- Speaker #0
Humankind, créateur de dialogue. Le podcast qui donne la parole à ceux qui, à travers le monde, font la médiation. Je suis Feiza Alec d'Olivet, avocate au barreau de Paris et médiatrice certifiée. Chaque mois, je décortique les aspects concrets de cette pratique avec un expert. Bien plus qu'un simple outil de justice négociée, la médiation. C'est avant tout un processus de transformation des conflits par l'émergence du dialogue dans tous les terrains accidentés de nos vies, qu'ils soient économiques, sociaux, environnementaux ou juste humains. Humankind, c'est un lieu d'échange pour comprendre les mécanismes et les enseignements de la médiation avec celles et ceux qui la font vivre sur le terrain. Et pour ceux qui se posent encore la question, voici mon invitation. Soyez créatif. Changez de perspective. Explorez, soyez audacieux, soyez courageux, soyez vulnérables, définissez vos intentions, projetez l'avenir, apportez du changement, soyez le changement. Maintenant, bienvenue à la table des négociations. Dans ce nouvel épisode de Humankind, créateur de dialogue, on croit tous savoir se parler. Parler, c'est la vie, c'est ce qui nous lie. Surtout, ces conversations que l'on aime, celles qui nous font rire, qui nous apaisent, qui nous élèvent. Un partage de langage, de corps et d'esprit. Une forme de magie qui transporte les émotions, vecteur du lien invisible qui nous unit. Et puis, il y a les autres. Les conversations qui s'enlisent. Celles où l'on n'est pas d'accord. Celles où les mots dépassent la pensée. Dans nos familles, nos entreprises, nos quartiers. Elle se brise sur des fractures politiques, sociales, culturelles, sur des croyances figées, sur la défiance de l'autre, sur des histoires et des non-dits. Par défense, on se protège, on juge, on évite, on se tait, on s'affronte. Mais quand le dialogue disparaît, que reste-t-il au juste ? Chemin faisant, on perd la confiance. Alors comment réapprendre à parler quand le silence, la colère ou le mépris ont pris le dessus ? Comment rouvrir un espace où deux visions du monde peuvent coexister sans imploser ? Et si nous ne traversons pas la rive, au fond, comment vivre ensemble ? C'est ce terrain fragile que nous allons explorer aujourd'hui dans Humankind, créateur de Dialogue. avec Eric Dobricourt, médiateur, auteur, homme de passion, d'exploration du monde et de ses vignobles, et surtout, résolument humankind. Son dernier livre, « Mener une conversation difficile en 50 règles d'or » , nous invite à plonger dans cet art subtil, parfois douloureux, mais toujours essentiel, de mener une conversation difficile. Alors Eric, merci d'être avec nous, et bienvenue dans Humankind, créateur de Dialogue.
- Speaker #1
Bonjour Faïsa.
- Speaker #0
Pour commencer, j'ai envie de te poser une question toute simple, Eric. Ou peut-être pas si simple. Est-ce qu'on parle de conversation difficile ou de conversation impossible ?
- Speaker #1
C'est une très bonne question. J'ai l'intime conviction que presque toutes les conversations difficiles sont possibles. Mais le fait qu'elles soient possibles ne veut pas dire qu'elles soient faciles. Et la question que je me pose tout le temps, c'est est-ce qu'on s'en donne la possibilité ? Très souvent, quand tu poses la question de qu'est-ce qui fait qu'on en est là ? Racontez-moi d'où vient le conflit ? Pour essayer de comprendre un peu l'origine du conflit. Un conflit, ça a une histoire. Eh bien, j'ai toujours été interloqué par le fait que quand tu remontes à l'origine, à un moment donné, j'ai envie de dire tout le temps, il y a une conversation difficile qui a été évitée. Alors parfois, elle a eu lieu. mais elle s'est mal passée. En fait, je me suis posé une question simple. Est-ce qu'il y a une corrélation entre la capacité à avoir des conversations difficiles et le conflit ? Et je suis parti de l'hypothèse que plus une personne, une organisation, un couple, une relation, une communauté développaient la capacité à avoir des conversations difficiles, moins il y aurait de conflits. Eh bien, je peux te dire qu'après cinq ans de pratiques, d'études, Je donne beaucoup de formation, je suis des entreprises. Ma réponse, elle est claire. Évidemment, plus on aborde les conversations difficiles, moins il y a de conflits. Et c'est réel. Parce que dans une conversation difficile, quand ça se passe bien, je dis bien, et ce n'est pas une science exacte, mais tu as ce moment où tu peux ressortir en ayant une conversation didactique. C'est-à-dire, on a appris des choses l'un sur l'autre et on ressort grandis. Un peu comme dans la médiation.
- Speaker #0
Ça veut dire qu'avoir une conversation difficile, si on y met un peu d'effort, une certaine attention, ça peut tout changer ?
- Speaker #1
Oui. Le maître mot, il me semble, c'est l'idée directrice de mon livre qui n'est pas de moi, que j'ai puisé chez Harvard. C'est vraiment cette phrase qui fait la différence, c'est remplacer la volonté de convaincre par le désir de comprendre. Et cette phrase, tout le monde la comprend, sauf que dans la vraie vie, elle est compliquée.
- Speaker #0
dans le quotidien. Comment on démarre une conversation ?
- Speaker #1
En général, on se dit, bien sûr, je veux comprendre le problème de l'autre. Et en réalité, ça ne tient pas très longtemps. Dans la vraie vie, je vois des gens qui partent avec plein de bons sentiments. Et au bout de deux minutes, ils sont en mode fight. Donc, pour répondre à telle question, comment on peut maximiser les chances de comprendre ? Alors, qu'on sait qu'on va être challengé là-dessus ? Moi, mon avis, c'est la sécurité psychologique. La création de la sécurité en introduction, elle est fondamentale. Est-ce que les personnes vont se sentir suffisamment en sécurité pour parler avec toi ?
- Speaker #0
Donc c'est par le fait de créer un espace qui permette à chacune des parties d'avoir une conversation ouverte, de pouvoir quand même dire les choses, mais de les dire d'une certaine façon ?
