- Speaker #0
Bonjour à toutes et tous, je suis ravi aujourd'hui d'accueillir Thibaut Dumas. Alors Thibaut a plusieurs casquettes, tu es docteur en neurosciences, tu es auteur aussi, tu as écrit trois livres sur le cerveau, on s'imagine bien, un qui s'appelle Le Cerveau, du reste en 2018, un autre sur la détox digitale et un troisième sur concentration et mémoire. Donc comme ta vie n'est pas assez remplie, tu es aussi directeur ou ancien directeur d'un incubateur de start-up et je crois que tu continues à garder les liens avec les entrepreneurs et tu es toi-même entrepreneur puisque tu es associé. dans une entreprise qui s'appelle Into The Tribe. Alors toi, tu as un sujet de prédilection, les relations entre le cerveau et les nouvelles technologies, ou comment les neurosciences peuvent aider à améliorer les pratiques en entreprise. Tu as aussi une âme d'aventurier, et c'est ce qui a fait qu'on a pu se rencontrer. Tu aimes explorer de nouvelles activités. On s'est connus sur un projet de découverte des expéditions nordiques. On s'est retrouvés sur le plateau du Vercors. Et ce qui m'a fasciné à l'époque, c'est que tu t'es lancé dans l'aventure sans avoir jamais mis de ski de randonnée nordique. Tu nous as fait confiance et tu t'es très, très, très bien débrouillé. Tu as quand même établi un record puisque tu as passé une nuit par moins 14 degrés dans le tipi. Et ça, c'est sûr que si je t'avais dit qu'on allait être par moins 14, peut-être tu ne serais pas venu. Bon, ça t'a plu visiblement et donc tu as enchaîné. Tu m'as relancé cette année pour qu'on aille faire le Mont Blanc ensemble. Voilà. Et voilà, c'est de cette expérience que moi j'ai envie de parler dans un premier temps. Et ensuite, on ouvrira bien sûr sur d'autres sujets concernant les neurosciences. Donc une question, c'est ce qu'on va explorer dans ce premier épisode. Comment un novice peut s'attaquer au Mont Blanc ? Comment on se prépare ? Qu'est-ce qui est en jeu en termes aussi d'adaptation par rapport à un milieu qui est nouveau et cette logique d'acclimatation ? Voilà, j'ai beaucoup parlé Thibault. Donc... Bonjour et puis ma première question sur ce projet Mont-Blanc, pourquoi s'être lancé ce challenge de faire l'ascension du Mont-Blanc ?
- Speaker #1
Bonjour Jérôme, merci pour ton invitation. Alors qu'est-ce qui m'a poussé à aller sur le Mont-Blanc ? Je pense déjà à l'origine, moi être explorateur c'est quelque chose que j'aurais adoré faire à une autre époque. Et c'est un peu pour ça qu'en fait je me suis lancé dans les neurosciences, parce que c'était pour moi un petit peu l'un des derniers continents inexplorés. On a ça un peu dans les sciences en général, mais les neurosciences en particulier, parce que là, on va aller explorer la surface du cerveau, le fonctionnement du cerveau. Donc, c'est quelque chose qui m'a toujours attiré. Le Mont-Blanc en particulier, c'est mythique, tout simplement. Donc, pour moi, c'était une bonne façon de démarrer. C'était aussi issu de nos conversations. Je revenais du Mont-Foujy que j'avais fait, je t'en avais parlé. Tu m'as dit, pourquoi pas le Mont-Blanc pour la suite ? J'ai dit, allez, on y va.
- Speaker #0
Alors... Qu'est-ce qui t'a le plus marqué sur cette expérience ? On a passé 5 jours, 2 jours à se préparer au niveau de la Vallée Blanche, refugie cosmique, on était déjà à 3600 mètres, et puis ensuite on a tenté sur 3 jours cette ascension.
- Speaker #1
Alors ce qui m'a le plus marqué durant l'ascension du Mont Blanc, c'est plutôt la préparation. C'est tout ce que j'avais dû mettre en place avant, au niveau sportif, au niveau médical aussi. Je suis allé voir des médecins spécialisés, voir qu'est-ce qui était l'impact de l'altitude, faire des tests, préparer un programme d'entraînement, suivre aussi bien physique qu'alimentation, me préparer psychologiquement, mentalement, sachant que j'allais avoir un effort peut-être difficile. Donc en fait, c'est toute cette préparation-là que j'ai le plus aimé, je dirais les 5-6 mois qui ont précédé, où je me suis mis dans cet état d'esprit, ce qui m'a aussi aidé sur plein d'autres aspects dans ma vie à ce moment-là. Le fait d'avoir cet objectif... Et cette échéance m'a beaucoup aidé après pour tout le reste de mes activités.
- Speaker #0
Alors du coup, est-ce qu'il y a un décalage entre ce à quoi tu t'étais préparé et puis la réalité rencontrée fin juin sur le basif du Mont-Blanc ?
