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HumanKind Créateurs de Dialogues / Bridging Dialogues

#5_Jean Edouard GRÉSY_"Le syndrome du conflit c'est la personnalisation, on confond joueur et ballon, on veut shooter le joueur!"

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46min |30/08/2025
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Description

Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateurs de Dialogues, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation.

Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi.

C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grésy, mon nouvel invité. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus.

Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux.

Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent.

Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau.


Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, Jean Edouard est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel Araignée.


Bonne écoute!


www.linkedin.com/in/faiza-alleg-lawyer-mediator

www.faizaallegdolivet.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Humankind, créateur de dialogue, le podcast qui donne la parole à ceux qui, à travers le monde, font la médiation. Je suis Paisa Alec Daudivet, avocate au barreau de Paris et médiatrice certifiée. Chaque mois, je décortique les aspects concrets de cette pratique avec un expert. Bien plus qu'un simple outil de justice négociée, la médiation. c'est avant tout un processus de transformation des conflits par l'émergence du dialogue dans tous les terrains accidentés de nos vies, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux ou juste humains. Humankind, c'est un lieu d'échange pour comprendre les mécanismes et les enseignements de la médiation, avec celles et ceux qui la font vivre sur le terrain. Et pour ceux qui se posent encore la question, voici mon invitation. Soyez créatifs. Changez de perspective. Explorez, soyez audacieux, soyez courageux, soyez vulnérables, définissez vos intentions, projetez l'avenir, apportez du changement, soyez le changement. Maintenant, bienvenue à la table des négociations. Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateur de Dialogue, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation. Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi. C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grézy, mon invité d'aujourd'hui. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus. Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux. Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent. Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau. Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, il est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel a régné. Jean-Edouard, je suis ravie de te recevoir pour cet épisode de Humankind.

  • Speaker #1

    Merci, merci Faisan de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Pour commencer cette conversation, Jean-Edouard, j'ai envie de te poser une question toute simple. Est-ce que tu peux définir d'où vient la médiation ?

  • Speaker #1

    D'aussi loin que remonte l'humanité. Il y a un méthologue passionnant qui s'appelle Franz De Waal qui a été... travailler sur le concept de mâle alpha et de femelle alpha. C'est intéressant parce que ce sont des mâles alpha chez les chimpanzés, des femelles alpha chez les bonobos. Et ce qu'il a observé, contrairement aux idées reçues, le mâle alpha ou la femelle alpha ne sont pas les plus costauds, ceux qui vont casser la figure des autres. Ils sont au contraire cooptés. Et il ne reste mâle ou femelle alpha qu'à deux conditions essentielles qu'il a pu observer. La première, il préserve la paix dans la communauté. Il a observé des scènes de médiation, littéralement. Et deux, dès qu'il y a quelqu'un qui a un deuil, qui est blessé, il vient tout de suite apporter soin. Donc, il s'épouille. C'est tout un langage, effectivement, qui leur est propre. Mais évidemment, la médiation remonte aux origines de l'humanité. C'est une certitude.

  • Speaker #0

    Et donc, le rôle de ce mâle alpha, c'est un créateur de liens et un créateur de dialogues ?

  • Speaker #1

    Oui, on retrouve ça dans toutes les communautés humaines. Moi, j'ai fait de l'anthropologie du droit, c'est la science de la coutume et c'est l'oralité juridique. et on définit avant que le conflit ne naisse, la manière dont on va la gérer. J'avais travaillé à un moment donné avec des généalogistes pour travailler sur des grosses, des notaires des 15e, 16e siècle. Donc il faut avoir quand même un peu de capacité de lire le français ancien, ne serait-ce que déchiffré. Et c'est passionnant de voir qu'il y a un nombre d'accords de règlements amiables majeurs. On avait calculé plus d'un tiers à presque la moitié de certaines grosses de notaires, avec des formules d'époque que je trouve très savoureuses, pour obvier justice, pour que bonne paix... et véritable amour se fassent entre les parties. En gros, ils ne savent pas écrire à l'époque, la plupart des habitants de la France. Donc, ils rencontrent un tiers qui n'est pas toujours indiqué dans l'acte. Et ensuite, ils vont chez le notaire qui rédige et il signe d'une croix. Voilà. Donc, c'est quelque chose d'extrêmement ancien pour préserver la communauté et éviter sa dissolution et la violence de tous contre tous, tout simplement.

  • Speaker #0

    Donc, tu parles de l'anthropologie. En quoi est-ce que cette approche anthropologique, cette recherche sur l'espèce humaine ? est en lien avec la médiation.

  • Speaker #1

    Ce qui m'a intéressé dans l'anthropologie, c'est la démarche, déjà en termes d'études, c'est ce qu'on appelle l'observation participative, c'est-à-dire qu'on doit faire partie de l'expérience que l'on observe pour pouvoir mieux la décrire. Et donc il y a tout un travail pour ne pas tomber dans ce qu'on appelle l'ethnocentrisme, donc il faut arriver à se désacculturer, se déconstruire un peu par rapport à nos représentations du monde pour accéder aux représentations du monde de l'autre ou des personnes qu'on observe. Donc déjà c'est une démarche de médiasuparaissance, c'est peut-être le point le plus difficile de se... déconstruire ou en tout cas d'apprivoiser plus ou moins ses préjugés et ses représentations.

  • Speaker #0

    Tu veux dire déjà pour être en lien avec l'autre ?

  • Speaker #1

    Pour être en lien et pour être en capacité d'observation. Parce que si je plaque ma propre grille de lecture sur ce que je vois, sur une autre culture, je passe à côté... Je vais donner un exemple très simple. Quand la France arrive en 1853 en Nouvelle-Calédonie, face à des Kanaks qui sont là depuis 3000 ans, ils leur disent, je caricature, mais c'est à qui cette terre ? Et le Kanak, à l'époque, ne comprend pas la question. puisque la notion de propriété n'existe pas. La nature est une entité en soi et on ne peut pas la posséder. Donc, le canaque ne comprend pas la question et quand le français colon arrive et lui dit « Tu peux signer ici pour cet acte de propriété, contre un fusil, une bouteille de whisky, de rhum, il signe. » Et le lendemain, il revient à l'endroit et là, le français lui dit « Maintenant, c'est à moi. » Et là, il ne comprend pas. Donc, il met des barrières, il y a des révoltes, etc. si je ne rentre pas pas dans la culture et les représentations du monde. Et ce qui est fou, c'est qu'on est en 2025, on est à nouveau sur un conflit terrible en Nouvelle-Calédonie, et il y a cet ethnocentrisme qui est toujours là, et cette incapacité à passer d'une culture à l'autre, de faire médiation littéralement entre ces deux peuples.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, on n'arrive pas à avancer vers un dialogue qui soit plus construit, une fois qu'on a fait le constat que tu viens de faire ?

  • Speaker #1

    C'est d'autant plus tragique en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu la chance de rencontrer la mission du dialogue, c'est-à-dire Christian Blanc, Pierre Steinmetz, Christian Causart à l'époque. J'en ai fait un roman graphique qui s'appelle La solution pacifique. C'est d'autant plus triste que la démarche et le processus avaient fonctionné en 88 et que quand il y a eu à nouveau les émeutes, les Kanaks ont demandé une mission du dialogue qui a mis beaucoup de temps à se mettre en place et qui commence un petit peu à... à se mettre en place, mais on a perdu énormément de temps. Il a fallu aller à nouveau dans une escalade de violence terrible pour que les parties prenantes acceptent peut-être de commencer à discuter. Le point le plus difficile, c'est d'accepter de faire venir les adversaires à la table dans un conflit à haute intensité. Et ce qui est passionnant de la mission Rocard à l'époque, en 88, c'est qu'il avait bien compris ça, parce qu'il avait une grande profondeur historique, Michel Rocard. Et il a désigné ce qu'il appelait des médiateurs sécants à l'époque, c'est-à-dire il cartographie les acteurs. Côté Caldoche, c'était Jacques Lafleur, c'était un protestant, un franc-maçon. Donc il envoie le représentant de l'église protestante, le représentant de la loge qui va bien. Jean-Marie Djibaou, c'est un ancien curé. Il envoie le représentant de l'église catholique, un préfet crocardien, baladurien, pour que la mission ne soit pas instrumentalisée sur le plan politique. et cette mission va faire un travail exceptionnel pour arriver à passer dans le camp de chacun et établir la feuille de route, l'ordre du jour qui va être ensuite négocié à Matignon et débouché sur les accords, mais c'est une mission exceptionnelle.

  • Speaker #0

    Je m'arrête un tout petit peu là-dessus parce que ce qui est intéressant dans ce travail que tu décris, qui est en effet sur un conflit à haute intensité, il faut penser la façon dont on va s'asseoir à la table. Par moment, dans les conflits, de façon très générale, on ne réfléchit pas, on se précipite. Donc cette question du temps et de la façon de construire le dialogue Merci. Pourquoi c'est important ?

  • Speaker #1

    En négociation, on dit souvent qu'il faut définir un accord de méthode avant de dérouler la méthode. C'est le point le plus difficile. Qui va être autour de la table ? Quel va être l'ordre du jour ? Où est-ce qu'on va se rencontrer ? Combien de temps va se donner ? Qui sera éventuellement tiers pour faciliter les échanges ? Est-ce que les représentants ont un mandat suffisamment flexible pour pouvoir discuter ? Donc, tous ces éléments sont assez peu travaillés en général. ça demande de la préparation, ça demande un peu de temps et de stratégie à mettre en place et c'est souvent bâclé. Pour reprendre l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, ça reste la dernière colonie française, il ne faut pas l'oublier, et avant c'était géré par le Premier ministre puisque c'était une affaire internationale qui est suivie par l'ONU. Quand vous demandez au ministre de l'Intérieur de s'occuper de la Nouvelle-Calédonie, symboliquement, vous n'envoyez pas le même message. Et quand vous demandez à Sonia Baques, qui est loyaliste, d'être secrétaire d'État, vous envoyez encore un autre message. Les symboles sont hyper importants. Le symbolique, c'est le contraire du diabolique. Le symbole, c'est ce qui rapproche, ce qui réunit. Le diabolique, diabolone, c'est ce qui divise. Et on est rentré dans une logique un peu diabolique.

  • Speaker #0

    Donc il y a tout ce qui va entourer la construction du dialogue qui va avoir un impact sur le succès ou l'échec d'un processus de négociation ou résulter dans des violences assez extrêmes. comme ça a été le cas. Après la violence, qu'est-ce qui se passe ?

  • Speaker #1

    Ce que disait Michel Rocard, c'est peut-être un peu triste, mais dans certains conflits à haute intensité, parfois, il faut aller à un niveau de violence tel que les acteurs s'aperçoivent qu'il n'y a pas d'échappatoire autre que la paix. A savoir, on a tout détruit, il y a eu des morts de chaque côté, on voit qu'on ne s'en sort pas. Du coup, le coût du conflit a atteint un tel niveau qu'on n'a plus d'autre choix que de discuter. C'est vrai dans certaines situations. Malheureusement, on a pu aussi observer dans l'histoire que l'humain est tenace et qu'il peut aller dans la violence de tous contre tous dans certaines extrémités, quitte à tout perdre. Donc oui, il faut pouvoir documenter le coût du conflit pour amener les personnes à mieux comprendre ce qu'ils pourraient gagner à s'entendre. Mais quand on arrive à la violence à un certain niveau d'intensité, c'est très difficile aussi de redescendre.

  • Speaker #0

    En effet, et documenter le coup du conflit, mais aussi le vivre, le ressentir peut-être dans sa chair, à tel point qu'on se sente en capacité à faire le pas vers l'autre.

  • Speaker #1

    Oui, là aussi, sur la Nouvelle-Calédonie, c'est très intéressant parce qu'on a eu des hommes exceptionnels à l'époque. C'est-à-dire que Jean-Marie Djibahou, quand il y a un attentat qui a échoué contre lui, il perd deux frères dans l'attentat. Le jour même, il appelle sa communauté à ne pas se venger. Il est parti faire des études d'ethnologie en France. pour essayer d'expliquer la culture de son peuple aux Français avec nos mots et nos grilles de lecture. C'était déjà un Nelson Mandela avant l'heure. Quelqu'un qui était dans cette logique de, pour tourner la page encore, faut-il l'avoir lue, c'est-à-dire l'avoir comprise, documentée et arriver à se projeter sur un avenir commun en intégrant les contraintes de chacun. Toutes les époques n'héritent pas de gens aussi sages, aussi clairvoyants. Il faut arriver à les trouver. Quels sont les représentants des deux camps qui ont cette hauteur de vue ?

  • Speaker #0

    Il n'a pas été entendu ?

  • Speaker #1

    Jean-Marie Dibaou ? À l'époque, c'est toute une histoire. C'est-à-dire qu'au début, non. Il a fallu le drame de la grotte d'Ouvéa où l'armée française a donné l'assaut. Il y a eu 19 morts côté Canac, des morts aussi côté de l'armée. Mais il a été entendu comme leader de son peuple incontournable. Il a été entendu parce que... était capable de traduire les aspirations des Kanaks avec une légitimité exceptionnelle. La difficulté qu'il y a eu, parce qu'il a été assassiné, c'est que, encore une fois, il y a eu un problème interculturel. C'est-à-dire que dans ce que j'ai compris de la culture kanak, on ne donne pas un mandat comme ça, normalement, historiquement. C'est-à-dire qu'on ne donne pas un mandat à Jean-Marie Djibahou pour aller négocier à Matignon. Normalement, s'il y a négo... sur des sujets qui n'ont pas été discutés avec les communautés, il doit revenir vers les communautés, rediscuter et revenir à la table. Et ça, on ne lui a pas permis de le faire. Et donc, il a dû prendre des engagements au-delà du mandat qui lui était confié. Et quelque part, effectivement, certains ultras de son camp l'ont vécu comme une trahison, ce qui a abouti à son assassinat, qui était une tragédie terrible.

  • Speaker #0

    C'est un exemple pertinent dans le monde d'aujourd'hui, et la complexité multiculturelle, c'est toujours ce questionnement sur comment est-ce qu'on peut, dans tel chaos, reconstruire du dialogue, du respect mutuel, quand la relation est autant entachée. Est-ce que c'est même possible ?

  • Speaker #1

    Là, on parle de conflits ultra complexes, puisque internationaux, avec énormément de parties prenantes. Si on redescend à un niveau interpersonnel ou un collectif de travail au niveau d'une entreprise, oui et non. C'est-à-dire que pour moi, la médiation doit permettre, peut permettre de retravailler la confiance, recréer du lien, amener effectivement d'autres manières de fonctionner à l'avenir ensemble et d'apprendre à mieux se connaître et à mieux travailler. Pour autant, parfois, on accompagne aussi des séparations. et ce n'est pas rien que d'arriver à amener des gens qui se haïssent littéralement à faire le deuil de leur relation et accepter de se séparer sans se déchirer ou sans se venger à l'avenir. On le voit beaucoup en médiation familiale, mais c'est aussi une pratique qui existe en médiation dans les conflits du travail ou dans des conflits inter-entreprises entre clients et fournisseurs qui doivent se séparer sans se porter atteinte ni à leur réputation ni aux personnes qui étaient impliquées sur le projet.

  • Speaker #0

    Mais au fond, si on se pose vraiment la question, c'est quoi être en conflit ?

  • Speaker #1

    En conflit, moi je pars d'une définition assez simple. Pour moi, c'est un blocage dans une prise de décision, littéralement. Il peut y avoir une incompréhension sans qu'il y ait conflit. Il peut y avoir un désaccord sans qu'il y ait conflit. Le conflit va se reconnaître à plusieurs éléments. D'abord, il y a forcément des émotions. Étant donné que la décision, on n'arrive pas à avancer, nos intérêts sont frustrés, donc il y a forcément des émotions avec plus ou moins d'intensité, ce qui peut conduire à une dégradation de la communication. On a le sentiment que le temps paraît figé, qu'on n'avance plus, qu'on répète la même chose. Et le symptôme du conflit, c'est la... personnalisation, c'est-à-dire la confusion entre le problème et la personne. On confond le joueur et le ballon, on ne voit plus le ballon, et ça nous donne envie d'aller shooter dans le joueur, si j'ose dire. Ce qui démarre l'escalade et peut générer ensuite agressivité et violence, mais il faut bien distinguer la violence du conflit. Le conflit fait partie de la vie. Il y a un proverbe africain qui dit que quand on dit aux gens de vivre ensemble, on leur dit de se disputer. C'est important de bien se disputer pour préserver une relation durable. Par contre, la violence, effectivement, est interdite. ultra dangereuse physiquement, moralement et en termes d'escalade, il n'y a pas de limite.

  • Speaker #0

    Mais alors, comment faire quand l'acceptation de la saine conflictualité, c'est de ça dont tu parles dans un de tes livres, n'est pas tout à fait quelque chose que les gens reconnaissent ? Il y a des gens pour qui ce n'est pas du tout ok d'avoir le moindre désaccord. Donc comment on crée un environnement de saine conflictualité ?

  • Speaker #1

    Au travail ? Oui. Eh bien... Ça passe par plusieurs phases. D'abord, ça passe par une forme de sensibilisation, formation du corps social à oser dire, à aborder les sujets qui fâchent, à donner du feedback. Il y a plein de méthodes, la communication non-violente, les conversations courageuses, la négociation. En gros, il faut pouvoir oser dire et dire les choses, faire valoir ses intérêts, ses droits en face à face. C'est une question de responsabilité. Un des grands principes pour sortir du conflit, c'est accorder le bénéfice du doute. Mais pour accorder le bénéfice du doute, ce n'est pas un blanc-seing. Il faut pouvoir se confronter, démêler ce qu'on appelle l'intention de l'impact. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ? Comment je l'ai vécu ? Comment est-ce qu'on ferait à l'avenir ? Etc. Et on va dire qu'une très grande partie de la conflictualité au travail se règle de manière informelle, entre deux portes, en sortie de réunion.

  • Speaker #0

    On est d'accord qu'on n'est pas formé à ça ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Donc c'est tout l'objet du travail que tu fais avec les entreprises, c'est d'accompagner les acteurs. avec ces techniques de gestion du conflit ?

  • Speaker #1

    Exactement. Ça s'améliore un petit peu. Maintenant, je vois des écoles où ça commence. Médiation scolaire, formation par les pairs. Mais effectivement, on a un très grand retard sur ces sujets. On le voit encore très clairement avec le dernier rapport de Ligas qui est sorti en mars 2025 sur le management à la française, qui est encore lanterne rouge de l'Europe. On ne progresse pas. Management, un des plus hiérarchiques d'Europe, les plus directifs. Plus on a tendance à maîtriser le fond d'un sujet, plus on a tendance à mépriser la forme, c'est-à-dire la manière de le faire accepter ou d'engager les personnes concernées. Et donc, effectivement, il y a un gros travail de formation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une spécificité française ?

  • Speaker #1

    C'est une des spécificités françaises, oui. L'autre spécificité, c'est ce que disait Crozière il y a plus de 30 ans, une des caractéristiques du management à la française, c'est l'évitement des relations de face à face et la fuite face au conflit.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Donc, j'ai une idée sur le fond, si tu n'es pas d'accord. Eh ben, je ne suis pas là.

  • Speaker #0

    Ça nous donne une petite idée du travail qu'il reste à faire en tant que médiateur pour même accepter. Parce qu'il y a beaucoup de déni, finalement, dans ce que tu décris. On n'accepte pas le fait d'être mis en question, de construire un échange, et on n'accepte pas le désaccord.

  • Speaker #1

    C'est ça. Une grosse part de l'évitement, c'est la peur de l'agressivité. Le conflict avoider, le fuyant, il a peur d'un déferlement émotionnel. perdent ses moyens et donc ils préfèrent éviter la confrontation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une autre caractéristique. Le management à la française, on va éviter de se retrouver dans le face-à-face parce que ça fait peur.

  • Speaker #1

    Oui, on a peur d'un déferlement émotionnel, d'être mis en question et puis on a peur aussi que ça puisse dégénérer au niveau d'une instrumentalisation ou au niveau du dialogue social, que les représentants du personnel s'en mêlent, que les RH nous suivent. Il y a plein de fantasmes autour de ça.

  • Speaker #0

    Mais quand tu parles de déferlement émotionnel, ça veut dire que quelqu'un qui explose sa colère ou sa tristesse ou qui pleure, ça va être embarrassant ou gênant pour celui qui reçoit toute cette émotion. C'est ça.

  • Speaker #1

    J'ai vu un manager à qui c'est arrivé, une collaboratrice qui s'est mise à pleurer dans son bureau. Il a fermé les petits volets de ses cloisons en verre. Il a ouvert la porte et il allait chercher des verres d'eau. Il ne savait plus quoi faire. La collaboratrice était complètement... Atterré de voir qu'il n'y avait personne en face, complètement déboussolé, perdu.

  • Speaker #0

    Et comment on réagit ? C'est quoi les caractéristiques ? Si on peut catégoriser les réactions face au conflit ?

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant de voir, c'est quel est notre style dominant. Et le style dominant face au conflit, on va le retrouver en état de grande fatigue. Plus on est fatigué, plus le style dominant est puissant. Le problème, il est cognitif, c'est-à-dire qu'on a du mal, au niveau cognitif, à distinguer parfois le conflit du danger de mort. Quelqu'un qui parle fort, quelqu'un qui, émotionnellement, est impressionnant, ça a tendance à nous amener à nous recroqueviller dans la partie la plus archaïque du cerveau, qu'on appelle le cerveau reptilien. Et le cerveau reptilien nous dit que trois comportements de réaction, soit riposter, soit fuir, soit céder. Ce qui est bien, si on se fait agresser de la rue, c'est bien de donner son argent plutôt que de perdre la vie. C'est très adapté aux dangers de mort, mais pas aux conflits. Et ce qu'on voit, c'est que plus on est fatigué, plus on va vers ce style dominant. Là, j'ai vu une femme qui s'est fait agresser dans un métro à Lille par deux mecs balèzes. Et ils voulaient lui voler son sac. Et elle les a mordus jusqu'au sang. Elle les a mis en fuite. Et je dis, mais ça ne va pas. Elle dit, ben, j'étais fatigué. Oh merde, ce n'était pas le jour. Elle était prête à perdre la vie plutôt que de perdre son sac. Donc là, on sait que le profil dominant, c'est dur. Tu viens me chercher, je riposte, direct. Tu viens me piquer mon sac, je te mords. Profil dur. Deuxième style, profil fuyant, c'est celui dont on parlait. Celui qui dit toujours oui, mais qui ne dit jamais quand. Il dit, je prends le point, il ne dit pas où il le met. Il dit, c'est de la tuyau, il ne dit pas quand ça sort. Un homme politique, il disait, il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. Et puis le troisième style, c'est le style d'où je lui donne ce qu'il veut. Comme ça, il va arrêter d'être en conflit. Il suffit de le satisfaire. Je suis très empathique. Mais moi, j'ai tendance à m'oublier, à me faire avoir. Et il y a un proverbe africain qui dit « Vous ne rendrez jamais un lion végétarien en lui donnant des steaks à manger. » Le danger, c'est que ça donne faim à l'interlocuteur et qu'il va continuer à grignoter.

  • Speaker #0

    On peut changer de style ou on a toujours un style dominant ?

  • Speaker #1

    On a un style dominant. Maintenant, on a aussi ce qu'on appelle un style... adaptatif, c'est-à-dire que on va s'adapter à son interlocuteur en fonction de sa taille, des enjeux, des niveaux hiérarchiques, bien sûr. Et ça, ce sont des styles naturels, on va dire, et évidemment avec le travail sur soi, l'expérience, la formation, l'introspection, on peut développer quelque chose qui est un style plus diplomatique, mais qui, sur le plan théorique, est simple, et sur le plan pratico-pratique, beaucoup plus exigeant. C'est l'essence de la diplomatie qu'on appelle main de fer dans un gant de velours, à savoir être capable de rester toujours courtois, diplomate avec la personne, tout en étant assertif, ferme sur la défense de ses droits et de ses intérêts. Ne pas confondre les deux, ce qui n'est pas simple.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce que, dans cette dynamique finalement un peu primaire qu'on vient de décrire, le côté très réactionnel, on évolue vers un système qui soit un peu plus conscient de ses notions, conscient de l'environnement ? en capacité à résoudre, à proposer des solutions. Quels conseils on peut donner, en fait ?

  • Speaker #1

    C'est pour ça qu'on avait commencé à voir dans l'entreprise le premier niveau, c'est-à-dire la formation, la capacité à dire, à oser dire, etc. Pour une culture complète de saine conflictualité, entre guillemets, ou de conflictualité productive, disait Ricoeur, il y a un deuxième niveau. Ce qui est amusant, c'est qu'on est en train de réinventer en entreprise ce qui existe dans toutes les sociétés coutumières depuis l'origine de l'homme. Je prends un exemple, chez les Dogons au Mali, Historiquement, il y a un conflit, la coutume a déjà défini ce qu'on va faire. Et il y a trois étapes. Étape 1, j'en parle en face à face. Et ça, ce n'est pas toujours simple. Étape 2, j'ai le droit de ne pas y arriver. Le conflit peut être simple, il peut être d'une complexité absolue parce qu'il y a beaucoup d'émotions, je suis touché dans mes valeurs, c'est systémique au sens qu'on voit le travail, une personne dans une équipe, dans une organisation en prise avec des parties prenantes diverses ou un système externe. Ça peut être trop compliqué pour une personne. Donc, étape 2, possibilité d'une médiation. Alors, dans toutes les sociétés, c'est toujours en cercle. On est en cercle, on est assis. Chez le Dogon, ils ont une case dédiée avec des grosses poutres en bois à 1,30 m du sol. Parce que non seulement on est assis, mais si on se relève brusquement, on a compris que ce n'est pas possible. Un petit coup derrière la tête, ça calme. Et la médiation n'est qu'une obligation de moyens, pas de résultat. Si la médiation n'aboutit pas, étape 3, ça part chez les sages qui se concertent et qui prennent une décision. Et si on ne respecte pas la décision, c'est l'exil. On doit quitter la communauté, ce qui veut dire mort sociale, voire mort tout court dans certains contextes de l'époque. Et donc, la coutume a déjà prédéfini, et donc on est relativement rassuré et protégé par le cheminement que l'on va suivre, et on sait qu'il y a plusieurs étapes. Et en fait, c'est ce qu'on met en place dans les entreprises aujourd'hui. Ça existe aux États-Unis sur le terme « dispute resolution system » , où on va préciser graduellement ces étapes, comme chez les Dogons, et ça se met de plus en plus. En place, en France, dans plein d'entreprises.

