- Speaker #0
Et depuis que j'étais pris en charge, comme j'ai des médicaments, mes enfants veillaient tous les matins à ce que je prenne mes médicaments anti-loup-garou pour pas que je me transforme.
- Speaker #1
Les gueules cachées, ce sont des personnes qui acceptent de vous raconter ce que vous ne voyez pas et qu'on ne veut pas toujours entendre.
- Speaker #0
En fait, quand on me voit, au premier abord, personne ne voit que je suis blessé ou que j'ai des problématiques physiques et psychologiques par rapport à mes blessures survenues en mission. Mais en fait, les gens me croisent, ils ne savent pas. Personne ne sait ce que j'ai en fait et ce que je vis.
- Speaker #1
Gueule cachée, épisode 3, Luc. Luc est militaire. Il a été sur de nombreux théâtres d'opération. C'est joli comme nom, théâtre d'opération. Le problème, c'est quand la pièce se rejoue en boucle. Alors au calme et au vert, il me raconte sa guerre, ses guerres.
- Speaker #0
Physiquement, il y a des contraintes et psychologiquement, à cause des démons qui me hantent, etc. C'est très difficile d'avoir une attention prolongée, d'être concentré sur une action, etc.
- Speaker #1
Ce serait plus simple si ça se voyait.
- Speaker #0
Si ça se voyait, les gens comprendraient de suite. Parce qu'il y a des gens, ils ne comprennent pas. Ils peuvent faire des réflexions, etc. Mais après, ça me passe au-dessus.
- Speaker #1
On va revenir un peu au début de l'histoire. Luc, tu es militaire. Tu fais partie de la gendarmerie. J'ai envie de revenir à l'avant. Avant ce qui a tout changé, qu'est-ce que tu aimes dans ton métier ?
- Speaker #0
Un, c'est la responsabilité qu'on peut avoir. Moi, dans ma spécialité, j'étais gendarme mobile. J'ai commencé jeune gendarme et j'ai fini comme pléthore d'intervention, en passant par la protection rapprochée d'ambassadeurs à l'étranger, tout en étant moniteur chef d'éducation physique militaire et sportive, d'étant instructeur de tir, moniteur d'intervention professionnelle, moniteur commando, enfin tous les sages possibles pour diriger une équipe d'intervention et partir. en mission au profit de la France, que ce soit en renfort dans des pays étrangers ou en opération extérieure.
- Speaker #1
On va parler d'une de ces opérations qui s'est déroulée au Pakistan. Est-ce que tu peux en dire deux mots ? Qu'est-ce qui se passait ? Tu étais là-bas pourquoi ?
- Speaker #0
Au Pakistan, j'ai fait deux séjours, 2009 et 2010, en tant que membre de l'équipe de protection rapprochée de l'ambassadeur de France. Donc le Pakistan qui était à cette époque-là considéré en première position sur les pays les plus dangereux pour les ressortissants français, devant l'Irak et l'Afghanistan où on avait des troupes qui étaient engagées. En fait on se déplaçait en tout pays parce qu'à cette époque-là il y avait également des journalistes qui étaient prisonniers par les talibans dans les montagnes, dans la zone tribale. Il y avait tout un tas de missions de l'ambassadeur, je ne peux pas en parler, mais par contre on devait assurer sa protection parce qu'il était menacé. Donc on a eu plusieurs tentatives d'attentats qui sont passées avant qu'on arrive sur les lieux ou qu'on était déjoué. Et une qui a eu lieu sur un retour de l'aéroport international où au passage du convoi, il y a un véhicule piégé qui a sauté au passage du convoi.
- Speaker #1
Convoi dans lequel tu te trouvais ?
- Speaker #0
Convoi dans lequel je me trouvais, où on a eu énormément de chance, parce que le véhicule a sauté une fois que le véhicule de devant, c'est-à-dire la porteuse, est passé. Et la flèche, on va dire, l'explosion a eu lieu devant le bloc moteur et sur le bloc moteur. Donc ça n'a pas pris directement le véhicule.
- Speaker #1
Donc concrètement qu'est-ce qui t'es arrivé à ce moment là ?