- Speaker #1
Le gros décalage, c'était la météo peut-être. C'est ça qui nous a le plus perturbés. Après, le reste, effectivement, plus j'étais préparé et plus ça allait être simple. J'ai pas eu de grosses grosses surprises sur le plan physique, parce que je savais que ça allait être difficile et je savais qu'il allait falloir donner de ma personne pendant l'ascension. Après, ce qui a été intéressant, c'était tout ce qu'on a pu échanger dans la cordée, justement par rapport à ce problème météo qui, du coup, était arrivé comme ça, comme un cheveu sur la soupe. Et comment on a dû discuter de ça ensemble, avec le guide, ensemble. Est-ce qu'on y allait ? Est-ce qu'il n'y allait pas ? Comment on allait aborder la situation ? Donc, c'était ça qui était vraiment intéressant.
- Speaker #0
Il faut préciser qu'on a tenté l'ascension par la voie historique, par le refuge des grands mulets. Le refuge des Grands Mulets est à 3200 mètres, ce qui nous laisse effectivement 1600 mètres de dénivelé sur cette étape. Avec une difficulté technique qui est de passer l'arête nord du Goutté. Ça gaze bien comme on dit, c'est la vision. J'avais déjà passé de nuit, mais là c'est la première fois que j'ai passé de jour et j'étais plutôt très impressionné aussi. Elle finit en glace vive. C'est vrai que quand on s'est retrouvé près du Dôme du Goutté, on n'y voyait plus rien et il y avait beaucoup de vent. Donc on a dû rebousser chemin vers 4300 mètres à peu près et s'abriter au refuge du Goutté qui est à 3800 mètres. Donc des conditions pour toi pour démarrer qui sont quand même très difficiles. Oui,
- Speaker #1
effectivement. Mais c'est aussi ça qui m'intéressait. Le fait de passer par une voie alternative qui n'est pas celle qui est la plus utilisée, une voie un peu plus sauvage avec un engagement technique un peu plus fort. C'est ça aussi qui m'intéressait. On serait partis dès le départ sur la voie la plus classique. Ça m'aurait peut-être moins motivé, en fait. Mais après, une fois que j'étais sur l'arête, je ne faisais pas le malin.
- Speaker #0
Moi non plus, Thibaut. C'est sûr qu'il faut être extrêmement vigilant. Et puis, en plus, on était sur de la glace vive. Alors justement, Thibaut, tu étais préparé physiquement. Là, tu es dans l'inconnu. Moi, j'ai noté que tu t'es accroché, tu as respecté les consignes. On avait un guide, bien sûr, il nous a donné quelques consignes et tu les as respectées. Mais en termes de stress, d'adaptation à cet environnement, est-ce que tu as noté quelque chose ?
- Speaker #1
Alors, le premier stress, la première cause de stress, c'était de me dire, étant donné qu'on est en cordée, qu'est-ce qui se passe si moi, je ne suis pas au niveau ? Si je n'arrive pas à suivre physiquement, si je suis bloqué, si je n'arrive pas à retrouver mon souffle, si je me blesse ou quoi que ce soit ? Est-ce que je ne vais pas entraîner l'annulation de la mission pour tout le monde ? Ça, c'était une source de stress, un petit peu, de me dire, voilà, je n'ai pas envie d'être la cause des problèmes, en fait, et de l'arrêt d'un projet qui est une demande d'investissement, aussi bien physique que financier aussi, pour tout le monde. Donc ça, c'était un premier axe qui me posait un petit peu, et de me dire, voilà, comment je vais réussir à tenir ça ? Et c'est pour ça que je me suis préparé le plus possible. Mais en même temps, j'avais un temps limité, donc j'ai essayé de faire au maximum dans le temps que j'avais, de passer de pas grand-chose à être prêt, il y avait quand même du travail. Et puis après, une fois sur place, en fait, de ce que j'ai pu ressentir, j'ai ressenti tout simplement mon cerveau qui se mettait un peu en mode, on y va pas par pas. On se focalise sur l'objectif et on y va, on avance. Et c'est un mode de fonctionnement aussi qui est intéressant, parce que c'est... C'est la manifestation de pas mal d'éléments, de processus psychologique et neurobiologique qu'on retrouve dans des situations effectivement comme ça de danger. Donc c'est intéressant effectivement d'en avoir pu avoir fait l'expérience subjective moi-même.
- Speaker #0
Et ça apporte quoi d'y aller pas à pas ? Parce que c'est vraiment une démarche d'alpinisme, d'y aller pas à pas. Mais justement, dans la relation avec le cerveau, la fatigue, l'adaptation, la gestion de l'effort dans la durée, ça t'apporte quoi de cette approche ?
- Speaker #1
Alors, sur le plan neurobiologique, ça serait difficile d'établir un parallèle exact parce que les neurosciences s'adressent à des... des sujets qui sont étudiés dans des laboratoires, avec des machines d'imagerie cérébrale. C'est très loin de ce qu'on appelle un contexte écologique, c'est-à-dire un endroit qui ressemble à la vie quotidienne. Donc c'est difficile de faire des parallèles directs. Après, on pourra y revenir, mais sur ce qui concerne la motivation, sur ce qui concerne la prise de décision, c'est vrai que c'est plus facile d'avoir un horizon des événements un peu plus court. Parce que ça permet de se concentrer sur des choses plus simples à gérer, au cas par cas. petit. Énergétique, c'est plus intéressant.