  • Speaker #0

    En fait, on revient à ce qu'on disait initialement quand tu parlais de la Nouvelle-Calédonie, c'est vraiment cette question de process. Et moi, j'utilise souvent le terme process design, mais qui signifie tout simplement, on reconnaît qu'on est en phase de désaccord et on va mettre en place une procédure de façon à structurer le dialogue. Et en effet, c'est intéressant finalement de cet exemple d'une gradation dans la résolution. C'est vraiment pertinent parce que finalement, on ne mélange pas tout. Quand on fait ça, on arrive à décortiquer un peu la situation et puis y apporter progressivement des réponses adaptées.

  • Speaker #1

    C'est ça, et c'est tout un écosystème. Quand ce sont les conflits du travail, ça ne marche qu'à travers un chaînage. très serré entre les représentants du personnel, les RRH, le médecin du travail. Il faut que tout le monde soit un peu co-responsable du système interne. Et donc, s'il y a quelqu'un qui vient voir, je ne sais pas, un représentant du personnel, il va lui dire, est-ce que tu lui en as parlé directement ? Non, je n'ose pas. Est-ce que tu veux que je t'aide à trouver les mots pour lui dire ? Est-ce que tu veux dire par oral, par écrit ? C'est la première phase, on ne va pas directement aller en médiation tant qu'on ne lui a pas accordé le bénéfice du doute. Le corps social fait bloc autour du système.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire que tout le monde doit avoir... le même niveau de connaissance, de formation ou la capacité à orienter. Ça ne veut pas forcément dire réagir avec les outils de la médiation, par exemple. Ce n'est pas forcément une médiation, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Non, la médiation est un des outils au service de la gestion du conflit.

  • Speaker #0

    Donc, c'est créer un écosystème interne qui va permettre de désamorcer les conflits dans l'entreprise.

  • Speaker #1

    Exactement. Et si on transpose le système Dogon en entreprise, on garde le système 1, on en parle en face à face, on garde le système 2. On n'y arrive pas, on offre un cadre sécurisé pour recréer les conditions du dialogue à travers une médiation. Par contre, le système des sages et des anciens, c'est ce qu'on appelle des solutions RH. Et là, on a une panoplie de possibilités plus importantes. Est-ce qu'il faut lancer un coaching ? Est-ce qu'il faut former une équipe ? Est-ce qu'il faut réorganiser le travail au niveau des charges ? Il y a parfois des compétitions. Est-ce qu'il faut lancer une expertise ? Est-ce qu'il faut rentrer dans du disciplinaire parce qu'il y a des comportements déviants ou toxiques qui ont été observés ? Et donc, on a une panoplie plus importante. Mais si on y va graduellement, on évite aussi de se retrouver, comme j'ai pu le voir dans certaines entreprises, où on attaque directement. Alors, soit on ne fait rien jusqu'à ce qu'on ait des arrêts, des risques dans tous les sens. Soit on attaque au bas ou cas sans avoir permis un dialogue ou une explication préalable.

  • Speaker #0

    Oui, le pendant de ça, ça va être tous les symptômes de... Arrêt maladie à répétition, litiges,

  • Speaker #1

    baisse de productivité, des impacts en termes d'images et de réputation dans les médias, des plantages de projets. Le coût du conflit peut être considérable.

  • Speaker #0

    Jusqu'aux situations les plus graves qui sont les suicides et ça devient en fait quelque chose, on peut dire systémique.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre qu'on n'a jamais vraiment expliqué mais qui est une constante dans l'humanité, dans toutes les communautés. extrêmement tragique mais Un enfant sur dix subit du harcèlement scolaire. Une femme sur dix subit des violences intrafamiliales. Un salarié sur dix subit du harcèlement moral. Et donc, si dans une communauté humaine, qu'elle soit scolaire, famille, entreprise, on n'a pas des modes de régulation, on ne peut pas traiter les situations les plus graves.

  • Speaker #0

    Si on a mis en place les processus adaptés, on pense qu'on peut résoudre ces difficultés ? Oui. Un exemple, au Canada, ils avaient lancé un programme qui s'appelait Ensemble vers le Pacifique à l'école primaire. Et on s'est aperçu qu'on a fait plein d'expériences en France aussi depuis, notamment Jean-Pierre Bonnet-Feschmidt sur la médiation scolaire à l'école. Aujourd'hui, France Médiation dans tous les collèges, lycées. Que l'âge certainement le plus judicieux pour apprendre ça, c'est le CM1, CM2. Et qu'au Canada, il est formé à la négociation au CM1, médiation par les pairs. Un lieu disposé comme chez les Dogons, en québécois, ça s'appelle la cabane à pas de chicane. Et ensuite, niveau 3, régulation par les profs, évidemment les instit, etc., qui ont un temps de régulation de vie de classe pour traiter selon les termes, les plaintes ou les difficultés, voir si les médiations ont permis de régler les problèmes ou s'ils doivent intervenir pour mettre fin à des situations qui ne sont pas réglées.

  • Speaker #1

    Oui, c'est le moment de l'intervention du tiers neutre qui va être cette aide extérieure. quand on a... déjà essayer de mettre en place des choses internes. Après, tu parles de culture. On sait que le Canada est très avancé sur ces approches. On en parle de plus en plus en France aussi, en Europe en général. Mais qu'est-ce qui fait qu'on ne va pas avoir le réflexe médiation, négociation, dialogue, un peu partout, dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans l'école ? Ce n'est pas encore quelque chose qui s'est généralisé.

  • Speaker #0

    C'est mieux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est mieux,

  • Speaker #0

    ça progresse,

  • Speaker #1

    mais lentement.

  • Speaker #0

    Lentement, il y a plusieurs réserves. Il y a la peur de perdre la main, notamment au niveau de la ligne hiérarchique. Dès qu'on a fait intervenir un tiers, il y a toujours la peur qui se mêle de nos affaires et qui prennent des décisions à notre place. Le mot médiation en lui-même a une connotation parfois négative au sens conflit grave. Attention, j'ai vu ça, parfois on m'a demandé de faire une médiation et d'appeler ça coaching collectif plutôt que médiation, parce que médiation, ça faisait peur et qu'on allait croire que c'était très, très grave. Donc, il y a ça. C'est pour ça que je crois beaucoup à l'école pour un peu vulgariser un peu le terme. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Non, mais la sémantique, elle est importante. On en parle à chaque épisode de ce podcast. Il y a toujours une question sur la sémantique. On sait que le mot médiation, c'est un mot qui est connoté, soit de façon comme quelque chose d'un peu grave. Ou alors comme quelque chose d'un peu chamallow, là c'est plus pour la partie justice, mais chez les avocats en tout cas, il y a une croyance que la médiation, c'est le moment où on va vivre le monde des bisounours, alors que c'est vrai dans aucun des cas. Et donc il faut aussi faire pédagogie autour de ce terme.

  • Speaker #0

    Et en plus c'est un terme qui s'est stabilisé dans la langue française assez récemment. On a retrouvé un des premiers livres sur la médiation en France. qui date de 1666, qui a été écrit par Alexandre de Laroche, qui s'appelle L'Arbitre Charitable. C'est un bouquin qui était passé sous les radars pour deux raisons. Déjà, le titre, L'Arbitre Charitable, on n'a jamais pensé que c'était un bouquin sur la médiation. Et deux, c'était écrit par un curé. C'était moins évident d'aller sur ce terrain-là, mais ce qui est intéressant, c'est que il utilise plusieurs termes. À l'époque, on parlait de moyenneur, d'arbitre charitable, d'amiable compositeur, il y avait plein de termes. Et on voit à travers ses écrits... Je trouvais ça très savoureux. On sent, en gros, que la plus grande médiatrice de l'histoire de France, Catherine de Médicis, qui a géré huit guerres de religion, on lui a collé la Saint-Barthélemy, mais les historiens modernes reviennent sur cette histoire. Elle a fait des médiations entre Henri de Navarre et la future reine Margot, qu'à un moment donné, elle ne sait pas, elle va les voir pour les réconcilier, elle ne veut pas la voir, Henri de Navarre. Elle se met dans le couvent à côté, elle attend un mois. Et au bout d'un mois, il craque, il accepte de la voir, elle fait sa médiation, elle les réconcilie. À la fin de sa vie, elle continue des médiations entre catholiques et protestants sur un brancard, à bout de force. Et Henri de Navarre a visiblement été très impressionné par Catherine de Médicis. Quand il a rédigé l'édit de Nantes, c'est une accumulation des accords et des traités qu'elle avait déjà moyennés, pour le coup. Et en 1610, Alexandre de Laroche raconte qu'Henri IV, la main de les rois, décide de mettre en place la médiation dans tout le royaume de France. Et malheureusement, il est décédé six mois plus tard, assassiné. Et sa réforme ne se fera que dans le Sud. Et j'ai rencontré quelqu'un qui m'a expliqué que le sépoune, en langage provençal médiateur, existe toujours à Saint-Tropez. Et Alexandre de Laroche explique, il faut lire un peu à travers les lignes, qu'en 1666, c'est Louis XIV, que Louis XIV vient de défaire l'édit de Nantes, que ce n'est pas trop le style médiation, et que dans la mesure où les conflits augmentent dans le Royaume de France, Merci. lui il dit que c'est au rôle de l'Église de le faire maintenant et donc il donne des méthodes pour développer la médiation dans tous les diocèses et son bouquin à l'époque a été édité à 10 000 exemplaires, c'est considérable.

  • Speaker #1

    Le sépoune.

  • Speaker #0

    Le sépoune.

  • Speaker #1

    Bon, alors, on a encore appris un nouveau terme aujourd'hui, mais de toute façon, tu nous as fait voyager dans tellement de... à la fois de culture et de moments de l'histoire. J'ai bien compris que c'était ta passion, c'est tous ces personnages de l'histoire. Est-ce qu'il y a un personnage que tu as envie de raconter par ses talents de négociateur ? Ah bah oui. Ah oui, ok.

  • Speaker #0

    Louis XI.

  • Speaker #1

    Alors, Louis XI, c'est parti.

  • Speaker #0

    Je suis un grand fan de Louis XI, qui a une légende noire. Et ça, je me suis rendu compte que... tous les grands négociateurs de l'histoire de France ont tous une légende noire. C'est-à-dire que celui qui meurt au combat droit dans ses bottes est un héros, celui qui fait un traité de paix en chambre confidentielle, on ne sait pas trop comment, est un manipulateur. Donc Louis XI, c'était l'universel araignée, Catherine de Médicis, c'était la serpente, Mazarin, c'était le vautour, et là on parle des plus grands diplomates de l'histoire de France. Louis XI donc en On essaie de le réhabiliter sur sa capacité à rebâtir, reconstruire le royaume de France. Son plus grand ennemi à l'époque, c'est Charles de Téméraire, le duc de Bourgogne, qui a à peu près cinq fois plus de terres et qui est dix fois plus riche. Et le duc de Bourgogne, Charles de Téméraire, s'est marié avec la fille du roi d'Angleterre, Édouard IV. Et donc, du fait de ce mariage, il fait partie de ce qu'on appelle l'ordre de la jartière. C'est un peu comme l'équivalent de l'autre. temps. S'il y en a un qui se fait agresser, l'autre lui doit assistance. Fort de cela, Édouard IV débarque à Calais avec une armée équivalente à celle de Louis XI, mais avec l'ordre de la Jartière. Il appelle Charles le Téméraire, qui a une armée bien plus importante, et il sait qu'il va finir Louis XI, et donc finir la guerre de Cent Ans facilement. Et là, Louis XI, il est quand même très, très mal, et il va avoir un coup de génie stratégique. D'abord, il a créé l'ordre de Saint-Michel. où il a créé des loyautés avec les seigneurs de son temps. Et donc, il va demander au duc de Lorraine d'aller déclarer la guerre à Charles de Téméraire. Et il lui dit, je paye évidemment tous les mercenaires suisses qu'il te faut, mais tu vas me scotcher Charles de Téméraire pour qu'il ne rejoigne pas Édouard IV. Ce qu'il va faire, et donc Charles de Téméraire va aller voir Édouard IV en disant, j'arrive, mais laisse-moi un peu de temps que je finisse le duc de Lorraine. Et donc, Édouard IV est enquisté à Calais. Ça ne se passe pas comme prévu. il lui déclare quand même la guerre et là Louis XI lui dit au champion envoyé par le roi d'Angleterre, il dit « Je te paye 1000 écus si tu m'expliques comment est-ce que je peux rencontrer Édouard IV pour discuter. » Et il va organiser des pourparlers à Piquigny, sur une île qui s'appelle l'île de la Trève. Ils vont construire un pont avec des grandes cages en bois pour pouvoir se parler sans se mettre un coup d'épée parce qu'on ne désarme pas un roi à l'époque. Et Louis XI va faire ce qu'on appelle en négociation, et c'est assez unique dans l'histoire, il va lui bâtir ce qu'on appelle un communiqué de victoire, c'est-à-dire Merci. créer le discours pour qu'il reparte chez lui sans se battre. Si on avait mis ça en place en 1919 au traité de Versailles, on aurait peut-être évité une Deuxième Guerre mondiale. Donc il lui rembourse sa campagne, 75 000 écus d'or, plus les intérêts, plus bouffe à caler pour les archers. Et il a dit, j'ai mis fin à la guerre de son temps avec quelques pièces d'or et du pâté. Évidemment, ça ne suffit pas, le roi d'Angleterre ne saurait être acheté, donc il lui promet un mariage avec le dauphin, le futur Charles VIII. et sa fille. Et pour ne pas honorer ce point de l'accord, il va créer un nouveau métier, le métier de diplomate. Et donc, de 75 à 1483, il envoie ses diplomates pour organiser le mariage avec des mandats extrêmement courts pour que ça ne se fasse pas. Et évidemment, Charles VIII se mariera avec Anne de Bretagne, qui est le territoire qui lui manquait.

  • Speaker #1

    En quoi est-ce que déjà ça t'inspire ? Et en quoi est-ce qu'on peut peut-être tirer quelques leçons sur notre actualité aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Mais... Parce qu'en plus, Louis XI a rédigé le Rosier des guerres pour son fils Charles VIII, qui est un peu son testament politique. Il donne plein de bons conseils politiques qui sont toujours applicables, avec des formules très savoureuses. Subtilité vaut mieux que force. Après, c'est en vieux français aussi, mais en gros, il vaut mieux négocier parce qu'on peut encore amender sa pensée, alors qu'en guerre, une fois que c'est parti, on ne peut plus revenir en arrière. Il dit qu'un bon roi doit pouvoir visiter son peuple. comme un jardinier, son jardin, donc toujours aller sur les routes, au-devant des personnes, pour entendre leurs besoins, se faire connaître, créer du lien. Il a passé sa vie à faire ça. Puis il disait « Que l'orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de près. » Et ça, c'est tellement vrai.

  • Speaker #1

    On s'en souvient un petit peu moins que de ceux qui sont prêts à s'engager sur le champ de bataille. Et donc, l'histoire est moins marquée par ce type de héros.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Il y a un autre sujet qui t'est cher, Jean-Edouard, c'est celui du don. J'aimerais bien qu'on passe quand même quelques minutes à en parler, notamment au travers d'un ouvrage qui s'appelle « La révolution du don, le management repensé par l'anthropologie » . Qu'est-ce que c'est que cette notion du don ?

  • Speaker #0

    C'est la notion la plus essentielle, si j'ose dire, puisque c'est ce qui permet de comprendre comment nos liens se font, se défont, comment la confiance s'installe et la défiance peut se provoquer. Il faut se rapporter aux travaux de Marcel Mauss, qui est le père de l'ethnologie scientifique française, qui est le neveu de Durkheim, qui a très peu fait de terrain, mais qui parlait onze langues et qui a lu tous les récits ethnographiques de son temps et qui a découvert ce qu'il appelle un fait social total. c'est-à-dire que dans toutes les sociétés, en Afrique, en Océanie, en Asie, en Europe, à tous les temps de l'humanité, chez les Inuits, peu importe, les rapports sociaux ne sont pas fondés sur le troc, sur le marché, sur le donnant-donnant, mais sur ce qu'il appelle le don. Et en fait, ces relations se créent à travers des dons et des contre-dons qui provoquent la confiance. Et ce qui va distinguer le don de la négociation, c'est au moins deux choses. D'abord, l'inconditionnalité. C'est-à-dire qu'on donne sans savoir si on recevra quelque chose en retour. C'est un pari de confiance. Alors que quand on négocie, si on ne sait pas ce qu'on a en retour, il y a un sujet. pas de concession sans contrepartie. Et la deuxième différence, c'est qu'on ne quantifie pas. Quand on fait un cadeau, on cache le prix. Quand on rend un service, on ne dit pas qu'on y a passé trois heures. On dit que c'est l'intention qui compte. Le lien importe plus que l'objet de l'échange. Et donc, dans le don, qu'est-ce qui va circuler ? C'est essentiellement du temps. C'est du feedback, de la reconnaissance. C'est des petites attentions du quotidien. C'est des coups de main. C'est ouvrir son carnet d'adresses. partager son expérience, ses connaissances, l'information dont on dispose. C'est des choses extrêmement précieuses pour fonctionner en collectif. Et c'est ce qui nous permet de savoir à qui se fier. Très clairement, c'est ce qui va créer les loyautés. Donc,

  • Speaker #1

    c'est vraiment la notion de générosité, être en lien sans contrepartie, sans en attendre un retour, mais être aussi dans la vie, dans la société. C'est finalement le vivre ensemble, non ?

  • Speaker #0

    C'est la qualité du lien, le vivre ensemble tout à fait.

  • Speaker #1

    C'est exactement le constat qu'on fait aujourd'hui, c'est que cette individualité, une société qui a du mal à être en lien, on a du mal à recréer ces espaces où on se lie, mais par de la bienveillance, de l'intergénérationnel, de la rencontre des anciens, des enfants, de la famille. Tout ça, aujourd'hui, on manque d'espace. Comment tu utilises cette notion du don dans ton travail ou peut-être dans la société ? Quel est le message ?

  • Speaker #0

    Ce que tu dis est très vrai. Les solitudes augmentent. C'est documenté par la Fondation de France, notamment. On est passé de 9% à 12% de personnes seules. 23% des Français n'ont qu'un seul réseau social, soit le travail ou la famille, majoritairement. Et donc, ça nous met en situation de fragilité. Plus les réseaux sont importants, plus la qualité des liens est importante, plus on a des amortisseurs sociaux, du soutien social et des opportunités dans la vie. littéralement. Moi, je l'utilise quotidiennement dans mes médiations, dans les conflits du travail parce que quand j'arrive dans un collectif de travail et que je leur dis, si à un moment donné ça allait bien entre vous, à quoi vous pouviez voir que ça allait bien ? Et j'ai que des réponses en clé de don, entre guillemets. On riait, on buvait des cafés, on déjeunait, puis en fonction des... Il y avait des coups de main, de l'entraide, et en fonction des régions, on va avoir des composantes culturelles. On mangeait de la brioche en Vendée. du saucisson je ne sais où, etc. ou n'importe quoi, des after work, des trucs, il y a des rituels. Et depuis que ça ne va plus, c'est la soupe à la grimace, on a mal au ventre, on ne boit plus de café, on ne rigole plus, il n'y a plus de coup de main, on ne sait plus vers qui se tourner, etc. Et donc tout le travail, c'est de comprendre où est-ce qu'il y a eu mal donne, où est-ce qu'on s'est raté, qu'est-ce qui a à un moment donné créé le coup de canif dans le contrat de confiance. On dit que la confiance se gagne en gouttes, se perd en litres. comment comprendre ce qui a créé cette hémorragie de confiance. et voir ce qui peut la reconstruire.

  • Speaker #1

    On arrive tranquillement à la fin de cet épisode, mais au travers de tout ce que tu as décrit, c'était une balade sur toutes ces belles qualités qu'on a envie de cultiver, de préserver, d'engager pour conserver le lien et l'entretenir sous la meilleure forme possible. Donc finalement, quelle serait pour toi la qualité essentielle du médiateur ?

  • Speaker #0

    J'ai travaillé avec les négociateurs du RED qui disaient « L'écoute est notre arme » . C'est évidemment un travail d'écoute, mais quand on dit ça, c'est quelle écoute ? Ça demande de la disponibilité, mais aussi un désarmement de ces préjugés, un désarmement culturel. On a parlé de ne pas rester ethnocentrique par rapport à la personne qu'on rencontre, ne pas juger. Je voudrais quand même une deuxième chose que je vois quand je forme. Je trouve qu'un des éléments les plus difficiles, c'est de lâcher prise littéralement sur la recherche de solutions. Je rencontre beaucoup de publics très orientés à la solution et qui sont un peu impatients de pousser la solution et en allant trop vite, qui vont bloquer ou empêcher le processus.

  • Speaker #1

    C'est très pertinent, c'est vrai que quand on pense problème, on pense immédiatement solution. On ne pense pas au chemin à parcourir pour arriver à la construction d'une solution qui convienne à chacun et peut-être à tout le monde dans le meilleur des cas. Mais tu as bien expliqué le fait que c'est un parcours. c'est pas quelque chose d'automatique et donc si on est focalisé solution dans une négociation ou dans une médiation, et bien peut-être ça va empêcher d'être en écoute active et de créer l'espace nécessaire Est-ce qu'il y a un film ou un événement ou un livre que tu aurais envie de partager et qui inspire ta pratique ?

  • Speaker #0

    Sur la Nouvelle-Calédonie j'ai adoré le documentaire qui s'appelle Les médiateurs du Pacifique qu'on peut... télécharger gratuitement sur le site de la Fondation Roca. Et puis plus récemment, j'ai adoré le documentaire Je n'oublierai jamais vos visages. C'est passionnant de voir que même dans les situations de violence, c'est difficile de se reconstruire sans ce dialogue. Il faut bien distinguer la sanction par rapport à un comportement déviant ou déictuel, voire même criminel, et la capacité de se relier à nouveau à l'humanité qu'on retrouve euh... Presque chez tout le monde.

  • Speaker #1

    Dans ce podcast, il y a plusieurs épisodes sur la justice restaurative avec un regard croisé entre les différents pays sur ce qui se fait. Donc, je t'invite à écouter les épisodes de Humankind sur ce sujet. Est-ce que tu as envie de partager un conseil pour bien vivre ce métier ?

  • Speaker #0

    Un des conseils qui m'a le plus aidé, c'est une phrase toute simple, un peu mantra. Ne leur vole pas leur peine. Ça ne va pas les aider d'être plus tristes. que ce qu'ils vivent, ça ne va pas les aider d'être plus en colère par rapport à ce qu'ils ont subi ou au sentiment d'injustice. Et donc je me dis souvent ça, quand je sens que l'empathie, une empathie trop forte peut m'envahir, ne leur vole pas leur peine, ça ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Jean-Edouard pour ta participation à Humankind, créateur de Dialogue. Grâce à toi, la saine conflictualité se déploie encore un peu plus et je t'en remercie.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Faiza.

  • Speaker #1

    Cet épisode de Humankind, créateur de dialogues, est terminé. Si ce podcast vous a plu, n'oubliez pas de lui donner des étoiles ou encore de le partager sur vos réseaux. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous. Et si vous souhaitez poursuivre la conversation, retrouvez-moi sur LinkedIn, Faiza, Alec, d'Olivet. Un grand merci à l'espace F360 de nous avoir accueillis pour ce podcast. Cette librairie indépendante à Paris incarne des valeurs en phase avec celles de Humankind pour contribuer à travers les arts. la littérature et la culture à un monde plus humain. A très bientôt !

Chapters

  • Introduction à la médiation et son importance

    00:06

  • Dialogue entre Faiza et Jean-Edouard sur les conflits

    01:15

  • Définition et origine de la médiation dans l'histoire humaine

    03:01

  • Approche anthropologique de la médiation

    05:13

  • Exemples historiques de médiation en Nouvelle-Calédonie

    07:07

  • Les étapes de la négociation et de la médiation

    08:59

  • Comprendre le conflit et la conflictualité saine

    15:11

  • Créer un environnement de saine conflictualité

    23:21

  • La notion de don et ses implications dans la médiation

    41:02

Description

Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateurs de Dialogues, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation.

Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi.

C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grésy, mon nouvel invité. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus.

Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux.

Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent.

Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau.


Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, Jean Edouard est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel Araignée.


Bonne écoute!