- Speaker #1
Oui, il y a déjà, je crois, suffisamment de sécurité pour qu'on ose. Pour qu'on ose communiquer au sens mettre en commun, se rendre un peu vulnérable, Parce que j'ai remarqué... Ça me surprend toujours d'ailleurs, mais notamment dans l'entreprise, le fait d'exprimer ses besoins, ça ne va pas de soi. Ce n'est pas simple de dire finalement, moi j'ai besoin que notre relation soit fluide, j'ai besoin d'appartenir à cette entreprise. On a plutôt tendance à dire ce qu'on ne veut pas. J'en ai marre de ne pas être invité, j'en ai marre d'être rejeté, j'en ai marre d'être dénigré. Et pour arriver à exprimer ses besoins, il faut quand même un petit peu de sécurité, il faut de la confiance. J'ai lu une définition de la confiance qui dit... C'est se rendre vulnérable auprès de quelqu'un en pensant qu'il ne va pas nous faire du mal. J'aime bien cette définition parce que je trouve que ça pose l'enjeu auprès de qui, sincèrement, j'ose être moi-même. Quand je me rends un peu vulnérable, je n'ai pas peur qu'on me fasse du mal.
- Speaker #0
Donc c'est une forme de fragilité qui empêche les gens de se dire les choses.
- Speaker #1
À mon avis, le point clé, c'est le non-jugement. Mais ça, je ne suis pas le seul à le dire, Marshall Rosenberg dans la communication non-violente, et puis d'ailleurs, dans la médiation, tu es bien placé pour le savoir, le non-jugement. mais il y a Il y a tellement de conversations difficiles qui démarrent par un jugement. Un jugement direct, écoute, tu mets de la mauvaise ambiance dans l'équipe. Ou des jugements directs, tu sais, avec tous ces petits mots un petit peu pernicieux. Tu pourrais quand même envoyer tes chiffres à l'heure. Tout le monde dit que tu es coléreux. Et en fait, quand tu démarres comme ça, mais il n'y a presque aucun scénario où tout se passe bien.
- Speaker #0
Tu parles beaucoup des relations du travail. C'est ton domaine principal d'intervention.
- Speaker #1
Oui, mon métier, c'est effectivement la médiation d'entreprise. Donc, j'ai fondé le cabinet VD Médiation avec deux associés. On fait essentiellement des médiations inter-entreprise, des conflits d'impayés, de propriétés intellectuelles, des conflits intra-entreprise dans tout ce qui est de l'ordre du management. Mais au fond de moi-même, chaque fois que je fais une formation, je donne une conférence, je me dis mais c'est les mêmes idées dans la vie pro et la vie perso. Je te dirais même qu'elles sont exacerbées. quand c'est la vie perso. Et moi, je rêverais d'écrire le même livre, mais en dehors du contexte professionnel. Et tu vois, quand je donne une formation, très souvent, il y a des gens qui sont des managers, des entrepreneurs, des gens de l'entreprise qui me recontactent en me disant j'ai un cas dans ma vie perso. J'ai une conversation difficile à avoir avec souvent mes enfants, avec mes parents, avec mes frères et sœurs. Par exemple, j'ai récemment quelqu'un dans un héritage. Une conversation difficile avec les voisins. Tu serais surprise du nombre de fois où les voisins ressortent comme un vrai enjeu. Je pense que c'est actif chez nous, quelque chose de territorial, les conflits de voisinage, les conflits entre amis aussi, et évidemment les conflits de couple, donc conflits ou conversations difficiles. Donc pour répondre à ta question, j'aimerais beaucoup étendre le champ de mes recherches à la vie perso.
- Speaker #0
Que ce soit toute la dimension interpersonnelle, qu'il soit ce terrain d'observation. Des conversations difficiles, est-ce que le rapport de force a une influence sur la difficulté d'avoir une conversation ?
- Speaker #1
À mon sens, il y a deux moteurs, deux peurs plutôt, qui rendent les conversations difficiles. Une des premières questions que je pose souvent, c'est quand quelqu'un me dit « j'ai tel problème avec telle personne » , maintenant je dis tout le temps « est-ce que tu lui en as parlé ? » À chaque fois, on me dit, alors c'est toujours les mêmes choses, « non, parce que l'autre le sait déjà, il n'y a pas besoin » . Non parce que c'est inutile, ça ne change rien, côté désespéré. Non, ça ne va faire qu'envenimer les choses. Non, j'ai peur. J'ai peur d'avoir mal, j'ai peur quand l'autre se met en colère. Ou alors j'ai peur de faire du mal aussi. Non, je ne peux pas avoir cette conversation parce que je me connais, je suis sanguin et je vais dire des choses que je regrette. Mais le pire des scénarios, c'est la personne qui dit « je l'ai eu » . Et c'est pas vrai. Enfin, c'est pas tout le temps. Ça peut ne pas être vrai. La personne est sincère. Elle te dit sincèrement, je l'ai dit à l'autre. Et quand on est en médiation et qu'on demande si on peut partager cette information avec l'autre, et qu'en plénière, ça vient sur la table, et que l'autre ouvre des grands yeux équerquillés en disant, pardon, quoi, tu m'as dit ça ? Mais c'était quand ? Donc, je trouve que la première peur, c'est la peur du rejet, qui est vraiment liée à notre survie. L'espèce humaine en a besoin d'être connectée et interdépendante. Et du coup, je trouve qu'il y a beaucoup de gens qui activent cette peur du rejet. Pour eux, quand je creuse un peu, qu'est-ce qui te fait peur ? J'ai peur d'être rejeté, j'ai peur d'être seul, j'ai peur d'être banni. La deuxième grande peur que je vois, ce qui à mon avis correspond aussi à un besoin reptilien, c'est la peur de manquer. C'est la peur reptilienne de... On est dans la jungle, il n'y a pas assez d'eau et de gibier pour tout le monde. l'autre. est potentiellement une menace et ça donne des gens qui sont plutôt combattants et eux, dans la conversation difficile, leur peur, c'est de ne pas avoir. Pas avoir de l'argent, du bonus, un titre, une voiture de fonction, mais ça peut être aussi une place dans l'avion, ça peut être aussi avoir au sens son intégrité, sa dignité. C'est des gens qui se battent parce qu'ils ont peur qu'on leur enlève quelque chose. Alors que ceux qui ont la peur du rejet, c'est plutôt ce qu'on appelle, dans la matrice Thomas et Kilman, qu'on connaît toi et moi, C'est plutôt les empathiques les accommodants.
- Speaker #0
Ce qui est intéressant, c'est que dans le travail sur les conversations difficiles, finalement, là, tu cherches à outiller les gens avec une grille de lecture et une compréhension de ce qui se passe pour entrer dans ces conversations de façon plus efficace, avec le cadre adapté. Alors qu'en médiation, c'est le tiers qui va aussi permettre d'apporter cet effet de modérateur pour, en effet... refléter une conversation, permettre à chacun de se sentir entendu, de pouvoir exprimer à nouveau des choses. Donc il y a en fait deux prismes un peu différents. Est-ce que ça fonctionne d'outiller les gens à avoir des conversations difficiles ?
