- Speaker #0
Fatma, bonjour.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Je suis ravie de te voir en chair et en os. La dernière fois qu'on a enregistré, on était à distance. Donc déjà, merci d'être là.
- Speaker #1
Merci pour ton invitation.
- Speaker #0
Merci de toujours soutenir le podcast de toutes ses manières. Je suis ravie de t'avoir. Un, parce que je t'apprécie en tant que personne, parce que je suis admirative et très respectueuse de tout ton travail de terrain et de tout ton engagement. Et comme tu le sais, j'ai lancé ce deuxième projet en plus du podcast « Hey, à qui sont ces histoires de femmes inspirantes dans l'histoire ? » et d'aller planter une graine dans la tête de nos enfants. Parce que moi, maman, je ne trouvais pas cette littérature que j'aurais aimé leur transmettre. Et parce que je me suis rendue compte que même moi, je ne connaissais pas ces histoires. Parce que même si j'en ai entendu parler, je n'avais pas tous les tenants et aboutissants. Et c'était un peu des légendes et qui, avec le temps, je me dis, vont se diluer. Et si je ne les raconte pas, moi, à mes enfants, eux ne le raconteront certainement pas à leurs enfants et encore moins aux autres générations. Donc, c'est la genèse du projet. Et il était important de t'avoir pour avoir ton regard de médecin sur ces sujets-là dont tu es la spécialiste. Et pour commencer, j'aimerais avoir ton avis sur pourquoi est-ce qu'il est important de transmettre nos histoires à nos enfants.
- Speaker #1
Moi, je considère effectivement d'abord, merci, c'est un sujet que je trouve fondamental, surtout par les temps qui courent, de remise en question de beaucoup de choses, de repères, de références dans le monde, dans le Sud en particulier, entre nous dans le Sud. C'est un sujet qui m'intéresse. Pourquoi c'est important ? Parce que d'abord, on a une responsabilité très importante en tant qu'adulte, instruit aussi, de transmettre des repères et des références complètes. et qui soient décentrés. Aujourd'hui, quand même, les repères culturels, les repères intellectuels, les grandes figures sont essentiellement occidentalo-centrées. Alors qu'il existe des très grandes figures, à la fois féminines, très grandes figures du Sud, qui sont inspirantes. Alors, par rapport aux filles, parce que c'était dans ta question. par rapport aux filles, à nos enfants. C'est aussi la question de la représentation des femmes et de comment nos enfants peuvent s'identifier à certaines personnes, à certains personnages, à certaines idées, à des représentations. Comment peuvent-ils avoir ce sentiment d'appartenance à des figures intelligentes qui ont fait avancer le monde et qui leur permettent du fait... de cette identification, de se grandir, de remplir cette confiance en eux et d'avoir également le sentiment que les choses sont possibles pour eux aussi. Donc c'est une grande responsabilité qu'on a en tant qu'adultes par rapport à nos enfants, par rapport aux enfants, aux élèves d'une façon générale, et en tant que personnes qui avons la chance d'avoir des tribunes, de pouvoir justement dire que beaucoup de médias ne nous disent pas tout. beaucoup de livres d'histoire ne nous disent pas tout et peut-être pas l'essentiel même pour la construction psychologique de nos plus jeunes c'est très important pour la construction identitaire, pour la construction, l'évolution psychologique, pour l'estime de soi la confiance en soi des jeunes et des moins jeunes, honnêtement en ce moment on vit dans une crise où il faut se poser la question de la représentation C'est pas... C'est pour ça que j'aime beaucoup cet aspect que tu abordes, à la fois pour les jeunes, mais je dirais que dans cette période actuelle, c'est fondamental aussi pour les moins jeunes, qui sont absolument, comment dire, je dirais pour certains d'entre eux, et tu connais mon travail sur les répercussions des questions identitaires sur le psychisme, qui sont comme dans une sorte de déflagration aujourd'hui, intérieure.
- Speaker #0
Est-ce que c'est des choses que tu vois, toi qui traites pour le coup de patients adultes, est-ce que tu vois un impact sur les adultes construits, ce manque de représentativité ?
