- Speaker #0
Bonjour à toutes et à tous et bienvenue sur le pays. Aujourd'hui, je vous propose un épisode un peu spécial pour la fête des mères. Étant à la fois maman et fille, j'ai très souvent l'impression d'être un pont entre deux générations, entre ce qu'on m'a transmis et ce que je veux transmettre à mon tour. Ce que je veux laisser à mes enfants plus que tout, c'est la liberté. La liberté de penser, de poser des questions, de dire non, de ne pas avoir peur, de dire ce qu'on croit juste. Et c'est justement cela. qui m'a poussé à faire cet épisode. J'y reçois Nour Betayeb, la fille de Sonia Dahmeni. Sonia pour ceux et celles qui ne la connaissent pas et est avocate, chroniqueuse et avant tout une femme libre. Mais aujourd'hui, ses prises de parole l'ont menée en prison. Nour a accepté de nous parler d'elle, de sa mère, de leurs liens, de ce vide qui s'est installé, mais aussi de tout ce qui résiste. Ce que vous allez entendre, c'est la voix d'une fille, d'un enfant dont l'espoir de prendre sa mère dans les bras l'a fait se lever chaque matin. Continuez de parler de Sonia, partagez, questionnez, soutenez, c'est peut-être comme ça que les choses bougent. Merci à Noor pour sa confiance et ce témoignage à cœur ouvert. Et merci à vous d'écouter, vraiment. Noor, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Merci d'avoir accepté mon invitation et d'être mon invitée aujourd'hui pour cet épisode spécial, différent. Et merci d'être là.
- Speaker #1
Merci de m'avoir invitée, merci d'avoir pensé à moi.
- Speaker #0
Avec grand plaisir, Noor. Ce que je te propose, c'est de commencer un peu différemment de ce qu'on fait dans le podcast d'habitude. C'est peut-être nous parler de Sonia et de ce qui s'est passé. Ce serait l'occasion de récapituler pourquoi elle est en prison aujourd'hui.
- Speaker #1
Alors, Sonia, pour ceux qui ne connaissent pas, c'est Sonia Damani. C'est une avocate et chroniqueuse tunisienne qui est en prison depuis le 11 mai. 2024, donc un an. Sonia est ma mère, je suis la fille de Sonia Damani, qui est en prison depuis un an. Franchement, je bug là parce que je me dis mais pourquoi ma mère est en prison déjà ? Et ça fait toujours très bizarre de le dire, ma mère est en prison. Et ma mère est en prison depuis un an maintenant. Donc c'est encore plus bizarre. Même moi, quand je m'entends le dire, il me faut une minute pour réaliser. Donc ma mère est en prison, alors elle s'est faite arrêter. Le 11 mai 2024, après une émission, donc ma mère est avocate et elle est aussi chroniqueuse sur les plateaux télé en Tunisie, elle parle de problèmes sociaux, elle dénonce des injustices, des choses qui doivent être dénoncées et exposées. Donc après cette émission, sa dernière émission qui était le, je pense le 8 ou le 7, le 8 ou le 9 mai. Elle a répondu à un commentaire sur la situation migratoire en Tunisie, parce qu'en fait la Tunisie c'est un point de passage pour beaucoup de pays subsahariens. Donc il y a beaucoup de subsahariens qui viennent en Tunisie pour traverser et arriver en Europe. Et c'est vraiment la seule et unique raison pour laquelle ils viennent en Tunisie, c'est qu'ils veulent traverser pour aller en Europe, parce que c'est 6 heures de bateau je pense. Donc on a une crise migratoire assez importante en Tunisie avec beaucoup de Sahariens, beaucoup de Sub-Sahariens. Il y en a qui arrivent à traverser, il y en a qui n'arrivent pas à traverser, il y en a qui restent pendant longtemps. Il y en a qui viennent, qui essayent de travailler pour avoir du cash, de l'argent pour pouvoir payer pour la traverser. Il y a un problème en fait parce que la Tunisie est devenue en fait un point de passage vers l'Europe. Donc ma mère, avec d'autres journalistes sur le plateau, parlait de cette crise migratoire en dénonçant la manière dont les choses sont faites, comment ces personnes sont traitées, parce qu'ils sont noirs, parce qu'ils sont, oui, illégaux, mais aussi parce que, surtout parce qu'ils sont noirs. Et il parlait aussi des camps, en fait. Maintenant, en Tunisie, il y a des camps de subsahariens qui se sont installés, des camps qui sont en train d'arracher. Là, je regardais encore une vidéo il y a quelques semaines de camps. complètement arrachés avec des tracts et tout, donc on ne sait pas où ces gens vont aller. Et donc ma mère a répondu à un commentaire d'un journaliste qui disait que les migrants subsahariens ont pour plan de s'installer en Tunisie pour changer la démographie du pays. Donc ma mère a trouvé ce commentaire injuste et raciste. Et a dit, ironiquement en fait, mais de quel pays extraordinaire est-ce qu'on parle ? Celui dont la propre jeunesse fuit en mer et meurt. Donc ce commentaire ironique, Shaukel Bledelheel en arabe, a été complètement changé, sorti de son contexte de la crise migratoire et dire que ma mère a insulté son pays. Et donc il y a eu une campagne de haine qui s'est lancée sur les réseaux sociaux. En disant que ma mère a insulté son pays, alors que ma mère ne parlait pas du pays. Elle ne parlait pas de la mer en Tunisie, des montagnes, des gens. Elle ne parlait pas de... Enfin, on sait tous, oui, les Tunisiens aiment beaucoup leur pays. On a un très beau pays, mais ma mère ne parlait pas de la beauté du pays. Elle a dit ce commentaire ironique, qui est un commentaire que tout le monde dit. Non mais quel pays extraordinaire, quel pays de ouf ! Enfin, je sais pas, tout le monde dit ça. Mais dans ce contexte de la crise migratoire. Sauf que ça, ça a été complètement mis de côté et utilisé contre elle. Après cette campagne de haine sur les réseaux sociaux qui s'est lancée, ma mère s'est réfugiée, est partie se réfugier à la maison des avocats parce qu'elle a reçu un appel du juge. Sauf qu'elle n'est pas allée directement parce qu'en fait, elle voulait connaître la raison. Le juge n'avait pas donné la raison. Et en droit, vu que ma mère est avocate et qu'elle connaît ses droits, elle a dit je ne veux pas y aller tant que je n'ai pas la raison. Et tout ça, c'était passé un jeudi ou un vendredi. Donc elle s'est dit je vais aller à la maison des avocats et lundi j'irai voir le juge et comprendre ce qui se passe. Enfin, essayer d'expliquer ou de trouver une solution à ce truc. Donc elle