- Speaker #0
Eh bien bienvenue et bon retour dans le podcast Perspective de France Stratégie. Nous nous retrouvons pour un épisode consacré à une note d'analyse qui fait beaucoup parler d'elle. Elle s'intitule Inégalité des chances, ce qui compte le plus et elle établit des constats clairs sur les caractéristiques qui influencent ou non les trajectoires des individus. Alors ce n'est pas la première fois que ce sujet est abordé dans ce podcast, encore moins la première fois qu'il est traité par France Stratégie puisque cela fait des années que l'institution travaille sur ces questions. Et pourtant à chaque fois... C'est un peu une redécouverte qui apporte son lot d'enseignements inédits et de surprises comme on peut le lire dans cette nouvelle étude. Et pour en parler, rien de mieux que de recevoir au micro du podcast les deux auteurs de cette note d'analyse. Bonjour Clermont d'Herbe et Cour et Jean Flamand.
- Speaker #1
Bonjour. Bonjour.
- Speaker #0
Alors on va commencer comme souvent avec un point sur la méthode de l'étude. Vous avez construit un échantillon d'environ 100 000 individus. Ça fait effectivement une bonne base de travail, mais c'est loin d'être le seul point notable de ce recueil de données. Expliquez-nous un peu.
- Speaker #1
Alors effectivement, on a eu accès à ce qu'on appelle un panel, donc une base de données qui permet de suivre la trajectoire de vie d'environ 100 000 Français qui ont entre 31 et 46 ans. Donc c'est l'ensemble des Français au sens où on regarde les salariés du secteur privé, les agents publics, les chômeurs, les inactifs, on regarde vraiment tout le monde, sans distinction. Et ce panel nous permet notamment de connaître quel était le contexte familial et le contexte géographique dans lequel ont grandi ces Français, entre l'âge de 10 et 18 ans notamment. Donc connaître à la fois la profession des parents et éventuellement le type aussi de région dans lequel ils ont grandi. Et c'est aussi une source qui nous permet également de connaître précisément le revenu d'activité qui est perçu aujourd'hui par ces individus, par ces Français. Et notamment de connaître s'il y a eu un événement familial, une naissance notamment dans le cadre de leur trajectoire de vie, en lien avec notamment l'état civil et les données qui sont déclarées à l'impôt sur le revenu.
- Speaker #0
C'est très clair. Si on plonge maintenant... dans les résultats, quels sont les grands enseignements de cette étude ? Entre l'origine sociale, le genre ou l'ascendance migratoire, comment faites-vous un top 3, un top 4, 5, des facteurs déterminants de l'inégalité des chances ?
- Speaker #2
Donc on a cherché à mesurer l'effet propre des différentes conditions de départ des individus, celles que vous avez évoquées, l'origine sociale, l'ascendance migratoire, le sexe, et aussi l'endroit où les gens ont grandi. C'est-à-dire dans quelle région ils ont grandi, est-ce que c'était... Aussi dans une zone rurale, dans un quartier difficile d'une zone urbaine, dans un milieu périurbain. Et ce qu'on a cherché à faire, c'est d'essayer de mesurer l'effet propre de chaque caractéristique. Alors pour faire ça, c'est un peu technique, mais il faut raisonner toutes choses égales par ailleurs, c'est-à-dire à caractéristiques comparables, parce que dans la vraie vie, dans la réalité, les différentes dimensions sont corrélées entre elles. Le fait d'avoir une origine sociale défavorisée, c'est souvent aussi avoir une ascendance migratoire, c'est aussi souvent avoir grandi dans certains quartiers ou dans certaines régions. Et donc, on a proposé une méthodologie qui permet de distinguer vraiment l'effet de chaque caractéristique. Alors, concrètement, on regarde par exemple quel va être l'écart de revenu entre deux personnes, une qui a une origine sociale favorisée et une autre qui a une origine sociale modeste. mais qui sont comparables sur les autres plans. On va comparer à sexe, territoire d'origine et ascendance migratoire égales. On va faire aussi la même chose pour l'ascendance migratoire. On va regarder un descendant d'Africain comparé à une personne qui n'a pas d'ascendance migratoire, mais qui a la même origine sociale ou qui a grandi dans le même endroit. Et donc à la fin, quand on regarde un peu toutes les caractéristiques une par une, On se rend compte qu'on a un classement très clair qui s'établit entre les caractéristiques de départ qui ont le plus d'effet sur le revenu à l'âge adulte. Donc dans le top 4 qu'on a essayé de regarder, ce qui apparaît vraiment comme le facteur le plus déterminant, c'est l'origine sociale, puisqu'on obtient un peu plus de 