- Speaker #0
Le véhicule a fait des embardés, moi j'étais mitrailleur ce jour là, donc à l'arrière du véhicule, j'ai volé à l'arrière du véhicule. Il a fallu qu'on reprenne le contrôle du véhicule, qu'on puisse faire un point de ce qui se passait et dégager les lieux, donc tout ça ça s'est passé. assez rapidement, correctement. On a débriefé de tout ça après arriver à l'ambassade, etc. Et pendant des années, tout se passait très bien. C'était un fait d'une mission parmi d'autres, où on avait fait notre job et tout s'était bien passé. On avait été félicités, vous avez bien travaillé, c'est bien les gars. Et bien des années plus tard... Une vieille blessure antérieure à ceci, physique, arrivée en Nouvelle-Caïdonie, s'aggrave et là je commence à me paralyser en 2021 de tout le côté droit et là on apprend que j'avais des cervicales, enfin des disques intervertebraux qui sont partis de C3. C7, c'est parti dans la colonne vertébrale, dans la moelle épinière. Du coup, je me paralyse. Donc, opération inapte à tout. Et là, je perds toutes mes spécialités, toutes mes accréditations. Je devais repartir en OPEX en individuel annulé. Tout est annulé, ma carrière est finie. Et là, ça devient très compliqué.
- Speaker #1
Quand on parle aujourd'hui, Luc, on sent... Une certaine tension, mais c'est complètement maîtrisé, en tout cas de ce qui me semble. Qu'est-ce que ça a produit sur le coup, à ce moment-là, quand tu as compris ce qui se passait ?
- Speaker #0
Sur le coup, c'est une descente aux enfers, parce que toute sa carrière, on a travaillé dur pour aussi bien faire des formations, faire l'émission qu'on a accomplie, etc., pour aller le plus haut possible dans ses compétences et obtenir, entre guillemets... des missions à l'étranger, en opération extérieure ou en renfort en pays étranger comme moi en ambassade. Mais du coup, du jour au lendemain, il n'y a plus rien. C'est-à-dire que du jour au lendemain, toutes nos compétences, moi je ne pouvais plus rien faire. J'étais opéré, j'étais incapable de porter deux packs d'eau, j'étais incapable de me déplacer, fini la course à pied, fini le vélo. Là actuellement au sport, je ne fais plus rien à part faire du Qigong. pour travailler la souplesse articulaire et de la natation adaptée, parce que je ne peux pas faire d'hyperextension, donc je suis sur le dos avec une planche dans les bras, en train de nager sur le dos, c'est super compliqué de faire une activité. Donc en fait, on commence à ruminer. et à réfléchir. Et puis, on commence à blaster pour ces raisons-là. Mais il y a d'autres choses qui se créent. C'est que, moi, la raison de mon problème de cervicale, c'est un accident de voiture en Nouvelle-Équedonie, en 2008, à cause d'un conducteur ou un lycéen qui était alcoolisé à 2,60 grammes, qui a doublé sur une ligne blanche et qui nous a pris plein fer de face avec un véhicule gendarmerie. Je me suis arrivé à l'hôpital quelques jours après, avec trauma crânien, saignement au cerveau, fracture du crâne, fracture du péronné. en torse cervicale, etc. Et bien sûr, petit à petit, ça s'est désagrégé. Et j'étais amnésique de l'accident. Tout ce que je savais, on me l'avait répété. Et là, dès que c'est arrivé en juillet 2021, on m'a dit, t'es inapte à tout. Tu risques même la réforme. Le temps que je me fasse opérer ou quoi que ce soit, là, ça commence à être à réfléchir la nuit, à ne pas dormir, à être réveillé en trance parce que je revivais l'accident dont j'étais amnésique, mais je revivais tout. C'est-à-dire les phrases qu'on s'était dites, c'était l'anniversaire d'un copain, quand on partait manger au messe. pour ceux qui connaissent le Macadamie, on dormait à cette époque-là autour de Saint-Quentin et on mangeait à la caserne Normandie. Il y avait un kilomètre 5 à faire à peu près en voiture. Et on prend la voiture, on prend un 306, je me rappelle que je monte derrière le conducteur, quand j'attache ma ceinture, on part, on rigolait parce que c'était l'anniversaire d'un, qu'on lui avait fait une surprise, on était impatients de voir la surprise, la tête qu'il allait faire. Et là je revois la voiture arriver, nous cartonner, le choc, on est obligé de sortir par la porte avant droite, de tordre la portière de la voiture pour sortir le passager. le conducteur parce qu'on s'appelle, il a... l'essence coulait, etc. Donc on se posait des questions. Donc on sort, que j'appelle les pompiers, c'est moi qui appelle les pompiers. Et après je tombe, je vois les pompiers arriver, je tombe dans la... je perds connaissance. Tout ça je le revivais. Et très vite après, il y a eu une balance qui s'est faite entre ça, ça m'empêche de finir ma carrière, à cause des conséquences, les fics qui se coulent plus de dix ans après, et ensuite, je revois tous les moments phares en mission, que ce soit En Corse, que ce soit en OPEX, en Algérie, au Pakistan, que ce soit aussi bien sur des métallures, mais surtout des moments très forts où ma vie était en jeu, qu'on s'appelle l'ordre de mission.