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Transcription

  • Speaker #0

    Humankind, créateur de dialogue, le podcast qui donne la parole à ceux qui, à travers le monde, font la médiation. Je suis Paisa Alec Daudivet, avocate au barreau de Paris et médiatrice certifiée. Chaque mois, je décortique les aspects concrets de cette pratique avec un expert. Bien plus qu'un simple outil de justice négociée, la médiation. c'est avant tout un processus de transformation des conflits par l'émergence du dialogue dans tous les terrains accidentés de nos vies, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux ou juste humains. Humankind, c'est un lieu d'échange pour comprendre les mécanismes et les enseignements de la médiation, avec celles et ceux qui la font vivre sur le terrain. Et pour ceux qui se posent encore la question, voici mon invitation. Soyez créatifs. Changez de perspective. Explorez, soyez audacieux, soyez courageux, soyez vulnérables, définissez vos intentions, projetez l'avenir, apportez du changement, soyez le changement. Maintenant, bienvenue à la table des négociations. Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateur de Dialogue, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation. Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi. C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grézy, mon invité d'aujourd'hui. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus. Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux. Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent. Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau. Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, il est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel a régné. Jean-Edouard, je suis ravie de te recevoir pour cet épisode de Humankind.

  • Speaker #1

    Merci, merci Faisan de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Pour commencer cette conversation, Jean-Edouard, j'ai envie de te poser une question toute simple. Est-ce que tu peux définir d'où vient la médiation ?

  • Speaker #1

    D'aussi loin que remonte l'humanité. Il y a un méthologue passionnant qui s'appelle Franz De Waal qui a été... travailler sur le concept de mâle alpha et de femelle alpha. C'est intéressant parce que ce sont des mâles alpha chez les chimpanzés, des femelles alpha chez les bonobos. Et ce qu'il a observé, contrairement aux idées reçues, le mâle alpha ou la femelle alpha ne sont pas les plus costauds, ceux qui vont casser la figure des autres. Ils sont au contraire cooptés. Et il ne reste mâle ou femelle alpha qu'à deux conditions essentielles qu'il a pu observer. La première, il préserve la paix dans la communauté. Il a observé des scènes de médiation, littéralement. Et deux, dès qu'il y a quelqu'un qui a un deuil, qui est blessé, il vient tout de suite apporter soin. Donc, il s'épouille. C'est tout un langage, effectivement, qui leur est propre. Mais évidemment, la médiation remonte aux origines de l'humanité. C'est une certitude.

  • Speaker #0

    Et donc, le rôle de ce mâle alpha, c'est un créateur de liens et un créateur de dialogues ?

  • Speaker #1

    Oui, on retrouve ça dans toutes les communautés humaines. Moi, j'ai fait de l'anthropologie du droit, c'est la science de la coutume et c'est l'oralité juridique. et on définit avant que le conflit ne naisse, la manière dont on va la gérer. J'avais travaillé à un moment donné avec des généalogistes pour travailler sur des grosses, des notaires des 15e, 16e siècle. Donc il faut avoir quand même un peu de capacité de lire le français ancien, ne serait-ce que déchiffré. Et c'est passionnant de voir qu'il y a un nombre d'accords de règlements amiables majeurs. On avait calculé plus d'un tiers à presque la moitié de certaines grosses de notaires, avec des formules d'époque que je trouve très savoureuses, pour obvier justice, pour que bonne paix... et véritable amour se fassent entre les parties. En gros, ils ne savent pas écrire à l'époque, la plupart des habitants de la France. Donc, ils rencontrent un tiers qui n'est pas toujours indiqué dans l'acte. Et ensuite, ils vont chez le notaire qui rédige et il signe d'une croix. Voilà. Donc, c'est quelque chose d'extrêmement ancien pour préserver la communauté et éviter sa dissolution et la violence de tous contre tous, tout simplement.

  • Speaker #0

    Donc, tu parles de l'anthropologie. En quoi est-ce que cette approche anthropologique, cette recherche sur l'espèce humaine ? est en lien avec la médiation.

  • Speaker #1

    Ce qui m'a intéressé dans l'anthropologie, c'est la démarche, déjà en termes d'études, c'est ce qu'on appelle l'observation participative, c'est-à-dire qu'on doit faire partie de l'expérience que l'on observe pour pouvoir mieux la décrire. Et donc il y a tout un travail pour ne pas tomber dans ce qu'on appelle l'ethnocentrisme, donc il faut arriver à se désacculturer, se déconstruire un peu par rapport à nos représentations du monde pour accéder aux représentations du monde de l'autre ou des personnes qu'on observe. Donc déjà c'est une démarche de médiasuparaissance, c'est peut-être le point le plus difficile de se... déconstruire ou en tout cas d'apprivoiser plus ou moins ses préjugés et ses représentations.

  • Speaker #0

    Tu veux dire déjà pour être en lien avec l'autre ?

  • Speaker #1

    Pour être en lien et pour être en capacité d'observation. Parce que si je plaque ma propre grille de lecture sur ce que je vois, sur une autre culture, je passe à côté... Je vais donner un exemple très simple. Quand la France arrive en 1853 en Nouvelle-Calédonie, face à des Kanaks qui sont là depuis 3000 ans, ils leur disent, je caricature, mais c'est à qui cette terre ? Et le Kanak, à l'époque, ne comprend pas la question. puisque la notion de propriété n'existe pas. La nature est une entité en soi et on ne peut pas la posséder. Donc, le canaque ne comprend pas la question et quand le français colon arrive et lui dit « Tu peux signer ici pour cet acte de propriété, contre un fusil, une bouteille de whisky, de rhum, il signe. » Et le lendemain, il revient à l'endroit et là, le français lui dit « Maintenant, c'est à moi. » Et là, il ne comprend pas. Donc, il met des barrières, il y a des révoltes, etc. si je ne rentre pas pas dans la culture et les représentations du monde. Et ce qui est fou, c'est qu'on est en 2025, on est à nouveau sur un conflit terrible en Nouvelle-Calédonie, et il y a cet ethnocentrisme qui est toujours là, et cette incapacité à passer d'une culture à l'autre, de faire médiation littéralement entre ces deux peuples.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, on n'arrive pas à avancer vers un dialogue qui soit plus construit, une fois qu'on a fait le constat que tu viens de faire ?

  • Speaker #1

    C'est d'autant plus tragique en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu la chance de rencontrer la mission du dialogue, c'est-à-dire Christian Blanc, Pierre Steinmetz, Christian Causart à l'époque. J'en ai fait un roman graphique qui s'appelle La solution pacifique. C'est d'autant plus triste que la démarche et le processus avaient fonctionné en 88 et que quand il y a eu à nouveau les émeutes, les Kanaks ont demandé une mission du dialogue qui a mis beaucoup de temps à se mettre en place et qui commence un petit peu à... à se mettre en place, mais on a perdu énormément de temps. Il a fallu aller à nouveau dans une escalade de violence terrible pour que les parties prenantes acceptent peut-être de commencer à discuter. Le point le plus difficile, c'est d'accepter de faire venir les adversaires à la table dans un conflit à haute intensité. Et ce qui est passionnant de la mission Rocard à l'époque, en 88, c'est qu'il avait bien compris ça, parce qu'il avait une grande profondeur historique, Michel Rocard. Et il a désigné ce qu'il appelait des médiateurs sécants à l'époque, c'est-à-dire il cartographie les acteurs. Côté Caldoche, c'était Jacques Lafleur, c'était un protestant, un franc-maçon. Donc il envoie le représentant de l'église protestante, le représentant de la loge qui va bien. Jean-Marie Djibaou, c'est un ancien curé. Il envoie le représentant de l'église catholique, un préfet crocardien, baladurien, pour que la mission ne soit pas instrumentalisée sur le plan politique. et cette mission va faire un travail exceptionnel pour arriver à passer dans le camp de chacun et établir la feuille de route, l'ordre du jour qui va être ensuite négocié à Matignon et débouché sur les accords, mais c'est une mission exceptionnelle.

  • Speaker #0

    Je m'arrête un tout petit peu là-dessus parce que ce qui est intéressant dans ce travail que tu décris, qui est en effet sur un conflit à haute intensité, il faut penser la façon dont on va s'asseoir à la table. Par moment, dans les conflits, de façon très générale, on ne réfléchit pas, on se précipite. Donc cette question du temps et de la façon de construire le dialogue Merci. Pourquoi c'est important ?

  • Speaker #1

    En négociation, on dit souvent qu'il faut définir un accord de méthode avant de dérouler la méthode. C'est le point le plus difficile. Qui va être autour de la table ? Quel va être l'ordre du jour ? Où est-ce qu'on va se rencontrer ? Combien de temps va se donner ? Qui sera éventuellement tiers pour faciliter les échanges ? Est-ce que les représentants ont un mandat suffisamment flexible pour pouvoir discuter ? Donc, tous ces éléments sont assez peu travaillés en général. ça demande de la préparation, ça demande un peu de temps et de stratégie à mettre en place et c'est souvent bâclé. Pour reprendre l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, ça reste la dernière colonie française, il ne faut pas l'oublier, et avant c'était géré par le Premier ministre puisque c'était une affaire internationale qui est suivie par l'ONU. Quand vous demandez au ministre de l'Intérieur de s'occuper de la Nouvelle-Calédonie, symboliquement, vous n'envoyez pas le même message. Et quand vous demandez à Sonia Baques, qui est loyaliste, d'être secrétaire d'État, vous envoyez encore un autre message. Les symboles sont hyper importants. Le symbolique, c'est le contraire du diabolique. Le symbole, c'est ce qui rapproche, ce qui réunit. Le diabolique, diabolone, c'est ce qui divise. Et on est rentré dans une logique un peu diabolique.

  • Speaker #0

    Donc il y a tout ce qui va entourer la construction du dialogue qui va avoir un impact sur le succès ou l'échec d'un processus de négociation ou résulter dans des violences assez extrêmes. comme ça a été le cas. Après la violence, qu'est-ce qui se passe ?

  • Speaker #1

    Ce que disait Michel Rocard, c'est peut-être un peu triste, mais dans certains conflits à haute intensité, parfois, il faut aller à un niveau de violence tel que les acteurs s'aperçoivent qu'il n'y a pas d'échappatoire autre que la paix. A savoir, on a tout détruit, il y a eu des morts de chaque côté, on voit qu'on ne s'en sort pas. Du coup, le coût du conflit a atteint un tel niveau qu'on n'a plus d'autre choix que de discuter. C'est vrai dans certaines situations. Malheureusement, on a pu aussi observer dans l'histoire que l'humain est tenace et qu'il peut aller dans la violence de tous contre tous dans certaines extrémités, quitte à tout perdre. Donc oui, il faut pouvoir documenter le coût du conflit pour amener les personnes à mieux comprendre ce qu'ils pourraient gagner à s'entendre. Mais quand on arrive à la violence à un certain niveau d'intensité, c'est très difficile aussi de redescendre.

  • Speaker #0

    En effet, et documenter le coup du conflit, mais aussi le vivre, le ressentir peut-être dans sa chair, à tel point qu'on se sente en capacité à faire le pas vers l'autre.

  • Speaker #1

    Oui, là aussi, sur la Nouvelle-Calédonie, c'est très intéressant parce qu'on a eu des hommes exceptionnels à l'époque. C'est-à-dire que Jean-Marie Djibahou, quand il y a un attentat qui a échoué contre lui, il perd deux frères dans l'attentat. Le jour même, il appelle sa communauté à ne pas se venger. Il est parti faire des études d'ethnologie en France. pour essayer d'expliquer la culture de son peuple aux Français avec nos mots et nos grilles de lecture. C'était déjà un Nelson Mandela avant l'heure. Quelqu'un qui était dans cette logique de, pour tourner la page encore, faut-il l'avoir lue, c'est-à-dire l'avoir comprise, documentée et arriver à se projeter sur un avenir commun en intégrant les contraintes de chacun. Toutes les époques n'héritent pas de gens aussi sages, aussi clairvoyants. Il faut arriver à les trouver. Quels sont les représentants des deux camps qui ont cette hauteur de vue ?

  • Speaker #0

    Il n'a pas été entendu ?

  • Speaker #1

    Jean-Marie Dibaou ? À l'époque, c'est toute une histoire. C'est-à-dire qu'au début, non. Il a fallu le drame de la grotte d'Ouvéa où l'armée française a donné l'assaut. Il y a eu 19 morts côté Canac, des morts aussi côté de l'armée. Mais il a été entendu comme leader de son peuple incontournable. Il a été entendu parce que... était capable de traduire les aspirations des Kanaks avec une légitimité exceptionnelle. La difficulté qu'il y a eu, parce qu'il a été assassiné, c'est que, encore une fois, il y a eu un problème interculturel. C'est-à-dire que dans ce que j'ai compris de la culture kanak, on ne donne pas un mandat comme ça, normalement, historiquement. C'est-à-dire qu'on ne donne pas un mandat à Jean-Marie Djibahou pour aller négocier à Matignon. Normalement, s'il y a négo... sur des sujets qui n'ont pas été discutés avec les communautés, il doit revenir vers les communautés, rediscuter et revenir à la table. Et ça, on ne lui a pas permis de le faire. Et donc, il a dû prendre des engagements au-delà du mandat qui lui était confié. Et quelque part, effectivement, certains ultras de son camp l'ont vécu comme une trahison, ce qui a abouti à son assassinat, qui était une tragédie terrible.

  • Speaker #0

    C'est un exemple pertinent dans le monde d'aujourd'hui, et la complexité multiculturelle, c'est toujours ce questionnement sur comment est-ce qu'on peut, dans tel chaos, reconstruire du dialogue, du respect mutuel, quand la relation est autant entachée. Est-ce que c'est même possible ?

  • Speaker #1

    Là, on parle de conflits ultra complexes, puisque internationaux, avec énormément de parties prenantes. Si on redescend à un niveau interpersonnel ou un collectif de travail au niveau d'une entreprise, oui et non. C'est-à-dire que pour moi, la médiation doit permettre, peut permettre de retravailler la confiance, recréer du lien, amener effectivement d'autres manières de fonctionner à l'avenir ensemble et d'apprendre à mieux se connaître et à mieux travailler. Pour autant, parfois, on accompagne aussi des séparations. et ce n'est pas rien que d'arriver à amener des gens qui se haïssent littéralement à faire le deuil de leur relation et accepter de se séparer sans se déchirer ou sans se venger à l'avenir. On le voit beaucoup en médiation familiale, mais c'est aussi une pratique qui existe en médiation dans les conflits du travail ou dans des conflits inter-entreprises entre clients et fournisseurs qui doivent se séparer sans se porter atteinte ni à leur réputation ni aux personnes qui étaient impliquées sur le projet.

  • Speaker #0

    Mais au fond, si on se pose vraiment la question, c'est quoi être en conflit ?

  • Speaker #1

    En conflit, moi je pars d'une définition assez simple. Pour moi, c'est un blocage dans une prise de décision, littéralement. Il peut y avoir une incompréhension sans qu'il y ait conflit. Il peut y avoir un désaccord sans qu'il y ait conflit. Le conflit va se reconnaître à plusieurs éléments. D'abord, il y a forcément des émotions. Étant donné que la décision, on n'arrive pas à avancer, nos intérêts sont frustrés, donc il y a forcément des émotions avec plus ou moins d'intensité, ce qui peut conduire à une dégradation de la communication. On a le sentiment que le temps paraît figé, qu'on n'avance plus, qu'on répète la même chose. Et le symptôme du conflit, c'est la... personnalisation, c'est-à-dire la confusion entre le problème et la personne. On confond le joueur et le ballon, on ne voit plus le ballon, et ça nous donne envie d'aller shooter dans le joueur, si j'ose dire. Ce qui démarre l'escalade et peut générer ensuite agressivité et violence, mais il faut bien distinguer la violence du conflit. Le conflit fait partie de la vie. Il y a un proverbe africain qui dit que quand on dit aux gens de vivre ensemble, on leur dit de se disputer. C'est important de bien se disputer pour préserver une relation durable. Par contre, la violence, effectivement, est interdite. ultra dangereuse physiquement, moralement et en termes d'escalade, il n'y a pas de limite.

  • Speaker #0

    Mais alors, comment faire quand l'acceptation de la saine conflictualité, c'est de ça dont tu parles dans un de tes livres, n'est pas tout à fait quelque chose que les gens reconnaissent ? Il y a des gens pour qui ce n'est pas du tout ok d'avoir le moindre désaccord. Donc comment on crée un environnement de saine conflictualité ?

  • Speaker #1

    Au travail ? Oui. Eh bien... Ça passe par plusieurs phases. D'abord, ça passe par une forme de sensibilisation, formation du corps social à oser dire, à aborder les sujets qui fâchent, à donner du feedback. Il y a plein de méthodes, la communication non-violente, les conversations courageuses, la négociation. En gros, il faut pouvoir oser dire et dire les choses, faire valoir ses intérêts, ses droits en face à face. C'est une question de responsabilité. Un des grands principes pour sortir du conflit, c'est accorder le bénéfice du doute. Mais pour accorder le bénéfice du doute, ce n'est pas un blanc-seing. Il faut pouvoir se confronter, démêler ce qu'on appelle l'intention de l'impact. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ? Comment je l'ai vécu ? Comment est-ce qu'on ferait à l'avenir ? Etc. Et on va dire qu'une très grande partie de la conflictualité au travail se règle de manière informelle, entre deux portes, en sortie de réunion.

  • Speaker #0

    On est d'accord qu'on n'est pas formé à ça ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Donc c'est tout l'objet du travail que tu fais avec les entreprises, c'est d'accompagner les acteurs. avec ces techniques de gestion du conflit ?

  • Speaker #1

    Exactement. Ça s'améliore un petit peu. Maintenant, je vois des écoles où ça commence. Médiation scolaire, formation par les pairs. Mais effectivement, on a un très grand retard sur ces sujets. On le voit encore très clairement avec le dernier rapport de Ligas qui est sorti en mars 2025 sur le management à la française, qui est encore lanterne rouge de l'Europe. On ne progresse pas. Management, un des plus hiérarchiques d'Europe, les plus directifs. Plus on a tendance à maîtriser le fond d'un sujet, plus on a tendance à mépriser la forme, c'est-à-dire la manière de le faire accepter ou d'engager les personnes concernées. Et donc, effectivement, il y a un gros travail de formation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une spécificité française ?

  • Speaker #1

    C'est une des spécificités françaises, oui. L'autre spécificité, c'est ce que disait Crozière il y a plus de 30 ans, une des caractéristiques du management à la française, c'est l'évitement des relations de face à face et la fuite face au conflit.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Donc, j'ai une idée sur le fond, si tu n'es pas d'accord. Eh ben, je ne suis pas là.

  • Speaker #0

    Ça nous donne une petite idée du travail qu'il reste à faire en tant que médiateur pour même accepter. Parce qu'il y a beaucoup de déni, finalement, dans ce que tu décris. On n'accepte pas le fait d'être mis en question, de construire un échange, et on n'accepte pas le désaccord.

  • Speaker #1

    C'est ça. Une grosse part de l'évitement, c'est la peur de l'agressivité. Le conflict avoider, le fuyant, il a peur d'un déferlement émotionnel. perdent ses moyens et donc ils préfèrent éviter la confrontation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une autre caractéristique. Le management à la française, on va éviter de se retrouver dans le face-à-face parce que ça fait peur.

  • Speaker #1

    Oui, on a peur d'un déferlement émotionnel, d'être mis en question et puis on a peur aussi que ça puisse dégénérer au niveau d'une instrumentalisation ou au niveau du dialogue social, que les représentants du personnel s'en mêlent, que les RH nous suivent. Il y a plein de fantasmes autour de ça.

  • Speaker #0

    Mais quand tu parles de déferlement émotionnel, ça veut dire que quelqu'un qui explose sa colère ou sa tristesse ou qui pleure, ça va être embarrassant ou gênant pour celui qui reçoit toute cette émotion. C'est ça.

  • Speaker #1

    J'ai vu un manager à qui c'est arrivé, une collaboratrice qui s'est mise à pleurer dans son bureau. Il a fermé les petits volets de ses cloisons en verre. Il a ouvert la porte et il allait chercher des verres d'eau. Il ne savait plus quoi faire. La collaboratrice était complètement... Atterré de voir qu'il n'y avait personne en face, complètement déboussolé, perdu.

  • Speaker #0

    Et comment on réagit ? C'est quoi les caractéristiques ? Si on peut catégoriser les réactions face au conflit ?

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant de voir, c'est quel est notre style dominant. Et le style dominant face au conflit, on va le retrouver en état de grande fatigue. Plus on est fatigué, plus le style dominant est puissant. Le problème, il est cognitif, c'est-à-dire qu'on a du mal, au niveau cognitif, à distinguer parfois le conflit du danger de mort. Quelqu'un qui parle fort, quelqu'un qui, émotionnellement, est impressionnant, ça a tendance à nous amener à nous recroqueviller dans la partie la plus archaïque du cerveau, qu'on appelle le cerveau reptilien. Et le cerveau reptilien nous dit que trois comportements de réaction, soit riposter, soit fuir, soit céder. Ce qui est bien, si on se fait agresser de la rue, c'est bien de donner son argent plutôt que de perdre la vie. C'est très adapté aux dangers de mort, mais pas aux conflits. Et ce qu'on voit, c'est que plus on est fatigué, plus on va vers ce style dominant. Là, j'ai vu une femme qui s'est fait agresser dans un métro à Lille par deux mecs balèzes. Et ils voulaient lui voler son sac. Et elle les a mordus jusqu'au sang. Elle les a mis en fuite. Et je dis, mais ça ne va pas. Elle dit, ben, j'étais fatigué. Oh merde, ce n'était pas le jour. Elle était prête à perdre la vie plutôt que de perdre son sac. Donc là, on sait que le profil dominant, c'est dur. Tu viens me chercher, je riposte, direct. Tu viens me piquer mon sac, je te mords. Profil dur. Deuxième style, profil fuyant, c'est celui dont on parlait. Celui qui dit toujours oui, mais qui ne dit jamais quand. Il dit, je prends le point, il ne dit pas où il le met. Il dit, c'est de la tuyau, il ne dit pas quand ça sort. Un homme politique, il disait, il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. Et puis le troisième style, c'est le style d'où je lui donne ce qu'il veut. Comme ça, il va arrêter d'être en conflit. Il suffit de le satisfaire. Je suis très empathique. Mais moi, j'ai tendance à m'oublier, à me faire avoir. Et il y a un proverbe africain qui dit « Vous ne rendrez jamais un lion végétarien en lui donnant des steaks à manger. » Le danger, c'est que ça donne faim à l'interlocuteur et qu'il va continuer à grignoter.

  • Speaker #0

    On peut changer de style ou on a toujours un style dominant ?

  • Speaker #1

    On a un style dominant. Maintenant, on a aussi ce qu'on appelle un style... adaptatif, c'est-à-dire que on va s'adapter à son interlocuteur en fonction de sa taille, des enjeux, des niveaux hiérarchiques, bien sûr. Et ça, ce sont des styles naturels, on va dire, et évidemment avec le travail sur soi, l'expérience, la formation, l'introspection, on peut développer quelque chose qui est un style plus diplomatique, mais qui, sur le plan théorique, est simple, et sur le plan pratico-pratique, beaucoup plus exigeant. C'est l'essence de la diplomatie qu'on appelle main de fer dans un gant de velours, à savoir être capable de rester toujours courtois, diplomate avec la personne, tout en étant assertif, ferme sur la défense de ses droits et de ses intérêts. Ne pas confondre les deux, ce qui n'est pas simple.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce que, dans cette dynamique finalement un peu primaire qu'on vient de décrire, le côté très réactionnel, on évolue vers un système qui soit un peu plus conscient de ses notions, conscient de l'environnement ? en capacité à résoudre, à proposer des solutions. Quels conseils on peut donner, en fait ?

  • Speaker #1

    C'est pour ça qu'on avait commencé à voir dans l'entreprise le premier niveau, c'est-à-dire la formation, la capacité à dire, à oser dire, etc. Pour une culture complète de saine conflictualité, entre guillemets, ou de conflictualité productive, disait Ricoeur, il y a un deuxième niveau. Ce qui est amusant, c'est qu'on est en train de réinventer en entreprise ce qui existe dans toutes les sociétés coutumières depuis l'origine de l'homme. Je prends un exemple, chez les Dogons au Mali, Historiquement, il y a un conflit, la coutume a déjà défini ce qu'on va faire. Et il y a trois étapes. Étape 1, j'en parle en face à face. Et ça, ce n'est pas toujours simple. Étape 2, j'ai le droit de ne pas y arriver. Le conflit peut être simple, il peut être d'une complexité absolue parce qu'il y a beaucoup d'émotions, je suis touché dans mes valeurs, c'est systémique au sens qu'on voit le travail, une personne dans une équipe, dans une organisation en prise avec des parties prenantes diverses ou un système externe. Ça peut être trop compliqué pour une personne. Donc, étape 2, possibilité d'une médiation. Alors, dans toutes les sociétés, c'est toujours en cercle. On est en cercle, on est assis. Chez le Dogon, ils ont une case dédiée avec des grosses poutres en bois à 1,30 m du sol. Parce que non seulement on est assis, mais si on se relève brusquement, on a compris que ce n'est pas possible. Un petit coup derrière la tête, ça calme. Et la médiation n'est qu'une obligation de moyens, pas de résultat. Si la médiation n'aboutit pas, étape 3, ça part chez les sages qui se concertent et qui prennent une décision. Et si on ne respecte pas la décision, c'est l'exil. On doit quitter la communauté, ce qui veut dire mort sociale, voire mort tout court dans certains contextes de l'époque. Et donc, la coutume a déjà prédéfini, et donc on est relativement rassuré et protégé par le cheminement que l'on va suivre, et on sait qu'il y a plusieurs étapes. Et en fait, c'est ce qu'on met en place dans les entreprises aujourd'hui. Ça existe aux États-Unis sur le terme « dispute resolution system » , où on va préciser graduellement ces étapes, comme chez les Dogons, et ça se met de plus en plus. En place, en France, dans plein d'entreprises.