est partie dans la maison des avocats et samedi soir, il y a des hommes masqués. qui sont rentrés dans la maison des avocats de force, sachant que la maison des avocats, normalement, est un lieu qui est comme une ambassade où la police n'a pas le droit de rentrer, où sous Ben Ali, pendant 24 ans de dictature, Ben Ali n'est jamais rentré dans la maison des avocats, alors qu'il a eu des opposants qui se sont réfugiés dans la maison des avocats. Donc voilà, il y a des hommes masqués qui sont rentrés de force, qui ont bousculé tout le monde, qui ont frappé des gens, qui ont frappé ma tante. et qui ont arraché ma mère très très violemment. La scène a été filmée en direct sur France 24. Après, on a reçu des commentaires de gens qui disent « Ouais, ta mère, elle est partie à la maison des avocats et elle a appelé France 24 pour qu'ils viennent la filmer. » Alors que bon, déjà, ma mère ne savait pas qu'elle allait se faire arrêter. Donc comment est-ce qu'elle aurait pu appeler France 24 ? Et puis... Quand elle est allée à la maison des avocats, France 24 était déjà présente parce qu'en fait, il y avait un autre avocat qui faisait une grève de la faim à ce moment-là et que France 24 était là pour lui parler. Et France 24, d'ailleurs, a demandé de parler à ma mère et puis ma mère a refusé. Elle a dit non, je ne parlerai qu'à une télé tunisienne. Et d'ailleurs, une télé tunisienne est arrivée plus tard et elle a pu parler à une télé tunisienne. Jusqu'à aujourd'hui, je reçois des trucs, des messages qui disent ouais, elle est partie à la maison des avocats. L'avocat l'a appelé France 24, c'est fou comment les gens interprètent les choses et justement font circuler de vraies et fausses informations qui nuisent. Donc qui nuisent à ma mère, qui me nuisent à moi, qui nuisent à ma famille et qui des fois juste, quand t'as pas les informations, n'essaye pas, c'est pas grave si t'as pas les informations parce que dans ce cas, c'est vraiment grave. de porter de telles accusations et ça c'est encore un truc léger par rapport à ce qui arrive plus tard. Donc voilà, ma mère a été... Après son arrestation, elle a disparu pendant 48 heures. Personne ne savait où elle était, personne ne voulait nous dire où elle était, personne ne voulait parler à ses avocats. Ensuite elle a été transférée à la prison de Manouba. Et elle est à la prison de Manouba depuis un an aujourd'hui. Elle a été condamnée à un an de prison pour avoir dit « Mais de quel pays extraordinaire parle-t-on ? » En dénonçant, encore une fois, la crise migratoire, pas en dénonçant la beauté de la Tunisie. Un an en juillet, puis c'est passé à huit mois en appel. Puis, ils ont décidé d'ajouter une deuxième affaire à ma mère. Une affaire où elle a dénoncé à deux reprises exactement la même chose. En fait, elle a dit exactement la même chose deux fois, mais ça a été considéré comme deux affaires distinctes. Donc, elle a dit... que dans certaines régions en Tunisie aujourd'hui, notamment dans Adjerba et dans d'autres villes du sud de la Tunisie. Il y a encore des cimetières séparées pour les blancs tunisiens et les noirs tunisiens. Il y a encore des bus séparés pour les blancs tunisiens et les noirs tunisiens. Et elle a parlé du racisme anti-noir en général qui existe en Tunisie. Même quand elle a dit de quel pays extraordinaire parle-t-on, c'était aussi une corrélation avec ce problème-là qu'il y a en Tunisie. Parce qu'en fait, ces problèmes qui sont en train de se créer avec les migrants subsahariens qui ne s'entendent pas avec les Tunisiens, ma mère disait qu'en fait, ça crée aussi... Des problèmes avec les noirs tunisiens. Donc les gens ne font plus la différence. Donc elles parlent de ça. Et pour avoir dénoncé le racisme anti-noir en Tunisie, ma mère a été condamnée à deux ans de prison, sachant que tout ce qu'elle a dit est vrai. Tout ce qu'elle a dit existe. Il y a même des documentaires qu'on peut trouver sur YouTube de chaînes tunisiennes et non tunisiennes qui ont fait des reportages sur ces bus et ces cimetières séparés. Mais quand elle a été condamnée à deux ans de prison en octobre, les preuves qu'on a données, que les avocats ont données au juge, ont disparu du dossier. Donc le juge qui a jugé n'a pas vu les preuves. Donc il a condamné ma mère à deux ans de prison. On a fait appel et en janvier, après que le juge ait lu toutes les preuves du dossier, sa peine a baissé de deux ans à un an et demi. Donc ma mère en tout a été condamnée à trois ans de prison. Puis ça a baissé à deux ans et deux mois en appel. Donc c'est une peine qu'elle est en train de purger aujourd'hui pour avoir dénoncé le racisme et pour avoir dénoncé la crise migratoire et la malgestion de la crise migratoire en Tunisie. Donc ça, c'est les deux affaires pour lesquelles elle a été condamnée. C'est pas fini. Il en reste trois. Et là, on attend. La troisième affaire, ma mère risque dix ans de prison parce que c'est une affaire qui risque de passer en criminel, parce qu'elle a dénoncé les mauvaises conditions en prison en Tunisie. Et ce qui est ironique et qui fait encore plus mal au cœur, c'est qu'elle-même aujourd'hui est victime des mauvaises conditions en prison. Donc en fait, elle a dit que tout le monde mérite des toilettes dignes de ce nom. Et que dans certaines cellules, dans certaines prisons en Tunisie, il n'y a pas de toilettes à proprement parler. Il y a des trous. Ma mère a dit « trous » . En fait, c'est des toilettes turques, mais ce n'est pas vraiment des toilettes turques. C'est vraiment des trous. Donc ma mère a dénoncé ça. Et pour avoir dénoncé ça, la direction des prisons a porté plainte contre ma mère pour diffamation d'après le décret 54. Donc ma mère est poursuivie dans ces cinq affaires d'après ce décret 54. Et dans ce décret 54, il y a des clauses. Donc une de ces clauses est que quand on critique un fonctionnaire de l'État, eh bien ça passe en criminel et la sentence peut être doublée. Donc ça passe de 5 ans à 10 ans de prison. Le pire dans tout ça, c'est qu'après avoir porté plainte contre ma mère pour diffamation, la direction des prisons a changé les toilettes dans certaines cellules. Et il y a un prisonnier politique qui a dit à un des avocats à ma mère « faudrait dire merci à