- Speaker #1
Et donc tu revis ces moments-là la nuit, donc tu dors pas. Et quand tu vis ces moments-là, c'est réel ? C'est éveillé ou c'est un cauchemar ? C'est quoi en fait ?
- Speaker #0
Au début, je dors, c'est un cauchemar, je sens que je pars dans ce cauchemar comme si c'était réel en fait. Je vis, je m'agite, etc. Je peux crier d'après ce que dit mon épouse. Je peux même me lever, m'agiter, mimer des gestes à genoux sur le lit, etc. Ou hurler et rêver tout le monde dans la maison, donc c'est assez compliqué. Et je revis des moments bien précis.
- Speaker #1
Comment se passent les journées du coup, quand les nuits comme ça sont aussi...
- Speaker #0
Leur tri ? Les journées c'est compliqué, comme je fais la maison je m'occupe des enfants, je les amène à l'école etc, je m'occupe un peu de l'entretien de la maison, mais pareil il n'y a pas de travaux lourds à faire, je fais la vaisselle, je fais la lessive et puis voilà quoi. Et après... Après c'est compliqué parce que je n'ai pas dormi la nuit, donc c'est pas toutes les nuits, mais c'est récurrent. Et ça a tendance à diminuer avec le temps, mais c'est compliqué. Et du coup, je suis un peu comateux. On peut tomber dans le piège qu'on appelle être sur le canapé devant la télé. mais après, comme on gamberge tout le temps, tout le temps tant que des bergers, que sa carrière est finie, qu'on a fait tout ça pour ça, pour finir comme ça, et en fait on a le sentiment d'infériorité, de ne plus être l'homme qu'on était, de ne plus être le bon petit soldat qu'on était, etc. et de se retrouver inutile et bon à rien. Donc après il y a plein de design work qui arrive, il y a plein de comportements addictifs qui arrivent aussi, donc je peux en parler maintenant.
- Speaker #1
Comportements addictifs, ils sont là pour servir de béquilles ?
- Speaker #0
Au début, de tous ceux que je connais qui sont comme moi, ça commence avec l'alcool, plus ou moins, franchement, certains c'est bon la bouteille de whisky, ou bien ils consomment, ils consomment, ils consomment, d'autres moi ça a été plus... plus sux où ça a été, du genre, comme j'aimais bien cuisiner, et que j'aime toujours cuisiner, tous les jours c'était une excuse pour faire un bon petit plat, même pour moi tout seul, et d'ouvrir la bonne bouteille de vin avec. Donc ça, j'ai mis longtemps à m'apercevoir, et longtemps à comprendre que c'était pas mon ça, ou comme j'aime bien l'outre-mer, et j'aimais bien les déplacements outre-mer, c'était le diponge qui ressortait sans arrêt. Et c'était régulier, c'était tous les repas, tous les soirs. Donc j'ai passé les premiers mois où... J'ai une consommation, on peut dire, addictive.
- Speaker #1
Est-ce que je peux demander comment ça se passe au sein de la famille ?
- Speaker #0
Au sein de la famille, c'est compliqué, parce que ça joue sur tout. La journée, comme on ne dort pas, et puis à cause de ça, on est vachement irritable. Donc le moindre amni-croche, le moindre mot-travers, ou les enfants qui ne vont pas faire ce qu'on demande. tournement etc on va monter dans les tours plus qu'à la normale et on peut exploser par rapport à ça donc en très longtemps j'étais pas pris en charge et à partir du moment où j'ai été pris en charge mais ça a mis pratiquement 10 11 mois avant que je sois pris en charge presque un an Les enfants m'appelaient le loup-garou à la maison. Depuis que j'étais pris en charge, comme j'ai des médicaments, mes enfants veillaient tous les matins à ce que je prenne mes médicaments anti-loup-garou pour ne pas que je me transforme. On le prend comme ça parce que pour eux, ils l'ont compris comme ça, comme ils sont en primaire et en sixième. Essayer de leur faire comprendre sans trop les traumatiser.