  • Speaker #0

    En fait, on revient à ce qu'on disait initialement quand tu parlais de la Nouvelle-Calédonie, c'est vraiment cette question de process. Et moi, j'utilise souvent le terme process design, mais qui signifie tout simplement, on reconnaît qu'on est en phase de désaccord et on va mettre en place une procédure de façon à structurer le dialogue. Et en effet, c'est intéressant finalement de cet exemple d'une gradation dans la résolution. C'est vraiment pertinent parce que finalement, on ne mélange pas tout. Quand on fait ça, on arrive à décortiquer un peu la situation et puis y apporter progressivement des réponses adaptées.

  • Speaker #1

    C'est ça, et c'est tout un écosystème. Quand ce sont les conflits du travail, ça ne marche qu'à travers un chaînage. très serré entre les représentants du personnel, les RRH, le médecin du travail. Il faut que tout le monde soit un peu co-responsable du système interne. Et donc, s'il y a quelqu'un qui vient voir, je ne sais pas, un représentant du personnel, il va lui dire, est-ce que tu lui en as parlé directement ? Non, je n'ose pas. Est-ce que tu veux que je t'aide à trouver les mots pour lui dire ? Est-ce que tu veux dire par oral, par écrit ? C'est la première phase, on ne va pas directement aller en médiation tant qu'on ne lui a pas accordé le bénéfice du doute. Le corps social fait bloc autour du système.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire que tout le monde doit avoir... le même niveau de connaissance, de formation ou la capacité à orienter. Ça ne veut pas forcément dire réagir avec les outils de la médiation, par exemple. Ce n'est pas forcément une médiation, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Non, la médiation est un des outils au service de la gestion du conflit.

  • Speaker #0

    Donc, c'est créer un écosystème interne qui va permettre de désamorcer les conflits dans l'entreprise.

  • Speaker #1

    Exactement. Et si on transpose le système Dogon en entreprise, on garde le système 1, on en parle en face à face, on garde le système 2. On n'y arrive pas, on offre un cadre sécurisé pour recréer les conditions du dialogue à travers une médiation. Par contre, le système des sages et des anciens, c'est ce qu'on appelle des solutions RH. Et là, on a une panoplie de possibilités plus importantes. Est-ce qu'il faut lancer un coaching ? Est-ce qu'il faut former une équipe ? Est-ce qu'il faut réorganiser le travail au niveau des charges ? Il y a parfois des compétitions. Est-ce qu'il faut lancer une expertise ? Est-ce qu'il faut rentrer dans du disciplinaire parce qu'il y a des comportements déviants ou toxiques qui ont été observés ? Et donc, on a une panoplie plus importante. Mais si on y va graduellement, on évite aussi de se retrouver, comme j'ai pu le voir dans certaines entreprises, où on attaque directement. Alors, soit on ne fait rien jusqu'à ce qu'on ait des arrêts, des risques dans tous les sens. Soit on attaque au bas ou cas sans avoir permis un dialogue ou une explication préalable.

  • Speaker #0

    Oui, le pendant de ça, ça va être tous les symptômes de... Arrêt maladie à répétition, litiges,

  • Speaker #1

    baisse de productivité, des impacts en termes d'images et de réputation dans les médias, des plantages de projets. Le coût du conflit peut être considérable.

  • Speaker #0

    Jusqu'aux situations les plus graves qui sont les suicides et ça devient en fait quelque chose, on peut dire systémique.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre qu'on n'a jamais vraiment expliqué mais qui est une constante dans l'humanité, dans toutes les communautés. extrêmement tragique mais Un enfant sur dix subit du harcèlement scolaire. Une femme sur dix subit des violences intrafamiliales. Un salarié sur dix subit du harcèlement moral. Et donc, si dans une communauté humaine, qu'elle soit scolaire, famille, entreprise, on n'a pas des modes de régulation, on ne peut pas traiter les situations les plus graves.

  • Speaker #0

    Si on a mis en place les processus adaptés, on pense qu'on peut résoudre ces difficultés ? Oui. Un exemple, au Canada, ils avaient lancé un programme qui s'appelait Ensemble vers le Pacifique à l'école primaire. Et on s'est aperçu qu'on a fait plein d'expériences en France aussi depuis, notamment Jean-Pierre Bonnet-Feschmidt sur la médiation scolaire à l'école. Aujourd'hui, France Médiation dans tous les collèges, lycées. Que l'âge certainement le plus judicieux pour apprendre ça, c'est le CM1, CM2. Et qu'au Canada, il est formé à la négociation au CM1, médiation par les pairs. Un lieu disposé comme chez les Dogons, en québécois, ça s'appelle la cabane à pas de chicane. Et ensuite, niveau 3, régulation par les profs, évidemment les instit, etc., qui ont un temps de régulation de vie de classe pour traiter selon les termes, les plaintes ou les difficultés, voir si les médiations ont permis de régler les problèmes ou s'ils doivent intervenir pour mettre fin à des situations qui ne sont pas réglées.

  • Speaker #1

    Oui, c'est le moment de l'intervention du tiers neutre qui va être cette aide extérieure. quand on a... déjà essayer de mettre en place des choses internes. Après, tu parles de culture. On sait que le Canada est très avancé sur ces approches. On en parle de plus en plus en France aussi, en Europe en général. Mais qu'est-ce qui fait qu'on ne va pas avoir le réflexe médiation, négociation, dialogue, un peu partout, dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans l'école ? Ce n'est pas encore quelque chose qui s'est généralisé.

  • Speaker #0

    C'est mieux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est mieux,

  • Speaker #0

    ça progresse,

  • Speaker #1

    mais lentement.

  • Speaker #0

    Lentement, il y a plusieurs réserves. Il y a la peur de perdre la main, notamment au niveau de la ligne hiérarchique. Dès qu'on a fait intervenir un tiers, il y a toujours la peur qui se mêle de nos affaires et qui prennent des décisions à notre place. Le mot médiation en lui-même a une connotation parfois négative au sens conflit grave. Attention, j'ai vu ça, parfois on m'a demandé de faire une médiation et d'appeler ça coaching collectif plutôt que médiation, parce que médiation, ça faisait peur et qu'on allait croire que c'était très, très grave. Donc, il y a ça. C'est pour ça que je crois beaucoup à l'école pour un peu vulgariser un peu le terme. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Non, mais la sémantique, elle est importante. On en parle à chaque épisode de ce podcast. Il y a toujours une question sur la sémantique. On sait que le mot médiation, c'est un mot qui est connoté, soit de façon comme quelque chose d'un peu grave. Ou alors comme quelque chose d'un peu chamallow, là c'est plus pour la partie justice, mais chez les avocats en tout cas, il y a une croyance que la médiation, c'est le moment où on va vivre le monde des bisounours, alors que c'est vrai dans aucun des cas. Et donc il faut aussi faire pédagogie autour de ce terme.

  • Speaker #0

    Et en plus c'est un terme qui s'est stabilisé dans la langue française assez récemment. On a retrouvé un des premiers livres sur la médiation en France. qui date de 1666, qui a été écrit par Alexandre de Laroche, qui s'appelle L'Arbitre Charitable. C'est un bouquin qui était passé sous les radars pour deux raisons. Déjà, le titre, L'Arbitre Charitable, on n'a jamais pensé que c'était un bouquin sur la médiation. Et deux, c'était écrit par un curé. C'était moins évident d'aller sur ce terrain-là, mais ce qui est intéressant, c'est que il utilise plusieurs termes. À l'époque, on parlait de moyenneur, d'arbitre charitable, d'amiable compositeur, il y avait plein de termes. Et on voit à travers ses écrits... Je trouvais ça très savoureux. On sent, en gros, que la plus grande médiatrice de l'histoire de France, Catherine de Médicis, qui a géré huit guerres de religion, on lui a collé la Saint-Barthélemy, mais les historiens modernes reviennent sur cette histoire. Elle a fait des médiations entre Henri de Navarre et la future reine Margot, qu'à un moment donné, elle ne sait pas, elle va les voir pour les réconcilier, elle ne veut pas la voir, Henri de Navarre. Elle se met dans le couvent à côté, elle attend un mois. Et au bout d'un mois, il craque, il accepte de la voir, elle fait sa médiation, elle les réconcilie. À la fin de sa vie, elle continue des médiations entre catholiques et protestants sur un brancard, à bout de force. Et Henri de Navarre a visiblement été très impressionné par Catherine de Médicis. Quand il a rédigé l'édit de Nantes, c'est une accumulation des accords et des traités qu'elle avait déjà moyennés, pour le coup. Et en 1610, Alexandre de Laroche raconte qu'Henri IV, la main de les rois, décide de mettre en place la médiation dans tout le royaume de France. Et malheureusement, il est décédé six mois plus tard, assassiné. Et sa réforme ne se fera que dans le Sud. Et j'ai rencontré quelqu'un qui m'a expliqué que le sépoune, en langage provençal médiateur, existe toujours à Saint-Tropez. Et Alexandre de Laroche explique, il faut lire un peu à travers les lignes, qu'en 1666, c'est Louis XIV, que Louis XIV vient de défaire l'édit de Nantes, que ce n'est pas trop le style médiation, et que dans la mesure où les conflits augmentent dans le Royaume de France, Merci. lui il dit que c'est au rôle de l'Église de le faire maintenant et donc il donne des méthodes pour développer la médiation dans tous les diocèses et son bouquin à l'époque a été édité à 10 000 exemplaires, c'est considérable.

  • Speaker #1

    Le sépoune.

  • Speaker #0

    Le sépoune.

  • Speaker #1

    Bon, alors, on a encore appris un nouveau terme aujourd'hui, mais de toute façon, tu nous as fait voyager dans tellement de... à la fois de culture et de moments de l'histoire. J'ai bien compris que c'était ta passion, c'est tous ces personnages de l'histoire. Est-ce qu'il y a un personnage que tu as envie de raconter par ses talents de négociateur ? Ah bah oui. Ah oui, ok.

  • Speaker #0

    Louis XI.

  • Speaker #1

    Alors, Louis XI, c'est parti.

  • Speaker #0

    Je suis un grand fan de Louis XI, qui a une légende noire. Et ça, je me suis rendu compte que... tous les grands négociateurs de l'histoire de France ont tous une légende noire. C'est-à-dire que celui qui meurt au combat droit dans ses bottes est un héros, celui qui fait un traité de paix en chambre confidentielle, on ne sait pas trop comment, est un manipulateur. Donc Louis XI, c'était l'universel araignée, Catherine de Médicis, c'était la serpente, Mazarin, c'était le vautour, et là on parle des plus grands diplomates de l'histoire de France. Louis XI donc en On essaie de le réhabiliter sur sa capacité à rebâtir, reconstruire le royaume de France. Son plus grand ennemi à l'époque, c'est Charles de Téméraire, le duc de Bourgogne, qui a à peu près cinq fois plus de terres et qui est dix fois plus riche. Et le duc de Bourgogne, Charles de Téméraire, s'est marié avec la fille du roi d'Angleterre, Édouard IV. Et donc, du fait de ce mariage, il fait partie de ce qu'on appelle l'ordre de la jartière. C'est un peu comme l'équivalent de l'autre. temps. S'il y en a un qui se fait agresser, l'autre lui doit assistance. Fort de cela, Édouard IV débarque à Calais avec une armée équivalente à celle de Louis XI, mais avec l'ordre de la Jartière. Il appelle Charles le Téméraire, qui a une armée bien plus importante, et il sait qu'il va finir Louis XI, et donc finir la guerre de Cent Ans facilement. Et là, Louis XI, il est quand même très, très mal, et il va avoir un coup de génie stratégique. D'abord, il a créé l'ordre de Saint-Michel. où il a créé des loyautés avec les seigneurs de son temps. Et donc, il va demander au duc de Lorraine d'aller déclarer la guerre à Charles de Téméraire. Et il lui dit, je paye évidemment tous les mercenaires suisses qu'il te faut, mais tu vas me scotcher Charles de Téméraire pour qu'il ne rejoigne pas Édouard IV. Ce qu'il va faire, et donc Charles de Téméraire va aller voir Édouard IV en disant, j'arrive, mais laisse-moi un peu de temps que je finisse le duc de Lorraine. Et donc, Édouard IV est enquisté à Calais. Ça ne se passe pas comme prévu. il lui déclare quand même la guerre et là Louis XI lui dit au champion envoyé par le roi d'Angleterre, il dit « Je te paye 1000 écus si tu m'expliques comment est-ce que je peux rencontrer Édouard IV pour discuter. » Et il va organiser des pourparlers à Piquigny, sur une île qui s'appelle l'île de la Trève. Ils vont construire un pont avec des grandes cages en bois pour pouvoir se parler sans se mettre un coup d'épée parce qu'on ne désarme pas un roi à l'époque. Et Louis XI va faire ce qu'on appelle en négociation, et c'est assez unique dans l'histoire, il va lui bâtir ce qu'on appelle un communiqué de victoire, c'est-à-dire Merci. créer le discours pour qu'il reparte chez lui sans se battre. Si on avait mis ça en place en 1919 au traité de Versailles, on aurait peut-être évité une Deuxième Guerre mondiale. Donc il lui rembourse sa campagne, 75 000 écus d'or, plus les intérêts, plus bouffe à caler pour les archers. Et il a dit, j'ai mis fin à la guerre de son temps avec quelques pièces d'or et du pâté. Évidemment, ça ne suffit pas, le roi d'Angleterre ne saurait être acheté, donc il lui promet un mariage avec le dauphin, le futur Charles VIII. et sa fille. Et pour ne pas honorer ce point de l'accord, il va créer un nouveau métier, le métier de diplomate. Et donc, de 75 à 1483, il envoie ses diplomates pour organiser le mariage avec des mandats extrêmement courts pour que ça ne se fasse pas. Et évidemment, Charles VIII se mariera avec Anne de Bretagne, qui est le territoire qui lui manquait.

  • Speaker #1

    En quoi est-ce que déjà ça t'inspire ? Et en quoi est-ce qu'on peut peut-être tirer quelques leçons sur notre actualité aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Mais... Parce qu'en plus, Louis XI a rédigé le Rosier des guerres pour son fils Charles VIII, qui est un peu son testament politique. Il donne plein de bons conseils politiques qui sont toujours applicables, avec des formules très savoureuses. Subtilité vaut mieux que force. Après, c'est en vieux français aussi, mais en gros, il vaut mieux négocier parce qu'on peut encore amender sa pensée, alors qu'en guerre, une fois que c'est parti, on ne peut plus revenir en arrière. Il dit qu'un bon roi doit pouvoir visiter son peuple. comme un jardinier, son jardin, donc toujours aller sur les routes, au-devant des personnes, pour entendre leurs besoins, se faire connaître, créer du lien. Il a passé sa vie à faire ça. Puis il disait « Que l'orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de près. » Et ça, c'est tellement vrai.

  • Speaker #1

    On s'en souvient un petit peu moins que de ceux qui sont prêts à s'engager sur le champ de bataille. Et donc, l'histoire est moins marquée par ce type de héros.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Il y a un autre sujet qui t'est cher, Jean-Edouard, c'est celui du don. J'aimerais bien qu'on passe quand même quelques minutes à en parler, notamment au travers d'un ouvrage qui s'appelle « La révolution du don, le management repensé par l'anthropologie » . Qu'est-ce que c'est que cette notion du don ?

  • Speaker #0

    C'est la notion la plus essentielle, si j'ose dire, puisque c'est ce qui permet de comprendre comment nos liens se font, se défont, comment la confiance s'installe et la défiance peut se provoquer. Il faut se rapporter aux travaux de Marcel Mauss, qui est le père de l'ethnologie scientifique française, qui est le neveu de Durkheim, qui a très peu fait de terrain, mais qui parlait onze langues et qui a lu tous les récits ethnographiques de son temps et qui a découvert ce qu'il appelle un fait social total. c'est-à-dire que dans toutes les sociétés, en Afrique, en Océanie, en Asie, en Europe, à tous les temps de l'humanité, chez les Inuits, peu importe, les rapports sociaux ne sont pas fondés sur le troc, sur le marché, sur le donnant-donnant, mais sur ce qu'il appelle le don. Et en fait, ces relations se créent à travers des dons et des contre-dons qui provoquent la confiance. Et ce qui va distinguer le don de la négociation, c'est au moins deux choses. D'abord, l'inconditionnalité. C'est-à-dire qu'on donne sans savoir si on recevra quelque chose en retour. C'est un pari de confiance. Alors que quand on négocie, si on ne sait pas ce qu'on a en retour, il y a un sujet. pas de concession sans contrepartie. Et la deuxième différence, c'est qu'on ne quantifie pas. Quand on fait un cadeau, on cache le prix. Quand on rend un service, on ne dit pas qu'on y a passé trois heures. On dit que c'est l'intention qui compte. Le lien importe plus que l'objet de l'échange. Et donc, dans le don, qu'est-ce qui va circuler ? C'est essentiellement du temps. C'est du feedback, de la reconnaissance. C'est des petites attentions du quotidien. C'est des coups de main. C'est ouvrir son carnet d'adresses. partager son expérience, ses connaissances, l'information dont on dispose. C'est des choses extrêmement précieuses pour fonctionner en collectif. Et c'est ce qui nous permet de savoir à qui se fier. Très clairement, c'est ce qui va créer les loyautés. Donc,

  • Speaker #1

    c'est vraiment la notion de générosité, être en lien sans contrepartie, sans en attendre un retour, mais être aussi dans la vie, dans la société. C'est finalement le vivre ensemble, non ?

  • Speaker #0

    C'est la qualité du lien, le vivre ensemble tout à fait.

  • Speaker #1

    C'est exactement le constat qu'on fait aujourd'hui, c'est que cette individualité, une société qui a du mal à être en lien, on a du mal à recréer ces espaces où on se lie, mais par de la bienveillance, de l'intergénérationnel, de la rencontre des anciens, des enfants, de la famille. Tout ça, aujourd'hui, on manque d'espace. Comment tu utilises cette notion du don dans ton travail ou peut-être dans la société ? Quel est le message ?

  • Speaker #0

    Ce que tu dis est très vrai. Les solitudes augmentent. C'est documenté par la Fondation de France, notamment. On est passé de 9% à 12% de personnes seules. 23% des Français n'ont qu'un seul réseau social, soit le travail ou la famille, majoritairement. Et donc, ça nous met en situation de fragilité. Plus les réseaux sont importants, plus la qualité des liens est importante, plus on a des amortisseurs sociaux, du soutien social et des opportunités dans la vie. littéralement. Moi, je l'utilise quotidiennement dans mes médiations, dans les conflits du travail parce que quand j'arrive dans un collectif de travail et que je leur dis, si à un moment donné ça allait bien entre vous, à quoi vous pouviez voir que ça allait bien ? Et j'ai que des réponses en clé de don, entre guillemets. On riait, on buvait des cafés, on déjeunait, puis en fonction des... Il y avait des coups de main, de l'entraide, et en fonction des régions, on va avoir des composantes culturelles. On mangeait de la brioche en Vendée. du saucisson je ne sais où, etc. ou n'importe quoi, des after work, des trucs, il y a des rituels. Et depuis que ça ne va plus, c'est la soupe à la grimace, on a mal au ventre, on ne boit plus de café, on ne rigole plus, il n'y a plus de coup de main, on ne sait plus vers qui se tourner, etc. Et donc tout le travail, c'est de comprendre où est-ce qu'il y a eu mal donne, où est-ce qu'on s'est raté, qu'est-ce qui a à un moment donné créé le coup de canif dans le contrat de confiance. On dit que la confiance se gagne en gouttes, se perd en litres. comment comprendre ce qui a créé cette hémorragie de confiance. et voir ce qui peut la reconstruire.

  • Speaker #1

    On arrive tranquillement à la fin de cet épisode, mais au travers de tout ce que tu as décrit, c'était une balade sur toutes ces belles qualités qu'on a envie de cultiver, de préserver, d'engager pour conserver le lien et l'entretenir sous la meilleure forme possible. Donc finalement, quelle serait pour toi la qualité essentielle du médiateur ?

  • Speaker #0

    J'ai travaillé avec les négociateurs du RED qui disaient « L'écoute est notre arme » . C'est évidemment un travail d'écoute, mais quand on dit ça, c'est quelle écoute ? Ça demande de la disponibilité, mais aussi un désarmement de ces préjugés, un désarmement culturel. On a parlé de ne pas rester ethnocentrique par rapport à la personne qu'on rencontre, ne pas juger. Je voudrais quand même une deuxième chose que je vois quand je forme. Je trouve qu'un des éléments les plus difficiles, c'est de lâcher prise littéralement sur la recherche de solutions. Je rencontre beaucoup de publics très orientés à la solution et qui sont un peu impatients de pousser la solution et en allant trop vite, qui vont bloquer ou empêcher le processus.

  • Speaker #1

    C'est très pertinent, c'est vrai que quand on pense problème, on pense immédiatement solution. On ne pense pas au chemin à parcourir pour arriver à la construction d'une solution qui convienne à chacun et peut-être à tout le monde dans le meilleur des cas. Mais tu as bien expliqué le fait que c'est un parcours. c'est pas quelque chose d'automatique et donc si on est focalisé solution dans une négociation ou dans une médiation, et bien peut-être ça va empêcher d'être en écoute active et de créer l'espace nécessaire Est-ce qu'il y a un film ou un événement ou un livre que tu aurais envie de partager et qui inspire ta pratique ?

  • Speaker #0

    Sur la Nouvelle-Calédonie j'ai adoré le documentaire qui s'appelle Les médiateurs du Pacifique qu'on peut... télécharger gratuitement sur le site de la Fondation Roca. Et puis plus récemment, j'ai adoré le documentaire Je n'oublierai jamais vos visages. C'est passionnant de voir que même dans les situations de violence, c'est difficile de se reconstruire sans ce dialogue. Il faut bien distinguer la sanction par rapport à un comportement déviant ou déictuel, voire même criminel, et la capacité de se relier à nouveau à l'humanité qu'on retrouve euh... Presque chez tout le monde.

  • Speaker #1

    Dans ce podcast, il y a plusieurs épisodes sur la justice restaurative avec un regard croisé entre les différents pays sur ce qui se fait. Donc, je t'invite à écouter les épisodes de Humankind sur ce sujet. Est-ce que tu as envie de partager un conseil pour bien vivre ce métier ?

  • Speaker #0

    Un des conseils qui m'a le plus aidé, c'est une phrase toute simple, un peu mantra. Ne leur vole pas leur peine. Ça ne va pas les aider d'être plus tristes. que ce qu'ils vivent, ça ne va pas les aider d'être plus en colère par rapport à ce qu'ils ont subi ou au sentiment d'injustice. Et donc je me dis souvent ça, quand je sens que l'empathie, une empathie trop forte peut m'envahir, ne leur vole pas leur peine, ça ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Jean-Edouard pour ta participation à Humankind, créateur de Dialogue. Grâce à toi, la saine conflictualité se déploie encore un peu plus et je t'en remercie.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Faiza.

  • Speaker #1

    Cet épisode de Humankind, créateur de dialogues, est terminé. Si ce podcast vous a plu, n'oubliez pas de lui donner des étoiles ou encore de le partager sur vos réseaux. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous. Et si vous souhaitez poursuivre la conversation, retrouvez-moi sur LinkedIn, Faiza, Alec, d'Olivet. Un grand merci à l'espace F360 de nous avoir accueillis pour ce podcast. Cette librairie indépendante à Paris incarne des valeurs en phase avec celles de Humankind pour contribuer à travers les arts. la littérature et la culture à un monde plus humain. A très bientôt !

Chapters

  • Introduction à la médiation et son importance

    00:06

  • Dialogue entre Faiza et Jean-Edouard sur les conflits

    01:15

  • Définition et origine de la médiation dans l'histoire humaine

    03:01

  • Approche anthropologique de la médiation

    05:13

  • Exemples historiques de médiation en Nouvelle-Calédonie

    07:07

  • Les étapes de la négociation et de la médiation

    08:59

  • Comprendre le conflit et la conflictualité saine

    15:11

  • Créer un environnement de saine conflictualité

    23:21

  • La notion de don et ses implications dans la médiation

    41:02

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Description

Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateurs de Dialogues, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation.

Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi.

C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grésy, mon nouvel invité. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus.

Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux.

Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent.

Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau.


Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, Jean Edouard est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel Araignée.


Bonne écoute!


www.linkedin.com/in/faiza-alleg-lawyer-mediator

www.faizaallegdolivet.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Humankind, créateur de dialogue, le podcast qui donne la parole à ceux qui, à travers le monde, font la médiation. Je suis Paisa Alec Daudivet, avocate au barreau de Paris et médiatrice certifiée. Chaque mois, je décortique les aspects concrets de cette pratique avec un expert. Bien plus qu'un simple outil de justice négociée, la médiation. c'est avant tout un processus de transformation des conflits par l'émergence du dialogue dans tous les terrains accidentés de nos vies, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux ou juste humains. Humankind, c'est un lieu d'échange pour comprendre les mécanismes et les enseignements de la médiation, avec celles et ceux qui la font vivre sur le terrain. Et pour ceux qui se posent encore la question, voici mon invitation. Soyez créatifs. Changez de perspective. Explorez, soyez audacieux, soyez courageux, soyez vulnérables, définissez vos intentions, projetez l'avenir, apportez du changement, soyez le changement. Maintenant, bienvenue à la table des négociations. Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateur de Dialogue, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation. Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi. C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grézy, mon invité d'aujourd'hui. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus. Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux. Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent. Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau. Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, il est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel a régné. Jean-Edouard, je suis ravie de te recevoir pour cet épisode de Humankind.

