toujours des voix pour crier au scandale, pour crier à l'incurie, pour crier à la nécessité d'être encore plus restrictif. Cependant, de l'autre côté, ça m'est arrivé dans mon carrière de rencontrer des personnes qui sont restées 12 ans en prison suite à des menaces par la décision des mesures. Et ça, ça interroge humainement. On n'est pas juste des professionnels de santé, on est des êtres humains. Et ça interroge. Ça interroge aussi par rapport au pouvoir qui est donné et à la responsabilité qui est donnée aux soins psychiatriques dans une société. Donc, j'ai envie de dire que face à n'importe quel fait divers, il faut pouvoir garder une vision qui est une vision de ce qu'on veut faire collectivement de notre société. sans naïveté, sans angélisme, mais sans la tendance de courir derrière le dernier prophète. J'arrête là, merci.

  • Speaker #1

    Alors, il y a une question qu'on se pose tous lorsqu'il y a un fait divers qui conduit à l'irresponsabilité. pénale d'un individu, parce que c'est des faits qui peuvent être très marquants pour la population et effectivement faire peur, on se pose la question du sort de l'individu qui a été déclaré irresponsable pénal. Est-ce qu'il y a une garantie ? Puisque l'expert s'est prononcé bien sûr sur le moment de la commission des faits, il a indiqué qu'au moment de la commission des faits, il y avait eu une abolition du discernement tel qu'il ne pouvait pas être jugé. C'est ce que dit notre droit et depuis fort longtemps, et beaucoup de droits autour de nous. Mais une fois qu'il a été diagnostiqué ou expertisé irresponsable pénal, qu'est-ce qu'il devient cet individu ? Et est-ce que la société, puisque c'est ça que le grand public attend, a une garantie que derrière, le lendemain, parce qu'il ne sera plus en état d'abolition, il ne va pas ressortir et peut-être... également se retrouvaient en capacité de recommencer. Manuel Orsat.

  • Speaker #2

    Alors, peut-être repréciser les aspects un peu procéduraux, mais d'abord, il n'y a pas de systématicité, mais ce que la loi prévoit, c'est que lorsque des conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, si on se met en matière criminelle, enfin pour les infractions les plus graves, mais... On rend aussi des conclusions d'irresponsabilité pour des infractions tout à fait bénignes. J'ai finissé un rapport d'expertise ce matin pour un vol de cage à oiseaux pour lequel j'ai conclu une irresponsabilité. On voit bien que les enjeux sont beaucoup plus faibles que d'autres dossiers. Par exemple, nous avons conclu récemment avec une collègue pour quelqu'un qui a eu... commis trois homicides successifs. Ce n'est pas la même chose, évidemment. Lorsque ces conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, il est de droit qu'il y ait des contre-expertises, c'est-à-dire qu'un seul avis d'un seul psychiatre expert ne suffit pas et des contre-expertises peuvent être diligentées. Et si, puisque je l'ai dit, mais je le rappelle, les conclusions d'abolition du discernement sont retenues par le juge, qui n'y est pas tenu, le juge peut aller contre des rendus de conclusion d'expertise, et bien l'irresponsabilité sera retenue. Dans ce cas, la chambre de l'instruction va, pour les affaires les plus graves à l'évidence, prononcer un arrêt d'irresponsabilité pénale et plusieurs choses. D'abord, la responsabilité civile est préservée, c'est-à-dire que même si la responsabilité pénale n'est pas maintenue, Tout ce qui est en matière de réparation du dommage des victimes, etc. Tout ça, ça reste maintenu et l'auteur, bien que très malade au moment des faits, devra réparer, etc. Tout ça est préservé. Deuxièmement, il y a le champ des soins dits sous contrainte, enfin en fait sans consentement. la juridiction de jugement pourra demander à ce que soit prononcée une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Et donc en pratique, à l'issue de l'audience, la personne qui souvent est préventivement détenue pour les infractions criminelles va être emmenée à l'hôpital psychiatrique sous le régime du SDRE, donc du soin sur décision du représentant de l'État, passant du coup... dans un tout autre champ que celui de la justice, qui va être celui de l'autorité sanitaire et de l'autorité administrative. Ce qui prévaut dorénavant à ce stade-là, c'est les soins. Et donc, c'est l'état clinique de la personne concernée. Et puis, troisième volet, malgré tout, ça va dans le sens de ce qui vient d'être dit. Les réformes successives du droit pénal en France depuis le début des années 2000 vont vers quand même davantage de précautions. Un principe très important. Et donc il y aura ce troisième volet, la juridiction du jour, la chambre de l'instruction peut prononcer des mesures de sûreté associées à l'irresponsabilité pénale. On ne va pas condamner la personne, elle ne va pas être sanctionnée puisqu'elle ne le peut pas, elle n'est pas responsable, mais elle pourra se voir infliger un certain nombre d'obligations et d'interdictions, en particulier l'interdiction de paraître sur un certain territoire, l'interdiction d'être en rapport avec certaines personnes, l'interdiction de détenir une arme. de conduire, etc., etc., des mesures qui seront considérées comme étant des mesures de prudence pour la vie. Et s'agissant donc de la deuxième volet que j'ai expliqué là, donc les soins, eh bien la personne est hospitalisée en psychiatrie. Alors il y a plusieurs en France dispositifs qui peuvent accueillir ces... Les individus, dans le cas classique, les personnes sont hospitalisées dans leur secteur de psychiatrie générale sous la forme du SDRE, c'est-à-dire privées de leur liberté. En France, on peut priver de la liberté d'aller et venir sur des avis médicaux et sous contrôle du juge des libertés de la détention, qui est la seule autorité à statuer sur la privation de liberté. En revanche, on ne peut pas... contraindre à prendre des médicaments. Toute atteinte au corps est déterminée par le consentement. On peut empêcher un individu d'aller et venir, mais on ne peut pas l'obliger à prendre des cachetons ou à recevoir des piqûres. C'est ensuite l'évolution clinique de l'individu qui va déterminer son avenir. Si l'évolution est défavorable, il se peut que l'individu soit très durablement hospitalisé. Si l'évolution est favorable, ce qu'on peut espérer quand on est soignant et médecin, à la faveur des soins, des traitements, de la réhabilitation sociale, la loi prévoit des dispositifs de soins sans consentement, prévoit que l'individu pourra ponctuellement sortir, puis sortir tout en étant toujours en soins ambulatoires contraints, avec l'obligation de respecter ses soins s'il ne les respecte pas, il sera réadmis, etc. Donc il y a quand même un panel très important, c'est ça que je veux dire en fait, très simplement, c'est qu'il y a un panel très important de soins possibles. Et pour les malades ? qui présentent des troubles plus bruyants, plus graves, on pourrait dire, dans leur expression comportementale. Il existe deux types, les USIP, les unités de soins intensifs psychiatriques, qui ne sont pas déployées partout sur le territoire. Et puis ce qu'on appelle les unités pour malades difficiles, les UMD, qui sont vraiment pour le coup des structures d'hospitalisation à temps complet pour des patients qui présentent des signes de résistance et notamment de difficulté de prise en charge avec des manifestations comportementales importantes. Donc... Vraiment, ce qu'il faut bien se dire, c'est que non, on ne se retrouve pas le lendemain dans la rue quand on a commis un crime, alors qu'on était dans un état d'activité de sa maladie psychiatrique. Mais en revanche, et en toute logique, ce sont ensuite les soins et donc l'évolution de l'état psychiatrique qui va déterminer la trajectoire de l'individu, avec malgré tout des précautions importantes.

  • Speaker #1

    Alors, monsieur Giannakopoulos, vous avez évoqué la question de l'hospitalisation sans le consentement de la personne et indiqué que la décision était prise selon les pays, soit par les soignants, soit par les juges. En France, en l'occurrence, une fois qu'elle est prise, cette décision, elle fait l'objet du contrôle du juge. C'est assez récent, c'est depuis 2011, que le juge des libertés et de la détention contrôle. Les hospitalisations sous contrainte. En tant qu'avocat, j'ai été amenée, puisque les personnes hospitalisées ont droit à un avocat. Au début, il y a toujours une permanence d'avocats qui se succèdent pour aller dans les hôpitaux, dans les services psychiatriques, pour assister ces personnes qui comparaissent devant un juge des libertés et de la détention, pour savoir si elles vont continuer d'être hospitalisées. Et j'avoue que je ne l'ai pas fait très longtemps parce que j'ai été extrêmement gênée, et je voudrais avoir votre avis tous les deux de psychiatre, par la situation qui confère au juge la possibilité de faire sortir finalement une personne qui a été hospitalisée sous contrainte, parfois pour des raisons procédurales, cette procédure étant importante puisqu'elle protège les individus de l'arbitraire éventuel des soignants. S'il devait y en avoir, puisque l'intérêt n'est pas toujours là. Mais bon, en tout cas, la question, c'est de savoir, est-ce que le juge, avec quelles compétences, le juge peut-il se prononcer sur la nécessité de maintenir une hospitalisation sous contrainte ? Nous, les avocats, notre rôle, et c'est pour ça que j'ai très rapidement arrêté, il est finalement d'aller vérifier si cette procédure a été respectée. Et ça, c'est encore une fois important. parce qu'elle est garante de la liberté, mais cette procédure, quand elle n'est pas respectée, parce que les soignants sont en grande difficulté aussi de paperasserie administrative majeure, en plus d'avoir quand même des gros problèmes d'effectifs, donc quand elle n'est pas respectée, ça peut conduire à faire sortir quelqu'un qui pourtant avait été jugé par les soignants en nécessité d'être hospitalisé. Enfin voilà, ça pose la difficulté de décompétence. du juge et de savoir comment le juge peut se prononcer au-delà de la simple procédure sur le fond. Comment le juge peut être amené à dire que la personne n'a plus besoin d'être hospitalisée.

  • Speaker #0

    Disons que chaque pays, dans ce cas-là, a trouvé des manières de faire, et parfois même des manières assez agiles de faire. Donc, quand il y a une décision de médecin par rapport à une expédition volontaire, vous pouvez choisir de, je dirais, une limitation temporelle, ou alors... la possibilité de juger par quelqu'un de l'extérieur de la pertinence d'une hospitalisation non volontaire. La question de fond, c'est quel droit vous donnez à un individu de pouvoir recourir contre cela. Ensuite, ce qui se passe, c'est que la personne peut recourir, et donc le tribunal qui s'en charge a la possibilité d'ordonner rapidement et de manière agile, et ça c'est important compte tenu du nombre d'admissions non volontaires, une expertise faite par un tiers qui vient voir la personne et qui statue. Et cette fois-ci assez rapidement, est-ce que ça a un sens de garder l'hospitalisation ou pas ? Après, deuxième limitation qui me semble quand même très importante et qui a été très bien aussi appliquée en Allemagne, c'est la limitation temporelle, c'est-à-dire une admission volontaire dans les droits suisses dure 40 jours. Si vous devez, et c'est valable aussi en Italie aujourd'hui, si vous devez faire plus, vous devez retourner vers le juge avec des arguments, en disant mais la situation se prolonge, elle est quand même compliquée On a certains éléments qui nous font dire qu'il faut continuer l'hospitalisation. Et là vient votre question, c'est comment le juge va dire, mais est-ce que c'est juste ou pas ? Ce qui a été trouvé, et là je veux dire qu'on a copié beaucoup plus ce qui a été fait dans d'autres pays du Nord, c'est-à-dire d'utiliser la notion des juges-assesseurs, c'est-à-dire que le tribunal est entouré par des juges qui viennent de la société civile, des juges-assesseurs, c'est-à-dire des personnes qui ont une formation en psychologie ou en psychiatrie et qui peuvent être des conseils du juge. pour la prise de décision. Le système comme ça marche assez bien, mais il est basé sur un élément qui était fondamental, la possibilité pour le juge d'avoir recours rapidement à l'aide et à l'avis d'un tiers qui n'est pas pris dans les soins, parce qu'on ne peut pas exclure un biais de regard, bien évidemment, qui fait que les soignants peuvent avoir la tendance ou de prolonger l'hospitalisation quand il n'y a pas lieu d'être. ça humainement on ne peut pas l'exclure donc la nécessité de mettre à disposition du juge une aide spécialisée me semble être la clé de voûte d'un tel système

  • Speaker #1

    Je précise juste, je vous donne la parole c'est pas le cas en France et en France le juge se prononce au bout de 12 jours d'hospitalisation puis au bout de 6 mois et tous les 6 mois Manuel Orsan ?

  • Speaker #2

    Mais il peut être saisi à tout moment Oui, c'est vrai Néanmoins, ça c'est les contrôles obligatoires Pour répondre ou prolonger certaines de vos questions ou de vos remarques, d'abord, je crois que le contrôle sur le fond du juge des libertés et de la détention, je ne suis pas magistrat, je ne sais pas s'il y en a dans la salle, mais il me semble quand même en partie lié à la description. Le juge ne se prononce pas aux doigts mouillés, il reçoit en audience la personne, mais aussi à la lecture des certificats médicaux. qui sont obligatoires dans la procédure à des temps très précis par des médecins différents et qui sont censés donc éclairer le juge sur les justifications médicales cliniques de la privation de liberté donc il me semble que bien sûr on peut pas demander aux juges des libertés d'être psychiatre de même qu'on peut pas demander au président de la cour d'assises ou présidente correctionnelle d'être psychiatre en matière d'expertise et donc quoi que la balayon de vos notes C'est de la responsabilité des psychiatres hospitaliers que de produire des certificats les plus précis, les plus étayés, les plus didactiques possibles pour donner du matériau au juge des libertés au fin de se prononcer sur le fond. Sur la forme, effectivement, c'est tout à fait important de respecter la procédure parce qu'elle est la garante des libertés. C'est aussi, je dirais, sur le plan clinique. Moi, j'ai eu le... J'étais interne déjà en 2011, donc j'ai pu avoir l'expérience d'avant et d'après l'entrée du contrôle par le juge des libertés et de la détention. Au-delà des aspects purement procéduraux propres à la question de la préservation des libertés, c'est aussi la possibilité dans la relation de soins de redire tout le temps aux malades que nous, en cliniciens, on pense que l'état du malade impose son hospitalisation. malgré son refus à lui, mais que néanmoins on n'est pas le seul à décider en tant que clinicien et qu'une autorité parfaitement indépendante sur le plan même constitutionnel, le juge judiciaire va aussi jeter un oeil. Et sur le plan de la relation soignante, ça peut parfois aussi avoir symboliquement un intérêt de décaler le fait que ce n'est pas celui qui vous soigne qui en même temps... temps à les clés. Il y a cette articulation-là qui est importante. Vous disiez aussi, et effectivement ça peut arriver, le pouvoir du juge des libertés de libérer un malade qui ne serait pas stabilisé. Oui, c'est la loi, mais de même qu'on peut libérer un prisonnier pour des raisons de procédure, quand bien même il a commis des infractions très graves. Il se trouve que s'agissant des soins, je voudrais vraiment insister là-dessus, la privation de liberté doit être l'exception. D'abord, il n'y a que les maladies psychiatriques et mentales qui peuvent justifier la privation de liberté. C'est une des spécificités de notre spécialité médicale. Aucun autre médecin ne réalise des soins hors le consentement de son patient. Mais c'est l'exception. La règle, y compris en psychiatrie, peut-être même surtout en psychiatrie, c'est de soigner les patients avec leur accord, avec eux. Ça, ça doit être tout à fait rappelé. Et en même temps que je rappelle ça, il faut quand même rappeler que statistiquement, le nombre de mesures de soins psychiatriques sans consentement, donc d'internement, ne cesse de croître pour prendre des proportions qui deviennent tout de même assez préoccupantes et qui, à mon sens, n'ont pas que à voir avec la question de la dangerosité. de la sécurité, etc. L'essentiel des mesures d'hospitalisation sont des hospitalisations à demande d'un tiers et qui correspondent à des patients qui sont d'abord et avant tout dangereux pour eux-mêmes, qui tenteraient de se suicider, de se mettre très en danger, etc. Et il me semble que l'inflation du nombre du recours à ces mesures coercitives, en tout cas privatives de liberté, a plus à voir avec des déterminants sociaux. Des familles moins contenantes, un espace social moins contenant, un espace public moins tolérant aux variations à la norme, des dispositifs de corps intermédiaires qui sont moins présents, associations, tous les outils qui, dans une vie collective, permettent de... de tamponner, d'absorber éventuellement ces problématiques comportementales qui se délitent et qui font qu'effectivement, on se retrouve aux urgences et puis éventuellement internés.

  • Speaker #1

    Vous vouliez intervenir ?

  • Speaker #3

    De ce point de vue-là, la question du consentement justement et de l'absence de consentement sur les traitements, je pense que c'est un élément assez important. Alors qu'on parle de la question de la santé mentale, et de l'évolution de la société. Et puis moi, c'est plutôt une question que j'aimerais bien leur poser. Comment réagirez-vous, comment réagissez-vous face à un traitement que vous devez imposer sans consentement ? C'est ça, non ? Non, mais c'est vraiment une question qui me...

  • Speaker #0

    Vous savez, pour répondre peut-être sur un plan clinique... la question de l'absence de consentement par rapport à un traitement et donc de la violence que vous faites subir à quelqu'un, parce que c'est bien de cela quand même, pose la question de proportionnalité par rapport à ce que vous attendez. De nouveau, quel espoir vous pouvez avoir par rapport à la suite. Je me rappelle avoir été confronté à des situations très antithétiques, c'est-à-dire, parce que contrairement à ce qui... a été dit avant par rapport à la France, quand vous êtes dans un régime de mesures en Suisse, vous pouvez demander un traitement ordonné par la justice pharmacologique contre le gré de la personne dans le cadre de la mesure pénale. Ça, vous pouvez le faire. Si ces données, par la suite, parce que je vous décris la vraie vie, ce qui veut dire que la personne qui se retrouve dans un hôpital forensique, il y a des... des forces d'intervention qui viennent pour l'obliger de prendre une injection. C'est comme ça. Et quelqu'un qui est confronté à ça, qui voit ça, ce n'est pas, je vous assure, ce n'est pas quand même des scènes particulièrement agréables à voir. Et dans ces situations-là, vous devez vous poser la question, est-ce que ceci, une fois que la crise est passée, est-ce que ceci va changer la perspective ? Est-ce que véritablement, pour le faire simple, Le jeu en vaut la chandelle. Parce qu'il y a des situations cliniques où vous ne pouvez pas être uniquement normatif. C'est-à-dire, parce qu'une personne, je prends un exemple clinique assez classique, une personne qui est envahie par une idéation délirante, qui a une certaine vision, qui peut être une vision force du monde, qui l'habite et qui détermine ses agissements, est-ce que pour autant vous allez le traiter de force ? Il y a des situations où... Le traité de force va aboutir probablement à une péjoration de sa situation, où vous n'allez pas être efficace, parce que tout simplement le délire a une fonction économique très importante pour que l'individu puisse tenir debout. Donc là, il y a, je pense, de nouveau une responsabilité qui doit être assumée par le psychiatre. C'est une responsabilité qu'on ne peut pas déléguer à quelqu'un d'autre. Et il ne faut pas utiliser, comme la justice ne doit pas pouvoir utiliser la psychiatrie à des fins qui sont des fins détournées de contrôle social, la psychiatrie ne peut pas se dérober de sa responsabilité quand elle demande un traitement contre le gré de quelqu'un en lien avec une capacité de discernement, ne peut pas fermer les yeux sur la violence qui est infligée. Et donc il y a des fois où cette violence est nécessaire si vous avez la possibilité d'imaginer... Un bénéfice pour l'individu après, mais pas juste pour une vision qui est une vision, je dirais, normative de soins.

  • Speaker #2

    On va maintenant laisser la place aux questions du public.

  • Speaker #1

    Le micro arrive.

  • Speaker #4

    Bonjour et merci pour vos interventions très intéressantes. En fait, moi j'avais une question pour le psychiatre expert. Donc, en fait, par rapport à la société, déjà je pense, de mon point de vue, qu'il y a une méconnaissance des pratiques de soins de la psychiatrie, connaissance... du fonctionnement mental des personnes qui sont malheureusement malades de ça. Et ce qui a aussi, enfin ce qui parfois, de mon impression, donne aussi un mauvais écho à tout ça, c'est qu'en fait, quand on parle d'expertise psychiatrique, dans des situations vraiment très graves, il y a aussi les notions de contre-expertise. ou d'avis différents. Et en fait, cette expertise, elle est souvent mise à mal parce que, même au sein des psychiatres experts, il n'y a pas une unanimité. Et ça, je pense qu'au regard de la société, ça porte préjudice, quelque part, justement. cette valeur de cette expertise. Je voulais savoir quel pouvait être votre avis là-dessus.

  • Speaker #2

    Vous soulevez un point qui est tout à fait important, qui appelle plusieurs remarques. D'abord, dans la communauté des psychiatres experts, comme dans toute autre communauté, il y a probablement des médiocres, des nuls, etc. On ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Sur la question de la divergence des conclusions d'expertise que vous soulevez, J'entends bien que ça puisse donner une impression de cafouillage ou d'hétérogénéité qui est malvenue. Je crois qu'on peut aussi la regarder autrement et de dire qu'au regard de la grande complexité d'analyse de ces situations, il est heureux que parfois l'on puisse produire des conclusions. qui soit divergente. Et ça ne veut pas dire, alors souvent, évidemment, l'écho médiatique qu'on en a va être focalisé sur le fait que, oui, mais Pierre a dit bleu et puis Paul a dit jaune et Jacques a dit vert. Et donc, ils disent n'importe quoi.

  • Speaker #0

    Il faut bien entendre, reprenons l'exemple de l'affaire Alimi Traoré que j'ai évoqué tout à l'heure, qui a vu se succéder trois expertises missionnant au total sept experts différents avec des conclusions divergentes. Des conclusions divergentes, la mise en relation causale, etc. Mais en réalité, des analyses strictement identiques, des analyses complexes, techniques, mais strictement identiques. Ce qui me paraît vraiment crucial là-dedans, c'est de rappeler ce que j'ai dit. C'est que le juge n'est pas... tenu par les conclusions des experts. Il ne s'agit pas de dire que du coup, on peut faire n'importe quoi et dire tout et le contraire de tout. Mais il s'agit de dire que dans ces situations complexes, délicates, difficiles, l'appréciation qu'on peut avoir, non pas aux doigts mouillés, mais l'appréciation clinique, puis médico-légale, c'est-à-dire d'abord on regarde ce qui se passe d'un point de vue médical, puis ensuite on l'articule à des notions juridiques, cette appréciation peut varier parfois dans ses conclusions. Mais in fine, et c'est heureux, c'est le juge qui tranche. Donc à la fois, j'entends bien que médiatiquement, ça peut être regardé comme un caractère un peu clownesque de notre activité. Mais je crois qu'il faut aussi, d'un point de vue du citoyen et de la société, entendre que c'est finalement précieux qu'on puisse avoir des avis divergents, parfois complémentaires, et qui vont donner... au juge, et d'ailleurs il y a de la jurisprudence là-dessus, de la Cour de cassation, qui dit que, bah oui, parfois il y a des conclusions divergentes, mais ce sur quoi le juge devra se fonder, c'est sur, par exemple, la qualité des développements. Et une expertise qui va être balayée vite fait en deux pages, qui ne dira rien, versus une expertise en 20 pages qui sera très développée, la Cour de cassation indique que le juge du fond doit regarder d'abord aussi la qualité des développements. Donc le juge, il n'est pas juste un enregistreur de ce qui s'est passé dans les rapports d'expertise, c'est lui qui, in fine, décide.

  • Speaker #1

    Oui, merci. Merci également pour vos interventions qui étaient à la fois très riches et très complémentaires. Je voudrais revenir rapidement sur la capacité de discernement que vous avez d'ailleurs définie en commençant par... par dire qu'on ne pouvait pas la définir ou qu'elle n'était pas définissable. Mais vous avez donné des critères, notamment le critère de compréhension, les critères de raisonnement, de capacité de prendre une décision conforme à la délibération. En bioéthique et notamment en éthique clinique, on parle plus précisément d'autonomie décisionnelle. Il y a un vrai débat en bioéthique et en éthique clinique sur la question de l'évaluation. Vous allez voir, c'est une question commune à celle que vous avez posée. de l'évaluation de l'autonomie décisionnelle, aussi bien dans le soin, le patient, la patiente, même atteinte de troubles psychiatriques, a-t-elle la capacité à consentir ou non à un traitement ? Et le patient ou la personne était-elle suffisamment autonome lorsqu'elle a commis un acte criminel ? Ma question est la suivante, et peut-être en particulier au Dr Orsat, est-ce que vous avez, et elle est assez simple, est-ce que vous avez des outils ? qui en tant qu'experts psychiatres, psychiatres experts, vous permettent d'évaluer cette capacité de discerner au moment de l'acte. Je vous dis, nous en éthique clinique, on n'est vraiment pas d'accord sur 1. quels sont les outils ? 2. faut-il des outils ? Il y a débat vraiment sur la question. Moi je suis plutôt partisan de il faut des outils et pas seulement se baser sur des intuitions par exemple qu'on aurait. face au patient ou à la patiente ? Merci.

  • Speaker #0

    D'abord, une réponse en forme de boutade. Compte tenu de mes capacités en bricolage, me confier un outil est plutôt plus dangereux qu'autre chose. Et donc, ma méfiance presque persécutive à l'endroit des outils en psychiatrie en général, des outils évaluatifs en psychiatrie en général, me conduit à en écarter l'autorité. L'intérêt, non, mais en tout cas l'autorité. Et donc, c'est un avis personnel qui est partagé par d'autres, mais qui n'est pas unanime. D'autres, des psychiatres experts, recourent à des outils, c'est-à-dire notamment à des tests d'évaluation standardisés. C'est une autre discussion, à mon avis, qu'on pourrait avoir. Mais non, il me semble que la clinique psychiatrique... Et il faut le dire ici en forme de militantisme parce que ça implique la formation des internes. La psychiatrie, c'est une discipline clinique. Il n'y a pas d'examens complémentaires qui tiennent la route en psychiatrie. Il n'y a pas de dosage biologique. Il n'y a pas d'imagerie. La psychiatrie est une discipline clinique. C'est une discipline de la rencontre avec le malade ou avec le sujet. Et c'est à partir de là qu'on peut raisonner. Alors, du coup, je relis votre question. à celle que vous posiez tout à l'heure sur la question de la possibilité de consentir dans le non-consentement. Je trouve que, et c'est précisément ce que permet la loi en France, c'est que, encore une fois, l'au-delà du consentement autorisé par la loi, il est dans la question de la liberté d'aller et venir. En gros, on peut priver un malade de sa liberté d'aller et venir. Et donc, il est interné, il est enfermé. Néanmoins, on ne peut pas, en tout cas de manière durable, je vais donner quelques contre-exemples, mais on ne peut pas lui administrer des traitements de manière durable contre son consentement. Toute atteinte au corps doit être préalablement consentie. Mais en réalité, d'abord, cette question, elle se pose pas systématiquement. C'est-à-dire que finalement, vous avez... Dans le cadre de la relation thérapeutique, des patients qui sont hospitalisés sans leur consentement, à qui vous dites, bah oui, on vous garde à l'hôpital même si vous ne voulez pas, mais parce qu'on pense, et j'y reviens après d'un point de vue éthique, on pense que c'est mieux pour votre santé, et on pense d'ailleurs que vous en sortirez d'autant plus vite que vous serez stabilisé, que pour être stabilisé, le traitement qui est recommandé, c'est plutôt ça, et on va pouvoir travailler d'autres aspects, c'est-à-dire, ok, vous n'êtes pas d'accord pour être là, mais vous avez le droit, en revanche, de nous dire si vous préférez, je ne sais pas quoi, moi... avoir des visites ou pas de visite, recevoir tel médicament plutôt que tel autre, sachant que celui-ci a tels effets secondaires et tels avantages, celui-là tel autre et tel autre. Ce n'est pas parce qu'on est hospitalisé sans consentement que plus rien ne doit être consenti ni discuté. Le seul au-delà du consentement, c'est celui de priver d'aller et venir, ce qui est déjà tout à fait important, mais c'est à ça que ça se limite. Et du coup, la manière dont je le... conceptualise d'un point de vue éthique, je l'ai écrit et discuté sur notamment la question des soins ambulatoires sans consentement il y a quelques années, c'est que finalement c'est une question de temporalité. Je crois qu'on peut comprendre les choses de cette manière. À un moment donné, on va prioriser parmi les principes fondamentaux de l'éthique clinique, on va prioriser le principe de non-malfaisance et de bienfaisance un peu au détriment du principe d'autonomie. On sait qu'un malade qui est en proie à certaines symptomatologies délirantes, auto-agressives, est susceptible de se mettre très en danger et de se tuer à un moment donné. Et on va considérer que la bienveillance et la bienfaisance doivent prévaloir en étant interventionnistes et en mettant un peu de côté son autonomie, laquelle le conduirait à vouloir se tuer. Et on considère que d'un point de vue éthique, on peut dans un temps donné... d'abord prioriser certains repères pour ensuite regagner l'ensemble des déterminants d'autonomie, de bienfaisance, etc. et de participation du sujet à ses soins. Je crois qu'il se joue quelque chose là dans la temporalité et de dire à certains patients, et de l'expliquer, effectivement, présentement, on va dépasser ce qui est votre avis, mais c'est dans l'objectif qu'ultérieurement, et dans un ultérieur très proche, vous puissiez retrouver un avis qui nous paraît dans votre intérêt. Et sur les soins médicamenteux, je dirais, qui peuvent inclure d'autres types de prise en charge, là encore, le contre-exemple que je voulais donner sur le fait qu'on ne peut pas donner des traitements contre le consentement, c'est hors le cas de la grande urgence, ou la grande urgence auto-ou hétéro-agressive. très agité, qui va mettre très gravement en danger les personnels soignants ou les autres patients, ou qui va très gravement se mettre en danger dans l'imminence, dans la seconde, dans la minute, eh bien oui, là encore, pour le protéger, on pourra être amené à avoir des mesures interventionnistes. Mais encore une fois, c'est très proportionné à l'État et c'est très circonscrit dans une temporalité très précise. Je crois que c'est l'ensemble de ces paramètres qui permet de naviguer sur ces conceptions qui sont très tendues, je trouve. Bonjour,

  • Speaker #2

    merci. Il existe des cas assez nombreux probablement où le délinquant est parfaitement responsable de ses actes pénalement et civilement. Mais cependant, il présente des troubles mentaux. Il est donc incarcéré et il semble que dans les prisons françaises, il y ait au moins 20% de délinquants qui présentent des troubles mentaux et qui sont laissés pratiquement sans. traitement, sans attention particulière. Est-ce qu'il n'y a pas de solution à ce problème qui est tout de même préoccupant ?