- Speaker #1
Il y a trois vertus de les aider à se préparer. La première, c'est l'espoir. C'est déjà de leur ouvrir un monde où cette conversation difficile, elle est possible. Je vois des gens bloqués dans des conversations difficiles, notamment en couple. Des conversations difficiles évitées depuis 10 ans, 20 ans, 30 ans, sur des sujets intimes, sur « je ne me sens pas respecté » , « tu me coupes la parole » , « vous ne lui en avez parlé » , « non, j'ai trop peur » , « non, puis ça va faire qu'on veut numer les choses » , « puis ça va, finalement » , « et puis bon, moi aussi j'ai des petits défauts » , enfin bref. Donc déjà, encourager à l'avoir. La deuxième, c'est vraiment l'idée de sécurité. Comment je peux te dire quelque chose de difficile à dire et à entendre, mais en ayant créé suffisamment de sécurité pour que ce soit entendable ? C'est la deuxième chose que je trouve intéressante. La troisième, c'est vraiment l'axiome de comprendre au lieu de convaincre. Quand je dis convaincre, c'est tous les verbes qu'on peut avoir comme objectif quand on aborde une conversation difficile. Ça peut être, je veux te convaincre, c'est sûr. Mais il y a aussi, je veux te punir ou je veux que tu reconnaisses que tu as fait une bêtise. Imaginons quelqu'un qui fait une présentation à un client et son assistant s'est trompé de logo. Et c'est le logo du concurrent, je l'ai vu ça. Le directeur, il revient à l'entreprise. Il va y avoir une conversation difficile et que son assistante imagine bien que son objectif, c'est pas comprendre, c'est l'engueuler, c'est dire mais t'es complètement con. Et quelque part, il y a l'idée de dire mais je veux au moins que tu reconnaisses ce que tu as fait. J'ai besoin de ça, mais ça peut aussi punir, ça peut être conseillé, beaucoup argumenté. Bref, tous ces verbes-là, tous ces objectifs qu'on peut avoir dans une conversation difficile, tu les rayes et tu remplaces par comprendre. Et encore une fois, je le dis, l'idée, elle est simple à comprendre, mais elle n'est pas facile à appliquer.
- Speaker #0
Donc trois choses. préparer, créer un espace qui soit sécurisé et troisièmement, remplacer l'affront par la curiosité.
- Speaker #1
Absolument.
- Speaker #0
C'est compliqué à faire pour la nature humaine.
- Speaker #1
C'est contre-intuitif.
- Speaker #0
C'est contre-intuitif. Donc, comment est-ce qu'on appréhende ces outils-là ? C'est ça que j'aimerais que tu nous expliques. C'est comment se les approprier et résister peut-être à des injonctions. En effet, on imagine bien la scène. Quand on est fâché, on peut arriver sur quelqu'un avec l'envie d'humilier et de faire ce miroir de négativité. Comment on fait pour changer cette attitude-là ou la neutraliser pour rentrer dans une conversation qui soit à la fois difficile mais aussi plus constructive ?
- Speaker #1
Je dirais la préparation. Déjà se préparer. Le fondateur de l'aïkido Moriteru Ueshiba a dit Des larmes et de la sueur sur le tatami pour éviter du sang sur le champ de bataille. C'est exactement pareil. Et ça aussi c'est contre-intuitif. Tu vois, t'as une conversation difficile avec ton fils par exemple parce qu'il veut sortir un soir et que t'es pas d'accord. Et il se trouve que pour des raisons familiales c'est compliqué. C'est pas intuitif de dire je vais la préparer cette conversation. Et pourtant, moi je pense. Donc ça c'est le premier point. Le deuxième point, je dirais, c'est l'intention. Quand je coach quelqu'un sur une conversation difficile, souvent je lui fais travailler sur ses intentions. Et c'est marrant parce que je trouve que les gens disent rarement leur vraie intention dès le début. Mais on a ça en médiation aussi. Donc qu'est-ce que vous voulez ? Pourquoi vous voulez avoir cette conversation ? Qu'est-ce qui vous motive ? Et au début, on est un peu dépensif, tu vois, de dire, moi je voudrais... qu'on rétablisse la relation pour arriver à travailler ensemble. Donc ça c'est bien, surtout dans le monde de l'entreprise, je trouve qu'on se heurte à beaucoup de réponses polissées, un peu le bon manuel du petit manager. Mais quand tu creuses, en fait souvent les intentions elles sont complexes, voire paradoxales. Et moi j'ai une question que j'adore, que je pose aux gens et qui fait ressortir la vérité, voire les émotions, c'est de dire, mais il faut qu'il y ait un peu de confiance déjà pour ça, c'est de dire, s'il n'y avait aucun risque, qu'est-ce que tu aimerais lui dire ? Et là, parfois, j'ai des réactions. J'aimerais juste qu'il me laisse être moi-même. J'aimerais pouvoir être accepté comme je suis. Et là, tu as la vraie intention qui sort. Et souvent, il y a un fossé entre la vraie intention, ce qui est ressenti là de manière spontanée, et l'objectif qu'on t'avait annoncé au début. Donc, moi, je crois que le travail sur l'intention, elle est importante. Et après, il y a un conseil que je donne, je me suis appliqué moi-même plusieurs fois. C'est ton objectif, tu le mets sur un post-it et tu te le mets dans la poche. Et t'en démords pas. C'est-à-dire que quand il va y avoir les émotions, quand il va y avoir des accords, quand ça va tanguer, il va y avoir des turbulences, je trouve que le fait d'avoir son objectif en tête te permet de maîtriser, enfin, te permet, t'aide à moins sombrer dans les émotions et à garder ton cap. J'ai un ami qui m'a demandé de l'aider à préparer une conversation difficile qu'il avait avec ses associés. Et comme objectif... finalement, il n'en avait qu'un, c'était de revendre l'entreprise dans une échéance de 5 ans et que chacun y trouve sa place. Et on a modélisé ça sur un post-it. Il est parti avec son post-it dans la poche, donc il a écrit, et ça a été une conversation tellement dure, tellement dure, il s'est tellement fait, enfin, de son point de vue, il y a eu tellement d'agressivité, qu'il m'a dit qu'il avait son post-it. Il est revenu en permanence à ça. En disant, écoutez, attendez. Là, ce que je viens d'entendre, c'est dur. Je fais un pas de côté. Je vous redonne mon objectif. Il n'y a rien de personnel dans ce que je dis. Mon objectif aujourd'hui, c'est d'aller au bout de ce projet et c'est d'essayer de revendre l'entreprise dans 5 ans et que chacun ait eu sa place dans cette aventure. Comment on peut faire ça ? J'entends ce que tu dis, mais moi, mon objectif, c'est ça. Et en fait, il m'a dit, à la fin, qu'il avait tenu bon. sur, tu vois, toutes ces... Lui, ce qu'il a vécu comme des attaques, parce qu'il avait son cap, son cap. Et à force d'y revenir, sans jugement, sans dire que c'était contre les autres, ils ont réussi à avoir une vraie discussion. Donc, oui, ça marche.