  • Speaker #1

    Merci, merci Faisan de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Pour commencer cette conversation, Jean-Edouard, j'ai envie de te poser une question toute simple. Est-ce que tu peux définir d'où vient la médiation ?

  • Speaker #1

    D'aussi loin que remonte l'humanité. Il y a un méthologue passionnant qui s'appelle Franz De Waal qui a été... travailler sur le concept de mâle alpha et de femelle alpha. C'est intéressant parce que ce sont des mâles alpha chez les chimpanzés, des femelles alpha chez les bonobos. Et ce qu'il a observé, contrairement aux idées reçues, le mâle alpha ou la femelle alpha ne sont pas les plus costauds, ceux qui vont casser la figure des autres. Ils sont au contraire cooptés. Et il ne reste mâle ou femelle alpha qu'à deux conditions essentielles qu'il a pu observer. La première, il préserve la paix dans la communauté. Il a observé des scènes de médiation, littéralement. Et deux, dès qu'il y a quelqu'un qui a un deuil, qui est blessé, il vient tout de suite apporter soin. Donc, il s'épouille. C'est tout un langage, effectivement, qui leur est propre. Mais évidemment, la médiation remonte aux origines de l'humanité. C'est une certitude.

  • Speaker #0

    Et donc, le rôle de ce mâle alpha, c'est un créateur de liens et un créateur de dialogues ?

  • Speaker #1

    Oui, on retrouve ça dans toutes les communautés humaines. Moi, j'ai fait de l'anthropologie du droit, c'est la science de la coutume et c'est l'oralité juridique. et on définit avant que le conflit ne naisse, la manière dont on va la gérer. J'avais travaillé à un moment donné avec des généalogistes pour travailler sur des grosses, des notaires des 15e, 16e siècle. Donc il faut avoir quand même un peu de capacité de lire le français ancien, ne serait-ce que déchiffré. Et c'est passionnant de voir qu'il y a un nombre d'accords de règlements amiables majeurs. On avait calculé plus d'un tiers à presque la moitié de certaines grosses de notaires, avec des formules d'époque que je trouve très savoureuses, pour obvier justice, pour que bonne paix... et véritable amour se fassent entre les parties. En gros, ils ne savent pas écrire à l'époque, la plupart des habitants de la France. Donc, ils rencontrent un tiers qui n'est pas toujours indiqué dans l'acte. Et ensuite, ils vont chez le notaire qui rédige et il signe d'une croix. Voilà. Donc, c'est quelque chose d'extrêmement ancien pour préserver la communauté et éviter sa dissolution et la violence de tous contre tous, tout simplement.

  • Speaker #0

    Donc, tu parles de l'anthropologie. En quoi est-ce que cette approche anthropologique, cette recherche sur l'espèce humaine ? est en lien avec la médiation.

  • Speaker #1

    Ce qui m'a intéressé dans l'anthropologie, c'est la démarche, déjà en termes d'études, c'est ce qu'on appelle l'observation participative, c'est-à-dire qu'on doit faire partie de l'expérience que l'on observe pour pouvoir mieux la décrire. Et donc il y a tout un travail pour ne pas tomber dans ce qu'on appelle l'ethnocentrisme, donc il faut arriver à se désacculturer, se déconstruire un peu par rapport à nos représentations du monde pour accéder aux représentations du monde de l'autre ou des personnes qu'on observe. Donc déjà c'est une démarche de médiasuparaissance, c'est peut-être le point le plus difficile de se... déconstruire ou en tout cas d'apprivoiser plus ou moins ses préjugés et ses représentations.

  • Speaker #0

    Tu veux dire déjà pour être en lien avec l'autre ?

  • Speaker #1

    Pour être en lien et pour être en capacité d'observation. Parce que si je plaque ma propre grille de lecture sur ce que je vois, sur une autre culture, je passe à côté... Je vais donner un exemple très simple. Quand la France arrive en 1853 en Nouvelle-Calédonie, face à des Kanaks qui sont là depuis 3000 ans, ils leur disent, je caricature, mais c'est à qui cette terre ? Et le Kanak, à l'époque, ne comprend pas la question. puisque la notion de propriété n'existe pas. La nature est une entité en soi et on ne peut pas la posséder. Donc, le canaque ne comprend pas la question et quand le français colon arrive et lui dit « Tu peux signer ici pour cet acte de propriété, contre un fusil, une bouteille de whisky, de rhum, il signe. » Et le lendemain, il revient à l'endroit et là, le français lui dit « Maintenant, c'est à moi. » Et là, il ne comprend pas. Donc, il met des barrières, il y a des révoltes, etc. si je ne rentre pas pas dans la culture et les représentations du monde. Et ce qui est fou, c'est qu'on est en 2025, on est à nouveau sur un conflit terrible en Nouvelle-Calédonie, et il y a cet ethnocentrisme qui est toujours là, et cette incapacité à passer d'une culture à l'autre, de faire médiation littéralement entre ces deux peuples.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, on n'arrive pas à avancer vers un dialogue qui soit plus construit, une fois qu'on a fait le constat que tu viens de faire ?

  • Speaker #1

    C'est d'autant plus tragique en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu la chance de rencontrer la mission du dialogue, c'est-à-dire Christian Blanc, Pierre Steinmetz, Christian Causart à l'époque. J'en ai fait un roman graphique qui s'appelle La solution pacifique. C'est d'autant plus triste que la démarche et le processus avaient fonctionné en 88 et que quand il y a eu à nouveau les émeutes, les Kanaks ont demandé une mission du dialogue qui a mis beaucoup de temps à se mettre en place et qui commence un petit peu à... à se mettre en place, mais on a perdu énormément de temps. Il a fallu aller à nouveau dans une escalade de violence terrible pour que les parties prenantes acceptent peut-être de commencer à discuter. Le point le plus difficile, c'est d'accepter de faire venir les adversaires à la table dans un conflit à haute intensité. Et ce qui est passionnant de la mission Rocard à l'époque, en 88, c'est qu'il avait bien compris ça, parce qu'il avait une grande profondeur historique, Michel Rocard. Et il a désigné ce qu'il appelait des médiateurs sécants à l'époque, c'est-à-dire il cartographie les acteurs. Côté Caldoche, c'était Jacques Lafleur, c'était un protestant, un franc-maçon. Donc il envoie le représentant de l'église protestante, le représentant de la loge qui va bien. Jean-Marie Djibaou, c'est un ancien curé. Il envoie le représentant de l'église catholique, un préfet crocardien, baladurien, pour que la mission ne soit pas instrumentalisée sur le plan politique. et cette mission va faire un travail exceptionnel pour arriver à passer dans le camp de chacun et établir la feuille de route, l'ordre du jour qui va être ensuite négocié à Matignon et débouché sur les accords, mais c'est une mission exceptionnelle.

  • Speaker #0

    Je m'arrête un tout petit peu là-dessus parce que ce qui est intéressant dans ce travail que tu décris, qui est en effet sur un conflit à haute intensité, il faut penser la façon dont on va s'asseoir à la table. Par moment, dans les conflits, de façon très générale, on ne réfléchit pas, on se précipite. Donc cette question du temps et de la façon de construire le dialogue Merci. Pourquoi c'est important ?

  • Speaker #1

    En négociation, on dit souvent qu'il faut définir un accord de méthode avant de dérouler la méthode. C'est le point le plus difficile. Qui va être autour de la table ? Quel va être l'ordre du jour ? Où est-ce qu'on va se rencontrer ? Combien de temps va se donner ? Qui sera éventuellement tiers pour faciliter les échanges ? Est-ce que les représentants ont un mandat suffisamment flexible pour pouvoir discuter ? Donc, tous ces éléments sont assez peu travaillés en général. ça demande de la préparation, ça demande un peu de temps et de stratégie à mettre en place et c'est souvent bâclé. Pour reprendre l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, ça reste la dernière colonie française, il ne faut pas l'oublier, et avant c'était géré par le Premier ministre puisque c'était une affaire internationale qui est suivie par l'ONU. Quand vous demandez au ministre de l'Intérieur de s'occuper de la Nouvelle-Calédonie, symboliquement, vous n'envoyez pas le même message. Et quand vous demandez à Sonia Baques, qui est loyaliste, d'être secrétaire d'État, vous envoyez encore un autre message. Les symboles sont hyper importants. Le symbolique, c'est le contraire du diabolique. Le symbole, c'est ce qui rapproche, ce qui réunit. Le diabolique, diabolone, c'est ce qui divise. Et on est rentré dans une logique un peu diabolique.

  • Speaker #0

    Donc il y a tout ce qui va entourer la construction du dialogue qui va avoir un impact sur le succès ou l'échec d'un processus de négociation ou résulter dans des violences assez extrêmes. comme ça a été le cas. Après la violence, qu'est-ce qui se passe ?

  • Speaker #1

    Ce que disait Michel Rocard, c'est peut-être un peu triste, mais dans certains conflits à haute intensité, parfois, il faut aller à un niveau de violence tel que les acteurs s'aperçoivent qu'il n'y a pas d'échappatoire autre que la paix. A savoir, on a tout détruit, il y a eu des morts de chaque côté, on voit qu'on ne s'en sort pas. Du coup, le coût du conflit a atteint un tel niveau qu'on n'a plus d'autre choix que de discuter. C'est vrai dans certaines situations. Malheureusement, on a pu aussi observer dans l'histoire que l'humain est tenace et qu'il peut aller dans la violence de tous contre tous dans certaines extrémités, quitte à tout perdre. Donc oui, il faut pouvoir documenter le coût du conflit pour amener les personnes à mieux comprendre ce qu'ils pourraient gagner à s'entendre. Mais quand on arrive à la violence à un certain niveau d'intensité, c'est très difficile aussi de redescendre.

  • Speaker #0

    En effet, et documenter le coup du conflit, mais aussi le vivre, le ressentir peut-être dans sa chair, à tel point qu'on se sente en capacité à faire le pas vers l'autre.

  • Speaker #1

    Oui, là aussi, sur la Nouvelle-Calédonie, c'est très intéressant parce qu'on a eu des hommes exceptionnels à l'époque. C'est-à-dire que Jean-Marie Djibahou, quand il y a un attentat qui a échoué contre lui, il perd deux frères dans l'attentat. Le jour même, il appelle sa communauté à ne pas se venger. Il est parti faire des études d'ethnologie en France. pour essayer d'expliquer la culture de son peuple aux Français avec nos mots et nos grilles de lecture. C'était déjà un Nelson Mandela avant l'heure. Quelqu'un qui était dans cette logique de, pour tourner la page encore, faut-il l'avoir lue, c'est-à-dire l'avoir comprise, documentée et arriver à se projeter sur un avenir commun en intégrant les contraintes de chacun. Toutes les époques n'héritent pas de gens aussi sages, aussi clairvoyants. Il faut arriver à les trouver. Quels sont les représentants des deux camps qui ont cette hauteur de vue ?

  • Speaker #0

    Il n'a pas été entendu ?

  • Speaker #1

    Jean-Marie Dibaou ? À l'époque, c'est toute une histoire. C'est-à-dire qu'au début, non. Il a fallu le drame de la grotte d'Ouvéa où l'armée française a donné l'assaut. Il y a eu 19 morts côté Canac, des morts aussi côté de l'armée. Mais il a été entendu comme leader de son peuple incontournable. Il a été entendu parce que... était capable de traduire les aspirations des Kanaks avec une légitimité exceptionnelle. La difficulté qu'il y a eu, parce qu'il a été assassiné, c'est que, encore une fois, il y a eu un problème interculturel. C'est-à-dire que dans ce que j'ai compris de la culture kanak, on ne donne pas un mandat comme ça, normalement, historiquement. C'est-à-dire qu'on ne donne pas un mandat à Jean-Marie Djibahou pour aller négocier à Matignon. Normalement, s'il y a négo... sur des sujets qui n'ont pas été discutés avec les communautés, il doit revenir vers les communautés, rediscuter et revenir à la table. Et ça, on ne lui a pas permis de le faire. Et donc, il a dû prendre des engagements au-delà du mandat qui lui était confié. Et quelque part, effectivement, certains ultras de son camp l'ont vécu comme une trahison, ce qui a abouti à son assassinat, qui était une tragédie terrible.

  • Speaker #0

    C'est un exemple pertinent dans le monde d'aujourd'hui, et la complexité multiculturelle, c'est toujours ce questionnement sur comment est-ce qu'on peut, dans tel chaos, reconstruire du dialogue, du respect mutuel, quand la relation est autant entachée. Est-ce que c'est même possible ?

  • Speaker #1

    Là, on parle de conflits ultra complexes, puisque internationaux, avec énormément de parties prenantes. Si on redescend à un niveau interpersonnel ou un collectif de travail au niveau d'une entreprise, oui et non. C'est-à-dire que pour moi, la médiation doit permettre, peut permettre de retravailler la confiance, recréer du lien, amener effectivement d'autres manières de fonctionner à l'avenir ensemble et d'apprendre à mieux se connaître et à mieux travailler. Pour autant, parfois, on accompagne aussi des séparations. et ce n'est pas rien que d'arriver à amener des gens qui se haïssent littéralement à faire le deuil de leur relation et accepter de se séparer sans se déchirer ou sans se venger à l'avenir. On le voit beaucoup en médiation familiale, mais c'est aussi une pratique qui existe en médiation dans les conflits du travail ou dans des conflits inter-entreprises entre clients et fournisseurs qui doivent se séparer sans se porter atteinte ni à leur réputation ni aux personnes qui étaient impliquées sur le projet.

  • Speaker #0

    Mais au fond, si on se pose vraiment la question, c'est quoi être en conflit ?

  • Speaker #1

    En conflit, moi je pars d'une définition assez simple. Pour moi, c'est un blocage dans une prise de décision, littéralement. Il peut y avoir une incompréhension sans qu'il y ait conflit. Il peut y avoir un désaccord sans qu'il y ait conflit. Le conflit va se reconnaître à plusieurs éléments. D'abord, il y a forcément des émotions. Étant donné que la décision, on n'arrive pas à avancer, nos intérêts sont frustrés, donc il y a forcément des émotions avec plus ou moins d'intensité, ce qui peut conduire à une dégradation de la communication. On a le sentiment que le temps paraît figé, qu'on n'avance plus, qu'on répète la même chose. Et le symptôme du conflit, c'est la... personnalisation, c'est-à-dire la confusion entre le problème et la personne. On confond le joueur et le ballon, on ne voit plus le ballon, et ça nous donne envie d'aller shooter dans le joueur, si j'ose dire. Ce qui démarre l'escalade et peut générer ensuite agressivité et violence, mais il faut bien distinguer la violence du conflit. Le conflit fait partie de la vie. Il y a un proverbe africain qui dit que quand on dit aux gens de vivre ensemble, on leur dit de se disputer. C'est important de bien se disputer pour préserver une relation durable. Par contre, la violence, effectivement, est interdite. ultra dangereuse physiquement, moralement et en termes d'escalade, il n'y a pas de limite.

  • Speaker #0

    Mais alors, comment faire quand l'acceptation de la saine conflictualité, c'est de ça dont tu parles dans un de tes livres, n'est pas tout à fait quelque chose que les gens reconnaissent ? Il y a des gens pour qui ce n'est pas du tout ok d'avoir le moindre désaccord. Donc comment on crée un environnement de saine conflictualité ?

  • Speaker #1

    Au travail ? Oui. Eh bien... Ça passe par plusieurs phases. D'abord, ça passe par une forme de sensibilisation, formation du corps social à oser dire, à aborder les sujets qui fâchent, à donner du feedback. Il y a plein de méthodes, la communication non-violente, les conversations courageuses, la négociation. En gros, il faut pouvoir oser dire et dire les choses, faire valoir ses intérêts, ses droits en face à face. C'est une question de responsabilité. Un des grands principes pour sortir du conflit, c'est accorder le bénéfice du doute. Mais pour accorder le bénéfice du doute, ce n'est pas un blanc-seing. Il faut pouvoir se confronter, démêler ce qu'on appelle l'intention de l'impact. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ? Comment je l'ai vécu ? Comment est-ce qu'on ferait à l'avenir ? Etc. Et on va dire qu'une très grande partie de la conflictualité au travail se règle de manière informelle, entre deux portes, en sortie de réunion.

  • Speaker #0

    On est d'accord qu'on n'est pas formé à ça ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Donc c'est tout l'objet du travail que tu fais avec les entreprises, c'est d'accompagner les acteurs. avec ces techniques de gestion du conflit ?

  • Speaker #1

    Exactement. Ça s'améliore un petit peu. Maintenant, je vois des écoles où ça commence. Médiation scolaire, formation par les pairs. Mais effectivement, on a un très grand retard sur ces sujets. On le voit encore très clairement avec le dernier rapport de Ligas qui est sorti en mars 2025 sur le management à la française, qui est encore lanterne rouge de l'Europe. On ne progresse pas. Management, un des plus hiérarchiques d'Europe, les plus directifs. Plus on a tendance à maîtriser le fond d'un sujet, plus on a tendance à mépriser la forme, c'est-à-dire la manière de le faire accepter ou d'engager les personnes concernées. Et donc, effectivement, il y a un gros travail de formation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une spécificité française ?

  • Speaker #1

    C'est une des spécificités françaises, oui. L'autre spécificité, c'est ce que disait Crozière il y a plus de 30 ans, une des caractéristiques du management à la française, c'est l'évitement des relations de face à face et la fuite face au conflit.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Donc, j'ai une idée sur le fond, si tu n'es pas d'accord. Eh ben, je ne suis pas là.

  • Speaker #0

    Ça nous donne une petite idée du travail qu'il reste à faire en tant que médiateur pour même accepter. Parce qu'il y a beaucoup de déni, finalement, dans ce que tu décris. On n'accepte pas le fait d'être mis en question, de construire un échange, et on n'accepte pas le désaccord.

  • Speaker #1

    C'est ça. Une grosse part de l'évitement, c'est la peur de l'agressivité. Le conflict avoider, le fuyant, il a peur d'un déferlement émotionnel. perdent ses moyens et donc ils préfèrent éviter la confrontation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une autre caractéristique. Le management à la française, on va éviter de se retrouver dans le face-à-face parce que ça fait peur.

  • Speaker #1

    Oui, on a peur d'un déferlement émotionnel, d'être mis en question et puis on a peur aussi que ça puisse dégénérer au niveau d'une instrumentalisation ou au niveau du dialogue social, que les représentants du personnel s'en mêlent, que les RH nous suivent. Il y a plein de fantasmes autour de ça.

  • Speaker #0

    Mais quand tu parles de déferlement émotionnel, ça veut dire que quelqu'un qui explose sa colère ou sa tristesse ou qui pleure, ça va être embarrassant ou gênant pour celui qui reçoit toute cette émotion. C'est ça.

  • Speaker #1

    J'ai vu un manager à qui c'est arrivé, une collaboratrice qui s'est mise à pleurer dans son bureau. Il a fermé les petits volets de ses cloisons en verre. Il a ouvert la porte et il allait chercher des verres d'eau. Il ne savait plus quoi faire. La collaboratrice était complètement... Atterré de voir qu'il n'y avait personne en face, complètement déboussolé, perdu.

  • Speaker #0

    Et comment on réagit ? C'est quoi les caractéristiques ? Si on peut catégoriser les réactions face au conflit ?

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant de voir, c'est quel est notre style dominant. Et le style dominant face au conflit, on va le retrouver en état de grande fatigue. Plus on est fatigué, plus le style dominant est puissant. Le problème, il est cognitif, c'est-à-dire qu'on a du mal, au niveau cognitif, à distinguer parfois le conflit du danger de mort. Quelqu'un qui parle fort, quelqu'un qui, émotionnellement, est impressionnant, ça a tendance à nous amener à nous recroqueviller dans la partie la plus archaïque du cerveau, qu'on appelle le cerveau reptilien. Et le cerveau reptilien nous dit que trois comportements de réaction, soit riposter, soit fuir, soit céder. Ce qui est bien, si on se fait agresser de la rue, c'est bien de donner son argent plutôt que de perdre la vie. C'est très adapté aux dangers de mort, mais pas aux conflits. Et ce qu'on voit, c'est que plus on est fatigué, plus on va vers ce style dominant. Là, j'ai vu une femme qui s'est fait agresser dans un métro à Lille par deux mecs balèzes. Et ils voulaient lui voler son sac. Et elle les a mordus jusqu'au sang. Elle les a mis en fuite. Et je dis, mais ça ne va pas. Elle dit, ben, j'étais fatigué. Oh merde, ce n'était pas le jour. Elle était prête à perdre la vie plutôt que de perdre son sac. Donc là, on sait que le profil dominant, c'est dur. Tu viens me chercher, je riposte, direct. Tu viens me piquer mon sac, je te mords. Profil dur. Deuxième style, profil fuyant, c'est celui dont on parlait. Celui qui dit toujours oui, mais qui ne dit jamais quand. Il dit, je prends le point, il ne dit pas où il le met. Il dit, c'est de la tuyau, il ne dit pas quand ça sort. Un homme politique, il disait, il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. Et puis le troisième style, c'est le style d'où je lui donne ce qu'il veut. Comme ça, il va arrêter d'être en conflit. Il suffit de le satisfaire. Je suis très empathique. Mais moi, j'ai tendance à m'oublier, à me faire avoir. Et il y a un proverbe africain qui dit « Vous ne rendrez jamais un lion végétarien en lui donnant des steaks à manger. » Le danger, c'est que ça donne faim à l'interlocuteur et qu'il va continuer à grignoter.

  • Speaker #0

    On peut changer de style ou on a toujours un style dominant ?

  • Speaker #1

    On a un style dominant. Maintenant, on a aussi ce qu'on appelle un style... adaptatif, c'est-à-dire que on va s'adapter à son interlocuteur en fonction de sa taille, des enjeux, des niveaux hiérarchiques, bien sûr. Et ça, ce sont des styles naturels, on va dire, et évidemment avec le travail sur soi, l'expérience, la formation, l'introspection, on peut développer quelque chose qui est un style plus diplomatique, mais qui, sur le plan théorique, est simple, et sur le plan pratico-pratique, beaucoup plus exigeant. C'est l'essence de la diplomatie qu'on appelle main de fer dans un gant de velours, à savoir être capable de rester toujours courtois, diplomate avec la personne, tout en étant assertif, ferme sur la défense de ses droits et de ses intérêts. Ne pas confondre les deux, ce qui n'est pas simple.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce que, dans cette dynamique finalement un peu primaire qu'on vient de décrire, le côté très réactionnel, on évolue vers un système qui soit un peu plus conscient de ses notions, conscient de l'environnement ? en capacité à résoudre, à proposer des solutions. Quels conseils on peut donner, en fait ?

  • Speaker #1

    C'est pour ça qu'on avait commencé à voir dans l'entreprise le premier niveau, c'est-à-dire la formation, la capacité à dire, à oser dire, etc. Pour une culture complète de saine conflictualité, entre guillemets, ou de conflictualité productive, disait Ricoeur, il y a un deuxième niveau. Ce qui est amusant, c'est qu'on est en train de réinventer en entreprise ce qui existe dans toutes les sociétés coutumières depuis l'origine de l'homme. Je prends un exemple, chez les Dogons au Mali, Historiquement, il y a un conflit, la coutume a déjà défini ce qu'on va faire. Et il y a trois étapes. Étape 1, j'en parle en face à face. Et ça, ce n'est pas toujours simple. Étape 2, j'ai le droit de ne pas y arriver. Le conflit peut être simple, il peut être d'une complexité absolue parce qu'il y a beaucoup d'émotions, je suis touché dans mes valeurs, c'est systémique au sens qu'on voit le travail, une personne dans une équipe, dans une organisation en prise avec des parties prenantes diverses ou un système externe. Ça peut être trop compliqué pour une personne. Donc, étape 2, possibilité d'une médiation. Alors, dans toutes les sociétés, c'est toujours en cercle. On est en cercle, on est assis. Chez le Dogon, ils ont une case dédiée avec des grosses poutres en bois à 1,30 m du sol. Parce que non seulement on est assis, mais si on se relève brusquement, on a compris que ce n'est pas possible. Un petit coup derrière la tête, ça calme. Et la médiation n'est qu'une obligation de moyens, pas de résultat. Si la médiation n'aboutit pas, étape 3, ça part chez les sages qui se concertent et qui prennent une décision. Et si on ne respecte pas la décision, c'est l'exil. On doit quitter la communauté, ce qui veut dire mort sociale, voire mort tout court dans certains contextes de l'époque. Et donc, la coutume a déjà prédéfini, et donc on est relativement rassuré et protégé par le cheminement que l'on va suivre, et on sait qu'il y a plusieurs étapes. Et en fait, c'est ce qu'on met en place dans les entreprises aujourd'hui. Ça existe aux États-Unis sur le terme « dispute resolution system » , où on va préciser graduellement ces étapes, comme chez les Dogons, et ça se met de plus en plus. En place, en France, dans plein d'entreprises.