  • Speaker #0

    Oui, alors au moins 20%, en fait, bien plus sans doute, pratiquement 50% avec un trouble catégoriel et effectivement une surreprésentation, j'avais sorti des chiffres, une grande étude, enfin... 17% de troubles psychotiques en détention. Le professeur Gaillard a rappelé hier que c'est 1% de la population générale, donc ça pose quand même certains problèmes. Quant à la solution, j'ose espérer que si elle existait, elle serait mise en œuvre déjà depuis fort longtemps. Il n'y a probablement pas une réponse univoque à votre question qui est essentielle. C'est un vrai problème qu'aujourd'hui, la prison devienne un lieu de soins. Parce que ces détenus ne sont tout de même pas laissés sans soins. Il y a trois niveaux, on va dire, de soins en détention. L'unité sanitaire, dans tous les établissements de santé, il y a une unité sanitaire avec des psychiatres. et des équipes de psychiatrie, l'hospitalisation de jour, qui s'appelle les SMPR, et puis les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, qui sont l'hospitalisation en prison pour la psychiatrie. Et donc il y a des dispositifs qui existent. Alors, totalement sous-calibrés, finalement, comme pour toute la psychiatrie en France à ce jour, finalement, ça pose d'autres questions. C'est-à-dire... Je ne sais pas quelle était votre idée de la solution, parce que si vous vous interrogez, c'est que peut-être vous avez vous-même des idées. Moi, je n'ai pas d'idée personnellement, mais j'ai en revanche une précaution, un point à souligner. C'est-à-dire que si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, alors c'est vrai que c'est utile parce qu'il y a beaucoup de malades en détention, mais si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, Est-ce que l'offre suscitant la demande, d'une certaine manière, on ne va pas toujours plus incarcérer des malades ? Il est utile d'avoir des dispositifs de soins en détention. Il est prudent de se dire que la prison n'est quand même pas un lieu de soins. Enfin, je vais problématiser ça.

  • Speaker #3

    Pour répondre un peu plus sur ça. C'est une question éminemment politique en réalité. Ça dépend quel investissement une société fait par rapport à ses prisons au niveau des soins. Des outils peuvent exister, mais même dans des systèmes qui sont des systèmes dualistes, c'est-à-dire des systèmes qui séparent les personnes qui ont des pathologies psychiatriques et qui ont passé à l'acte, non pas en lien avec leurs responsabilités, mais beaucoup plus en lien avec l'impact de la maladie mentale sur le risque de récidive, même dans ces situations en prison, il y a une accumulation de situations aiguës qu'il faut pouvoir traiter. Alors, bien sûr, on peut dire que plus on traite, plus on va mettre des personnes malades en prison, dans l'optique que l'on connaît très bien. La psychiatrie qui s'est désinstitutionnalisée progressivement, c'est-à-dire avec une diminution des lits psychiatriques, il y a une fonction d'hospice qui a été reprise par d'autres institutions, et une institution est effectivement la prison. Mais ça dépend de ce que quelqu'un peut investir là-dedans. Les unités, comme ça a été décrit en France, mais qui existent depuis environ 20-25 ans en fait, pratiquement, les unités spécialement aménagées, en réalité, les structures aiguës de soins en prison peuvent répondre assez bien à des situations de crise, mais elles doivent être très staffées et très surveillées. Et donc ça, c'est une décision de fond. Et quand on voit les différents articles qui concernent la situation des prisons en France particulièrement, mais pas seulement, il y a aussi dans notre pays la même situation, on doit se demander est-ce que collectivement, comme une société, on veut mettre plus de moyens pour traiter ce type de souffrance en prison ? Ou pas ? Parce que ça revient à ça, c'est au début et avant tout une question de moyens qu'on met à disposition. Ce n'est pas tellement le type de prison-soin, parce que pour l'aigu, La psychiatrie est assez bien armée, c'est-à-dire de comment elle peut traiter les décompensations. Mais est-ce qu'on veut véritablement le faire ? Bien sûr, on aura la tendance de dire oui, bien sûr, il faut que les politiciens le fassent. Mais quand on doit voir et on doit décider entre renforcer les soins en prison, construire une école ou une crèche, faire des investissements pour les personnes handicapées, c'est-à-dire là, le choix devient le choix cornelien. Ce n'est pas si simple à faire, il ne veut pas juste être décrété sur une idée romantique du soin.

  • Speaker #4

    Une dernière question du public ?

  • Speaker #5

    Oui,

  • Speaker #0

    bonjour.

  • Speaker #5

    Une question adressée au docteur Orsat également. Dans le cadre des expertises psychiatriques que vous réalisez, est-ce que vous avez la possibilité, le droit et le temps, de prendre attache avec d'autres intervenants pour affiner vos observations ?

  • Speaker #0

    D'autres intervenants ?

  • Speaker #5

    Vous avez qualifié des intervenants sociaux, judiciaires, sur le plan de l'insertion sociale, professionnelle ?

  • Speaker #0

    Non, on n'en a pas le droit. L'expertise psychiatrique, c'est une mission qui est ordonnée en matière criminelle, ordonnée par le juge d'instruction en personne. Éventuellement, on peut être deux, on peut être désigné à deux ou à trois experts, un collège d'experts. Mais nous n'avons pas le droit d'enquêter. Nous ne sommes pas là pour ça. Au reste, pour ce qui est de la question de l'évaluation de l'environnement social, familial, professionnel. En matière criminelle, il y a des enquêtes de personnalité qui sont diligentées, qui sont confiées à des enquêteurs de personnalité et qui sont souvent d'ailleurs très riches. De ce point de vue, on peut en revanche prendre connaissance de ces pièces lorsqu'elles figurent déjà au dossier d'instruction, lorsqu'on est désigné, parce que je ne l'ai pas indiqué. Mais l'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer un malade. D'ailleurs, parfois, c'est les mauvais. Mais les mauvais avocats essaient de nous mettre en difficulté à la cour d'assises en disant Mais enfin, docteur, vous avez passé combien de temps avec cet accusé ? Et donc, en gros, un examen psychiatrique d'expertise. Alors en France, je sais bien que d'autres moyens sont alloués dans d'autres pays, mais globalement, en France, on rencontre pour des affaires, on va dire un peu significatives, l'individu une à deux fois, en moyenne une à deux heures. Donc, effectivement, ça ne peut paraître pas beaucoup que d'avoir passé avec l'individu deux à trois à quatre heures lorsqu'il va s'agir de déterminer parfois beaucoup de son avenir. Néanmoins, ce n'est pas que ça. L'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer l'individu, c'est aussi. prendre connaissance de tout un tas de pièces qui peuvent nous être transmises par le juge d'instruction, jusqu'à y compris le dossier médical qui va parfois être saisi. Et lorsque j'ai 37 kilos de scellés pour un dossier, là je ne sais pas si vous comprenez, des énormes cartons dans mon bureau, mes patients m'ont demandé si je déménageais. C'est aussi ça qui va nous aider dans notre analyse. C'est les pièces de l'instruction, y compris par exemple les interrogatoires par les enquêteurs sur le moment. C'est-à-dire parfois les individus sont interpellés. et auditionner immédiatement. Et on voit dans les auditions des éléments langagiers qui orientent vers des décompensations de maladies psychiatriques. Là où, quand on le voit une année après, parfois l'individu est bien stabilisé. Donc c'est toute une cohorte d'éléments qui nous permet d'avancer dans notre raisonnement, mais qui sont des éléments de procédure, qui figurent au dossier, qui doivent respecter le principe du contradictoire. Tout le monde a connaissance de ces éléments, sauf les scellés médicaux, bien sûr. Et en revanche, on n'est pas en relation avec d'autres personnes. On peut éventuellement, sous couvert de la procédure, s'allouer les services d'un sapiteur, c'est-à-dire d'un autre médecin expert dans une autre discipline. Ça arrive parfois en neurologie. Quand je pense à un dossier dans lequel j'ai eu un doute sur la question de l'épilepsie, évidemment, je n'y connais rien. Et donc, j'ai sollicité un sapiteur neurologue. Mais en revanche, on n'est pas amené à rencontrer la famille, à enquêter sur le plan social. C'est vraiment le rôle de l'enquêteur social.

  • Speaker #6

    Je m'occupe juste du privilège d'une ultime question subsidiaire. Désolé pour le public, mais on a vu tout en haut de la chaîne alimentaire ou de la pyramide des responsabilités. Il y a le juge. Comment les gens ? Moi, j'ai passé six mois en psychiatrie. Je suis médecin et je me sens totalement incompétent pour me prononcer quand je suis face à des patients un peu dissociés ou quoi que ce soit. Comment sont formés finalement les juges ? Qu'est ce qu'ils ont comme formation pour pouvoir ? Être tout au bout et prendre une décision en acceptant ou pas finalement le diagnostic du psychiatre ?

  • Speaker #4

    Alors les juges, la formation se fait dans le cadre de l'école nationale de magistrature et je pense qu'il y a un module de formation justement en psychiatrie d'ailleurs, non, sur des soins en psychiatrie. Et donc ils ont déjà une vision peut-être ? très partiel de la profession, de la façon de l'expertise, notamment sur les questions d'expertise. Mais il y a aussi, comme je le disais tout à l'heure, le juge doit décider selon des fondements objectifs. De toute façon, il ne peut s'en tenir qu'à la loi. C'est la première chose qui le garantit, qui lui garantit un certain format d'objectivité, pas qu'à la loi au sens, au cadre légal, pardon, au cadre légal qui est fixé. L'expertise... également fait partie des observations que le juge peut prendre également en considération. Et surtout, bien sûr, c'est l'effet sur lequel il doit se prononcer. Donc je ne pense pas qu'il y ait une seule façon de procéder, c'est que des éléments objectifs en fonction de chaque espèce que le juge doit prendre en considération. Et notamment, comme vous l'avez à juste titre rappelé à plusieurs reprises, c'est que le juge n'est pas tenu de suivre. de suivre les expertises qui sont données. Il peut prendre d'autres considérations, le contexte familial, le contexte social de l'individu. Et ce qui est intéressant, d'ailleurs, c'est pour cela, je vous ai reposé la question tout à l'heure, puisque cela m'interpellait, c'est aussi, il a toute la fonction de la peine pénale. C'est quand même, et ce n'est pas une peine d'exclusion. C'est une peine justement de l'isoler l'individu de la société, le temps de réparer la faute qu'il a commise, donc le tort à la société. Mais ensuite, il faut également le penser dans une dimension de réinsertion, de réintégration dans la société. Et donc peut-être c'est aussi un phénomène que le juge doit prendre également en compte. Après, avec ces risques et les questions de responsabilité, de récidive et de sécurité juridique par rapport à l'ordre public, qu'on a également évoqué. Donc, pour cela, c'est quelque chose qui m'avait interpellée, ce qui expliquait que, par rapport à votre témoignage, je m'avais suscité cette interrogation, comment fait-on d'un individu qu'on isole, qu'on traite, mais en même temps, par la suite, il faut penser aussi à son insertion sociale. Voilà, après, il faut aussi prendre en considération cela. Oui, oui.

  • Speaker #3

    Cela dit, vous posez une question assez importante et aussi une perspective d'avenir, c'est-à-dire la notion de la formation continue qui peut être donnée au juge par rapport à la communauté du langage, ou en tout cas un langage qui peut paraître moins cryptique, allergique, qui peut s'apprivoiser quand même aussi les nuances. Il y a aujourd'hui des outils, typiquement on a mis en place des formations de type CAS conjointes entre les juristes et... les psychiatres pour pouvoir favoriser ce type de communication. Bien évidemment, chacun a sa particularité, mais je suis d'accord à l'idée de fond qu'il faudra quand même que l'un apprivoise la réalité de l'autre pour pouvoir collaborer, pas seulement dans le cadre de l'expertise, mais dans le cadre aussi de l'exécution d'une peine et d'une mesure. Donc ça, c'est une perspective sur laquelle l'éducation, la formation, est une perspective sur laquelle il faut s'arrêter un moment, il faut véritablement investir, à mon sens.

  • Speaker #0

    Tout en gardant quand même peut-être à l'esprit un des aspects que j'ai essayé de développer, c'est-à-dire que, imaginez que vous dites qu'ayant passé six mois d'internat en psychiatrie, vous vous sentez, oui, j'ai passé quatre ans d'internat et puis maintenant plus de dix ans d'expérience clinique. Et au fond, la seule certitude que j'ai, c'est que je ne sais pas. Et donc, c'est aussi ça qui est important. Et je trouve que c'est là où l'office du juge est important. C'est que le juge, il ne juge pas. la matière, enfin il ne juge pas, je veux dire, la folie, etc. Il a précisément à ne pas savoir ce que c'est que la folie et la maladie psychiatrique, qui restent des choses très complexes, et s'imaginer que ce serait toujours dans un degré supérieur d'expertise, de technicité qui permettrait de dire, de discriminer tel ou tel trouble, tel ou tel niveau de responsabilité, c'est comme ça qu'on s'en sortirait. Je crois que précisément, c'est comme ça qu'on s'enfermerait. Donc oui, le juge ne sait pas ce qu'il y a dans le cadre de la folie, pas plus que le psychiatre. Ce qui est important, c'est de savoir qu'on ne sait pas.

  • Speaker #4

    Merci beaucoup pour ce très beau mot de la fin. Je vous remercie chacun d'entre vous pour la qualité de cette table ronde. Et je laisse la parole à notre président pour annoncer la suite.

  • Speaker #6

    On se retrouve tout à l'heure à 14h, toujours en direct et à la salle de l'Aubette pour la folle histoire de la créativité. Merci à vous tous. A tout à l'heure.

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Description

Forum Européen de Bioéthique 2025 : Santé mentale & Bioéthique


Santé mentale, justice et libertés


La santé mentale, la justice et la liberté forment un triptyque complexe où les droits individuels et les impératifs de sécurité publique se côtoient et parfois se percutent : stigmatisation, enfermement, injonction thérapeutique, contraintes physiques, vidéosurveillance, responsabilité, expertise, discernement et politique de santé. En focalisant le débat sur une population vulnérable, celle des patient.es atteint.es de troubles mentaux, c’est l’ensemble de notre justice que l’on interroge.


Maria Fartunova Michel, Titulaire de la Chaire Jean Monnet EUBioethics, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine / IRENEE


Panteleimon Giannakopoulos, Professeur ordinaire au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine, Médecin-chef du Service des mesures institutionnelles aux HUG, Directeur général de l'Office cantonal de la santé (OCS) du canton de Genève


Manuel Orsat, Docteur Manuel ORSAT, Psychiatre, Expert près la Cour d’Appel d’Angers, Secrétaire Général de la Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les Cours d’Appel



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour, bienvenue à tous qui vous êtes rendus sur place ce matin dans la salle de l'Aubette, mais qui sont aussi nombreux derrière leurs écrans en streaming. Bienvenue à cette première journée du Forum européen de bioéthique, qui cette année est consacrée au thème santé mentale et bioéthique. Je vais laisser la parole à Monizan, qui va modérer cette table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté

  • Speaker #1

    Merci Aurélien. Nous ouvrons ce matin cette nouvelle édition du Forum européen de bioéthique avec une première table ronde qui a la particularité de traiter la question de la santé mentale du point de vue de l'individu, bien sûr c'est ce qu'on fera chaque jour dans ce forum, l'individu jugé ou condamné alors qu'il est atteint d'une éventuelle pathologie psychiatrique, mais également du point de vue de la société qui demande à être protégé de certains troubles dangereux et qui sont dangereux pour les autres. Alors nous aborderons ces prochains jours la question des soins prodigués en santé mentale et du système de soins qui se porte plus ou moins bien. Ce matin on va naviguer à la lisière entre le système de soins et le système pénal, allant de la décision judiciaire qui détermine si un individu peut être jugé et faire l'objet d'une sanction pénale, à l'organisation des soins psychiatriques pour les personnes détenues. Nous évoquerons également les alternatives à l'incarcération pour les personnes qui souffrent de troubles sévères. et peut-être aussi de la surreprésentation des troubles psychiatriques en milieu carcéral. La question de la santé mentale se pose à toutes les étapes du parcours judiciaire. On va aborder, je pense, ce matin chacune de ces étapes. Avant de juger, comment la justice peut-elle passer face à la personne qui, atteinte d'un trouble psychiatrique, commet un crime ou un délit ? Qu'est-ce que l'irresponsabilité pénale ? Dans quel cas les personnes sont-elles déclarées inaptes à être jugées ? Le droit pénal français distingue les notions d'abolition et d'altération du discernement. À quoi cela correspond-il ? Quelles sont les conséquences d'une telle distinction ? Comment on expertise pour savoir dans quelle situation l'on est ? La question de la santé mentale se pose également au moment de décider de la sanction pénale. Les sanctions pénales peuvent tenir compte de l'existence de troubles, soit parce que les juges vont décider d'amoindrir les sanctions, parce qu'ils vont les aménager, par exemple en ordonnant des soins, notamment lorsqu'il s'agit d'infractions à caractère sexuel. Le sujet de la santé mentale est également présent lorsque la sanction est exécutée. Et c'est la question de la santé mentale en milieu carcéral que nous aborderons sûrement aussi demain, lors de la table ronde santé mentale et isolement. Mais la justice intervient aussi lorsqu'aucune infraction n'a été commise. Et là, il ne s'agit pas de protéger la société, mais uniquement l'individu. privé de liberté en raison de son état de santé. C'est le cas des personnes hospitalisées sans leur consentement, puisque depuis 2011, le contrôle de ces hospitalisations est confié au juge des libertés et de la détention. Nous en parlerons bien évidemment ce matin. Pour évoquer toutes ces questions, qui sont nombreuses, ou en tout cas certaines d'entre elles, nous recevons ce matin Maria Fortunova Michel, titulaire de la chaire EU Bioethics, maître de conférences à l'Université de Lorraine. Nous recevrons également... Pantelemon Giannakopoulos, professeur de psychiatrie, directeur général de l'Office cantonal de la santé du canton de Genève et directeur médical de la prison-hôpital pour détenus dangereux Curabilis, ou ancien directeur, vous nous direz. Je crois que vous avez récemment changé de poste. Et enfin, Manuel Orsat, psychiatre, expert prêtre de la Cour d'appel d'Angers, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Pour commencer cette table ronde, je vais laisser la parole à Maria Fortunova-Michel. Nous vous écoutons.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Tout d'abord, j'aimerais adresser mes remerciements à Aurélien Benoît-Lide, à Raphaël Bloch et à Maud Nison, qui m'ont invité encore une fois pour une deuxième année consécutive à participer au Forum européen de bioéthique dans le cadre du partenariat que nous allons renforcer notamment au niveau de l'Université de Lorraine, puisque le Forum européen de bioéthique est un partenaire de la chaire Jean Monnet. financé par la Commission européenne dont je suis la titulaire. Donc aujourd'hui, je vais vous présenter la thématique de la santé mentale à travers le triptyque qui constitue la problématique bien sûr de cette matinée, le triptyque santé mentale, justice et liberté. Et c'est une formulation qui, à mon sens, n'est pas affirmative, mais davantage interrogative. De manière... tout à fait classique, on doit s'interroger quels sont les rapports entretenus entre ces différents termes. Doit-on les penser de manière frontale en ce qu'ils opposent les droits individuels, la liberté de l'individu, aux impératifs de sécurité publique, donc l'ordre public et l'intérêt collectif, et surtout, comment déterminer le curseur où on doit se placer selon les circonstances de chacun. La méthode aussi se triplique. L'éthique interroge également sur la méthode. Quel focal choisir comme principal étalon d'observation ? Selon qu'on chance les lunettes de la santé mentale, de la justice et de la liberté, l'approche ne sera pas nécessairement la même. Tout d'abord, si on chance les lunettes de la santé mentale, on va penser directement à la politique de la santé et son évolution dans un contexte social et politico-juridique. D'un point de vue de la liberté, On se placera bien sûr du côté de l'individu, de ses droits individuels, mais également de l'exercice de sa liberté politique au sein de la société. Et enfin, d'un point de vue de la justice, bien sûr, on pense en premier lieu à l'institution du juge, son rôle comme arbitre, pour arbitrer le conflit potentiel qui peut exister entre la protection de l'individu dans sa liberté et derrière les impératifs d'ordre public. Et enfin... En s'agissant de la justice, il y a également cette conception de justice sociale, à laquelle fait référence la dernière phrase de la problématique de cette matinée. Dans ces cas-là, la justice sociale sera pensée comme une construction morale et politique fondée sur le principe d'égalité, de solidarité et d'équité. Le choix principal que je vais faire pour cette présentation rapide, c'est un choix discrétionnaire imposé. par le thème central du forum cette année, donc le concept de santé mentale. Dès lors qu'on prend la focale de la santé mentale, les rapports entre santé, liberté et justice seront étudiés dans une approche globale, tant au chelon national, mais aussi européen, voire international, puisqu'il faut quand même le rappeler. La première définition qui a été donnée à la santé mentale revient à l'Organisation mondiale de santé dès les années 1948. Et donc une approche séquentielle de la littérature scientifique et des rapports officiels permet de rendre compte sur ce point que le concept de santé mentale est aujourd'hui banalisé dans son usage. Il n'est plus nécessaire de le mentionner, mais il apparaît de manière fonctionnelle comme un référentiel des pratiques et des discours, un référentiel des pratiques et des discours dont le contenu, dont la construction se fait selon les représentations sociales du moment. Donc ces deux aspects-là, je vais vous les présenter assez rapidement pour vous démontrer l'évolution, l'émergence de ce concept de santé mentale comme référentiel des pratiques et des discours, quelles sont les conséquences sur le plan social, politique et juridique. Et ensuite, quelles sont les perspectives d'évolution compte tenu de l'évolution des représentations sociales ? Alors, la santé mentale en tant que référentiel des pratiques et des discours, il s'agit bien sûr de la construction d'un tel référentiel. Et la construction d'un tel référentiel se fait d'un point de vue historique. D'un point de vue historique, les travaux et la doctrine s'accordent sur le point de savoir. que cette construction se fait clairement grâce à l'évolution de la prise en compte de la santé mentale, non seulement au niveau social, mais aussi juridique. Cette évolution est marquée par le passage d'une approche négative, centrée exclusivement sur l'aliénation et la maladie, vers une perception plus objective, c'est-à-dire pas seulement l'individu, mais aussi les facteurs qui ont une influence sur sa santé mentale. Et sur ce point, l'exemple de ce qui se passe actuellement au niveau de l'Union européenne est particulièrement éclairant. La question de la santé mentale apparaît dans les conclusions et dans des textes non contraignants de l'Union européenne depuis 1999, où la santé mentale a été explicitement reliée à une intervention ponctuelle, sectorielle de l'Union européenne sur des questions de santé, de la mise en place de la santé de l'Union européenne. Mais jusqu'en 2023, on constate un changement véritable de méthode. puisque la Commission européenne va publier en 2023 sa communication relative à l'approche globale en matière de santé mentale. Et là, dans cette approche globale de santé mentale, plusieurs actions vont être envisagées. Et ces actions sont exactement les mêmes que l'on retrouve également dans les discours et dans les plans d'action au niveau national, y compris notamment en France. Merci. Pouvoir la bonne santé mentale, investir dans la formation et le renforcement des capacités, assurer une bonne santé mentale au travail, protéger les enfants et les jeunes, répondre aux besoins des groupes vulnérables, montrer l'exemple à l'échelle internationale, notamment grâce au soutien dans les situations d'urgence humanitaire. Tout cela converge vers un phénomène, vers un constat, selon lequel la santé mentale est devenue aujourd'hui un objet politique public et qui, contrairement à ce que l'on pensait, paraît bien déterminé. C'est-à-dire, on peut identifier les critères objectifs sur lesquels se construit cette approche globale de santé mentale en tant qu'objet de politique publique. Et cela contrairement à ce qu'on peut penser lorsqu'on lit l'indétermination de la définition en données. dans le cadre de l'OMS. Et sur ce point, je rejoins les travaux de l'historien et philosophe Claude-Olivier Doron, selon lesquels la santé mentale apparaît aujourd'hui selon une conception très précise des rapports sociaux de l'individu en développement et des liens affectifs. Donc, cette nouvelle approche de la santé mentale met en exergue tout un ensemble de relations entre sujets individuels. Et à partir de là, il faut quand même s'interroger comment le droit et la société vont répondre à cette nouvelle conception. Bien sûr, le droit se saisit. Il se saisit de ce phénomène, de cette nouvelle conception de l'objet santé mentale en tant qu'élément important de la politique publique. Mais l'objet santé mentale reste. a un réflexe, en quelque sorte, un caractère diffus. On ne peut pas l'appréhender par le haut, mais aussi par le bas. Ce que la doctrine tente d'expliquer par une nouvelle façon de penser le biopouvoir ou les biopolitiques, notamment en modifiant la façon de procéder. C'est-à-dire, on ne va pas intervenir sur un ensemble de dispositifs biopolitiques, je cite, de sorte à modifier, améliorer. réguler les conditions concrètes d'existence des sujets, agir sur leur milieu de vie, par exemple, ou sur la répartition de revenus. Mais ici, il s'agira davantage, et je cite encore une fois, de penser ce phénomène en tant qu'une biopolitique des émotions et des affects. En quelque sorte, on assisterait aujourd'hui, grâce à cette évolution de la conception de la santé mentale, d'une politisation de la vie. ce que les sciences humaines dont se saisissent aujourd'hui de manière assez importante les sciences humaines et sociales. Quels sont ces caractères objectifs qui peuvent identifier cette conception ? C'est la prévention, anticipation, identification des groupes et des situations de crise, surtout non pas par rapport à l'individu. isolé, mais par rapport à l'individu dans son processus de développement. Toutes les phases de son développement et l'identification des périodes de crise où sensiblement un phénomène extérieur peut venir perturber la santé mentale. Et quand on regarde les différents instruments qui sont pris dans ce cadre, on constate que ce catalogue devient de plus en plus fourni, y compris par exemple le postpartum. et le plan d'action qui est revendiqué au niveau de l'Union européenne, mais aussi auquel le droit et le juge vont être particulièrement attentifs. La réponse juridique est bien sûr celle de la logique juridique. La catégorie des personnes, donc la catégorisation, on aura d'un côté la minorité, personnes âgées, personnes en situation irrégulière, Mais également, on va prendre en compte l'environnement dans lequel se trouve l'individu. Et dans ces cas-là, l'objectif de l'objet de santé mentale va se traduire en droit individuel. L'exemple le plus classique, c'est la prise en compte du trouble mental, de la question de l'handicap. Et tous ces éléments vont se poser devant le juge dans un cas concret. Et le juge sera obligé d'en tenir compte dans une appréciation. inconcrétant et circonstancié. C'est la raison pour laquelle la santé mentale en tant que référentiel est nécessairement liée aux représentations sociales. J'arrive à ce deuxième point que je vais développer de manière assez rapide puisqu'il s'agit ici simplement de détailler ce que je viens de préciser. Alors les représentations sociales, elles ont contribué à l'évolution de la conception de la santé mentale, explique qu'elles ne sont plus exclusivement liées aux troubles mentaux, à la maladie. Il s'agit encore une fois d'une objectivation de santé mentale en tant qu'un état général de l'individu. Et les représentations sociales, si on juge les différents textes, mais également les interventions législatives, se construisent autour de deux idées. la stigmatisation et l'inclusion sociale. La stigmatisation est un élément assez classique dès lors qu'on parle de la santé mentale et qui est souvent reliée à la question de la discrimination et d'exclusion. L'évolution de ces trois concepts se retrouve bien sûr dans la notion de vulnérabilité qui change elle aussi d'objet. La vulnérabilité aujourd'hui est objectivée en ce sens où, je cite, sous l'angle de droit, la personne vulnérable est celle qui n'est pas en mesure d'exercer les attributs de la personnalité juridique, c'est-à-dire une personne qui, dans un contexte donné, ne peut, en droit ou en fait, jouir de l'autonomie suffisante pour exercer pleinement ses droits fondamentaux. Et si... En ce sens, la protection de la vulnérabilité devient une obligation à destination de l'État, de la société et de l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire un devoir de résilience et aider l'individu en situation de vulnérabilité à surmonter son état. C'est aussi le deuxième et dernier point de mon intervention, la question de l'inclusion sociale. Et sur ce point, le juge aujourd'hui est devenu un acteur. directeur, arbitre de ce phénomène, puisque lui, dans ses décisions assez concrètes, doit tenir compte de tout ce phénomène d'évolution. Et il y a un exemple qui est très frappant, cette fois-ci, qui est rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en juin 2024, au sujet de l'attribution du statut de réfugié, donc des femmes. Dans cet arrêt, la Cour de justice qualifie l'émergence d'un certain groupe social en tant que motif de persécution, susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié, les femmes ressortissant d'un pays tiers, y compris mineurs, qui partagent comme caractéristiques communes leur identification effective. à la valeur fondamentale de l'égalité entre les femmes et les hommes intervenus au cours de leur séjour dans un État membre. En ce sens, on retrouve cette approche de la justice sociale fondée sur l'égalité, l'équité et la solidarité. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Je passe la parole à Manuel Orsat. Je rappelle que vous êtes psychiatre et surtout, et c'est là le point très intéressant pour nous éclairer, expert près la Cour d'appel danger, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Nous sommes intéressés de savoir comment, en tant qu'expert, vous apportez votre concours à la justice.