- Speaker #0
C'est intéressant ce que tu dis, parce qu'en fait, on entend que dans cet exemple, il y a la notion de prendre les choses personnellement et donc du travail que ça peut demander pour sortir de ce sentiment d'être attaqué.
- Speaker #1
Oui, tout à fait. Et tu sais, souvent, ce qui ressort dans la préparation, c'est trois choses. C'est qui dit la vérité et qui ment, toujours. C'est-à-dire que le premier écueil qui fait que tu démarres ta conversation difficile, t'es là, allez, comprends, ne le te convainques, j'ai lu le bouquin de Dobré-Court, c'est bon, j'ai compris. Ça dure une minute. L'autre en face te dit quelque chose de faux, tu dis, attends, là, c'est faux, ça, je ne peux pas le tolérer, là, il n'y a pas de comprendre, c'est faux. C'est le premier écueil, ce que j'appelle la vérité. Le deuxième, c'est l'intention. c'est penser que l'autre a une intention malveillante. Là aussi, je note des gens qui me rappellent et qui me disent « Bon, tout se passait bien jusqu'au moment où j'ai compris qu'en fait, il avait un objectif caché. Et je ne suis pas ni de l'anier ni de la pluie, je le connais par cœur, je sais exactement pourquoi il fait ça, et à un moment, ça va. » Donc, c'est le deuxième écueil. Et le troisième, c'est la culpabilité. Il y a un problème, il faut trouver un coupable. Et du coup, on ne cherche pas à comprendre. L'image que j'ai dans la tête, c'est un capitaine sur un bateau qui vient de percuter un iceberg. Et la vigie ne l'avait pas vue. Et le capitaine, il est en train d'engueuler la vigie. Sauf qu'il y a un deuxième iceberg et que le bateau va vraiment couler. En fait, trouver un coupable,
- Speaker #0
ça ne sert à rien.
- Speaker #1
Et je trouve qu'il y a quelque chose d'inné chez l'être humain de dire a priori, j'ai raison et tu as tort. A priori, je pense. Si tu m'as fait du mal, je pars du principe que tu y avais une intention. Et troisièmement, il y a un problème. Il faut un coupable et il faut le punir. Et ça, ce n'est pas très beau ce que je dis sur l'être humain, mais ça va très vite et on le fait tous. Et c'est là où la préparation, elle permet de faire un pas de côté à chaque fois. passer de j'ai raison et tu as tort à j'ai mes raisons et tu as tes raisons. Ça, on l'a en médiation aussi. Ça, c'est fort. Le deuxième, c'est séparer l'intention de l'impact. Et on a tendance, en général, à associer l'intention et l'impact. Et tu sais, c'est un peu l'enfant qui dit, il renverse le pot de confiture, mais je n'ai pas fait exprès. Qu'est-ce qu'il veut dire, l'enfant ? Il veut dire, il n'y avait pas d'intention. Et on ne peut juger les gens que sur les intentions. donc s'il n'y avait pas d'intention tu ne peux pas m'engueuler et ça j'ai remarqué aussi dans les conversations difficiles que ça peut ressortir Les gens qui disent, mais je ne comprends pas, à aucun moment. Par exemple, j'ai eu une médiation immobilière où il y a quelqu'un qui a mal parlé à l'autre. L'autre s'est senti humilié en disant, tu es un chef d'entreprise, tu arrives, tu me dis ce qu'il faut que je fasse. Et ce n'est pas parce que je suis un immigré que tu dois me parler sur ce ton-là. Et l'autre lui a dit, mais à aucun moment, je n'ai voulu te manquer de respect. Sous-entendu, il n'y a pas de problème. Sauf que, dire à quelqu'un qui a eu mal que parce qu'il n'y avait pas eu d'intention, ça ne marche pas. C'est important de séparer l'intention de l'impact. Le risque, c'est de dire, comme il n'y a pas eu d'intention, je nie ce que tu as ressenti dans l'impact. Et c'est une phrase que j'aime bien dire, c'est entre le réel et le ressenti, c'est le ressenti qui l'emporte.
- Speaker #0
C'est très intéressant de s'arrêter deux secondes là-dessus, sur cette notion d'intention d'impact, parce qu'en effet, c'est ce qui va probablement emporter un peu le flot de paroles et d'échanges, le fait de penser que ce n'est pas si grave une fois qu'on a dit désolé, ou j'ai pas voulu. mais d'oublier la partie mais qu'est-ce qui s'est passé pour toi en fait ? Et c'est pas parce qu'en effet il n'y avait pas d'intention malveillante comme tu l'as très bien dit qu'il n'y a pas de conséquences ou de dommages collatérales pour la personne. Et donc dans la conversation difficile finalement la place de l'écoute ou la capacité à se mettre en position d'écoute comment est-ce que tu la travailles ?
- Speaker #1
Oui c'était le troisième point quand tu me disais comment on peut outiller les gens c'est l'écoute active.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
Et l'écoute active, je sais que c'est un de tes sujets de prédilection et je t'ai vu à l'œuvre, on sait que c'est l'outil principal. Le problème que j'ai moi avec l'écoute active, en fait pas qu'avec l'écoute active aussi, avec la communication non-violente, l'intelligence émotionnelle, je trouve que c'est trois outils un petit peu galvaudés, au sens où on en a tous entendu parler. Et donc quelque part, je ne sais pas, comme si ça avait perdu de son impact. or c'est fondamental. L'écoute active, surtout, c'est l'outil principal. Donc, j'ai du mal, pendant mes formations, parfois, à faire passer l'importance de l'écoute active. Souvent, ça commence en disant « Non, non, mais l'écoute active, c'est bon, on a déjà eu la formation. » Et là, je prends des exemples concrets de la vie de l'entreprise et je les mets à écouter. Et moi, je joue le rôle de la personne à écouter. Eh bien, je peux te dire qu'au bout de 2-3 minutes, en général, on se dit « Ok, en fait, je ne sais pas écouter. » où en fait je peux encore mieux écouter plutôt. Et nous, en tant que médiateur, j'ai l'impression que l'écoute active, c'est un chemin, c'est jamais fini, on peut toujours mieux écouter. Quand j'écoute un médiateur écouter, à chaque fois je ressens en me disant « Ah ouais, j'ai encore du chemin à faire » .