- Speaker #1
Tu as parlé de prise en charge, en fait. Prise en charge, pourquoi ?
- Speaker #0
Dès que je n'ai pas été bien et que j'ai passé huit mois dans la maladie, après j'ai été mis au début en congé de longue maladie pour des problèmes physiques. Donc j'ai été récupéré en gestion par la région. de repli, c'est-à-dire moi là j'habite en Alsace donc en Alsace, et là j'ai eu rencontre avec une personne du service administratif qui m'a fait venir vérifier mon dossier, elle a mis tout à jour mon dossier après elle a vu que j'étais pas bien que ça allait vraiment pas en discutant un petit peu parce que c'est son boulot, c'est le bureau d'aide au personnel elle a qu'on s'appelle elle m'a invité avec les bons mots à aller voir la psychologue gendarmerie qui elle, dès que je l'ai vue a mis quelques séances avant de me faire accepter ce que je vivais même si j'en avais conscience... qui est une chose qui n'allait pas et qui n'était pas normale, et que ça ne pouvait pas durer comme ça, parce que j'avais même eu des idées noires, etc., à plusieurs reprises, de façon à arrêter tout ça, parce que pour moi, je n'étais plus l'homme que j'étais avant.
- Speaker #1
On va être clair, arrêter tout ça, ça veut dire quoi ?
- Speaker #0
Je me suis évoqué de suicider, et au moins comme ça ma famille était tranquille, ils n'avaient pas à me supporter quoi. Et ensuite, la psy m'a envoyé voir le médecin militaire local, qui était spécialisé sur les post-trauma etc. et dans les armes. Il y a un test à faire sur 80 ou 90, je ne sais plus. Et c'est des questions, il faut répondre directement oui, non, et ne pas se poser de questions, c'est à l'instant T, comment on sent. Et j'étais à 75 sur 80, 75 sur 90, je crois. Donc dans la foulée, la semaine suivante, j'étais parti à l'hôpital militaire en psychiatrie, mais ça a été bien amené. La psy militaire, ça s'est super bien passé, elle comprenait bien mes problématiques, ce que je vivais, etc. Ils sont issus du milieu, donc ils avaient bien compris. Ils ont fait des opérations extérieures aussi. Ils partent en déplacement aussi, ces médecins-là, sur les opérations extérieures. Donc... donc ils voient ce qui se passe et ce qu'on vit. Et donc du coup, j'ai eu mon traitement médicamenteux, et depuis que j'ai pris mon traitement, ça va un peu mieux. Mais le traitement, c'est compliqué aussi, parce que celui de la journée, ça va, mais celui de la nuit, il nous a sucre totalement. Donc je dors et je suis plus là. Après, il y a un médicament, le matin, moi je suis à 60 mg par... L'arboxythine et le soir j'étais à 25 d'hydroxyzyne et 5 de prazosine. Alors ça c'était bien la prazosine parce que c'est un médicament qui a été poussé dans ces traitements par les américains parce qu'ils ont aperçu que c'est pour la tension mais que c'est un effet secondaire, ça désolidarise les émotions des rêves ou des cauchemars si on veut. Donc ça a aidé à mieux dormir. Mais le lendemain matin, il me fallait 2-3 heures pour émerger.
- Speaker #1
Tu viens de nous parler d'un... quelque chose qu'on n'a pas forcément... en tête, c'est que... Il y avait des séquelles physiques, ça c'est clair, et qu'il a fallu un temps pour comprendre qu'il y avait des séquelles psychiques, graves, et non seulement pour les comprendre mais aussi pour les accepter. Pourquoi c'est compliqué d'accepter ça ? Parce qu'on n'a pas envie, c'est réducteur, on s'imagine plein de choses.