  • Speaker #0

    Merci Maître. Mesdames, Messieurs, je me joins en remerciement de mon prédécesseur pour cette invitation. Effectivement, je propose d'intervenir, vous m'avez invité dans le cadre de ces fonctions de représentation de l'expertise psychiatrique et on va nécessairement plutôt parler de l'expertise psychiatrique pénale. C'est une chance pour moi d'être invité à un tel forum puisque... Et finalement, comme on se le disait hier soir, on a plutôt l'habitude de colloques entre professionnels. Et finalement, la possibilité de s'ouvrir à la société est un aspect sans doute fondamental de la question de l'expertise psychiatrique pour la justice. Alors finalement, vous avez fait le choix d'ouvrir ce forum sur une question qui... Même d'un point de vue éthique, me semble devoir poser question, c'est-à-dire au fond la dimension judiciaire, carcérale, pénale de la maladie psychiatrique et de la psychiatrie en général. Alors, il est vrai que la psychiatrie est à n'en pas douter la discipline médicale qui a le plus d'interconnexion avec la justice, que ce soit au travers des soins psychiatriques sans consentement, de l'évaluation et de la protection des... des personnes vulnérables, des questions de dangerosité, de soins en détention et donc de l'expertise psychiatrique. Pour reprendre enfin et pour m'inscrire naturellement dans le sillage de certains des propos de l'un de mes maîtres qui donnait la conférence d'ouverture hier, le professeur Gaillard, il est certain que les maladies mentales sont sans doute parmi les maladies celles qui font le plus peur. Elles font le plus peur à raison puisque la souffrance qu'elles induisent est immense. La peur, l'angoisse sont d'ailleurs des symptômes assez constamment retrouvés chez les patients affectés de troubles psychiatriques. Elles font peur à raison parce que les prises en charge qu'on peut proposer sont limitées dans leur efficacité, qu'il s'agisse à la fois des prises en charge chimiothérapiques dont on sait qu'elles ne sont pas... la panacée et puis les prises en charge en général, quand on sait aujourd'hui l'état de déliquescence du système de santé psychiatrique dans notre pays. Mais elles font vraisemblablement aussi peur à tort, à tort lorsqu'il s'agit d'avoir peur des malades mentaux en eux-mêmes. D'abord parce que, et je crois que puisque ce forum s'ouvre sur cette session, il faut d'abord rappeler que les patients atteints de troubles psychiatriques sont premièrement victimes à la fois du stigma dont il a été parlé, dont je redirais un mot, mais également victimes, y compris d'agressions violentes, la situation sociale, de précarité, la difficulté à appréhender le risque, etc. Ce sont des facteurs qui exposent davantage à la victimation les patients atteints de troubles psychiatriques. atteints de troubles psychiatriques. En outre, il est vrai et c'est scientifiquement démontré qu'un certain nombre de pathologies psychiatriques sont associées à des passages à l'acte violents. Néanmoins, il est tout aussi vrai que les déterminants de ces passages à l'acte violents chez les patients atteints de troubles psychiatriques sont des déterminants finalement basiques ou je dirais génériques, c'est-à-dire les mêmes déterminants qui font passer à l'acte les personnes qui ne présentent pas de troubles psychiatriques ou mentaux, c'est-à-dire notamment l'usage de substances psychoactives, c'est-à-dire aussi des traits de personnalité particuliers, mais qui ne relèvent pas de la maladie psychiatrique. Peur dans la population générale a tort aussi, puisque probablement les craintes qui sont générées par les troubles psychiatriques et mentaux relèvent de ce que... Nous avons collectivement une difficulté avec l'écart à la norme, laquelle difficulté ne repose sur rien de rationnel naturellement. Parmi les rôles sociaux du psychiatre, je dirais qu'expliquer ce qui paraît fou, incompréhensible, invraisemblable, essayer de remettre du sens lorsqu'il n'y en a plus, sont ceux qui me tiennent le plus à cœur. Je crois qu'on pourra en dire quelque chose dans la fonction du psychiatre expert. Mais c'est avant tout demeurer humble dans la capacité à se faire entendre. dans la polysémie du verbe entendre, qui me semble être au devant de la pratique psychiatrique. Alors, tenter de dire ce qui ne veut pas ou ne peut pas être entendu, tel est un des offices du psychiatre expert, et c'est ce que je vais essayer de vous expliquer. D'abord, qu'est-ce que c'est que l'expertise psychiatrique pénale ? C'est essentiellement, même s'il en existe d'autres, mais mon propos se focalisera sur celle-ci, c'est ce qu'on appelle l'expertise de responsabilité, laquelle intervient dans de nombreuses situations de procédure. Elles sont prévues par la loi afin d'éclairer le juge sur le degré de responsabilité d'un sujet auquel on pourrait imputer une faute. On va demander au psychiatre expert, au fond, d'éclairer le juge sur un domaine dans lequel il n'a pas compétence. Le juge n'est pas médecin, il n'est pas psychiatre. Et c'est au fond, bien là, la seule mission du psychiatre, c'est-à-dire apporter des éclairages au juge et certainement pas davantage. Le juge n'étant jamais tenu par les conclusions d'un expert, son office à lui, c'est de juger et donc certainement pas d'enteriner. des conclusions d'expertise. Ça, c'est pour dire la limite au fond de ce que l'exercice de l'expertise psychiatrique est. Au centre de la question de l'expertise psychiatrique de responsabilité se pose la notion de discernement en droit français prévu à l'article 122 du Code pénal. Et donc, il va être demandé aux psychiatres experts de... procéder à un examen clinique de la personne mise en cause, au fin d'évaluer ce discernement. D'emblée, puisque nous parlons éthique et que nous réfléchissons, peut-être d'un point de vue dialectique, on pourra tout de suite souligner qu'il n'existe pas de définition du discernement, ni du côté de la psychiatrie, ni du côté de la justice. Il s'agira donc pour le psychiatre de répondre à une question d'une certaine manière, n'existe pas vraiment dans les référentiels. Il n'y a pas de définition du discernement, mais comment se tire-t-on sur ce que cela pourrait être ? Au fond, on considère qu'être doué de discernement, c'est être capable de comprendre la situation dans laquelle on se trouve. Ça nécessite d'avoir certaines compétences en matière de sens, par exemple, voir, entendre, se saisir de ce qu'il se passe. C'est également dans un deuxième temps être en capacité d'analyser ce qu'on a perçu et compris de la situation dans laquelle on se trouve. Et c'est enfin ajuster ses comportements, ses raisonnements, ses actions au regard des deux précédents temps que je viens d'énoncer. Il se trouve que dans certaines situations de pathologie psychiatrique ou mentale, ces capacités, à quelque temps que ce soit, peuvent se trouver. partiellement ou complètement entravée. Partiellement, c'est ce qu'on appelle l'altération du discernement. Complètement, c'est ce qu'on appelle l'abolition du discernement. L'abolition du discernement ayant quand même une conséquence majeure si elle est retenue par le juge, c'est qu'elle entraîne l'irresponsabilité pénale de la personne mise en cause et dès lors que l'on n'est pas responsable pénalement, on ne peut pas être sanctionné. Alors, naturellement, au regard de ce que je viens de commencer à énoncer, on voit d'emblée, et puis on le sait, vous le savez, on voit poindre des fantasmes et des représentations erronées autour de cette question posée au psychiatre. D'abord, comment est-ce qu'on fait pour avoir un avis, quand on est médecin psychiatre, sur les éléments que je viens de détailler ? Ensuite, dans quelle mesure on ne peut pas... feindre, enfin faire semblant, mimer des troubles qui viendraient comme cela faire croire qu'on est atteint d'une pathologie psychiatrique pour échapper à la justice puisque l'abolition du discernement entraîne l'irresponsabilité pénale. Bon, je voudrais démystifier d'emblée tout cela. L'examen psychiatrique d'expertise est un examen somme toute assez simple qui est l'examen psychiatrique que réalise... psychiatre au quotidien et qui permet de bien identifier certaines manifestations, certains symptômes, de les articuler les uns aux autres pour éventuellement comprendre une maladie caractérisée et puis ensuite dans un temps second de raisonner au moment des faits puisque la loi nous impose de raisonner au moment des faits enquêtés ou instruits. En effet on peut être affecté d'une maladie psychiatrique ou mentale chronique c'est assez fréquent. Mais les maladies chroniques ne s'expriment pas de manière longitudinale. Elles peuvent parfois être très exacerbées et parfois tout à fait silencieuses. La question qui est posée à l'expert, c'est précisément au moment des faits de savoir si la maladie s'exprimait et dans quelle mesure elle avait une relation avec les faits. Il est important ici de souligner, et c'est une particularité, alors pas exclusive, mais c'est une particularité du droit français. que la loi ne prévoit pas de liste de maladies psychiatriques ou mentales qui viendraient par principe altérer ou abolir le discernement. Ce n'est pas le cas dans d'autres lois, y compris en Europe. De sorte que... Présenter certaines maladies psychiatriques ou mentales qui parfois sont sévères, des troubles schizophréniques, des troubles bipolaires, d'autres types de troubles de l'humeur, n'est pas en soi un critère qui va à priori interférer avec le discernement. De notre point de vue, c'est à défendre. C'est une particularité de notre droit à défendre. Car en effet, comme je viens de l'indiquer à l'instant, l'évolution des maladies psychiatriques fait qu'à certains moments, on peut être en... pleine possession de ses moyens et puis à d'autres moments ne l'être pas. Ce sont effectivement les manifestations cliniques et non pas une maladie au sens de diagnostic qui vont déterminer l'analyse au moment des faits de la relation entre ces manifestations et le passage à l'acte. Alors pourquoi c'est essentiel de faire cette part à l'analyse de l'état psychique d'un individu au moment où il passe à l'acte ? Je pense que ça s'articulera avec le propos de l'orateur suivant. C'est essentiel parce que dans nos sociétés et depuis le droit romain, nous donnons pour axe fondamental que l'on doit préférentiellement soigner les patients atteints de troubles psychiatriques plutôt que les punir. Il est constant que notre préoccupation est de permettre une bonne orientation vers les soins. C'est l'expression d'une forme d'humanisme des soins, d'orienter vers les soins les patients atteints de troubles mentaux, même si à un moment donné ils ont pu commettre une infraction, davantage que de les sanctionner, puisque cela n'aurait pas de sens. On pourra y revenir. Alors je voudrais à ce moment-là, et on en avait parlé en préparant la session, déconstruire quelque chose que l'on peut associer à ce qu'on appelle parfois une forme de populisme pénal. Au regard de ce que je vous ai dit, on pourrait se dire finalement, et d'ailleurs on le dit parfois dans les médias lorsqu'il est question d'affaires souvent un peu sulfureuses, certains ont parlé, en l'espèce sénatrice, il y a quelque temps dans le... Le prolongement d'une affaire médiatique, qui est l'affaire Alimi Traoré, avait parlé d'impunité psychiatrique, dans le sens où harguer de présenter un trouble psychiatrique au mental au moment où on passe à l'acte, en l'espèce un acte criminel, pourrait faire échapper, au fond, à la justice. Et donc il y aurait, comme ça, des gens qui échapperaient à la sévérité de la justice en faisant valoir qu'ils présentent des maladies psychiatriques au mental. Alors moi je laisse à chacun la possibilité de croire à ces choses là, mais je voudrais vous énoncer quelques éléments assez factuels que sont les statistiques de la justice pour vous faire une petite idée de ce que c'est que l'irresponsabilité pénale en termes de chiffres. Désolé, c'est un peu épais, mais ça me semble très éclairant. En France, il y a en moyenne chaque année 30 000 règlements d'information, c'est-à-dire que les juges d'instruction ferment 30 000 dossiers par an. Ils vont au terme de leur instruction pour 30 000 affaires chaque année. Parmi ces 30 000 règlements d'information, 7 000... Ce solde par ce qu'on appelle un non-lieu, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de poursuite parce que le juge d'instruction n'a pas réuni suffisamment d'éléments pour pouvoir amener son dossier devant une juridiction de jugement. 30 000 informations réglées, 7 000 qui ne vont pas aller devant une juridiction de jugement et parmi ces 30 000, dont 7 000 ne vont pas être jugées, parmi ces 7 000 qui ne vont pas être jugées, 200... ne le sont pas pour des raisons d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble psychiatrique. C'est-à-dire que chaque année en France, 200 personnes échappent à la justice sur 30 000 règlements d'information. On parle d'information judiciaire, donc je ne parle pas d'enquête préliminaire ici, mais c'est pour vous indiquer qu'en réalité, 0,6% des règlements d'information judiciaire se soldent par une irresponsabilité pénale pour trouble mental. 0,6%, chacun appréciera si c'est beaucoup, si ça représente de l'impunité psychiatrique ou si c'est anecdotique. Pour ce qui me concerne, j'estime que c'est particulièrement anecdotique et je l'estime d'autant plus dans un raccourci, peut-être pourrons-nous en discuter, que l'épidémiologie des troubles psychiatriques dans les prisons françaises témoigne de ce qu'en réalité on oriente bien davantage vers la... prison les personnes commettant des infractions et présentant des troubles psychiatriques que vers l'hôpital psychiatrique. On pourra en redire un mot, y compris sur le plan statistique. Alors, quels sont au fond les enjeux de l'expertise psychiatrique lorsqu'on regarde un petit peu ce panorama que je viens de vous indiquer ? Il me semble que l'exercice de l'expertise psychiatrique pénale, c'est celui d'une mise en tension permanente des valeurs, notamment si on le regarde sous le champ. de l'éthique. Parce qu'il s'agit d'abord pour le psychiatre, avant tout, peut-être j'aurais dû commencer par ça, un psychiatre expert, notre compagnie est mal nommée, elle s'appelle compagnie des experts psychiatres, mais nous sommes en réalité psychiatres experts, l'ordre des mots importe. Un psychiatre expert c'est avant tout un médecin, un médecin psychiatre qui a une pratique médicale et soignante et qui met... soit au service de la justice les compétences qu'il a acquises et son expérience. Mais ce n'est évidemment pas naturel, je dirais. Il s'agit d'une mise en tension ici que de collaborer à l'œuvre de justice avec tous les risques d'amalgame et d'instrumentalisation que cela pourrait représenter. Il n'est pas rare dans d'autres... pays et dans d'autres régimes politiques, naturellement, que la psychiatrie soit convoquée par les semblants de justice pour venir. On le sait, l'histoire nous l'a enseigné, mais l'actualité encore dans certains pays, pas forcément très éloignés d'ici, nous montre que la psychiatrie peut être instrumentalisée aux fins de pseudo-justice. Donc, il s'agit évidemment de ne pas être dupe de ça. Pour autant, comme je l'ai dit, comment s'y prendre ? conserver ce pilier de l'humanisme des soins qui consiste à aider à l'orientation d'une personne qui va commettre une infraction, soit vers effectivement le fait qu'elle soit jugée, condamnée, éventuellement incarcérée, soit vers le fait qu'elle aille vers les soins. Il va bien falloir discriminer, il va bien falloir apporter des éléments de compréhension au juge et c'est là une pratique. En tension pour le psychiatre expert, mais une pratique qui me semble essentielle. Évidemment, il s'agit aussi dans cette position de participer, je ne sais pas si c'est une œuvre, j'allais dire à l'œuvre de sécurité publique, mais enfin en tout cas... à l'attente d'une sécurité publique. Or, certains troubles psychiatriques ou mentaux peuvent troubler la sécurité publique. Et quand on est spécialiste des troubles psychiatriques et mentaux, il s'agit aussi de prendre en considération cet aspect-là. Mais, et c'est essentiellement le cas lorsque nous sommes amenés... puisque la procédure est orale et exclusivement orale en matière de cour d'assises, lorsque le psychiatre expert est amené à venir exposer ses travaux devant la cour d'assises, il va s'agir non seulement de faire œuvre de pédagogie, de pouvoir expliquer ce qui n'est pas toujours très simple du côté des termes, du côté des concepts en psychiatrie à des non-psychiatres, que sont les magistrats professionnels ou que sont les jurés populaires. Faire donc œuvre de pédagogie, mais également, me semble-t-il, rappeler sans cesse les limites de notre exercice. Il s'agit, et nous sommes attendus là-dessus, d'apporter des éléments de compréhension de faits souvent incompréhensibles. On a tous à l'idée des crimes abominables sur des personnes. particulièrement fragiles, les crimes qui concernent les enfants, etc. et qui paraissent incompréhensibles. Et pour cheminer dans la mission que se donne la justice, mettre du sens, comprendre, établir une vérité judiciaire, on passe parfois par le fait de proposer des explications qui reposent sur les mécanismes du fonctionnement psychique, bien au-delà de la présence ou non d'un diagnostic. Vous avez compris que finalement... L'essentiel du temps, lorsque l'on va devant une cour d'assises, c'est pour expliquer qu'on n'a pas affaire à des personnes atteintes de troubles psychiatriques, quand bien même les actes qu'elles ont commis paraissent fous, je dirais, au sens trivial. C'est donc ici un rôle délicat, je trouve, là encore, de mise en tension, où il ne s'agit pas seulement pour le psychiatre de dire il y a de la maladie ou il n'y a pas de la maladie, au-delà de ces aspects de l'hypnologie. du diagnostic, il s'agit aussi d'apporter des éléments de compréhension psychopathologique, psychodynamique, de comment ça marche la vie psychique et comment parfois ça aboutit à des passages à l'acte paraissant en rupture avec un fonctionnement normal. Mais au fond, nous sommes avant tout experts de nos limites. L'expertise psychiatrique pénale n'est pas un exercice de la toute puissance du savoir. Nous n'expliquons pas grand chose. Nous devons surtout... pour tout faire avec l'attente sans doute jamais satisfaite, et c'est heureux, des magistrats, des juges, des jurys populaires, à ne pas tout pouvoir expliquer. Être expert en psychiatrie, c'est d'abord mesurer la complexité de la vie psychique, qu'elle soit physiologique ou psychopathologique, même lorsque nous ne sommes pas atteints de maladies psychiatriques ou mentales, nous avons affaire. avec ce que notre vie psychique a de particularités et parfois de complexités, c'est cette complexité qu'il convient de mesurer, de dialectiser, d'expliquer. Et c'est savoir aussi, lorsqu'on est en position d'être psychiatre expert, en dépit de ce que le titre peut avoir l'air de ronflant, d'autoritaire, c'est surtout pouvoir dire l'humilité qu'exige l'appréhension des phénomènes psychiques. Pour finir, au fond... Je pourrais interroger ou mettre l'accent sur le fait que l'époque dans laquelle nous vivons, paradoxale, d'exigence à la fois de rationalité, grande prégnance des neurosciences aujourd'hui dans l'approche des maladies psychiatriques et mentales, attente tous azimuts d'explications, de rationalisation. Tout problème doit avoir une solution, on doit pouvoir tout expliquer. Et puis en même temps, on est quand même... je crois que l'actualité nous le montre, dans une période d'expansion du fake, du superficiel, de la fausse information, des vérités parallèles, d'un émotionnel qui prend le pas, au fond peut-être le rôle, la mission du psychiatre expert en matière pénale, c'est de demeurer une boussole de la complexité et de l'esprit critique, y compris même du savoir qu'on lui confère. En ce sens... L'expertise psychiatrique pénale me semble être un acte médical avant tout et politique qui implique une réflexion éthique. C'est la raison pour laquelle il me paraissait important de pouvoir venir en discuter avec vous et surtout de pouvoir prolonger ces bribes de réflexion avec vous. Merci. Je passe la parole à Pantéléon Giacognacopoulos. Vous êtes professeur de psychiatrie et vous êtes aussi en charge de, enfin on appelle ça directeur général de l'office cantonal de la santé du canton de Genève. Donc vous êtes le ministre de la santé de Genève, si j'ai compris.

  • Speaker #1

    Pas exactement, mais je dois organiser la santé, les différents aspects de la santé en collaboration avec le ministre du lieu. Je vous remercie de votre invitation. Je voudrais peut-être compléter les propos qui ont été tenus avant avec un témoignage qui peut paraître un peu plus personnel. Vous retracez une histoire et vous parlez de ce qui, à mon sens, aujourd'hui, est un enjeu fondamental, qui est celui de l'exercice de la contrainte en psychiatrie sur les différents aspects et l'évolution sociétale, qu'on assiste pratiquement les dernières... deux à trois décennies. Alors, c'est là fait environ 30 ans que j'exerce ce métier. J'ai eu l'occasion par différents promontoires d'observer le lien entre la contrainte et les soins psychiatriques dans les différentes déclinaisons. Donc je reprendrai certains des propos qui ont été nus ici. J'ai envie de dire que dans une assez longue période, ce type de contrainte concernait, pour la plupart des psychiatres, le lien avec les codes civils. C'est-à-dire que dans les différents pays, j'ai eu l'occasion de vivre et de travailler dans différents pays, dans les différents pays pourrait être ce qu'on appelle le placement à des fins d'assistance, c'est-à-dire limiter la liberté d'un individu pour lui procurer des soins quand cet individu peut se mettre en danger ou peut mettre les autres en danger. Le danger est un mot extraordinairement important, je vais essayer de vous décrire dans les quelques minutes qui me sont données. Puisqu'on a progressivement évolué d'un monde qui était centré sur la question de la responsabilité, ça a été quand même abordé de manière très approfondie juste avant, au monde qui se focalise de plus en plus sur la dangerosité. Et c'est un glissement conceptuel tout à fait important. Je vous décrirai peut-être que la situation est peut-être moins visible aujourd'hui en France. Je vous donnerai des exemples d'autres pays où c'est... Cette modification, ce saut qui était un saut campique, passé c'est-à-dire de la notion de la responsabilité à la crainte de la dangerosité, a eu des répercussions et a des répercussions très importantes au niveau des soins et de l'humanisme des soins psychiatriques. Alors il fut un temps, un temps qui peut paraître lointain aujourd'hui. Quand je parle comme ça j'ai l'impression d'être un dinosaure, mais enfin vous m'excusez les propos. J'ai vécu dans une époque où les hôpitaux L'hôpital que j'ai dirigé, et que je continue à diriger pour quelques mois encore à Genève, les hôpitaux qui prennent en charge des patients qui ont passé à l'acte sur un plan pénal, qui sont considérés des criminels dangereux pour le procurer de soins, il fut un temps que ces hôpitaux étaient en train, dans différents pays, de fermer. C'était le mouvement, pour les plus anciens parmi nous dans la salle, le mouvement des années 60. la grande libération des mœurs, l'interrogation sur la liberté, la quête de liberté qui a caractérisé nos sociétés il y a environ 60 à 70 ans en arrière. C'est loin, mais peut-être pas si loin que ça de nous-mêmes. Alors à cette époque-là, des hôpitaux qui prennent en charge ce type de patients existaient, mais qui étaient essentiellement des îlots de misère, parfois avec des pratiques extraordinairement déviantes. Donc c'était cette histoire assez sulfureuse que les Italiens savaient bien, sous le terme de manicomio criminalis, c'est-à-dire ces institutions très peu dotées où il y avait beaucoup plus un exercice de contraintes et de violences sur des personnes qui étaient devenues avant violentes sur le plan du code pénal, sans véritablement un projet de réinsertion sur le plan social. Alors à cette époque-là, peut-être j'essaierai de faire quelques photographies pour voir un peu comment on a évolué dans le temps. À cette époque-là, la primauté était donnée pour le soin psychiatrique qui s'exerçait en dehors de ces îlots, au lien avec le code civil, c'est-à-dire les placements à des fins d'assistance. Alors, là aussi, il y a des différences tout à fait fondamentales entre les pays. Il y a des pays où cette décision-là, c'est-à-dire priver quelqu'un de sa liberté pour lui donner des soins, revient sans que ce quelqu'un... et à faire avec le monde du droit pénal, revient au tribunal, revient un peu, peut venir au préfet. En Suisse, la Suisse est une situation un peu sui generis, assez particulière, compte tenu de son côté fédéraliste. Donc, ce qui veut dire que vous avez autant de cantons que de législations, ça revient un tout petit peu à un paradigme comme vous le retrouvez aux États-Unis. Il y a des cantons, Genève c'est un exemple, où cette décision est une décision médicale. C'est-à-dire que c'est le médecin qui avait les clés pour dire, une personne en ce moment, elle a un comportement qui le met en danger ou met en danger les autres, et donc on décide d'une hospitalisation au milieu psychiatrique. Je parle là encore une fois d'un milieu psychiatrique loin du monde du droit pénal. Le début et la fin de ces séjours étaient décidés par un psychiatre. Vous allez dire, c'est une évolution tout à fait positive. D'une certaine manière, oui. D'une autre manière, non. Et je dois dire qu'après autant d'années d'exercice de mon métier, je reste toujours perplexe par rapport aux responsabilités qui sont données aux psychiatres. Et je reviens aux propos qui ont été tenus, à la modestie qui doit nous caractériser quand on les assume. Donc ce qui s'est passé souvent, c'est qu'il y avait ces décisions, la psychiatrie a pris un rôle sociétal extraordinairement important, puisque c'était les psychiatres qui tenaient les clés, finalement, au lien avec la liberté de l'individu. Deuxième pas, toujours dans ce Ausha... qui devenait un champ de tension très important, le traitement sous contrainte. Parce que dans les législations, c'était la même réalité dans les pays scandinaves et en Allemagne. La Suisse est quand même assez inspirée sur le plan du droit de ces deux pays, de ces deux régions. Il y avait la question du traitement sous contrainte, ça veut dire non seulement limiter la liberté d'un individu, Mais le traité, pharmacologiquement, compte son gré. Ça, c'était une autre part. Et alors, je vous éviterai de voir la nuance qui existe là-dessus. Jusqu'à aujourd'hui, dans un canton comme Genève, c'est la même chose dans certaines landes en Allemagne, vous pouvez décider, un médecin peut décider, de limiter la liberté d'individu en le plaçant dans un hôpital psychiatrique, mais pour le traité... c'est-à-dire pour utiliser la pharmacothérapie contre son gré, il faudrait quelques critères supplémentaires, dont, et je reviens aux propos qui ont été tenus, et c'est le fil conducteur qui va nous amener au droit pénal, la question de la capacité de discernement. Si la personne n'a pas perdu sa capacité de discernement, avec toutes les caveats qui ont été très bien expliquées avant, vous ne pouvez pas le traiter contre sa force. Résultat des courses, vous pouvez limiter la liberté, vous retrouver par certains aspects dans une impasse sur le plan thérapeutique, ou alors par contre aller plus loin, prêter, et se poser toujours la question, mais est-ce que véritablement les capacités de discernement sont abolies ? Comme très clairement expliqué avant, il y a une interrogation sur la notion même du discernement, et encore plus grande interrogation sur qui juge. et quelles sont les libertés qui sont données aux individus pour aller contre, pour protéger leurs droits dans une société comme la nôtre. Alors, il y a, j'ai envie de dire, des protections qui ont été mises en place, comme les possibilités de recours, et ce système-là semblait, sans doute, avec toutes les limitations et toutes les précautions d'usage, être relativement bien huilé et fonctionnel, avec un nombre d'hospitalisations qui... comme en France, comme dans d'autres pays européens, a pris l'ascenseur progressivement, les hospitalisations contre les grès des personnes, ce qu'on appelle les hospitalisations non volontaires. Mais encore là, on était en dehors du champ, qui est le champ pénal. La contrainte, quand elle est exercée, j'ai envie de dire, pour votre bien. ou la possibilité de faire du bien à l'autre, semble être plus compréhensible, humainement plus acceptable que quand vous l'exercez pour des raisons de protection sociétale. Quand on va vers le droit pénal, on est dans un champ de tension, ça a été décrit, qui concerne la société, comment on protège la société, et de l'autre côté... Comment on protège le droit de l'individu ? Et c'est là où une mutation très importante s'est opérée progressivement, et pratiquement après les années 2000. Je pense que c'est très important d'être conscient de cette mutation. On peut bien évidemment, comme ça a été dit avant, déprésenter et dire, mais dans le fond, si vous prenez tout le nombre de procès qui existent, le pourcentage qui concerne l'irresponsabilité pénale, très franchement, c'est mineur. Vous ne pouvez pas... accuser les psychiatres d'aider les criminels d'échapper à leurs sanctions. Ce qui est formellement vrai. Mais dans le fond, on est entré dans une société qui a été très bien décrite par Vargas Llosa. C'est la civilisation du spectacle. C'est-à-dire, le poids du fait divers est extraordinairement important. Même une situation suffit. Et progressivement, on a assisté à un durcissement. de la vision de la société, mais aussi du cadre légal, autour des passages à l'acte et de la dangerosité d'un individu. On ne parle plus, on parle de moins en moins, je vous donnerai un exemple, de responsabilité pénale. une notion qui existe depuis l'époque d'Amourabi, j'entends ce que je veux dire, et puis après a été très bien balisée au fil du temps, et on parle beaucoup plus de dangerosité. Je vous donne un exemple qui est quand même assez frimpant et qui n'a pas cessé de m'interroger jusqu'à aujourd'hui. Je me suis demandé d'ailleurs, est-ce que ça ne m'a pas poussé, après dix ans de direction de cet hôpital que j'ai vu grandir et que je portais de changer d'orientation de carrière, la modification du droit pénal. qui est arrivé à peu près en même temps en Allemagne, en Suisse, et pourtant d'un exemple qu'on considère parfois plus, je dirais, plus politiquement correct par certains aspects, en Suède. La modification du droit pénal qui est apparue au début des années 2000 a progressivement, et à travers des mots, changé le focus. Exemple. Jusque-là on disait mais est-ce qu'il y a une responsabilité ou une irresponsabilité pénale ? Est-ce qu'une personne qui passe à l'acte sur un plan pénal, il est en pleine possession de ses moyens cognitifs, volitifs, donc les deux piliers de la responsabilité pénale, et donc est-ce qu'il y a une irresponsabilité pénale ou, dans certains pays, partielle, totale ou partielle, pour un acte qui est causalement lié à une pathologie psychiatrique ? Aujourd'hui, les choses ne sont pas comme ça. Dans le droit pénal suisse aujourd'hui, ce qui prime, ce n'est pas un lien causal, c'est un lien, la présence d'un lien qui peut augmenter les risques de récidive. Le saut est ici un saut quantique, parce que comme... Comme Sartre, dans le fond, le disait, on ne fait pas d'à la vue ce qu'on veut, mais on est responsable de qui on est. Et en fait, en réalité, on commence maintenant à s'occuper de qui on est, et donc à punir ou à contraindre en lien avec qui on est. Alors, le lien, quand ce n'est pas un lien causal, quand il ne s'agit pas de responsabilité, mais un focus sur le risque de récidive et de la dangerosité d'un individu, ouvre une porte très grande. Et dans la plupart des pays du nord de l'Europe, on a insisté. Je ne mets pas la France dans le nord de l'Europe, donc je parlerai plutôt dans les pays qui sont évidemment la Suisse, l'Allemagne, les pays scandinaves, qui sont des exemples. L'Angleterre a pris le même chemin, mais dans un contexte aussi de choix, comme un plus pauvre, il faut bien le dire. Et ce qui s'est passé progressivement, c'est que... Le système, je dirais l'étoile pénale, a reconnu, je viens là sur la notion de la création des hôpitaux qui prennent en charge les criminels dangereux, a reconnu une séparation et est devenu un système dualiste, c'est-à-dire un système qui sépare les peines des mesures, les sanctions des mesures. Autrement dit, sur la base de l'expertise psychiatrique, le juge doit décider, c'est la réalité actuelle, typiquement on... en Suisse ou en Allemagne, il doit décider est-ce qu'un individu, pas seulement si l'individu est responsable ou irresponsable, mais aussi est-ce qu'au lien avec une maladie mentale, un individu a un très haut risque de récidive par rapport à un acte. Et dans ce cas, décider de le sortir du champ pénal classique des sanctions et l'amener dans le champ des mesures. Les mesures, ça veut dire, quand vous prononcez une mesure dans le droit suisse, et en Allemagne aussi, vous suspendez la peine. L'individu entre dans un autre track dans un autre type de sanctions dans le fond, mais où les choix priment. C'est-à-dire qu'il doit être pris en charge avec des mesures qui sont renouvelables chaque cinq ans. Alors, il a existé... Un débat, il existe toujours, un débat extraordinairement important sur cela. C'est-à-dire quels moyens on donne comme société pour traiter les personnes et pour combien de temps.

