- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans Un Café en Ferme, un podcast thématique signé par le collectif Ici-la-Terre. Je suis Juliette et j'interroge ceux qui nous nourrissent, les agricultrices et agriculteurs bien sûr. Nous traitons de sujets d'actualité qui interrogent les consommateurs et qui parfois font polémique. Bonne écoute ! Bienvenue dans Un Café en Ferme pour ce cinquième épisode. Le cinquième épisode concerne le sujet de la balance commerciale agricole française. En ce moment, le Mercosur, qui regroupe les pays tels que l'Argentine, le Brésil, le Paraguay, l'Uruguay et la Bolivie, fait l'objet de nombreux débats médiatiques et alimente la colère agricole. Cet accord présente un risque pour l'agriculture française dans la mesure où on ouvre les portes de l'Union européenne à des produits agricoles sud-américains, comme la viande, le sucre ou encore l'éthanol, qui ne respectent pas la réglementation européenne. Et de plus, cela présente un risque pour la balance commerciale agricole française qui est en baisse structurelle. Et donc pour en parler, je suis accompagnée de Christophe Grison, agriculteur dans l'Oise. Bonjour Christophe !
- Speaker #1
Bonjour !
- Speaker #0
Alors Christophe, on en est en pleine manifestation au niveau de cette colère agricole. Mais tout d'abord, j'aimerais qu'on parle de la place de l'agriculture dans les exportations françaises.
- Speaker #1
Oui, avec plaisir. Moi, je suis président du coopératif agricole qui s'appelle Val-France, qui est basée dans l'Oise et en Seine-et-Marne. Environ 20% de nos agriculteurs sont dans l'Oise et 80% en Seine-et-Marne. Effectivement, pour nous, l'exportation des céréales représente une part importante de notre collecte. Malheureusement cette année, beaucoup de gens le savent, mais nous n'avons pas fait une belle moisson, donc effectivement l'exportation de céréales sera plus faible. Mais voilà, il est important aujourd'hui dans ces discussions au niveau du Mercosur, que l'ensemble de la population est bien consciente de l'importance des exportations agricoles au niveau de la France, car ça a vraiment un impact financier significatif dans le secteur du pays, aussi bien dans les revenus directs que sur l'emploi dans nos secteurs. Voilà, ce secteur agricole contribue non seulement à une balance commerciale, mais aussi à la création de valeurs ajoutées tout en renforçant quelque part la réputation internationale de la France. Parce qu'on a quand même des produits de qualité, il est important de le rappeler aux personnes qui nous écoutent. Alors, le poids des exportations agricoles dans la balance commerciale, il faut en faire quand même un petit peu de chiffres. En 2023, les exportations des produits agricoles et agroalimentaires ont rapporté à la France près de 45 à 50 milliards d'euros. C'est environ 20% du total des exportations françaises. Il faut savoir que ce chiffre est de 250 milliards pour l'ensemble des exportations des biens et des services. Et donc le secteur agricole est vraiment contributeur sur l'excédent commercial de la France. Et en 2023, la balance commerciale des produits agricoles et agroalimentaires est restée excédentaire, avec des exportations quand même supérieures aux importations dans ce domaine. Et alors il y a quelques secteurs qui sont plus rentables les uns que les autres. Le premier, c'est le vin. C'est l'un des produits les plus exportés par la France. Et en 2023, les exportations de vin ont généré 12 à 14 milliards d'euros. Ça fait vraiment le vin, un produit phare dans les exportations agricoles françaises. Et la France est le premier exportateur mondial de vin en valeur. Le vin français continue à croître. Bien sûr, il y a de nouveaux marchés, notamment les États-Unis, la Chine et l'Europe. Maintenant, il faut rajouter d'autres produits, si vous me permettez. Il y a les produits laitiers, qui sont également un grand exportateur de produits, notamment le fromage. Le marché mondial du fromage français est estimé à 6 à 7 milliards d'euros d'exportation annuelle. Vous voyez, c'est déjà pas mal. Et enfin, il y a les céréales, le blé notamment en particulier. En 2023, les exportations de blé français ont rapporté 7 à 8 milliards d'euros, faisant de la France un des premiers exportateurs, notamment vers des pays comme l'Algérie, le Maroc et le Sénégal. Mais encore une fois, il va falloir être très vigilant, car nos amis des pays du Maghreb ont découvert qu'il y avait aussi des blés d'origine russe, ukrainienne. avec des prix parfois beaucoup plus faibles que ceux de la France. Et ils sont un petit peu tentés pour goûter à ces nouvelles origines, d'autant plus que c'est du blé qui arrive souvent chez eux avec une humidité moindre que la France. C'est-à-dire que ce sont du blé plus sec. Et quelque part, c'est vrai qu'ils se mettent à leur place aussi. Quand vous achetez du blé, vous ne voulez pas trop d'humidité dedans, parce que sinon, vous transportez de l'eau dans le bateau. Voilà les trois secteurs les plus importants au niveau agroalimentaire, au niveau exportation.
