Le travail à l'épreuve du changement climatique cover
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Les podcasts de France Stratégie

Le travail à l'épreuve du changement climatique

Le travail à l'épreuve du changement climatique

17min |12/09/2023
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Le travail à l'épreuve du changement climatique

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Description

Canicules à répétition, inondations, feux de forêt majeurs, sécheresses… le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou au travail. Et les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. 


Quels sont les risques professionnels associés à l’augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons les deux auteurs de la note d’analyse “Le travail à l’épreuve du changement climatique” : Salima Benhamou et Jean Flamand.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans un nouvel épisode du podcast Perspective de France Stratégie, un épisode consacré à la note d'analyse intitulée Le travail à l'épreuve du changement climatique C'est peu dire qu'il s'agit d'un sujet brûlant. En effet, canicule à répétition, inondation, feu de forêt majeur, sécheresse, le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou leur travail. Et justement... Les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus, alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. Quels sont les risques professionnels associés à l'augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ? Pour répondre à ces questions, du moins en partie dans cet épisode de podcast, nous recevons les deux auteurs de cette note d'analyse. Bonjour Salima Benhamou.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Et bonjour Jean Flamand, que l'on retrouve pour un deuxième épisode consécutif. Bienvenue.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Pour commencer, on connaît mal aujourd'hui la part des travailleurs exposés à la chaleur. En France, elle oscillerait entre 14 et 36% selon les sources. Ce sont souvent des métiers agricoles ou liés au bâtiment et qui travaillent en extérieur, mais en réalité, tout le monde est concerné. On s'en rend bien compte que l'on soit derrière un bureau ou sur le terrain. Dès que les températures augmentent fortement, le corps ne réagit plus de la même façon et cela engendre de vrais risques professionnels, ce que vous pouvez détailler, Salima.

  • Speaker #1

    Oui, les effets de la chaleur sur la santé et la sécurité des travailleurs sont multiples. Elles engendrent à la fois de la fatigue, de l'épuisement. La chaleur favorise également un manque de concentration et de vigilance. Et ces impacts ont des conséquences directes sur les capacités physiques et cognitives des travailleurs qui peuvent rendre difficile la réalisation d'un grand nombre de tâches productives. Je vais donner quelques exemples. Adopter des bons gestes professionnels, traiter et analyser des informations, prendre de bonnes décisions, travailler en équipe ou encore être à l'écoute de ses clients, des usagers quand on est dans une administration ou encore de ses patients pour des professionnels de santé peuvent être rendus plus difficiles quand on est exposé à la chaleur. Alors l'exposition à la chaleur en milieu professionnel peut également conduire à des accidents de travail, les chutes. Par exemple, quand on travaille en hauteur ou les erreurs humaines dans la manipulation d'outils sont autant d'exemples d'accidents du travail potentiels et certains accidents peuvent être mortels, notamment au cas de coups de chaleur. Ce risque d'accident de travail peut aussi provenir d'une baisse de la fiabilité des machines et des infrastructures qui sont rendues de fait plus vulnérables par l'exposition prolongée à la chaleur. Quand l'environnement de travail est également impacté, la santé des travailleurs l'est aussi. Alors,

  • Speaker #0

    est-ce qu'on peut chiffrer un petit peu à partir de quel seuil de température il y a un risque pour les travailleurs ? Est-ce qu'il y a en plus des facteurs aggravants, ce genre de choses ?

  • Speaker #1

    Alors, ces risques peuvent apparaître d'après l'Institut National de Recherche et de Sécurité, dès 28 degrés pour un travail qui nécessite une activité physique, et à partir de 30 degrés pour une activité sédentaire. Mais l'ensemble des travaux scientifiques, menées sur plusieurs pays, montrent que ces risques professionnels peuvent même apparaître autour des 24 degrés selon l'intensité du travail. Et j'ajouterais même que ces risques sont d'autant plus élevés qu'il existe des facteurs aggravants, comme par exemple le port d'équipements de protection individuelle, qui limite de fait la dissipation de la chaleur corporelle, comme ceux qui travaillent sur des chantiers. Je pense notamment au port de charges lourdes ou l'adoption de postures... pénibles, répétés et prolongés pour les manutentionnaires. Et il y a aussi tous ces travailleurs qui présentent déjà une santé fragile en raison de pathologies chroniques. Ça peut être des pathologies respiratoires, cardiovasculaires, ou ceux aussi qui sont en contact avec des environnements de travail toxiques. C'est-à-dire qu'ils sont souvent exposés aux produits chimiques ou à la poussière, par exemple. Et enfin, les facteurs aggravants sont aussi d'ordre socio-économique. Et on l'évoque assez peu, les travailleurs qui occupent des emplois instables, faiblement rémunérés ou payés au rendement, ou encore quand ils vivent dans des îlots de chaleur ou dans des quartiers mal desservis, sont d'autant plus fragilisés par la chaleur car leurs conditions d'emploi et de travail peuvent les amener à adopter des comportements à risque face à la chaleur parce que justement ils ont peur de perdre leur emploi ou une partie de leur... rémunération. Et enfin, ces risques professionnels ne présentent pas qu'un enjeu de santé et de sécurité, mais présentent aussi un enjeu économique, en baissant la productivité du travail et donc en freinant aussi la croissance économique. Cette baisse de la productivité du travail a déjà été constatée au niveau empirique à partir d'une température qui tourne autour des 24-26 degrés et serait réduite. de 2,6% pour chaque degré dépassant. Les 24 degrés, et elle pourrait même chuter, cette productivité, de l'ordre de 50% en moyenne des 33 et 34 degrés. Alors, ces certaines estimations montrent que les pertes économiques induites par le changement climatique auraient même représenté à l'échelle mondiale, et sur la période 2001-2020, plus de 650 milliards d'heures de travail perdues par an, soit l'équivalent de 148 millions d'emplois à temps plein. Et si on s'inscrit de manière prospective, d'ici à 2060 en Europe, les impacts du changement climatique sur l'économie pourraient être multipliés par près de 5 par rapport à la période de référence 80-90-2010. Donc, si aucune mesure d'atténuation ou d'adaptation n'est prise, ces projections de pertes économiques pourraient s'aggraver. En France, il y a très peu d'estimations. Celles dont on dispose aujourd'hui ont montré qu'à horizon 2055-2064, on pourrait constater une baisse d'environ 1,5% du PIB et à l'horizon 2080, environ 3% en moyenne, en particulier dans les régions du sud qui seraient plus touchées, qui pourraient même atteindre, dans le pire des cas, des scénarios, 8% de baisse de la croissance.

  • Speaker #0

    Donc, effectivement, des chiffres conséquents. Et alors, vous venez de le mentionner, on va maintenant s'intéresser un peu à la géographie, puisque tous les territoires ne sont pas concernés, vous l'avez dit de la même façon, par le changement climatique. Dans la note d'analyse, on retrouve deux cartes. Une première qui indique l'évolution du nombre moyen de journées anormalement chaudes d'ici 2050. Et une seconde qui met en perspective la spécialisation professionnelle des zones d'emploi et l'exposition des travailleurs à des températures élevées. Est-ce que vous pouvez donner dans les grandes lignes, Jean-Flamand, les enseignements de ces cartes et la démarche que vous avez adoptée pour aboutir à ces résultats ?

  • Speaker #2

    Très bien. Je vais d'abord revenir sur l'élaboration de cette cartographie. On a fait le constat qu'il n'y avait pas en France d'informations dédiées à l'évaluation de l'impact du changement climatique sur le travail. Sur la base d'une enquête de la statistique publique, on a essayé d'évaluer combien de travailleurs en France sont susceptibles d'être les plus touchés. par la hausse des températures, puisqu'on a vu que c'était l'une des principales conséquences du changement climatique. Et on aboutit au fait qu'on a aujourd'hui en France 10 millions de personnes qui déclarent que leur travail présente un inconvénient en raison d'une température élevée, ce qui représente près de 2 travailleurs sur 5. Donc c'est un indicateur qui est suffisamment large justement pour prendre en compte la diversité des situations individuelles, puisque le niveau de température à partir duquel la chaleur devient gênante peut être assez variable d'un individu à l'autre. Donc on retrouve schématiquement trois grandes catégories de professionnels. particulièrement exposés. D'une part, les professionnels qui sont exposés du fait qu'ils travaillent en extérieur, on l'a évoqué tout à l'heure, donc on retrouve effectivement les ouvriers, les travaux publics et du bâtiment, on peut penser aux maçons, aux couvreurs, mais également aussi les professionnels de l'agriculture, que ce soit les jardiniers, les maraîchers ou les viticulteurs. La deuxième catégorie de professionnels, c'est ceux qui exercent en espace clos, donc c'est dans le secteur de la métallurgie, l'agroalimentaire ou la restauration, où l'âle d'exposition, elle est directement liée au poste de travail qui va dégager de la chaleur, tout simplement. Et enfin, on a une troisième catégorie, ce sont les professionnels qui interviennent directement sur les conséquences du changement climatique. On pense bien évidemment aux services de secours qui interviennent en cas d'incendie, mais aussi par exemple aux aides à domicile qui ont un rôle de prévention, notamment lors d'épisodes de canicule ou de vagues de chaleur. Alors on sait que ces travailleurs vont subir le changement climatique de manière variable selon leur localisation. Grâce aux projections météorologiques de Météo France, on sait aujourd'hui que tout le territoire métropolitain va connaître une hausse des journées anormalement chaudes d'ici à 2050, mais en particulier le sud-est du pays, notamment la région PACA et les zones montagneuses de la région Auvergne-Rhône-Alpes. En croisant cette évolution des anomalies de chaleur avec la répartition territoriale de l'emploi, on montre que de manière générale, les territoires qui connaîtront un réchauffement climatique plus marqué ne se caractérisent pas par une surreprésentation des métiers qui sont les plus exposés à la chaleur. Sur les 287 zones d'emploi de France métropolitaine, il y a 9 zones qui font tout de même exception, c'est-à-dire qu'elles cumulent hausse des anomalies de chaleur et surreprésentation, notamment des professionnels de l'agriculture et du bâtiment. On peut citer notamment la zone d'emploi de Saint-Junien en Nouvelle-Aquitaine, Saint-Flour en Auvergne-Rhône-Alpes ou Castel-Sarrazin-Moissac en Occitanie.