  • Speaker #0

    Et donc je terminerai en vous donnant cet exemple, on aura l'occasion d'en discuter, mais je terminerai en vous donnant cet exemple de ce qui s'est passé par rapport à l'hôpital que je dirige encore d'ailleurs, qui a été construit pour une très grande partie de la Suisse, toute la Suisse qui parle, je dirais, français, italien, pour accueillir ce type de personnes. Dans le cadre des mesures, qui sont des mesures thérapeutiques. Les mesures thérapeutiques nécessitent une mobilisation de moyens. Et là je viendrais peut-être au côté plus positif quand même de ce tableau qui pourrait inquiéter, qui inquiète à juste titre la société. Les mesures, on accueille environ 100 mesures, il y a 100 lits pour ça, et c'est des personnes qui peuvent rester ad vitam aeternam, c'est-à-dire il n'y a pas de limitation dans le temps. Et c'est une grande différence par rapport à la sanction pénale. J'ai rencontré dans ma carrière des personnes qui m'ont dit très clairement pour revenir sur le propos qui a été tenu avant. Mais dans le fond, pourquoi j'ai eu le malheur de me retrouver devant un expert psychiatre ? Si j'étais jugé uniquement pour ce que j'ai fait, j'aurais pris peut-être une année avec sursis, deux ans. Mais du moment où il y a eu l'expertise et la décision du juge pour aller vers les mesures, le temps peut devenir un temps indéfini. Et donc la responsabilité de ceux qui travaillent et soignent ces personnes, c'est rendre le temps défini. Parce que sinon, le temps est défini, est une source de désespoir et de préparation pour le passage à l'acte suivant. Et pour ça, les psychiatres doivent être très conscients de la responsabilité qu'ils prennent. C'est la responsabilité de garder allumé, comme dans le film de Tarkovsky, de garder la lumière allumée, de garder l'espoir de ces personnes. Ce qui veut dire aussi des moyens. Je reviens sur un point qui n'a pas été abordé, mais qui, à mon sens, est très important quand on discute du lien entre la santé et la justice au niveau de la santé mentale. C'est les moyens qu'une société met pour soigner et accompagner ces personnes vers la réinsertion. Alors, vous allez dire, je peux bien imaginer, vous savez, comme vous pouvez imaginer par mon nom, je ne suis pas d'origine helvétique tout de même. Malgré le fait que je vis depuis 25 ans dans ce pays, je connais des milliers et des millions d'Europe beaucoup plus pauvre. La Suisse est un exemple où il y a une mobilisation très importante et des moyens que la société a mis pour soigner ces personnes. Donc je vous donne un exemple, alors ça frappe toujours quand je le dis, mais une nuit dans l'hôpital que je dirige, une nuit coûte 1200 euros. Ça paraît énorme et ça c'est de l'argent public. Donc ça veut dire qu'une société a dit, on peut toujours critiquer évidemment les choix qu'une société fait. Mais là-dessus le choix était de dire, on met de l'argent, on met des moyens, infirmiers, médecins, agents de détention parce qu'on travaille dans un système avec eux, dans une collaboration avec eux, très étroite, pour accompagner ces personnes. Mais accompagner ne signifie pas juste donner des soins, ça signifie convaincre. Convaincre le juge d'application des mesures, convaincre les proches, convaincre aussi le monde de la détention, pour amener peu à peu une progression de la mesure et la possibilité d'ouvrir les portes. Alors, en fonction des lunettes qu'on peut mettre, dire que chaque année, la moitié des personnes sortent vers un milieu ouvert, vous pouvez le voir comme un succès ou comme un échec. Ça dépend du prix que vous voulez mettre comme une société pour cela. Mais c'est la seule manière de faire, si vous prenez l'optique, dans une société, d'utiliser les mesures, c'est-à-dire les soins psychiatriques, pour gérer non plus la question de la responsabilité uniquement, mais ce néologisme. qui est la dangerosité. Donc c'est là où on en est aujourd'hui et chaque fois, je termine mon propos ainsi, chaque fois qu'un fait divers arrive dans les prisons, arrive dans des établissements comme ceux que je dirige, il y a toujours des voix pour crier au scandale, pour crier à l'incurie, pour crier à la nécessité d'être encore plus restrictif. Cependant, de l'autre côté, ça m'est arrivé dans mon carrière de rencontrer des personnes qui sont restées 12 ans en prison suite à des menaces par la décision des mesures. Et ça, ça interroge humainement. On n'est pas juste des professionnels de santé, on est des êtres humains. Et ça interroge. Ça interroge aussi par rapport au pouvoir qui est donné et à la responsabilité qui est donnée aux soins psychiatriques dans une société. Donc, j'ai envie de dire que face à n'importe quel fait divers, il faut pouvoir garder une vision qui est une vision de ce qu'on veut faire collectivement de notre société. sans naïveté, sans angélisme, mais sans la tendance de courir derrière le dernier prophète. J'arrête là, merci.

  • Speaker #1

    Alors, il y a une question qu'on se pose tous lorsqu'il y a un fait divers qui conduit à l'irresponsabilité. pénale d'un individu, parce que c'est des faits qui peuvent être très marquants pour la population et effectivement faire peur, on se pose la question du sort de l'individu qui a été déclaré irresponsable pénal. Est-ce qu'il y a une garantie ? Puisque l'expert s'est prononcé bien sûr sur le moment de la commission des faits, il a indiqué qu'au moment de la commission des faits, il y avait eu une abolition du discernement tel qu'il ne pouvait pas être jugé. C'est ce que dit notre droit et depuis fort longtemps, et beaucoup de droits autour de nous. Mais une fois qu'il a été diagnostiqué ou expertisé irresponsable pénal, qu'est-ce qu'il devient cet individu ? Et est-ce que la société, puisque c'est ça que le grand public attend, a une garantie que derrière, le lendemain, parce qu'il ne sera plus en état d'abolition, il ne va pas ressortir et peut-être... également se retrouvaient en capacité de recommencer. Manuel Orsat.

  • Speaker #2

    Alors, peut-être repréciser les aspects un peu procéduraux, mais d'abord, il n'y a pas de systématicité, mais ce que la loi prévoit, c'est que lorsque des conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, si on se met en matière criminelle, enfin pour les infractions les plus graves, mais... On rend aussi des conclusions d'irresponsabilité pour des infractions tout à fait bénignes. J'ai finissé un rapport d'expertise ce matin pour un vol de cage à oiseaux pour lequel j'ai conclu une irresponsabilité. On voit bien que les enjeux sont beaucoup plus faibles que d'autres dossiers. Par exemple, nous avons conclu récemment avec une collègue pour quelqu'un qui a eu... commis trois homicides successifs. Ce n'est pas la même chose, évidemment. Lorsque ces conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, il est de droit qu'il y ait des contre-expertises, c'est-à-dire qu'un seul avis d'un seul psychiatre expert ne suffit pas et des contre-expertises peuvent être diligentées. Et si, puisque je l'ai dit, mais je le rappelle, les conclusions d'abolition du discernement sont retenues par le juge, qui n'y est pas tenu, le juge peut aller contre des rendus de conclusion d'expertise, et bien l'irresponsabilité sera retenue. Dans ce cas, la chambre de l'instruction va, pour les affaires les plus graves à l'évidence, prononcer un arrêt d'irresponsabilité pénale et plusieurs choses. D'abord, la responsabilité civile est préservée, c'est-à-dire que même si la responsabilité pénale n'est pas maintenue, Tout ce qui est en matière de réparation du dommage des victimes, etc. Tout ça, ça reste maintenu et l'auteur, bien que très malade au moment des faits, devra réparer, etc. Tout ça est préservé. Deuxièmement, il y a le champ des soins dits sous contrainte, enfin en fait sans consentement. la juridiction de jugement pourra demander à ce que soit prononcée une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Et donc en pratique, à l'issue de l'audience, la personne qui souvent est préventivement détenue pour les infractions criminelles va être emmenée à l'hôpital psychiatrique sous le régime du SDRE, donc du soin sur décision du représentant de l'État, passant du coup... dans un tout autre champ que celui de la justice, qui va être celui de l'autorité sanitaire et de l'autorité administrative. Ce qui prévaut dorénavant à ce stade-là, c'est les soins. Et donc, c'est l'état clinique de la personne concernée. Et puis, troisième volet, malgré tout, ça va dans le sens de ce qui vient d'être dit. Les réformes successives du droit pénal en France depuis le début des années 2000 vont vers quand même davantage de précautions. Un principe très important. Et donc il y aura ce troisième volet, la juridiction du jour, la chambre de l'instruction peut prononcer des mesures de sûreté associées à l'irresponsabilité pénale. On ne va pas condamner la personne, elle ne va pas être sanctionnée puisqu'elle ne le peut pas, elle n'est pas responsable, mais elle pourra se voir infliger un certain nombre d'obligations et d'interdictions, en particulier l'interdiction de paraître sur un certain territoire, l'interdiction d'être en rapport avec certaines personnes, l'interdiction de détenir une arme. de conduire, etc., etc., des mesures qui seront considérées comme étant des mesures de prudence pour la vie. Et s'agissant donc de la deuxième volet que j'ai expliqué là, donc les soins, eh bien la personne est hospitalisée en psychiatrie. Alors il y a plusieurs en France dispositifs qui peuvent accueillir ces... Les individus, dans le cas classique, les personnes sont hospitalisées dans leur secteur de psychiatrie générale sous la forme du SDRE, c'est-à-dire privées de leur liberté. En France, on peut priver de la liberté d'aller et venir sur des avis médicaux et sous contrôle du juge des libertés de la détention, qui est la seule autorité à statuer sur la privation de liberté. En revanche, on ne peut pas... contraindre à prendre des médicaments. Toute atteinte au corps est déterminée par le consentement. On peut empêcher un individu d'aller et venir, mais on ne peut pas l'obliger à prendre des cachetons ou à recevoir des piqûres. C'est ensuite l'évolution clinique de l'individu qui va déterminer son avenir. Si l'évolution est défavorable, il se peut que l'individu soit très durablement hospitalisé. Si l'évolution est favorable, ce qu'on peut espérer quand on est soignant et médecin, à la faveur des soins, des traitements, de la réhabilitation sociale, la loi prévoit des dispositifs de soins sans consentement, prévoit que l'individu pourra ponctuellement sortir, puis sortir tout en étant toujours en soins ambulatoires contraints, avec l'obligation de respecter ses soins s'il ne les respecte pas, il sera réadmis, etc. Donc il y a quand même un panel très important, c'est ça que je veux dire en fait, très simplement, c'est qu'il y a un panel très important de soins possibles. Et pour les malades ? qui présentent des troubles plus bruyants, plus graves, on pourrait dire, dans leur expression comportementale. Il existe deux types, les USIP, les unités de soins intensifs psychiatriques, qui ne sont pas déployées partout sur le territoire. Et puis ce qu'on appelle les unités pour malades difficiles, les UMD, qui sont vraiment pour le coup des structures d'hospitalisation à temps complet pour des patients qui présentent des signes de résistance et notamment de difficulté de prise en charge avec des manifestations comportementales importantes. Donc... Vraiment, ce qu'il faut bien se dire, c'est que non, on ne se retrouve pas le lendemain dans la rue quand on a commis un crime, alors qu'on était dans un état d'activité de sa maladie psychiatrique. Mais en revanche, et en toute logique, ce sont ensuite les soins et donc l'évolution de l'état psychiatrique qui va déterminer la trajectoire de l'individu, avec malgré tout des précautions importantes.

  • Speaker #1

    Alors, monsieur Giannakopoulos, vous avez évoqué la question de l'hospitalisation sans le consentement de la personne et indiqué que la décision était prise selon les pays, soit par les soignants, soit par les juges. En France, en l'occurrence, une fois qu'elle est prise, cette décision, elle fait l'objet du contrôle du juge. C'est assez récent, c'est depuis 2011, que le juge des libertés et de la détention contrôle. Les hospitalisations sous contrainte. En tant qu'avocat, j'ai été amenée, puisque les personnes hospitalisées ont droit à un avocat. Au début, il y a toujours une permanence d'avocats qui se succèdent pour aller dans les hôpitaux, dans les services psychiatriques, pour assister ces personnes qui comparaissent devant un juge des libertés et de la détention, pour savoir si elles vont continuer d'être hospitalisées. Et j'avoue que je ne l'ai pas fait très longtemps parce que j'ai été extrêmement gênée, et je voudrais avoir votre avis tous les deux de psychiatre, par la situation qui confère au juge la possibilité de faire sortir finalement une personne qui a été hospitalisée sous contrainte, parfois pour des raisons procédurales, cette procédure étant importante puisqu'elle protège les individus de l'arbitraire éventuel des soignants. S'il devait y en avoir, puisque l'intérêt n'est pas toujours là. Mais bon, en tout cas, la question, c'est de savoir, est-ce que le juge, avec quelles compétences, le juge peut-il se prononcer sur la nécessité de maintenir une hospitalisation sous contrainte ? Nous, les avocats, notre rôle, et c'est pour ça que j'ai très rapidement arrêté, il est finalement d'aller vérifier si cette procédure a été respectée. Et ça, c'est encore une fois important. parce qu'elle est garante de la liberté, mais cette procédure, quand elle n'est pas respectée, parce que les soignants sont en grande difficulté aussi de paperasserie administrative majeure, en plus d'avoir quand même des gros problèmes d'effectifs, donc quand elle n'est pas respectée, ça peut conduire à faire sortir quelqu'un qui pourtant avait été jugé par les soignants en nécessité d'être hospitalisé. Enfin voilà, ça pose la difficulté de décompétence. du juge et de savoir comment le juge peut se prononcer au-delà de la simple procédure sur le fond. Comment le juge peut être amené à dire que la personne n'a plus besoin d'être hospitalisée.

  • Speaker #0

    Disons que chaque pays, dans ce cas-là, a trouvé des manières de faire, et parfois même des manières assez agiles de faire. Donc, quand il y a une décision de médecin par rapport à une expédition volontaire, vous pouvez choisir de, je dirais, une limitation temporelle, ou alors... la possibilité de juger par quelqu'un de l'extérieur de la pertinence d'une hospitalisation non volontaire. La question de fond, c'est quel droit vous donnez à un individu de pouvoir recourir contre cela. Ensuite, ce qui se passe, c'est que la personne peut recourir, et donc le tribunal qui s'en charge a la possibilité d'ordonner rapidement et de manière agile, et ça c'est important compte tenu du nombre d'admissions non volontaires, une expertise faite par un tiers qui vient voir la personne et qui statue. Et cette fois-ci assez rapidement, est-ce que ça a un sens de garder l'hospitalisation ou pas ? Après, deuxième limitation qui me semble quand même très importante et qui a été très bien aussi appliquée en Allemagne, c'est la limitation temporelle, c'est-à-dire une admission volontaire dans les droits suisses dure 40 jours. Si vous devez, et c'est valable aussi en Italie aujourd'hui, si vous devez faire plus, vous devez retourner vers le juge avec des arguments, en disant mais la situation se prolonge, elle est quand même compliquée On a certains éléments qui nous font dire qu'il faut continuer l'hospitalisation. Et là vient votre question, c'est comment le juge va dire, mais est-ce que c'est juste ou pas ? Ce qui a été trouvé, et là je veux dire qu'on a copié beaucoup plus ce qui a été fait dans d'autres pays du Nord, c'est-à-dire d'utiliser la notion des juges-assesseurs, c'est-à-dire que le tribunal est entouré par des juges qui viennent de la société civile, des juges-assesseurs, c'est-à-dire des personnes qui ont une formation en psychologie ou en psychiatrie et qui peuvent être des conseils du juge. pour la prise de décision. Le système comme ça marche assez bien, mais il est basé sur un élément qui était fondamental, la possibilité pour le juge d'avoir recours rapidement à l'aide et à l'avis d'un tiers qui n'est pas pris dans les soins, parce qu'on ne peut pas exclure un biais de regard, bien évidemment, qui fait que les soignants peuvent avoir la tendance ou de prolonger l'hospitalisation quand il n'y a pas lieu d'être. ça humainement on ne peut pas l'exclure donc la nécessité de mettre à disposition du juge une aide spécialisée me semble être la clé de voûte d'un tel système

  • Speaker #1

    Je précise juste, je vous donne la parole c'est pas le cas en France et en France le juge se prononce au bout de 12 jours d'hospitalisation puis au bout de 6 mois et tous les 6 mois Manuel Orsan ?

  • Speaker #2

    Mais il peut être saisi à tout moment Oui, c'est vrai Néanmoins, ça c'est les contrôles obligatoires Pour répondre ou prolonger certaines de vos questions ou de vos remarques, d'abord, je crois que le contrôle sur le fond du juge des libertés et de la détention, je ne suis pas magistrat, je ne sais pas s'il y en a dans la salle, mais il me semble quand même en partie lié à la description. Le juge ne se prononce pas aux doigts mouillés, il reçoit en audience la personne, mais aussi à la lecture des certificats médicaux. qui sont obligatoires dans la procédure à des temps très précis par des médecins différents et qui sont censés donc éclairer le juge sur les justifications médicales cliniques de la privation de liberté donc il me semble que bien sûr on peut pas demander aux juges des libertés d'être psychiatre de même qu'on peut pas demander au président de la cour d'assises ou présidente correctionnelle d'être psychiatre en matière d'expertise et donc quoi que la balayon de vos notes C'est de la responsabilité des psychiatres hospitaliers que de produire des certificats les plus précis, les plus étayés, les plus didactiques possibles pour donner du matériau au juge des libertés au fin de se prononcer sur le fond. Sur la forme, effectivement, c'est tout à fait important de respecter la procédure parce qu'elle est la garante des libertés. C'est aussi, je dirais, sur le plan clinique. Moi, j'ai eu le... J'étais interne déjà en 2011, donc j'ai pu avoir l'expérience d'avant et d'après l'entrée du contrôle par le juge des libertés et de la détention. Au-delà des aspects purement procéduraux propres à la question de la préservation des libertés, c'est aussi la possibilité dans la relation de soins de redire tout le temps aux malades que nous, en cliniciens, on pense que l'état du malade impose son hospitalisation. malgré son refus à lui, mais que néanmoins on n'est pas le seul à décider en tant que clinicien et qu'une autorité parfaitement indépendante sur le plan même constitutionnel, le juge judiciaire va aussi jeter un oeil. Et sur le plan de la relation soignante, ça peut parfois aussi avoir symboliquement un intérêt de décaler le fait que ce n'est pas celui qui vous soigne qui en même temps... temps à les clés. Il y a cette articulation-là qui est importante. Vous disiez aussi, et effectivement ça peut arriver, le pouvoir du juge des libertés de libérer un malade qui ne serait pas stabilisé. Oui, c'est la loi, mais de même qu'on peut libérer un prisonnier pour des raisons de procédure, quand bien même il a commis des infractions très graves. Il se trouve que s'agissant des soins, je voudrais vraiment insister là-dessus, la privation de liberté doit être l'exception. D'abord, il n'y a que les maladies psychiatriques et mentales qui peuvent justifier la privation de liberté. C'est une des spécificités de notre spécialité médicale. Aucun autre médecin ne réalise des soins hors le consentement de son patient. Mais c'est l'exception. La règle, y compris en psychiatrie, peut-être même surtout en psychiatrie, c'est de soigner les patients avec leur accord, avec eux. Ça, ça doit être tout à fait rappelé. Et en même temps que je rappelle ça, il faut quand même rappeler que statistiquement, le nombre de mesures de soins psychiatriques sans consentement, donc d'internement, ne cesse de croître pour prendre des proportions qui deviennent tout de même assez préoccupantes et qui, à mon sens, n'ont pas que à voir avec la question de la dangerosité. de la sécurité, etc. L'essentiel des mesures d'hospitalisation sont des hospitalisations à demande d'un tiers et qui correspondent à des patients qui sont d'abord et avant tout dangereux pour eux-mêmes, qui tenteraient de se suicider, de se mettre très en danger, etc. Et il me semble que l'inflation du nombre du recours à ces mesures coercitives, en tout cas privatives de liberté, a plus à voir avec des déterminants sociaux. Des familles moins contenantes, un espace social moins contenant, un espace public moins tolérant aux variations à la norme, des dispositifs de corps intermédiaires qui sont moins présents, associations, tous les outils qui, dans une vie collective, permettent de... de tamponner, d'absorber éventuellement ces problématiques comportementales qui se délitent et qui font qu'effectivement, on se retrouve aux urgences et puis éventuellement internés.

  • Speaker #1

    Vous vouliez intervenir ?

  • Speaker #3

    De ce point de vue-là, la question du consentement justement et de l'absence de consentement sur les traitements, je pense que c'est un élément assez important. Alors qu'on parle de la question de la santé mentale, et de l'évolution de la société. Et puis moi, c'est plutôt une question que j'aimerais bien leur poser. Comment réagirez-vous, comment réagissez-vous face à un traitement que vous devez imposer sans consentement ? C'est ça, non ? Non, mais c'est vraiment une question qui me...

  • Speaker #0

    Vous savez, pour répondre peut-être sur un plan clinique... la question de l'absence de consentement par rapport à un traitement et donc de la violence que vous faites subir à quelqu'un, parce que c'est bien de cela quand même, pose la question de proportionnalité par rapport à ce que vous attendez. De nouveau, quel espoir vous pouvez avoir par rapport à la suite. Je me rappelle avoir été confronté à des situations très antithétiques, c'est-à-dire, parce que contrairement à ce qui... a été dit avant par rapport à la France, quand vous êtes dans un régime de mesures en Suisse, vous pouvez demander un traitement ordonné par la justice pharmacologique contre le gré de la personne dans le cadre de la mesure pénale. Ça, vous pouvez le faire. Si ces données, par la suite, parce que je vous décris la vraie vie, ce qui veut dire que la personne qui se retrouve dans un hôpital forensique, il y a des... des forces d'intervention qui viennent pour l'obliger de prendre une injection. C'est comme ça. Et quelqu'un qui est confronté à ça, qui voit ça, ce n'est pas, je vous assure, ce n'est pas quand même des scènes particulièrement agréables à voir. Et dans ces situations-là, vous devez vous poser la question, est-ce que ceci, une fois que la crise est passée, est-ce que ceci va changer la perspective ? Est-ce que véritablement, pour le faire simple, Le jeu en vaut la chandelle. Parce qu'il y a des situations cliniques où vous ne pouvez pas être uniquement normatif. C'est-à-dire, parce qu'une personne, je prends un exemple clinique assez classique, une personne qui est envahie par une idéation délirante, qui a une certaine vision, qui peut être une vision force du monde, qui l'habite et qui détermine ses agissements, est-ce que pour autant vous allez le traiter de force ? Il y a des situations où... Le traité de force va aboutir probablement à une péjoration de sa situation, où vous n'allez pas être efficace, parce que tout simplement le délire a une fonction économique très importante pour que l'individu puisse tenir debout. Donc là, il y a, je pense, de nouveau une responsabilité qui doit être assumée par le psychiatre. C'est une responsabilité qu'on ne peut pas déléguer à quelqu'un d'autre. Et il ne faut pas utiliser, comme la justice ne doit pas pouvoir utiliser la psychiatrie à des fins qui sont des fins détournées de contrôle social, la psychiatrie ne peut pas se dérober de sa responsabilité quand elle demande un traitement contre le gré de quelqu'un en lien avec une capacité de discernement, ne peut pas fermer les yeux sur la violence qui est infligée. Et donc il y a des fois où cette violence est nécessaire si vous avez la possibilité d'imaginer... Un bénéfice pour l'individu après, mais pas juste pour une vision qui est une vision, je dirais, normative de soins.

  • Speaker #2

    On va maintenant laisser la place aux questions du public.

  • Speaker #1

    Le micro arrive.

  • Speaker #4

    Bonjour et merci pour vos interventions très intéressantes. En fait, moi j'avais une question pour le psychiatre expert. Donc, en fait, par rapport à la société, déjà je pense, de mon point de vue, qu'il y a une méconnaissance des pratiques de soins de la psychiatrie, connaissance... du fonctionnement mental des personnes qui sont malheureusement malades de ça. Et ce qui a aussi, enfin ce qui parfois, de mon impression, donne aussi un mauvais écho à tout ça, c'est qu'en fait, quand on parle d'expertise psychiatrique, dans des situations vraiment très graves, il y a aussi les notions de contre-expertise. ou d'avis différents. Et en fait, cette expertise, elle est souvent mise à mal parce que, même au sein des psychiatres experts, il n'y a pas une unanimité. Et ça, je pense qu'au regard de la société, ça porte préjudice, quelque part, justement. cette valeur de cette expertise. Je voulais savoir quel pouvait être votre avis là-dessus.

  • Speaker #2

    Vous soulevez un point qui est tout à fait important, qui appelle plusieurs remarques. D'abord, dans la communauté des psychiatres experts, comme dans toute autre communauté, il y a probablement des médiocres, des nuls, etc. On ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Sur la question de la divergence des conclusions d'expertise que vous soulevez, J'entends bien que ça puisse donner une impression de cafouillage ou d'hétérogénéité qui est malvenue. Je crois qu'on peut aussi la regarder autrement et de dire qu'au regard de la grande complexité d'analyse de ces situations, il est heureux que parfois l'on puisse produire des conclusions. qui soit divergente. Et ça ne veut pas dire, alors souvent, évidemment, l'écho médiatique qu'on en a va être focalisé sur le fait que, oui, mais Pierre a dit bleu et puis Paul a dit jaune et Jacques a dit vert. Et donc, ils disent n'importe quoi.

  • Speaker #0

    Il faut bien entendre, reprenons l'exemple de l'affaire Alimi Traoré que j'ai évoqué tout à l'heure, qui a vu se succéder trois expertises missionnant au total sept experts différents avec des conclusions divergentes. Des conclusions divergentes, la mise en relation causale, etc. Mais en réalité, des analyses strictement identiques, des analyses complexes, techniques, mais strictement identiques. Ce qui me paraît vraiment crucial là-dedans, c'est de rappeler ce que j'ai dit. C'est que le juge n'est pas... tenu par les conclusions des experts. Il ne s'agit pas de dire que du coup, on peut faire n'importe quoi et dire tout et le contraire de tout. Mais il s'agit de dire que dans ces situations complexes, délicates, difficiles, l'appréciation qu'on peut avoir, non pas aux doigts mouillés, mais l'appréciation clinique, puis médico-légale, c'est-à-dire d'abord on regarde ce qui se passe d'un point de vue médical, puis ensuite on l'articule à des notions juridiques, cette appréciation peut varier parfois dans ses conclusions. Mais in fine, et c'est heureux, c'est le juge qui tranche. Donc à la fois, j'entends bien que médiatiquement, ça peut être regardé comme un caractère un peu clownesque de notre activité. Mais je crois qu'il faut aussi, d'un point de vue du citoyen et de la société, entendre que c'est finalement précieux qu'on puisse avoir des avis divergents, parfois complémentaires, et qui vont donner... au juge, et d'ailleurs il y a de la jurisprudence là-dessus, de la Cour de cassation, qui dit que, bah oui, parfois il y a des conclusions divergentes, mais ce sur quoi le juge devra se fonder, c'est sur, par exemple, la qualité des développements. Et une expertise qui va être balayée vite fait en deux pages, qui ne dira rien, versus une expertise en 20 pages qui sera très développée, la Cour de cassation indique que le juge du fond doit regarder d'abord aussi la qualité des développements. Donc le juge, il n'est pas juste un enregistreur de ce qui s'est passé dans les rapports d'expertise, c'est lui qui, in fine, décide.

