Speaker #0Il n'y a pas de nuit dans Tonnerre. Lottie attend pourtant les heures les plus sombres pour franchir le sas qui mène à l'extérieur. Une alarme lointaine résonne dans les entrailles de la cité. Une diversion. Son cœur tambourine contre ses côtes frêles. Son ventre distendu lui fait mal. Les contractions la déchirent de l'intérieur. ses bras ses cuisses son cou chaque parcelle de sa peau tire gratte suinte elle a arraché les électrodes et les aiguilles avec toute la violence dont son corps épuisé était encore capable du sang-perle au creux de ses coudes chaque mouvement est un supplice quand ses mains marbrées de bleu à cause des perfusions empoignent les barreaux de l'échelle elle pense abandonner se laisser retomber au sol emportée par le poids de l'enfant dans son ventre rester là serait si simple accepter plier les choses finiront bien par s'améliorer ils le lui ont promis elle va leur donner un enfant fort sain alors la rage la prend comme une envie de vomir mensonge s'il correspond à leurs critères cet enfant sera le premier d'une longue série elle expire un grand coup serre les poings jamais plus elle ne les laissera l'attacher à cette chaise articulée jamais plus elle ne sera sanglée sur cette table le visage écrasé contre le rembourrage en plastique son dos offert à leur bistouri sa moelle osseuse vulnérable à leur ponction. Jamais plus ils ne briseront ses os pour en extraire des remèdes. Jamais plus elle ne servira de cobaye à leurs expériences. Elle est submergée par un sentiment d'injustice si profond, si pur, que ses pieds se mettent en mouvement. Un échelon après l'autre, elle grimpe, grogne, souffle, s'extirpe de la cité close. Son ventre racle le bitume délavé, sa mince chemise se déchire. Elle laisse échapper un rugissement salvateur en roulant à même le sol, échouée sur le dos. Elle rit et elle pleure en même temps. Une fine bruine lui tombe sur le visage, l'aveugle, lui pique la peau. Elle tire la langue pour la boire, l'accueillir. Elle est dehors. Le monde tourne et la nuit n'est pas noire. Elle est zébrée d'éclairs et de lumières fugitives. Elle se redresse à quatre pattes, chacun de ses muscles proteste. Les contractions se font de plus en plus proches, de plus en plus fortes. Un liquide poisseux coule le long de ses jambes alors qu'elle se relève en titubant. Elle essuie d'une main l'eau et la sueur sur son front, resserre les lambeaux de sa chemise autour de son corps. Partir. Trouver Nora. Disparaître. C'est pas la mène vers le taudis de son amie. Elle vacille dans les rues délabrées, trébuche sur les pavés décellés entre lesquels poussent des herbes sauvages. Le cœur au bord des lèvres, les oreilles bourdonnantes, Elle ne chasse même pas les nuées de mouches attirées par le sang frais qui poissent ses vêtements. Elle marche en pensant à Nora et à sa petite piole dans les tours, où elle s'est si souvent réfugiée que son corps connaît le chemin par cœur. Ses jambes cèdent alors qu'elle lève la main pour frapper. La porte s'ouvre au même moment. Son poing s'abat faiblement sur la poitrine d'une femme. Elle gémit quand une contraction enflamme ses reins. Ses yeux sont pleins de larmes et de douleurs. Nora la rattrape. « Par la cendre ! Lottie ! » « Otto, viens m'aider, vite ! » Le monde tourne et tourne et tourne. Lottie se sent traîner à l'intérieur. Tout son corps est en feu. L'odeur du sang lui monte aux narines, colle sur ses bras, ses cuisses, le long de sa colonne vertébrale. Elle est une blessure à vif. Les anciennes plaies se rouvrent. Une nouvelle contraction lui cisaille le bas-ventre. Elle sent les doigts frais de Nora sur son front, entre ses jambes. « Ça va aller, ça va aller » , répète son ami. Elle hoche la tête dans le vide. Secrètement, elle espère qu'elle va mourir. Un cri primal la secoue de haut en bas. Le bébé se ferait un chemin sanglant entre ses organes. Nora appuie sur son ventre, lui tient la nuque. Quand les contractions deviennent si fortes que Lottie en oublie comment penser, une seule idée surnage en elle. Que la cendre me laisse crever, plutôt mourir que de retourner là-bas. Vous écoutez Linky et Pete ce livre, le podcast lecture en 15 minutes, à peu près, qui donne vie et voix aux premiers mots d'un livre et vous donne envie de découvrir les suivants. Ou pas, je suis Mafalda Vidal, amoureuse des jolis mots et des belles histoires. Vous venez d'écouter Linky Pete de Tonnerre après les ruines, écrit par Florian Soulaz, publié en 2023. L'histoire de Tonnerre après les ruines, c'est l'histoire de Lottie, qu'on vient de rencontrer dans l'incipit, qui survit et qui s'enfuit, et qui