- Speaker #0
T'as raison, et c'est vrai que dans les formations, on se rend très vite compte que c'est en faisant travailler les gens qu'on arrive quelque part. C'est pas de la théorie. Et c'est vrai que, voilà, dire tout le monde s'est écouté comme tout le monde s'est parlé, en fait. C'est exactement le sujet de l'épisode d'aujourd'hui. On part de choses qui semblent naturelles et tout d'un coup, on essaye de donner des techniques pour que ce soit encore meilleur. Et sans la pratique de l'écoute active, c'est très compliqué de prendre conscience de son impact. Donc ça, c'est vraiment inviter aussi les gens à... Faire des exercices pratiques, à faire de la reformulation et à s'outiller comme ça. Dans tout ton parcours, Eric, et toutes tes expériences, qu'est-ce qui a véritablement changé la façon dont tu perçois le dialogue ?
- Speaker #1
Je crois que c'est l'expérience, en tant que médiateur, de ce moment où, dans une pièce, des gens qui se haïssaient. Par l'écoute active, le dialogue, la reformulation, arrivent à comprendre, à se mettre d'accord sur le désaccord. Ça ne veut pas dire qu'ils vont tomber d'accord, mais ils ont mieux compris la manière de voir de l'autre. Et ce moment, vraiment, j'ai envie de te dire que c'est presque physique. Les épaules tombent, les gens se regardent, prennent conscience, il y a un déclic qui se passe, et ils passent du « je » et « toi » au « nous » . Et c'est presque un moment, j'ai eu une expérience vraiment troublante il y a deux jours. où deux personnes qui se détestaient ont à un moment repris le dialogue. Et c'est comme si j'avais disparu dans l'équation. C'est-à-dire que presque à ce moment-là, il n'y avait plus besoin de moi. Alors, en fait, il y a toujours besoin du médiateur pour aller au bout. Tu sais, la dernière phase du « Ok, super, mais comment on fait vraiment, concrètement ? » Et d'ailleurs, c'est exactement ce qui s'est passé. C'est-à-dire qu'ils ont eu plein d'idées, sauf qu'au moment où on a dit « Mais attention, si on ne fait pas ça, et s'il y a un camion qui passe et qui arrache le mur, Ah oui, d'accord, donc il y a tel problème. J'avais quand même encore un peu de valeur. Mais ça, c'est formidable, ce moment-là. C'est comme prendre une vague en surf la première fois où tu as l'impression que tu es la bonne personne au bon endroit. Donc moi, j'ai senti ça assez tôt, dans mon premier métier avant de faire la médiation, qui était un métier autour du lien. Et j'ai senti ce moment où on arrivait à faire faire un pas de côté à quelqu'un et j'ai décidé d'en faire mon métier, en fait. C'est comme ça.
- Speaker #0
D'accord, parce que... Finalement, ton parcours de médiation, tu l'as commencé quand ? Moi, j'ai une première partie de carrière comme entrepreneur dans le monde du vin. Et donc, on est toujours dans le monde du lien. Et je crois que je me suis aperçu que ce que j'aimais dans mon métier, c'était créer du lien. Et je veux dire même plus que créer du lien, prendre soin des liens. J'ai habité en Amérique latine et aux Etats-Unis. Et mon métier, à un moment, c'était de mettre en relation des producteurs français du terroir, des vins et d'autres produits. et des importateurs brésiliens, mexicains, vénézuéliens, colombiens, etc. Et cette importance du lien, c'était plus important que la facturation, plus important que le chiffre d'affaires. Pour moi, le lien, ça a de la valeur. Et du coup, quand je suis revenu m'installer en France, j'ai cherché un autre métier autour du lien. Et c'est là où le métier de réparer les liens est venu. C'est comme ça que j'ai rencontré la médiation.
- Speaker #1
C'est intéressant le parallèle entre le monde du vin et le lien. être créateur de liens, c'est la dynamique de ce podcast aussi, c'est d'aller explorer des endroits qui favorisent ce lien. Quel parallèle tu peux faire entre tes deux métiers ?
- Speaker #0
Pour moi, c'est le même métier. C'est-à-dire que, finalement, le lien, il y a un cycle. On crée du lien, on crée du lien en permanence. Tu recrutes quelqu'un, t'es arrivé à un dîner, tu connais pas, tu prends l'avion, il y a un étranger à côté de toi. En fait, on crée du lien en permanence. Ça, c'est la première étape. La deuxième étape, c'est... On prend soin de ces liens, on les nourrit. Qu'est-ce qu'on va mettre dans ces liens ? Tu vois, on est amis, qu'est-ce que ça veut dire pour toi ? Qu'est-ce qu'on va mettre ? Et c'est là où tu as tous les mots respect, confiance, valeur. Comment est-ce qu'on prend soin d'un lien ? La troisième étape, c'est, je dirais, dénouer les nœuds. Parce que les liens, parfois, ça fait des nœuds. Et si tu les dénoues pas à temps, ça fait des conflits. Donc ça, c'est les conversations difficiles, c'est faire un reproche, c'est savoir dire non, c'est donner un feedback. que tout cet univers-là, c'est... Pour moi, c'est la troisième étape, c'est parfois les liens font des nœuds. La quatrième étape, c'est le conflit. Le lien est cassé ou très abîmé. Et là, il faut se poser la question et essayer de le réparer ou pas. Et la cinquième étape, c'est le deuil, qui est un sujet qui me touche énormément. Et donc, si tu veux, quand tu vois le lien de cette manière, j'ai l'impression que j'ai dédié ma première partie de carrière plutôt à créer du lien, la prospection commerciale, aller partout en Amérique latine pour rencontrer des gens, nourrir les liens. Je dirais que c'est pour moi le... La vertu des produits du terroir, c'est vraiment un créateur de lien. D'ailleurs, mon projet que j'avais, qui s'appelait HappyTerroir.com, qui était une plateforme d'achat groupé de vins, et notre slogan, c'était le lien avec le terroir et le lien par le terroir. Et aujourd'hui, je fais plutôt les deux étapes suivantes, qui sont dénouer des nœuds et réparer les liens. Et puis, la cinquième étape, je l'ai vécue parce que j'ai, pendant des années, été bénévole dans une association qui s'appelle Empreinte Vivre son deuil, où on accompagnait des gens en deuil. Et donc, si tu veux, je ne l'ai pas fait exprès. Je ne me suis pas dit, tiens, je vais remplir chaque case. Mais c'est mon parcours. Un jour, je me suis dit, mais finalement, le lien est tellement important pour moi que j'ai essayé d'intervenir à chaque moment de la vie du lien. Je ne sais pas si tu trouves ça, si ça te parle.