  • Speaker #1

    Oui, merci. Merci également pour vos interventions qui étaient à la fois très riches et très complémentaires. Je voudrais revenir rapidement sur la capacité de discernement que vous avez d'ailleurs définie en commençant par... par dire qu'on ne pouvait pas la définir ou qu'elle n'était pas définissable. Mais vous avez donné des critères, notamment le critère de compréhension, les critères de raisonnement, de capacité de prendre une décision conforme à la délibération. En bioéthique et notamment en éthique clinique, on parle plus précisément d'autonomie décisionnelle. Il y a un vrai débat en bioéthique et en éthique clinique sur la question de l'évaluation. Vous allez voir, c'est une question commune à celle que vous avez posée. de l'évaluation de l'autonomie décisionnelle, aussi bien dans le soin, le patient, la patiente, même atteinte de troubles psychiatriques, a-t-elle la capacité à consentir ou non à un traitement ? Et le patient ou la personne était-elle suffisamment autonome lorsqu'elle a commis un acte criminel ? Ma question est la suivante, et peut-être en particulier au Dr Orsat, est-ce que vous avez, et elle est assez simple, est-ce que vous avez des outils ? qui en tant qu'experts psychiatres, psychiatres experts, vous permettent d'évaluer cette capacité de discerner au moment de l'acte. Je vous dis, nous en éthique clinique, on n'est vraiment pas d'accord sur 1. quels sont les outils ? 2. faut-il des outils ? Il y a débat vraiment sur la question. Moi je suis plutôt partisan de il faut des outils et pas seulement se baser sur des intuitions par exemple qu'on aurait. face au patient ou à la patiente ? Merci.

  • Speaker #0

    D'abord, une réponse en forme de boutade. Compte tenu de mes capacités en bricolage, me confier un outil est plutôt plus dangereux qu'autre chose. Et donc, ma méfiance presque persécutive à l'endroit des outils en psychiatrie en général, des outils évaluatifs en psychiatrie en général, me conduit à en écarter l'autorité. L'intérêt, non, mais en tout cas l'autorité. Et donc, c'est un avis personnel qui est partagé par d'autres, mais qui n'est pas unanime. D'autres, des psychiatres experts, recourent à des outils, c'est-à-dire notamment à des tests d'évaluation standardisés. C'est une autre discussion, à mon avis, qu'on pourrait avoir. Mais non, il me semble que la clinique psychiatrique... Et il faut le dire ici en forme de militantisme parce que ça implique la formation des internes. La psychiatrie, c'est une discipline clinique. Il n'y a pas d'examens complémentaires qui tiennent la route en psychiatrie. Il n'y a pas de dosage biologique. Il n'y a pas d'imagerie. La psychiatrie est une discipline clinique. C'est une discipline de la rencontre avec le malade ou avec le sujet. Et c'est à partir de là qu'on peut raisonner. Alors, du coup, je relis votre question. à celle que vous posiez tout à l'heure sur la question de la possibilité de consentir dans le non-consentement. Je trouve que, et c'est précisément ce que permet la loi en France, c'est que, encore une fois, l'au-delà du consentement autorisé par la loi, il est dans la question de la liberté d'aller et venir. En gros, on peut priver un malade de sa liberté d'aller et venir. Et donc, il est interné, il est enfermé. Néanmoins, on ne peut pas, en tout cas de manière durable, je vais donner quelques contre-exemples, mais on ne peut pas lui administrer des traitements de manière durable contre son consentement. Toute atteinte au corps doit être préalablement consentie. Mais en réalité, d'abord, cette question, elle se pose pas systématiquement. C'est-à-dire que finalement, vous avez... Dans le cadre de la relation thérapeutique, des patients qui sont hospitalisés sans leur consentement, à qui vous dites, bah oui, on vous garde à l'hôpital même si vous ne voulez pas, mais parce qu'on pense, et j'y reviens après d'un point de vue éthique, on pense que c'est mieux pour votre santé, et on pense d'ailleurs que vous en sortirez d'autant plus vite que vous serez stabilisé, que pour être stabilisé, le traitement qui est recommandé, c'est plutôt ça, et on va pouvoir travailler d'autres aspects, c'est-à-dire, ok, vous n'êtes pas d'accord pour être là, mais vous avez le droit, en revanche, de nous dire si vous préférez, je ne sais pas quoi, moi... avoir des visites ou pas de visite, recevoir tel médicament plutôt que tel autre, sachant que celui-ci a tels effets secondaires et tels avantages, celui-là tel autre et tel autre. Ce n'est pas parce qu'on est hospitalisé sans consentement que plus rien ne doit être consenti ni discuté. Le seul au-delà du consentement, c'est celui de priver d'aller et venir, ce qui est déjà tout à fait important, mais c'est à ça que ça se limite. Et du coup, la manière dont je le... conceptualise d'un point de vue éthique, je l'ai écrit et discuté sur notamment la question des soins ambulatoires sans consentement il y a quelques années, c'est que finalement c'est une question de temporalité. Je crois qu'on peut comprendre les choses de cette manière. À un moment donné, on va prioriser parmi les principes fondamentaux de l'éthique clinique, on va prioriser le principe de non-malfaisance et de bienfaisance un peu au détriment du principe d'autonomie. On sait qu'un malade qui est en proie à certaines symptomatologies délirantes, auto-agressives, est susceptible de se mettre très en danger et de se tuer à un moment donné. Et on va considérer que la bienveillance et la bienfaisance doivent prévaloir en étant interventionnistes et en mettant un peu de côté son autonomie, laquelle le conduirait à vouloir se tuer. Et on considère que d'un point de vue éthique, on peut dans un temps donné... d'abord prioriser certains repères pour ensuite regagner l'ensemble des déterminants d'autonomie, de bienfaisance, etc. et de participation du sujet à ses soins. Je crois qu'il se joue quelque chose là dans la temporalité et de dire à certains patients, et de l'expliquer, effectivement, présentement, on va dépasser ce qui est votre avis, mais c'est dans l'objectif qu'ultérieurement, et dans un ultérieur très proche, vous puissiez retrouver un avis qui nous paraît dans votre intérêt. Et sur les soins médicamenteux, je dirais, qui peuvent inclure d'autres types de prise en charge, là encore, le contre-exemple que je voulais donner sur le fait qu'on ne peut pas donner des traitements contre le consentement, c'est hors le cas de la grande urgence, ou la grande urgence auto-ou hétéro-agressive. très agité, qui va mettre très gravement en danger les personnels soignants ou les autres patients, ou qui va très gravement se mettre en danger dans l'imminence, dans la seconde, dans la minute, eh bien oui, là encore, pour le protéger, on pourra être amené à avoir des mesures interventionnistes. Mais encore une fois, c'est très proportionné à l'État et c'est très circonscrit dans une temporalité très précise. Je crois que c'est l'ensemble de ces paramètres qui permet de naviguer sur ces conceptions qui sont très tendues, je trouve. Bonjour,

  • Speaker #2

    merci. Il existe des cas assez nombreux probablement où le délinquant est parfaitement responsable de ses actes pénalement et civilement. Mais cependant, il présente des troubles mentaux. Il est donc incarcéré et il semble que dans les prisons françaises, il y ait au moins 20% de délinquants qui présentent des troubles mentaux et qui sont laissés pratiquement sans. traitement, sans attention particulière. Est-ce qu'il n'y a pas de solution à ce problème qui est tout de même préoccupant ?

  • Speaker #0

    Oui, alors au moins 20%, en fait, bien plus sans doute, pratiquement 50% avec un trouble catégoriel et effectivement une surreprésentation, j'avais sorti des chiffres, une grande étude, enfin... 17% de troubles psychotiques en détention. Le professeur Gaillard a rappelé hier que c'est 1% de la population générale, donc ça pose quand même certains problèmes. Quant à la solution, j'ose espérer que si elle existait, elle serait mise en œuvre déjà depuis fort longtemps. Il n'y a probablement pas une réponse univoque à votre question qui est essentielle. C'est un vrai problème qu'aujourd'hui, la prison devienne un lieu de soins. Parce que ces détenus ne sont tout de même pas laissés sans soins. Il y a trois niveaux, on va dire, de soins en détention. L'unité sanitaire, dans tous les établissements de santé, il y a une unité sanitaire avec des psychiatres. et des équipes de psychiatrie, l'hospitalisation de jour, qui s'appelle les SMPR, et puis les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, qui sont l'hospitalisation en prison pour la psychiatrie. Et donc il y a des dispositifs qui existent. Alors, totalement sous-calibrés, finalement, comme pour toute la psychiatrie en France à ce jour, finalement, ça pose d'autres questions. C'est-à-dire... Je ne sais pas quelle était votre idée de la solution, parce que si vous vous interrogez, c'est que peut-être vous avez vous-même des idées. Moi, je n'ai pas d'idée personnellement, mais j'ai en revanche une précaution, un point à souligner. C'est-à-dire que si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, alors c'est vrai que c'est utile parce qu'il y a beaucoup de malades en détention, mais si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, Est-ce que l'offre suscitant la demande, d'une certaine manière, on ne va pas toujours plus incarcérer des malades ? Il est utile d'avoir des dispositifs de soins en détention. Il est prudent de se dire que la prison n'est quand même pas un lieu de soins. Enfin, je vais problématiser ça.

  • Speaker #3

    Pour répondre un peu plus sur ça. C'est une question éminemment politique en réalité. Ça dépend quel investissement une société fait par rapport à ses prisons au niveau des soins. Des outils peuvent exister, mais même dans des systèmes qui sont des systèmes dualistes, c'est-à-dire des systèmes qui séparent les personnes qui ont des pathologies psychiatriques et qui ont passé à l'acte, non pas en lien avec leurs responsabilités, mais beaucoup plus en lien avec l'impact de la maladie mentale sur le risque de récidive, même dans ces situations en prison, il y a une accumulation de situations aiguës qu'il faut pouvoir traiter. Alors, bien sûr, on peut dire que plus on traite, plus on va mettre des personnes malades en prison, dans l'optique que l'on connaît très bien. La psychiatrie qui s'est désinstitutionnalisée progressivement, c'est-à-dire avec une diminution des lits psychiatriques, il y a une fonction d'hospice qui a été reprise par d'autres institutions, et une institution est effectivement la prison. Mais ça dépend de ce que quelqu'un peut investir là-dedans. Les unités, comme ça a été décrit en France, mais qui existent depuis environ 20-25 ans en fait, pratiquement, les unités spécialement aménagées, en réalité, les structures aiguës de soins en prison peuvent répondre assez bien à des situations de crise, mais elles doivent être très staffées et très surveillées. Et donc ça, c'est une décision de fond. Et quand on voit les différents articles qui concernent la situation des prisons en France particulièrement, mais pas seulement, il y a aussi dans notre pays la même situation, on doit se demander est-ce que collectivement, comme une société, on veut mettre plus de moyens pour traiter ce type de souffrance en prison ? Ou pas ? Parce que ça revient à ça, c'est au début et avant tout une question de moyens qu'on met à disposition. Ce n'est pas tellement le type de prison-soin, parce que pour l'aigu, La psychiatrie est assez bien armée, c'est-à-dire de comment elle peut traiter les décompensations. Mais est-ce qu'on veut véritablement le faire ? Bien sûr, on aura la tendance de dire oui, bien sûr, il faut que les politiciens le fassent. Mais quand on doit voir et on doit décider entre renforcer les soins en prison, construire une école ou une crèche, faire des investissements pour les personnes handicapées, c'est-à-dire là, le choix devient le choix cornelien. Ce n'est pas si simple à faire, il ne veut pas juste être décrété sur une idée romantique du soin.

  • Speaker #4

    Une dernière question du public ?

  • Speaker #5

    Oui,

  • Speaker #0

    bonjour.

  • Speaker #5

    Une question adressée au docteur Orsat également. Dans le cadre des expertises psychiatriques que vous réalisez, est-ce que vous avez la possibilité, le droit et le temps, de prendre attache avec d'autres intervenants pour affiner vos observations ?

  • Speaker #0

    D'autres intervenants ?

  • Speaker #5

    Vous avez qualifié des intervenants sociaux, judiciaires, sur le plan de l'insertion sociale, professionnelle ?

  • Speaker #0

    Non, on n'en a pas le droit. L'expertise psychiatrique, c'est une mission qui est ordonnée en matière criminelle, ordonnée par le juge d'instruction en personne. Éventuellement, on peut être deux, on peut être désigné à deux ou à trois experts, un collège d'experts. Mais nous n'avons pas le droit d'enquêter. Nous ne sommes pas là pour ça. Au reste, pour ce qui est de la question de l'évaluation de l'environnement social, familial, professionnel. En matière criminelle, il y a des enquêtes de personnalité qui sont diligentées, qui sont confiées à des enquêteurs de personnalité et qui sont souvent d'ailleurs très riches. De ce point de vue, on peut en revanche prendre connaissance de ces pièces lorsqu'elles figurent déjà au dossier d'instruction, lorsqu'on est désigné, parce que je ne l'ai pas indiqué. Mais l'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer un malade. D'ailleurs, parfois, c'est les mauvais. Mais les mauvais avocats essaient de nous mettre en difficulté à la cour d'assises en disant Mais enfin, docteur, vous avez passé combien de temps avec cet accusé ? Et donc, en gros, un examen psychiatrique d'expertise. Alors en France, je sais bien que d'autres moyens sont alloués dans d'autres pays, mais globalement, en France, on rencontre pour des affaires, on va dire un peu significatives, l'individu une à deux fois, en moyenne une à deux heures. Donc, effectivement, ça ne peut paraître pas beaucoup que d'avoir passé avec l'individu deux à trois à quatre heures lorsqu'il va s'agir de déterminer parfois beaucoup de son avenir. Néanmoins, ce n'est pas que ça. L'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer l'individu, c'est aussi. prendre connaissance de tout un tas de pièces qui peuvent nous être transmises par le juge d'instruction, jusqu'à y compris le dossier médical qui va parfois être saisi. Et lorsque j'ai 37 kilos de scellés pour un dossier, là je ne sais pas si vous comprenez, des énormes cartons dans mon bureau, mes patients m'ont demandé si je déménageais. C'est aussi ça qui va nous aider dans notre analyse. C'est les pièces de l'instruction, y compris par exemple les interrogatoires par les enquêteurs sur le moment. C'est-à-dire parfois les individus sont interpellés. et auditionner immédiatement. Et on voit dans les auditions des éléments langagiers qui orientent vers des décompensations de maladies psychiatriques. Là où, quand on le voit une année après, parfois l'individu est bien stabilisé. Donc c'est toute une cohorte d'éléments qui nous permet d'avancer dans notre raisonnement, mais qui sont des éléments de procédure, qui figurent au dossier, qui doivent respecter le principe du contradictoire. Tout le monde a connaissance de ces éléments, sauf les scellés médicaux, bien sûr. Et en revanche, on n'est pas en relation avec d'autres personnes. On peut éventuellement, sous couvert de la procédure, s'allouer les services d'un sapiteur, c'est-à-dire d'un autre médecin expert dans une autre discipline. Ça arrive parfois en neurologie. Quand je pense à un dossier dans lequel j'ai eu un doute sur la question de l'épilepsie, évidemment, je n'y connais rien. Et donc, j'ai sollicité un sapiteur neurologue. Mais en revanche, on n'est pas amené à rencontrer la famille, à enquêter sur le plan social. C'est vraiment le rôle de l'enquêteur social.

  • Speaker #6

    Je m'occupe juste du privilège d'une ultime question subsidiaire. Désolé pour le public, mais on a vu tout en haut de la chaîne alimentaire ou de la pyramide des responsabilités. Il y a le juge. Comment les gens ? Moi, j'ai passé six mois en psychiatrie. Je suis médecin et je me sens totalement incompétent pour me prononcer quand je suis face à des patients un peu dissociés ou quoi que ce soit. Comment sont formés finalement les juges ? Qu'est ce qu'ils ont comme formation pour pouvoir ? Être tout au bout et prendre une décision en acceptant ou pas finalement le diagnostic du psychiatre ?

  • Speaker #4

    Alors les juges, la formation se fait dans le cadre de l'école nationale de magistrature et je pense qu'il y a un module de formation justement en psychiatrie d'ailleurs, non, sur des soins en psychiatrie. Et donc ils ont déjà une vision peut-être ? très partiel de la profession, de la façon de l'expertise, notamment sur les questions d'expertise. Mais il y a aussi, comme je le disais tout à l'heure, le juge doit décider selon des fondements objectifs. De toute façon, il ne peut s'en tenir qu'à la loi. C'est la première chose qui le garantit, qui lui garantit un certain format d'objectivité, pas qu'à la loi au sens, au cadre légal, pardon, au cadre légal qui est fixé. L'expertise... également fait partie des observations que le juge peut prendre également en considération. Et surtout, bien sûr, c'est l'effet sur lequel il doit se prononcer. Donc je ne pense pas qu'il y ait une seule façon de procéder, c'est que des éléments objectifs en fonction de chaque espèce que le juge doit prendre en considération. Et notamment, comme vous l'avez à juste titre rappelé à plusieurs reprises, c'est que le juge n'est pas tenu de suivre. de suivre les expertises qui sont données. Il peut prendre d'autres considérations, le contexte familial, le contexte social de l'individu. Et ce qui est intéressant, d'ailleurs, c'est pour cela, je vous ai reposé la question tout à l'heure, puisque cela m'interpellait, c'est aussi, il a toute la fonction de la peine pénale. C'est quand même, et ce n'est pas une peine d'exclusion. C'est une peine justement de l'isoler l'individu de la société, le temps de réparer la faute qu'il a commise, donc le tort à la société. Mais ensuite, il faut également le penser dans une dimension de réinsertion, de réintégration dans la société. Et donc peut-être c'est aussi un phénomène que le juge doit prendre également en compte. Après, avec ces risques et les questions de responsabilité, de récidive et de sécurité juridique par rapport à l'ordre public, qu'on a également évoqué. Donc, pour cela, c'est quelque chose qui m'avait interpellée, ce qui expliquait que, par rapport à votre témoignage, je m'avais suscité cette interrogation, comment fait-on d'un individu qu'on isole, qu'on traite, mais en même temps, par la suite, il faut penser aussi à son insertion sociale. Voilà, après, il faut aussi prendre en considération cela. Oui, oui.

  • Speaker #3

    Cela dit, vous posez une question assez importante et aussi une perspective d'avenir, c'est-à-dire la notion de la formation continue qui peut être donnée au juge par rapport à la communauté du langage, ou en tout cas un langage qui peut paraître moins cryptique, allergique, qui peut s'apprivoiser quand même aussi les nuances. Il y a aujourd'hui des outils, typiquement on a mis en place des formations de type CAS conjointes entre les juristes et... les psychiatres pour pouvoir favoriser ce type de communication. Bien évidemment, chacun a sa particularité, mais je suis d'accord à l'idée de fond qu'il faudra quand même que l'un apprivoise la réalité de l'autre pour pouvoir collaborer, pas seulement dans le cadre de l'expertise, mais dans le cadre aussi de l'exécution d'une peine et d'une mesure. Donc ça, c'est une perspective sur laquelle l'éducation, la formation, est une perspective sur laquelle il faut s'arrêter un moment, il faut véritablement investir, à mon sens.

  • Speaker #0

    Tout en gardant quand même peut-être à l'esprit un des aspects que j'ai essayé de développer, c'est-à-dire que, imaginez que vous dites qu'ayant passé six mois d'internat en psychiatrie, vous vous sentez, oui, j'ai passé quatre ans d'internat et puis maintenant plus de dix ans d'expérience clinique. Et au fond, la seule certitude que j'ai, c'est que je ne sais pas. Et donc, c'est aussi ça qui est important. Et je trouve que c'est là où l'office du juge est important. C'est que le juge, il ne juge pas. la matière, enfin il ne juge pas, je veux dire, la folie, etc. Il a précisément à ne pas savoir ce que c'est que la folie et la maladie psychiatrique, qui restent des choses très complexes, et s'imaginer que ce serait toujours dans un degré supérieur d'expertise, de technicité qui permettrait de dire, de discriminer tel ou tel trouble, tel ou tel niveau de responsabilité, c'est comme ça qu'on s'en sortirait. Je crois que précisément, c'est comme ça qu'on s'enfermerait. Donc oui, le juge ne sait pas ce qu'il y a dans le cadre de la folie, pas plus que le psychiatre. Ce qui est important, c'est de savoir qu'on ne sait pas.

  • Speaker #4

    Merci beaucoup pour ce très beau mot de la fin. Je vous remercie chacun d'entre vous pour la qualité de cette table ronde. Et je laisse la parole à notre président pour annoncer la suite.

  • Speaker #6

    On se retrouve tout à l'heure à 14h, toujours en direct et à la salle de l'Aubette pour la folle histoire de la créativité. Merci à vous tous. A tout à l'heure.

Description

Forum Européen de Bioéthique 2025 : Santé mentale & Bioéthique


Santé mentale, justice et libertés


La santé mentale, la justice et la liberté forment un triptyque complexe où les droits individuels et les impératifs de sécurité publique se côtoient et parfois se percutent : stigmatisation, enfermement, injonction thérapeutique, contraintes physiques, vidéosurveillance, responsabilité, expertise, discernement et politique de santé. En focalisant le débat sur une population vulnérable, celle des patient.es atteint.es de troubles mentaux, c’est l’ensemble de notre justice que l’on interroge.


Maria Fartunova Michel, Titulaire de la Chaire Jean Monnet EUBioethics, Maître de conférences HDR en droit public, Université de Lorraine / IRENEE


Panteleimon Giannakopoulos, Professeur ordinaire au Département de psychiatrie de la Faculté de médecine, Médecin-chef du Service des mesures institutionnelles aux HUG, Directeur général de l'Office cantonal de la santé (OCS) du canton de Genève


Manuel Orsat, Docteur Manuel ORSAT, Psychiatre, Expert près la Cour d’Appel d’Angers, Secrétaire Général de la Compagnie Nationale des Experts Psychiatres près les Cours d’Appel



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour, bienvenue à tous qui vous êtes rendus sur place ce matin dans la salle de l'Aubette, mais qui sont aussi nombreux derrière leurs écrans en streaming. Bienvenue à cette première journée du Forum européen de bioéthique, qui cette année est consacrée au thème santé mentale et bioéthique. Je vais laisser la parole à Monizan, qui va modérer cette table ronde qui s'intitule Santé mentale, justice et liberté

  • Speaker #1

    Merci Aurélien. Nous ouvrons ce matin cette nouvelle édition du Forum européen de bioéthique avec une première table ronde qui a la particularité de traiter la question de la santé mentale du point de vue de l'individu, bien sûr c'est ce qu'on fera chaque jour dans ce forum, l'individu jugé ou condamné alors qu'il est atteint d'une éventuelle pathologie psychiatrique, mais également du point de vue de la société qui demande à être protégé de certains troubles dangereux et qui sont dangereux pour les autres. Alors nous aborderons ces prochains jours la question des soins prodigués en santé mentale et du système de soins qui se porte plus ou moins bien. Ce matin on va naviguer à la lisière entre le système de soins et le système pénal, allant de la décision judiciaire qui détermine si un individu peut être jugé et faire l'objet d'une sanction pénale, à l'organisation des soins psychiatriques pour les personnes détenues. Nous évoquerons également les alternatives à l'incarcération pour les personnes qui souffrent de troubles sévères. et peut-être aussi de la surreprésentation des troubles psychiatriques en milieu carcéral. La question de la santé mentale se pose à toutes les étapes du parcours judiciaire. On va aborder, je pense, ce matin chacune de ces étapes. Avant de juger, comment la justice peut-elle passer face à la personne qui, atteinte d'un trouble psychiatrique, commet un crime ou un délit ? Qu'est-ce que l'irresponsabilité pénale ? Dans quel cas les personnes sont-elles déclarées inaptes à être jugées ? Le droit pénal français distingue les notions d'abolition et d'altération du discernement. À quoi cela correspond-il ? Quelles sont les conséquences d'une telle distinction ? Comment on expertise pour savoir dans quelle situation l'on est ? La question de la santé mentale se pose également au moment de décider de la sanction pénale. Les sanctions pénales peuvent tenir compte de l'existence de troubles, soit parce que les juges vont décider d'amoindrir les sanctions, parce qu'ils vont les aménager, par exemple en ordonnant des soins, notamment lorsqu'il s'agit d'infractions à caractère sexuel. Le sujet de la santé mentale est également présent lorsque la sanction est exécutée. Et c'est la question de la santé mentale en milieu carcéral que nous aborderons sûrement aussi demain, lors de la table ronde santé mentale et isolement. Mais la justice intervient aussi lorsqu'aucune infraction n'a été commise. Et là, il ne s'agit pas de protéger la société, mais uniquement l'individu. privé de liberté en raison de son état de santé. C'est le cas des personnes hospitalisées sans leur consentement, puisque depuis 2011, le contrôle de ces hospitalisations est confié au juge des libertés et de la détention. Nous en parlerons bien évidemment ce matin. Pour évoquer toutes ces questions, qui sont nombreuses, ou en tout cas certaines d'entre elles, nous recevons ce matin Maria Fortunova Michel, titulaire de la chaire EU Bioethics, maître de conférences à l'Université de Lorraine. Nous recevrons également... Pantelemon Giannakopoulos, professeur de psychiatrie, directeur général de l'Office cantonal de la santé du canton de Genève et directeur médical de la prison-hôpital pour détenus dangereux Curabilis, ou ancien directeur, vous nous direz. Je crois que vous avez récemment changé de poste. Et enfin, Manuel Orsat, psychiatre, expert prêtre de la Cour d'appel d'Angers, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Pour commencer cette table ronde, je vais laisser la parole à Maria Fortunova-Michel. Nous vous écoutons.

