- Fanny Jaulin
On a compris au XXe siècle que suivant les organes dans lesquels les tumeurs étaient nées, on avait des cancers différents. Chaque patient développe une tumeur qui est unique et ça c'est un énorme challenge à la compréhension de la maladie.
- Journaliste
Bienvenue dans ce podcast proposé par l'Institut National du Cancer. Agence d'expertise sanitaire et scientifique de l'État, l'Institut National du Cancer fédère et coordonne les acteurs de la lutte contre les cancers en France autour d'un objectif, réduire le nombre des cancers et leur impact dans notre société. Il soutient financièrement chaque année des centaines de projets de recherche, autant de parcours de femmes et d'hommes que nous vous proposons de découvrir dans ce podcast. Nous sommes aujourd'hui en plein cœur de l'Institut Gustave Roussy à Villejuif, en région parisienne. Dans le bâtiment dédié à la médecine moléculaire, plusieurs équipes sous la direction de trois chercheurs effectuent de nombreux travaux autour du cancer colorectal. Il s'agit d'un des cancers les plus fréquents en France. Il touche chaque année plus de 47 000 personnes et cause environ 17 000 décès. Dans une nouvelle approche de recours pour des patients atteints de cancers colorectaux au stade métastatique, pour lesquels la chimiothérapie reste le seul traitement de référence, ici, le projet de recherche est innovant. Il vise à développer une approche de test personnalisée à partir de modèles organoïdes, sorte d'avatars miniaturisés de la tumeur de chaque patient.
- Fanny Jaulin
Je m'appelle Fanny Jaulin, je suis chercheuse de formation passionnée par la biologie et je dirige une équipe de recherche à l'Institut Gustave Roussy depuis maintenant 10 ans. J'ai fait une thèse de science en France, à Marseille, sur la polarité des cellules épithéliales et j'utilisais des approches de biochimie et j'avais envie de mieux comprendre les cellules et je suis partie à New York en post-doc. Et donc là j'ai fait deux post-docs pour développer cette expertise en biologie cellulaire et en microscopie. Je suis revenue en France sur un programme qui s'appelle ATIP Avenir, qui permet à des jeunes chercheurs de monter une équipe. Et c'est avec un projet autour de la cancérologie et des cancers digestifs que je suis arrivée à Gustave Roussy, avec vraiment l'envie de reconnecter tout mon background et mon expertise fondamentale avec la maladie cancéreuse.
- Collaborateurs
Ce qui est un peu décevant, c'est que la protéine dont on pensait qu'elle allait être présente au cortex supra cellulaire, là, je ne la retrouve plus. Laquelle ? Les protéines de polarité, tu sais, APKC, Scribble, là, je ne trouve plus trop de polarité avant arrière dans les collecteurs...
- Fanny Jaulin
Aujourd'hui, ici, on est une grosse douzaine de personnes. Ça dépend des stagiaires de master qui sont présents ou pas selon les années. Et puis, récemment, vraiment structuré beaucoup plus clairement avec deux chercheurs seniors qui incarnent ces deux axes de recherche.
- Florent Peglion
Je suis Florent Peglion, je suis chercheur dans le laboratoire de Fanny. Ça fait à peu près 15 ans que je fais de la recherche. C'est ça, j'ai passé ma thèse il y a 15 ans. Je suis biologiste cellulaire, ingénieur agronome de formation. Et du coup, depuis le début, mes travaux sont portés sur essayer de comprendre à l'échelle de la cellule et à l'échelle même de la molécule à l'intérieur de la cellule. Comment une cellule peut migrer ? Notamment, il y a une étape de la migration qui est fondamentale, c'est sa polarisation, c'est-à-dire c'est la cellule qui, à un moment donné, va décider d'aller à un endroit et va dire bon ben voilà, là, cette partie de moi va être l'avant et à l'opposé, je vais construire un arrière. On part du patient jusqu'à la molécule, même au principe physique, même à la modélisation mathématique des processus qu'on observe chez les patients, pour après revenir chez le patient avec toutes les informations sur comment est-ce que la pathologie est arrivée, comment elle se développe, etc. Donc, on a une approche pluridisciplinaire. On va utiliser des outils, par exemple, de microfluidique pour nettoyer les puces microfluidiques. Ce sont des puces qu'on utilise pour faire passer nos organoïdes tumoraux, pour les forcer à... à être dans un environnement un peu confiné. Ce qui va nous apporter une façon de maîtriser un peu mieux l'environnement de la tumeur. Et elles vont se mettre à migrer de manière complètement spontanée et aléatoire, avec un mode de migration qui nous a tous surpris et qui n'a jamais été défini auparavant. On a montré que les cellules étaient capables de rester bien en groupe, compactes, en agrégat, et de continuer à migrer.
- Journaliste
Cette manipulation, elle sert à quoi finalement ?