  • Speaker #0

    En fait, on revient à ce qu'on disait initialement quand tu parlais de la Nouvelle-Calédonie, c'est vraiment cette question de process. Et moi, j'utilise souvent le terme process design, mais qui signifie tout simplement, on reconnaît qu'on est en phase de désaccord et on va mettre en place une procédure de façon à structurer le dialogue. Et en effet, c'est intéressant finalement de cet exemple d'une gradation dans la résolution. C'est vraiment pertinent parce que finalement, on ne mélange pas tout. Quand on fait ça, on arrive à décortiquer un peu la situation et puis y apporter progressivement des réponses adaptées.

  • Speaker #1

    C'est ça, et c'est tout un écosystème. Quand ce sont les conflits du travail, ça ne marche qu'à travers un chaînage. très serré entre les représentants du personnel, les RRH, le médecin du travail. Il faut que tout le monde soit un peu co-responsable du système interne. Et donc, s'il y a quelqu'un qui vient voir, je ne sais pas, un représentant du personnel, il va lui dire, est-ce que tu lui en as parlé directement ? Non, je n'ose pas. Est-ce que tu veux que je t'aide à trouver les mots pour lui dire ? Est-ce que tu veux dire par oral, par écrit ? C'est la première phase, on ne va pas directement aller en médiation tant qu'on ne lui a pas accordé le bénéfice du doute. Le corps social fait bloc autour du système.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire que tout le monde doit avoir... le même niveau de connaissance, de formation ou la capacité à orienter. Ça ne veut pas forcément dire réagir avec les outils de la médiation, par exemple. Ce n'est pas forcément une médiation, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Non, la médiation est un des outils au service de la gestion du conflit.

  • Speaker #0

    Donc, c'est créer un écosystème interne qui va permettre de désamorcer les conflits dans l'entreprise.

  • Speaker #1

    Exactement. Et si on transpose le système Dogon en entreprise, on garde le système 1, on en parle en face à face, on garde le système 2. On n'y arrive pas, on offre un cadre sécurisé pour recréer les conditions du dialogue à travers une médiation. Par contre, le système des sages et des anciens, c'est ce qu'on appelle des solutions RH. Et là, on a une panoplie de possibilités plus importantes. Est-ce qu'il faut lancer un coaching ? Est-ce qu'il faut former une équipe ? Est-ce qu'il faut réorganiser le travail au niveau des charges ? Il y a parfois des compétitions. Est-ce qu'il faut lancer une expertise ? Est-ce qu'il faut rentrer dans du disciplinaire parce qu'il y a des comportements déviants ou toxiques qui ont été observés ? Et donc, on a une panoplie plus importante. Mais si on y va graduellement, on évite aussi de se retrouver, comme j'ai pu le voir dans certaines entreprises, où on attaque directement. Alors, soit on ne fait rien jusqu'à ce qu'on ait des arrêts, des risques dans tous les sens. Soit on attaque au bas ou cas sans avoir permis un dialogue ou une explication préalable.

  • Speaker #0

    Oui, le pendant de ça, ça va être tous les symptômes de... Arrêt maladie à répétition, litiges,

  • Speaker #1

    baisse de productivité, des impacts en termes d'images et de réputation dans les médias, des plantages de projets. Le coût du conflit peut être considérable.

  • Speaker #0

    Jusqu'aux situations les plus graves qui sont les suicides et ça devient en fait quelque chose, on peut dire systémique.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre qu'on n'a jamais vraiment expliqué mais qui est une constante dans l'humanité, dans toutes les communautés. extrêmement tragique mais Un enfant sur dix subit du harcèlement scolaire. Une femme sur dix subit des violences intrafamiliales. Un salarié sur dix subit du harcèlement moral. Et donc, si dans une communauté humaine, qu'elle soit scolaire, famille, entreprise, on n'a pas des modes de régulation, on ne peut pas traiter les situations les plus graves.

  • Speaker #0

    Si on a mis en place les processus adaptés, on pense qu'on peut résoudre ces difficultés ? Oui. Un exemple, au Canada, ils avaient lancé un programme qui s'appelait Ensemble vers le Pacifique à l'école primaire. Et on s'est aperçu qu'on a fait plein d'expériences en France aussi depuis, notamment Jean-Pierre Bonnet-Feschmidt sur la médiation scolaire à l'école. Aujourd'hui, France Médiation dans tous les collèges, lycées. Que l'âge certainement le plus judicieux pour apprendre ça, c'est le CM1, CM2. Et qu'au Canada, il est formé à la négociation au CM1, médiation par les pairs. Un lieu disposé comme chez les Dogons, en québécois, ça s'appelle la cabane à pas de chicane. Et ensuite, niveau 3, régulation par les profs, évidemment les instit, etc., qui ont un temps de régulation de vie de classe pour traiter selon les termes, les plaintes ou les difficultés, voir si les médiations ont permis de régler les problèmes ou s'ils doivent intervenir pour mettre fin à des situations qui ne sont pas réglées.

  • Speaker #1

    Oui, c'est le moment de l'intervention du tiers neutre qui va être cette aide extérieure. quand on a... déjà essayer de mettre en place des choses internes. Après, tu parles de culture. On sait que le Canada est très avancé sur ces approches. On en parle de plus en plus en France aussi, en Europe en général. Mais qu'est-ce qui fait qu'on ne va pas avoir le réflexe médiation, négociation, dialogue, un peu partout, dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans l'école ? Ce n'est pas encore quelque chose qui s'est généralisé.

  • Speaker #0

    C'est mieux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est mieux,

  • Speaker #0

    ça progresse,

  • Speaker #1

    mais lentement.

  • Speaker #0

    Lentement, il y a plusieurs réserves. Il y a la peur de perdre la main, notamment au niveau de la ligne hiérarchique. Dès qu'on a fait intervenir un tiers, il y a toujours la peur qui se mêle de nos affaires et qui prennent des décisions à notre place. Le mot médiation en lui-même a une connotation parfois négative au sens conflit grave. Attention, j'ai vu ça, parfois on m'a demandé de faire une médiation et d'appeler ça coaching collectif plutôt que médiation, parce que médiation, ça faisait peur et qu'on allait croire que c'était très, très grave. Donc, il y a ça. C'est pour ça que je crois beaucoup à l'école pour un peu vulgariser un peu le terme. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Non, mais la sémantique, elle est importante. On en parle à chaque épisode de ce podcast. Il y a toujours une question sur la sémantique. On sait que le mot médiation, c'est un mot qui est connoté, soit de façon comme quelque chose d'un peu grave. Ou alors comme quelque chose d'un peu chamallow, là c'est plus pour la partie justice, mais chez les avocats en tout cas, il y a une croyance que la médiation, c'est le moment où on va vivre le monde des bisounours, alors que c'est vrai dans aucun des cas. Et donc il faut aussi faire pédagogie autour de ce terme.

  • Speaker #0

    Et en plus c'est un terme qui s'est stabilisé dans la langue française assez récemment. On a retrouvé un des premiers livres sur la médiation en France. qui date de 1666, qui a été écrit par Alexandre de Laroche, qui s'appelle L'Arbitre Charitable. C'est un bouquin qui était passé sous les radars pour deux raisons. Déjà, le titre, L'Arbitre Charitable, on n'a jamais pensé que c'était un bouquin sur la médiation. Et deux, c'était écrit par un curé. C'était moins évident d'aller sur ce terrain-là, mais ce qui est intéressant, c'est que il utilise plusieurs termes. À l'époque, on parlait de moyenneur, d'arbitre charitable, d'amiable compositeur, il y avait plein de termes. Et on voit à travers ses écrits... Je trouvais ça très savoureux. On sent, en gros, que la plus grande médiatrice de l'histoire de France, Catherine de Médicis, qui a géré huit guerres de religion, on lui a collé la Saint-Barthélemy, mais les historiens modernes reviennent sur cette histoire. Elle a fait des médiations entre Henri de Navarre et la future reine Margot, qu'à un moment donné, elle ne sait pas, elle va les voir pour les réconcilier, elle ne veut pas la voir, Henri de Navarre. Elle se met dans le couvent à côté, elle attend un mois. Et au bout d'un mois, il craque, il accepte de la voir, elle fait sa médiation, elle les réconcilie. À la fin de sa vie, elle continue des médiations entre catholiques et protestants sur un brancard, à bout de force. Et Henri de Navarre a visiblement été très impressionné par Catherine de Médicis. Quand il a rédigé l'édit de Nantes, c'est une accumulation des accords et des traités qu'elle avait déjà moyennés, pour le coup. Et en 1610, Alexandre de Laroche raconte qu'Henri IV, la main de les rois, décide de mettre en place la médiation dans tout le royaume de France. Et malheureusement, il est décédé six mois plus tard, assassiné. Et sa réforme ne se fera que dans le Sud. Et j'ai rencontré quelqu'un qui m'a expliqué que le sépoune, en langage provençal médiateur, existe toujours à Saint-Tropez. Et Alexandre de Laroche explique, il faut lire un peu à travers les lignes, qu'en 1666, c'est Louis XIV, que Louis XIV vient de défaire l'édit de Nantes, que ce n'est pas trop le style médiation, et que dans la mesure où les conflits augmentent dans le Royaume de France, Merci. lui il dit que c'est au rôle de l'Église de le faire maintenant et donc il donne des méthodes pour développer la médiation dans tous les diocèses et son bouquin à l'époque a été édité à 10 000 exemplaires, c'est considérable.

  • Speaker #1

    Le sépoune.

  • Speaker #0

    Le sépoune.

  • Speaker #1

    Bon, alors, on a encore appris un nouveau terme aujourd'hui, mais de toute façon, tu nous as fait voyager dans tellement de... à la fois de culture et de moments de l'histoire. J'ai bien compris que c'était ta passion, c'est tous ces personnages de l'histoire. Est-ce qu'il y a un personnage que tu as envie de raconter par ses talents de négociateur ? Ah bah oui. Ah oui, ok.

  • Speaker #0

    Louis XI.

  • Speaker #1

    Alors, Louis XI, c'est parti.

  • Speaker #0

    Je suis un grand fan de Louis XI, qui a une légende noire. Et ça, je me suis rendu compte que... tous les grands négociateurs de l'histoire de France ont tous une légende noire. C'est-à-dire que celui qui meurt au combat droit dans ses bottes est un héros, celui qui fait un traité de paix en chambre confidentielle, on ne sait pas trop comment, est un manipulateur. Donc Louis XI, c'était l'universel araignée, Catherine de Médicis, c'était la serpente, Mazarin, c'était le vautour, et là on parle des plus grands diplomates de l'histoire de France. Louis XI donc en On essaie de le réhabiliter sur sa capacité à rebâtir, reconstruire le royaume de France. Son plus grand ennemi à l'époque, c'est Charles de Téméraire, le duc de Bourgogne, qui a à peu près cinq fois plus de terres et qui est dix fois plus riche. Et le duc de Bourgogne, Charles de Téméraire, s'est marié avec la fille du roi d'Angleterre, Édouard IV. Et donc, du fait de ce mariage, il fait partie de ce qu'on appelle l'ordre de la jartière. C'est un peu comme l'équivalent de l'autre. temps. S'il y en a un qui se fait agresser, l'autre lui doit assistance. Fort de cela, Édouard IV débarque à Calais avec une armée équivalente à celle de Louis XI, mais avec l'ordre de la Jartière. Il appelle Charles le Téméraire, qui a une armée bien plus importante, et il sait qu'il va finir Louis XI, et donc finir la guerre de Cent Ans facilement. Et là, Louis XI, il est quand même très, très mal, et il va avoir un coup de génie stratégique. D'abord, il a créé l'ordre de Saint-Michel. où il a créé des loyautés avec les seigneurs de son temps. Et donc, il va demander au duc de Lorraine d'aller déclarer la guerre à Charles de Téméraire. Et il lui dit, je paye évidemment tous les mercenaires suisses qu'il te faut, mais tu vas me scotcher Charles de Téméraire pour qu'il ne rejoigne pas Édouard IV. Ce qu'il va faire, et donc Charles de Téméraire va aller voir Édouard IV en disant, j'arrive, mais laisse-moi un peu de temps que je finisse le duc de Lorraine. Et donc, Édouard IV est enquisté à Calais. Ça ne se passe pas comme prévu. il lui déclare quand même la guerre et là Louis XI lui dit au champion envoyé par le roi d'Angleterre, il dit « Je te paye 1000 écus si tu m'expliques comment est-ce que je peux rencontrer Édouard IV pour discuter. » Et il va organiser des pourparlers à Piquigny, sur une île qui s'appelle l'île de la Trève. Ils vont construire un pont avec des grandes cages en bois pour pouvoir se parler sans se mettre un coup d'épée parce qu'on ne désarme pas un roi à l'époque. Et Louis XI va faire ce qu'on appelle en négociation, et c'est assez unique dans l'histoire, il va lui bâtir ce qu'on appelle un communiqué de victoire, c'est-à-dire Merci. créer le discours pour qu'il reparte chez lui sans se battre. Si on avait mis ça en place en 1919 au traité de Versailles, on aurait peut-être évité une Deuxième Guerre mondiale. Donc il lui rembourse sa campagne, 75 000 écus d'or, plus les intérêts, plus bouffe à caler pour les archers. Et il a dit, j'ai mis fin à la guerre de son temps avec quelques pièces d'or et du pâté. Évidemment, ça ne suffit pas, le roi d'Angleterre ne saurait être acheté, donc il lui promet un mariage avec le dauphin, le futur Charles VIII. et sa fille. Et pour ne pas honorer ce point de l'accord, il va créer un nouveau métier, le métier de diplomate. Et donc, de 75 à 1483, il envoie ses diplomates pour organiser le mariage avec des mandats extrêmement courts pour que ça ne se fasse pas. Et évidemment, Charles VIII se mariera avec Anne de Bretagne, qui est le territoire qui lui manquait.

  • Speaker #1

    En quoi est-ce que déjà ça t'inspire ? Et en quoi est-ce qu'on peut peut-être tirer quelques leçons sur notre actualité aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Mais... Parce qu'en plus, Louis XI a rédigé le Rosier des guerres pour son fils Charles VIII, qui est un peu son testament politique. Il donne plein de bons conseils politiques qui sont toujours applicables, avec des formules très savoureuses. Subtilité vaut mieux que force. Après, c'est en vieux français aussi, mais en gros, il vaut mieux négocier parce qu'on peut encore amender sa pensée, alors qu'en guerre, une fois que c'est parti, on ne peut plus revenir en arrière. Il dit qu'un bon roi doit pouvoir visiter son peuple. comme un jardinier, son jardin, donc toujours aller sur les routes, au-devant des personnes, pour entendre leurs besoins, se faire connaître, créer du lien. Il a passé sa vie à faire ça. Puis il disait « Que l'orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de près. » Et ça, c'est tellement vrai.

  • Speaker #1

    On s'en souvient un petit peu moins que de ceux qui sont prêts à s'engager sur le champ de bataille. Et donc, l'histoire est moins marquée par ce type de héros.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Il y a un autre sujet qui t'est cher, Jean-Edouard, c'est celui du don. J'aimerais bien qu'on passe quand même quelques minutes à en parler, notamment au travers d'un ouvrage qui s'appelle « La révolution du don, le management repensé par l'anthropologie » . Qu'est-ce que c'est que cette notion du don ?

  • Speaker #0

    C'est la notion la plus essentielle, si j'ose dire, puisque c'est ce qui permet de comprendre comment nos liens se font, se défont, comment la confiance s'installe et la défiance peut se provoquer. Il faut se rapporter aux travaux de Marcel Mauss, qui est le père de l'ethnologie scientifique française, qui est le neveu de Durkheim, qui a très peu fait de terrain, mais qui parlait onze langues et qui a lu tous les récits ethnographiques de son temps et qui a découvert ce qu'il appelle un fait social total. c'est-à-dire que dans toutes les sociétés, en Afrique, en Océanie, en Asie, en Europe, à tous les temps de l'humanité, chez les Inuits, peu importe, les rapports sociaux ne sont pas fondés sur le troc, sur le marché, sur le donnant-donnant, mais sur ce qu'il appelle le don. Et en fait, ces relations se créent à travers des dons et des contre-dons qui provoquent la confiance. Et ce qui va distinguer le don de la négociation, c'est au moins deux choses. D'abord, l'inconditionnalité. C'est-à-dire qu'on donne sans savoir si on recevra quelque chose en retour. C'est un pari de confiance. Alors que quand on négocie, si on ne sait pas ce qu'on a en retour, il y a un sujet. pas de concession sans contrepartie. Et la deuxième différence, c'est qu'on ne quantifie pas. Quand on fait un cadeau, on cache le prix. Quand on rend un service, on ne dit pas qu'on y a passé trois heures. On dit que c'est l'intention qui compte. Le lien importe plus que l'objet de l'échange. Et donc, dans le don, qu'est-ce qui va circuler ? C'est essentiellement du temps. C'est du feedback, de la reconnaissance. C'est des petites attentions du quotidien. C'est des coups de main. C'est ouvrir son carnet d'adresses. partager son expérience, ses connaissances, l'information dont on dispose. C'est des choses extrêmement précieuses pour fonctionner en collectif. Et c'est ce qui nous permet de savoir à qui se fier. Très clairement, c'est ce qui va créer les loyautés. Donc,

  • Speaker #1

    c'est vraiment la notion de générosité, être en lien sans contrepartie, sans en attendre un retour, mais être aussi dans la vie, dans la société. C'est finalement le vivre ensemble, non ?

  • Speaker #0

    C'est la qualité du lien, le vivre ensemble tout à fait.

  • Speaker #1

    C'est exactement le constat qu'on fait aujourd'hui, c'est que cette individualité, une société qui a du mal à être en lien, on a du mal à recréer ces espaces où on se lie, mais par de la bienveillance, de l'intergénérationnel, de la rencontre des anciens, des enfants, de la famille. Tout ça, aujourd'hui, on manque d'espace. Comment tu utilises cette notion du don dans ton travail ou peut-être dans la société ? Quel est le message ?

  • Speaker #0

    Ce que tu dis est très vrai. Les solitudes augmentent. C'est documenté par la Fondation de France, notamment. On est passé de 9% à 12% de personnes seules. 23% des Français n'ont qu'un seul réseau social, soit le travail ou la famille, majoritairement. Et donc, ça nous met en situation de fragilité. Plus les réseaux sont importants, plus la qualité des liens est importante, plus on a des amortisseurs sociaux, du soutien social et des opportunités dans la vie. littéralement. Moi, je l'utilise quotidiennement dans mes médiations, dans les conflits du travail parce que quand j'arrive dans un collectif de travail et que je leur dis, si à un moment donné ça allait bien entre vous, à quoi vous pouviez voir que ça allait bien ? Et j'ai que des réponses en clé de don, entre guillemets. On riait, on buvait des cafés, on déjeunait, puis en fonction des... Il y avait des coups de main, de l'entraide, et en fonction des régions, on va avoir des composantes culturelles. On mangeait de la brioche en Vendée. du saucisson je ne sais où, etc. ou n'importe quoi, des after work, des trucs, il y a des rituels. Et depuis que ça ne va plus, c'est la soupe à la grimace, on a mal au ventre, on ne boit plus de café, on ne rigole plus, il n'y a plus de coup de main, on ne sait plus vers qui se tourner, etc. Et donc tout le travail, c'est de comprendre où est-ce qu'il y a eu mal donne, où est-ce qu'on s'est raté, qu'est-ce qui a à un moment donné créé le coup de canif dans le contrat de confiance. On dit que la confiance se gagne en gouttes, se perd en litres. comment comprendre ce qui a créé cette hémorragie de confiance. et voir ce qui peut la reconstruire.

  • Speaker #1

    On arrive tranquillement à la fin de cet épisode, mais au travers de tout ce que tu as décrit, c'était une balade sur toutes ces belles qualités qu'on a envie de cultiver, de préserver, d'engager pour conserver le lien et l'entretenir sous la meilleure forme possible. Donc finalement, quelle serait pour toi la qualité essentielle du médiateur ?

  • Speaker #0

    J'ai travaillé avec les négociateurs du RED qui disaient « L'écoute est notre arme » . C'est évidemment un travail d'écoute, mais quand on dit ça, c'est quelle écoute ? Ça demande de la disponibilité, mais aussi un désarmement de ces préjugés, un désarmement culturel. On a parlé de ne pas rester ethnocentrique par rapport à la personne qu'on rencontre, ne pas juger. Je voudrais quand même une deuxième chose que je vois quand je forme. Je trouve qu'un des éléments les plus difficiles, c'est de lâcher prise littéralement sur la recherche de solutions. Je rencontre beaucoup de publics très orientés à la solution et qui sont un peu impatients de pousser la solution et en allant trop vite, qui vont bloquer ou empêcher le processus.

  • Speaker #1

    C'est très pertinent, c'est vrai que quand on pense problème, on pense immédiatement solution. On ne pense pas au chemin à parcourir pour arriver à la construction d'une solution qui convienne à chacun et peut-être à tout le monde dans le meilleur des cas. Mais tu as bien expliqué le fait que c'est un parcours. c'est pas quelque chose d'automatique et donc si on est focalisé solution dans une négociation ou dans une médiation, et bien peut-être ça va empêcher d'être en écoute active et de créer l'espace nécessaire Est-ce qu'il y a un film ou un événement ou un livre que tu aurais envie de partager et qui inspire ta pratique ?

  • Speaker #0

    Sur la Nouvelle-Calédonie j'ai adoré le documentaire qui s'appelle Les médiateurs du Pacifique qu'on peut... télécharger gratuitement sur le site de la Fondation Roca. Et puis plus récemment, j'ai adoré le documentaire Je n'oublierai jamais vos visages. C'est passionnant de voir que même dans les situations de violence, c'est difficile de se reconstruire sans ce dialogue. Il faut bien distinguer la sanction par rapport à un comportement déviant ou déictuel, voire même criminel, et la capacité de se relier à nouveau à l'humanité qu'on retrouve euh... Presque chez tout le monde.

  • Speaker #1

    Dans ce podcast, il y a plusieurs épisodes sur la justice restaurative avec un regard croisé entre les différents pays sur ce qui se fait. Donc, je t'invite à écouter les épisodes de Humankind sur ce sujet. Est-ce que tu as envie de partager un conseil pour bien vivre ce métier ?

  • Speaker #0

    Un des conseils qui m'a le plus aidé, c'est une phrase toute simple, un peu mantra. Ne leur vole pas leur peine. Ça ne va pas les aider d'être plus tristes. que ce qu'ils vivent, ça ne va pas les aider d'être plus en colère par rapport à ce qu'ils ont subi ou au sentiment d'injustice. Et donc je me dis souvent ça, quand je sens que l'empathie, une empathie trop forte peut m'envahir, ne leur vole pas leur peine, ça ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Jean-Edouard pour ta participation à Humankind, créateur de Dialogue. Grâce à toi, la saine conflictualité se déploie encore un peu plus et je t'en remercie.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Faiza.

  • Speaker #1

    Cet épisode de Humankind, créateur de dialogues, est terminé. Si ce podcast vous a plu, n'oubliez pas de lui donner des étoiles ou encore de le partager sur vos réseaux. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous. Et si vous souhaitez poursuivre la conversation, retrouvez-moi sur LinkedIn, Faiza, Alec, d'Olivet. Un grand merci à l'espace F360 de nous avoir accueillis pour ce podcast. Cette librairie indépendante à Paris incarne des valeurs en phase avec celles de Humankind pour contribuer à travers les arts. la littérature et la culture à un monde plus humain. A très bientôt !

Chapters

  • Introduction à la médiation et son importance

    00:06

  • Dialogue entre Faiza et Jean-Edouard sur les conflits

    01:15

  • Définition et origine de la médiation dans l'histoire humaine

    03:01

  • Approche anthropologique de la médiation

    05:13

  • Exemples historiques de médiation en Nouvelle-Calédonie

    07:07

  • Les étapes de la négociation et de la médiation

    08:59

  • Comprendre le conflit et la conflictualité saine

    15:11

  • Créer un environnement de saine conflictualité

    23:21

  • La notion de don et ses implications dans la médiation

    41:02

Description

Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateurs de Dialogues, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation.

Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi.

C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grésy, mon nouvel invité. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus.

Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux.

Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent.

Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau.


Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, Jean Edouard est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel Araignée.


Bonne écoute!


www.linkedin.com/in/faiza-alleg-lawyer-mediator

www.faizaallegdolivet.com


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Humankind, créateur de dialogue, le podcast qui donne la parole à ceux qui, à travers le monde, font la médiation. Je suis Paisa Alec Daudivet, avocate au barreau de Paris et médiatrice certifiée. Chaque mois, je décortique les aspects concrets de cette pratique avec un expert. Bien plus qu'un simple outil de justice négociée, la médiation. c'est avant tout un processus de transformation des conflits par l'émergence du dialogue dans tous les terrains accidentés de nos vies, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux ou juste humains. Humankind, c'est un lieu d'échange pour comprendre les mécanismes et les enseignements de la médiation, avec celles et ceux qui la font vivre sur le terrain. Et pour ceux qui se posent encore la question, voici mon invitation. Soyez créatifs. Changez de perspective. Explorez, soyez audacieux, soyez courageux, soyez vulnérables, définissez vos intentions, projetez l'avenir, apportez du changement, soyez le changement. Maintenant, bienvenue à la table des négociations. Dans ce nouvel épisode de Humankind Créateur de Dialogue, on ajoute une corde à notre arc. Au croisement de l'anthropologie et de la médiation, on se lance dans l'exploration de ce qui dans notre espèce, rend possible la coopération ou la confrontation. Le conflit n'est pas un accident de parcours, c'est une donnée de base de la condition humaine. Depuis la nuit des temps, l'humanité n'avance qu'en traversant l'adversité, parfois en s'y brisant, parfois en en sortant grandi. C'est dans cet espace trouble que travaille Jean-Edouard Grézy, mon invité d'aujourd'hui. Anthropologue, médiateur, conférencier, il a fait du conflit un laboratoire d'expérimentation. Il en observe les mécanismes, en décompose les usages et surtout, il s'attache à en révéler les vertus. Car oui, il existe une conflictualité saine, une manière d'habiter le désaccord sans se détruire. Passionné d'histoire et de culture, il nourrit ses réflexions des trajectoires de négociateurs qui ont façonné l'histoire, parfois malgré eux. Les enseignements du passé résonnent, pourtant les mêmes errements se répètent. Chaque époque tente de comprendre le comportement humain par nos déviances, nos croyances, nos angles morts, ce qui ne circule pas, ce qui est bloqué, puis recommence à nouveau. Co-fondateur d'Alternego, docteur en droit, diplômé de l'EDEC, il est co-auteur d'une quinzaine d'ouvrages et de BD, parmi lesquels Gérer les ingérables, Comment les négociateurs réussissent, La Révolution du Don, ou encore tout récemment, Louis XI, l'Universel a régné. Jean-Edouard, je suis ravie de te recevoir pour cet épisode de Humankind.