  • Speaker #0

    Et évidemment, après les constats et les prévisions, vient le moment où l'on agit, on anticipe, on s'adapte. Vous le dites dans la note d'analyse, il n'existe pas en France de plan d'adaptation dédié spécifiquement aux risques professionnels liés au changement climatique. La plupart des dispositifs visant à prévenir ces risques s'inscrivent dans une logique de gestion d'événements jugés exceptionnels, comme les vagues de chaleur en période de canicule. et ne permettent pas d'adapter sur le long terme les conditions et l'organisation du travail qui assurent la santé et la sécurité des travailleurs. Alors, j'ai envie de dire, on fait quoi ? Quelles sont les lacunes actuelles ? Et surtout, comment on fait pour les corriger à l'avenir ?

  • Speaker #2

    Alors, le Code du travail prévoit des mesures un peu d'ordre général, notamment le fait que l'employeur a l'obligation de garantir la santé et la protection de ses salariés. Et il est également tenu d'assurer, par exemple, le renouvellement de l'air dans les locaux fermés ou même de mettre à disposition de l'eau, tout simplement. Alors, pour autant... le Code du Travail français aujourd'hui ne fixe pas de seuil de température maximale de l'air alors que c'est le cas par exemple dans d'autres pays où la législation inscrit des valeurs précises. Du côté des salariés, aujourd'hui ils ont la possibilité dans certains cas d'activer ce qu'on appelle un droit de retrait, notamment lorsqu'il y a un danger grave pour leur vie ou leur santé. Mais pour que ce droit soit reconnu, ils doivent faire la preuve que finalement leur employeur n'a pas mis en place des mesures de protection nécessaires. C'est un droit qui n'est d'une part pas toujours connu. et d'autre part qui est difficile à faire valoir, ce qui peut expliquer qu'aujourd'hui on a assez peu de salariés qui mobilisent ce droit, et en particulier dans les petites entreprises où justement la représentation syndicale n'est pas toujours très forte. Alors du côté des salariés, il existe également aussi des dispositifs d'indemnisation, notamment dans le secteur du bâtiment des travaux publics qui prévoient un dispositif chômage intempéri, donc notamment lorsque les conditions atmosphériques et les inondations rendent dangereux ou impossibles l'accomplissement du travail. Le gel, la neige, le verglas, la pluie, le vent ou les inondations sont reconnus comme des intempéries, mais pas les canicules aujourd'hui. Ce qui veut dire que lorsqu'un chantier est arrêté pour cause de canicule, les salariés ne sont pas indemnisés automatiquement. Ce sera du cas par cas. On pourrait imaginer notamment qu'au-delà du secteur du bâtiment, ce congé intempéries soit étendu à d'autres secteurs d'activité qui sont particulièrement exposés, comme l'agriculture par exemple.

  • Speaker #0

    Face à ces limites ? Que faire ? Est-ce qu'il faut fixer par exemple des seuils au-delà desquels on arrêterait de travailler ?

  • Speaker #1

    Comme cela a été déjà dit, ces risques sont multiples et les facteurs sont nombreux. Ils sont de nature différente, à la fois environnemental, organisationnel, individuel. Et ça ne permet pas de fixer un seuil de température unique pour tous les travailleurs et pour chaque secteur. En fait, ces effets et les effets du changement climatique sont systémiques. en raison de l'existence justement de ces facteurs d'exposition aggravants et de l'hétérogénité des situations de travail et des situations aussi individuelles. Et donc ça impose une gestion au cas par cas, à l'échelle du métier, voire même à l'échelle de l'individu. En revanche, on peut améliorer des dispositifs, des dispositifs existants, et dont certains ne sont pas suffisamment exploités. On pense notamment au DWERP, qui est un dispositif qui vise à recenser tous les risques professionnels, chaque année, et à les évaluer pour mieux les anticiper, et qui fait d'ailleurs l'objet de discussions entre l'employeur et les représentants du personnel. Or, ce dispositif aujourd'hui ne prend pas suffisamment en compte les risques professionnels induits par le dérèglement climatique. Il y a donc un problème d'appropriation, voire même de prise de conscience, sur cet enjeu réel qui est tangible aujourd'hui. Et donc on pense qu'il ne faudrait pas... alourdir le code du travail et empiler les dispositifs réglementaires, mais au contraire, mieux mobiliser ceux qui existent de manière la plus efficace possible et pour justement sensibiliser les acteurs concernés, incluant les salariés eux-mêmes. Et donc ça, ça peut passer par un renforcement des campagnes de communication et surtout par un plus grand accès à la formation des salariés. et de leurs représentants sur les liens, sur cette thématique, entre l'environnement, la santé, l'organisation et les conditions de travail. En somme, il faut savoir capitaliser sur la connaissance scientifique, les évaluations disponibles, même s'il faut encore renforcer la recherche dans ce domaine, en particulier en France. Enfin, si on souhaite adapter le travail à la hauteur des enjeux climatiques actuels et futurs, Il faut revoir certaines modalités de gouvernance des plans nationaux qui existent aujourd'hui, comme le plan santé au travail, le PST, le plan national d'adaptation au changement climatique, le PNAC, et le plan national santé environnement. Il y en a plusieurs. Et ces différents plans abordent l'impact du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs et ils associent déjà un grand nombre d'acteurs, différents ministères, administrations, une pluralité. de services d'expertise et d'organismes de prévention. Ces plans et ce pilotage en fait pluriel ne sont pas suffisamment articulés et coordonnés. Et surtout, le fait qu'il y ait différents ministères qui les portent, renvoie à des champs de compétences et d'expertises qui sont aussi multiples. Ce pilotage ne garantit pas de manière suffisamment efficace une coopération systématique, même au niveau territorial, comme par exemple les acteurs de prévention en santé ou les collectivités locales. La gouvernance de ces plans... a probablement aussi freiné, et c'est ce que l'on pointe dans la note, une compréhension plus systémique des enjeux d'adaptation du travail, en retardant l'élaboration de mesures plus structurelles et de long terme pour adapter les conditions et l'organisation du travail. Donc nous préconisons dans cette note une gouvernance à l'échelle interministérielle afin d'assurer une plus grande cohérence entre ces plans et ceux de leur... conception, à leur déploiement à toutes les échelles nationales, mais aussi à l'échelle des régions et des communes. Enfin, développer une stratégie interministérielle au niveau national doit aussi se décliner et être suffisamment portée au niveau des régions et des communes, car le changement climatique impose de penser aujourd'hui l'adaptation du travail à une maille plus fine, prenant en compte la diversité des réalités sociales, des réalités économiques. et des réalités environnementales.

  • Speaker #0

    Et oui, il y a encore du chemin à parcourir et pas forcément beaucoup de temps. Merci beaucoup à tous les deux, Salima Benassi et Jean Flamand, d'avoir parcouru la note d'analyse, le travail à l'épreuve du changement climatique. On la retrouve en intégralité sur le site de France Stratégie, bien sûr, où elle est d'ailleurs accompagnée d'une note de synthèse sur le retour d'expérience de trois territoires. Une note qui identifie justement plusieurs pistes et bonnes pratiques également pour s'adapter au changement climatique. Et comme toujours, merci d'écouter le podcast Perspective. N'hésitez pas à vous abonner. à le partager à vos contacts et à nous laisser vos commentaires. A bientôt pour d'autres publications présentées directement par les experts de France Stratégie en podcast.