  • Speaker #2

    Merci beaucoup. Tout d'abord, j'aimerais adresser mes remerciements à Aurélien Benoît-Lide, à Raphaël Bloch et à Maud Nison, qui m'ont invité encore une fois pour une deuxième année consécutive à participer au Forum européen de bioéthique dans le cadre du partenariat que nous allons renforcer notamment au niveau de l'Université de Lorraine, puisque le Forum européen de bioéthique est un partenaire de la chaire Jean Monnet. financé par la Commission européenne dont je suis la titulaire. Donc aujourd'hui, je vais vous présenter la thématique de la santé mentale à travers le triptyque qui constitue la problématique bien sûr de cette matinée, le triptyque santé mentale, justice et liberté. Et c'est une formulation qui, à mon sens, n'est pas affirmative, mais davantage interrogative. De manière... tout à fait classique, on doit s'interroger quels sont les rapports entretenus entre ces différents termes. Doit-on les penser de manière frontale en ce qu'ils opposent les droits individuels, la liberté de l'individu, aux impératifs de sécurité publique, donc l'ordre public et l'intérêt collectif, et surtout, comment déterminer le curseur où on doit se placer selon les circonstances de chacun. La méthode aussi se triplique. L'éthique interroge également sur la méthode. Quel focal choisir comme principal étalon d'observation ? Selon qu'on chance les lunettes de la santé mentale, de la justice et de la liberté, l'approche ne sera pas nécessairement la même. Tout d'abord, si on chance les lunettes de la santé mentale, on va penser directement à la politique de la santé et son évolution dans un contexte social et politico-juridique. D'un point de vue de la liberté, On se placera bien sûr du côté de l'individu, de ses droits individuels, mais également de l'exercice de sa liberté politique au sein de la société. Et enfin, d'un point de vue de la justice, bien sûr, on pense en premier lieu à l'institution du juge, son rôle comme arbitre, pour arbitrer le conflit potentiel qui peut exister entre la protection de l'individu dans sa liberté et derrière les impératifs d'ordre public. Et enfin... En s'agissant de la justice, il y a également cette conception de justice sociale, à laquelle fait référence la dernière phrase de la problématique de cette matinée. Dans ces cas-là, la justice sociale sera pensée comme une construction morale et politique fondée sur le principe d'égalité, de solidarité et d'équité. Le choix principal que je vais faire pour cette présentation rapide, c'est un choix discrétionnaire imposé. par le thème central du forum cette année, donc le concept de santé mentale. Dès lors qu'on prend la focale de la santé mentale, les rapports entre santé, liberté et justice seront étudiés dans une approche globale, tant au chelon national, mais aussi européen, voire international, puisqu'il faut quand même le rappeler. La première définition qui a été donnée à la santé mentale revient à l'Organisation mondiale de santé dès les années 1948. Et donc une approche séquentielle de la littérature scientifique et des rapports officiels permet de rendre compte sur ce point que le concept de santé mentale est aujourd'hui banalisé dans son usage. Il n'est plus nécessaire de le mentionner, mais il apparaît de manière fonctionnelle comme un référentiel des pratiques et des discours, un référentiel des pratiques et des discours dont le contenu, dont la construction se fait selon les représentations sociales du moment. Donc ces deux aspects-là, je vais vous les présenter assez rapidement pour vous démontrer l'évolution, l'émergence de ce concept de santé mentale comme référentiel des pratiques et des discours, quelles sont les conséquences sur le plan social, politique et juridique. Et ensuite, quelles sont les perspectives d'évolution compte tenu de l'évolution des représentations sociales ? Alors, la santé mentale en tant que référentiel des pratiques et des discours, il s'agit bien sûr de la construction d'un tel référentiel. Et la construction d'un tel référentiel se fait d'un point de vue historique. D'un point de vue historique, les travaux et la doctrine s'accordent sur le point de savoir. que cette construction se fait clairement grâce à l'évolution de la prise en compte de la santé mentale, non seulement au niveau social, mais aussi juridique. Cette évolution est marquée par le passage d'une approche négative, centrée exclusivement sur l'aliénation et la maladie, vers une perception plus objective, c'est-à-dire pas seulement l'individu, mais aussi les facteurs qui ont une influence sur sa santé mentale. Et sur ce point, l'exemple de ce qui se passe actuellement au niveau de l'Union européenne est particulièrement éclairant. La question de la santé mentale apparaît dans les conclusions et dans des textes non contraignants de l'Union européenne depuis 1999, où la santé mentale a été explicitement reliée à une intervention ponctuelle, sectorielle de l'Union européenne sur des questions de santé, de la mise en place de la santé de l'Union européenne. Mais jusqu'en 2023, on constate un changement véritable de méthode. puisque la Commission européenne va publier en 2023 sa communication relative à l'approche globale en matière de santé mentale. Et là, dans cette approche globale de santé mentale, plusieurs actions vont être envisagées. Et ces actions sont exactement les mêmes que l'on retrouve également dans les discours et dans les plans d'action au niveau national, y compris notamment en France. Merci. Pouvoir la bonne santé mentale, investir dans la formation et le renforcement des capacités, assurer une bonne santé mentale au travail, protéger les enfants et les jeunes, répondre aux besoins des groupes vulnérables, montrer l'exemple à l'échelle internationale, notamment grâce au soutien dans les situations d'urgence humanitaire. Tout cela converge vers un phénomène, vers un constat, selon lequel la santé mentale est devenue aujourd'hui un objet politique public et qui, contrairement à ce que l'on pensait, paraît bien déterminé. C'est-à-dire, on peut identifier les critères objectifs sur lesquels se construit cette approche globale de santé mentale en tant qu'objet de politique publique. Et cela contrairement à ce qu'on peut penser lorsqu'on lit l'indétermination de la définition en données. dans le cadre de l'OMS. Et sur ce point, je rejoins les travaux de l'historien et philosophe Claude-Olivier Doron, selon lesquels la santé mentale apparaît aujourd'hui selon une conception très précise des rapports sociaux de l'individu en développement et des liens affectifs. Donc, cette nouvelle approche de la santé mentale met en exergue tout un ensemble de relations entre sujets individuels. Et à partir de là, il faut quand même s'interroger comment le droit et la société vont répondre à cette nouvelle conception. Bien sûr, le droit se saisit. Il se saisit de ce phénomène, de cette nouvelle conception de l'objet santé mentale en tant qu'élément important de la politique publique. Mais l'objet santé mentale reste. a un réflexe, en quelque sorte, un caractère diffus. On ne peut pas l'appréhender par le haut, mais aussi par le bas. Ce que la doctrine tente d'expliquer par une nouvelle façon de penser le biopouvoir ou les biopolitiques, notamment en modifiant la façon de procéder. C'est-à-dire, on ne va pas intervenir sur un ensemble de dispositifs biopolitiques, je cite, de sorte à modifier, améliorer. réguler les conditions concrètes d'existence des sujets, agir sur leur milieu de vie, par exemple, ou sur la répartition de revenus. Mais ici, il s'agira davantage, et je cite encore une fois, de penser ce phénomène en tant qu'une biopolitique des émotions et des affects. En quelque sorte, on assisterait aujourd'hui, grâce à cette évolution de la conception de la santé mentale, d'une politisation de la vie. ce que les sciences humaines dont se saisissent aujourd'hui de manière assez importante les sciences humaines et sociales. Quels sont ces caractères objectifs qui peuvent identifier cette conception ? C'est la prévention, anticipation, identification des groupes et des situations de crise, surtout non pas par rapport à l'individu. isolé, mais par rapport à l'individu dans son processus de développement. Toutes les phases de son développement et l'identification des périodes de crise où sensiblement un phénomène extérieur peut venir perturber la santé mentale. Et quand on regarde les différents instruments qui sont pris dans ce cadre, on constate que ce catalogue devient de plus en plus fourni, y compris par exemple le postpartum. et le plan d'action qui est revendiqué au niveau de l'Union européenne, mais aussi auquel le droit et le juge vont être particulièrement attentifs. La réponse juridique est bien sûr celle de la logique juridique. La catégorie des personnes, donc la catégorisation, on aura d'un côté la minorité, personnes âgées, personnes en situation irrégulière, Mais également, on va prendre en compte l'environnement dans lequel se trouve l'individu. Et dans ces cas-là, l'objectif de l'objet de santé mentale va se traduire en droit individuel. L'exemple le plus classique, c'est la prise en compte du trouble mental, de la question de l'handicap. Et tous ces éléments vont se poser devant le juge dans un cas concret. Et le juge sera obligé d'en tenir compte dans une appréciation. inconcrétant et circonstancié. C'est la raison pour laquelle la santé mentale en tant que référentiel est nécessairement liée aux représentations sociales. J'arrive à ce deuxième point que je vais développer de manière assez rapide puisqu'il s'agit ici simplement de détailler ce que je viens de préciser. Alors les représentations sociales, elles ont contribué à l'évolution de la conception de la santé mentale, explique qu'elles ne sont plus exclusivement liées aux troubles mentaux, à la maladie. Il s'agit encore une fois d'une objectivation de santé mentale en tant qu'un état général de l'individu. Et les représentations sociales, si on juge les différents textes, mais également les interventions législatives, se construisent autour de deux idées. la stigmatisation et l'inclusion sociale. La stigmatisation est un élément assez classique dès lors qu'on parle de la santé mentale et qui est souvent reliée à la question de la discrimination et d'exclusion. L'évolution de ces trois concepts se retrouve bien sûr dans la notion de vulnérabilité qui change elle aussi d'objet. La vulnérabilité aujourd'hui est objectivée en ce sens où, je cite, sous l'angle de droit, la personne vulnérable est celle qui n'est pas en mesure d'exercer les attributs de la personnalité juridique, c'est-à-dire une personne qui, dans un contexte donné, ne peut, en droit ou en fait, jouir de l'autonomie suffisante pour exercer pleinement ses droits fondamentaux. Et si... En ce sens, la protection de la vulnérabilité devient une obligation à destination de l'État, de la société et de l'ensemble des acteurs, c'est-à-dire un devoir de résilience et aider l'individu en situation de vulnérabilité à surmonter son état. C'est aussi le deuxième et dernier point de mon intervention, la question de l'inclusion sociale. Et sur ce point, le juge aujourd'hui est devenu un acteur. directeur, arbitre de ce phénomène, puisque lui, dans ses décisions assez concrètes, doit tenir compte de tout ce phénomène d'évolution. Et il y a un exemple qui est très frappant, cette fois-ci, qui est rendu par la Cour de justice de l'Union européenne en juin 2024, au sujet de l'attribution du statut de réfugié, donc des femmes. Dans cet arrêt, la Cour de justice qualifie l'émergence d'un certain groupe social en tant que motif de persécution, susceptible de conduire à la reconnaissance du statut de réfugié, les femmes ressortissant d'un pays tiers, y compris mineurs, qui partagent comme caractéristiques communes leur identification effective. à la valeur fondamentale de l'égalité entre les femmes et les hommes intervenus au cours de leur séjour dans un État membre. En ce sens, on retrouve cette approche de la justice sociale fondée sur l'égalité, l'équité et la solidarité. Je vous remercie de votre attention.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup. Je passe la parole à Manuel Orsat. Je rappelle que vous êtes psychiatre et surtout, et c'est là le point très intéressant pour nous éclairer, expert près la Cour d'appel danger, secrétaire général de la Compagnie nationale des experts psychiatres. Nous sommes intéressés de savoir comment, en tant qu'expert, vous apportez votre concours à la justice.

  • Speaker #0

    Merci Maître. Mesdames, Messieurs, je me joins en remerciement de mon prédécesseur pour cette invitation. Effectivement, je propose d'intervenir, vous m'avez invité dans le cadre de ces fonctions de représentation de l'expertise psychiatrique et on va nécessairement plutôt parler de l'expertise psychiatrique pénale. C'est une chance pour moi d'être invité à un tel forum puisque... Et finalement, comme on se le disait hier soir, on a plutôt l'habitude de colloques entre professionnels. Et finalement, la possibilité de s'ouvrir à la société est un aspect sans doute fondamental de la question de l'expertise psychiatrique pour la justice. Alors finalement, vous avez fait le choix d'ouvrir ce forum sur une question qui... Même d'un point de vue éthique, me semble devoir poser question, c'est-à-dire au fond la dimension judiciaire, carcérale, pénale de la maladie psychiatrique et de la psychiatrie en général. Alors, il est vrai que la psychiatrie est à n'en pas douter la discipline médicale qui a le plus d'interconnexion avec la justice, que ce soit au travers des soins psychiatriques sans consentement, de l'évaluation et de la protection des... des personnes vulnérables, des questions de dangerosité, de soins en détention et donc de l'expertise psychiatrique. Pour reprendre enfin et pour m'inscrire naturellement dans le sillage de certains des propos de l'un de mes maîtres qui donnait la conférence d'ouverture hier, le professeur Gaillard, il est certain que les maladies mentales sont sans doute parmi les maladies celles qui font le plus peur. Elles font le plus peur à raison puisque la souffrance qu'elles induisent est immense. La peur, l'angoisse sont d'ailleurs des symptômes assez constamment retrouvés chez les patients affectés de troubles psychiatriques. Elles font peur à raison parce que les prises en charge qu'on peut proposer sont limitées dans leur efficacité, qu'il s'agisse à la fois des prises en charge chimiothérapiques dont on sait qu'elles ne sont pas... la panacée et puis les prises en charge en général, quand on sait aujourd'hui l'état de déliquescence du système de santé psychiatrique dans notre pays. Mais elles font vraisemblablement aussi peur à tort, à tort lorsqu'il s'agit d'avoir peur des malades mentaux en eux-mêmes. D'abord parce que, et je crois que puisque ce forum s'ouvre sur cette session, il faut d'abord rappeler que les patients atteints de troubles psychiatriques sont premièrement victimes à la fois du stigma dont il a été parlé, dont je redirais un mot, mais également victimes, y compris d'agressions violentes, la situation sociale, de précarité, la difficulté à appréhender le risque, etc. Ce sont des facteurs qui exposent davantage à la victimation les patients atteints de troubles psychiatriques. atteints de troubles psychiatriques. En outre, il est vrai et c'est scientifiquement démontré qu'un certain nombre de pathologies psychiatriques sont associées à des passages à l'acte violents. Néanmoins, il est tout aussi vrai que les déterminants de ces passages à l'acte violents chez les patients atteints de troubles psychiatriques sont des déterminants finalement basiques ou je dirais génériques, c'est-à-dire les mêmes déterminants qui font passer à l'acte les personnes qui ne présentent pas de troubles psychiatriques ou mentaux, c'est-à-dire notamment l'usage de substances psychoactives, c'est-à-dire aussi des traits de personnalité particuliers, mais qui ne relèvent pas de la maladie psychiatrique. Peur dans la population générale a tort aussi, puisque probablement les craintes qui sont générées par les troubles psychiatriques et mentaux relèvent de ce que... Nous avons collectivement une difficulté avec l'écart à la norme, laquelle difficulté ne repose sur rien de rationnel naturellement. Parmi les rôles sociaux du psychiatre, je dirais qu'expliquer ce qui paraît fou, incompréhensible, invraisemblable, essayer de remettre du sens lorsqu'il n'y en a plus, sont ceux qui me tiennent le plus à cœur. Je crois qu'on pourra en dire quelque chose dans la fonction du psychiatre expert. Mais c'est avant tout demeurer humble dans la capacité à se faire entendre. dans la polysémie du verbe entendre, qui me semble être au devant de la pratique psychiatrique. Alors, tenter de dire ce qui ne veut pas ou ne peut pas être entendu, tel est un des offices du psychiatre expert, et c'est ce que je vais essayer de vous expliquer. D'abord, qu'est-ce que c'est que l'expertise psychiatrique pénale ? C'est essentiellement, même s'il en existe d'autres, mais mon propos se focalisera sur celle-ci, c'est ce qu'on appelle l'expertise de responsabilité, laquelle intervient dans de nombreuses situations de procédure. Elles sont prévues par la loi afin d'éclairer le juge sur le degré de responsabilité d'un sujet auquel on pourrait imputer une faute. On va demander au psychiatre expert, au fond, d'éclairer le juge sur un domaine dans lequel il n'a pas compétence. Le juge n'est pas médecin, il n'est pas psychiatre. Et c'est au fond, bien là, la seule mission du psychiatre, c'est-à-dire apporter des éclairages au juge et certainement pas davantage. Le juge n'étant jamais tenu par les conclusions d'un expert, son office à lui, c'est de juger et donc certainement pas d'enteriner. des conclusions d'expertise. Ça, c'est pour dire la limite au fond de ce que l'exercice de l'expertise psychiatrique est. Au centre de la question de l'expertise psychiatrique de responsabilité se pose la notion de discernement en droit français prévu à l'article 122 du Code pénal. Et donc, il va être demandé aux psychiatres experts de... procéder à un examen clinique de la personne mise en cause, au fin d'évaluer ce discernement. D'emblée, puisque nous parlons éthique et que nous réfléchissons, peut-être d'un point de vue dialectique, on pourra tout de suite souligner qu'il n'existe pas de définition du discernement, ni du côté de la psychiatrie, ni du côté de la justice. Il s'agira donc pour le psychiatre de répondre à une question d'une certaine manière, n'existe pas vraiment dans les référentiels. Il n'y a pas de définition du discernement, mais comment se tire-t-on sur ce que cela pourrait être ? Au fond, on considère qu'être doué de discernement, c'est être capable de comprendre la situation dans laquelle on se trouve. Ça nécessite d'avoir certaines compétences en matière de sens, par exemple, voir, entendre, se saisir de ce qu'il se passe. C'est également dans un deuxième temps être en capacité d'analyser ce qu'on a perçu et compris de la situation dans laquelle on se trouve. Et c'est enfin ajuster ses comportements, ses raisonnements, ses actions au regard des deux précédents temps que je viens d'énoncer. Il se trouve que dans certaines situations de pathologie psychiatrique ou mentale, ces capacités, à quelque temps que ce soit, peuvent se trouver. partiellement ou complètement entravée. Partiellement, c'est ce qu'on appelle l'altération du discernement. Complètement, c'est ce qu'on appelle l'abolition du discernement. L'abolition du discernement ayant quand même une conséquence majeure si elle est retenue par le juge, c'est qu'elle entraîne l'irresponsabilité pénale de la personne mise en cause et dès lors que l'on n'est pas responsable pénalement, on ne peut pas être sanctionné. Alors, naturellement, au regard de ce que je viens de commencer à énoncer, on voit d'emblée, et puis on le sait, vous le savez, on voit poindre des fantasmes et des représentations erronées autour de cette question posée au psychiatre. D'abord, comment est-ce qu'on fait pour avoir un avis, quand on est médecin psychiatre, sur les éléments que je viens de détailler ? Ensuite, dans quelle mesure on ne peut pas... feindre, enfin faire semblant, mimer des troubles qui viendraient comme cela faire croire qu'on est atteint d'une pathologie psychiatrique pour échapper à la justice puisque l'abolition du discernement entraîne l'irresponsabilité pénale. Bon, je voudrais démystifier d'emblée tout cela. L'examen psychiatrique d'expertise est un examen somme toute assez simple qui est l'examen psychiatrique que réalise... psychiatre au quotidien et qui permet de bien identifier certaines manifestations, certains symptômes, de les articuler les uns aux autres pour éventuellement comprendre une maladie caractérisée et puis ensuite dans un temps second de raisonner au moment des faits puisque la loi nous impose de raisonner au moment des faits enquêtés ou instruits. En effet on peut être affecté d'une maladie psychiatrique ou mentale chronique c'est assez fréquent. Mais les maladies chroniques ne s'expriment pas de manière longitudinale. Elles peuvent parfois être très exacerbées et parfois tout à fait silencieuses. La question qui est posée à l'expert, c'est précisément au moment des faits de savoir si la maladie s'exprimait et dans quelle mesure elle avait une relation avec les faits. Il est important ici de souligner, et c'est une particularité, alors pas exclusive, mais c'est une particularité du droit français. que la loi ne prévoit pas de liste de maladies psychiatriques ou mentales qui viendraient par principe altérer ou abolir le discernement. Ce n'est pas le cas dans d'autres lois, y compris en Europe. De sorte que... Présenter certaines maladies psychiatriques ou mentales qui parfois sont sévères, des troubles schizophréniques, des troubles bipolaires, d'autres types de troubles de l'humeur, n'est pas en soi un critère qui va à priori interférer avec le discernement. De notre point de vue, c'est à défendre. C'est une particularité de notre droit à défendre. Car en effet, comme je viens de l'indiquer à l'instant, l'évolution des maladies psychiatriques fait qu'à certains moments, on peut être en... pleine possession de ses moyens et puis à d'autres moments ne l'être pas. Ce sont effectivement les manifestations cliniques et non pas une maladie au sens de diagnostic qui vont déterminer l'analyse au moment des faits de la relation entre ces manifestations et le passage à l'acte. Alors pourquoi c'est essentiel de faire cette part à l'analyse de l'état psychique d'un individu au moment où il passe à l'acte ? Je pense que ça s'articulera avec le propos de l'orateur suivant. C'est essentiel parce que dans nos sociétés et depuis le droit romain, nous donnons pour axe fondamental que l'on doit préférentiellement soigner les patients atteints de troubles psychiatriques plutôt que les punir. Il est constant que notre préoccupation est de permettre une bonne orientation vers les soins. C'est l'expression d'une forme d'humanisme des soins, d'orienter vers les soins les patients atteints de troubles mentaux, même si à un moment donné ils ont pu commettre une infraction, davantage que de les sanctionner, puisque cela n'aurait pas de sens. On pourra y revenir. Alors je voudrais à ce moment-là, et on en avait parlé en préparant la session, déconstruire quelque chose que l'on peut associer à ce qu'on appelle parfois une forme de populisme pénal. Au regard de ce que je vous ai dit, on pourrait se dire finalement, et d'ailleurs on le dit parfois dans les médias lorsqu'il est question d'affaires souvent un peu sulfureuses, certains ont parlé, en l'espèce sénatrice, il y a quelque temps dans le... Le prolongement d'une affaire médiatique, qui est l'affaire Alimi Traoré, avait parlé d'impunité psychiatrique, dans le sens où harguer de présenter un trouble psychiatrique au mental au moment où on passe à l'acte, en l'espèce un acte criminel, pourrait faire échapper, au fond, à la justice. Et donc il y aurait, comme ça, des gens qui échapperaient à la sévérité de la justice en faisant valoir qu'ils présentent des maladies psychiatriques au mental. Alors moi je laisse à chacun la possibilité de croire à ces choses là, mais je voudrais vous énoncer quelques éléments assez factuels que sont les statistiques de la justice pour vous faire une petite idée de ce que c'est que l'irresponsabilité pénale en termes de chiffres. Désolé, c'est un peu épais, mais ça me semble très éclairant. En France, il y a en moyenne chaque année 30 000 règlements d'information, c'est-à-dire que les juges d'instruction ferment 30 000 dossiers par an. Ils vont au terme de leur instruction pour 30 000 affaires chaque année. Parmi ces 30 000 règlements d'information, 7 000... Ce solde par ce qu'on appelle un non-lieu, c'est-à-dire qu'il n'y aura pas de poursuite parce que le juge d'instruction n'a pas réuni suffisamment d'éléments pour pouvoir amener son dossier devant une juridiction de jugement. 30 000 informations réglées, 7 000 qui ne vont pas aller devant une juridiction de jugement et parmi ces 30 000, dont 7 000 ne vont pas être jugées, parmi ces 7 000 qui ne vont pas être jugées, 200... ne le sont pas pour des raisons d'irresponsabilité pénale en raison d'un trouble psychiatrique. C'est-à-dire que chaque année en France, 200 personnes échappent à la justice sur 30 000 règlements d'information. On parle d'information judiciaire, donc je ne parle pas d'enquête préliminaire ici, mais c'est pour vous indiquer qu'en réalité, 0,6% des règlements d'information judiciaire se soldent par une irresponsabilité pénale pour trouble mental. 0,6%, chacun appréciera si c'est beaucoup, si ça représente de l'impunité psychiatrique ou si c'est anecdotique. Pour ce qui me concerne, j'estime que c'est particulièrement anecdotique et je l'estime d'autant plus dans un raccourci, peut-être pourrons-nous en discuter, que l'épidémiologie des troubles psychiatriques dans les prisons françaises témoigne de ce qu'en réalité on oriente bien davantage vers la... prison les personnes commettant des infractions et présentant des troubles psychiatriques que vers l'hôpital psychiatrique. On pourra en redire un mot, y compris sur le plan statistique. Alors, quels sont au fond les enjeux de l'expertise psychiatrique lorsqu'on regarde un petit peu ce panorama que je viens de vous indiquer ? Il me semble que l'exercice de l'expertise psychiatrique pénale, c'est celui d'une mise en tension permanente des valeurs, notamment si on le regarde sous le champ. de l'éthique. Parce qu'il s'agit d'abord pour le psychiatre, avant tout, peut-être j'aurais dû commencer par ça, un psychiatre expert, notre compagnie est mal nommée, elle s'appelle compagnie des experts psychiatres, mais nous sommes en réalité psychiatres experts, l'ordre des mots importe. Un psychiatre expert c'est avant tout un médecin, un médecin psychiatre qui a une pratique médicale et soignante et qui met... soit au service de la justice les compétences qu'il a acquises et son expérience. Mais ce n'est évidemment pas naturel, je dirais. Il s'agit d'une mise en tension ici que de collaborer à l'œuvre de justice avec tous les risques d'amalgame et d'instrumentalisation que cela pourrait représenter. Il n'est pas rare dans d'autres... pays et dans d'autres régimes politiques, naturellement, que la psychiatrie soit convoquée par les semblants de justice pour venir. On le sait, l'histoire nous l'a enseigné, mais l'actualité encore dans certains pays, pas forcément très éloignés d'ici, nous montre que la psychiatrie peut être instrumentalisée aux fins de pseudo-justice. Donc, il s'agit évidemment de ne pas être dupe de ça. Pour autant, comme je l'ai dit, comment s'y prendre ? conserver ce pilier de l'humanisme des soins qui consiste à aider à l'orientation d'une personne qui va commettre une infraction, soit vers effectivement le fait qu'elle soit jugée, condamnée, éventuellement incarcérée, soit vers le fait qu'elle aille vers les soins. Il va bien falloir discriminer, il va bien falloir apporter des éléments de compréhension au juge et c'est là une pratique. En tension pour le psychiatre expert, mais une pratique qui me semble essentielle. Évidemment, il s'agit aussi dans cette position de participer, je ne sais pas si c'est une œuvre, j'allais dire à l'œuvre de sécurité publique, mais enfin en tout cas... à l'attente d'une sécurité publique. Or, certains troubles psychiatriques ou mentaux peuvent troubler la sécurité publique. Et quand on est spécialiste des troubles psychiatriques et mentaux, il s'agit aussi de prendre en considération cet aspect-là. Mais, et c'est essentiellement le cas lorsque nous sommes amenés... puisque la procédure est orale et exclusivement orale en matière de cour d'assises, lorsque le psychiatre expert est amené à venir exposer ses travaux devant la cour d'assises, il va s'agir non seulement de faire œuvre de pédagogie, de pouvoir expliquer ce qui n'est pas toujours très simple du côté des termes, du côté des concepts en psychiatrie à des non-psychiatres, que sont les magistrats professionnels ou que sont les jurés populaires. Faire donc œuvre de pédagogie, mais également, me semble-t-il, rappeler sans cesse les limites de notre exercice. Il s'agit, et nous sommes attendus là-dessus, d'apporter des éléments de compréhension de faits souvent incompréhensibles. On a tous à l'idée des crimes abominables sur des personnes. particulièrement fragiles, les crimes qui concernent les enfants, etc. et qui paraissent incompréhensibles. Et pour cheminer dans la mission que se donne la justice, mettre du sens, comprendre, établir une vérité judiciaire, on passe parfois par le fait de proposer des explications qui reposent sur les mécanismes du fonctionnement psychique, bien au-delà de la présence ou non d'un diagnostic. Vous avez compris que finalement... L'essentiel du temps, lorsque l'on va devant une cour d'assises, c'est pour expliquer qu'on n'a pas affaire à des personnes atteintes de troubles psychiatriques, quand bien même les actes qu'elles ont commis paraissent fous, je dirais, au sens trivial. C'est donc ici un rôle délicat, je trouve, là encore, de mise en tension, où il ne s'agit pas seulement pour le psychiatre de dire il y a de la maladie ou il n'y a pas de la maladie, au-delà de ces aspects de l'hypnologie. du diagnostic, il s'agit aussi d'apporter des éléments de compréhension psychopathologique, psychodynamique, de comment ça marche la vie psychique et comment parfois ça aboutit à des passages à l'acte paraissant en rupture avec un fonctionnement normal. Mais au fond, nous sommes avant tout experts de nos limites. L'expertise psychiatrique pénale n'est pas un exercice de la toute puissance du savoir. Nous n'expliquons pas grand chose. Nous devons surtout... pour tout faire avec l'attente sans doute jamais satisfaite, et c'est heureux, des magistrats, des juges, des jurys populaires, à ne pas tout pouvoir expliquer. Être expert en psychiatrie, c'est d'abord mesurer la complexité de la vie psychique, qu'elle soit physiologique ou psychopathologique, même lorsque nous ne sommes pas atteints de maladies psychiatriques ou mentales, nous avons affaire. avec ce que notre vie psychique a de particularités et parfois de complexités, c'est cette complexité qu'il convient de mesurer, de dialectiser, d'expliquer. Et c'est savoir aussi, lorsqu'on est en position d'être psychiatre expert, en dépit de ce que le titre peut avoir l'air de ronflant, d'autoritaire, c'est surtout pouvoir dire l'humilité qu'exige l'appréhension des phénomènes psychiques. Pour finir, au fond... Je pourrais interroger ou mettre l'accent sur le fait que l'époque dans laquelle nous vivons, paradoxale, d'exigence à la fois de rationalité, grande prégnance des neurosciences aujourd'hui dans l'approche des maladies psychiatriques et mentales, attente tous azimuts d'explications, de rationalisation. Tout problème doit avoir une solution, on doit pouvoir tout expliquer. Et puis en même temps, on est quand même... je crois que l'actualité nous le montre, dans une période d'expansion du fake, du superficiel, de la fausse information, des vérités parallèles, d'un émotionnel qui prend le pas, au fond peut-être le rôle, la mission du psychiatre expert en matière pénale, c'est de demeurer une boussole de la complexité et de l'esprit critique, y compris même du savoir qu'on lui confère. En ce sens... L'expertise psychiatrique pénale me semble être un acte médical avant tout et politique qui implique une réflexion éthique. C'est la raison pour laquelle il me paraissait important de pouvoir venir en discuter avec vous et surtout de pouvoir prolonger ces bribes de réflexion avec vous. Merci. Je passe la parole à Pantéléon Giacognacopoulos. Vous êtes professeur de psychiatrie et vous êtes aussi en charge de, enfin on appelle ça directeur général de l'office cantonal de la santé du canton de Genève. Donc vous êtes le ministre de la santé de Genève, si j'ai compris.