- Speaker #0
On n'est plus soi-même, c'est plus l'image de soi. Après l'image que je donne extérieurement moi, mais je veux dire c'est ce que je suis moi. Et en fait on n'est plus capable d'être ce qu'on est soi, et c'est pourquoi on s'est toujours battu et pourquoi on a toujours travaillé dans la vie. Donc après quand on n'est plus capable d'être quoi que ce soit, c'est super compliqué d'avoir ces cauchemars tout le temps qui viennent, après on ne va pas en parler forcément à la famille, même s'ils le vivent, on ne va pas les affoler avec ça, on ne va pas leur faire peur, mais ils ne sont pas nus puisqu'ils comprennent bien quelque chose qui ne va pas. Donc ça joue sur tout, ça joue sur le couple, après tous ces cauchemars ça joue sur plein de choses aussi parce qu'en fait il n'y a plus le libido. Il n'y a plus de réaction chimique sexuelle, on va dire. Donc la vie sexuelle, elle disparaît dans le couple. Et ça joue sur tout. En fait, on est devenus, je ne sais pas comment dire ça, presque une loque.
- Speaker #1
Est-ce qu'il faut accepter ce nouveau Luc ou est-ce qu'il faut travailler à retrouver l'ancien ? Comment ça se passe pour se reconnecter à qui on est ?
- Speaker #0
Pour moi, il faut travailler à retrouver un nouveau. L'ancien sera impossible. L'actuel, il a bien progressé par rapport au pire moment. Donc maintenant, il faut continuer à travailler, trouver des solutions. Alors, tout le monde ne trouve pas les mêmes, mais trouver des solutions pour essayer d'aller mieux.
- Speaker #1
Tu as dit que c'était compliqué, notamment pour parler, que tu ne voulais pas alarmer la famille. Au début, tu disais aussi qu'en fait, il y a plein de gens qui ne comprennent pas, parce que visuellement, on n'a pas grand-chose de changé. Est-ce que... que d'autres valident ce qui t'arrive, c'est important.
- Speaker #0
Les gens qui me connaissent depuis longtemps, ils savent ce que j'ai vécu et ce que j'ai, eux ils comprennent, et on peut communiquer entre eux, même s'ils sont du milieu, parce qu'on peut avoir envie d'être repoussé par notre milieu professionnel, par eux ou par nous, parce qu'on n'a plus envie de les voir, parce qu'on est dans la galère tous les jours, et à cause de ça on est dans cette situation-là, même si on a fait notre devoir, etc. Et eux ils ne sont pas forcément pour quelque chose, mais... Et un regard sur nous aussi. Ce qui fait qu'on n'a pas envie, et puis eux, forcément, n'ont pas forcément envie de côtoyer nos problématiques, parce que ça leur montre une chose qui peut leur arriver, qu'ils n'ont pas envie de réfléchir à dessus. Donc moi, ce qui m'arrive des fois, c'est que quand je croise des gens de mon milieu professionnel, ou c'est des gens où ils sont obligés de connaître ma situation, pour des raisons administratives ou autres, je vais expliquer la problématique, ce que j'ai, etc. Parce qu'à part avoir pris, à cause de tout ça, des médicaments et de l'inactivité... 20 kilos, je veux dire, il se voit rien. Je réfléchis toujours plus ou moins longtemps, mais je me suis... Moins longtemps, je peux me concentrer moins longtemps, etc. Mais après, c'est... Souvent, quand je croise des gens, l'autre fois, j'ai un exemple, je suis allé voir un camarade dans une unité qui commande, là. Il y avait son chef, son camp de compagnie qui est passé par là, et qui me connaît, et qui me dit, Ah, comment ça va ? Vous faites quoi ? Vous êtes là ? Je suis là, Alors, qu'est-ce que vous devenez ? Et le personnage, je le connais, j'ai pas envie de m'étendre sur ma vie privée avec lui. Je lui dis tout simplement que je suis en congé long durée maladie. Pour la plupart des gens, congé long durée maladie, ça veut dire qu'il a un cancer, il a une leucémie, il a une maladie grave en fait. Parce qu'il a la même situation administrative que pour les maladies mentales. Donc du coup, je dis ça, là il me regarde. Ils osent pas trop en parler parce qu'ils se sentent gênés, etc. Je dis, vous inquiétez pas, pour l'instant tout va bien, je profite encore. Et puis comme ça, j'ai pas à m'expliquer là-dessus, et je parle de ma situation que vraiment aux gens aux qui j'ai envie d'en parler. Et qui montrent vraiment de l'intérêt, pas juste de la curiosité malsaine ou de la politesse forcée.