- Florent Peglion
C'est de comprendre comment migrent les clusters tumoraux. On va les forcer à aller dans ce tunnel, qui peut correspondre un peu à un vaisseau, par exemple, à un vaisseau lymphatique ou sanguin, mais sans flux. Donc il va être comprimé de toutes parts, et ce confinement, cette compression, va induire un comportement migratoire. qu'on ne voit pas si on laisse le cluster tumoral juste comme ça sur une boîte. Le confinement à l'intérieur de ces canaux va induire ce phénomène migratoire. Donc là, vous voyez ces petites puces par impression. Vous voyez au fond, là on est vraiment sur de la micro-fluidique. C'est des choses qu'on peut voir le design des micro-canaux au microscope uniquement. Donc il faut imaginer une sorte de petit labyrinthe dans lequel les clusters vont être injectés. Et ils vont se retrouver comme ça confinés et là, ils vont se mettre à avancer.
- Jérôme Cartry
Je m'appelle Jérôme Cartry, je suis ingénieur de recherche dans le laboratoire de Fanny, je suis titulaire d'un doctorat en biologie moléculaire et cellulaire de développement. J'ai fait un post-doc aux Etats-Unis et je suis revenu en France il y a une dizaine d'années. J'ai eu la chance d'intégrer Gustave Roussy, mais pas du tout par le biais de la recherche fondamentale, ou de laboratoire qu'on dirait, mais par le biais de la recherche clinique. Fanny Jaulin et les membres du comité législatif, donc les médecins, m'ont proposé de prendre en charge ce projet. Et donc je suis revenu au laboratoire. Alors ici on est vraiment dans la pièce de laboratoire de l'unité. L'unité comprend quatre laboratoires, dont celui de Fanny Jaulin. Et dans cette pièce, il y a trois microscopes que nous utilisons pour l'équipe de Fanny Jolin, et moi particulièrement deux. Ces deux microscopes, nous on travaille beaucoup sur du vivant, sur des cellules tumorales vivantes, et on a besoin d'étudier leur comportement, aussi bien leur façon de bouger que leur façon de répondre au traitement. Mais on a besoin de matière vivante, et pour voir ça, il nous faut des appareils qui nous permettent de les grossir, bien évidemment, c'est le principe du microscope, mais aussi de les suivre au cours du temps. On peut les suivre pendant 4-5 jours avec des médicaments appliqués dessus pour voir en temps réel l'effet des médicaments sur les cellules tumorales des patients. Ce qu'on a essayé de développer ici, c'est vraiment ce qu'on appelle la médecine personnalisée fonctionnelle. C'est très compliqué de cultiver le cancer en laboratoire. Alors on parle de culture cellulaire comme quelqu'un qui, dans son potager, cultiverait des cellules végétales pour faire des légumes. Nous, on cultive les cellules humaines. Et ce qui est un peu le paradoxe de notre travail, c'est que, autant chez le patient, on veut bien évidemment détruire le maximum, avec les traitements, les cellules tumorales, mais nous, au laboratoire, on veut les maintenir vivantes le plus longtemps possible pour pouvoir les étudier. Quand on cultive les cellules tumorales... On fait de la cuisine, en recherche on fait souvent. On cherche les meilleures recettes pour les cultiver de la meilleure façon. Et c'est vraiment quelque chose dont je suis très fier, c'est que j'ai amélioré avec ma collègue Sabrina des protocoles existants. Et maintenant, pour vous dire, par exemple pour les gens qui souffrent d'un cancer du côlon, un cancer colorectal, si on récupère des cellules tumorales, pour 8 patients sur 10, on arrive à les cultiver en laboratoire. Et même en partant d'une quantité de cellules tumorales très faible. Maintenant, c'est comment bien identifier, quel est le médicament qui marche le mieux sur les cellules tumorales pour revenir au patient avec le meilleur traitement possible, pour vraiment être dans une démarche personnalisée pour le patient ? Et ça, c'est vraiment l'objectif de ces deux, trois prochaines années. C'est améliorer notre système de test de médicaments pour trouver celui qui va marcher le mieux chez le patient.
- Fanny Jaulin
On gère deux axes dans mon laboratoire. Un axe qui essaye vraiment d'avoir un retour et un impact à court terme pour les patients et sur la prise en charge de ces patients. Et un axe beaucoup plus fondamental qui s'intéresse finalement au mécanisme de migration des cellules tumorales, mais qui est en résonance avec un domaine fondamental de la biologie qui est la migration cellulaire, puisqu'en fait, on va effectivement challenger des dogmes à ce niveau-là. Donc, on travaille aussi bien avec des médecins qu'avec des biophysiciens pour se comprendre ce qu'ils font. les principes de la migration et les conséquences que ça peut avoir pour les patients. Jacques m'a dit qu'il avait préparé quelque chose pour la réunion.
- Jérôme Cartry
Oui, c'est ça. Donc, on a la réunion qu'on fait à 11 heures. Moi, je pense que ce qui est important, c'est qu'on ait accès, déjà, à tous les résultats qui sont pu récupérer, qu'on fasse bien un point sur ce que Marie leur a envoyé, tous les résultats qui ont été remontés des huit centres en France, voir s'il y a un centre pour lequel on n'a pas les données ou s'il y a un problème. Et puis là, ce qu'il va falloir savoir, c'est aller à la recherche des données cliniques sur les patients qui ont été traités avec...