Description

Canicules à répétition, inondations, feux de forêt majeurs, sécheresses… le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou au travail. Et les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. 


Quels sont les risques professionnels associés à l’augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons les deux auteurs de la note d’analyse “Le travail à l’épreuve du changement climatique” : Salima Benhamou et Jean Flamand.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans un nouvel épisode du podcast Perspective de France Stratégie, un épisode consacré à la note d'analyse intitulée Le travail à l'épreuve du changement climatique C'est peu dire qu'il s'agit d'un sujet brûlant. En effet, canicule à répétition, inondation, feu de forêt majeur, sécheresse, le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou leur travail. Et justement... Les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus, alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. Quels sont les risques professionnels associés à l'augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ? Pour répondre à ces questions, du moins en partie dans cet épisode de podcast, nous recevons les deux auteurs de cette note d'analyse. Bonjour Salima Benhamou.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Et bonjour Jean Flamand, que l'on retrouve pour un deuxième épisode consécutif. Bienvenue.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Pour commencer, on connaît mal aujourd'hui la part des travailleurs exposés à la chaleur. En France, elle oscillerait entre 14 et 36% selon les sources. Ce sont souvent des métiers agricoles ou liés au bâtiment et qui travaillent en extérieur, mais en réalité, tout le monde est concerné. On s'en rend bien compte que l'on soit derrière un bureau ou sur le terrain. Dès que les températures augmentent fortement, le corps ne réagit plus de la même façon et cela engendre de vrais risques professionnels, ce que vous pouvez détailler, Salima.

  • Speaker #1

    Oui, les effets de la chaleur sur la santé et la sécurité des travailleurs sont multiples. Elles engendrent à la fois de la fatigue, de l'épuisement. La chaleur favorise également un manque de concentration et de vigilance. Et ces impacts ont des conséquences directes sur les capacités physiques et cognitives des travailleurs qui peuvent rendre difficile la réalisation d'un grand nombre de tâches productives. Je vais donner quelques exemples. Adopter des bons gestes professionnels, traiter et analyser des informations, prendre de bonnes décisions, travailler en équipe ou encore être à l'écoute de ses clients, des usagers quand on est dans une administration ou encore de ses patients pour des professionnels de santé peuvent être rendus plus difficiles quand on est exposé à la chaleur. Alors l'exposition à la chaleur en milieu professionnel peut également conduire à des accidents de travail, les chutes. Par exemple, quand on travaille en hauteur ou les erreurs humaines dans la manipulation d'outils sont autant d'exemples d'accidents du travail potentiels et certains accidents peuvent être mortels, notamment au cas de coups de chaleur. Ce risque d'accident de travail peut aussi provenir d'une baisse de la fiabilité des machines et des infrastructures qui sont rendues de fait plus vulnérables par l'exposition prolongée à la chaleur. Quand l'environnement de travail est également impacté, la santé des travailleurs l'est aussi. Alors,

  • Speaker #0

    est-ce qu'on peut chiffrer un petit peu à partir de quel seuil de température il y a un risque pour les travailleurs ? Est-ce qu'il y a en plus des facteurs aggravants, ce genre de choses ?

  • Speaker #1

    Alors, ces risques peuvent apparaître d'après l'Institut National de Recherche et de Sécurité, dès 28 degrés pour un travail qui nécessite une activité physique, et à partir de 30 degrés pour une activité sédentaire. Mais l'ensemble des travaux scientifiques, menées sur plusieurs pays, montrent que ces risques professionnels peuvent même apparaître autour des 24 degrés selon l'intensité du travail. Et j'ajouterais même que ces risques sont d'autant plus élevés qu'il existe des facteurs aggravants, comme par exemple le port d'équipements de protection individuelle, qui limite de fait la dissipation de la chaleur corporelle, comme ceux qui travaillent sur des chantiers. Je pense notamment au port de charges lourdes ou l'adoption de postures... pénibles, répétés et prolongés pour les manutentionnaires. Et il y a aussi tous ces travailleurs qui présentent déjà une santé fragile en raison de pathologies chroniques. Ça peut être des pathologies respiratoires, cardiovasculaires, ou ceux aussi qui sont en contact avec des environnements de travail toxiques. C'est-à-dire qu'ils sont souvent exposés aux produits chimiques ou à la poussière, par exemple. Et enfin, les facteurs aggravants sont aussi d'ordre socio-économique. Et on l'évoque assez peu, les travailleurs qui occupent des emplois instables, faiblement rémunérés ou payés au rendement, ou encore quand ils vivent dans des îlots de chaleur ou dans des quartiers mal desservis, sont d'autant plus fragilisés par la chaleur car leurs conditions d'emploi et de travail peuvent les amener à adopter des comportements à risque face à la chaleur parce que justement ils ont peur de perdre leur emploi ou une partie de leur... rémunération. Et enfin, ces risques professionnels ne présentent pas qu'un enjeu de santé et de sécurité, mais présentent aussi un enjeu économique, en baissant la productivité du travail et donc en freinant aussi la croissance économique. Cette baisse de la productivité du travail a déjà été constatée au niveau empirique à partir d'une température qui tourne autour des 24-26 degrés et serait réduite. de 2,6% pour chaque degré dépassant. Les 24 degrés, et elle pourrait même chuter, cette productivité, de l'ordre de 50% en moyenne des 33 et 34 degrés. Alors, ces certaines estimations montrent que les pertes économiques induites par le changement climatique auraient même représenté à l'échelle mondiale, et sur la période 2001-2020, plus de 650 milliards d'heures de travail perdues par an, soit l'équivalent de 148 millions d'emplois à temps plein. Et si on s'inscrit de manière prospective, d'ici à 2060 en Europe, les impacts du changement climatique sur l'économie pourraient être multipliés par près de 5 par rapport à la période de référence 80-90-2010. Donc, si aucune mesure d'atténuation ou d'adaptation n'est prise, ces projections de pertes économiques pourraient s'aggraver. En France, il y a très peu d'estimations. Celles dont on dispose aujourd'hui ont montré qu'à horizon 2055-2064, on pourrait constater une baisse d'environ 1,5% du PIB et à l'horizon 2080, environ 3% en moyenne, en particulier dans les régions du sud qui seraient plus touchées, qui pourraient même atteindre, dans le pire des cas, des scénarios, 8% de baisse de la croissance.

  • Speaker #0

    Donc, effectivement, des chiffres conséquents. Et alors, vous venez de le mentionner, on va maintenant s'intéresser un peu à la géographie, puisque tous les territoires ne sont pas concernés, vous l'avez dit de la même façon, par le changement climatique. Dans la note d'analyse, on retrouve deux cartes. Une première qui indique l'évolution du nombre moyen de journées anormalement chaudes d'ici 2050. Et une seconde qui met en perspective la spécialisation professionnelle des zones d'emploi et l'exposition des travailleurs à des températures élevées. Est-ce que vous pouvez donner dans les grandes lignes, Jean-Flamand, les enseignements de ces cartes et la démarche que vous avez adoptée pour aboutir à ces résultats ?

  • Speaker #2

    Très bien. Je vais d'abord revenir sur l'élaboration de cette cartographie. On a fait le constat qu'il n'y avait pas en France d'informations dédiées à l'évaluation de l'impact du changement climatique sur le travail. Sur la base d'une enquête de la statistique publique, on a essayé d'évaluer combien de travailleurs en France sont susceptibles d'être les plus touchés. par la hausse des températures, puisqu'on a vu que c'était l'une des principales conséquences du changement climatique. Et on aboutit au fait qu'on a aujourd'hui en France 10 millions de personnes qui déclarent que leur travail présente un inconvénient en raison d'une température élevée, ce qui représente près de 2 travailleurs sur 5. Donc c'est un indicateur qui est suffisamment large justement pour prendre en compte la diversité des situations individuelles, puisque le niveau de température à partir duquel la chaleur devient gênante peut être assez variable d'un individu à l'autre. Donc on retrouve schématiquement trois grandes catégories de professionnels. particulièrement exposés. D'une part, les professionnels qui sont exposés du fait qu'ils travaillent en extérieur, on l'a évoqué tout à l'heure, donc on retrouve effectivement les ouvriers, les travaux publics et du bâtiment, on peut penser aux maçons, aux couvreurs, mais également aussi les professionnels de l'agriculture, que ce soit les jardiniers, les maraîchers ou les viticulteurs. La deuxième catégorie de professionnels, c'est ceux qui exercent en espace clos, donc c'est dans le secteur de la métallurgie, l'agroalimentaire ou la restauration, où l'âle d'exposition, elle est directement liée au poste de travail qui va dégager de la chaleur, tout simplement. Et enfin, on a une troisième catégorie, ce sont les professionnels qui interviennent directement sur les conséquences du changement climatique. On pense bien évidemment aux services de secours qui interviennent en cas d'incendie, mais aussi par exemple aux aides à domicile qui ont un rôle de prévention, notamment lors d'épisodes de canicule ou de vagues de chaleur. Alors on sait que ces travailleurs vont subir le changement climatique de manière variable selon leur localisation. Grâce aux projections météorologiques de Météo France, on sait aujourd'hui que tout le territoire métropolitain va connaître une hausse des journées anormalement chaudes d'ici à 2050, mais en particulier le sud-est du pays, notamment la région PACA et les zones montagneuses de la région Auvergne-Rhône-Alpes. En croisant cette évolution des anomalies de chaleur avec la répartition territoriale de l'emploi, on montre que de manière générale, les territoires qui connaîtront un réchauffement climatique plus marqué ne se caractérisent pas par une surreprésentation des métiers qui sont les plus exposés à la chaleur. Sur les 287 zones d'emploi de France métropolitaine, il y a 9 zones qui font tout de même exception, c'est-à-dire qu'elles cumulent hausse des anomalies de chaleur et surreprésentation, notamment des professionnels de l'agriculture et du bâtiment. On peut citer notamment la zone d'emploi de Saint-Junien en Nouvelle-Aquitaine, Saint-Flour en Auvergne-Rhône-Alpes ou Castel-Sarrazin-Moissac en Occitanie.