- Speaker #0
Ok, très bien. Donc au final, qu'est-ce qu'on peut dire de nos forces et de nos faiblesses ?
- Speaker #1
Écoutez, déjà... La force, c'est la puissance. Il y a 962 000 emplois qui sont créés dans l'agroalimentaire. Ça fait 81 773 entreprises en agroalimentaire. Il faut savoir que l'Allemagne, par exemple, on parle beaucoup de l'Allemagne, mais ils n'en ont que 6 000. On est quatrième fournisseur mondial en produits agroalimentaires et une deuxième puissance agroalimentaire en Europe, juste derrière l'Allemagne. Et quelles sont nos forces ? C'est cette diversité qui est un vrai atout majeur sur la CERN internationale et qui permet à la France de se démarquer et de rester compétitive. Quelques chiffres clés, notamment dans nos coopératives agricoles, qui représentent, je le rappelle, 40% de l'agroalimentaire, ça pèse 104 milliards d'euros de chiffre d'affaires consolidé. Donc c'est quand même assez important. Quelque part aussi, il y a des messages, nos entreprises coopératives ne sont pas délocalisables. Par contre, quelles sont nos faiblesses ? Il faut faire attention parce que, quelque part, produire en France coûte 20% plus cher que dans d'autres pays européens. Pourquoi ? Car nous avons des normes sociales et environnementales plus élevées. Nous devons donc quelque part essayer d'aménager nos normes franco-françaises, alléger les charges pour les entreprises, pour les exploitations agricoles, pour retrouver de la compétitivité. Bien sûr, j'entends les attentes sociétales sur l'environnement. Il ne s'agit pas de sacrifier les qualités ni l'environnement. Nous devons quelque part moderniser nos exploitations agricoles, mais aussi nos industries, pour réduire le coût, tout en assumant les transitions qu'on appelle agroécologiques que nous demande la société.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. puisque effectivement, notre agriculture française est l'une des plus sûres au monde, grâce justement, comme vous le disiez, aux normes environnementales et sanitaires.
- Speaker #1
Nous devons quelque part retrouver de la compétitivité pour faire face à la crise de la souveraineté alimentaire, mais nous sommes très dépendants des importations, et ça, ça nous pèse. Par exemple, 50% de nos fruits et légumes sont importés, plus de 50% de nos poulets et 53% de nos moutons sont importés. C'est vraiment une situation qui fragilise notre souveraineté, comme je le disais. Chaque année, par exemple, 800 000 tonnes de poulets sont importées en France. C'est trois quarts qui viennent de Pologne, de Pays-Bas, du Brésil, de Thaïlande. Et quelque part, ces poulets qu'on importe n'ont pas les mêmes normes de bien-être animal, de traçabilité que nous imposons à nos agriculteurs français. Et c'est là où vraiment il faut que la France redote d'outils productifs. Il est impératif pour nous de renforcer notre production nationale pour reconquérir quelque part les marchés qu'on perd. Mais par exemple, nous, on soutiendrait l'ensemble de la coopération école, et je pense le monde agricole, il serait intéressant de soutenir la construction de nouveaux poulaillers pour récupérer quelque part 20% du marché qu'on a perdu. Et j'aime aussi rappeler ce que dit souvent le président de la coopération agricole Dominique Chargé, qui est lui-même éleveur, il dit voilà on a voulu trop vuittoniser la qualité française, c'est-à-dire on a voulu faire du trop de gamme. Le président Macron avait annoncé lors de son discours de Rungis qu'il voulait que vraiment la France devienne leader en qualité. et quelque part produire que du top level. Mais malheureusement, aujourd'hui, la personne qui fait ses courses n'a pas la volonté non plus d'acheter tous les jours un poulet très haut de gamme. Il faut aussi acheter du poulet, on va l'appeler standard. Et en France, un poulet standard, il est tout à fait produit dans des conditions avec le bien-être animal, la traçabilité, la qualité, le respect de l'origine, l'alimentation. Et tout le monde n'a pas les moyens, entre guillemets, de s'acheter un très beau poulet haut de gamme avec un label poulet loué ou label rouge. Tous les jours. Et puis les gens aussi, lorsqu'ils vont travailler, ils vont manger dans des cantines scolaires ou de leur société, ou au restaurant. Je reprends l'exemple l'autre jour, je suis allé dans un restaurant plutôt sympathique à Paris, une belle brasserie auvergnate. Donc on pensait manger des bonnes viandes françaises avec de l'aligot, des choses comme ça. J'ai discuté avec le serveur, je lui ai demandé si les viandes étaient origines de France. Il m'a dit je me renseigne. Et il est revenu, et il m'a dit, ben non en fait il n'y a que les saucisses qui sont d'origine de France, tout le reste c'est importé. J'ai été discuter avec le patron. J'ai dit, monsieur, je ne comprends pas. Il m'a dit, moi, je veux faire une assiette pas chère. Et là, quelque part, j'étais un peu choqué parce qu'on avait l'image d'épinal d'une belle brasserie auvergnate à l'ancienne avec des tables en bois, des petites nappes en carreau rouge et blanc. Mais en fait, on achète la viande à l'étranger. Et quelque part, je me dis, il faut qu'on retrouve ce fameux cœur de gamme qu'on a perdu depuis quelques années.