Sonia quand même parce que grâce à elle, maintenant j'ai des toilettes » . Donc c'est ça qui est fou. La quatrième affaire de ma mère, c'est une affaire aussi qui passera en criminel d'après ce décret 54 et cette clause. Quand on lui a demandé dans une interview ou sur une émission radio « que pensez-vous des accomplissements de la ministre de la Justice ? » Et ma mère a répondu, je ne pense pas que mettre les gens en prison soit un accomplissement. Encore une fois, décret 54, clause, critiquer un fonctionnaire de l'État, donc ici la ministre de la Justice, 10 ans de prison, parce que la ministre de la Justice a porté plainte contre ma mère, encore une fois, pour diffamation. Et la cinquième affaire, en fait, c'est la même affaire que le racisme, donc elle a dit exactement la même chose sur les cimetières et les bus, sauf qu'elle l'a dit une fois à la télé, une fois à la radio. Voilà, donc ça a été considéré comme deux affaires différentes alors qu'elle a dit exactement la même chose. Donc voilà, aujourd'hui, pourquoi ma mère est en prison et franchement c'est... Enfin j'ai pas de... j'ai pas plus... Enfin c'est quand même, c'est aberrant, c'est incroyable, c'est... Ma mère est une prisonnière d'opinion. C'est comme ça qu'on appelle ça. Moi j'apprends. J'ai toujours essayé d'être loin de tout ça. Égoïstement, enfin, je sais pas... Même si aujourd'hui c'est très très difficile de ne pas être impliquée dans tout ce qui se passe politiquement, avec tout ce qui se passe dans le monde, et comment on est exposé à tout, je pense que oui, je suis un peu plus au courant qu'il y a cinq ans. Mais donc oui, ma mère est une prisonnière d'opinion, pas vraiment une prisonnière politique, parce qu'il n'y a vraiment rien contre elle, à part... Des mots qu'elle a dit et des choses qu'elle a dénoncées, des injustices qu'elle a dénoncées.
- Speaker #0
Merci Nour d'avoir résumé l'affaire de Sonia, expliqué à tout le monde d'où ça venait et pourquoi elle est emprisonnée. Comme on disait, c'est un peu un épisode mère-fille. Est-ce que je peux te demander quels sont les premiers mots qui te viennent quand on parle de Sonia ? Qu'est-ce qui te vient spontanément ?
- Speaker #1
Alors ma mère est forte, vraiment. Elle est très très forte, mais elle est aussi très très sensible. Et ça je ne sais pas si les gens ont cette image-là forcément d'elle, parce qu'elle a un peu, en tout cas moi en grandissant, en étant la fille de ma mère, parce que c'est quelque chose qui m'a beaucoup suivie à l'école, être la fille de Sonia Damani. Les gens la respectent beaucoup. Donc oui, forte et sensible, je pense. Parce qu'elle fait tout ça, oui, elle est forte, parce que pas tout le monde le fait, mais elle le fait parce qu'elle est extrêmement sensible et qu'elle ne supporte pas l'injustice, elle ne veut pas que les gens souffrent alors qu'ils ne le méritent pas, surtout souffrir à cause de la couleur de ta peau ou de ta classe sociale. Donc c'est des choses pour lesquelles elle a toujours lutté. Je me rappelle aider les orphelins, avoir des enfants. Chaque année, elle leur achetait les trucs, les cahiers, les stylos, les cartables. Elle le fait par force, elle le fait par sensibilité, elle le fait vraiment par passion. Donc c'est ça qui me vient à l'esprit.
- Speaker #0
Et quelle était ta relation avec Sonia ? T'as un sourire réunissant, on ne voit pas forcément à la caméra, mais il y a un avant après.
- Speaker #1
Je rigole parce que ça n'a pas toujours été facile.
- Speaker #0
Merci.
- Speaker #1
Merci, mais quand même très... Je me rends compte surtout aujourd'hui en fait, parce que ça fait un an que je n'ai pas vu ma mère. Je pense que c'était un peu... compliqué pour moi parce que justement j'étais la fille de Sonia Damani donc j'ai toujours enfin je sais qu'il y a toujours des filles par exemple qui veulent être comme leur mère et moi en fait je faisais l'opposé quand j'étais petite surtout quand j'étais ado tout ce qu'elle faisait je voulais faire l'opposé et ça a créé un peu des normales un peu des détentions entre nous et les deux je pense on a eu du mal Enfin, pas du mal, on a mis du temps à accepter qu'on était différentes l'une de l'autre. Parce que je pense aussi, même pour moi, en fait, un jour quand je serai maman, je veux que ma fille soit elle-même.
- Speaker #0
Et pas une extension de moi.
- Speaker #1
Voilà, pas être une extension de moi. Et je pense que ça, c'était un truc, peut-être que ma mère, je ne sais pas, si elle était complètement... Consciente. Consciente de ça, oui. En tout cas, moi, oui, quand j'étais indo, je voulais absolument être moi-même. Et surtout, ce truc de Sonia Demani, je me rappelle, quand je pouvais le cacher, je le cachais. Je ne le disais pas, mais très, très proche, très fusionnel quand même. Et puis, je me rends compte aujourd'hui, dans mon combat pour libérer ma mère de prison, à quel point je suis comme elle aussi. Je pense que je suis à cet âge où je me dis, ah, merde, je suis comme ma mère. Alors que... Parce qu'il y a des fois, tu vois, où tu essayes tellement de ne pas être comme ta mère, ou des fois j'ai des réactions comme mon père par exemple, je dis « Ah merde, j'avais pas vu ça venir ! » Ou alors je me reprends, tu vois, ou de l'autre côté père-mère. Mais là je me rends compte vraiment depuis qu'elle est en prison, et depuis que je me bats pour elle, et même ce qui se passait par rapport à la Palestine, ce qu'on a vécu, cette dernière... années avec le Covid ou même mes réactions à l'école, quand je suis partie de la Tunisie et que j'étais étudiante en France, il y avait plein de choses où je ne me laissais pas faire, où je me rendais compte que peut-être... Je me laissais... En tout cas, les autres, c'était des choses qui... Ça les dérangeait, mais ils disaient rien. Ils faisaient rien. Alors que moi, oui, j'allais voir la direction de l'école, je demandais des réunions, je voulais que les choses soient réparées, que c'était pas normal. Donc je demandais les droits pour tout le monde. J'ai toujours été déléguée de classe aussi. Donc il y a des choses... Aujourd'hui, je me rends compte, je me dis... Ah, en fait, je suis beaucoup comme ma mère quand même. Donc voilà, j'espère que j'ai pris que le bon.