- Speaker #1
Mais évidemment, évidemment. C'est-à-dire quand tu regardes une série, un film français, c'est tout récent pour les films anglais, mais parlons de la France, parce que je ne sais pas si c'est destiné à la France uniquement, mais parlons de la France. Les clichés sont... qui sont absolument, comment dire, pour ne pas faire de cumul de signification, mais sont totalement exagérées, donnent une image péjorative des Arabes, des Noirs. On est encore dans ces clichés. Le fait de ne pas se reconnaître, de ne pas avoir de sentiment d'appartenance, c'est-à-dire qu'il y a un décalage entre la réalité et ce qu'on voit dans certains médias, d'être les discours de certains médias, dans certains films. Exemple... La délinquance est systématiquement associée aux Arabes, l'intégrisme est systématiquement associé aux Arabes. Là, récemment, je ne voudrais pas me faire beaucoup déni, mais je sais qu'il va y avoir un film, un grand réalisateur qui va sortir, où il s'agit de parler d'une histoire tragique qu'a vécue une femme de culture, je dirais visiblement musulmane. Très bien, c'est super important de parler de ce qui se passe, mais mon Dieu, il y a tellement d'autres choses à raconter aussi. Alors, je suis la première, je suis féministe, donc il n'y a aucun souci avec ça, mais est-ce qu'on sait que la directrice de l'Institut Pasteur est une femme d'origine maghrébine ? Est-ce que tout le monde sait aujourd'hui que les hôpitaux publics fonctionnent grâce à des médecins à diplôme maghrébin subsaharien ? Et donc, les enfants ? ne voyant pas ce type de représentation, se sentent bien sûr dans une... Les enfants qui aimeraient trouver des personnes qui leur ressemblent se disent « Mais en fait, du coup, ce qu'on me propose, c'est cette image péjorative. Et ce à quoi je rêve ne m'est pas autorisé. »
- Speaker #0
Ça n'existe pas autour de moi.
- Speaker #1
Ça n'existe pas autour de moi et ça ne m'est pas... autorisé puisque la fiction, théoriquement, ça fait rêver. Puis un film, tous, quand on regarde un film, on a l'impression que c'est vraiment, on est dedans, on vit avec le film, etc. Donc le dealer est forcément maghrébin. Et moi, je peux te dire que j'ai suivi des dealers qui ne sont pas maghrébins, qui ne subissent pas les mêmes répercussions juridiques que les maghrébins. Il y a aussi autre chose qui est très important, c'est que Merci. représenter cette diversité qui est le cosmopolitisme français. Parce que la France est un pays réellement cosmopolite. Ce dont on parle aujourd'hui, c'est-à-dire cette fracture, etc., elle est engagée et elle se fait dans la tête de certains politiques, mais dans la vie de tous les jours, on vit tous ensemble. Et en particulier les Maghrébins, ce sont ceux, précisément, qui ne disposent pas de communauté. Il y a la communauté portugaise, la communauté espagnole, mais portugaise, par exemple, reconnue par le fait qu'elle fonctionne de façon communautaire. Mais il n'y a pas de communauté maghrébine. Elle n'existe pas. Donc, tous ces mots-là sont en décalage avec la réalité. Et ce qui, en fait, serait majeur, capital, c'est que cette diversité de représentations, cette diversité de modèles, les jeunes ont besoin de modèles, tous les jeunes, soient une image du cosmopolitisme français pour développer aussi l'empathie de ceux qui ne sont pas issus de la diversité par rapport à ceux qui viennent d'ailleurs ou dont les parents viennent d'ailleurs. Parce que si on reste comme ça confis dans des clichés péjoratifs, eh bien, le petit Jean-Paul Dupont, il aura toujours en tête que Fatima fait un bon couscous et que Mouloud T'es... Mouloud se débrouille à peu près en étant caissier ou je ne sais pas quoi, alors que Fatima, j'en suis la preuve, peut être médecin, spécialiste, écrivaine et que Mouloud peut être PDG d'une banque, avec tout le respect que j'ai pour les autres. Parce qu'évidemment, il n'y a absolument pas de métier. Mais ne serait-ce que même dans la représentation physique, par exemple. Les jeunes vivent dans un monde où tout est mélangé. En revanche, dans une fiction, dans une belle histoire, théoriquement, dans une histoire, ils ne voient pas cette diversité. Et donc, la diversité des représentations favorise l'empathie et te sort des clichés dans lesquels on est enfermé.
