- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans Un Café en Ferme, un podcast thématique signé par le collectif Ici-la-Terre. Je suis Juliette et j'interroge ceux qui nous nourrissent, les agricultrices et agriculteurs bien sûr. Nous traitons de sujets d'actualité qui interrogent les consommateurs et qui parfois font polémique. Bonne écoute ! Nous allons aujourd'hui parler d'une plante qui accompagne l'homme depuis plus de 40 000 ans et qui a été certainement l'une des premières fibres utilisées par les hommes. Notre pays en est le premier producteur mondial. On connaît son usage pour l'habillement, le textile, le textile de maison, la décoration, les huiles alimentaires. Mais on l'utilise également dans la papeterie, les graines, les composites, le paillage ou encore l'isolation. Vous l'avez ? Il s'agit du lin, bien sûr. Bienvenue dans le cinquième épisode, donc un café en ferme, qui s'intitule l'or vert de nos champs. Et donc je suis accompagnée de Damien Dupas. qui est agriculteur en polyculture. Bonjour Damien.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Alors, donc aujourd'hui on est là tous les deux pour parler du lin, cette fibre magique.
- Speaker #1
Oui.
- Speaker #0
Première question, pourquoi avoir choisi le lin ?
- Speaker #1
Pour moi, le lin, c'est une culture qui m'a tout le temps passionné. À mes 18 ans, j'ai commencé à faire des campagnes de lin dans une société pour faire l'arrachage, le retournage, le pressage. Et c'est une culture qui me plaît. qui est vraiment jolie au mois de juin avec ses fleurs bleues. Une belle culture.
- Speaker #0
Qui vole au vent un peu.
- Speaker #1
Qui vole au vent, voilà. Denses. Et donc, on dit tout le temps, c'est une fleur par jour. Et c'est une culture aussi qui ne demande pas beaucoup d'intrants. Donc, c'est une culture qui me plaît.
- Speaker #0
Quand tu dis d'intrants, est-ce que tu peux expliquer ?
- Speaker #1
Au niveau phytosanitaire, on fait un désherbage. Donc ça, c'est pour le salissement du terrain. Et après, on a juste un traitement maladie qu'on fait sur la culture avant l'arrachage. Donc on utilise très peu de produits phytosanitaires.
- Speaker #0
Donc c'est de la prévention ?
- Speaker #1
Voilà, c'est de la prévention et c'est des cultures quand même assez économiques et qui ont pour moi un bon impact sur l'environnement.
- Speaker #0
Ok, très bien. Est-ce que tu peux en dire un peu plus sur comment le lin est cultivé en France ?
- Speaker #1
Le lin en France, il y a deux types de lin. On cultive du lin d'hiver, ça c'est une nouveauté depuis peu, ça peut représenter à peu près 10%. Et après, il y a surtout le lin de printemps, qui représente à peu près 90%. Donc le lin de printemps qui est cultivé principalement au nord de Paris, en France et au nord de l'Europe, donc aussi en Hollande. Donc on a les Hauts-de-France, on a la Bretagne depuis peu qui remet un peu de lin. Et on a aussi la Seine-Maritime qui est réputée pour sa bonne qualité de filasse due au climat.
- Speaker #0
Et j'avais vu aussi que la Haute-Normandie, elle regroupe à elle seule 50% de la production mondiale.
- Speaker #1
Voilà, c'est ça. Donc Seine-Maritime, Normandie, le secteur côtier. Parce qu'en fait, pour faire un bon lin, une bonne filasse, on appelle ça le rouissage.
- Speaker #0
Alors, qu'est-ce que le rouissage ?
- Speaker #1
Donc le rouissage du lin, on l'arrache, on le met en terre environ fin mars, début avril. C'est une culture qui reste 110 jours en terre. Donc on l'arrache à partir du mois de juillet. C'est bien un arrachage. Ça, c'est important de le dire parce qu'il y a des gens... qui croient qu'on coupe le lin. Et donc le lin, on l'arrache de la terre. Donc on le pose sur le sol. On laisse faner le premier côté du lin. Il faut de l'humidité et du soleil. Mais de l'humidité qui reste un peu quelques jours, ce qui fait rendre le lin humide. Et derrière, avec le soleil, quand ça sèche, on a le rouillissage, donc l'heure qui devient marron. Quand le premier côté est fait, on fait le deuxième côté. Donc on appelle ça le retournage. On retourne. Et là, on laisse pareil. Il faut de l'humidité et du soleil. Et souvent, à partir du 20 août, selon les années, on commence le pressage. Donc là, c'est l'enroulage du lin. On fait des bottes, des balles rondes de lin. Et donc après, on rentre. Et après, c'est teillé à l'usine l'hiver, le printemps, tout le long de l'année.