- Speaker #0
Tout à fait. Il faut satisfaire toutes les bourses. Et vous, en tant qu'agriculteur ? Comment vous gérez ces différentes exigences en termes de réglementation pour justement rester compétitif ?
- Speaker #1
Alors justement, ce qui me gêne en tant qu'agriculteur, c'est qu'on a des solutions qu'on nous interdit en France, mais qui sont autorisées dans d'autres pays étrangers. On va prendre un exemple très précis. On importe énormément de maïs du Brésil. Sachez qu'en Brésil, ils ont 178 substances actives, donc on va rappeler ça des phytosanitaires pour soigner le maïs, les maladies, les insectes ou le désherbé. Et bien sûr, ces 178 substances autorisées au Brésil, 92 sont interdites en France. Et tous ces produits-là arrivent dans nos ports et sont importés massivement. Et c'est là où, en tant qu'agriculteur, on trouve qu'il y a une distorsion de concurrence, car on importe des produits... avec des façons de produire qui sont totalement interdites en France. Donc quelque part, il y a vraiment un problème, parce qu'on autorise des importations, on autorise des solutions chez nos voisins étrangers, mais pas qu'au Brésil, même chez nos voisins belges, allemands ou espagnols. Et là, c'est là où, en tant qu'agriculteur, je ne suis pas satisfait du tout de la norme franco-française qu'on rajoute systématiquement. Prenons un exemple précis, on a une redevance pollution diffuse qui s'appelle la RPD, qui à la base servait pour dépolluer les agences de l'eau. Bon, sur l'idée, pourquoi pas ? Il n'empêche que cette RPD a énormément grossi. Aujourd'hui, sur mon exploitation agricole, c'est plus de 10 000 euros chaque année. Et cette distorsion de concurrence, mon voisin allemand, belge ou hollandais ne l'a pas. C'est une taxe franco-française. Et c'est ça qui énerve un petit peu le monde agricole. Pareil, on avait des insecticides sur des betteraves qui ont été supprimés. Les fameuses néonicotinoïdes qui ont fait beaucoup couler d'encre dans la presse. Moi, sur mon exploitation agricole, j'ai installé 80 ruches. Justement pour prouver à la société française qu'il n'y a pas incompatibilité entre des insecticides dans les vitraves ou le colza et la présence d'abeilles sur la ferme. Je n'ai aucune mortalité à déplorer sur l'exploitation agricole. La France a souhaité, par principe de précaution, supprimer ces néonicotinoïdes qui sont autorisés en traitement aérien, par exemple chez nos amis allemands. C'est un petit peu toutes ces contraintes franco-françaises qu'on nous rajoute qui exaspèrent le monde agricole. En ce moment, il y a pas mal de contrôles de la politique agricole commune qui sont faits dans les exploitations agricoles. Moi-même, j'ai été audité la semaine dernière. Pour moi, c'était un audit de qualité, donc l'audit s'est très bien passé. J'ai quelques confrères qui sont auditionnés, qui ont des contrôles PAC. Et voilà, on cherche toujours la petite bête. Il y a de l'incohérence dans les normes françaises. Et c'est ça qui, franchement, exaspère la profession agricole.
- Speaker #0
Très bien, Christophe. Écoutez, tout est clair. Merci pour cette intervention et peut-être à bientôt. Écoutez,
- Speaker #1
je vous remercie.