- Speaker #0
Je me suis beaucoup posé une question quand j'écrivais des livres, et pour moi en tant qu'autrice, mais aussi pour les lecteurs. Est-ce qu'on peut parler de tout un enfant ? Et entre autres, comme on parle de femmes historiques, il y a des histoires de colonisation, d'indépendance. Est-ce que tu penses que c'est des histoires qu'on peut partager avec les enfants ? Moi,
- Speaker #1
je pense qu'il faut. Je pense que les enfants, Doldo l'a dit bien avant moi, les enfants, de toute façon, sentent les choses. Et parfois, on a l'impression même qu'ils savent les injustices avant même qu'on leur en parle. Donc, il faut parler de tout aux enfants. Il faut parler de l'histoire. d'un pays, si les couples sont mixtes, ou s'il faut parler de ce que, par exemple, la France a réalisé, de l'histoire coloniale de la France, il faut la connaître. On l'enseigne maintenant, même moi je l'ai apprise. à l'école française de Tunis, mais les termes doivent évoluer. Et disons que la pédagogie par rapport à l'histoire coloniale de la France construit énormément d'angle mort, hélas. Et avec un enfant, sur les choses, on va dire selon l'âge évidemment, mais sur les choses tragiques ou sanguinaires, il faut trouver les mots, bien sûr, il faut les protéger. mais Un enfant, c'est tout. Un enfant, c'est tout.
- Speaker #0
Tu as publié récemment ce super livre « Debout tête haute, manifeste contre le racisme » . Tu fais, tu as fait, je ne sais pas à quel moment sortira cette vidéo, mais ton tour de France avec ce livre-là. J'étais curieuse de savoir comment le livre est reçu. Tu as été dans plusieurs écoles également, tu as été à la rencontre d'enfants. Quelles sont les questions qui reviennent pour les enfants sur ce sujet-là ?
- Speaker #1
Alors ? J'avais quand même envie de te dire quelque chose, mais je pense que ça rejoint le sujet. J'avais envie de te dire quelque chose sur les enfants et sur ce qu'on leur dit sur eux et comment les parents reçoivent ça. C'est-à-dire que dans cette période-là qui est très compliquée pour nous, les parents me disent que les enfants rentrent de l'école en leur disant « je ne veux pas être arabe » . Les parents d'origine français-arabe. Et ça, c'est un vrai souci. Parce que les parents ne savent pas quoi dire. Alors, on dit aux enfants, mais pourquoi tu ne voudrais pas être arabe ? Donc, l'enfant dit à ses parents, mais parce qu'on m'a dit que ce n'était pas bien d'être arabe. Ou alors, des enfants, en particulier après le 7 octobre, donc après, avec aussi la guerre à Raza, des enfants à l'école qui sont suspectés d'être terroristes et de tenir des propos antisémites alors qu'ils ne les ont jamais tenus. Voilà aussi comment le fait de catégoriser et de ne pas être dans la pédagogie et de ne pas être dans l'écoute peut créer des drames. Par rapport à ces modèles et comment on se reconnaît dans l'autre, il y a l'aspect physique aussi qui est très important. Se lisser les cheveux pour les filles, vouloir être blonde, se blanchir, etc. Alors on a le droit de faire ce qu'on veut avec ses cheveux. Vous voyez, moi, par exemple, je me souviens, parce que j'étais au Conseil économique, social et environnemental, j'ai travaillé sur un rapport que j'ai présenté à des ministres. Et il y avait des photos de moi avec des ministres. Et j'ai eu des remarques sur « mais tu oses te présenter devant un ministre avec les cheveux bouclés ? »
- Speaker #0
Et un commentaire de qui ?