- Speaker #1
Ça me parle énormément. Et d'ailleurs, c'est vrai que c'est des cycles. Après, on n'arrive pas toujours à les mettre en musique, comme tu le décris. Et là, oui, visiblement, ça s'est imposé naturellement. et en fait accepter d'être à la fois Dans cette recherche du lien très nourri, j'imagine dans le monde viticole, avec des gens très engagés qui défendent des valeurs et qui protègent leurs terroirs. Et puis après, dans cette dimension plus conflictuelle, plus dure, mais qui nécessite la même forme d'humanité. Finalement, qu'est-ce qui t'épanouit aujourd'hui dans cette recherche ? de conflictualité saine, pour citer Jean-Edouard Grézy, qui était au micro de ce podcast, et qui parlait de cette notion de...
- Speaker #0
Oui, Jean-Edouard, quand il parle de saine conflictualité, je me rappelle la première fois que j'ai entendu cette idée, ça m'avait un peu interpellé. Moi, je crois que ce qui m'anime, c'est l'intime conviction et peut-être l'intime espoir que le vivre ensemble est possible. Pour moi, le vivre ensemble, c'est très concret. Le vivre ensemble... Il est sociétal, le vivre ensemble c'est ses voisins, le vivre ensemble c'est la politique aussi. Et plus on avance, plus je me dis, je ne veux pas dramatiser, mais je me demande s'il n'y a pas aussi le survivre ensemble. C'est-à-dire que peut-être que maintenant plus que jamais, le monde doit vraiment se parler. Parce qu'on doit affronter le même problème qu'est le réchauffement climatique. Et il me semble que les conversations difficiles entre pays, aujourd'hui elles sont nécessaires pour survivre ensemble. Parce qu'on ne peut plus isoler ce problème. Ce qui m'anime, c'est le vivre ensemble. Mais le vrai, tu sais. J'ai entendu l'autre jour une idée que j'ai trouvée géniale, c'est... On parle beaucoup du vivre ensemble. Et on en fait presque un devoir. Mais moi, j'aime bien me rappeler que le vivre ensemble, c'est une fête. C'est comme ça que je le vois. C'est une fête. Et est-ce que tout le monde le voit comme ça ?
- Speaker #1
En effet, quand on découvre, emprunte toutes ces cultures, avec cette passion pour le lien, on peut tout à fait comprendre que c'est très nourri comme chemin. Et puis, il y a des endroits où il y a de la spontanéité dans la rue, il y a de l'échange au quotidien. Aujourd'hui, on est dans un monde qui divise, le champ des sirènes technologiques nous coupe du dialogue et nous coupe du lien finalement. Donc est-ce que c'est possible de créer du lien ? Quelle intention ça va demander à chacun ? Et comment s'y prendre ? C'est une vraie question qui revient à la question initiale. Est-ce que c'est des conversations qui sont difficiles ou est-ce que c'est des conversations qui sont devenues impossibles ? Pour un optimiste comme toi, je pense que ce sera toujours la première.
- Speaker #0
Je ne pourrais pas arriver à dire que c'est impossible. Je rebondis sur ton point. Pour moi, il y a un sujet central, c'est le sujet de l'altérité. Je pose souvent cette question à qui est autrui pour vous ? C'est-à-dire, qu'est-ce qu'il représente ? Je dis, mais notez sur un papier ce qui vous vient comme ça à l'esprit. Eh bien, je m'aperçois qu'il y a des mots très différents qui sortent. Il y a des gens qui voient autrui, alors bien sûr, il y a tout le discours un peu empathique, bienveillant et parfois vrai. Des gens qui disent, autrui est une bonne nouvelle, autrui est une ressource, autrui est une richesse. Et puis, tu as des gens qui disent, autrui est une menace. J'ai trop souffert, autrui est un concurrent. La vie est une jungle, ce n'est pas grave, j'ai aimé les gens que j'aime. C'est souvent des gens qui font de leur famille une extension. Donc en fait, ce n'est pas des gens solitaires, mais ils mettent leur tribu. à l'extérieur de la tribu, c'est des ennemis. Il y a des gens qui répondent, autrui est un fardeau que je dois porter. Je me repose quand je suis tout seul. Des gens qui disent, autrui, c'est un challenge parce qu'on ne sait jamais trop, c'est une surprise. Autrui, tu vois, il y a des mots différents qui émergent. Je ne sais pas ce que tu en penses, mais j'ai le sentiment qu'on a un rapport intuitif. Alors, intuitif, oui. Naturel ou culturel, je ne sais pas. Probablement un mix des deux. Mais on s'est forgé un rapport à l'altérité au fil des ans et qui ressort notamment dans le conflit. Et ça, ça me passionne comme sujet. Tu ne peux pas penser l'altérité sans penser trois choses. Qui je suis, qui tu es et quel est le lien qu'on va créer. Donc tu as trois éléments. Déjà, la question de qui est autrui pour moi, tu te rends compte, c'est beaucoup. C'est moi déjà, est-ce que je me connais ? Deuxièmement, qui est la personne que j'ai en face de moi ? Et troisièmement, quel est le lien qu'on va tisser entre nous ? Alors, c'est un peu théorique ce que je dis, mais prenons du concret. Tu rentres dans une équipe où tu t'associes avec un ami pour créer une boîte. Qu'est-ce que c'est qu'être un entrepreneur pour toi ? Qu'est-ce que c'est qu'être un manager ? Qu'est-ce que c'est qu'être un père ? Qu'est-ce que c'est qu'être un fils ? Qu'est-ce que c'est qu'être un voisin ? Définir ces liens. Qu'est-ce que c'est qu'un meilleur ami ? je fais souvent ce sondage, qu'est-ce que c'est qu'un meilleur ami pour vous ? Il y a 40 définitions. Quelqu'un que j'appelle la nuit, quelqu'un que je peux ne pas voir. Pendant un an, c'est la même chose. Quelqu'un à qui je peux tout dire. Quelqu'un qui n'oublie pas mon anniversaire. Et il y a toujours la personne qui rajoute la personne que j'appelle la nuit si je veux enterrer un corps. Je crois que ça, je ne sais pas d'où ça sort, mais ça sort à chaque fois. Bref, mais il n'y a pas de bonne et de mauvaise réponse. Là, le conflit naît du fait que si toi, ça t'es convaincu, ta croyance, c'est qu'être un meilleur ami, c'est ne pas oublier ton anniversaire. Et que moi, ma croyance, c'est qu'être un meilleur ami, c'est que je peux t'appeler en pleine nuit. Je peux te rendre très triste si j'oublie ton anniversaire. Avec ta définition à toi, tu te dis, ben voilà, j'ai mis beaucoup d'espoir. En fait, il ne pense pas à moi. Je ne suis pas son ami. Et donc, ce sujet de l'altérité, moi, il me passionne.