- Speaker #0
D'accord. Quand tu dis c'est teillé, qu'est-ce que ça signifie ?
- Speaker #1
Donc les usines, elles déroulent le ballot de lin. Le ballot de lin passe dans une teilleuse. Donc c'est teilleuse, batteuse. Un peu, on appelle ça.
- Speaker #0
Ah oui.
- Speaker #1
Le lin, en fait, est secoué pour récupérer vraiment le fil, la fibre qui est vraiment à l'intérieur. Et du coup, on récupère la fibre, donc la filasse. Et donc, à côté de ça, on va dire qu'il y a des déchets, mais qui servent à pas mal de choses. Donc, il y a la filasse, il y a les étoupes, il y a la graine et il y a les anodes de lin. Donc, avec la filasse, principalement la filature, le textile, qui est... principalement exportés à 90% en Chine, en Inde. Il y a un petit peu l'Italie, mais là, c'est vraiment de la fibre de haute couture.
- Speaker #0
D'accord.
- Speaker #1
Et en fait, la fibre, plus elle est fine, plus elle est de qualité. Et après, il y a aussi la couleur de la fibre. Donc, c'est pour ça que le rouillissage est très important. Il faut que la couleur de la fibre soit très belle.
- Speaker #0
Quand tu dis très belle, est-ce qu'elle doit être...
- Speaker #1
Souvent, on dit vers une couleur bleue, bleutée. Ah oui,
- Speaker #0
la fleur, alors.
- Speaker #1
Oui, voilà.
- Speaker #0
C'est incroyable.
- Speaker #1
Donc après, il y a les étoupes. Les étoupes, c'est ce qui est autour de la fibre. Donc, on appelle ça les étoupes, la paille. Donc ça, ça part dans les mélanges pour l'industrie automobile, les toitures, l'isolation. Il y a les graines, donc les graines, on parle de l'huile de lin, et il y a aussi des graines qui partent en alimentation du bétail. Pas mal de normes autour de ce coup. Et il y a les anores, les anores ça représente quand même 45% du produit brut au départ. Donc ça c'est toutes les paillettes qui entourent la fibre, donc tout le long du cheminement quand il y a la tailleuse, il y a la batteuse. Le lin est tiré pour récupérer la fibre. Donc tous ces anneaux sont récupérés en dessous. Et donc les anneaux, on va dire, c'est l'écorce qui est autour. Et ça, on fait du contreplaqué marine. Ça part aussi maintenant en chaudière industrielle. Et depuis peu aussi, il y en a qui s'en servent pour les litières, pour les animaux.
- Speaker #0
D'accord. Vraiment, rien ne se perd, tout se transforme.
- Speaker #1
Voilà, c'est ça. Sur le lin, on ne perd vraiment pas grand-chose.
- Speaker #0
Intéressant.
- Speaker #1
Voilà.
- Speaker #0
Très bien. Et en tant qu'agriculteur, qu'est-ce que ça t'apporte en termes d'assolement ?
- Speaker #1
Donc le lin, il rentre, nous on appelle ça dans la rotation des cultures. Le lin, on revient dans les mêmes parcelles tous les six ans. Donc il est important de respecter la suite des cultures et revenir que tous les six ans pour la production, la qualité. Et donc comme je disais tout à l'heure aussi, le lin au niveau environnemental, moi je trouve ça très bien. Parce que le lin, s'il fait un mètre de Ausha l'extérieur de la terre, En dessous, il y a un mètre de racine qui descend. Donc c'est très bon pour le sol, la vie du sol. Donc c'est vraiment une culture importante dans la rotation. Je vais éclaircir. Donc en fait, moi, sur mon exploitation, j'ai une certaine surface de lin. Donc moi, sur mon exploitation, je mets 12 hectares de lin. J'ai une surface de 140 hectares cultivables sur mon exploitation. Donc tous les ans, je mets 12 hectares de lin sur une parcelle ou deux parcelles. Dans cette parcelle-là, je ne reviens pas avant 6 ans remettre du lin. Entre deux, il y a des céréales, des pommes de terre, des betteraves. C'est la rotation des cultures. On attend bien 6 ans de revenir dans la même parcelle. Des fois, ça peut aller jusqu'à 7 ans, c'est encore mieux. Mais comme le lin descend assez fort, quand même puisé dans le sol, il lui faut un peu de potasse, de phosphore. On essaye de revenir que tous les 6 ans.