- Speaker #0
C'est intéressant ce que tu disais, Nour, et ma prochaine question était sur ça. Les auditeurs, je pense, te connaissent peut-être certains et d'autres pas en tant que Nour, Nour Bataïb. Tu es comédienne, réalisatrice et scénariste. Je me demandais si le cinéma a toujours été une évidence. Et dans ma question, je disais, est-ce que tu n'avais pas envie de faire comme maman ? d'aller vers le droit ? Ou est-ce que c'était dans la lignée de je ne ferai pas comme maman et j'irai vers l'art, qui est un autre domaine, une autre industrie ?
- Speaker #1
C'est dommage que ma mère n'est pas là pour parler de ça. On n'est jamais d'accord sur ce sujet. On n'est jamais d'accord sur ce sujet, mais j'espère que peut-être elle a eu le temps d'y penser depuis. Parce que c'était quand même un gros sujet, un vrai sujet. Après, je me dis, bon, c'est un peu la faute de ma mère, parce qu'à 5 ans, elle m'a mis à l'école de théâtre. Danse, art plastique, peinture, je faisais vraiment beaucoup d'activités artistiques. J'ai fait du théâtre de mes 5 ans jusqu'à mes 14 ans, de la danse. Donc, j'ai toujours baigné dans ça. Mais étant tunisienne, venant d'une famille un peu d'un télo, ça a toujours été vu comme un hobby. En grandissant, en fait, quand je disais je veux être comédienne, je veux être actrice, je recevais toujours non mais ça va pas la tête. C'est pas un métier. Donc j'ai beaucoup grandi avec cette idée et je sais pas pourquoi, je me suis mise dans la tête que j'allais être médecin. J'étais dans ce truc, tu vois, de oui je veux être médecin et tout et c'est sérieux, ma mère est avocate, mon père est directeur, mes amis, enfin tout le monde. En Tunisie, tu es soit médecin, avocat, ingénieur. Si tu es un peu artiste, tu deviens architecte. Sinon, tu reprends le business, tu es entrepreneur, tu montes un truc. Donc, en tout cas, grandissant, je n'avais pas l'impression que j'avais beaucoup d'autres choix. Mais depuis petite, j'ai toujours voulu être actrice. C'était vraiment mon truc. Le théâtre, le cinéma aussi. Mon grand-père, à un moment, on habitait avec mes grands-parents et mon grand-père, tous les jours, ramenait des DVD. Et tous les jours, je regardais des DVD. Donc j'ai regardé énormément de films quand j'étais petite. Et puis mon père s'est rendu compte un peu de cette passion et il a nourri cette passion. Je me rappelle quand il partait en voyage en France, il me ramenait les vrais DVD. Quand on est ici, on n'avait pas les origines. Désolée,
- Speaker #0
c'était pilmé dans le temps.
- Speaker #1
Oui, c'était des trucs avec la caméra qui tremble et tout.
- Speaker #0
Tu t'entends les bruits.
- Speaker #1
Donc, j'ai un peu grandi avec... Plus je grandissais, plus c'était un peu devenu une honte de dire que je voulais être actrice.
- Speaker #0
Parce que socialement, tu voyais que ce n'était pas...
- Speaker #1
Parce que socialement, oui, tout le monde était là. Tu veux faire quoi ? Je serai médecin. Je ne sais pas quoi. Et d'ailleurs, maintenant, dans mon entourage, je le vois. J'ai très peu... d'amis en tout cas avec qui j'ai grandi qui sont artistes. Quand j'ai déménagé en France, j'ai fait médecine et c'était horrible. C'était horrible, je me rappelle, c'était horrible. En plus la première année. Et en fait je me suis rendue compte que c'était pas du tout ce que je voulais faire. En plus au début je voulais faire médecin sans frontières. Et au fur et à mesure que l'année était... J'ai fait deux ans. Et je me rendais compte, je faisais mes calculs, en fait. Je vais commencer avec, je vais finir à 33 ans, et après, je vais partir dans un pays où il y a la guerre. Donc là, je serais sûrement partie, je me dis, en Palestine. J'y pense encore. Quand je faisais mes calculs, à 18 ans, j'étais là, en fait, c'est pas du tout la vie que j'ai envie de mener. Et aussi, j'ai pas vraiment... J'ai pas aimé les gens avec qui j'étais, les médecins avec qui j'étais, parce qu'en fait, je me suis rendue compte que c'était l'opposé de qui j'étais. Et que pour... Résoudre ce genre de problème dans des corps humains, il faut avoir zéro empathie. Et moi en fait j'étais trop touchée. Dès qu'il y avait un patient qui mourait, c'était horrible, je pleurais. Les enfants malades, ça me faisait des trucs. J'étais là, mais en fait je suis pas dite. C'est tout ce que j'ai envie de faire. Et je me rappelle, j'ai appelé ma mère devant la fac de médecine à la fin de l'année quand j'ai raté mon concours.
- Speaker #0
Donc la deuxième première année.
- Speaker #1
La deuxième première année, quand je me suis complètement foirée. J'ai appelé ma mère pour lui dire. Mais c'était bizarre en fait, parce que j'étais déçue, mais j'étais contente.
- Speaker #0
Tu es libérée.
- Speaker #1
Libérée. Parce que je me suis dit, waouh, heureusement. Parce que je me dis, en fait j'aurais fini.
- Speaker #0
Tu n'as pas eu d'exclusion, tu aurais dit que tu as passé ta première année.
- Speaker #1
Oui, je me suis dit, bon, ça y est, maintenant, je me suis embarquée. Maintenant, je vais rester, je vais faire médecine. Mais je me rappelle de ce coup de fil.
- Speaker #0
Et elle a réagi comment, Sonia ?