  • Speaker #1

    Merci, merci Faisan de m'accueillir.

  • Speaker #0

    Pour commencer cette conversation, Jean-Edouard, j'ai envie de te poser une question toute simple. Est-ce que tu peux définir d'où vient la médiation ?

  • Speaker #1

    D'aussi loin que remonte l'humanité. Il y a un méthologue passionnant qui s'appelle Franz De Waal qui a été... travailler sur le concept de mâle alpha et de femelle alpha. C'est intéressant parce que ce sont des mâles alpha chez les chimpanzés, des femelles alpha chez les bonobos. Et ce qu'il a observé, contrairement aux idées reçues, le mâle alpha ou la femelle alpha ne sont pas les plus costauds, ceux qui vont casser la figure des autres. Ils sont au contraire cooptés. Et il ne reste mâle ou femelle alpha qu'à deux conditions essentielles qu'il a pu observer. La première, il préserve la paix dans la communauté. Il a observé des scènes de médiation, littéralement. Et deux, dès qu'il y a quelqu'un qui a un deuil, qui est blessé, il vient tout de suite apporter soin. Donc, il s'épouille. C'est tout un langage, effectivement, qui leur est propre. Mais évidemment, la médiation remonte aux origines de l'humanité. C'est une certitude.

  • Speaker #0

    Et donc, le rôle de ce mâle alpha, c'est un créateur de liens et un créateur de dialogues ?

  • Speaker #1

    Oui, on retrouve ça dans toutes les communautés humaines. Moi, j'ai fait de l'anthropologie du droit, c'est la science de la coutume et c'est l'oralité juridique. et on définit avant que le conflit ne naisse, la manière dont on va la gérer. J'avais travaillé à un moment donné avec des généalogistes pour travailler sur des grosses, des notaires des 15e, 16e siècle. Donc il faut avoir quand même un peu de capacité de lire le français ancien, ne serait-ce que déchiffré. Et c'est passionnant de voir qu'il y a un nombre d'accords de règlements amiables majeurs. On avait calculé plus d'un tiers à presque la moitié de certaines grosses de notaires, avec des formules d'époque que je trouve très savoureuses, pour obvier justice, pour que bonne paix... et véritable amour se fassent entre les parties. En gros, ils ne savent pas écrire à l'époque, la plupart des habitants de la France. Donc, ils rencontrent un tiers qui n'est pas toujours indiqué dans l'acte. Et ensuite, ils vont chez le notaire qui rédige et il signe d'une croix. Voilà. Donc, c'est quelque chose d'extrêmement ancien pour préserver la communauté et éviter sa dissolution et la violence de tous contre tous, tout simplement.

  • Speaker #0

    Donc, tu parles de l'anthropologie. En quoi est-ce que cette approche anthropologique, cette recherche sur l'espèce humaine ? est en lien avec la médiation.

  • Speaker #1

    Ce qui m'a intéressé dans l'anthropologie, c'est la démarche, déjà en termes d'études, c'est ce qu'on appelle l'observation participative, c'est-à-dire qu'on doit faire partie de l'expérience que l'on observe pour pouvoir mieux la décrire. Et donc il y a tout un travail pour ne pas tomber dans ce qu'on appelle l'ethnocentrisme, donc il faut arriver à se désacculturer, se déconstruire un peu par rapport à nos représentations du monde pour accéder aux représentations du monde de l'autre ou des personnes qu'on observe. Donc déjà c'est une démarche de médiasuparaissance, c'est peut-être le point le plus difficile de se... déconstruire ou en tout cas d'apprivoiser plus ou moins ses préjugés et ses représentations.

  • Speaker #0

    Tu veux dire déjà pour être en lien avec l'autre ?

  • Speaker #1

    Pour être en lien et pour être en capacité d'observation. Parce que si je plaque ma propre grille de lecture sur ce que je vois, sur une autre culture, je passe à côté... Je vais donner un exemple très simple. Quand la France arrive en 1853 en Nouvelle-Calédonie, face à des Kanaks qui sont là depuis 3000 ans, ils leur disent, je caricature, mais c'est à qui cette terre ? Et le Kanak, à l'époque, ne comprend pas la question. puisque la notion de propriété n'existe pas. La nature est une entité en soi et on ne peut pas la posséder. Donc, le canaque ne comprend pas la question et quand le français colon arrive et lui dit « Tu peux signer ici pour cet acte de propriété, contre un fusil, une bouteille de whisky, de rhum, il signe. » Et le lendemain, il revient à l'endroit et là, le français lui dit « Maintenant, c'est à moi. » Et là, il ne comprend pas. Donc, il met des barrières, il y a des révoltes, etc. si je ne rentre pas pas dans la culture et les représentations du monde. Et ce qui est fou, c'est qu'on est en 2025, on est à nouveau sur un conflit terrible en Nouvelle-Calédonie, et il y a cet ethnocentrisme qui est toujours là, et cette incapacité à passer d'une culture à l'autre, de faire médiation littéralement entre ces deux peuples.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui fait qu'à un moment donné, on n'arrive pas à avancer vers un dialogue qui soit plus construit, une fois qu'on a fait le constat que tu viens de faire ?

  • Speaker #1

    C'est d'autant plus tragique en Nouvelle-Calédonie. J'ai eu la chance de rencontrer la mission du dialogue, c'est-à-dire Christian Blanc, Pierre Steinmetz, Christian Causart à l'époque. J'en ai fait un roman graphique qui s'appelle La solution pacifique. C'est d'autant plus triste que la démarche et le processus avaient fonctionné en 88 et que quand il y a eu à nouveau les émeutes, les Kanaks ont demandé une mission du dialogue qui a mis beaucoup de temps à se mettre en place et qui commence un petit peu à... à se mettre en place, mais on a perdu énormément de temps. Il a fallu aller à nouveau dans une escalade de violence terrible pour que les parties prenantes acceptent peut-être de commencer à discuter. Le point le plus difficile, c'est d'accepter de faire venir les adversaires à la table dans un conflit à haute intensité. Et ce qui est passionnant de la mission Rocard à l'époque, en 88, c'est qu'il avait bien compris ça, parce qu'il avait une grande profondeur historique, Michel Rocard. Et il a désigné ce qu'il appelait des médiateurs sécants à l'époque, c'est-à-dire il cartographie les acteurs. Côté Caldoche, c'était Jacques Lafleur, c'était un protestant, un franc-maçon. Donc il envoie le représentant de l'église protestante, le représentant de la loge qui va bien. Jean-Marie Djibaou, c'est un ancien curé. Il envoie le représentant de l'église catholique, un préfet crocardien, baladurien, pour que la mission ne soit pas instrumentalisée sur le plan politique. et cette mission va faire un travail exceptionnel pour arriver à passer dans le camp de chacun et établir la feuille de route, l'ordre du jour qui va être ensuite négocié à Matignon et débouché sur les accords, mais c'est une mission exceptionnelle.

  • Speaker #0

    Je m'arrête un tout petit peu là-dessus parce que ce qui est intéressant dans ce travail que tu décris, qui est en effet sur un conflit à haute intensité, il faut penser la façon dont on va s'asseoir à la table. Par moment, dans les conflits, de façon très générale, on ne réfléchit pas, on se précipite. Donc cette question du temps et de la façon de construire le dialogue Merci. Pourquoi c'est important ?

  • Speaker #1

    En négociation, on dit souvent qu'il faut définir un accord de méthode avant de dérouler la méthode. C'est le point le plus difficile. Qui va être autour de la table ? Quel va être l'ordre du jour ? Où est-ce qu'on va se rencontrer ? Combien de temps va se donner ? Qui sera éventuellement tiers pour faciliter les échanges ? Est-ce que les représentants ont un mandat suffisamment flexible pour pouvoir discuter ? Donc, tous ces éléments sont assez peu travaillés en général. ça demande de la préparation, ça demande un peu de temps et de stratégie à mettre en place et c'est souvent bâclé. Pour reprendre l'exemple de la Nouvelle-Calédonie, ça reste la dernière colonie française, il ne faut pas l'oublier, et avant c'était géré par le Premier ministre puisque c'était une affaire internationale qui est suivie par l'ONU. Quand vous demandez au ministre de l'Intérieur de s'occuper de la Nouvelle-Calédonie, symboliquement, vous n'envoyez pas le même message. Et quand vous demandez à Sonia Baques, qui est loyaliste, d'être secrétaire d'État, vous envoyez encore un autre message. Les symboles sont hyper importants. Le symbolique, c'est le contraire du diabolique. Le symbole, c'est ce qui rapproche, ce qui réunit. Le diabolique, diabolone, c'est ce qui divise. Et on est rentré dans une logique un peu diabolique.

  • Speaker #0

    Donc il y a tout ce qui va entourer la construction du dialogue qui va avoir un impact sur le succès ou l'échec d'un processus de négociation ou résulter dans des violences assez extrêmes. comme ça a été le cas. Après la violence, qu'est-ce qui se passe ?

  • Speaker #1

    Ce que disait Michel Rocard, c'est peut-être un peu triste, mais dans certains conflits à haute intensité, parfois, il faut aller à un niveau de violence tel que les acteurs s'aperçoivent qu'il n'y a pas d'échappatoire autre que la paix. A savoir, on a tout détruit, il y a eu des morts de chaque côté, on voit qu'on ne s'en sort pas. Du coup, le coût du conflit a atteint un tel niveau qu'on n'a plus d'autre choix que de discuter. C'est vrai dans certaines situations. Malheureusement, on a pu aussi observer dans l'histoire que l'humain est tenace et qu'il peut aller dans la violence de tous contre tous dans certaines extrémités, quitte à tout perdre. Donc oui, il faut pouvoir documenter le coût du conflit pour amener les personnes à mieux comprendre ce qu'ils pourraient gagner à s'entendre. Mais quand on arrive à la violence à un certain niveau d'intensité, c'est très difficile aussi de redescendre.

  • Speaker #0

    En effet, et documenter le coup du conflit, mais aussi le vivre, le ressentir peut-être dans sa chair, à tel point qu'on se sente en capacité à faire le pas vers l'autre.

  • Speaker #1

    Oui, là aussi, sur la Nouvelle-Calédonie, c'est très intéressant parce qu'on a eu des hommes exceptionnels à l'époque. C'est-à-dire que Jean-Marie Djibahou, quand il y a un attentat qui a échoué contre lui, il perd deux frères dans l'attentat. Le jour même, il appelle sa communauté à ne pas se venger. Il est parti faire des études d'ethnologie en France. pour essayer d'expliquer la culture de son peuple aux Français avec nos mots et nos grilles de lecture. C'était déjà un Nelson Mandela avant l'heure. Quelqu'un qui était dans cette logique de, pour tourner la page encore, faut-il l'avoir lue, c'est-à-dire l'avoir comprise, documentée et arriver à se projeter sur un avenir commun en intégrant les contraintes de chacun. Toutes les époques n'héritent pas de gens aussi sages, aussi clairvoyants. Il faut arriver à les trouver. Quels sont les représentants des deux camps qui ont cette hauteur de vue ?

  • Speaker #0

    Il n'a pas été entendu ?

  • Speaker #1

    Jean-Marie Dibaou ? À l'époque, c'est toute une histoire. C'est-à-dire qu'au début, non. Il a fallu le drame de la grotte d'Ouvéa où l'armée française a donné l'assaut. Il y a eu 19 morts côté Canac, des morts aussi côté de l'armée. Mais il a été entendu comme leader de son peuple incontournable. Il a été entendu parce que... était capable de traduire les aspirations des Kanaks avec une légitimité exceptionnelle. La difficulté qu'il y a eu, parce qu'il a été assassiné, c'est que, encore une fois, il y a eu un problème interculturel. C'est-à-dire que dans ce que j'ai compris de la culture kanak, on ne donne pas un mandat comme ça, normalement, historiquement. C'est-à-dire qu'on ne donne pas un mandat à Jean-Marie Djibahou pour aller négocier à Matignon. Normalement, s'il y a négo... sur des sujets qui n'ont pas été discutés avec les communautés, il doit revenir vers les communautés, rediscuter et revenir à la table. Et ça, on ne lui a pas permis de le faire. Et donc, il a dû prendre des engagements au-delà du mandat qui lui était confié. Et quelque part, effectivement, certains ultras de son camp l'ont vécu comme une trahison, ce qui a abouti à son assassinat, qui était une tragédie terrible.

  • Speaker #0

    C'est un exemple pertinent dans le monde d'aujourd'hui, et la complexité multiculturelle, c'est toujours ce questionnement sur comment est-ce qu'on peut, dans tel chaos, reconstruire du dialogue, du respect mutuel, quand la relation est autant entachée. Est-ce que c'est même possible ?

  • Speaker #1

    Là, on parle de conflits ultra complexes, puisque internationaux, avec énormément de parties prenantes. Si on redescend à un niveau interpersonnel ou un collectif de travail au niveau d'une entreprise, oui et non. C'est-à-dire que pour moi, la médiation doit permettre, peut permettre de retravailler la confiance, recréer du lien, amener effectivement d'autres manières de fonctionner à l'avenir ensemble et d'apprendre à mieux se connaître et à mieux travailler. Pour autant, parfois, on accompagne aussi des séparations. et ce n'est pas rien que d'arriver à amener des gens qui se haïssent littéralement à faire le deuil de leur relation et accepter de se séparer sans se déchirer ou sans se venger à l'avenir. On le voit beaucoup en médiation familiale, mais c'est aussi une pratique qui existe en médiation dans les conflits du travail ou dans des conflits inter-entreprises entre clients et fournisseurs qui doivent se séparer sans se porter atteinte ni à leur réputation ni aux personnes qui étaient impliquées sur le projet.

  • Speaker #0

    Mais au fond, si on se pose vraiment la question, c'est quoi être en conflit ?

  • Speaker #1

    En conflit, moi je pars d'une définition assez simple. Pour moi, c'est un blocage dans une prise de décision, littéralement. Il peut y avoir une incompréhension sans qu'il y ait conflit. Il peut y avoir un désaccord sans qu'il y ait conflit. Le conflit va se reconnaître à plusieurs éléments. D'abord, il y a forcément des émotions. Étant donné que la décision, on n'arrive pas à avancer, nos intérêts sont frustrés, donc il y a forcément des émotions avec plus ou moins d'intensité, ce qui peut conduire à une dégradation de la communication. On a le sentiment que le temps paraît figé, qu'on n'avance plus, qu'on répète la même chose. Et le symptôme du conflit, c'est la... personnalisation, c'est-à-dire la confusion entre le problème et la personne. On confond le joueur et le ballon, on ne voit plus le ballon, et ça nous donne envie d'aller shooter dans le joueur, si j'ose dire. Ce qui démarre l'escalade et peut générer ensuite agressivité et violence, mais il faut bien distinguer la violence du conflit. Le conflit fait partie de la vie. Il y a un proverbe africain qui dit que quand on dit aux gens de vivre ensemble, on leur dit de se disputer. C'est important de bien se disputer pour préserver une relation durable. Par contre, la violence, effectivement, est interdite. ultra dangereuse physiquement, moralement et en termes d'escalade, il n'y a pas de limite.

  • Speaker #0

    Mais alors, comment faire quand l'acceptation de la saine conflictualité, c'est de ça dont tu parles dans un de tes livres, n'est pas tout à fait quelque chose que les gens reconnaissent ? Il y a des gens pour qui ce n'est pas du tout ok d'avoir le moindre désaccord. Donc comment on crée un environnement de saine conflictualité ?

  • Speaker #1

    Au travail ? Oui. Eh bien... Ça passe par plusieurs phases. D'abord, ça passe par une forme de sensibilisation, formation du corps social à oser dire, à aborder les sujets qui fâchent, à donner du feedback. Il y a plein de méthodes, la communication non-violente, les conversations courageuses, la négociation. En gros, il faut pouvoir oser dire et dire les choses, faire valoir ses intérêts, ses droits en face à face. C'est une question de responsabilité. Un des grands principes pour sortir du conflit, c'est accorder le bénéfice du doute. Mais pour accorder le bénéfice du doute, ce n'est pas un blanc-seing. Il faut pouvoir se confronter, démêler ce qu'on appelle l'intention de l'impact. Qu'est-ce que tu voulais dire par là ? Comment je l'ai vécu ? Comment est-ce qu'on ferait à l'avenir ? Etc. Et on va dire qu'une très grande partie de la conflictualité au travail se règle de manière informelle, entre deux portes, en sortie de réunion.

  • Speaker #0

    On est d'accord qu'on n'est pas formé à ça ?

  • Speaker #1

    Non.

  • Speaker #0

    Donc c'est tout l'objet du travail que tu fais avec les entreprises, c'est d'accompagner les acteurs. avec ces techniques de gestion du conflit ?

  • Speaker #1

    Exactement. Ça s'améliore un petit peu. Maintenant, je vois des écoles où ça commence. Médiation scolaire, formation par les pairs. Mais effectivement, on a un très grand retard sur ces sujets. On le voit encore très clairement avec le dernier rapport de Ligas qui est sorti en mars 2025 sur le management à la française, qui est encore lanterne rouge de l'Europe. On ne progresse pas. Management, un des plus hiérarchiques d'Europe, les plus directifs. Plus on a tendance à maîtriser le fond d'un sujet, plus on a tendance à mépriser la forme, c'est-à-dire la manière de le faire accepter ou d'engager les personnes concernées. Et donc, effectivement, il y a un gros travail de formation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une spécificité française ?

  • Speaker #1

    C'est une des spécificités françaises, oui. L'autre spécificité, c'est ce que disait Crozière il y a plus de 30 ans, une des caractéristiques du management à la française, c'est l'évitement des relations de face à face et la fuite face au conflit.

  • Speaker #0

    D'accord.

  • Speaker #1

    Donc, j'ai une idée sur le fond, si tu n'es pas d'accord. Eh ben, je ne suis pas là.

  • Speaker #0

    Ça nous donne une petite idée du travail qu'il reste à faire en tant que médiateur pour même accepter. Parce qu'il y a beaucoup de déni, finalement, dans ce que tu décris. On n'accepte pas le fait d'être mis en question, de construire un échange, et on n'accepte pas le désaccord.

  • Speaker #1

    C'est ça. Une grosse part de l'évitement, c'est la peur de l'agressivité. Le conflict avoider, le fuyant, il a peur d'un déferlement émotionnel. perdent ses moyens et donc ils préfèrent éviter la confrontation.

  • Speaker #0

    Ça, c'est une autre caractéristique. Le management à la française, on va éviter de se retrouver dans le face-à-face parce que ça fait peur.

  • Speaker #1

    Oui, on a peur d'un déferlement émotionnel, d'être mis en question et puis on a peur aussi que ça puisse dégénérer au niveau d'une instrumentalisation ou au niveau du dialogue social, que les représentants du personnel s'en mêlent, que les RH nous suivent. Il y a plein de fantasmes autour de ça.

  • Speaker #0

    Mais quand tu parles de déferlement émotionnel, ça veut dire que quelqu'un qui explose sa colère ou sa tristesse ou qui pleure, ça va être embarrassant ou gênant pour celui qui reçoit toute cette émotion. C'est ça.

  • Speaker #1

    J'ai vu un manager à qui c'est arrivé, une collaboratrice qui s'est mise à pleurer dans son bureau. Il a fermé les petits volets de ses cloisons en verre. Il a ouvert la porte et il allait chercher des verres d'eau. Il ne savait plus quoi faire. La collaboratrice était complètement... Atterré de voir qu'il n'y avait personne en face, complètement déboussolé, perdu.

  • Speaker #0

    Et comment on réagit ? C'est quoi les caractéristiques ? Si on peut catégoriser les réactions face au conflit ?

  • Speaker #1

    Ce qui est intéressant de voir, c'est quel est notre style dominant. Et le style dominant face au conflit, on va le retrouver en état de grande fatigue. Plus on est fatigué, plus le style dominant est puissant. Le problème, il est cognitif, c'est-à-dire qu'on a du mal, au niveau cognitif, à distinguer parfois le conflit du danger de mort. Quelqu'un qui parle fort, quelqu'un qui, émotionnellement, est impressionnant, ça a tendance à nous amener à nous recroqueviller dans la partie la plus archaïque du cerveau, qu'on appelle le cerveau reptilien. Et le cerveau reptilien nous dit que trois comportements de réaction, soit riposter, soit fuir, soit céder. Ce qui est bien, si on se fait agresser de la rue, c'est bien de donner son argent plutôt que de perdre la vie. C'est très adapté aux dangers de mort, mais pas aux conflits. Et ce qu'on voit, c'est que plus on est fatigué, plus on va vers ce style dominant. Là, j'ai vu une femme qui s'est fait agresser dans un métro à Lille par deux mecs balèzes. Et ils voulaient lui voler son sac. Et elle les a mordus jusqu'au sang. Elle les a mis en fuite. Et je dis, mais ça ne va pas. Elle dit, ben, j'étais fatigué. Oh merde, ce n'était pas le jour. Elle était prête à perdre la vie plutôt que de perdre son sac. Donc là, on sait que le profil dominant, c'est dur. Tu viens me chercher, je riposte, direct. Tu viens me piquer mon sac, je te mords. Profil dur. Deuxième style, profil fuyant, c'est celui dont on parlait. Celui qui dit toujours oui, mais qui ne dit jamais quand. Il dit, je prends le point, il ne dit pas où il le met. Il dit, c'est de la tuyau, il ne dit pas quand ça sort. Un homme politique, il disait, il n'y a pas de problème qu'une absence de solution ne finisse par résoudre. Et puis le troisième style, c'est le style d'où je lui donne ce qu'il veut. Comme ça, il va arrêter d'être en conflit. Il suffit de le satisfaire. Je suis très empathique. Mais moi, j'ai tendance à m'oublier, à me faire avoir. Et il y a un proverbe africain qui dit « Vous ne rendrez jamais un lion végétarien en lui donnant des steaks à manger. » Le danger, c'est que ça donne faim à l'interlocuteur et qu'il va continuer à grignoter.

  • Speaker #0

    On peut changer de style ou on a toujours un style dominant ?

  • Speaker #1

    On a un style dominant. Maintenant, on a aussi ce qu'on appelle un style... adaptatif, c'est-à-dire que on va s'adapter à son interlocuteur en fonction de sa taille, des enjeux, des niveaux hiérarchiques, bien sûr. Et ça, ce sont des styles naturels, on va dire, et évidemment avec le travail sur soi, l'expérience, la formation, l'introspection, on peut développer quelque chose qui est un style plus diplomatique, mais qui, sur le plan théorique, est simple, et sur le plan pratico-pratique, beaucoup plus exigeant. C'est l'essence de la diplomatie qu'on appelle main de fer dans un gant de velours, à savoir être capable de rester toujours courtois, diplomate avec la personne, tout en étant assertif, ferme sur la défense de ses droits et de ses intérêts. Ne pas confondre les deux, ce qui n'est pas simple.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce que, dans cette dynamique finalement un peu primaire qu'on vient de décrire, le côté très réactionnel, on évolue vers un système qui soit un peu plus conscient de ses notions, conscient de l'environnement ? en capacité à résoudre, à proposer des solutions. Quels conseils on peut donner, en fait ?

  • Speaker #1

    C'est pour ça qu'on avait commencé à voir dans l'entreprise le premier niveau, c'est-à-dire la formation, la capacité à dire, à oser dire, etc. Pour une culture complète de saine conflictualité, entre guillemets, ou de conflictualité productive, disait Ricoeur, il y a un deuxième niveau. Ce qui est amusant, c'est qu'on est en train de réinventer en entreprise ce qui existe dans toutes les sociétés coutumières depuis l'origine de l'homme. Je prends un exemple, chez les Dogons au Mali, Historiquement, il y a un conflit, la coutume a déjà défini ce qu'on va faire. Et il y a trois étapes. Étape 1, j'en parle en face à face. Et ça, ce n'est pas toujours simple. Étape 2, j'ai le droit de ne pas y arriver. Le conflit peut être simple, il peut être d'une complexité absolue parce qu'il y a beaucoup d'émotions, je suis touché dans mes valeurs, c'est systémique au sens qu'on voit le travail, une personne dans une équipe, dans une organisation en prise avec des parties prenantes diverses ou un système externe. Ça peut être trop compliqué pour une personne. Donc, étape 2, possibilité d'une médiation. Alors, dans toutes les sociétés, c'est toujours en cercle. On est en cercle, on est assis. Chez le Dogon, ils ont une case dédiée avec des grosses poutres en bois à 1,30 m du sol. Parce que non seulement on est assis, mais si on se relève brusquement, on a compris que ce n'est pas possible. Un petit coup derrière la tête, ça calme. Et la médiation n'est qu'une obligation de moyens, pas de résultat. Si la médiation n'aboutit pas, étape 3, ça part chez les sages qui se concertent et qui prennent une décision. Et si on ne respecte pas la décision, c'est l'exil. On doit quitter la communauté, ce qui veut dire mort sociale, voire mort tout court dans certains contextes de l'époque. Et donc, la coutume a déjà prédéfini, et donc on est relativement rassuré et protégé par le cheminement que l'on va suivre, et on sait qu'il y a plusieurs étapes. Et en fait, c'est ce qu'on met en place dans les entreprises aujourd'hui. Ça existe aux États-Unis sur le terme « dispute resolution system » , où on va préciser graduellement ces étapes, comme chez les Dogons, et ça se met de plus en plus. En place, en France, dans plein d'entreprises.