  • Speaker #1

    Pas exactement, mais je dois organiser la santé, les différents aspects de la santé en collaboration avec le ministre du lieu. Je vous remercie de votre invitation. Je voudrais peut-être compléter les propos qui ont été tenus avant avec un témoignage qui peut paraître un peu plus personnel. Vous retracez une histoire et vous parlez de ce qui, à mon sens, aujourd'hui, est un enjeu fondamental, qui est celui de l'exercice de la contrainte en psychiatrie sur les différents aspects et l'évolution sociétale, qu'on assiste pratiquement les dernières... deux à trois décennies. Alors, c'est là fait environ 30 ans que j'exerce ce métier. J'ai eu l'occasion par différents promontoires d'observer le lien entre la contrainte et les soins psychiatriques dans les différentes déclinaisons. Donc je reprendrai certains des propos qui ont été nus ici. J'ai envie de dire que dans une assez longue période, ce type de contrainte concernait, pour la plupart des psychiatres, le lien avec les codes civils. C'est-à-dire que dans les différents pays, j'ai eu l'occasion de vivre et de travailler dans différents pays, dans les différents pays pourrait être ce qu'on appelle le placement à des fins d'assistance, c'est-à-dire limiter la liberté d'un individu pour lui procurer des soins quand cet individu peut se mettre en danger ou peut mettre les autres en danger. Le danger est un mot extraordinairement important, je vais essayer de vous décrire dans les quelques minutes qui me sont données. Puisqu'on a progressivement évolué d'un monde qui était centré sur la question de la responsabilité, ça a été quand même abordé de manière très approfondie juste avant, au monde qui se focalise de plus en plus sur la dangerosité. Et c'est un glissement conceptuel tout à fait important. Je vous décrirai peut-être que la situation est peut-être moins visible aujourd'hui en France. Je vous donnerai des exemples d'autres pays où c'est... Cette modification, ce saut qui était un saut campique, passé c'est-à-dire de la notion de la responsabilité à la crainte de la dangerosité, a eu des répercussions et a des répercussions très importantes au niveau des soins et de l'humanisme des soins psychiatriques. Alors il fut un temps, un temps qui peut paraître lointain aujourd'hui. Quand je parle comme ça j'ai l'impression d'être un dinosaure, mais enfin vous m'excusez les propos. J'ai vécu dans une époque où les hôpitaux L'hôpital que j'ai dirigé, et que je continue à diriger pour quelques mois encore à Genève, les hôpitaux qui prennent en charge des patients qui ont passé à l'acte sur un plan pénal, qui sont considérés des criminels dangereux pour le procurer de soins, il fut un temps que ces hôpitaux étaient en train, dans différents pays, de fermer. C'était le mouvement, pour les plus anciens parmi nous dans la salle, le mouvement des années 60. la grande libération des mœurs, l'interrogation sur la liberté, la quête de liberté qui a caractérisé nos sociétés il y a environ 60 à 70 ans en arrière. C'est loin, mais peut-être pas si loin que ça de nous-mêmes. Alors à cette époque-là, des hôpitaux qui prennent en charge ce type de patients existaient, mais qui étaient essentiellement des îlots de misère, parfois avec des pratiques extraordinairement déviantes. Donc c'était cette histoire assez sulfureuse que les Italiens savaient bien, sous le terme de manicomio criminalis, c'est-à-dire ces institutions très peu dotées où il y avait beaucoup plus un exercice de contraintes et de violences sur des personnes qui étaient devenues avant violentes sur le plan du code pénal, sans véritablement un projet de réinsertion sur le plan social. Alors à cette époque-là, peut-être j'essaierai de faire quelques photographies pour voir un peu comment on a évolué dans le temps. À cette époque-là, la primauté était donnée pour le soin psychiatrique qui s'exerçait en dehors de ces îlots, au lien avec le code civil, c'est-à-dire les placements à des fins d'assistance. Alors, là aussi, il y a des différences tout à fait fondamentales entre les pays. Il y a des pays où cette décision-là, c'est-à-dire priver quelqu'un de sa liberté pour lui donner des soins, revient sans que ce quelqu'un... et à faire avec le monde du droit pénal, revient au tribunal, revient un peu, peut venir au préfet. En Suisse, la Suisse est une situation un peu sui generis, assez particulière, compte tenu de son côté fédéraliste. Donc, ce qui veut dire que vous avez autant de cantons que de législations, ça revient un tout petit peu à un paradigme comme vous le retrouvez aux États-Unis. Il y a des cantons, Genève c'est un exemple, où cette décision est une décision médicale. C'est-à-dire que c'est le médecin qui avait les clés pour dire, une personne en ce moment, elle a un comportement qui le met en danger ou met en danger les autres, et donc on décide d'une hospitalisation au milieu psychiatrique. Je parle là encore une fois d'un milieu psychiatrique loin du monde du droit pénal. Le début et la fin de ces séjours étaient décidés par un psychiatre. Vous allez dire, c'est une évolution tout à fait positive. D'une certaine manière, oui. D'une autre manière, non. Et je dois dire qu'après autant d'années d'exercice de mon métier, je reste toujours perplexe par rapport aux responsabilités qui sont données aux psychiatres. Et je reviens aux propos qui ont été tenus, à la modestie qui doit nous caractériser quand on les assume. Donc ce qui s'est passé souvent, c'est qu'il y avait ces décisions, la psychiatrie a pris un rôle sociétal extraordinairement important, puisque c'était les psychiatres qui tenaient les clés, finalement, au lien avec la liberté de l'individu. Deuxième pas, toujours dans ce Ausha... qui devenait un champ de tension très important, le traitement sous contrainte. Parce que dans les législations, c'était la même réalité dans les pays scandinaves et en Allemagne. La Suisse est quand même assez inspirée sur le plan du droit de ces deux pays, de ces deux régions. Il y avait la question du traitement sous contrainte, ça veut dire non seulement limiter la liberté d'un individu, Mais le traité, pharmacologiquement, compte son gré. Ça, c'était une autre part. Et alors, je vous éviterai de voir la nuance qui existe là-dessus. Jusqu'à aujourd'hui, dans un canton comme Genève, c'est la même chose dans certaines landes en Allemagne, vous pouvez décider, un médecin peut décider, de limiter la liberté d'individu en le plaçant dans un hôpital psychiatrique, mais pour le traité... c'est-à-dire pour utiliser la pharmacothérapie contre son gré, il faudrait quelques critères supplémentaires, dont, et je reviens aux propos qui ont été tenus, et c'est le fil conducteur qui va nous amener au droit pénal, la question de la capacité de discernement. Si la personne n'a pas perdu sa capacité de discernement, avec toutes les caveats qui ont été très bien expliquées avant, vous ne pouvez pas le traiter contre sa force. Résultat des courses, vous pouvez limiter la liberté, vous retrouver par certains aspects dans une impasse sur le plan thérapeutique, ou alors par contre aller plus loin, prêter, et se poser toujours la question, mais est-ce que véritablement les capacités de discernement sont abolies ? Comme très clairement expliqué avant, il y a une interrogation sur la notion même du discernement, et encore plus grande interrogation sur qui juge. et quelles sont les libertés qui sont données aux individus pour aller contre, pour protéger leurs droits dans une société comme la nôtre. Alors, il y a, j'ai envie de dire, des protections qui ont été mises en place, comme les possibilités de recours, et ce système-là semblait, sans doute, avec toutes les limitations et toutes les précautions d'usage, être relativement bien huilé et fonctionnel, avec un nombre d'hospitalisations qui... comme en France, comme dans d'autres pays européens, a pris l'ascenseur progressivement, les hospitalisations contre les grès des personnes, ce qu'on appelle les hospitalisations non volontaires. Mais encore là, on était en dehors du champ, qui est le champ pénal. La contrainte, quand elle est exercée, j'ai envie de dire, pour votre bien. ou la possibilité de faire du bien à l'autre, semble être plus compréhensible, humainement plus acceptable que quand vous l'exercez pour des raisons de protection sociétale. Quand on va vers le droit pénal, on est dans un champ de tension, ça a été décrit, qui concerne la société, comment on protège la société, et de l'autre côté... Comment on protège le droit de l'individu ? Et c'est là où une mutation très importante s'est opérée progressivement, et pratiquement après les années 2000. Je pense que c'est très important d'être conscient de cette mutation. On peut bien évidemment, comme ça a été dit avant, déprésenter et dire, mais dans le fond, si vous prenez tout le nombre de procès qui existent, le pourcentage qui concerne l'irresponsabilité pénale, très franchement, c'est mineur. Vous ne pouvez pas... accuser les psychiatres d'aider les criminels d'échapper à leurs sanctions. Ce qui est formellement vrai. Mais dans le fond, on est entré dans une société qui a été très bien décrite par Vargas Llosa. C'est la civilisation du spectacle. C'est-à-dire, le poids du fait divers est extraordinairement important. Même une situation suffit. Et progressivement, on a assisté à un durcissement. de la vision de la société, mais aussi du cadre légal, autour des passages à l'acte et de la dangerosité d'un individu. On ne parle plus, on parle de moins en moins, je vous donnerai un exemple, de responsabilité pénale. une notion qui existe depuis l'époque d'Amourabi, j'entends ce que je veux dire, et puis après a été très bien balisée au fil du temps, et on parle beaucoup plus de dangerosité. Je vous donne un exemple qui est quand même assez frimpant et qui n'a pas cessé de m'interroger jusqu'à aujourd'hui. Je me suis demandé d'ailleurs, est-ce que ça ne m'a pas poussé, après dix ans de direction de cet hôpital que j'ai vu grandir et que je portais de changer d'orientation de carrière, la modification du droit pénal. qui est arrivé à peu près en même temps en Allemagne, en Suisse, et pourtant d'un exemple qu'on considère parfois plus, je dirais, plus politiquement correct par certains aspects, en Suède. La modification du droit pénal qui est apparue au début des années 2000 a progressivement, et à travers des mots, changé le focus. Exemple. Jusque-là on disait mais est-ce qu'il y a une responsabilité ou une irresponsabilité pénale ? Est-ce qu'une personne qui passe à l'acte sur un plan pénal, il est en pleine possession de ses moyens cognitifs, volitifs, donc les deux piliers de la responsabilité pénale, et donc est-ce qu'il y a une irresponsabilité pénale ou, dans certains pays, partielle, totale ou partielle, pour un acte qui est causalement lié à une pathologie psychiatrique ? Aujourd'hui, les choses ne sont pas comme ça. Dans le droit pénal suisse aujourd'hui, ce qui prime, ce n'est pas un lien causal, c'est un lien, la présence d'un lien qui peut augmenter les risques de récidive. Le saut est ici un saut quantique, parce que comme... Comme Sartre, dans le fond, le disait, on ne fait pas d'à la vue ce qu'on veut, mais on est responsable de qui on est. Et en fait, en réalité, on commence maintenant à s'occuper de qui on est, et donc à punir ou à contraindre en lien avec qui on est. Alors, le lien, quand ce n'est pas un lien causal, quand il ne s'agit pas de responsabilité, mais un focus sur le risque de récidive et de la dangerosité d'un individu, ouvre une porte très grande. Et dans la plupart des pays du nord de l'Europe, on a insisté. Je ne mets pas la France dans le nord de l'Europe, donc je parlerai plutôt dans les pays qui sont évidemment la Suisse, l'Allemagne, les pays scandinaves, qui sont des exemples. L'Angleterre a pris le même chemin, mais dans un contexte aussi de choix, comme un plus pauvre, il faut bien le dire. Et ce qui s'est passé progressivement, c'est que... Le système, je dirais l'étoile pénale, a reconnu, je viens là sur la notion de la création des hôpitaux qui prennent en charge les criminels dangereux, a reconnu une séparation et est devenu un système dualiste, c'est-à-dire un système qui sépare les peines des mesures, les sanctions des mesures. Autrement dit, sur la base de l'expertise psychiatrique, le juge doit décider, c'est la réalité actuelle, typiquement on... en Suisse ou en Allemagne, il doit décider est-ce qu'un individu, pas seulement si l'individu est responsable ou irresponsable, mais aussi est-ce qu'au lien avec une maladie mentale, un individu a un très haut risque de récidive par rapport à un acte. Et dans ce cas, décider de le sortir du champ pénal classique des sanctions et l'amener dans le champ des mesures. Les mesures, ça veut dire, quand vous prononcez une mesure dans le droit suisse, et en Allemagne aussi, vous suspendez la peine. L'individu entre dans un autre track dans un autre type de sanctions dans le fond, mais où les choix priment. C'est-à-dire qu'il doit être pris en charge avec des mesures qui sont renouvelables chaque cinq ans. Alors, il a existé... Un débat, il existe toujours, un débat extraordinairement important sur cela. C'est-à-dire quels moyens on donne comme société pour traiter les personnes et pour combien de temps.

  • Speaker #0

    Et donc je terminerai en vous donnant cet exemple, on aura l'occasion d'en discuter, mais je terminerai en vous donnant cet exemple de ce qui s'est passé par rapport à l'hôpital que je dirige encore d'ailleurs, qui a été construit pour une très grande partie de la Suisse, toute la Suisse qui parle, je dirais, français, italien, pour accueillir ce type de personnes. Dans le cadre des mesures, qui sont des mesures thérapeutiques. Les mesures thérapeutiques nécessitent une mobilisation de moyens. Et là je viendrais peut-être au côté plus positif quand même de ce tableau qui pourrait inquiéter, qui inquiète à juste titre la société. Les mesures, on accueille environ 100 mesures, il y a 100 lits pour ça, et c'est des personnes qui peuvent rester ad vitam aeternam, c'est-à-dire il n'y a pas de limitation dans le temps. Et c'est une grande différence par rapport à la sanction pénale. J'ai rencontré dans ma carrière des personnes qui m'ont dit très clairement pour revenir sur le propos qui a été tenu avant. Mais dans le fond, pourquoi j'ai eu le malheur de me retrouver devant un expert psychiatre ? Si j'étais jugé uniquement pour ce que j'ai fait, j'aurais pris peut-être une année avec sursis, deux ans. Mais du moment où il y a eu l'expertise et la décision du juge pour aller vers les mesures, le temps peut devenir un temps indéfini. Et donc la responsabilité de ceux qui travaillent et soignent ces personnes, c'est rendre le temps défini. Parce que sinon, le temps est défini, est une source de désespoir et de préparation pour le passage à l'acte suivant. Et pour ça, les psychiatres doivent être très conscients de la responsabilité qu'ils prennent. C'est la responsabilité de garder allumé, comme dans le film de Tarkovsky, de garder la lumière allumée, de garder l'espoir de ces personnes. Ce qui veut dire aussi des moyens. Je reviens sur un point qui n'a pas été abordé, mais qui, à mon sens, est très important quand on discute du lien entre la santé et la justice au niveau de la santé mentale. C'est les moyens qu'une société met pour soigner et accompagner ces personnes vers la réinsertion. Alors, vous allez dire, je peux bien imaginer, vous savez, comme vous pouvez imaginer par mon nom, je ne suis pas d'origine helvétique tout de même. Malgré le fait que je vis depuis 25 ans dans ce pays, je connais des milliers et des millions d'Europe beaucoup plus pauvre. La Suisse est un exemple où il y a une mobilisation très importante et des moyens que la société a mis pour soigner ces personnes. Donc je vous donne un exemple, alors ça frappe toujours quand je le dis, mais une nuit dans l'hôpital que je dirige, une nuit coûte 1200 euros. Ça paraît énorme et ça c'est de l'argent public. Donc ça veut dire qu'une société a dit, on peut toujours critiquer évidemment les choix qu'une société fait. Mais là-dessus le choix était de dire, on met de l'argent, on met des moyens, infirmiers, médecins, agents de détention parce qu'on travaille dans un système avec eux, dans une collaboration avec eux, très étroite, pour accompagner ces personnes. Mais accompagner ne signifie pas juste donner des soins, ça signifie convaincre. Convaincre le juge d'application des mesures, convaincre les proches, convaincre aussi le monde de la détention, pour amener peu à peu une progression de la mesure et la possibilité d'ouvrir les portes. Alors, en fonction des lunettes qu'on peut mettre, dire que chaque année, la moitié des personnes sortent vers un milieu ouvert, vous pouvez le voir comme un succès ou comme un échec. Ça dépend du prix que vous voulez mettre comme une société pour cela. Mais c'est la seule manière de faire, si vous prenez l'optique, dans une société, d'utiliser les mesures, c'est-à-dire les soins psychiatriques, pour gérer non plus la question de la responsabilité uniquement, mais ce néologisme. qui est la dangerosité. Donc c'est là où on en est aujourd'hui et chaque fois, je termine mon propos ainsi, chaque fois qu'un fait divers arrive dans les prisons, arrive dans des établissements comme ceux que je dirige, il y a toujours des voix pour crier au scandale, pour crier à l'incurie, pour crier à la nécessité d'être encore plus restrictif. Cependant, de l'autre côté, ça m'est arrivé dans mon carrière de rencontrer des personnes qui sont restées 12 ans en prison suite à des menaces par la décision des mesures. Et ça, ça interroge humainement. On n'est pas juste des professionnels de santé, on est des êtres humains. Et ça interroge. Ça interroge aussi par rapport au pouvoir qui est donné et à la responsabilité qui est donnée aux soins psychiatriques dans une société. Donc, j'ai envie de dire que face à n'importe quel fait divers, il faut pouvoir garder une vision qui est une vision de ce qu'on veut faire collectivement de notre société. sans naïveté, sans angélisme, mais sans la tendance de courir derrière le dernier prophète. J'arrête là, merci.

  • Speaker #1

    Alors, il y a une question qu'on se pose tous lorsqu'il y a un fait divers qui conduit à l'irresponsabilité. pénale d'un individu, parce que c'est des faits qui peuvent être très marquants pour la population et effectivement faire peur, on se pose la question du sort de l'individu qui a été déclaré irresponsable pénal. Est-ce qu'il y a une garantie ? Puisque l'expert s'est prononcé bien sûr sur le moment de la commission des faits, il a indiqué qu'au moment de la commission des faits, il y avait eu une abolition du discernement tel qu'il ne pouvait pas être jugé. C'est ce que dit notre droit et depuis fort longtemps, et beaucoup de droits autour de nous. Mais une fois qu'il a été diagnostiqué ou expertisé irresponsable pénal, qu'est-ce qu'il devient cet individu ? Et est-ce que la société, puisque c'est ça que le grand public attend, a une garantie que derrière, le lendemain, parce qu'il ne sera plus en état d'abolition, il ne va pas ressortir et peut-être... également se retrouvaient en capacité de recommencer. Manuel Orsat.

  • Speaker #2

    Alors, peut-être repréciser les aspects un peu procéduraux, mais d'abord, il n'y a pas de systématicité, mais ce que la loi prévoit, c'est que lorsque des conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, si on se met en matière criminelle, enfin pour les infractions les plus graves, mais... On rend aussi des conclusions d'irresponsabilité pour des infractions tout à fait bénignes. J'ai finissé un rapport d'expertise ce matin pour un vol de cage à oiseaux pour lequel j'ai conclu une irresponsabilité. On voit bien que les enjeux sont beaucoup plus faibles que d'autres dossiers. Par exemple, nous avons conclu récemment avec une collègue pour quelqu'un qui a eu... commis trois homicides successifs. Ce n'est pas la même chose, évidemment. Lorsque ces conclusions d'irresponsabilité sont rendues, d'abord, il est de droit qu'il y ait des contre-expertises, c'est-à-dire qu'un seul avis d'un seul psychiatre expert ne suffit pas et des contre-expertises peuvent être diligentées. Et si, puisque je l'ai dit, mais je le rappelle, les conclusions d'abolition du discernement sont retenues par le juge, qui n'y est pas tenu, le juge peut aller contre des rendus de conclusion d'expertise, et bien l'irresponsabilité sera retenue. Dans ce cas, la chambre de l'instruction va, pour les affaires les plus graves à l'évidence, prononcer un arrêt d'irresponsabilité pénale et plusieurs choses. D'abord, la responsabilité civile est préservée, c'est-à-dire que même si la responsabilité pénale n'est pas maintenue, Tout ce qui est en matière de réparation du dommage des victimes, etc. Tout ça, ça reste maintenu et l'auteur, bien que très malade au moment des faits, devra réparer, etc. Tout ça est préservé. Deuxièmement, il y a le champ des soins dits sous contrainte, enfin en fait sans consentement. la juridiction de jugement pourra demander à ce que soit prononcée une mesure de soins psychiatriques sans consentement. Et donc en pratique, à l'issue de l'audience, la personne qui souvent est préventivement détenue pour les infractions criminelles va être emmenée à l'hôpital psychiatrique sous le régime du SDRE, donc du soin sur décision du représentant de l'État, passant du coup... dans un tout autre champ que celui de la justice, qui va être celui de l'autorité sanitaire et de l'autorité administrative. Ce qui prévaut dorénavant à ce stade-là, c'est les soins. Et donc, c'est l'état clinique de la personne concernée. Et puis, troisième volet, malgré tout, ça va dans le sens de ce qui vient d'être dit. Les réformes successives du droit pénal en France depuis le début des années 2000 vont vers quand même davantage de précautions. Un principe très important. Et donc il y aura ce troisième volet, la juridiction du jour, la chambre de l'instruction peut prononcer des mesures de sûreté associées à l'irresponsabilité pénale. On ne va pas condamner la personne, elle ne va pas être sanctionnée puisqu'elle ne le peut pas, elle n'est pas responsable, mais elle pourra se voir infliger un certain nombre d'obligations et d'interdictions, en particulier l'interdiction de paraître sur un certain territoire, l'interdiction d'être en rapport avec certaines personnes, l'interdiction de détenir une arme. de conduire, etc., etc., des mesures qui seront considérées comme étant des mesures de prudence pour la vie. Et s'agissant donc de la deuxième volet que j'ai expliqué là, donc les soins, eh bien la personne est hospitalisée en psychiatrie. Alors il y a plusieurs en France dispositifs qui peuvent accueillir ces... Les individus, dans le cas classique, les personnes sont hospitalisées dans leur secteur de psychiatrie générale sous la forme du SDRE, c'est-à-dire privées de leur liberté. En France, on peut priver de la liberté d'aller et venir sur des avis médicaux et sous contrôle du juge des libertés de la détention, qui est la seule autorité à statuer sur la privation de liberté. En revanche, on ne peut pas... contraindre à prendre des médicaments. Toute atteinte au corps est déterminée par le consentement. On peut empêcher un individu d'aller et venir, mais on ne peut pas l'obliger à prendre des cachetons ou à recevoir des piqûres. C'est ensuite l'évolution clinique de l'individu qui va déterminer son avenir. Si l'évolution est défavorable, il se peut que l'individu soit très durablement hospitalisé. Si l'évolution est favorable, ce qu'on peut espérer quand on est soignant et médecin, à la faveur des soins, des traitements, de la réhabilitation sociale, la loi prévoit des dispositifs de soins sans consentement, prévoit que l'individu pourra ponctuellement sortir, puis sortir tout en étant toujours en soins ambulatoires contraints, avec l'obligation de respecter ses soins s'il ne les respecte pas, il sera réadmis, etc. Donc il y a quand même un panel très important, c'est ça que je veux dire en fait, très simplement, c'est qu'il y a un panel très important de soins possibles. Et pour les malades ? qui présentent des troubles plus bruyants, plus graves, on pourrait dire, dans leur expression comportementale. Il existe deux types, les USIP, les unités de soins intensifs psychiatriques, qui ne sont pas déployées partout sur le territoire. Et puis ce qu'on appelle les unités pour malades difficiles, les UMD, qui sont vraiment pour le coup des structures d'hospitalisation à temps complet pour des patients qui présentent des signes de résistance et notamment de difficulté de prise en charge avec des manifestations comportementales importantes. Donc... Vraiment, ce qu'il faut bien se dire, c'est que non, on ne se retrouve pas le lendemain dans la rue quand on a commis un crime, alors qu'on était dans un état d'activité de sa maladie psychiatrique. Mais en revanche, et en toute logique, ce sont ensuite les soins et donc l'évolution de l'état psychiatrique qui va déterminer la trajectoire de l'individu, avec malgré tout des précautions importantes.

  • Speaker #1

    Alors, monsieur Giannakopoulos, vous avez évoqué la question de l'hospitalisation sans le consentement de la personne et indiqué que la décision était prise selon les pays, soit par les soignants, soit par les juges. En France, en l'occurrence, une fois qu'elle est prise, cette décision, elle fait l'objet du contrôle du juge. C'est assez récent, c'est depuis 2011, que le juge des libertés et de la détention contrôle. Les hospitalisations sous contrainte. En tant qu'avocat, j'ai été amenée, puisque les personnes hospitalisées ont droit à un avocat. Au début, il y a toujours une permanence d'avocats qui se succèdent pour aller dans les hôpitaux, dans les services psychiatriques, pour assister ces personnes qui comparaissent devant un juge des libertés et de la détention, pour savoir si elles vont continuer d'être hospitalisées. Et j'avoue que je ne l'ai pas fait très longtemps parce que j'ai été extrêmement gênée, et je voudrais avoir votre avis tous les deux de psychiatre, par la situation qui confère au juge la possibilité de faire sortir finalement une personne qui a été hospitalisée sous contrainte, parfois pour des raisons procédurales, cette procédure étant importante puisqu'elle protège les individus de l'arbitraire éventuel des soignants. S'il devait y en avoir, puisque l'intérêt n'est pas toujours là. Mais bon, en tout cas, la question, c'est de savoir, est-ce que le juge, avec quelles compétences, le juge peut-il se prononcer sur la nécessité de maintenir une hospitalisation sous contrainte ? Nous, les avocats, notre rôle, et c'est pour ça que j'ai très rapidement arrêté, il est finalement d'aller vérifier si cette procédure a été respectée. Et ça, c'est encore une fois important. parce qu'elle est garante de la liberté, mais cette procédure, quand elle n'est pas respectée, parce que les soignants sont en grande difficulté aussi de paperasserie administrative majeure, en plus d'avoir quand même des gros problèmes d'effectifs, donc quand elle n'est pas respectée, ça peut conduire à faire sortir quelqu'un qui pourtant avait été jugé par les soignants en nécessité d'être hospitalisé. Enfin voilà, ça pose la difficulté de décompétence. du juge et de savoir comment le juge peut se prononcer au-delà de la simple procédure sur le fond. Comment le juge peut être amené à dire que la personne n'a plus besoin d'être hospitalisée.

  • Speaker #0

    Disons que chaque pays, dans ce cas-là, a trouvé des manières de faire, et parfois même des manières assez agiles de faire. Donc, quand il y a une décision de médecin par rapport à une expédition volontaire, vous pouvez choisir de, je dirais, une limitation temporelle, ou alors... la possibilité de juger par quelqu'un de l'extérieur de la pertinence d'une hospitalisation non volontaire. La question de fond, c'est quel droit vous donnez à un individu de pouvoir recourir contre cela. Ensuite, ce qui se passe, c'est que la personne peut recourir, et donc le tribunal qui s'en charge a la possibilité d'ordonner rapidement et de manière agile, et ça c'est important compte tenu du nombre d'admissions non volontaires, une expertise faite par un tiers qui vient voir la personne et qui statue. Et cette fois-ci assez rapidement, est-ce que ça a un sens de garder l'hospitalisation ou pas ? Après, deuxième limitation qui me semble quand même très importante et qui a été très bien aussi appliquée en Allemagne, c'est la limitation temporelle, c'est-à-dire une admission volontaire dans les droits suisses dure 40 jours. Si vous devez, et c'est valable aussi en Italie aujourd'hui, si vous devez faire plus, vous devez retourner vers le juge avec des arguments, en disant mais la situation se prolonge, elle est quand même compliquée On a certains éléments qui nous font dire qu'il faut continuer l'hospitalisation. Et là vient votre question, c'est comment le juge va dire, mais est-ce que c'est juste ou pas ? Ce qui a été trouvé, et là je veux dire qu'on a copié beaucoup plus ce qui a été fait dans d'autres pays du Nord, c'est-à-dire d'utiliser la notion des juges-assesseurs, c'est-à-dire que le tribunal est entouré par des juges qui viennent de la société civile, des juges-assesseurs, c'est-à-dire des personnes qui ont une formation en psychologie ou en psychiatrie et qui peuvent être des conseils du juge. pour la prise de décision. Le système comme ça marche assez bien, mais il est basé sur un élément qui était fondamental, la possibilité pour le juge d'avoir recours rapidement à l'aide et à l'avis d'un tiers qui n'est pas pris dans les soins, parce qu'on ne peut pas exclure un biais de regard, bien évidemment, qui fait que les soignants peuvent avoir la tendance ou de prolonger l'hospitalisation quand il n'y a pas lieu d'être. ça humainement on ne peut pas l'exclure donc la nécessité de mettre à disposition du juge une aide spécialisée me semble être la clé de voûte d'un tel système

  • Speaker #1

    Je précise juste, je vous donne la parole c'est pas le cas en France et en France le juge se prononce au bout de 12 jours d'hospitalisation puis au bout de 6 mois et tous les 6 mois Manuel Orsan ?

  • Speaker #2

    Mais il peut être saisi à tout moment Oui, c'est vrai Néanmoins, ça c'est les contrôles obligatoires Pour répondre ou prolonger certaines de vos questions ou de vos remarques, d'abord, je crois que le contrôle sur le fond du juge des libertés et de la détention, je ne suis pas magistrat, je ne sais pas s'il y en a dans la salle, mais il me semble quand même en partie lié à la description. Le juge ne se prononce pas aux doigts mouillés, il reçoit en audience la personne, mais aussi à la lecture des certificats médicaux. qui sont obligatoires dans la procédure à des temps très précis par des médecins différents et qui sont censés donc éclairer le juge sur les justifications médicales cliniques de la privation de liberté donc il me semble que bien sûr on peut pas demander aux juges des libertés d'être psychiatre de même qu'on peut pas demander au président de la cour d'assises ou présidente correctionnelle d'être psychiatre en matière d'expertise et donc quoi que la balayon de vos notes C'est de la responsabilité des psychiatres hospitaliers que de produire des certificats les plus précis, les plus étayés, les plus didactiques possibles pour donner du matériau au juge des libertés au fin de se prononcer sur le fond. Sur la forme, effectivement, c'est tout à fait important de respecter la procédure parce qu'elle est la garante des libertés. C'est aussi, je dirais, sur le plan clinique. Moi, j'ai eu le... J'étais interne déjà en 2011, donc j'ai pu avoir l'expérience d'avant et d'après l'entrée du contrôle par le juge des libertés et de la détention. Au-delà des aspects purement procéduraux propres à la question de la préservation des libertés, c'est aussi la possibilité dans la relation de soins de redire tout le temps aux malades que nous, en cliniciens, on pense que l'état du malade impose son hospitalisation. malgré son refus à lui, mais que néanmoins on n'est pas le seul à décider en tant que clinicien et qu'une autorité parfaitement indépendante sur le plan même constitutionnel, le juge judiciaire va aussi jeter un oeil. Et sur le plan de la relation soignante, ça peut parfois aussi avoir symboliquement un intérêt de décaler le fait que ce n'est pas celui qui vous soigne qui en même temps... temps à les clés. Il y a cette articulation-là qui est importante. Vous disiez aussi, et effectivement ça peut arriver, le pouvoir du juge des libertés de libérer un malade qui ne serait pas stabilisé. Oui, c'est la loi, mais de même qu'on peut libérer un prisonnier pour des raisons de procédure, quand bien même il a commis des infractions très graves. Il se trouve que s'agissant des soins, je voudrais vraiment insister là-dessus, la privation de liberté doit être l'exception. D'abord, il n'y a que les maladies psychiatriques et mentales qui peuvent justifier la privation de liberté. C'est une des spécificités de notre spécialité médicale. Aucun autre médecin ne réalise des soins hors le consentement de son patient. Mais c'est l'exception. La règle, y compris en psychiatrie, peut-être même surtout en psychiatrie, c'est de soigner les patients avec leur accord, avec eux. Ça, ça doit être tout à fait rappelé. Et en même temps que je rappelle ça, il faut quand même rappeler que statistiquement, le nombre de mesures de soins psychiatriques sans consentement, donc d'internement, ne cesse de croître pour prendre des proportions qui deviennent tout de même assez préoccupantes et qui, à mon sens, n'ont pas que à voir avec la question de la dangerosité. de la sécurité, etc. L'essentiel des mesures d'hospitalisation sont des hospitalisations à demande d'un tiers et qui correspondent à des patients qui sont d'abord et avant tout dangereux pour eux-mêmes, qui tenteraient de se suicider, de se mettre très en danger, etc. Et il me semble que l'inflation du nombre du recours à ces mesures coercitives, en tout cas privatives de liberté, a plus à voir avec des déterminants sociaux. Des familles moins contenantes, un espace social moins contenant, un espace public moins tolérant aux variations à la norme, des dispositifs de corps intermédiaires qui sont moins présents, associations, tous les outils qui, dans une vie collective, permettent de... de tamponner, d'absorber éventuellement ces problématiques comportementales qui se délitent et qui font qu'effectivement, on se retrouve aux urgences et puis éventuellement internés.