1000 euros d'écart à caractéristiques comparables entre un enfant d'origine favorisée, entre le quart des enfants. d'origine les plus favorisés et le quart des enfants d'origine les plus modestes. Donc 1100 euros d'écart, c'est deux fois plus quasiment que le deuxième facteur qu'on a déterminé qui est le sexe, où là on a des écarts entre les hommes et les femmes qui sont de l'ordre de 600 euros. Et ça c'est le deuxième facteur. Et ensuite on a les autres facteurs qui sont moins influents. Donc par exemple la région d'origine, si vous avez grandi en Ile-de-France, c'est-à-dire la région la plus riche, comparée Si vous avez grandi dans une région plus pauvre, on a des écarts de l'ordre de 400 euros à l'âge adulte. Le quartier, c'est de l'ordre de 200 euros. Le fait d'avoir grandi en zone rurale, c'est aussi un écart de l'ordre de 200 euros. Et en tout dernier, on a l'ascendance migratoire, qui est le facteur le moins déterminant au sein de ce qu'on a regardé. On a un écart à peu près de 170 euros, enfin moins de 200 euros, entre une personne d'ascendance africaine et une personne qui n'a pas d'ascendance migratoire. Donc c'est 7 fois moins que l'origine sociale. Donc on a un classement très clair entre les différentes dimensions.
- Speaker #1
Donc ces grands enseignements que je viens de présenter clément, c'est bien évidemment des analyses qui sont réalisées en moyenne. Donc ces écarts moyens masquent des grandes disparités de revenus aussi, de situations individuelles. Et donc ce qu'on montre aussi, c'est que finalement, ces quatre caractéristiques le sexe, l'origine migratoire, l'origine géographique aussi des personnes et l'origine sociale, au total sont quand même de faibles prédicteurs des niveaux de revenus qu'on peut percevoir à l'âge adulte. Et on a des situations assez hétérogènes. Pour vous donner un exemple, 11% des femmes d'origine sociale modeste ont un revenu d'activité qui est supérieur à la moitié de ce que perçoivent les hommes d'origine sociale favorisés. Donc on voit que cet écart moyen masque des situations individuelles très disparates et très hétérogènes. Donc il faut bien avoir en tête que ces quatre caractéristiques que l'on regarde, bien évidemment, elles ne déterminent pas du tout la trajectoire de vie d'une personne, ou en tout cas pas de manière complète.
- Speaker #0
Alors, il n'y a pas de déterminisme. Ça veut dire que, et vous allez me corriger si je me trompe, non seulement nous ne naissons pas sous la même étoile, pour reprendre une expression qu'on a déjà utilisée dans ce podcast, mais qu'en outre... même entre individus qui commencent avec, on va dire, qui partent sur la même ligne de départ, à l'arrivée, on se retrouve quand même avec des différences, des écarts de revenus. Qu'est-ce qui entre en jeu à ce moment-là ?
- Speaker #2
Alors, vous avez tout à fait raison. Dans la note, on réfute un peu le terme de déterminisme. On préfère parler d'inégalité des chances, c'est-à-dire qu'en fonction des caractéristiques de départ, on n'a pas les mêmes chances en moyenne de réussir à l'âge adulte, mais il reste un aléa, une hétérogénéité. On préfère vraiment parler d'inégalité des chances et pas de déterminisme. Maintenant, si on essaie d'expliquer les écarts de trajectoire moyen entre les différentes catégories qu'on a observées, là, ce qui est intéressant, c'est qu'on a des explications qui sont assez différentes selon la caractéristique de départ. Donc si on s'intéresse aux écarts selon l'origine sociale, là, c'est vraiment l'éducation qui ressort, c'est-à-dire que la quasi-totalité des écarts de revenus entre un enfant d'origine favorisée et un enfant d'origine modeste, c'est d'abord des écarts de niveau de diplôme, à près de trois quarts, et après il y a aussi un peu d'écarts qui sont liés à l'orientation dans certaines filières d'enseignement qui rapportent plus sur le marché du travail ou à l'accès aux grandes écoles, et c'est vraiment le diplôme en premier, et après ce qui se passe sur le marché du travail finalement ça découle de ce parcours éducatif, il n'y a pas tellement d'effets en plus sur le marché du travail. Par contre si on regarde la deuxième caractéristique, qui a le plus d'effets, c'est-à-dire le sexe, là, ce n'est plus du tout l'éducation qui joue. Parce que même si les femmes s'orientent dans des filières qui sont moins valorisées sur le marché du travail, des filières d'enseignement, en fait, elles sont plus diplômées que les hommes. Et donc, au total, les différents effets se compensent. Et donc, ce n'est pas l'éducation qui explique les grands écarts hommes-femmes qu'on observe.