- Speaker #1
Elle était très désolée pour moi, mais aussi, elle était contente, bizarrement, parce que ma mère me disait... Elle sentait, elle me disait, mais je n'ai pas envie que tu passes ta vie dans des maladies, dans des trucs comme ça. Et moi, je disais, non, je veux devenir médecin. Donc elle était un peu soulagée, elle était triste pour moi parce que quand même c'était deux ans de ma vie, c'était énormément de travail. Mais elle m'a dit tu veux faire quoi maintenant ? Et moi j'ai dit bon enfin, et moi j'avais déjà, je regardais déjà, je commençais déjà à regarder. J'étais là bon je pense que je vais passer les concours pour le cours Florent. Elle m'a dit quoi ? Comment ça le cours Florent ? Je lui ai dit oui je veux devenir comédienne. Elle m'a dit quoi ? Non ! Hors de question ! Donc réaction tunisienne, de maman tunisienne et tout. Mais je sais que c'était par peur. C'était pas parce qu'elle voulait pas que je sois heureuse ou que je voulais pas que je sois artiste ou comédienne. C'était vraiment par peur de comment tu vas subvenir à tes besoins. C'est un métier qui est tellement imprévisible. Donc ce qui s'est passé, c'est que je suis partie m'inscrire en architecture. Parce que voilà, c'était la seule option in between. artiste, mais quand même, tu fais bonne image, parce que c'est vraiment beaucoup ça. Malheureusement, en Tunisie, c'est garder l'image, et même ce qui se passe aujourd'hui avec ma mère et le racisme, c'est beaucoup ça. Moi, je reçois des messages de gens qui me disent « Mais de quoi tu parles ? On n'est pas raciste. Mais de quoi tu parles ? La Tunisie va très bien, la Tunisie, c'est le meilleur pays du monde. » Et en fait, on n'avance pas, donc c'est un problème qui est tellement... imprégnée en nous en Tunisie et j'espère vraiment que les nouvelles générations vont s'en rendre compte de plus en plus et qu'on va changer ça. Mais donc voilà donc j'ai fait Archie et après ce qui s'est passé c'est que j'ai arrêté Archie sans le dire à ma mère. Je suis partie m'inscrire dans une école de théâtre. Et je lui ai dit beaucoup plus tard, en fait, quand les inscriptions étaient... Je devais me réinscrire en architecture pour l'année d'après et je ne l'ai pas fait. Et après, je suis rentrée en Tunisie, je l'ai annoncé à ma mère. Je me rappelle, elle était dans la cuisine en train de préparer son émission. Et moi, j'étais là, allez, c'est maman, je vais y dire. Je suis partie là-bas, je dis, bon, maman, je ne retournerai pas en architecture l'année prochaine. Elle me dit, quoi ? Tu vas faire quoi ? Parce qu'elle, elle pensait que tout allait bien, que tout roulait, que je faisais mes études d'architecture. Elle m'a dit, tu vas faire quoi ? Je lui ai dit, je vais devenir comédienne. Bon, ça ne s'était pas très bien passé le jour J. Mais je pense après, quand elle a vu à quel point j'étais heureuse, épanouie, bien et passionnée, elle s'est habituée. Elle essayait même un peu de m'aider à droite, à gauche, mais... Mais moi j'ai toujours évité ça en Tunisie.
- Speaker #0
Je ne voulais pas utiliser le résumé.
- Speaker #1
Je ne voulais pas utiliser ma mère. Maintenant je me dis, maintenant que je galère en tant qu'comédienne, parce qu'on ne va pas se mentir, c'est difficile quoi. Je ne galère pas, c'est juste que c'est long. Beaucoup de gens disent que c'est dur d'être acteur, mais je pense vraiment que c'est juste un...
- Speaker #0
C'est un marathon.
- Speaker #1
Oui voilà, c'est de l'endurance. Donc ça prend du temps, ça prend du temps de passer les bons castings, d'apprendre. d'apprendre à jouer, mais aussi d'apprendre de se connaître, et de connaître ses limites, de connaître ses masques. J'ai tellement appris sur moi-même depuis que j'ai commencé ça que je suis très reconnaissante au final, et je comprends pourquoi j'avais ce besoin de connexion, mais surtout un besoin de connexion avec moi-même, de comprendre qui je suis. Et ça, c'est un truc où je me dis, même si je galère, entre guillemets, et que ça prend du temps, Au moins, je suis passionnée par ce que je fais. Parce que quand j'étais en architecture...
- Speaker #0
Je me rappelle, on faisait les charrettes. Je ne sais pas si les gens connaissent les charrettes. Moi, en tout cas, je ne connaissais pas parce que je me suis lancée dans l'architecture alors que je ne voulais même pas être architecte. Et là, tout le monde commence à parler de charrettes. Et en fait, les charrettes, c'est les 3-4 nuits blanches que tu fais pour finir les maquettes. Donc, je me suis retrouvée à faire des charrettes en architecture et de présenter le projet les lundis, mardis matin. Et je me rappelle, en fait, où la majorité des gens étaient tellement contents. de présenter leur maquette, y montrer leur travail. C'était tellement heureux, tellement passionné, les dessins, parce que quand même c'était beau, c'était hyper stylé. Je me rends compte aujourd'hui, je me dis, j'aurais peut-être dû le prendre un peu plus sérieusement, parce qu'on faisait des trucs cools quand même. Mais moi, je faisais vraiment le minimum syndical. Et c'est là où je me suis rendue compte, je me suis dit, en fait, moi j'ai envie d'être comme eux, j'ai envie d'être passionnée par ce que je fais. Donc au final, aujourd'hui, je pense qu'elle est très heureuse. Elle a accepté, elle a eu du mal à accepter, mais c'était vraiment juste par peur, parce qu'elle pensait que j'allais trop... Et maintenant je comprends, maintenant que je suis un peu plus dedans, et que je vois aussi l'industrie, il y a du positif et du négatif dans cette industrie. Mais c'est vrai que vu que je suis très passionnée de cinéma, je me dis que ça en vaut la peine.
- Speaker #1
Comment tu vis cette séparation forcée avec Sonia ? Et tu disais que tu ne l'avais pas vue depuis un an. Je pensais que tu avais eu peut-être des droits de visite, que tu avais pu la voir. Est-ce que tu peux lui parler au téléphone ? Est-ce que tu peux nous parler un peu de cet envers qu'on ne connaît pas ?