- Fanny Jaulin
La tumeur primitive, elle peut être très bien prise en charge en chirurgie. C'est-à-dire que quand on a un patient qui arrive avec une tumeur localisée, il peut être pris en charge par un chirurgien qui fait une résection de la tumeur primitive et finalement, le patient est débarrassé de sa maladie cancéreuse. Et finalement, il y a des cellules tumorales qui vont toujours essayer de s'échapper par un mécanisme d'invasion. Donc ce n'est pas l'acquisition des propriétés de prolifération qui sont source des premières étapes du cancer, mais de motilité où les cellules cancéreuses vont partir de la tumeur primitive dans laquelle elles sont nées pour aller coloniser des organes secondaires. Et donc c'est ce qui donne les métastases. Et à partir du moment où ces cellules tumorales ont commencé à envahir les autres tissus et donc à disséminer dans l'organisme, c'est beaucoup plus difficile de prendre en charge la maladie. On a voulu repartir des patients de la maladie, travailler avec les médecins pour récupérer des vrais échantillons de patients et d'éviter de travailler sur des modèles expérimentaux de laboratoire, pour savoir si finalement c'était vraiment ce mode de migration qui a été mis en jeu pendant la maladie. Et on s'est rendu compte sur des grandes cohortes de patients, notre première cohorte faisait plus de 50 patients atteints d'un cancer colorectal avancé, que de façon préférentielle, les cellules tumorales préfèrent rester en groupe et donc mettre en place une invasion qu'on a appelée "collective", donc c'est des groupes de cellules tumorales qui restent soudées les unes aux autres, qui vont partir à la conquête du reste de l'organisme. Et à partir de ça, on utilise des approches expérimentales de laboratoire classique pour aller démontrer les hypothèses qu'on a pu formuler à partir de ce matériel-là. Mais dans la majorité des cas, on se base vraiment sur le matériel biologique qui est dérivé du patient.
- Jérôme Cartry
Et le vaccin est personnalisé pour chaque patient ?
- Fanny Jaulin
J'ai pas très bien compris, on peut pas donner les détails de ce truc.
- Jérôme Cartry
Il doit avoir une bonne expérience aussi en culture, de thé,
- Fanny Jaulin
tout ça ? Le vaccin s'appelle Brenus. Il n'y a pas un cancer, il y a des multitudes de cancers. On a compris au XXe siècle que, suivant les organes dans lesquels les tumeurs étaient nées, on avait des cancers différents. C'est pour ça qu'aujourd'hui, on parle du cancer du sein, du cancer du poumon, du cancer colorectal. On s'est rendu compte dans les dix dernières années qu'en fait, chaque patient développe une tumeur qui est unique. Et ça, c'est un énorme challenge à la compréhension de la maladie et à son traitement. Et donc, c'est juste l'échelle de temps avec laquelle il faut arriver à se réconcilier. C'est pour avoir des effets au niveau des malades, et bien ça peut prendre des décennies. La recherche ne peut pas fonctionner sans financement. L'Institut National du Cancer a financé un projet assez structurant dans mon équipe qui est justement d'aller poser des questions de compréhension des mécanismes d'invasion et dissémination métastatiques, mais aussi qui reste très connecté avec la clinique en amont et en aval de ces questions. Donc on a un projet qui avait été financé en 2021 par l'Institut national du cancer et qui nous a permis d'alimenter tout cet acte de recherche dans le laboratoire. Le prochain challenge, c'est de ramener des composants du micro-environnement tumoral. Aussi bien dans l'axe migration que dans l'axe médecine personnalisée, notre but, c'est de prendre des cellules et des composants du stroma, c'est tout ce qui n'est pas la cellule tumorale, et de rajouter ça avec les cellules tumorales et de voir comment ça altère la réponse de ces cellules tumorales, soit dans la migration, soit dans la réponse aux médicaments. L'objectif à court terme, c'est de toujours déployer une recherche pertinente La philosophie ici, c'est vraiment de ne pas chercher pour chercher. À long terme, j'espère qu'on aura pu contribuer à améliorer soit le travail des médecins, soit la survie des patients.
- Journaliste
Promouvoir le continuum recherche-soins et favoriser l'émergence et le transfert rapide de l'innovation sont des objectifs essentiels de la stratégie décennale de la lutte contre les cancers, afin de s'assurer que les progrès bénéficient à tous. C'est pour cela que l'Institut National du Cancer soutient des projets comme ceux de l'équipe de Fanny Jaulin. Nous voici au terme de cet épisode. N'hésitez pas à le partager et à le commenter. Retrouvez tous les numéros de ce podcast sur le site de l'Institut National du Cancer et sur les plateformes d'écoute.
- Fanny Jaulin
Parlons recherche contre les cancers.