  • Speaker #0

    Et évidemment, après les constats et les prévisions, vient le moment où l'on agit, on anticipe, on s'adapte. Vous le dites dans la note d'analyse, il n'existe pas en France de plan d'adaptation dédié spécifiquement aux risques professionnels liés au changement climatique. La plupart des dispositifs visant à prévenir ces risques s'inscrivent dans une logique de gestion d'événements jugés exceptionnels, comme les vagues de chaleur en période de canicule. et ne permettent pas d'adapter sur le long terme les conditions et l'organisation du travail qui assurent la santé et la sécurité des travailleurs. Alors, j'ai envie de dire, on fait quoi ? Quelles sont les lacunes actuelles ? Et surtout, comment on fait pour les corriger à l'avenir ?

  • Speaker #2

    Alors, le Code du travail prévoit des mesures un peu d'ordre général, notamment le fait que l'employeur a l'obligation de garantir la santé et la protection de ses salariés. Et il est également tenu d'assurer, par exemple, le renouvellement de l'air dans les locaux fermés ou même de mettre à disposition de l'eau, tout simplement. Alors, pour autant... le Code du Travail français aujourd'hui ne fixe pas de seuil de température maximale de l'air alors que c'est le cas par exemple dans d'autres pays où la législation inscrit des valeurs précises. Du côté des salariés, aujourd'hui ils ont la possibilité dans certains cas d'activer ce qu'on appelle un droit de retrait, notamment lorsqu'il y a un danger grave pour leur vie ou leur santé. Mais pour que ce droit soit reconnu, ils doivent faire la preuve que finalement leur employeur n'a pas mis en place des mesures de protection nécessaires. C'est un droit qui n'est d'une part pas toujours connu. et d'autre part qui est difficile à faire valoir, ce qui peut expliquer qu'aujourd'hui on a assez peu de salariés qui mobilisent ce droit, et en particulier dans les petites entreprises où justement la représentation syndicale n'est pas toujours très forte. Alors du côté des salariés, il existe également aussi des dispositifs d'indemnisation, notamment dans le secteur du bâtiment des travaux publics qui prévoient un dispositif chômage intempéri, donc notamment lorsque les conditions atmosphériques et les inondations rendent dangereux ou impossibles l'accomplissement du travail. Le gel, la neige, le verglas, la pluie, le vent ou les inondations sont reconnus comme des intempéries, mais pas les canicules aujourd'hui. Ce qui veut dire que lorsqu'un chantier est arrêté pour cause de canicule, les salariés ne sont pas indemnisés automatiquement. Ce sera du cas par cas. On pourrait imaginer notamment qu'au-delà du secteur du bâtiment, ce congé intempéries soit étendu à d'autres secteurs d'activité qui sont particulièrement exposés, comme l'agriculture par exemple.

  • Speaker #0

    Face à ces limites ? Que faire ? Est-ce qu'il faut fixer par exemple des seuils au-delà desquels on arrêterait de travailler ?

  • Speaker #1

    Comme cela a été déjà dit, ces risques sont multiples et les facteurs sont nombreux. Ils sont de nature différente, à la fois environnemental, organisationnel, individuel. Et ça ne permet pas de fixer un seuil de température unique pour tous les travailleurs et pour chaque secteur. En fait, ces effets et les effets du changement climatique sont systémiques. en raison de l'existence justement de ces facteurs d'exposition aggravants et de l'hétérogénité des situations de travail et des situations aussi individuelles. Et donc ça impose une gestion au cas par cas, à l'échelle du métier, voire même à l'échelle de l'individu. En revanche, on peut améliorer des dispositifs, des dispositifs existants, et dont certains ne sont pas suffisamment exploités. On pense notamment au DWERP, qui est un dispositif qui vise à recenser tous les risques professionnels, chaque année, et à les évaluer pour mieux les anticiper, et qui fait d'ailleurs l'objet de discussions entre l'employeur et les représentants du personnel. Or, ce dispositif aujourd'hui ne prend pas suffisamment en compte les risques professionnels induits par le dérèglement climatique. Il y a donc un problème d'appropriation, voire même de prise de conscience, sur cet enjeu réel qui est tangible aujourd'hui. Et donc on pense qu'il ne faudrait pas... alourdir le code du travail et empiler les dispositifs réglementaires, mais au contraire, mieux mobiliser ceux qui existent de manière la plus efficace possible et pour justement sensibiliser les acteurs concernés, incluant les salariés eux-mêmes. Et donc ça, ça peut passer par un renforcement des campagnes de communication et surtout par un plus grand accès à la formation des salariés. et de leurs représentants sur les liens, sur cette thématique, entre l'environnement, la santé, l'organisation et les conditions de travail. En somme, il faut savoir capitaliser sur la connaissance scientifique, les évaluations disponibles, même s'il faut encore renforcer la recherche dans ce domaine, en particulier en France. Enfin, si on souhaite adapter le travail à la hauteur des enjeux climatiques actuels et futurs, Il faut revoir certaines modalités de gouvernance des plans nationaux qui existent aujourd'hui, comme le plan santé au travail, le PST, le plan national d'adaptation au changement climatique, le PNAC, et le plan national santé environnement. Il y en a plusieurs. Et ces différents plans abordent l'impact du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs et ils associent déjà un grand nombre d'acteurs, différents ministères, administrations, une pluralité. de services d'expertise et d'organismes de prévention. Ces plans et ce pilotage en fait pluriel ne sont pas suffisamment articulés et coordonnés. Et surtout, le fait qu'il y ait différents ministères qui les portent, renvoie à des champs de compétences et d'expertises qui sont aussi multiples. Ce pilotage ne garantit pas de manière suffisamment efficace une coopération systématique, même au niveau territorial, comme par exemple les acteurs de prévention en santé ou les collectivités locales. La gouvernance de ces plans... a probablement aussi freiné, et c'est ce que l'on pointe dans la note, une compréhension plus systémique des enjeux d'adaptation du travail, en retardant l'élaboration de mesures plus structurelles et de long terme pour adapter les conditions et l'organisation du travail. Donc nous préconisons dans cette note une gouvernance à l'échelle interministérielle afin d'assurer une plus grande cohérence entre ces plans et ceux de leur... conception, à leur déploiement à toutes les échelles nationales, mais aussi à l'échelle des régions et des communes. Enfin, développer une stratégie interministérielle au niveau national doit aussi se décliner et être suffisamment portée au niveau des régions et des communes, car le changement climatique impose de penser aujourd'hui l'adaptation du travail à une maille plus fine, prenant en compte la diversité des réalités sociales, des réalités économiques. et des réalités environnementales.

  • Speaker #0

    Et oui, il y a encore du chemin à parcourir et pas forcément beaucoup de temps. Merci beaucoup à tous les deux, Salima Benassi et Jean Flamand, d'avoir parcouru la note d'analyse, le travail à l'épreuve du changement climatique. On la retrouve en intégralité sur le site de France Stratégie, bien sûr, où elle est d'ailleurs accompagnée d'une note de synthèse sur le retour d'expérience de trois territoires. Une note qui identifie justement plusieurs pistes et bonnes pratiques également pour s'adapter au changement climatique. Et comme toujours, merci d'écouter le podcast Perspective. N'hésitez pas à vous abonner. à le partager à vos contacts et à nous laisser vos commentaires. A bientôt pour d'autres publications présentées directement par les experts de France Stratégie en podcast.

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Description

Canicules à répétition, inondations, feux de forêt majeurs, sécheresses… le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou au travail. Et les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. 