- Speaker #0
Alors, ce qui est bizarre, c'est que quand ma mère s'est faite arrêter, en tout cas quand elle est partie dans la maison des avocats, moi j'étais à un mariage. en Espagne. Et j'ai appelé ma mère normale. J'étais juste en train de me préparer comme je l'appelle souvent. Je l'appelle et elle me dit, oui, ça va, ne t'inquiète pas et tout. Et moi, je suis pas au courant. Enfin, je m'inquiète de quoi, qu'est-ce qui se passe. Et elle me dit, ah, t'as pas vu Facebook ? Et moi, je dis, non, j'ai pas vu. Qu'est-ce qui se passe et tout ? Elle me dit, bon, j'ai peut-être un problème et tout. Donc là, elle m'explique rapidement. Au début, je ne réalise pas et après dès que je raccroche Je commence à pleurer et je me dis, oula, là, qu'est-ce qui se passe ? Mais je n'avais pas vraiment compris, en fait, la situation. C'était appelé vendredi, puis je l'ai rappelé le lendemain, parce que c'était un week-end, ce mariage. Samedi, elle a été arrêtée. Donc, en fait, juste pour dire, oui, comment je vis la séparation, c'est que je le vis comme un rêve. J'ai l'impression que... Enfin, je sais que c'est arrivé. Mais je comprends pas trop comment ça a pu arriver, les conditions dans lesquelles c'est arrivé, parce que je me suis rendu compte il y a quelques semaines que ça allait faire un an qu'elle était en prison. Et j'ai toujours refusé ce truc d'un an. J'ai toujours refusé, j'ai dit non, non, non, elle va jamais rester un an, elle va sortir, elle va sortir avant. Et pendant un an, j'ai carburé comme ça en me disant elle va sortir demain. Parce qu'en fait, je me voyais pas. Vivre sans... En fait je me dis là aujourd'hui je me dis je carbure à l'espoir. Je carbure à l'espoir et je me dis elle va sortir demain. Et j'ai vraiment compris ce dicton l'espoir fait vivre en fait. Je me rends vraiment compte parce que c'est seulement ça en fait qui me fait vivre. Donc cette année est passée très vite, extrêmement vite. Même s'il y a eu beaucoup de choses qui se sont passées. Jusqu'à aujourd'hui, j'y crois pas en fait. J'y crois pas parce que je me dis si elle avait fait quelque chose de mal, peut-être que je comprendrais mieux. Peut-être que je pourrais continuer ma vie, peut-être que si elle avait commis un crime, si elle avait vraiment nuit aux gens, à la Tunisie, à qui que ce soit, peut-être que je comprendrais. Mais vu l'injustice, c'est vraiment l'injustice dont on parle qui est Ok, oui, écris. c'est l'injustice en français mais c'est plus profond en fait nous quand on le dit en arabe moi en tout cas ça me pince le coeur très très très très fort quand je le dis parce que c'est tellement injuste et je sais pas être avec nos parents c'est très sacré c'est un temps qui est sacré parce qu'on sait qu'un jour on les aura plus donc je me sens un peu trahi Parce qu'on m'a volée ce temps. Et je me sens aussi trahie parce que ma mère est... Enfin, moi, ma mère, je... Enfin, Sonia Damani. On parle beaucoup de Sonia Damani, mais pour moi c'est ma mère. Et en tant que fille, j'ai juste envie qu'elle soit ma mère. Quand elle me disait « je vais me faire arrêter » , je lui disais « mais si je me marie, tu fais quoi ? » Je ne voulais vraiment pas qu'elle se fasse arrêter, mais bon...
- Speaker #1
Elle avait conscience de ce risque ?
- Speaker #0
Le problème c'est qu'ils ont arrêté beaucoup de gens, donc elle était forcément consciente des dangers. Elle était forcément consciente des dangers. Mais elle ne pouvait pas se taire par rapport à ce qui était en train de se passer. Mais pour moi, aujourd'hui, ça ne justifie pas son arrestation. Ce qu'elle a dit ne justifie pas son arrestation. Donc j'ai du mal à me positionner. Je suis juste... Oui, pour moi, c'est juste un... C'est un cauchemar, quoi.
- Speaker #1
Tu lui parles au téléphone ? Tu lui as parlé depuis ?
- Speaker #0
Alors... Quand elle s'est faite arrêter et quand j'étais en Espagne, je lui ai dit je rentre tout de suite, elle m'a dit absolument pas, tu ne rentres pas. Parce qu'en fait elle a peur pour moi, donc je ne suis pas rentrée. Et puis un autre truc c'est que moi je regarde des séries américaines et des films aux Etats-Unis, donc l'image des prisons que j'ai c'est ça. Bon je sais que c'est pas un costume, la combi orange. Mais au moins, je pensais qu'il y avait des téléphones, qu'elle pouvait faire du sport, qu'elle allait sortir, tu sais, méga musclée et tout, en forme. Sauf que la prison de Manouba, en Tunisie, c'est pas du tout ça, quoi. Il n'y a pas de téléphone, il n'y a pas de combinaison. C'est les familles qui doivent ramener les vêtements. Elle n'a pas le droit de faire de sport. Elle n'a même pas le droit de faire des étirements dans sa cellule. Ma mère est dans un bâtiment de haute sécurité, mais ce n'est pas les bâtiments de haute sécurité qu'on s'imagine, un truc futuriste, un truc comme ça. En tout cas, moi, c'est comme ça que je l'imagine. C'est un bâtiment de haute sécurité à la prison de Manouba en Tunisie. C'est-à-dire que c'est un bâtiment des années 1800 qui n'a jamais été rénové, où il y a de l'humidité, les fenêtres sont cassées, elle a des rats, des lézards, des cafards. C'est en plein milieu de la campagne. Ma mère n'a pas le droit de parler ou même de sourire aux autres détenus. Elle n'a même pas le droit de les voir en fait. Elle ne sort pas de ce bâtiment de haute sécurité. Elle n'a le droit de parler qu'avec ses co-détenus avec qui elle vit. Mais c'est aussi des co-détenus qui lui ont dit, vu qu'ils ont tissé des liens amicaux, aujourd'hui ils lui ont dit ne nous dis absolument rien parce qu'on est obligé de répéter tout ce que tu nous dis. Elle est complètement coupée du monde aussi, elle n'a pas de journal, elle n'a pas de radio, elle n'a que une ou deux chaînes de télé nationale. Elle ne recevait pas les lettres depuis un an, il n'y a que là depuis quelques jours j'ai envie de dire qu'elle reçoit un peu quelques lettres, sachant qu'elle a reçu des centaines et des centaines de lettres.
- Speaker #1
Elle a des droits de visite ?