- Speaker #0
C'est ce que j'allais dire. Je vais rebondir là-dessus parce que c'est évidemment une des inégalités les plus souvent commentées. dans la société, cette inégalité hommes-femmes concernant les revenus. Par exemple, on voit dans l'étude qu'entre 2010 et 2018, l'écart de revenus entre les hommes et les femmes âgés de 35 à 38 ans est passé de 760 euros à 550 euros. Ça reste délicat de dire, il y a du mieux. Est-ce que vous pouvez du coup apporter des précisions à ce genre de constat ?
- Speaker #1
Alors, effectivement, on observe une baisse de l'écart de revenus entre les hommes et les femmes. C'est une baisse tendancielle qu'on observe depuis plusieurs années. L'INSEE l'a déjà montré également. Donc on a dit qu'il y a du mieux sur le marché du travail. Les femmes ont un taux d'activité qui progresse continuellement depuis 30 ans, alors que celui des hommes est plutôt en stagnation. Les femmes aussi accèdent de plus en plus à des postes de cadre, ce qui n'était pas le cas avant. Donc il y a du mieux, mais on a encore des écarts qui sont assez significatifs. Vous l'avez signalé, près de 600 euros d'écart en moyenne entre un homme et une femme. Et donc on a essayé de comprendre au-delà des canaux par lesquels passaient ces différences de revenus. On a dit que c'était effectivement des situations différentes sur le marché du travail en termes de... Le temps de travail, d'une part, et notamment d'accès à des postes plus ou moins rémunérateurs. Et ces différences de caractéristiques sur le marché du travail, en fait, elles passent essentiellement par, ça a été montré beaucoup dans la littérature, par l'arrivée des enfants et le fait que les femmes, plus souvent, réduisent leur activité ou s'orientent vers des métiers ou des entreprises qui permettent en tout cas de davantage concilier vie familiale et vie professionnelle. Donc on a essayé de regarder quel était l'impact réel de l'arrivée des enfants sur le revenu. et sur les écarts de revenus entre les hommes et les femmes, et on montre qu'environ 60% de l'écart de revenus, donc 60% des 600 euros, sont directement liés au fait qu'à l'arrivée des enfants, tout simplement. Donc cette pénalité salariale associée à l'arrivée des enfants, on montre aussi, et ça c'est une des nouveautés aussi de cette étude, montre qu'elle est quasi équivalente, quelle que soit l'origine sociale. Une femme d'origine sociale modeste ou une femme d'origine sociale favorisée, elle a en moyenne une pénalité salariale qui est comprise entre... Entre 20 et 25%, 5 ans après l'arrivée des enfants, ces femmes gagnent en moyenne 20 à 25% de moins. que les femmes de même origine sociale, mais qui n'ont pas eu d'enfant.
- Speaker #2
Et donc, du coup, même s'il y a une amélioration des écarts hommes-femmes, c'est-à-dire une réduction significative des écarts hommes-femmes, ça reste quand même le deuxième facteur d'inégalité des chances parmi ceux qu'on a observés.
- Speaker #0
Très bien. Encore beaucoup d'enjeux dans les inégalités des chances. Merci à tous les deux, Clément Derbeco et Jean Flamand, d'avoir partagé avec nous cette étude passionnante sur l'inégalité des chances. Elle est évidemment à retrouver en intégralité sur le site de France Stratégie. accompagné des graphiques et des sources. Et comme toujours, merci d'écouter le podcast Perspective. N'hésitez pas à vous abonner, à le partager à vos contacts, à nous laisser vos commentaires. Et à bientôt pour d'autres publications présentées directement par les experts de France Stratégie en podcast.