- Speaker #0
Est-ce que tu as pu rencontrer des difficultés de production ?
- Speaker #1
Oui. Le lin, c'est une culture, comme je le disais tout à l'heure, c'est le lin de printemps. On sème ça fin mars, début avril. Depuis plusieurs années, on a pas mal de printemps secs ici dans les Hauts-de-France. La graine de lin qu'on met en terre, c'est vraiment une toute petite graine qui a besoin d'humidité pour germer. Quand on a semé et qu'il fait sec pendant trois semaines, le lin a du mal à sortir de terre et à pousser. Et ce qui fait la bonne production du lin, c'est qu'une fois qu'elle est mise en terre, il faut qu'elle soit sortie dans les 10 jours et il faut tout le temps que ça pousse. Donc quand on a un coup d'eau, un coup de soleil, un coup d'eau, un coup de soleil, c'est très bien. Mais quand on a trois semaines de canicule ou de sec en printemps, ça pâtit sur la production à la fin de l'année. Et du coup, on a une baisse de rendement et une baisse de qualité. Donc on a eu ça en 2023. Les rendements n'étaient pas au rendez-vous dû au printemps sec après les semis.
- Speaker #0
Et supposons que les graines ne germent pas, est-ce que tu peux repasser dessus ? Oui,
- Speaker #1
ça a déjà arrivé. Dans les Hauts-de-France, on a pas mal aussi des faux désorages. Ça a déjà arrivé aussi à l'insommer début avril, au 15 avril, donc au rage de grêle ou au rage vraiment de pluie. Toute la graine est foutue en l'air. On a les assurances et jusqu'au 20-25 avril, on peut ressemer du lin. Donc on démonte un coup et on ressème du lin. Mais du coup, c'est doublement de prix de semences.
- Speaker #0
Oui, c'est sûr. Au niveau des accords du libre-échange, est-ce que tu peux être impacté négativement ?
- Speaker #1
Au niveau du lin, c'est vrai que ce n'est pas évident. Mais comme je disais tout à l'heure, les acheteurs de filas, c'est principalement la Chine et l'Inde. Je pense qu'ils sont contents d'en venir chercher notre fibre ici, dans le nord de la France. Pourquoi ça part là-bas ? Parce que faire du fil. C'est beaucoup de main-d'oeuvre. Donc, là-bas, la main-d'oeuvre, elle est beaucoup moins chère que chez nous. Donc, après, on sait très bien que souvent, ça revient. Et dans la haute couture ou dans la mode, en fait, ils achètent de la fibre là-bas pour faire leurs vêtements. Voilà, c'est ça. Au niveau du mercosur, là-dessus, au niveau des filatures, je pense que ça ne gêne pas vraiment. Après, c'est au niveau plutôt de notre culture. Si on nous interdit encore des produits phytosanitaires, comme tout à l'heure je parlais, on n'en utilise pas beaucoup pour le lin, mais principalement, c'est juste après le semis, il faut que la culture soit très propre. Donc on effectue un désherbage sur le semis. Et si on loupe le désherbage sur le semis, la qualité et le rendement en pâtit. C'est pour ça qu'il ne faudrait pas qu'on nous enlève ce produit de désherbage. Avec les accords, on sait qu'il y a pas mal de choses. Les autres pays ont le droit de le faire, mais nous en France, on est plus blanc que blanc. Donc on nous retire des produits. Pour l'instant, sur le lin, on n'est pas embêté. Ce n'est pas comme avec l'endive où normalement il y a vraiment un produit d'enlever. On commence à avoir pas mal de cultures où on a des produits spécifiques pour le désherbage. Et il ne faut pas qu'on nous enlève ces produits-là.
- Speaker #0
Très bien, Damien. Je pense qu'on a fait un peu le tour. Est-ce que tu veux apporter une information supplémentaire ? Quelque chose qu'on aurait oublié ?
- Speaker #1
Je ne pense pas. En tout cas, quand vous voyez les beaux champs tout bleus dans la plaine, surtout dans le nord de la France, sachez que c'est du lin.
Tout à fait.
- Speaker #0
Merci,
- Speaker #1
Damien. De rien, merci.