- Speaker #0
Elle a des droits de visite dans ses 15 minutes. par semaine tous les lundis et c'est seulement la famille proche donc ce sont les parents et les frères et soeurs et les enfants qui peuvent aller la voir et les avocats bien sûr donc les avocats ont un droit de visite différent de celui des familles mais sinon c'est 15 minutes à
- Speaker #1
travers une vitre ou un téléphone qu'est ce que qu'est ce que ta maman tu as appris sur la liberté en étant jeune est ce que c'était un concept important dans les choses qu'elle voulait te transmettre ? Est-ce que c'est quelque chose dont tu as souvenir d'avoir discuté avec elle ? Et tout ça, être avocate, journaliste en Tunisie, est-ce que c'était un thème potentiellement récurrent ? Surtout que dans l'histoire de la Tunisie, il y a eu Ben Ali, je pense qu'étant jeune, tu as grandi sous ce régime-là.
- Speaker #0
C'est une très bonne question. Je ne me rappelle pas vraiment avoir eu de discussion. à proprement parler avec ma mère où elle me faisait des leçons, où elle me donnait des leçons sur la liberté, mais c'était plus un exemple, suivre son exemple à elle, parce que ma mère est extrêmement libre, et c'est quelque chose qu'elle dit beaucoup. Je suis libre, je suis libre, je suis libre. Et je pense que oui, j'ai suivi son exemple plutôt qu'avoir reçu des leçons sur la liberté. Aujourd'hui, je me rends compte que... Avec la situation que je suis en train de vivre aujourd'hui, il y a beaucoup de gens qui pensent que la liberté est un luxe, en tout cas en Tunisie, mais même à travers le monde j'ai l'impression. Alors que pour ma mère et pour moi... Ayant grandi avec elle, ça n'a jamais été un luxe, ça a toujours été un droit. Donc je n'ai jamais vraiment eu cette conception de... Oui, je ne peux pas avoir ça parce que... Telle ou telle raison en fait, ça a toujours été un droit. Ma liberté. Ma liberté de penser, ma liberté. Et je pense que ça a été un thème aussi. En grandissant avec elle, c'était je veux être libre d'être moi. Pas toi. De. Parce qu'aussi, il y avait ce truc de je suis exactement le sosie de ma mère. Donc, c'était un...
- Speaker #1
Physiquement, tu veux dire ?
- Speaker #0
Physiquement, oui. Physiquement, je ressemblais beaucoup à ma mère. Donc, il y avait ce truc, mais je veux être libre de ne pas être elle. Et ouais, c'était plus comme ça. J'essaye de penser à d'autres exemples où ma mère, la liberté...
- Speaker #1
Mais c'est assez intéressant. Tu parlais de ton parcours, qu'évidemment, je connaissais dans les grandes lignes parce que je me suis un peu renseignée avant d'interview. Mais clairement, il y a un cri de liberté dans ce chemin. Comment tu as mené ta vie ? Tu es encore jeune, évidemment, mais dans ce petit bout de chemin dans la vie, la liberté et puis dire non, une figure d'autorité.
- Speaker #0
Exactement. Oui, c'est vrai que j'ai toujours eu un peu un problème avec l'autorité. Je me rends compte aujourd'hui. Mais jamais, si c'était une bonne autorité, je ne me rebellerais pas. Mais oui,
- Speaker #1
il y a toujours quelque chose qui était ton droit.
- Speaker #0
Exactement. Et là vient le truc où en fait c'était un luxe. Mais oui, non, c'était plus par exemple de voir ma mère libre et la dire. Elle a même un tatouage. Je me rappelle, elle s'est fait tatouer il y a quelques années. Moi, j'ai pris ça. Moi, j'ai pas de tatouage. Elle s'est fait tatouer sur le bras, sur l'avant-bras, qui veut dire libre vraiment. Elle a toujours été comme ça, je pense, dans ses relations, dans son travail, dans tout. Et des fois, il y a des gens qui interprètent ça. Oui, c'est une femme difficile, mais en fait, c'est juste une femme libre. C'est une femme forte. C'est une femme qui n'a pas peur. Et malheureusement, apparemment, c'est quelque chose dont on a peur aujourd'hui et qui fait peur. Mais pas seulement une femme, aujourd'hui une femme ou un homme, parce qu'il n'y a plus ce truc de misogynie, c'est vraiment universel maintenant, qu'on soit n'importe qui.
- Speaker #1
Comment elle va ? J'imagine que ta famille lui rend visite, quelles sont les nouvelles ?
- Speaker #0
Oui, alors j'ai des nouvelles de ma famille, j'ai des nouvelles des avocats, et bien elle est très forte, parce qu'elle est très forte et qu'elle ne veut pas se laisser abattre. elle ne veut pas se laisser briser elle est très forte mais bon, elle est dans une situation extrêmement difficile c'est vraiment horrible ce qui lui arrive être punie de cette manière on lui a tout enlevé on lui a enlevé sa liberté qui est la chose la plus importante pour elle on lui a même enlevé, ma mère a cette coiffure iconique, elle a les cheveux très très courts Et elle ne s'est pas coupé les cheveux depuis presque un an, parce qu'on lui a enlevé l'accès au coiffeur. Enfin, ils ont enlevé l'accès au coiffeur à toute la prison. Donc toute la prison n'a plus de coiffeur pour que ma mère ne se coupe plus les cheveux. Alors qu'il y a des problèmes de gale, de peau, etc. et que c'est des questions hygiéniques, et que les hommes ont le droit à des lames pour se raser dans les prisons pour hommes. Par contre là, il y a de la misogynie. Quand on voit la différence entre les prisons pour hommes et les prisons pour femmes en Tunisie, il y a des choses qui sont quand même... Des trucs qui... peuvent paraître anodins, mais par exemple les femmes n'ont pas le droit de sortir leur linge, alors que les hommes sortent leur linge pour que les familles les lavent alors que les femmes, sachant qu'il n'y a pas d'eau chaude, quand il fait extrêmement froid, lavent leurs vêtements avec de l'eau glaciale et un savon qui abîme les mains enfin...
- Speaker #1
Est-ce que, en tant que fille d'eux et on enlève le combat et la liberté tu peux j'allais dire en vouloir, c'est pas le terme mais te dire Pourquoi t'as parlé maman ?