Quels sont les risques professionnels associés à l’augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons les deux auteurs de la note d’analyse “Le travail à l’épreuve du changement climatique” : Salima Benhamou et Jean Flamand.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans un nouvel épisode du podcast Perspective de France Stratégie, un épisode consacré à la note d'analyse intitulée Le travail à l'épreuve du changement climatique C'est peu dire qu'il s'agit d'un sujet brûlant. En effet, canicule à répétition, inondation, feu de forêt majeur, sécheresse, le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou leur travail. Et justement... Les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus, alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. Quels sont les risques professionnels associés à l'augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ? Pour répondre à ces questions, du moins en partie dans cet épisode de podcast, nous recevons les deux auteurs de cette note d'analyse. Bonjour Salima Benhamou.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Et bonjour Jean Flamand, que l'on retrouve pour un deuxième épisode consécutif. Bienvenue.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Pour commencer, on connaît mal aujourd'hui la part des travailleurs exposés à la chaleur. En France, elle oscillerait entre 14 et 36% selon les sources. Ce sont souvent des métiers agricoles ou liés au bâtiment et qui travaillent en extérieur, mais en réalité, tout le monde est concerné. On s'en rend bien compte que l'on soit derrière un bureau ou sur le terrain. Dès que les températures augmentent fortement, le corps ne réagit plus de la même façon et cela engendre de vrais risques professionnels, ce que vous pouvez détailler, Salima.

  • Speaker #1

    Oui, les effets de la chaleur sur la santé et la sécurité des travailleurs sont multiples. Elles engendrent à la fois de la fatigue, de l'épuisement. La chaleur favorise également un manque de concentration et de vigilance. Et ces impacts ont des conséquences directes sur les capacités physiques et cognitives des travailleurs qui peuvent rendre difficile la réalisation d'un grand nombre de tâches productives. Je vais donner quelques exemples. Adopter des bons gestes professionnels, traiter et analyser des informations, prendre de bonnes décisions, travailler en équipe ou encore être à l'écoute de ses clients, des usagers quand on est dans une administration ou encore de ses patients pour des professionnels de santé peuvent être rendus plus difficiles quand on est exposé à la chaleur. Alors l'exposition à la chaleur en milieu professionnel peut également conduire à des accidents de travail, les chutes. Par exemple, quand on travaille en hauteur ou les erreurs humaines dans la manipulation d'outils sont autant d'exemples d'accidents du travail potentiels et certains accidents peuvent être mortels, notamment au cas de coups de chaleur. Ce risque d'accident de travail peut aussi provenir d'une baisse de la fiabilité des machines et des infrastructures qui sont rendues de fait plus vulnérables par l'exposition prolongée à la chaleur. Quand l'environnement de travail est également impacté, la santé des travailleurs l'est aussi. Alors,

  • Speaker #0

    est-ce qu'on peut chiffrer un petit peu à partir de quel seuil de température il y a un risque pour les travailleurs ? Est-ce qu'il y a en plus des facteurs aggravants, ce genre de choses ?

  • Speaker #1

    Alors, ces risques peuvent apparaître d'après l'Institut National de Recherche et de Sécurité, dès 28 degrés pour un travail qui nécessite une activité physique, et à partir de 30 degrés pour une activité sédentaire. Mais l'ensemble des travaux scientifiques, menées sur plusieurs pays, montrent que ces risques professionnels peuvent même apparaître autour des 24 degrés selon l'intensité du travail. Et j'ajouterais même que ces risques sont d'autant plus élevés qu'il existe des facteurs aggravants, comme par exemple le port d'équipements de protection individuelle, qui limite de fait la dissipation de la chaleur corporelle, comme ceux qui travaillent sur des chantiers. Je pense notamment au port de charges lourdes ou l'adoption de postures... pénibles, répétés et prolongés pour les manutentionnaires. Et il y a aussi tous ces travailleurs qui présentent déjà une santé fragile en raison de pathologies chroniques. Ça peut être des pathologies respiratoires, cardiovasculaires, ou ceux aussi qui sont en contact avec des environnements de travail toxiques. C'est-à-dire qu'ils sont souvent exposés aux produits chimiques ou à la poussière, par exemple. Et enfin, les facteurs aggravants sont aussi d'ordre socio-économique. Et on l'évoque assez peu, les travailleurs qui occupent des emplois instables, faiblement rémunérés ou payés au rendement, ou encore quand ils vivent dans des îlots de chaleur ou dans des quartiers mal desservis, sont d'autant plus fragilisés par la chaleur car leurs conditions d'emploi et de travail peuvent les amener à adopter des comportements à risque face à la chaleur parce que justement ils ont peur de perdre leur emploi ou une partie de leur... rémunération. Et enfin, ces risques professionnels ne présentent pas qu'un enjeu de santé et de sécurité, mais présentent aussi un enjeu économique, en baissant la productivité du travail et donc en freinant aussi la croissance économique. Cette baisse de la productivité du travail a déjà été constatée au niveau empirique à partir d'une température qui tourne autour des 24-26 degrés et serait réduite. de 2,6% pour chaque degré dépassant. Les 24 degrés, et elle pourrait même chuter, cette productivité, de l'ordre de 50% en moyenne des 33 et 34 degrés. Alors, ces certaines estimations montrent que les pertes économiques induites par le changement climatique auraient même représenté à l'échelle mondiale, et sur la période 2001-2020, plus de 650 milliards d'heures de travail perdues par an, soit l'équivalent de 148 millions d'emplois à temps plein. Et si on s'inscrit de manière prospective, d'ici à 2060 en Europe, les impacts du changement climatique sur l'économie pourraient être multipliés par près de 5 par rapport à la période de référence 80-90-2010. Donc, si aucune mesure d'atténuation ou d'adaptation n'est prise, ces projections de pertes économiques pourraient s'aggraver. En France, il y a très peu d'estimations. Celles dont on dispose aujourd'hui ont montré qu'à horizon 2055-2064, on pourrait constater une baisse d'environ 1,5% du PIB et à l'horizon 2080, environ 3% en moyenne, en particulier dans les régions du sud qui seraient plus touchées, qui pourraient même atteindre, dans le pire des cas, des scénarios, 8% de baisse de la croissance.

  • Speaker #0

    Donc, effectivement, des chiffres conséquents. Et alors, vous venez de le mentionner, on va maintenant s'intéresser un peu à la géographie, puisque tous les territoires ne sont pas concernés, vous l'avez dit de la même façon, par le changement climatique. Dans la note d'analyse, on retrouve deux cartes. Une première qui indique l'évolution du nombre moyen de journées anormalement chaudes d'ici 2050. Et une seconde qui met en perspective la spécialisation professionnelle des zones d'emploi et l'exposition des travailleurs à des températures élevées. Est-ce que vous pouvez donner dans les grandes lignes, Jean-Flamand, les enseignements de ces cartes et la démarche que vous avez adoptée pour aboutir à ces résultats ?

  • Speaker #2

    Très bien. Je vais d'abord revenir sur l'élaboration de cette cartographie. On a fait le constat qu'il n'y avait pas en France d'informations dédiées à l'évaluation de l'impact du changement climatique sur le travail. Sur la base d'une enquête de la statistique publique, on a essayé d'évaluer combien de travailleurs en France sont susceptibles d'être les plus touchés. par la hausse des températures, puisqu'on a vu que c'était l'une des principales conséquences du changement climatique. Et on aboutit au fait qu'on a aujourd'hui en France 10 millions de personnes qui déclarent que leur travail présente un inconvénient en raison d'une température élevée, ce qui représente près de 2 travailleurs sur 5. Donc c'est un indicateur qui est suffisamment large justement pour prendre en compte la diversité des situations individuelles, puisque le niveau de température à partir duquel la chaleur devient gênante peut être assez variable d'un individu à l'autre. Donc on retrouve schématiquement trois grandes catégories de professionnels. particulièrement exposés. D'une part, les professionnels qui sont exposés du fait qu'ils travaillent en extérieur, on l'a évoqué tout à l'heure, donc on retrouve effectivement les ouvriers, les travaux publics et du bâtiment, on peut penser aux maçons, aux couvreurs, mais également aussi les professionnels de l'agriculture, que ce soit les jardiniers, les maraîchers ou les viticulteurs. La deuxième catégorie de professionnels, c'est ceux qui exercent en espace clos, donc c'est dans le secteur de la métallurgie, l'agroalimentaire ou la restauration, où l'âle d'exposition, elle est directement liée au poste de travail qui va dégager de la chaleur, tout simplement. Et enfin, on a une troisième catégorie, ce sont les professionnels qui interviennent directement sur les conséquences du changement climatique. On pense bien évidemment aux services de secours qui interviennent en cas d'incendie, mais aussi par exemple aux aides à domicile qui ont un rôle de prévention, notamment lors d'épisodes de canicule ou de vagues de chaleur. Alors on sait que ces travailleurs vont subir le changement climatique de manière variable selon leur localisation. Grâce aux projections météorologiques de Météo France, on sait aujourd'hui que tout le territoire métropolitain va connaître une hausse des journées anormalement chaudes d'ici à 2050, mais en particulier le sud-est du pays, notamment la région PACA et les zones montagneuses de la région Auvergne-Rhône-Alpes. En croisant cette évolution des anomalies de chaleur avec la répartition territoriale de l'emploi, on montre que de manière générale, les territoires qui connaîtront un réchauffement climatique plus marqué ne se caractérisent pas par une surreprésentation des métiers qui sont les plus exposés à la chaleur. Sur les 287 zones d'emploi de France métropolitaine, il y a 9 zones qui font tout de même exception, c'est-à-dire qu'elles cumulent hausse des anomalies de chaleur et surreprésentation, notamment des professionnels de l'agriculture et du bâtiment. On peut citer notamment la zone d'emploi de Saint-Junien en Nouvelle-Aquitaine, Saint-Flour en Auvergne-Rhône-Alpes ou Castel-Sarrazin-Moissac en Occitanie.