- Speaker #1
Après, c'est des questions qu'on ne se pose pas.
- Speaker #0
Qu'on ne se pose pas, sauf dans la crise. Sauf dans la crise.
- Speaker #1
Dans la crise, avec l'aide de quelqu'un qui va accompagner la réflexion sur une conversation difficile. Parce que sans cet apport... Sans cette prise de recul ou cette capacité d'analyse sur une situation qui va nous toucher au plus profond de notre chair, et sans avoir verbalisé ce qui est pour nous un meilleur ami, en fait on est perdu, on avance dans le noir. C'est pour ça que je te posais la question par rapport à la conversation difficile qui va outiller chacun. et permettre à deux personnes d'avoir ensemble une conversation qui soit nourrie, constructive. Et en effet, la communication non-violente, en ça, elle va permettre aussi d'aller vers cette transformation d'écoute et d'identifier les besoins et pouvoir échanger et construire autour de ça.
- Speaker #0
Absolument. Et tu vois, j'ai le sentiment que quand quelqu'un est en situation extrême, là, le rapport inné, intuitif, reptilien à l'altérité, il ressort. Et j'ai deux exemples. J'ai un entrepreneur que j'ai accompagné, un restaurateur qui était en phase de liquidation judiciaire. Eh bien, je l'ai vu, son manière spontanée de survivre, c'était d'aller faire tous les cocktails de la région, de rencontrer tout le monde. Parce que spontanément, son idée, c'était de dire le salut vient du lien, va venir des autres. Et il a utilisé dans sa force principale son ADN profond qui est de dire je vais aller rencontrer des gens. ça a marché. Il a rencontré un investisseur qui l'a sorti de la panade. Et à l'inverse, on pourrait imaginer un entrepreneur pour qui son rapport à l'altérité, au contraire, c'est je me renferme sur moi, sur ma famille et tout, je ne vois plus personne et je reconsolide mon business pour survivre. Cette idée de qui on est quand tu es en mode crise, je l'aime beaucoup. C'est pour ça que notre métier est touchant, c'est parce que dans le conflit, parfois, il y a des gens qui... qui montrent un profil qu'ils ne connaissent pas d'eux. Ils découvrent quelque chose d'eux-mêmes.
- Speaker #1
C'est quoi les bonnes dispositions pour déconstruire cette attitude-là ? Alors, en effet, soit on est très fatigué, soit on est dans un conflit très dur. Mais comment on va désamorcer ? Parce que c'est dur de traverser ce moment.
- Speaker #0
Oui.
- Speaker #1
C'est très difficile.
- Speaker #0
Peut-être qu'un élément de réponse, en écoutant les gens, parce que j'avais fait beaucoup d'interviews avant d'écrire mon livre, Un élément de réponse qui m'a sauté aux yeux, c'est la capacité de se mettre à l'abri, de se protéger.
- Speaker #1
La sécurité et peut-être savoir demander de l'aide aussi.
- Speaker #0
Ah oui, et parfois l'intervention d'un tiers, t'as raison. Parfois, la conversation difficile, c'est la limite avec la médiation. Il y en a deux qui sont très claires. C'est un, dans les conversations difficiles, tel que moi je m'intéresse à ce sujet, je ne suis pas un tiers, je suis dans la conversation difficile. Il faut que je sois concerné. Alors que la médiation, on est en posture de tiers. Et justement, la deuxième, c'est que parfois, il y a des conversations difficiles qui ne marchent pas. Et là, je pense que l'intervention d'un tiers peut être nécessaire.
- Speaker #1
Est-ce qu'il y avait une histoire en particulier ou un épisode, une conversation difficile qui t'a particulièrement marqué ?
