Speaker #0Parmi les 26 adolescents du domaine du Danube, Xabi était celui qui ne se faisait jamais remarquer. Il fallait bien le connaître pour s'apercevoir qu'il était inquiet ce jour-là. Et cette inquiétude datait du moment où il avait déposé Bastet à la clinique de tutrice vétérinaire. Celle-ci avait pourtant essayé de le rassurer tout en caressant d'une main distraite la tête mécontente de la chatte. Ce n'était qu'un examen de routine, quelques radios, une prise de sang. Il pourrait la récupérer en fin d'après-midi après l'académie. Pas de problème. Ce genre d'examen de routine n'avait rien d'inhabituel. Au domaine, la santé des animaux était un sujet de préoccupation constant, presque autant que la santé de Xabi et de ses camarades. Il n'y avait donc pas à s'en soucier. Et pendant les premières heures de cours, le garçon s'efforça de penser à autre chose, concentré sur la silhouette scintillante de l'hologrammatiste. Vêtue d'une toge et couronnée d'étoiles elle incarnait ce matin-là uranie qui enseignait les sciences et faisait défiler devant leurs yeux formes et notions géométriques triangles rectangles hypoténuses cosinus sa capuce se dit chaby et ses pensées revinrent à bastet le chat le plus caractériel du domaine. "Mais qu'est-ce qui te prend aujourd'hui" s'enquit Olga au réfectoire après lui avoir demandé trois fois en vain de lui passer l'eau il sursauta bredouilla présenta des excuses, tendit la main vers le broc et le renversa, inondant la table des cadets au milieu des protestations. Olga rit et lui envoya une bourrade amicale pour lui signifier que ce n'était pas si grave. De toute façon, elle n'aurait jamais compris. Son chat Osiris était un doux matou sans surprise, qui suivait sa maîtresse comme un chien dès qu'elle revenait de l'académie. Xabi tâcha de s'intéresser un peu plus aux ragots qui s'échangeaient à table. Erin et Berthe avaient quitté le réfectoire après avoir mangé trois bouchées, et nul ne savait où ils avaient disparu même si Paul certifiait les avoir vus la veille au soir blottis l'un contre l'autre au parc à chiens. "Et ils ne surveillaient pas les leurs de très près, si vous voyez ce que je veux dire..." Les rires reprirent. Après le déjeuner les vingt-six partirent au gymnase pour leur session d'activité physique. Erin et Berthe devaient avoir pris de l'avance, ils rejoignirent le groupe lui les joues rougies elle les cheveux en bataille faisant mine de ne plus se connaître alors qu'ils avaient tous grandi ensemble. Leurs camarades firent comme si de rien n'était même si Olga et Tommy riaient sous cape en s'envoyant le ballon de basket. Xaby dans leur équipe était agacé aussi bien par leur insouciance que par sa propre mauvaise humeur comment pouvait-il leur reprocher de s'amuser ? Leur monde ne tournait pas autour de Bastet, seulement le sien. Il fut l'un des premiers à quitter le gymnase après une douche trop rapide et il dirigea aussitôt ses pas vers la clinique vétérinaire, traversant le grand carré, la place principale du domaine. Nulle part ailleurs, les plafonds n'étaient aussi hauts au-dessus de leur tête. On distinguait à peine l'origine de la lumière. Xabi repassa devant l'académie, puis la colonne des ascenseurs menant à la surface. Et enfin, il remonta le parc où Paul jurait avoir vu les deux amoureux. À cette heure, l'endroit était vide, de chiens comme d'amoureux. Quand l'assistante vétérinaire lui ouvrit la porte de la clinique, il comprit aussitôt que quelque chose n'allait pas. Il la connaissait bien c'était la baba de son ami Tommy et même si elle arborait son habituel air égal, elle avait les cheveux défaits, une déchirure à la manche et de la poussière sur les genoux. "Bastet s'est beaucoup débattue Babatommy ?" Celle-ci répondit d'un sourire crispé tandis que derrière la porte close du cabinet de tutrice vétérinaire se faisaient entendre des bruits de meubles déplacés et quelques jurons susurrés dans une langue scandinave. Le battant coulissa sur une femme âgée vêtue d'une blouse aux manches retroussées et d'une jupe courte. Tutrice vétérinaire que les adultes appelaient Véronica Elisdotir avait de longs cheveux gris et la peau d'un rose très pâle. Ses yeux clairs se posèrent sur Xaby et elle leva devant elle des bras zébrés de griffures. Le garçon se mordit la lèvre inférieure. "Je suis désolé" commença-t-il. "C'est moi qui suis désolée, corrigea-t-elle en baissant les mains l'air soudain las. Tu m'avais prévenu et même sans ça Je la connais bien, ta Bastet. Elle m'a échappée il y a deux ou trois heures. Je lui ai couru après dans toute la clinique, en vain, et on la cherche depuis."
Vous écoutez Inky et Pete se livre, le podcast lecture en 15 minutes, à peu près, qui donne vie et voix aux premiers mots d'un livre et vous donne envie de découvrir les suivants. Ou pas. Je suis Mafalda Vidal, amoureuse des jolis mots et des belles histoires.