- Speaker #1
En fait, les internautes ou même les proches. Parce que ça s'est négligé ? Parce que... Je ne sais pas si ça fait négliger, je pense que j'étais tout à fait correcte. Absolument, mais j'ai des boucles. Est-ce que c'est parce que ça fait négliger ou parce que ça fait arabe, ça fait trop arabe, ça fait trop africain ? Ce n'est pas dans les codes. Et donc, du coup, ça, ça a une influence sur les jeunes filles, sur les petites filles aussi. Donc, pourquoi est-ce que je fais ce tour de France ? D'abord, comment il a été reçu ? J'ai commencé à l'écrire à un moment où je sentais une... tension monter et dans mon cabinet et à l'intérieur de moi aussi. J'étais en train d'écrire mon troisième roman et j'ai senti comme une urgence. Et ça correspondait aux campagnes des Européennes en 2024. Je me suis dit, je vais écrire quelque chose à un coup de gueule, comme l'a fait Stéphane Essel avec Indignez-vous, en toute modestie. Mais je vais dire ce que je ressens, ce qu'il en est et quelles sont les solutions. que je donne, moi, à mes patients et qui pourraient être des solutions, peut-être, dont d'autres pourraient s'inspirer. Et je suis très contente parce que, là, le dernier recensement, par exemple, qui a été fait par le Nouvel Obs, en faire de pub à Nouvel Obs, mais j'ai eu d'autres recensements, qui ont été formidables et très encourageants, mais j'ai beaucoup aimé qu'il l'ait mis dans les solutions. Parce qu'en fait, c'est possible. Les choses sont possibles. Vivre ensemble est possible. Se connaître est possible. Tout à l'heure, tu parlais de plein de choses que tu ne connaissais pas. Mais par exemple, en préparant le podcast, j'ai eu une petite curiosité. Et puis, j'ai été voir Féminisme. Et donc, je vois Première Féministe, Olympe de Gouges. J'ai toujours un doute, en fait. Maintenant, je me dis, mais descend, Treton, va chercher ailleurs. Et en fait, pas très loin de chez nous, il y a Fatma El-Fahri, en 800. Olympe de Gouges, c'est 1680, je crois, quelque chose comme ça. Fatma El-Fahri, qui est donc descendante de Quraish, alliée à Aqba ibn-Nefa, qui part de Kérouan et qui fonde Al-Qarawiyyine à Fès, qui est la plus ancienne université en fonctionnement aujourd'hui au monde. Est-ce que ce n'est pas une démarche féministe ? Quand on parle du féminisme aujourd'hui, à aucun moment, quand on parle du féminisme mondial, que le cliché ! de la femme arabe ou africaine. Et de toute façon, dans cet imaginaire collectif colonial, à aucun moment tu n'as un nom de femme qui a été dans un combat féministe. On a Habiba Menchiri en Tunisie, qui a été la première femme à enlever le voile à l'Assemblée nationale. Il y a Fatima Mernissi au Maroc. Il y a Bouhird en Algérie. Si on parle des contemporaines, Shimamanda Ngozi Adichie est une femme qui porte, qui est nigériane, qui porte un combat féministe. Mais bon, alors on fait appel à Angela Davis, etc. Parce que c'est vrai qu'il y a eu le mouvement Black is Beautiful, et puis elle est connue, et puis elle est américaine. Mais nous, ça remonte quand même à 800 quoi. Absolument. À 800, Fatima. Fatma El-Fahri.
- Speaker #0
D'ailleurs, un des livres leur est consacré parce que l'histoire est juste folle de se dire en 800. Oui,
- Speaker #1
mais qui ne sont jamais mentionnés. Je veux dire, quand on parle du féminisme mondial, le monde, c'est rarement... Par exemple, le nom de ma maîtresse à penser, entre autres, Noël Sadewi, qui est psychiatre. qui a été à Place Tahrir. Tu sais qu'elle était assise à plus de 80 ans à la Place Tahrir, enfin peut-être 70, ou Place Tahrir, avec tout ce qui s'est passé pendant la Révolution, c'est-à-dire l'agression. Il y a eu une émulation, évidemment, mais il y a eu des agressions de femmes, etc. Et elle était là, assise, les gens tournaient autour d'elle, elle s'exprimait, elle parlait avec le courage qu'on lui connaît. À quel moment dans un bouquin on parle de Nawel Saadewi ? À part le microcosme, nous qui nous intéressons à décentrer le monde, la vision du monde, la pensée du monde, on pense dans le sud. Il faut que nos enfants aient cette image de l'intelligence, de l'intelligence du monde dans laquelle ils puissent se reconnaître.
- Speaker #0
Je te remercie infiniment, Fatma.
- Speaker #1
Merci à toi.