  • Speaker #1

    Vous vouliez intervenir ?

  • Speaker #3

    De ce point de vue-là, la question du consentement justement et de l'absence de consentement sur les traitements, je pense que c'est un élément assez important. Alors qu'on parle de la question de la santé mentale, et de l'évolution de la société. Et puis moi, c'est plutôt une question que j'aimerais bien leur poser. Comment réagirez-vous, comment réagissez-vous face à un traitement que vous devez imposer sans consentement ? C'est ça, non ? Non, mais c'est vraiment une question qui me...

  • Speaker #0

    Vous savez, pour répondre peut-être sur un plan clinique... la question de l'absence de consentement par rapport à un traitement et donc de la violence que vous faites subir à quelqu'un, parce que c'est bien de cela quand même, pose la question de proportionnalité par rapport à ce que vous attendez. De nouveau, quel espoir vous pouvez avoir par rapport à la suite. Je me rappelle avoir été confronté à des situations très antithétiques, c'est-à-dire, parce que contrairement à ce qui... a été dit avant par rapport à la France, quand vous êtes dans un régime de mesures en Suisse, vous pouvez demander un traitement ordonné par la justice pharmacologique contre le gré de la personne dans le cadre de la mesure pénale. Ça, vous pouvez le faire. Si ces données, par la suite, parce que je vous décris la vraie vie, ce qui veut dire que la personne qui se retrouve dans un hôpital forensique, il y a des... des forces d'intervention qui viennent pour l'obliger de prendre une injection. C'est comme ça. Et quelqu'un qui est confronté à ça, qui voit ça, ce n'est pas, je vous assure, ce n'est pas quand même des scènes particulièrement agréables à voir. Et dans ces situations-là, vous devez vous poser la question, est-ce que ceci, une fois que la crise est passée, est-ce que ceci va changer la perspective ? Est-ce que véritablement, pour le faire simple, Le jeu en vaut la chandelle. Parce qu'il y a des situations cliniques où vous ne pouvez pas être uniquement normatif. C'est-à-dire, parce qu'une personne, je prends un exemple clinique assez classique, une personne qui est envahie par une idéation délirante, qui a une certaine vision, qui peut être une vision force du monde, qui l'habite et qui détermine ses agissements, est-ce que pour autant vous allez le traiter de force ? Il y a des situations où... Le traité de force va aboutir probablement à une péjoration de sa situation, où vous n'allez pas être efficace, parce que tout simplement le délire a une fonction économique très importante pour que l'individu puisse tenir debout. Donc là, il y a, je pense, de nouveau une responsabilité qui doit être assumée par le psychiatre. C'est une responsabilité qu'on ne peut pas déléguer à quelqu'un d'autre. Et il ne faut pas utiliser, comme la justice ne doit pas pouvoir utiliser la psychiatrie à des fins qui sont des fins détournées de contrôle social, la psychiatrie ne peut pas se dérober de sa responsabilité quand elle demande un traitement contre le gré de quelqu'un en lien avec une capacité de discernement, ne peut pas fermer les yeux sur la violence qui est infligée. Et donc il y a des fois où cette violence est nécessaire si vous avez la possibilité d'imaginer... Un bénéfice pour l'individu après, mais pas juste pour une vision qui est une vision, je dirais, normative de soins.

  • Speaker #2

    On va maintenant laisser la place aux questions du public.

  • Speaker #1

    Le micro arrive.

  • Speaker #4

    Bonjour et merci pour vos interventions très intéressantes. En fait, moi j'avais une question pour le psychiatre expert. Donc, en fait, par rapport à la société, déjà je pense, de mon point de vue, qu'il y a une méconnaissance des pratiques de soins de la psychiatrie, connaissance... du fonctionnement mental des personnes qui sont malheureusement malades de ça. Et ce qui a aussi, enfin ce qui parfois, de mon impression, donne aussi un mauvais écho à tout ça, c'est qu'en fait, quand on parle d'expertise psychiatrique, dans des situations vraiment très graves, il y a aussi les notions de contre-expertise. ou d'avis différents. Et en fait, cette expertise, elle est souvent mise à mal parce que, même au sein des psychiatres experts, il n'y a pas une unanimité. Et ça, je pense qu'au regard de la société, ça porte préjudice, quelque part, justement. cette valeur de cette expertise. Je voulais savoir quel pouvait être votre avis là-dessus.

  • Speaker #2

    Vous soulevez un point qui est tout à fait important, qui appelle plusieurs remarques. D'abord, dans la communauté des psychiatres experts, comme dans toute autre communauté, il y a probablement des médiocres, des nuls, etc. On ne peut pas se cacher derrière son petit doigt. Sur la question de la divergence des conclusions d'expertise que vous soulevez, J'entends bien que ça puisse donner une impression de cafouillage ou d'hétérogénéité qui est malvenue. Je crois qu'on peut aussi la regarder autrement et de dire qu'au regard de la grande complexité d'analyse de ces situations, il est heureux que parfois l'on puisse produire des conclusions. qui soit divergente. Et ça ne veut pas dire, alors souvent, évidemment, l'écho médiatique qu'on en a va être focalisé sur le fait que, oui, mais Pierre a dit bleu et puis Paul a dit jaune et Jacques a dit vert. Et donc, ils disent n'importe quoi.

  • Speaker #0

    Il faut bien entendre, reprenons l'exemple de l'affaire Alimi Traoré que j'ai évoqué tout à l'heure, qui a vu se succéder trois expertises missionnant au total sept experts différents avec des conclusions divergentes. Des conclusions divergentes, la mise en relation causale, etc. Mais en réalité, des analyses strictement identiques, des analyses complexes, techniques, mais strictement identiques. Ce qui me paraît vraiment crucial là-dedans, c'est de rappeler ce que j'ai dit. C'est que le juge n'est pas... tenu par les conclusions des experts. Il ne s'agit pas de dire que du coup, on peut faire n'importe quoi et dire tout et le contraire de tout. Mais il s'agit de dire que dans ces situations complexes, délicates, difficiles, l'appréciation qu'on peut avoir, non pas aux doigts mouillés, mais l'appréciation clinique, puis médico-légale, c'est-à-dire d'abord on regarde ce qui se passe d'un point de vue médical, puis ensuite on l'articule à des notions juridiques, cette appréciation peut varier parfois dans ses conclusions. Mais in fine, et c'est heureux, c'est le juge qui tranche. Donc à la fois, j'entends bien que médiatiquement, ça peut être regardé comme un caractère un peu clownesque de notre activité. Mais je crois qu'il faut aussi, d'un point de vue du citoyen et de la société, entendre que c'est finalement précieux qu'on puisse avoir des avis divergents, parfois complémentaires, et qui vont donner... au juge, et d'ailleurs il y a de la jurisprudence là-dessus, de la Cour de cassation, qui dit que, bah oui, parfois il y a des conclusions divergentes, mais ce sur quoi le juge devra se fonder, c'est sur, par exemple, la qualité des développements. Et une expertise qui va être balayée vite fait en deux pages, qui ne dira rien, versus une expertise en 20 pages qui sera très développée, la Cour de cassation indique que le juge du fond doit regarder d'abord aussi la qualité des développements. Donc le juge, il n'est pas juste un enregistreur de ce qui s'est passé dans les rapports d'expertise, c'est lui qui, in fine, décide.

  • Speaker #1

    Oui, merci. Merci également pour vos interventions qui étaient à la fois très riches et très complémentaires. Je voudrais revenir rapidement sur la capacité de discernement que vous avez d'ailleurs définie en commençant par... par dire qu'on ne pouvait pas la définir ou qu'elle n'était pas définissable. Mais vous avez donné des critères, notamment le critère de compréhension, les critères de raisonnement, de capacité de prendre une décision conforme à la délibération. En bioéthique et notamment en éthique clinique, on parle plus précisément d'autonomie décisionnelle. Il y a un vrai débat en bioéthique et en éthique clinique sur la question de l'évaluation. Vous allez voir, c'est une question commune à celle que vous avez posée. de l'évaluation de l'autonomie décisionnelle, aussi bien dans le soin, le patient, la patiente, même atteinte de troubles psychiatriques, a-t-elle la capacité à consentir ou non à un traitement ? Et le patient ou la personne était-elle suffisamment autonome lorsqu'elle a commis un acte criminel ? Ma question est la suivante, et peut-être en particulier au Dr Orsat, est-ce que vous avez, et elle est assez simple, est-ce que vous avez des outils ? qui en tant qu'experts psychiatres, psychiatres experts, vous permettent d'évaluer cette capacité de discerner au moment de l'acte. Je vous dis, nous en éthique clinique, on n'est vraiment pas d'accord sur 1. quels sont les outils ? 2. faut-il des outils ? Il y a débat vraiment sur la question. Moi je suis plutôt partisan de il faut des outils et pas seulement se baser sur des intuitions par exemple qu'on aurait. face au patient ou à la patiente ? Merci.

  • Speaker #0

    D'abord, une réponse en forme de boutade. Compte tenu de mes capacités en bricolage, me confier un outil est plutôt plus dangereux qu'autre chose. Et donc, ma méfiance presque persécutive à l'endroit des outils en psychiatrie en général, des outils évaluatifs en psychiatrie en général, me conduit à en écarter l'autorité. L'intérêt, non, mais en tout cas l'autorité. Et donc, c'est un avis personnel qui est partagé par d'autres, mais qui n'est pas unanime. D'autres, des psychiatres experts, recourent à des outils, c'est-à-dire notamment à des tests d'évaluation standardisés. C'est une autre discussion, à mon avis, qu'on pourrait avoir. Mais non, il me semble que la clinique psychiatrique... Et il faut le dire ici en forme de militantisme parce que ça implique la formation des internes. La psychiatrie, c'est une discipline clinique. Il n'y a pas d'examens complémentaires qui tiennent la route en psychiatrie. Il n'y a pas de dosage biologique. Il n'y a pas d'imagerie. La psychiatrie est une discipline clinique. C'est une discipline de la rencontre avec le malade ou avec le sujet. Et c'est à partir de là qu'on peut raisonner. Alors, du coup, je relis votre question. à celle que vous posiez tout à l'heure sur la question de la possibilité de consentir dans le non-consentement. Je trouve que, et c'est précisément ce que permet la loi en France, c'est que, encore une fois, l'au-delà du consentement autorisé par la loi, il est dans la question de la liberté d'aller et venir. En gros, on peut priver un malade de sa liberté d'aller et venir. Et donc, il est interné, il est enfermé. Néanmoins, on ne peut pas, en tout cas de manière durable, je vais donner quelques contre-exemples, mais on ne peut pas lui administrer des traitements de manière durable contre son consentement. Toute atteinte au corps doit être préalablement consentie. Mais en réalité, d'abord, cette question, elle se pose pas systématiquement. C'est-à-dire que finalement, vous avez... Dans le cadre de la relation thérapeutique, des patients qui sont hospitalisés sans leur consentement, à qui vous dites, bah oui, on vous garde à l'hôpital même si vous ne voulez pas, mais parce qu'on pense, et j'y reviens après d'un point de vue éthique, on pense que c'est mieux pour votre santé, et on pense d'ailleurs que vous en sortirez d'autant plus vite que vous serez stabilisé, que pour être stabilisé, le traitement qui est recommandé, c'est plutôt ça, et on va pouvoir travailler d'autres aspects, c'est-à-dire, ok, vous n'êtes pas d'accord pour être là, mais vous avez le droit, en revanche, de nous dire si vous préférez, je ne sais pas quoi, moi... avoir des visites ou pas de visite, recevoir tel médicament plutôt que tel autre, sachant que celui-ci a tels effets secondaires et tels avantages, celui-là tel autre et tel autre. Ce n'est pas parce qu'on est hospitalisé sans consentement que plus rien ne doit être consenti ni discuté. Le seul au-delà du consentement, c'est celui de priver d'aller et venir, ce qui est déjà tout à fait important, mais c'est à ça que ça se limite. Et du coup, la manière dont je le... conceptualise d'un point de vue éthique, je l'ai écrit et discuté sur notamment la question des soins ambulatoires sans consentement il y a quelques années, c'est que finalement c'est une question de temporalité. Je crois qu'on peut comprendre les choses de cette manière. À un moment donné, on va prioriser parmi les principes fondamentaux de l'éthique clinique, on va prioriser le principe de non-malfaisance et de bienfaisance un peu au détriment du principe d'autonomie. On sait qu'un malade qui est en proie à certaines symptomatologies délirantes, auto-agressives, est susceptible de se mettre très en danger et de se tuer à un moment donné. Et on va considérer que la bienveillance et la bienfaisance doivent prévaloir en étant interventionnistes et en mettant un peu de côté son autonomie, laquelle le conduirait à vouloir se tuer. Et on considère que d'un point de vue éthique, on peut dans un temps donné... d'abord prioriser certains repères pour ensuite regagner l'ensemble des déterminants d'autonomie, de bienfaisance, etc. et de participation du sujet à ses soins. Je crois qu'il se joue quelque chose là dans la temporalité et de dire à certains patients, et de l'expliquer, effectivement, présentement, on va dépasser ce qui est votre avis, mais c'est dans l'objectif qu'ultérieurement, et dans un ultérieur très proche, vous puissiez retrouver un avis qui nous paraît dans votre intérêt. Et sur les soins médicamenteux, je dirais, qui peuvent inclure d'autres types de prise en charge, là encore, le contre-exemple que je voulais donner sur le fait qu'on ne peut pas donner des traitements contre le consentement, c'est hors le cas de la grande urgence, ou la grande urgence auto-ou hétéro-agressive. très agité, qui va mettre très gravement en danger les personnels soignants ou les autres patients, ou qui va très gravement se mettre en danger dans l'imminence, dans la seconde, dans la minute, eh bien oui, là encore, pour le protéger, on pourra être amené à avoir des mesures interventionnistes. Mais encore une fois, c'est très proportionné à l'État et c'est très circonscrit dans une temporalité très précise. Je crois que c'est l'ensemble de ces paramètres qui permet de naviguer sur ces conceptions qui sont très tendues, je trouve. Bonjour,

  • Speaker #2

    merci. Il existe des cas assez nombreux probablement où le délinquant est parfaitement responsable de ses actes pénalement et civilement. Mais cependant, il présente des troubles mentaux. Il est donc incarcéré et il semble que dans les prisons françaises, il y ait au moins 20% de délinquants qui présentent des troubles mentaux et qui sont laissés pratiquement sans. traitement, sans attention particulière. Est-ce qu'il n'y a pas de solution à ce problème qui est tout de même préoccupant ?

  • Speaker #0

    Oui, alors au moins 20%, en fait, bien plus sans doute, pratiquement 50% avec un trouble catégoriel et effectivement une surreprésentation, j'avais sorti des chiffres, une grande étude, enfin... 17% de troubles psychotiques en détention. Le professeur Gaillard a rappelé hier que c'est 1% de la population générale, donc ça pose quand même certains problèmes. Quant à la solution, j'ose espérer que si elle existait, elle serait mise en œuvre déjà depuis fort longtemps. Il n'y a probablement pas une réponse univoque à votre question qui est essentielle. C'est un vrai problème qu'aujourd'hui, la prison devienne un lieu de soins. Parce que ces détenus ne sont tout de même pas laissés sans soins. Il y a trois niveaux, on va dire, de soins en détention. L'unité sanitaire, dans tous les établissements de santé, il y a une unité sanitaire avec des psychiatres. et des équipes de psychiatrie, l'hospitalisation de jour, qui s'appelle les SMPR, et puis les unités hospitalières spécialement aménagées, les UHSA, qui sont l'hospitalisation en prison pour la psychiatrie. Et donc il y a des dispositifs qui existent. Alors, totalement sous-calibrés, finalement, comme pour toute la psychiatrie en France à ce jour, finalement, ça pose d'autres questions. C'est-à-dire... Je ne sais pas quelle était votre idée de la solution, parce que si vous vous interrogez, c'est que peut-être vous avez vous-même des idées. Moi, je n'ai pas d'idée personnellement, mais j'ai en revanche une précaution, un point à souligner. C'est-à-dire que si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, alors c'est vrai que c'est utile parce qu'il y a beaucoup de malades en détention, mais si l'idée, c'est de développer toujours plus de soins en détention, Est-ce que l'offre suscitant la demande, d'une certaine manière, on ne va pas toujours plus incarcérer des malades ? Il est utile d'avoir des dispositifs de soins en détention. Il est prudent de se dire que la prison n'est quand même pas un lieu de soins. Enfin, je vais problématiser ça.

  • Speaker #3

    Pour répondre un peu plus sur ça. C'est une question éminemment politique en réalité. Ça dépend quel investissement une société fait par rapport à ses prisons au niveau des soins. Des outils peuvent exister, mais même dans des systèmes qui sont des systèmes dualistes, c'est-à-dire des systèmes qui séparent les personnes qui ont des pathologies psychiatriques et qui ont passé à l'acte, non pas en lien avec leurs responsabilités, mais beaucoup plus en lien avec l'impact de la maladie mentale sur le risque de récidive, même dans ces situations en prison, il y a une accumulation de situations aiguës qu'il faut pouvoir traiter. Alors, bien sûr, on peut dire que plus on traite, plus on va mettre des personnes malades en prison, dans l'optique que l'on connaît très bien. La psychiatrie qui s'est désinstitutionnalisée progressivement, c'est-à-dire avec une diminution des lits psychiatriques, il y a une fonction d'hospice qui a été reprise par d'autres institutions, et une institution est effectivement la prison. Mais ça dépend de ce que quelqu'un peut investir là-dedans. Les unités, comme ça a été décrit en France, mais qui existent depuis environ 20-25 ans en fait, pratiquement, les unités spécialement aménagées, en réalité, les structures aiguës de soins en prison peuvent répondre assez bien à des situations de crise, mais elles doivent être très staffées et très surveillées. Et donc ça, c'est une décision de fond. Et quand on voit les différents articles qui concernent la situation des prisons en France particulièrement, mais pas seulement, il y a aussi dans notre pays la même situation, on doit se demander est-ce que collectivement, comme une société, on veut mettre plus de moyens pour traiter ce type de souffrance en prison ? Ou pas ? Parce que ça revient à ça, c'est au début et avant tout une question de moyens qu'on met à disposition. Ce n'est pas tellement le type de prison-soin, parce que pour l'aigu, La psychiatrie est assez bien armée, c'est-à-dire de comment elle peut traiter les décompensations. Mais est-ce qu'on veut véritablement le faire ? Bien sûr, on aura la tendance de dire oui, bien sûr, il faut que les politiciens le fassent. Mais quand on doit voir et on doit décider entre renforcer les soins en prison, construire une école ou une crèche, faire des investissements pour les personnes handicapées, c'est-à-dire là, le choix devient le choix cornelien. Ce n'est pas si simple à faire, il ne veut pas juste être décrété sur une idée romantique du soin.

  • Speaker #4

    Une dernière question du public ?

  • Speaker #5

    Oui,

  • Speaker #0

    bonjour.

  • Speaker #5

    Une question adressée au docteur Orsat également. Dans le cadre des expertises psychiatriques que vous réalisez, est-ce que vous avez la possibilité, le droit et le temps, de prendre attache avec d'autres intervenants pour affiner vos observations ?

  • Speaker #0

    D'autres intervenants ?

  • Speaker #5

    Vous avez qualifié des intervenants sociaux, judiciaires, sur le plan de l'insertion sociale, professionnelle ?

  • Speaker #0

    Non, on n'en a pas le droit. L'expertise psychiatrique, c'est une mission qui est ordonnée en matière criminelle, ordonnée par le juge d'instruction en personne. Éventuellement, on peut être deux, on peut être désigné à deux ou à trois experts, un collège d'experts. Mais nous n'avons pas le droit d'enquêter. Nous ne sommes pas là pour ça. Au reste, pour ce qui est de la question de l'évaluation de l'environnement social, familial, professionnel. En matière criminelle, il y a des enquêtes de personnalité qui sont diligentées, qui sont confiées à des enquêteurs de personnalité et qui sont souvent d'ailleurs très riches. De ce point de vue, on peut en revanche prendre connaissance de ces pièces lorsqu'elles figurent déjà au dossier d'instruction, lorsqu'on est désigné, parce que je ne l'ai pas indiqué. Mais l'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer un malade. D'ailleurs, parfois, c'est les mauvais. Mais les mauvais avocats essaient de nous mettre en difficulté à la cour d'assises en disant Mais enfin, docteur, vous avez passé combien de temps avec cet accusé ? Et donc, en gros, un examen psychiatrique d'expertise. Alors en France, je sais bien que d'autres moyens sont alloués dans d'autres pays, mais globalement, en France, on rencontre pour des affaires, on va dire un peu significatives, l'individu une à deux fois, en moyenne une à deux heures. Donc, effectivement, ça ne peut paraître pas beaucoup que d'avoir passé avec l'individu deux à trois à quatre heures lorsqu'il va s'agir de déterminer parfois beaucoup de son avenir. Néanmoins, ce n'est pas que ça. L'expertise psychiatrique, ce n'est pas que rencontrer l'individu, c'est aussi. prendre connaissance de tout un tas de pièces qui peuvent nous être transmises par le juge d'instruction, jusqu'à y compris le dossier médical qui va parfois être saisi. Et lorsque j'ai 37 kilos de scellés pour un dossier, là je ne sais pas si vous comprenez, des énormes cartons dans mon bureau, mes patients m'ont demandé si je déménageais. C'est aussi ça qui va nous aider dans notre analyse. C'est les pièces de l'instruction, y compris par exemple les interrogatoires par les enquêteurs sur le moment. C'est-à-dire parfois les individus sont interpellés. et auditionner immédiatement. Et on voit dans les auditions des éléments langagiers qui orientent vers des décompensations de maladies psychiatriques. Là où, quand on le voit une année après, parfois l'individu est bien stabilisé. Donc c'est toute une cohorte d'éléments qui nous permet d'avancer dans notre raisonnement, mais qui sont des éléments de procédure, qui figurent au dossier, qui doivent respecter le principe du contradictoire. Tout le monde a connaissance de ces éléments, sauf les scellés médicaux, bien sûr. Et en revanche, on n'est pas en relation avec d'autres personnes. On peut éventuellement, sous couvert de la procédure, s'allouer les services d'un sapiteur, c'est-à-dire d'un autre médecin expert dans une autre discipline. Ça arrive parfois en neurologie. Quand je pense à un dossier dans lequel j'ai eu un doute sur la question de l'épilepsie, évidemment, je n'y connais rien. Et donc, j'ai sollicité un sapiteur neurologue. Mais en revanche, on n'est pas amené à rencontrer la famille, à enquêter sur le plan social. C'est vraiment le rôle de l'enquêteur social.

  • Speaker #6

    Je m'occupe juste du privilège d'une ultime question subsidiaire. Désolé pour le public, mais on a vu tout en haut de la chaîne alimentaire ou de la pyramide des responsabilités. Il y a le juge. Comment les gens ? Moi, j'ai passé six mois en psychiatrie. Je suis médecin et je me sens totalement incompétent pour me prononcer quand je suis face à des patients un peu dissociés ou quoi que ce soit. Comment sont formés finalement les juges ? Qu'est ce qu'ils ont comme formation pour pouvoir ? Être tout au bout et prendre une décision en acceptant ou pas finalement le diagnostic du psychiatre ?

  • Speaker #4

    Alors les juges, la formation se fait dans le cadre de l'école nationale de magistrature et je pense qu'il y a un module de formation justement en psychiatrie d'ailleurs, non, sur des soins en psychiatrie. Et donc ils ont déjà une vision peut-être ? très partiel de la profession, de la façon de l'expertise, notamment sur les questions d'expertise. Mais il y a aussi, comme je le disais tout à l'heure, le juge doit décider selon des fondements objectifs. De toute façon, il ne peut s'en tenir qu'à la loi. C'est la première chose qui le garantit, qui lui garantit un certain format d'objectivité, pas qu'à la loi au sens, au cadre légal, pardon, au cadre légal qui est fixé. L'expertise... également fait partie des observations que le juge peut prendre également en considération. Et surtout, bien sûr, c'est l'effet sur lequel il doit se prononcer. Donc je ne pense pas qu'il y ait une seule façon de procéder, c'est que des éléments objectifs en fonction de chaque espèce que le juge doit prendre en considération. Et notamment, comme vous l'avez à juste titre rappelé à plusieurs reprises, c'est que le juge n'est pas tenu de suivre. de suivre les expertises qui sont données. Il peut prendre d'autres considérations, le contexte familial, le contexte social de l'individu. Et ce qui est intéressant, d'ailleurs, c'est pour cela, je vous ai reposé la question tout à l'heure, puisque cela m'interpellait, c'est aussi, il a toute la fonction de la peine pénale. C'est quand même, et ce n'est pas une peine d'exclusion. C'est une peine justement de l'isoler l'individu de la société, le temps de réparer la faute qu'il a commise, donc le tort à la société. Mais ensuite, il faut également le penser dans une dimension de réinsertion, de réintégration dans la société. Et donc peut-être c'est aussi un phénomène que le juge doit prendre également en compte. Après, avec ces risques et les questions de responsabilité, de récidive et de sécurité juridique par rapport à l'ordre public, qu'on a également évoqué. Donc, pour cela, c'est quelque chose qui m'avait interpellée, ce qui expliquait que, par rapport à votre témoignage, je m'avais suscité cette interrogation, comment fait-on d'un individu qu'on isole, qu'on traite, mais en même temps, par la suite, il faut penser aussi à son insertion sociale. Voilà, après, il faut aussi prendre en considération cela. Oui, oui.

  • Speaker #3

    Cela dit, vous posez une question assez importante et aussi une perspective d'avenir, c'est-à-dire la notion de la formation continue qui peut être donnée au juge par rapport à la communauté du langage, ou en tout cas un langage qui peut paraître moins cryptique, allergique, qui peut s'apprivoiser quand même aussi les nuances. Il y a aujourd'hui des outils, typiquement on a mis en place des formations de type CAS conjointes entre les juristes et... les psychiatres pour pouvoir favoriser ce type de communication. Bien évidemment, chacun a sa particularité, mais je suis d'accord à l'idée de fond qu'il faudra quand même que l'un apprivoise la réalité de l'autre pour pouvoir collaborer, pas seulement dans le cadre de l'expertise, mais dans le cadre aussi de l'exécution d'une peine et d'une mesure. Donc ça, c'est une perspective sur laquelle l'éducation, la formation, est une perspective sur laquelle il faut s'arrêter un moment, il faut véritablement investir, à mon sens.

  • Speaker #0

    Tout en gardant quand même peut-être à l'esprit un des aspects que j'ai essayé de développer, c'est-à-dire que, imaginez que vous dites qu'ayant passé six mois d'internat en psychiatrie, vous vous sentez, oui, j'ai passé quatre ans d'internat et puis maintenant plus de dix ans d'expérience clinique. Et au fond, la seule certitude que j'ai, c'est que je ne sais pas. Et donc, c'est aussi ça qui est important. Et je trouve que c'est là où l'office du juge est important. C'est que le juge, il ne juge pas. la matière, enfin il ne juge pas, je veux dire, la folie, etc. Il a précisément à ne pas savoir ce que c'est que la folie et la maladie psychiatrique, qui restent des choses très complexes, et s'imaginer que ce serait toujours dans un degré supérieur d'expertise, de technicité qui permettrait de dire, de discriminer tel ou tel trouble, tel ou tel niveau de responsabilité, c'est comme ça qu'on s'en sortirait. Je crois que précisément, c'est comme ça qu'on s'enfermerait. Donc oui, le juge ne sait pas ce qu'il y a dans le cadre de la folie, pas plus que le psychiatre. Ce qui est important, c'est de savoir qu'on ne sait pas.

  • Speaker #4

    Merci beaucoup pour ce très beau mot de la fin. Je vous remercie chacun d'entre vous pour la qualité de cette table ronde. Et je laisse la parole à notre président pour annoncer la suite.

  • Speaker #6

    On se retrouve tout à l'heure à 14h, toujours en direct et à la salle de l'Aubette pour la folle histoire de la créativité. Merci à vous tous. A tout à l'heure.

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