- Speaker #1
Je crois que tu reviens d'un stage d'équithérapie. Ça s'est passé comment ?
- Speaker #0
Le SAGE était super. Ils appellent ça SAGE équitation adaptée pour les blessés. C'est proposé à la fois en entente avec la direction de la gendarmerie, le régiment de cavalerie de la guerre républicaine et les phénix de la gendarmerie. C'est une association pour les blessés de la gendarmerie. Et également, ça, c'est géré par un capitaine. C'est la reconstruction des blessés par le sport. Qui est la direction, qui gère ça, qui propose plusieurs SAGE par an. Et franchement, ce stage avec le régiment de cavalerie, c'était bien parce qu'au début, leur objectif était de créer un lien avec le cheval. Donc on s'est promenés, on était cinq blessés, on sortait cinq chevaux, on s'est promenés à aller voir tous les chevaux, voir comment ça se passait, et puis en fin de compte, c'est les chevaux qui nous ont choisis. Eux de l'extérieur, ils voyaient que c'était les chevaux qui nous ont choisis, ils nous ont attribué le cheval qu'ils nous avaient choisi, un moniteur avec, il connaît bien ce cheval par hasard. Et après on a commencé à prendre à penser le cheval pour ceux qui ne connaissaient pas, mais tout ça a créé un lien, une communion avec le cheval. Et on s'est aperçu qu'auprès du cheval, on se calmait, on s'apaisait. Quand la psychologue était là, qui a passé pour nous poser des questions, ou même le moniteur, sur notre problématique, parce qu'il faut le sortir, il faut en parler, on s'appelle, on ne montait pas dans les tours, on n'avait pas les pulsations qui montaient, on ne pleurait pas forcément, c'était plus facile d'exprimer et de sortir les choses qui nous gênaient. Et petit à petit on a fait des exercices au sol, c'est la fameuse méthode Blondeau qui leur sert à débourrer les chevaux. On a fait des techniques au sol avec la longe, des déplacements antérieurs, postérieurs, des obstacles à passer, etc. Apprendre aussi à diriger le cheval sans longe, sans rien, juste en communiquant avec ses mains, en le touchant, sans le touchant, juste avec la voix. Plein de choses comme ça, comme diriger un cheval avec des longues rênes. En chaque fac, des professionnels, c'est un des moniteurs d'équitation du régiment de cavalerie, qui nous ont donné la bonne parole. et ils nous ont montré grâce à ça, c'est ce qui était bien c'est que malgré notre situation notre difficulté, qu'elle soit physique ou mentale et le fait qu'on fatigue très vite et qu'on a vraiment du mal à se concentrer qu'on arrive à se concentrer sur un geste technique, à le faire même si elle nous prenait énormément d'énergie après ils m'ont même envoyé une fois faire une sieste parce que j'étais trop fatigué, j'arrivais plus et ça a été une approche différente de la gendarmerie parce qu'il n'y avait pas cette barrière on n'avait plus envie de voir de gendarmes là on était avec des gens qui nous faisaient partager une passion... tout en se mettant à notre niveau et qui comprenait nos difficultés. Mais après, c'est pareil, c'est des gens qui sont sur l'acte de volontariat et qui ne sont pas choisis au hasard aussi. Ça ne disparaît pas. C'est moins souvent. Avant, ça pouvait être tous les soirs, toutes les nuits, etc. C'est moins récurrent. Mais c'est comme un cours alternatif. Donc, il y a une flèche qui monte, qui progresse, mais il y a des hauts, des bas, et des fois, il y a des super bas. parce qu'il y a des événements extérieurs qui peuvent venir contrarier l'avancée vers le mieux en fait aussi bien des mauvaises nouvelles familiales des décès dans la famille etc mais il peut y avoir aussi des soucis à l'école avec les enfants s'ils sont victimes de harcèlement ou pas ou de violence mais également les événements extérieurs comme on a connu il y a pas longtemps avec le pogrom du 7 octobre où il y a des massacres de femmes, d'enfants etc et ça ça même si moi j'ai pu choper pas concerné par ça directement ça fait un rappel de ce que j'ai vécu comme des massacres de villages de mariages parce que où les talibans ou le fils où j'ai à l'époque voulait les masses à vous les massacrer parce qu'ils n'étaient pas dans leur optique à eux etc et ça fait des ça fait des rappels de choses qui fait que l'on monte dans les tours et moi je sais que la part le 7 octobre Je suis allé à la cave, j'ai ouvert ma cantine, j'ai ressorti tout mon pack de premiers secours, je l'ai mis dans un sac à bandoulière de sport, j'avais tout le temps ça. J'ai cherché du petit matos pour être sûr que tout se passe bien pour moi, et que s'il arrive quoi que ce soit, je commence à sécuriser la maison un peu plus, parce que j'habite dans le civil, je ne suis plus en caserne, donc je suis à côté de la frontière, donc c'est facile de partir, revenir. Et voilà quoi, donc c'est un peu... C'est ça, ça, ça joue. Tous les événements, les agressions, tous les actes... Les actes terroristes radicaux, etc. Tout ça, ça... Je me suis rendu compte que moi, j'étais dans une situation où j'étais protégé ambassadeur face à des menaces de mouvances terroristes, comme le fils Géa, Acme ou Al-Qaïda.