  • Speaker #0

    Et évidemment, après les constats et les prévisions, vient le moment où l'on agit, on anticipe, on s'adapte. Vous le dites dans la note d'analyse, il n'existe pas en France de plan d'adaptation dédié spécifiquement aux risques professionnels liés au changement climatique. La plupart des dispositifs visant à prévenir ces risques s'inscrivent dans une logique de gestion d'événements jugés exceptionnels, comme les vagues de chaleur en période de canicule. et ne permettent pas d'adapter sur le long terme les conditions et l'organisation du travail qui assurent la santé et la sécurité des travailleurs. Alors, j'ai envie de dire, on fait quoi ? Quelles sont les lacunes actuelles ? Et surtout, comment on fait pour les corriger à l'avenir ?

  • Speaker #2

    Alors, le Code du travail prévoit des mesures un peu d'ordre général, notamment le fait que l'employeur a l'obligation de garantir la santé et la protection de ses salariés. Et il est également tenu d'assurer, par exemple, le renouvellement de l'air dans les locaux fermés ou même de mettre à disposition de l'eau, tout simplement. Alors, pour autant... le Code du Travail français aujourd'hui ne fixe pas de seuil de température maximale de l'air alors que c'est le cas par exemple dans d'autres pays où la législation inscrit des valeurs précises. Du côté des salariés, aujourd'hui ils ont la possibilité dans certains cas d'activer ce qu'on appelle un droit de retrait, notamment lorsqu'il y a un danger grave pour leur vie ou leur santé. Mais pour que ce droit soit reconnu, ils doivent faire la preuve que finalement leur employeur n'a pas mis en place des mesures de protection nécessaires. C'est un droit qui n'est d'une part pas toujours connu. et d'autre part qui est difficile à faire valoir, ce qui peut expliquer qu'aujourd'hui on a assez peu de salariés qui mobilisent ce droit, et en particulier dans les petites entreprises où justement la représentation syndicale n'est pas toujours très forte. Alors du côté des salariés, il existe également aussi des dispositifs d'indemnisation, notamment dans le secteur du bâtiment des travaux publics qui prévoient un dispositif chômage intempéri, donc notamment lorsque les conditions atmosphériques et les inondations rendent dangereux ou impossibles l'accomplissement du travail. Le gel, la neige, le verglas, la pluie, le vent ou les inondations sont reconnus comme des intempéries, mais pas les canicules aujourd'hui. Ce qui veut dire que lorsqu'un chantier est arrêté pour cause de canicule, les salariés ne sont pas indemnisés automatiquement. Ce sera du cas par cas. On pourrait imaginer notamment qu'au-delà du secteur du bâtiment, ce congé intempéries soit étendu à d'autres secteurs d'activité qui sont particulièrement exposés, comme l'agriculture par exemple.

  • Speaker #0

    Face à ces limites ? Que faire ? Est-ce qu'il faut fixer par exemple des seuils au-delà desquels on arrêterait de travailler ?

  • Speaker #1

    Comme cela a été déjà dit, ces risques sont multiples et les facteurs sont nombreux. Ils sont de nature différente, à la fois environnemental, organisationnel, individuel. Et ça ne permet pas de fixer un seuil de température unique pour tous les travailleurs et pour chaque secteur. En fait, ces effets et les effets du changement climatique sont systémiques. en raison de l'existence justement de ces facteurs d'exposition aggravants et de l'hétérogénité des situations de travail et des situations aussi individuelles. Et donc ça impose une gestion au cas par cas, à l'échelle du métier, voire même à l'échelle de l'individu. En revanche, on peut améliorer des dispositifs, des dispositifs existants, et dont certains ne sont pas suffisamment exploités. On pense notamment au DWERP, qui est un dispositif qui vise à recenser tous les risques professionnels, chaque année, et à les évaluer pour mieux les anticiper, et qui fait d'ailleurs l'objet de discussions entre l'employeur et les représentants du personnel. Or, ce dispositif aujourd'hui ne prend pas suffisamment en compte les risques professionnels induits par le dérèglement climatique. Il y a donc un problème d'appropriation, voire même de prise de conscience, sur cet enjeu réel qui est tangible aujourd'hui. Et donc on pense qu'il ne faudrait pas... alourdir le code du travail et empiler les dispositifs réglementaires, mais au contraire, mieux mobiliser ceux qui existent de manière la plus efficace possible et pour justement sensibiliser les acteurs concernés, incluant les salariés eux-mêmes. Et donc ça, ça peut passer par un renforcement des campagnes de communication et surtout par un plus grand accès à la formation des salariés. et de leurs représentants sur les liens, sur cette thématique, entre l'environnement, la santé, l'organisation et les conditions de travail. En somme, il faut savoir capitaliser sur la connaissance scientifique, les évaluations disponibles, même s'il faut encore renforcer la recherche dans ce domaine, en particulier en France. Enfin, si on souhaite adapter le travail à la hauteur des enjeux climatiques actuels et futurs, Il faut revoir certaines modalités de gouvernance des plans nationaux qui existent aujourd'hui, comme le plan santé au travail, le PST, le plan national d'adaptation au changement climatique, le PNAC, et le plan national santé environnement. Il y en a plusieurs. Et ces différents plans abordent l'impact du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs et ils associent déjà un grand nombre d'acteurs, différents ministères, administrations, une pluralité. de services d'expertise et d'organismes de prévention. Ces plans et ce pilotage en fait pluriel ne sont pas suffisamment articulés et coordonnés. Et surtout, le fait qu'il y ait différents ministères qui les portent, renvoie à des champs de compétences et d'expertises qui sont aussi multiples. Ce pilotage ne garantit pas de manière suffisamment efficace une coopération systématique, même au niveau territorial, comme par exemple les acteurs de prévention en santé ou les collectivités locales. La gouvernance de ces plans... a probablement aussi freiné, et c'est ce que l'on pointe dans la note, une compréhension plus systémique des enjeux d'adaptation du travail, en retardant l'élaboration de mesures plus structurelles et de long terme pour adapter les conditions et l'organisation du travail. Donc nous préconisons dans cette note une gouvernance à l'échelle interministérielle afin d'assurer une plus grande cohérence entre ces plans et ceux de leur... conception, à leur déploiement à toutes les échelles nationales, mais aussi à l'échelle des régions et des communes. Enfin, développer une stratégie interministérielle au niveau national doit aussi se décliner et être suffisamment portée au niveau des régions et des communes, car le changement climatique impose de penser aujourd'hui l'adaptation du travail à une maille plus fine, prenant en compte la diversité des réalités sociales, des réalités économiques. et des réalités environnementales.

  • Speaker #0

    Et oui, il y a encore du chemin à parcourir et pas forcément beaucoup de temps. Merci beaucoup à tous les deux, Salima Benassi et Jean Flamand, d'avoir parcouru la note d'analyse, le travail à l'épreuve du changement climatique. On la retrouve en intégralité sur le site de France Stratégie, bien sûr, où elle est d'ailleurs accompagnée d'une note de synthèse sur le retour d'expérience de trois territoires. Une note qui identifie justement plusieurs pistes et bonnes pratiques également pour s'adapter au changement climatique. Et comme toujours, merci d'écouter le podcast Perspective. N'hésitez pas à vous abonner. à le partager à vos contacts et à nous laisser vos commentaires. A bientôt pour d'autres publications présentées directement par les experts de France Stratégie en podcast.

Description

Canicules à répétition, inondations, feux de forêt majeurs, sécheresses… le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou au travail. Et les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. 


Quels sont les risques professionnels associés à l’augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ?