se jure de ne jamais retourner d'où elle vient. Mais c'est aussi l'histoire de Feral. Feral est une jeune femme très spéciale, dont les yeux sont jaunes, et dont les capacités physiques sont assez extraordinaires. À elles deux, elles forment un duo redoutable, et donc elles se font pisteuses pour escorter les caravanes de voyageurs qui ont encore le courage de se déplacer dans un monde complètement dévasté, recouvert de cendres, où tombent des pluies acides régulièrement. Dans ce monde, l'humanité survivante s'est réfugiée en petits groupes. dans d'anciennes bâtisses délabrées. La maladie ronge tout, les humains mutent, bref, c'est un monde où il n'y a pas vraiment de place pour l'espoir. Et au fil de leur voyage, elles vont se retrouver confrontées à des rumeurs. Des rumeurs sur une ville qui s'appelle Tonnerre, et que Lottie connaît bien, puisque c'est sa ville d'origine. Ces rumeurs parlent d'autres personnes aux yeux jaunes, de maladies, mais aussi de remèdes, d'espoir. Pour Lottie, il est hors de question d'y retourner. Et Feral fait confiance à Lottie. Mais malgré tout, elle se sent irrésistiblement attirée par cette ville, qui, peut-être, pourrait lui apporter les réponses aux questions qu'elle se pose depuis si longtemps. Qui elle est ? Qu'est-ce qu'elle est ? D'où elle vient ? Est-ce qu'il y en a d'autres comme elle ? Est-ce qu'elle est malade ? Est-ce que sa maladie peut dégénérer et la transformer en bête sanguinaire ? Est-ce qu'il existe un moyen de la rendre normale ? monstrueuse. La question du monstre et de qui est le monstre est centrale dans ce roman. Ferral est traité de monstre, de mutante, de malbête, parce qu'elle est différente. Mais on est dans un monde où tout le monde est différent. Tout le monde est malade, tout le monde perd sa peau, tout le monde mute, tout le monde a un troisième bras qui lui pousse. Mais pour autant, la peur va se cristalliser sur les encore plus malades, encore plus mutés, encore plus différents. Et malgré toutes les protestations de Lottie, Feral a besoin de savoir. Elle a besoin de ses réponses. Et donc les deux femmes vont se rendre à Tonnerre et Feral va pouvoir commencer sa quête de vérité, sa recherche de ses origines. Et là, ça pose une autre question. Est-ce que c'est vraiment important ? Bien sûr, c'est important de savoir d'où on vient, mais est-ce que pour autant, ça va influencer où on va ? Et ça, c'est pas évident. Feral va se trouver face... à deux réponses. Première réponse, la réponse scientifique, on vient d'une humanité non infectée. Notre objectif, c'est de retourner sur une humanité saine. Donc, on va développer un remède pour guérir l'humanité de son mal. Deuxième réponse, et si on s'adaptait ? Et si on acceptait cette maladie, on acceptait ces mutations comme des cadeaux de la nature, pour nous aider à être ... plus en accord et plus en harmonie avec notre nouvel environnement. Dans le premier cas, Ferral est considéré comme détenant la solution, dans ses chaînes, dans son sang. Grâce à elle, on va pouvoir élaborer un remède qui va permettre de soigner l'humanité, de combattre tous les virus qui aujourd'hui envahissent et pourrissent l'humanité. Dans l'autre cas, Ferral est considéré comme une déesse, puisqu'ayant atteint ce stade parfait d'évolution qui permet de vivre en harmonie avec la nature telle qu'elle est aujourd'hui. Où se trouve la vérité ? D'un côté, de l'autre, entre les deux ? Y a-t-il même un sens à tout ça ? Et jusqu'où Ferral est-elle prête à aller pour découvrir et pour établir cette vérité ? Et on en revient à la première question, la question du monstre et de l'humain. Où se trouvent les frontières de l'humanité et de la monstruosité ? À partir de quand devient-on un monstre ? À partir de quand est-on, devient-on ou redevient-on humain ? Tonnerre après les ruines, c'est un roman dystopique, dur, cru, violent, gore parfois. Mais c'est un roman qui rend fort par les messages qu'il véhicule, par la place qu'il fait aux femmes, la place qu'il fait aux monstres, parce que finalement, on est tous des monstres. Et c'est une bonne chose. à condition de respecter les autres monstres qui nous entourent, d'accepter leurs différences et d'accepter les nôtres. Et pour tout ça, et paradoxalement, c'est aussi un roman d'amour. D'amour pour son prochain, d'amour filial, maternel, d'amour inconditionnel, mais qui va au-delà des liens du sang. Merci de m'avoir écoutée jusqu'au bout. Si vous avez passé un bon moment, dites-le moi. Dites-le aussi à votre plateforme d'écoute. Et n'hésitez pas à partager le podcast avec d'autres amoureux et amoureuses des mots. A bientôt !