Vous venez d'écouter l'incipit de Entrer dans le monde, écrit par Claire Duvivier et publié en 2024. Entrer dans le monde, c'est l'histoire de Xabi, un jeune adolescent qui vit en communauté avec 25 autres jeunes gens, leurs animaux, leurs babas, leurs tutrices et tuteurs. Tout ce monde vit dans le domaine du Danube. C'est un domaine qu'ils devront quitter à leurs 18 ans pour entrer dans le monde et donc sortir de leur monde pour vivre leur vie d'adulte. Les choses vont un peu se précipiter et ils vont devoir quitter le domaine plus tôt que prévu, et surtout plus violemment que prévu. Ce domaine du Danube, par bien des côtés, c'est un peu une bulle, même si une bulle n'a pas vraiment de côtés. Il est construit principalement sous la surface, donc en profondeur, et il est recouvert par une forêt, où tous les enfants, et finalement la majorité des habitants du Danube, aiment passer du temps quand ils le peuvent. C'est un endroit avec des conditions de vie idéales, où tout le monde vit dans la bienveillance, la tolérance, la solidarité, en harmonie avec la nature et notamment avec les animaux. Animaux qui ne sont d'ailleurs pas considérés comme des animaux de compagnie, mais presque comme des individus à part entière. Pour Xabi, tout ça, c'est normal. Il est né dans ce domaine, il y a grandi, donc il ne se pose aucune question. Mais pour nous, c'est assez exceptionnel. Et en même temps, il y a quand même beaucoup de trucs un peu bizarres. C'est un espace clos, dont on n'a pas le droit de sortir. Il y a des contrôles de santé réguliers. Il y a 26 adolescents, avec 26 babas. Des emplois du temps qui sont assez stricts. On se pose quand même des questions. Quand Xabi part à la recherche de Bastet, son chat, on découvre le domaine petit à petit et ses caractéristiques. Et plus on en découvre, plus l'image de la bulle s'impose. C'est une bulle idyllique, certes, mais une bulle assez artificielle aussi, et dont les parois sont quand même bien épaisses. Mais malgré ça, malgré ce côté prison dorée, ça donne quand même envie. Et ça ne donne pas envie qu'à nous lecteurs, mais ça donne aussi envie à toutes les personnes qui habitent et qui vivent en dehors de ce domaine du Danube. Tous ces gens sont très curieux et sont très attirés, très envieux aussi, de ce qu'abrite le domaine du Danube. Et quand cette bulle explose, Xabi se trouve forcé d'en sortir et de rentrer dans le monde. Un monde qu'on lui a vendu comme étant la vraie vie. Et à première vue, c'est beaucoup moins sympa. Déjà, il y a beaucoup plus de gens dans ce monde, donc beaucoup plus de bruit. Il y a beaucoup plus aussi de mensonges, de manipulations. Il y a cette notion très très présente de politique. Il y a moins d'air pur, moins de nature, moins de ressources de manière générale, moins de temps aussi. Mais d'un autre côté, il y a plus d'espace, plus de liberté. Donc l'horizon de Xabi va s'ouvrir d'un seul coup et il va découvrir un monde totalement nouveau. Donc finalement, il va avoir deux mondes. Le Danube, protégé, clos, et le reste, ouvert, chaotique, où on ne se sent pas forcément en sécurité. Et puis, quoi ? C'est tout ? Il n'y a que ces deux mondes ? Donc ça veut dire qu'il se retrouve face à ce non choix. Il a quitté le Danube, il ne peut pas y retourner. Et donc quoi ? Il serait obligé de vivre dans ce monde où finalement il n'a aucun repère, où il doit réapprendre à s'adapter et à vivre une vie qui ne lui ressemble pas ? Eh bien non, pas forcément. Et ça, c'est vraiment le message fort de ce roman. Chacun, individuellement, on a le pouvoir de changer le monde à travers nos actions, à travers nos décisions. On peut créer d'autres choix, d'autres possibilités de vie. Finalement, Entrer dans le monde, c'est un livre de science-fiction. Un petit peu de planète opéra avec l'exploration, la description d'univers futuristes. Un petit peu solar punk avec cette volonté forte de développer de nouvelles façons de vivre, en harmonie avec la nature, en harmonie les uns avec les autres. Et en même temps, c'est un roman très réaliste. On évolue entre humains, entre volonté. Il n'y a pas de tout blanc, tout noir, c'est que du gris. Le monde réel est différent du domaine du Danube. C'est un monde qui est dur, mais ce qui est positif, c'est qu'on peut, par Ausha, par nos actions, changer ce monde pour le rendre meilleur. Entrer dans le monde, c'est un petit peu aussi entrer dans l'âge adulte. Le Danube symbolise un peu l'enfance, et cette sortie violente, brutale et très inconfortable, eh bien, ça serait l'adolescence. Et le monde surpeuplé, le monde d'après, le monde qui est chaotique, plein de bruit, plein de pensées, finalement, ça serait l'âge adulte. Et quoi qu'on fasse, on ne peut pas y être bien préparé. Même si on a grandi dans le domaine du Danube. Mais on peut s'adapter soi-même et aussi adapter le monde. Merci de m'avoir écoutée jusqu'au bout. Si vous avez passé un bon moment, dites-le moi. Dites-le aussi à votre plateforme d'écoute. Et n'hésitez pas à partager le podcast avec d'autres amoureux et amoureuses des mots. A bientôt !