Pour répondre à ces questions, nous recevons les deux auteurs de la note d’analyse “Le travail à l’épreuve du changement climatique” : Salima Benhamou et Jean Flamand.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue dans un nouvel épisode du podcast Perspective de France Stratégie, un épisode consacré à la note d'analyse intitulée Le travail à l'épreuve du changement climatique C'est peu dire qu'il s'agit d'un sujet brûlant. En effet, canicule à répétition, inondation, feu de forêt majeur, sécheresse, le changement climatique est désormais une réalité tangible pour tous les Français, que ce soit dans leur vie quotidienne ou leur travail. Et justement... Les impacts sur les travailleurs restent peu analysés et peu débattus, alors même que certains métiers pourraient se trouver en première ligne. Quels sont les risques professionnels associés à l'augmentation de la chaleur ? Quels sont les travailleurs et les territoires les plus exposés ? Les mesures réglementaires et de prévention sont-elles suffisantes ? Pour répondre à ces questions, du moins en partie dans cet épisode de podcast, nous recevons les deux auteurs de cette note d'analyse. Bonjour Salima Benhamou.

  • Speaker #1

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Et bonjour Jean Flamand, que l'on retrouve pour un deuxième épisode consécutif. Bienvenue.

  • Speaker #2

    Bonjour.

  • Speaker #0

    Pour commencer, on connaît mal aujourd'hui la part des travailleurs exposés à la chaleur. En France, elle oscillerait entre 14 et 36% selon les sources. Ce sont souvent des métiers agricoles ou liés au bâtiment et qui travaillent en extérieur, mais en réalité, tout le monde est concerné. On s'en rend bien compte que l'on soit derrière un bureau ou sur le terrain. Dès que les températures augmentent fortement, le corps ne réagit plus de la même façon et cela engendre de vrais risques professionnels, ce que vous pouvez détailler, Salima.

  • Speaker #1

    Oui, les effets de la chaleur sur la santé et la sécurité des travailleurs sont multiples. Elles engendrent à la fois de la fatigue, de l'épuisement. La chaleur favorise également un manque de concentration et de vigilance. Et ces impacts ont des conséquences directes sur les capacités physiques et cognitives des travailleurs qui peuvent rendre difficile la réalisation d'un grand nombre de tâches productives. Je vais donner quelques exemples. Adopter des bons gestes professionnels, traiter et analyser des informations, prendre de bonnes décisions, travailler en équipe ou encore être à l'écoute de ses clients, des usagers quand on est dans une administration ou encore de ses patients pour des professionnels de santé peuvent être rendus plus difficiles quand on est exposé à la chaleur. Alors l'exposition à la chaleur en milieu professionnel peut également conduire à des accidents de travail, les chutes. Par exemple, quand on travaille en hauteur ou les erreurs humaines dans la manipulation d'outils sont autant d'exemples d'accidents du travail potentiels et certains accidents peuvent être mortels, notamment au cas de coups de chaleur. Ce risque d'accident de travail peut aussi provenir d'une baisse de la fiabilité des machines et des infrastructures qui sont rendues de fait plus vulnérables par l'exposition prolongée à la chaleur. Quand l'environnement de travail est également impacté, la santé des travailleurs l'est aussi. Alors,

  • Speaker #0

    est-ce qu'on peut chiffrer un petit peu à partir de quel seuil de température il y a un risque pour les travailleurs ? Est-ce qu'il y a en plus des facteurs aggravants, ce genre de choses ?

  • Speaker #1

    Alors, ces risques peuvent apparaître d'après l'Institut National de Recherche et de Sécurité, dès 28 degrés pour un travail qui nécessite une activité physique, et à partir de 30 degrés pour une activité sédentaire. Mais l'ensemble des travaux scientifiques, menées sur plusieurs pays, montrent que ces risques professionnels peuvent même apparaître autour des 24 degrés selon l'intensité du travail. Et j'ajouterais même que ces risques sont d'autant plus élevés qu'il existe des facteurs aggravants, comme par exemple le port d'équipements de protection individuelle, qui limite de fait la dissipation de la chaleur corporelle, comme ceux qui travaillent sur des chantiers. Je pense notamment au port de charges lourdes ou l'adoption de postures... pénibles, répétés et prolongés pour les manutentionnaires. Et il y a aussi tous ces travailleurs qui présentent déjà une santé fragile en raison de pathologies chroniques. Ça peut être des pathologies respiratoires, cardiovasculaires, ou ceux aussi qui sont en contact avec des environnements de travail toxiques. C'est-à-dire qu'ils sont souvent exposés aux produits chimiques ou à la poussière, par exemple. Et enfin, les facteurs aggravants sont aussi d'ordre socio-économique. Et on l'évoque assez peu, les travailleurs qui occupent des emplois instables, faiblement rémunérés ou payés au rendement, ou encore quand ils vivent dans des îlots de chaleur ou dans des quartiers mal desservis, sont d'autant plus fragilisés par la chaleur car leurs conditions d'emploi et de travail peuvent les amener à adopter des comportements à risque face à la chaleur parce que justement ils ont peur de perdre leur emploi ou une partie de leur... rémunération. Et enfin, ces risques professionnels ne présentent pas qu'un enjeu de santé et de sécurité, mais présentent aussi un enjeu économique, en baissant la productivité du travail et donc en freinant aussi la croissance économique. Cette baisse de la productivité du travail a déjà été constatée au niveau empirique à partir d'une température qui tourne autour des 24-26 degrés et serait réduite. de 2,6% pour chaque degré dépassant. Les 24 degrés, et elle pourrait même chuter, cette productivité, de l'ordre de 50% en moyenne des 33 et 34 degrés. Alors, ces certaines estimations montrent que les pertes économiques induites par le changement climatique auraient même représenté à l'échelle mondiale, et sur la période 2001-2020, plus de 650 milliards d'heures de travail perdues par an, soit l'équivalent de 148 millions d'emplois à temps plein. Et si on s'inscrit de manière prospective, d'ici à 2060 en Europe, les impacts du changement climatique sur l'économie pourraient être multipliés par près de 5 par rapport à la période de référence 80-90-2010. Donc, si aucune mesure d'atténuation ou d'adaptation n'est prise, ces projections de pertes économiques pourraient s'aggraver. En France, il y a très peu d'estimations. Celles dont on dispose aujourd'hui ont montré qu'à horizon 2055-2064, on pourrait constater une baisse d'environ 1,5% du PIB et à l'horizon 2080, environ 3% en moyenne, en particulier dans les régions du sud qui seraient plus touchées, qui pourraient même atteindre, dans le pire des cas, des scénarios, 8% de baisse de la croissance.

  • Speaker #0

    Donc, effectivement, des chiffres conséquents. Et alors, vous venez de le mentionner, on va maintenant s'intéresser un peu à la géographie, puisque tous les territoires ne sont pas concernés, vous l'avez dit de la même façon, par le changement climatique. Dans la note d'analyse, on retrouve deux cartes. Une première qui indique l'évolution du nombre moyen de journées anormalement chaudes d'ici 2050. Et une seconde qui met en perspective la spécialisation professionnelle des zones d'emploi et l'exposition des travailleurs à des températures élevées. Est-ce que vous pouvez donner dans les grandes lignes, Jean-Flamand, les enseignements de ces cartes et la démarche que vous avez adoptée pour aboutir à ces résultats ?

  • Speaker #2

    Très bien. Je vais d'abord revenir sur l'élaboration de cette cartographie. On a fait le constat qu'il n'y avait pas en France d'informations dédiées à l'évaluation de l'impact du changement climatique sur le travail. Sur la base d'une enquête de la statistique publique, on a essayé d'évaluer combien de travailleurs en France sont susceptibles d'être les plus touchés. par la hausse des températures, puisqu'on a vu que c'était l'une des principales conséquences du changement climatique. Et on aboutit au fait qu'on a aujourd'hui en France 10 millions de personnes qui déclarent que leur travail présente un inconvénient en raison d'une température élevée, ce qui représente près de 2 travailleurs sur 5. Donc c'est un indicateur qui est suffisamment large justement pour prendre en compte la diversité des situations individuelles, puisque le niveau de température à partir duquel la chaleur devient gênante peut être assez variable d'un individu à l'autre. Donc on retrouve schématiquement trois grandes catégories de professionnels. particulièrement exposés. D'une part, les professionnels qui sont exposés du fait qu'ils travaillent en extérieur, on l'a évoqué tout à l'heure, donc on retrouve effectivement les ouvriers, les travaux publics et du bâtiment, on peut penser aux maçons, aux couvreurs, mais également aussi les professionnels de l'agriculture, que ce soit les jardiniers, les maraîchers ou les viticulteurs. La deuxième catégorie de professionnels, c'est ceux qui exercent en espace clos, donc c'est dans le secteur de la métallurgie, l'agroalimentaire ou la restauration, où l'âle d'exposition, elle est directement liée au poste de travail qui va dégager de la chaleur, tout simplement. Et enfin, on a une troisième catégorie, ce sont les professionnels qui interviennent directement sur les conséquences du changement climatique. On pense bien évidemment aux services de secours qui interviennent en cas d'incendie, mais aussi par exemple aux aides à domicile qui ont un rôle de prévention, notamment lors d'épisodes de canicule ou de vagues de chaleur. Alors on sait que ces travailleurs vont subir le changement climatique de manière variable selon leur localisation. Grâce aux projections météorologiques de Météo France, on sait aujourd'hui que tout le territoire métropolitain va connaître une hausse des journées anormalement chaudes d'ici à 2050, mais en particulier le sud-est du pays, notamment la région PACA et les zones montagneuses de la région Auvergne-Rhône-Alpes. En croisant cette évolution des anomalies de chaleur avec la répartition territoriale de l'emploi, on montre que de manière générale, les territoires qui connaîtront un réchauffement climatique plus marqué ne se caractérisent pas par une surreprésentation des métiers qui sont les plus exposés à la chaleur. Sur les 287 zones d'emploi de France métropolitaine, il y a 9 zones qui font tout de même exception, c'est-à-dire qu'elles cumulent hausse des anomalies de chaleur et surreprésentation, notamment des professionnels de l'agriculture et du bâtiment. On peut citer notamment la zone d'emploi de Saint-Junien en Nouvelle-Aquitaine, Saint-Flour en Auvergne-Rhône-Alpes ou Castel-Sarrazin-Moissac en Occitanie.