- Speaker #0
Oui, j'en ai une qui m'a touché. Alors, je change beaucoup d'éléments. Évidemment, on imagine un ami qui est veuf. et qui n'a qu'un fils. Le fils passait le bac, il avait 16 ou 17 ans. Et le copain m'appelle en me disant « Éric, est-ce que tu peux m'aider ? J'ai une conversation difficile avec mon fils. » Donc il m'explique et il me dit « Le problème, c'est que mon fils, qui est plutôt un bon élève, et avec qui on est proche depuis la mort de ma femme, il m'a demandé d'aller à une soirée le dimanche soir, la veille du bac. » Et je lui ai dit non parce que je pensais que c'était une bêtise, tout simplement. Et en fait, il s'est passé quelque chose qui ne s'était jamais passé. Il est monté sur ses grands chevaux. Ça s'est très mal passé. Et le ton est monté. Moi, je n'étais pas prêt. J'ai mal réagi. Je suis passé en mode papa autoritaire. Et il a claqué la porte et il est parti. Et ça, ça m'a blessé parce que ça ne nous était pas arrivé souvent. Mais les choses ont empiré ensuite. parce que j'ai appris que ce n'était pas du tout une séance de révision avec ses copains où il allait, c'était une bringue. Et donc, il m'a menti. Et là, je dois avoir une vraie conversation difficile. J'ai peur parce que moi, je suis furieux. Je suis déçu, je suis trahi. Et parce que c'est important pour moi, tu vois. Et que c'est son bac, bref, je ne sais pas quoi faire. On a beaucoup travaillé sur l'intention, justement. Donc, c'était des intentions du style, il voulait convaincre. convaincre qu'il fallait dire la vérité, convaincre qu'il avait besoin d'avoir confiance en l'autre, convaincre qu'il avait raison de lui interdire d'aller à cette soirée, et ainsi de suite. Et puis, petit à petit, en parlant, on a changé, on a fait un pas de côté, et je lui ai posé cette question de « Si tu avais quelque chose à dire à ton fils, qu'est-ce que tu aimerais lui dire ? » Et il m'a dit « J'aimerais lui dire « Mais pourquoi ? Pourquoi ? Alors qu'on s'entend bien, alors que tu es un bon élève. » « Pourquoi ? Qu'est-ce qu'elle a, cette soirée ? » C'est là-dessus qu'on a travaillé. Et tu vois, son intro, probablement sans ça, ça aurait été... On va appeler son fils Fabrice. « Écoute Fabrice, je t'aime. Tu es important pour moi. Je veux être un bon papa. Et c'est pour ça que... » Et là, il a fait une intro. Et elle m'a touché. Il lui a dit « Écoute Fabrice, qu'est-ce qu'il fait alors qu'on s'aime très fort, qu'on a confiance et que t'es un bon élève ? » Qu'est-ce qui fait que tout ça est un peu challengé par cette soirée ? Qu'est-ce qu'elle a cette soirée ? Je voudrais comprendre. Tu vois, ce n'est pas la même intro. Tu rassures. Donc, tu ne mets pas en doute l'amour. Tu rassures. Je t'aime et tu m'aimes. Ça, c'est fait. On ne va pas parler de ça. Et en même temps, il y a quelque chose. J'aime bien cette idée. Et la fin de l'histoire, elle est plutôt belle parce que le gamin, il a dit, il y avait une fille qui repartait aux Etats-Unis le lendemain, qui était là de passage. et s'il ne la voyait pas cette soirée-là, il ne la voyait plus après. Et ils ont pu parler du fait qu'il n'était pas très à l'aise avec les filles, qu'il n'était pas trop invité aux soirées, qu'il ne se sentait pas comme son papa, qui avait l'air plutôt charismatique, et que lui était plutôt introverti. Et ils ont pu parler de leurs différences. Et puis, ils ont même trouvé un moment de complicité en disant qu'il avait menti, parce que d'habitude, il en parlait à sa mère, et qu'elle n'était plus là. Et oui, c'était touchant. Et que du coup, mon copain lui a dit, en fait, maintenant que tu le dis, moi aussi, je serai passé par ta mère pour gérer ça. donc du coup ils ont pu dire comment comment on fait pour grandir ensemble ? Qu'est-ce qu'on fait de ça ? Et j'aime bien cette histoire parce que ce alors que, et je me rappelle la tête de ce copain qu'on va appeler Jérémy, en parlant avec lui, c'est lui qui a trouvé, qui a dit mais en fait, mais qu'est-ce qu'elle a cette soirée ? Et tu vois le switch à la curiosité, la sécurité, ça marchait.
- Speaker #1
C'est vraiment très touchant de se mettre dans... Cette exploration et cette ouverture au dialogue, mais il y a en effet des façons subtiles d'ouvrir le dialogue pour que l'autre se sente, et je reviens à ce que tu disais en début d'interview, se sente en sécurité pour pouvoir confier tous ses secrets qui ont une importance et qui doivent être reçus avec une belle sensibilité. Eric, on arrive tranquillement à la fin de ce podcast. Et donc, je voudrais te faire traverser le rituel de clôture, parce qu'on est vraiment dans cette idée de traverser les rives avec toi, d'une rive à l'autre, de l'altérité, de la différence, du rapprochement. Alors, pour toi, dans toute cette pratique que tu as développée depuis ces dernières années, quelle serait la plus grande qualité sur laquelle tu continues à travailler dans chacune de tes expériences autour de la conversation difficile ? ou de la médiation ?
- Speaker #0
Alors, la plus grande qualité ou le plus grand défaut, mais c'est l'ego. L'ego, je crois que à tous les niveaux, comme parti, comme médiateur, arriver à ne plus mettre une dimension identitaire, avoir une identité suffisamment solide pour que tu sois dans le ni trop de soi, ni trop peu de soi. Et notamment, en tant que médiateur, moi, j'ai toujours du mal à gérer l'agressivité des médiés par rapport aux médiateurs. C'est toujours quelque chose qui me met en tension. Et dans mes conversations difficiles à moi, quand je suis impliqué, il me semble que l'humilité, mais vraiment dans ce sens, l'humilité, pas la disparition de soi, l'humilité, il me semble la clé. Et puis le deuxième, c'est la curiosité. Je ne peux pas terminer ce podcast sans dire que le fil directeur, c'est la curiosité. La curiosité, c'est l'antidote au jugement, et le jugement est la principale menace qui met en insécurité.
- Speaker #1
Ce que tu dis souvent, c'est quoi ? C'est remplacer ?
- Speaker #0
La volonté de convaincre par le désir de comprendre.
- Speaker #1
Merci pour ce partage. On retient, en effet, de résister à la tentation de l'ego et rester curieux. Est-ce qu'il y a un livre qui t'a particulièrement marqué dans tes lectures ?
- Speaker #0
Le livre de Marshall Rosenberg, « Les mots sont des fenêtres ou bien ce sont des murs » , a été était fondateur pour moi. Et le deuxième, c'est le livre de Thomas Dansbourg, Arrêtez d'être gentil, soyez vrai, qui reprend les mêmes thèses. Et en termes de négociation et de médiation, le Getting to Yes de William Ury, je trouve a vraiment été un déclic.
- Speaker #1
Des bases solides de lecture. Et enfin, Eric, un conseil pour bien vivre ce métier ?
- Speaker #0
L'espoir.
- Speaker #1
L'espoir.
- Speaker #0
L'espoir que c'est possible.
- Speaker #1
Ne jamais perdre l'espoir. Merci infiniment.
- Speaker #0
Merci à toi.
- Speaker #1
Cet épisode de Humankind, créateur de dialogues, est terminé. Si ce podcast vous a plu, n'oubliez pas de lui donner des étoiles ou encore de le partager sur vos réseaux. Pour ne rien rater des prochains épisodes, abonnez-vous. Et si vous souhaitez poursuivre la conversation, retrouvez-moi sur LinkedIn, Faiza, Alec, d'Olivet. À très bientôt.