- Speaker #1
Tu te sens toujours en hyper-vigilance ?
- Speaker #0
alors ça c'est par période mais il y a toujours c'est à dire que J'ai repris les habitudes que j'avais quand on était en mission. C'est-à-dire que si je dois faire des courses, etc., parce qu'en mission, on devait aussi se nourrir, donc il fallait faire ses courses. Une fois avoir posé l'ambassadeur au bureau, une partie de l'équipe partait faire ses courses. Là, c'est pareil. Je fais les courses, je vais dans les grandes surfaces ou à des caletons, tout ça, que à l'ouverture, quand il y a le moins de monde possible, où je vais croiser le moins de monde. Dans les transports en commun, c'est super compliqué. Tant que je suis en province, ça va. Mais là, je suis monté à Paris. Quand je suis sorti du TGV Gare de l'Est, ça a été compliqué, j'ai dû prendre le métro après le RER j'étais très tendu j'étais vraiment c'était super complexe j'avais du mal à respirer, je me sentais oppressé je me sentais pas en confiance je me sentais en danger j'étais tout le temps coulé à un mur, j'étais pas au bord du quai j'étais coulé à un mur, je regardais partout jusqu'à ce que je me sente mieux et que l'environnement change un peu tout à l'heure avant de brancher le micro on a parlé des chiens...
- Speaker #1
Est-ce que ça joue d'avoir un compagnon apaisant ? Un cheval dans le métro, c'est compliqué, mais un chien peut-être ?
- Speaker #0
Un chien, ça peut être bien. Après, les problèmes, c'est que le chien dans le métro, il faut qu'il soit autorisé. Il faut que ce soit un chien autorisé, style chien pour aveugles ou handicapés. Après, moi, par expérience, j'ai des chiens. Et je sais que le fait d'être avec mes chiens, je me sens mieux. Le fait de pouvoir me promener avec les chiens... Le matin, il va falloir faire leur promenade, et bien moi ça m'apaise, etc. Bon après je suis à la campagne, je suis en dehors de Strasbourg. Mais après je sais aussi qu'il existe maintenant, depuis peu, ils ont perçu que les animaux avaient un effet bénéfique sur les victimes de stress post-traumatique, et pas que pour nous apaiser, ou nous sécuriser, nous réconforter par rapport aux dangers qu'on imagine autour de nous. Mais il y a une association qui forme des chiens. Et ça c'est la clappe qui forme des chiens et a 80 techniques différentes de façon à ce qu'ils puissent nous aider au quotidien de la vie de tous les jours, en même titre qu'une personne handicapée ou une personne aveugle etc. Mais qu'ils soient là aussi pour nous réconforter. Et ça je trouve que c'est vachement bien, ça se lance, ça vient du début. je crois que ça a deux trois ans d'existence mais franchement c'est un truc bien quoi parce que moi les animaux il nous apaise et avec nous les animaux ça ment pas ce n'est pas correct ce n'est pas humain ce n'est pas bon envers eux ils seront pas bons envers nous c'est
- Speaker #1
juste un miroir de notre main on a compris que ça a pris du temps pour réaliser qu'il existait un qu'il existait un trouble de stress post traumatique on appelle ça un tsp t D'une certaine façon, il s'est imposé à toi. Il est revenu plusieurs années, tu te l'es repris, et tu te l'es pris en pleine figure plusieurs années après, en fait. Comment réaliser qu'il s'est passé quelque chose de grave et que peut-être que là, il faut aller se faire aider ?