- Speaker #0
Oui, oui, c'est ce que je disais en fait un peu tout à l'heure, c'est que je me rappelle, enfin jusqu'à aujourd'hui il y a plein de gens qui me disent tu dois être tellement fière. Moi je me dis mais oui bien sûr il y a de la fierté mais surtout il y a pourquoi ? Pourquoi t'as fait ça ? Pourquoi tu m'as abandonné ? Pourquoi t'es partie ? Pourquoi t'as choisi ? Donc oui, il y a de ça, mais aussi je comprends et j'essaye d'être philosophique et spirituelle et de me dire « Maktoub, c'est écrit et je sais pas, peut-être que j'ai choisi ce chemin avant de m'incarner sur cette terre et qu'il y a une raison pour laquelle tout ça arrive. » Parce que vraiment, je n'ai pas d'autre choix. Il n'y a aucun sens. Si j'essaye de comprendre ce qui se passe logiquement, je pense que je me jetterai par la fenêtre. Je suis obligée de me rappeler ça et de me dire qu'il y a un sens à la vie. Je ne suis pas juste Nour, je suis une âme dans un corps qui vit une expérience terrestre. C'est tellement horrible ce qui nous arrive, ce qui arrive à ma mère, ce qui arrive à toute ma famille. De voir mes grands-parents à 80 ans souffrir de cette manière. Ma grand-mère ne sort plus de chez elle depuis un an. Mon grand-père qui est cardiaque, qui a le cœur brisé en plus, qui a le cœur vraiment brisé, ça s'entend à sa voix, ça s'entend, ça se voit dans ses yeux. C'est tellement horrible que je me dis que oui, la seule manière de continuer, c'est de me dire qu'il y a peut-être une raison quelque part. Peut-être que je ne le saurais pas tout de suite, mais peut-être un jour, je ne sais pas, quand j'irai de l'autre côté, je vais être là genre « Ah, ok » . Maintenant je comprends, tu vois. Mais bon, j'en suis pas là, donc jusqu'à... Jusqu'à en arriver là, je me dis juste... C'est comme ce qu'on dit, je sais pas, il y a ce mime là d'Adèle, tu vois, qui dit genre « Just keep swimming ! Just keep swimming ! » Donc moi j'ai... Tu vois ça tous les matins,
- Speaker #1
c'est rigolo. Voilà,
- Speaker #0
voilà, ouais, j'ai juste « Keep swimming !
- Speaker #1
Just keep swimming ! »
- Speaker #0
J'arrêtais pas de dire moi... La métaphore de ma vie, c'était « Just keep swimming » ou alors je suis sur un canoë-kayak et je m'attrape comme ça sur le canoë-kayak. Tu sais quand tu te mets sur le canoë-kayak et qu'il y a beaucoup de vagues, tu dois te mettre comme ça en position pour te tenir. Et c'est vraiment ça. J'ai l'impression que depuis un an, c'est ça. Et des fois, ça se calme. Des fois, ça repart. Des fois, il y a des rochers. Des fois, il y a une chute. Des fois, je tombe. Des fois, je remonte. Et il n'y a que ça, et avec, oui, l'espoir que ça va se terminer quand même rapidement, parce que, encore une fois, ma mère est en prison pour avoir dénoncé des injustices et avoir voulu aider d'autres êtres humains.
- Speaker #1
Si elle pouvait entendre cet épisode, qu'est-ce que tu aimerais lui dire ?
- Speaker #0
Sors de prison. Sors. Je ne sais pas comment, mais sors. C'est vraiment ça, ça a été le... Je demande là quand je parle à mon oncle, il me dit qu'est-ce que tu veux dire à ta mère ? Et là, depuis quelques semaines, je n'arrive plus à lui dire autre chose. Je lui dis juste sort, trouve une solution si tu peux. Je ne sais pas, dans ta tête, tu vois, ou tu vois même les livres que je lui envoie, je lui envoie des trucs de manifestation et de karma et de chercheur. Peut-être qu'il y a un truc quelque part, tu vois, là, parce que oui, je fais de mon mieux pour en parler sur les réseaux sociaux, avec les avocats. On essaye de... de la faire sortir, de dénoncer, mais aussi je me dis peut-être spirituellement, il y a peut-être un truc à faire, limite commence à faire la prière, j'en sais rien.
- Speaker #1
Oui, tu cherches le miracle.
- Speaker #0
Exactement, parce que là, je ne sais pas combien de temps je vais tenir. Parce que là, je me dis, ça fait un an et ce truc d'un an, il ne commence que maintenant à vraiment rentrer dans ma tête. Donc oui, j'aimerais juste lui dire, s'il te plaît, sors. Trouve une solution, mais je sais que c'est égoïste. Elle, elle me dit, mais je ne sais pas comment. Enfin, à travers, elle me dit, mais je ne sais pas comment. Je dis, mais ça... Mais j'aimerais bien qu'elle prenne soin d'elle, qu'elle s'occupe d'elle, qu'elle fasse attention à elle un maximum, qu'elle ne se laisse pas aller, qu'elle ne se laisse pas périr.
- Speaker #1
Je ne sais pas. Chose qu'elle... qu'elle fait de ce que le genre...
- Speaker #0
Oui, j'espère. J'espère, j'espère qu'elle le fait, même si je sais que c'est vraiment difficile. Donc même l'après, je sais pas comment il va être. Je sais pas comment est-ce qu'on sort d'une situation comme ça. Mais bon, je me dis, ça c'est pas mon combat, ça c'est... Je dois aussi, moi, me séparer de ma mère et la laisser, elle, vivre son expérience d'âme en réincarnation terrestre.
- Speaker #1
Et peut-être pour clore l'épisode, si tu avais quelque chose à dire aux autres mères et filles qui peuvent écouter l'épisode qu'on aura fait aujourd'hui dédié aux mamans.
- Speaker #0
Qu'est-ce que j'allais dire ? C'est pas grave si vous n'êtes pas d'accord.
- Speaker #1
C'est comme ça.
- Speaker #0
Essayez quand même de passer le maximum de temps ensemble et écoutez-vous. Écoutez-vous et acceptez-vous. acceptez que vous êtes différentes mais que vous êtes aussi la même je te remercie infiniment Anouj merci, merci,
- Speaker #1
merci cet épisode de Heya est maintenant terminé je vous remercie sincèrement de l'avoir écouté jusqu'au bout, ce qui j'espère veut dire que vous l'avez apprécié n'hésitez pas à le partager autour de vous, avec des amis ou sur les réseaux sociaux, c'est ce qui permet au podcast de grandir vous pouvez aussi le noter 5 étoiles et me laisser un petit commentaire c'est un vrai plaisir de les lire Si vous avez des questions ou voulez me suggérer une invitée, n'hésitez pas à me contacter sur la page Instagram Hiya Underscore Podcast. A très bientôt.