  • Speaker #0

    En fait, on revient à ce qu'on disait initialement quand tu parlais de la Nouvelle-Calédonie, c'est vraiment cette question de process. Et moi, j'utilise souvent le terme process design, mais qui signifie tout simplement, on reconnaît qu'on est en phase de désaccord et on va mettre en place une procédure de façon à structurer le dialogue. Et en effet, c'est intéressant finalement de cet exemple d'une gradation dans la résolution. C'est vraiment pertinent parce que finalement, on ne mélange pas tout. Quand on fait ça, on arrive à décortiquer un peu la situation et puis y apporter progressivement des réponses adaptées.

  • Speaker #1

    C'est ça, et c'est tout un écosystème. Quand ce sont les conflits du travail, ça ne marche qu'à travers un chaînage. très serré entre les représentants du personnel, les RRH, le médecin du travail. Il faut que tout le monde soit un peu co-responsable du système interne. Et donc, s'il y a quelqu'un qui vient voir, je ne sais pas, un représentant du personnel, il va lui dire, est-ce que tu lui en as parlé directement ? Non, je n'ose pas. Est-ce que tu veux que je t'aide à trouver les mots pour lui dire ? Est-ce que tu veux dire par oral, par écrit ? C'est la première phase, on ne va pas directement aller en médiation tant qu'on ne lui a pas accordé le bénéfice du doute. Le corps social fait bloc autour du système.

  • Speaker #0

    Donc, ça veut dire que tout le monde doit avoir... le même niveau de connaissance, de formation ou la capacité à orienter. Ça ne veut pas forcément dire réagir avec les outils de la médiation, par exemple. Ce n'est pas forcément une médiation, d'ailleurs.

  • Speaker #1

    Non, la médiation est un des outils au service de la gestion du conflit.

  • Speaker #0

    Donc, c'est créer un écosystème interne qui va permettre de désamorcer les conflits dans l'entreprise.

  • Speaker #1

    Exactement. Et si on transpose le système Dogon en entreprise, on garde le système 1, on en parle en face à face, on garde le système 2. On n'y arrive pas, on offre un cadre sécurisé pour recréer les conditions du dialogue à travers une médiation. Par contre, le système des sages et des anciens, c'est ce qu'on appelle des solutions RH. Et là, on a une panoplie de possibilités plus importantes. Est-ce qu'il faut lancer un coaching ? Est-ce qu'il faut former une équipe ? Est-ce qu'il faut réorganiser le travail au niveau des charges ? Il y a parfois des compétitions. Est-ce qu'il faut lancer une expertise ? Est-ce qu'il faut rentrer dans du disciplinaire parce qu'il y a des comportements déviants ou toxiques qui ont été observés ? Et donc, on a une panoplie plus importante. Mais si on y va graduellement, on évite aussi de se retrouver, comme j'ai pu le voir dans certaines entreprises, où on attaque directement. Alors, soit on ne fait rien jusqu'à ce qu'on ait des arrêts, des risques dans tous les sens. Soit on attaque au bas ou cas sans avoir permis un dialogue ou une explication préalable.

  • Speaker #0

    Oui, le pendant de ça, ça va être tous les symptômes de... Arrêt maladie à répétition, litiges,

  • Speaker #1

    baisse de productivité, des impacts en termes d'images et de réputation dans les médias, des plantages de projets. Le coût du conflit peut être considérable.

  • Speaker #0

    Jusqu'aux situations les plus graves qui sont les suicides et ça devient en fait quelque chose, on peut dire systémique.

  • Speaker #1

    Il y a un chiffre qu'on n'a jamais vraiment expliqué mais qui est une constante dans l'humanité, dans toutes les communautés. extrêmement tragique mais Un enfant sur dix subit du harcèlement scolaire. Une femme sur dix subit des violences intrafamiliales. Un salarié sur dix subit du harcèlement moral. Et donc, si dans une communauté humaine, qu'elle soit scolaire, famille, entreprise, on n'a pas des modes de régulation, on ne peut pas traiter les situations les plus graves.

  • Speaker #0

    Si on a mis en place les processus adaptés, on pense qu'on peut résoudre ces difficultés ? Oui. Un exemple, au Canada, ils avaient lancé un programme qui s'appelait Ensemble vers le Pacifique à l'école primaire. Et on s'est aperçu qu'on a fait plein d'expériences en France aussi depuis, notamment Jean-Pierre Bonnet-Feschmidt sur la médiation scolaire à l'école. Aujourd'hui, France Médiation dans tous les collèges, lycées. Que l'âge certainement le plus judicieux pour apprendre ça, c'est le CM1, CM2. Et qu'au Canada, il est formé à la négociation au CM1, médiation par les pairs. Un lieu disposé comme chez les Dogons, en québécois, ça s'appelle la cabane à pas de chicane. Et ensuite, niveau 3, régulation par les profs, évidemment les instit, etc., qui ont un temps de régulation de vie de classe pour traiter selon les termes, les plaintes ou les difficultés, voir si les médiations ont permis de régler les problèmes ou s'ils doivent intervenir pour mettre fin à des situations qui ne sont pas réglées.

  • Speaker #1

    Oui, c'est le moment de l'intervention du tiers neutre qui va être cette aide extérieure. quand on a... déjà essayer de mettre en place des choses internes. Après, tu parles de culture. On sait que le Canada est très avancé sur ces approches. On en parle de plus en plus en France aussi, en Europe en général. Mais qu'est-ce qui fait qu'on ne va pas avoir le réflexe médiation, négociation, dialogue, un peu partout, dans les hôpitaux, dans les tribunaux, dans l'école ? Ce n'est pas encore quelque chose qui s'est généralisé.

  • Speaker #0

    C'est mieux.

  • Speaker #1

    Oui, c'est mieux,

  • Speaker #0

    ça progresse,

  • Speaker #1

    mais lentement.

  • Speaker #0

    Lentement, il y a plusieurs réserves. Il y a la peur de perdre la main, notamment au niveau de la ligne hiérarchique. Dès qu'on a fait intervenir un tiers, il y a toujours la peur qui se mêle de nos affaires et qui prennent des décisions à notre place. Le mot médiation en lui-même a une connotation parfois négative au sens conflit grave. Attention, j'ai vu ça, parfois on m'a demandé de faire une médiation et d'appeler ça coaching collectif plutôt que médiation, parce que médiation, ça faisait peur et qu'on allait croire que c'était très, très grave. Donc, il y a ça. C'est pour ça que je crois beaucoup à l'école pour un peu vulgariser un peu le terme. Bien sûr.

  • Speaker #1

    Non, mais la sémantique, elle est importante. On en parle à chaque épisode de ce podcast. Il y a toujours une question sur la sémantique. On sait que le mot médiation, c'est un mot qui est connoté, soit de façon comme quelque chose d'un peu grave. Ou alors comme quelque chose d'un peu chamallow, là c'est plus pour la partie justice, mais chez les avocats en tout cas, il y a une croyance que la médiation, c'est le moment où on va vivre le monde des bisounours, alors que c'est vrai dans aucun des cas. Et donc il faut aussi faire pédagogie autour de ce terme.

  • Speaker #0

    Et en plus c'est un terme qui s'est stabilisé dans la langue française assez récemment. On a retrouvé un des premiers livres sur la médiation en France. qui date de 1666, qui a été écrit par Alexandre de Laroche, qui s'appelle L'Arbitre Charitable. C'est un bouquin qui était passé sous les radars pour deux raisons. Déjà, le titre, L'Arbitre Charitable, on n'a jamais pensé que c'était un bouquin sur la médiation. Et deux, c'était écrit par un curé. C'était moins évident d'aller sur ce terrain-là, mais ce qui est intéressant, c'est que il utilise plusieurs termes. À l'époque, on parlait de moyenneur, d'arbitre charitable, d'amiable compositeur, il y avait plein de termes. Et on voit à travers ses écrits... Je trouvais ça très savoureux. On sent, en gros, que la plus grande médiatrice de l'histoire de France, Catherine de Médicis, qui a géré huit guerres de religion, on lui a collé la Saint-Barthélemy, mais les historiens modernes reviennent sur cette histoire. Elle a fait des médiations entre Henri de Navarre et la future reine Margot, qu'à un moment donné, elle ne sait pas, elle va les voir pour les réconcilier, elle ne veut pas la voir, Henri de Navarre. Elle se met dans le couvent à côté, elle attend un mois. Et au bout d'un mois, il craque, il accepte de la voir, elle fait sa médiation, elle les réconcilie. À la fin de sa vie, elle continue des médiations entre catholiques et protestants sur un brancard, à bout de force. Et Henri de Navarre a visiblement été très impressionné par Catherine de Médicis. Quand il a rédigé l'édit de Nantes, c'est une accumulation des accords et des traités qu'elle avait déjà moyennés, pour le coup. Et en 1610, Alexandre de Laroche raconte qu'Henri IV, la main de les rois, décide de mettre en place la médiation dans tout le royaume de France. Et malheureusement, il est décédé six mois plus tard, assassiné. Et sa réforme ne se fera que dans le Sud. Et j'ai rencontré quelqu'un qui m'a expliqué que le sépoune, en langage provençal médiateur, existe toujours à Saint-Tropez. Et Alexandre de Laroche explique, il faut lire un peu à travers les lignes, qu'en 1666, c'est Louis XIV, que Louis XIV vient de défaire l'édit de Nantes, que ce n'est pas trop le style médiation, et que dans la mesure où les conflits augmentent dans le Royaume de France, Merci. lui il dit que c'est au rôle de l'Église de le faire maintenant et donc il donne des méthodes pour développer la médiation dans tous les diocèses et son bouquin à l'époque a été édité à 10 000 exemplaires, c'est considérable.

  • Speaker #1

    Le sépoune.

  • Speaker #0

    Le sépoune.

  • Speaker #1

    Bon, alors, on a encore appris un nouveau terme aujourd'hui, mais de toute façon, tu nous as fait voyager dans tellement de... à la fois de culture et de moments de l'histoire. J'ai bien compris que c'était ta passion, c'est tous ces personnages de l'histoire. Est-ce qu'il y a un personnage que tu as envie de raconter par ses talents de négociateur ? Ah bah oui. Ah oui, ok.

  • Speaker #0

    Louis XI.

  • Speaker #1

    Alors, Louis XI, c'est parti.

  • Speaker #0

    Je suis un grand fan de Louis XI, qui a une légende noire. Et ça, je me suis rendu compte que... tous les grands négociateurs de l'histoire de France ont tous une légende noire. C'est-à-dire que celui qui meurt au combat droit dans ses bottes est un héros, celui qui fait un traité de paix en chambre confidentielle, on ne sait pas trop comment, est un manipulateur. Donc Louis XI, c'était l'universel araignée, Catherine de Médicis, c'était la serpente, Mazarin, c'était le vautour, et là on parle des plus grands diplomates de l'histoire de France. Louis XI donc en On essaie de le réhabiliter sur sa capacité à rebâtir, reconstruire le royaume de France. Son plus grand ennemi à l'époque, c'est Charles de Téméraire, le duc de Bourgogne, qui a à peu près cinq fois plus de terres et qui est dix fois plus riche. Et le duc de Bourgogne, Charles de Téméraire, s'est marié avec la fille du roi d'Angleterre, Édouard IV. Et donc, du fait de ce mariage, il fait partie de ce qu'on appelle l'ordre de la jartière. C'est un peu comme l'équivalent de l'autre. temps. S'il y en a un qui se fait agresser, l'autre lui doit assistance. Fort de cela, Édouard IV débarque à Calais avec une armée équivalente à celle de Louis XI, mais avec l'ordre de la Jartière. Il appelle Charles le Téméraire, qui a une armée bien plus importante, et il sait qu'il va finir Louis XI, et donc finir la guerre de Cent Ans facilement. Et là, Louis XI, il est quand même très, très mal, et il va avoir un coup de génie stratégique. D'abord, il a créé l'ordre de Saint-Michel. où il a créé des loyautés avec les seigneurs de son temps. Et donc, il va demander au duc de Lorraine d'aller déclarer la guerre à Charles de Téméraire. Et il lui dit, je paye évidemment tous les mercenaires suisses qu'il te faut, mais tu vas me scotcher Charles de Téméraire pour qu'il ne rejoigne pas Édouard IV. Ce qu'il va faire, et donc Charles de Téméraire va aller voir Édouard IV en disant, j'arrive, mais laisse-moi un peu de temps que je finisse le duc de Lorraine. Et donc, Édouard IV est enquisté à Calais. Ça ne se passe pas comme prévu. il lui déclare quand même la guerre et là Louis XI lui dit au champion envoyé par le roi d'Angleterre, il dit « Je te paye 1000 écus si tu m'expliques comment est-ce que je peux rencontrer Édouard IV pour discuter. » Et il va organiser des pourparlers à Piquigny, sur une île qui s'appelle l'île de la Trève. Ils vont construire un pont avec des grandes cages en bois pour pouvoir se parler sans se mettre un coup d'épée parce qu'on ne désarme pas un roi à l'époque. Et Louis XI va faire ce qu'on appelle en négociation, et c'est assez unique dans l'histoire, il va lui bâtir ce qu'on appelle un communiqué de victoire, c'est-à-dire Merci. créer le discours pour qu'il reparte chez lui sans se battre. Si on avait mis ça en place en 1919 au traité de Versailles, on aurait peut-être évité une Deuxième Guerre mondiale. Donc il lui rembourse sa campagne, 75 000 écus d'or, plus les intérêts, plus bouffe à caler pour les archers. Et il a dit, j'ai mis fin à la guerre de son temps avec quelques pièces d'or et du pâté. Évidemment, ça ne suffit pas, le roi d'Angleterre ne saurait être acheté, donc il lui promet un mariage avec le dauphin, le futur Charles VIII. et sa fille. Et pour ne pas honorer ce point de l'accord, il va créer un nouveau métier, le métier de diplomate. Et donc, de 75 à 1483, il envoie ses diplomates pour organiser le mariage avec des mandats extrêmement courts pour que ça ne se fasse pas. Et évidemment, Charles VIII se mariera avec Anne de Bretagne, qui est le territoire qui lui manquait.

  • Speaker #1

    En quoi est-ce que déjà ça t'inspire ? Et en quoi est-ce qu'on peut peut-être tirer quelques leçons sur notre actualité aujourd'hui ?

  • Speaker #0

    Mais... Parce qu'en plus, Louis XI a rédigé le Rosier des guerres pour son fils Charles VIII, qui est un peu son testament politique. Il donne plein de bons conseils politiques qui sont toujours applicables, avec des formules très savoureuses. Subtilité vaut mieux que force. Après, c'est en vieux français aussi, mais en gros, il vaut mieux négocier parce qu'on peut encore amender sa pensée, alors qu'en guerre, une fois que c'est parti, on ne peut plus revenir en arrière. Il dit qu'un bon roi doit pouvoir visiter son peuple. comme un jardinier, son jardin, donc toujours aller sur les routes, au-devant des personnes, pour entendre leurs besoins, se faire connaître, créer du lien. Il a passé sa vie à faire ça. Puis il disait « Que l'orgueil chemine devant, honte et dommage suivent de près. » Et ça, c'est tellement vrai.

  • Speaker #1

    On s'en souvient un petit peu moins que de ceux qui sont prêts à s'engager sur le champ de bataille. Et donc, l'histoire est moins marquée par ce type de héros.

  • Speaker #0

    Exactement.

  • Speaker #1

    Il y a un autre sujet qui t'est cher, Jean-Edouard, c'est celui du don. J'aimerais bien qu'on passe quand même quelques minutes à en parler, notamment au travers d'un ouvrage qui s'appelle « La révolution du don, le management repensé par l'anthropologie » . Qu'est-ce que c'est que cette notion du don ?

  • Speaker #0

    C'est la notion la plus essentielle, si j'ose dire, puisque c'est ce qui permet de comprendre comment nos liens se font, se défont, comment la confiance s'installe et la défiance peut se provoquer. Il faut se rapporter aux travaux de Marcel Mauss, qui est le père de l'ethnologie scientifique française, qui est le neveu de Durkheim, qui a très peu fait de terrain, mais qui parlait onze langues et qui a lu tous les récits ethnographiques de son temps et qui a découvert ce qu'il appelle un fait social total. c'est-à-dire que dans toutes les sociétés, en Afrique, en Océanie, en Asie, en Europe, à tous les temps de l'humanité, chez les Inuits, peu importe, les rapports sociaux ne sont pas fondés sur le troc, sur le marché, sur le donnant-donnant, mais sur ce qu'il appelle le don. Et en fait, ces relations se créent à travers des dons et des contre-dons qui provoquent la confiance. Et ce qui va distinguer le don de la négociation, c'est au moins deux choses. D'abord, l'inconditionnalité. C'est-à-dire qu'on donne sans savoir si on recevra quelque chose en retour. C'est un pari de confiance. Alors que quand on négocie, si on ne sait pas ce qu'on a en retour, il y a un sujet. pas de concession sans contrepartie. Et la deuxième différence, c'est qu'on ne quantifie pas. Quand on fait un cadeau, on cache le prix. Quand on rend un service, on ne dit pas qu'on y a passé trois heures. On dit que c'est l'intention qui compte. Le lien importe plus que l'objet de l'échange. Et donc, dans le don, qu'est-ce qui va circuler ? C'est essentiellement du temps. C'est du feedback, de la reconnaissance. C'est des petites attentions du quotidien. C'est des coups de main. C'est ouvrir son carnet d'adresses. partager son expérience, ses connaissances, l'information dont on dispose. C'est des choses extrêmement précieuses pour fonctionner en collectif. Et c'est ce qui nous permet de savoir à qui se fier. Très clairement, c'est ce qui va créer les loyautés. Donc,

  • Speaker #1

    c'est vraiment la notion de générosité, être en lien sans contrepartie, sans en attendre un retour, mais être aussi dans la vie, dans la société. C'est finalement le vivre ensemble, non ?

  • Speaker #0

    C'est la qualité du lien, le vivre ensemble tout à fait.

  • Speaker #1

    C'est exactement le constat qu'on fait aujourd'hui, c'est que cette individualité, une société qui a du mal à être en lien, on a du mal à recréer ces espaces où on se lie, mais par de la bienveillance, de l'intergénérationnel, de la rencontre des anciens, des enfants, de la famille. Tout ça, aujourd'hui, on manque d'espace. Comment tu utilises cette notion du don dans ton travail ou peut-être dans la société ? Quel est le message ?

  • Speaker #0

    Ce que tu dis est très vrai. Les solitudes augmentent. C'est documenté par la Fondation de France, notamment. On est passé de 9% à 12% de personnes seules. 23% des Français n'ont qu'un seul réseau social, soit le travail ou la famille, majoritairement. Et donc, ça nous met en situation de fragilité. Plus les réseaux sont importants, plus la qualité des liens est importante, plus on a des amortisseurs sociaux, du soutien social et des opportunités dans la vie. littéralement. Moi, je l'utilise quotidiennement dans mes médiations, dans les conflits du travail parce que quand j'arrive dans un collectif de travail et que je leur dis, si à un moment donné ça allait bien entre vous, à quoi vous pouviez voir que ça allait bien ? Et j'ai que des réponses en clé de don, entre guillemets. On riait, on buvait des cafés, on déjeunait, puis en fonction des... Il y avait des coups de main, de l'entraide, et en fonction des régions, on va avoir des composantes culturelles. On mangeait de la brioche en Vendée. du saucisson je ne sais où, etc. ou n'importe quoi, des after work, des trucs, il y a des rituels. Et depuis que ça ne va plus, c'est la soupe à la grimace, on a mal au ventre, on ne boit plus de café, on ne rigole plus, il n'y a plus de coup de main, on ne sait plus vers qui se tourner, etc. Et donc tout le travail, c'est de comprendre où est-ce qu'il y a eu mal donne, où est-ce qu'on s'est raté, qu'est-ce qui a à un moment donné créé le coup de canif dans le contrat de confiance. On dit que la confiance se gagne en gouttes, se perd en litres. comment comprendre ce qui a créé cette hémorragie de confiance. et voir ce qui peut la reconstruire.

  • Speaker #1

    On arrive tranquillement à la fin de cet épisode, mais au travers de tout ce que tu as décrit, c'était une balade sur toutes ces belles qualités qu'on a envie de cultiver, de préserver, d'engager pour conserver le lien et l'entretenir sous la meilleure forme possible. Donc finalement, quelle serait pour toi la qualité essentielle du médiateur ?

  • Speaker #0

    J'ai travaillé avec les négociateurs du RED qui disaient « L'écoute est notre arme » . C'est évidemment un travail d'écoute, mais quand on dit ça, c'est quelle écoute ? Ça demande de la disponibilité, mais aussi un désarmement de ces préjugés, un désarmement culturel. On a parlé de ne pas rester ethnocentrique par rapport à la personne qu'on rencontre, ne pas juger. Je voudrais quand même une deuxième chose que je vois quand je forme. Je trouve qu'un des éléments les plus difficiles, c'est de lâcher prise littéralement sur la recherche de solutions. Je rencontre beaucoup de publics très orientés à la solution et qui sont un peu impatients de pousser la solution et en allant trop vite, qui vont bloquer ou empêcher le processus.

  • Speaker #1

    C'est très pertinent, c'est vrai que quand on pense problème, on pense immédiatement solution. On ne pense pas au chemin à parcourir pour arriver à la construction d'une solution qui convienne à chacun et peut-être à tout le monde dans le meilleur des cas. Mais tu as bien expliqué le fait que c'est un parcours. c'est pas quelque chose d'automatique et donc si on est focalisé solution dans une négociation ou dans une médiation, et bien peut-être ça va empêcher d'être en écoute active et de créer l'espace nécessaire Est-ce qu'il y a un film ou un événement ou un livre que tu aurais envie de partager et qui inspire ta pratique ?

  • Speaker #0

    Sur la Nouvelle-Calédonie j'ai adoré le documentaire qui s'appelle Les médiateurs du Pacifique qu'on peut... télécharger gratuitement sur le site de la Fondation Roca. Et puis plus récemment, j'ai adoré le documentaire Je n'oublierai jamais vos visages. C'est passionnant de voir que même dans les situations de violence, c'est difficile de se reconstruire sans ce dialogue. Il faut bien distinguer la sanction par rapport à un comportement déviant ou déictuel, voire même criminel, et la capacité de se relier à nouveau à l'humanité qu'on retrouve euh... Presque chez tout le monde.

  • Speaker #1

    Dans ce podcast, il y a plusieurs épisodes sur la justice restaurative avec un regard croisé entre les différents pays sur ce qui se fait. Donc, je t'invite à écouter les épisodes de Humankind sur ce sujet. Est-ce que tu as envie de partager un conseil pour bien vivre ce métier ?

  • Speaker #0

    Un des conseils qui m'a le plus aidé, c'est une phrase toute simple, un peu mantra. Ne leur vole pas leur peine. Ça ne va pas les aider d'être plus tristes. que ce qu'ils vivent, ça ne va pas les aider d'être plus en colère par rapport à ce qu'ils ont subi ou au sentiment d'injustice. Et donc je me dis souvent ça, quand je sens que l'empathie, une empathie trop forte peut m'envahir, ne leur vole pas leur peine, ça ne sert à rien.

  • Speaker #1

    Merci beaucoup Jean-Edouard pour ta participation à Humankind, créateur de Dialogue. Grâce à toi, la saine conflictualité se déploie encore un peu plus et je t'en remercie.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Faiza.

  • Speaker #1

    Cet épisode de Humankind, créateur de dialogues, est terminé. Si ce podcast vous a plu, n'oubliez pas de lui donner des étoiles ou encore de le partager sur vos réseaux. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous. Et si vous souhaitez poursuivre la conversation, retrouvez-moi sur LinkedIn, Faiza, Alec, d'Olivet. Un grand merci à l'espace F360 de nous avoir accueillis pour ce podcast. Cette librairie indépendante à Paris incarne des valeurs en phase avec celles de Humankind pour contribuer à travers les arts. la littérature et la culture à un monde plus humain. A très bientôt !

Chapters

  • Introduction à la médiation et son importance

    00:06

  • Dialogue entre Faiza et Jean-Edouard sur les conflits

    01:15

  • Définition et origine de la médiation dans l'histoire humaine

    03:01

  • Approche anthropologique de la médiation

    05:13

  • Exemples historiques de médiation en Nouvelle-Calédonie

    07:07

  • Les étapes de la négociation et de la médiation

    08:59

  • Comprendre le conflit et la conflictualité saine

    15:11

  • Créer un environnement de saine conflictualité

    23:21

  • La notion de don et ses implications dans la médiation

    41:02

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