- Speaker #0
Il y a des choses qui sont mises en place dans les armées, mais ça dépend où on est en fait. Il y a des techniciens, c'est des moniteurs hors-fort, qui eux sont là, sur certains théâtres d'opération, ils sont présents, où dès qu'il se passe un événement, ils peuvent intervenir avec des techniques à la base de sophrologie, de respiration, d'hypnose, etc. où ils vont essayer de, pas de faire relativiser, mais de faire accepter plus facilement. La problématique est arrivée, ou la perte du camarade, ou les blessés qui sont tombés, l'embuscade qui a été mortelle, etc. Donc ça, ça existe, mais il n'y en a pas partout, c'est encore insuffisant. Mais ça se développe, donc c'est ça qui est bien.
- Speaker #1
Ma suite, tu la vois comment ?
- Speaker #0
Je ne sais pas, parce que ma situation, c'est que tous les 6 mois, je dois repasser la visite médicale, savoir si ça continue ou pas. Tous les 3 ans, une expertise, voire de renouvellement ou pas. Donc il y a STP de Damoclès. Et après, c'est... s'ils estiment que un jour je peux reprendre, reprendre mais reprendre quoi comme boulot parce que toutes mes spécialités sont finies donc qu'est ce que je peux faire et puis où aller quoi ? Je ne vois pas partir à Paris loin de ma famille etc moi mon épouse travaille en Allemagne je ne vois pas être seul loin de ma famille c'est impossible et j'ai plus de patience j'ai plus tout ça donc c'est très compliqué de savoir reprendre quoi et comment après il existe la reconversion mais Pour l'instant, j'en suis encore là. Tout mon cercle administratif n'est pas fini. Ça fait trois ans que ça dure et c'est encore loin d'être fini. C'est très compliqué. Il y a besoin que tout soit reconnu, que tout soit fini, qu'on puisse progresser et passer à autre chose. Parce que tout le temps, on revient en arrière. Là, j'en parle, ça me fait revenir en arrière. On est au soleil, il fait beau, donc c'est pas mal. Je reste à peu près zen, même si je sens que je suis en train de monter en pression. Tant que ce n'est pas fini, je ne peux pas me projeter sur autre chose. Parce qu'il y a sans arrêt des documents, alors que c'est aussi bien pour les assurances de crédit, parce qu'on peut être pris en charge ou pas. Donc il y a tout ça à faire suivre. Après, il y a aussi bien les services de pension, c'est très long, donc il faut faire les expertises et tout. Dans cette situation, on perd de l'argent aussi, on perd une partie de nos primes, etc. Et à côté, il y a tout le reste, il y a la famille, il y a les enfants, il y a les crédits, tout. Tout ce qui va prendre du temps, pour nous c'est compliqué, parce qu'on aimerait que les choses soient finies, qu'on n'en parle plus, qu'on soit tranquille. On est sans arrêt en train de m'asserrer dans ce problème. Depuis trois ans, je m'asserre dans mon post-traumat, même si je fais beaucoup de choses. J'ai fait des stages avec les chevaux, j'ai mes chiens, que je fais aussi avec une psychologue civile, je fais des séances de MDR. Et ça permet, quand on évoque les problématiques avec la thérapeute, de s'évacuer là-dedans, en se focalisant sur d'autres choses, pour évacuer tous les problèmes et ne pas monter en haut. dans les tours, pas s'énerver, pas crier, pas gueuler, pas pleurer, tout ça.
- Speaker #1
C'était Gueule cachée, épisode 3, Luc.
- Speaker #0
On se rend compte qu'il peut y avoir un espoir et qu'on n'est pas tout seul et qu'on peut progresser et qu'on a d'autres qui peuvent nous souvenir s'ils comprennent ce qu'on vit. Au quotidien, c'est compliqué, ça se sent un peu seul.
- Speaker #1
Gueule cachée, un podcast de Laetitia Forgeodarc, création sonore et musicale. Marine Anger pour le studio Sonia. Merci à Luc pour son récit. Merci à vous tous qui avez porté le projet participatif de cette série. Vous pouvez retrouver un nouvel épisode tous les 15 jours sur toutes les plateformes et puis sur mon site internet laetitiaforgeaudarc.com