  • Speaker #0

    Et évidemment, après les constats et les prévisions, vient le moment où l'on agit, on anticipe, on s'adapte. Vous le dites dans la note d'analyse, il n'existe pas en France de plan d'adaptation dédié spécifiquement aux risques professionnels liés au changement climatique. La plupart des dispositifs visant à prévenir ces risques s'inscrivent dans une logique de gestion d'événements jugés exceptionnels, comme les vagues de chaleur en période de canicule. et ne permettent pas d'adapter sur le long terme les conditions et l'organisation du travail qui assurent la santé et la sécurité des travailleurs. Alors, j'ai envie de dire, on fait quoi ? Quelles sont les lacunes actuelles ? Et surtout, comment on fait pour les corriger à l'avenir ?

  • Speaker #2

    Alors, le Code du travail prévoit des mesures un peu d'ordre général, notamment le fait que l'employeur a l'obligation de garantir la santé et la protection de ses salariés. Et il est également tenu d'assurer, par exemple, le renouvellement de l'air dans les locaux fermés ou même de mettre à disposition de l'eau, tout simplement. Alors, pour autant... le Code du Travail français aujourd'hui ne fixe pas de seuil de température maximale de l'air alors que c'est le cas par exemple dans d'autres pays où la législation inscrit des valeurs précises. Du côté des salariés, aujourd'hui ils ont la possibilité dans certains cas d'activer ce qu'on appelle un droit de retrait, notamment lorsqu'il y a un danger grave pour leur vie ou leur santé. Mais pour que ce droit soit reconnu, ils doivent faire la preuve que finalement leur employeur n'a pas mis en place des mesures de protection nécessaires. C'est un droit qui n'est d'une part pas toujours connu. et d'autre part qui est difficile à faire valoir, ce qui peut expliquer qu'aujourd'hui on a assez peu de salariés qui mobilisent ce droit, et en particulier dans les petites entreprises où justement la représentation syndicale n'est pas toujours très forte. Alors du côté des salariés, il existe également aussi des dispositifs d'indemnisation, notamment dans le secteur du bâtiment des travaux publics qui prévoient un dispositif chômage intempéri, donc notamment lorsque les conditions atmosphériques et les inondations rendent dangereux ou impossibles l'accomplissement du travail. Le gel, la neige, le verglas, la pluie, le vent ou les inondations sont reconnus comme des intempéries, mais pas les canicules aujourd'hui. Ce qui veut dire que lorsqu'un chantier est arrêté pour cause de canicule, les salariés ne sont pas indemnisés automatiquement. Ce sera du cas par cas. On pourrait imaginer notamment qu'au-delà du secteur du bâtiment, ce congé intempéries soit étendu à d'autres secteurs d'activité qui sont particulièrement exposés, comme l'agriculture par exemple.

  • Speaker #0

    Face à ces limites ? Que faire ? Est-ce qu'il faut fixer par exemple des seuils au-delà desquels on arrêterait de travailler ?

  • Speaker #1

    Comme cela a été déjà dit, ces risques sont multiples et les facteurs sont nombreux. Ils sont de nature différente, à la fois environnemental, organisationnel, individuel. Et ça ne permet pas de fixer un seuil de température unique pour tous les travailleurs et pour chaque secteur. En fait, ces effets et les effets du changement climatique sont systémiques. en raison de l'existence justement de ces facteurs d'exposition aggravants et de l'hétérogénité des situations de travail et des situations aussi individuelles. Et donc ça impose une gestion au cas par cas, à l'échelle du métier, voire même à l'échelle de l'individu. En revanche, on peut améliorer des dispositifs, des dispositifs existants, et dont certains ne sont pas suffisamment exploités. On pense notamment au DWERP, qui est un dispositif qui vise à recenser tous les risques professionnels, chaque année, et à les évaluer pour mieux les anticiper, et qui fait d'ailleurs l'objet de discussions entre l'employeur et les représentants du personnel. Or, ce dispositif aujourd'hui ne prend pas suffisamment en compte les risques professionnels induits par le dérèglement climatique. Il y a donc un problème d'appropriation, voire même de prise de conscience, sur cet enjeu réel qui est tangible aujourd'hui. Et donc on pense qu'il ne faudrait pas... alourdir le code du travail et empiler les dispositifs réglementaires, mais au contraire, mieux mobiliser ceux qui existent de manière la plus efficace possible et pour justement sensibiliser les acteurs concernés, incluant les salariés eux-mêmes. Et donc ça, ça peut passer par un renforcement des campagnes de communication et surtout par un plus grand accès à la formation des salariés. et de leurs représentants sur les liens, sur cette thématique, entre l'environnement, la santé, l'organisation et les conditions de travail. En somme, il faut savoir capitaliser sur la connaissance scientifique, les évaluations disponibles, même s'il faut encore renforcer la recherche dans ce domaine, en particulier en France. Enfin, si on souhaite adapter le travail à la hauteur des enjeux climatiques actuels et futurs, Il faut revoir certaines modalités de gouvernance des plans nationaux qui existent aujourd'hui, comme le plan santé au travail, le PST, le plan national d'adaptation au changement climatique, le PNAC, et le plan national santé environnement. Il y en a plusieurs. Et ces différents plans abordent l'impact du réchauffement climatique sur la santé des travailleurs et ils associent déjà un grand nombre d'acteurs, différents ministères, administrations, une pluralité. de services d'expertise et d'organismes de prévention. Ces plans et ce pilotage en fait pluriel ne sont pas suffisamment articulés et coordonnés. Et surtout, le fait qu'il y ait différents ministères qui les portent, renvoie à des champs de compétences et d'expertises qui sont aussi multiples. Ce pilotage ne garantit pas de manière suffisamment efficace une coopération systématique, même au niveau territorial, comme par exemple les acteurs de prévention en santé ou les collectivités locales. La gouvernance de ces plans... a probablement aussi freiné, et c'est ce que l'on pointe dans la note, une compréhension plus systémique des enjeux d'adaptation du travail, en retardant l'élaboration de mesures plus structurelles et de long terme pour adapter les conditions et l'organisation du travail. Donc nous préconisons dans cette note une gouvernance à l'échelle interministérielle afin d'assurer une plus grande cohérence entre ces plans et ceux de leur... conception, à leur déploiement à toutes les échelles nationales, mais aussi à l'échelle des régions et des communes. Enfin, développer une stratégie interministérielle au niveau national doit aussi se décliner et être suffisamment portée au niveau des régions et des communes, car le changement climatique impose de penser aujourd'hui l'adaptation du travail à une maille plus fine, prenant en compte la diversité des réalités sociales, des réalités économiques. et des réalités environnementales.

  • Speaker #0

    Et oui, il y a encore du chemin à parcourir et pas forcément beaucoup de temps. Merci beaucoup à tous les deux, Salima Benassi et Jean Flamand, d'avoir parcouru la note d'analyse, le travail à l'épreuve du changement climatique. On la retrouve en intégralité sur le site de France Stratégie, bien sûr, où elle est d'ailleurs accompagnée d'une note de synthèse sur le retour d'expérience de trois territoires. Une note qui identifie justement plusieurs pistes et bonnes pratiques également pour s'adapter au changement climatique. Et comme toujours, merci d'écouter le podcast Perspective. N'hésitez pas à vous abonner. à le partager à vos contacts et à nous laisser vos commentaires. A bientôt pour d'autres publications présentées directement par les experts de France Stratégie en podcast.

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