- Speaker #0
Fort de cette expérience, si c'était à refaire, donc là, avec pour objectif d'aller jusqu'au sommet, de bénéficier peut-être d'une météo plus favorable, qu'est-ce que tu referais ou qu'est-ce que tu changerais ?
- Speaker #1
Je ne changerais pas beaucoup de choses. Ce qui est sûr, c'est que je le referai. Je n'ai pas envie de rester sur ce sentiment d'inachevé, d'être si près du but. On était quoi, à deux heures du sommet peut-être ?
- Speaker #0
Une heure et demie. Oui,
- Speaker #1
une heure et demie. Et en plus, c'est peut-être l'heure et demie qui m'intéressait le plus. Parce que c'est celle où on est encore à plus haute altitude, où peut-être on va ressentir des choses encore différentes. Donc ça, c'est certain que je le ferai. Ce qui me plairait bien, bon ça c'est plus sur un aspect plus perso, mais ça serait de redescendre en parapente. Comme ça, on évite toute la difficulté de la descente. Puis on a le plaisir, ça doit être incroyable, de faire du parapente du haut du Mont-Blanc. Après, peut-être que j'investirais dans d'autres sources d'équipements. J'avais beaucoup fait de location à ce moment-là parce que je ne savais pas si j'allais investir dans de l'équipement. Peut-être que là, je prendrais quelques équipements supplémentaires pour être plus à l'aise, notamment au niveau des chaussures, des choses comme ça.
- Speaker #0
Ça, c'est l'étape d'après. Ça valait un bon test que tu as largement réussi, puisque tu t'en es sorti, quelles que soient les conditions. Et les conditions n'étaient pas faciles. Pour conclure peut-être sur cette séquence, tu es novice. Tu nous as dit que tu t'es préparé. Tu as réussi à t'adapter en étant focalisé sur le pas à pas. Tu as appris la logique de la montagne. C'est quand même la météo ou les conditions de neige ou de glace qui décident avant tout. Ce n'est pas je veux, je peux. sur la montagne, si tu avais un conseil à donner à quelqu'un qui veut démarrer et se lancer sur l'ascension du Mont-Blanc ou un autre 4000, qu'est-ce que tu aurais envie de lui dire ?
- Speaker #1
Alors, de ne pas négliger la préparation, de le plus tôt possible se préparer physiquement, entamer une démarche à ce niveau-là d'entraînement régulier. Moi, je trouve que c'était intéressant, d'un point de vue scientifique aussi et médical, d'aller consulter un médecin spécialiste dans l'altitude. Ça m'a permis d'échanger sur des notions liées au mal des montagnes, comment le prévenir. En plus, moi, je suis végétarien, donc je voulais être certain qu'il n'y ait pas de difficultés. Et j'ai découvert à ce moment-là que, justement, il y avait des petites choses à préparer en plus, peut-être pour les végétariens. Donc ça, je le conseillerais de bien s'entourer dans la cordée, de le faire avec des gens qu'on connaît. Et donc là, on se connaissait déjà, on avait déjà pu s'expérimenter en... en milieu difficile, avec un engagement physique aussi. Donc ça, c'était intéressant, bien choisir son guide. Et puis prévoir peut-être les meilleures conditions en termes de timing, peut-être rajouter des jours avant, des jours après, pour avoir un peu plus d'acclimatation. Et puis peut-être un peu plus de jours après, pour justement pouvoir absorber les problèmes de météo et décaler si on a besoin. Pour vraiment être le plus détendu possible le jour de l'ascension.
- Speaker #0
Merci Thibault pour ces conseils. Le prochain projet pour toi, en montagne ?
- Speaker #1
C'est une bonne question. Qu'est-ce que tu me recommandes, Jérome, si tu n'as pas le Mont Blanc ?
- Speaker #0
Déjà, faire le Mont Blanc. Puisqu'effectivement, c'est un sommet mythique. Et surtout, ça te permettra de voir comment ton corps se comporte à 4800 mètres. Si on s'arrête à 4300, il y a encore 500 mètres. C'est 500 mètres qui comptent. Donc voilà, savoir vraiment si tu es à l'aise parce qu'on va cumuler un effort et après on peut aller plus haut, bien sûr. Pourquoi pas, si ça t'intéresse, donc un 6000 ou alors plus technique, si c'est la technique qui t'intéresse. Bon, mais je sens qu'on va avoir encore des discussions pour choisir les prochains projets. Merci Thibault. Moi, ce qui m'a vraiment le plus marqué, c'est effectivement, et c'est par deux fois, ton engagement, c'est-à-dire que tu es très, très minutieux dans la préparation. tu ne m'as pas posé beaucoup de questions et tu as fait ce qu'il fallait de ton côté pour te préparer à arriver à ton top. Et deuxièmement, ce qui m'a beaucoup impressionné, c'est ton ouverture. Tu as écouté tout le monde. Tu n'es pas arrivé en terrain conquis en disant je vais vous expliquer comment il faut faire. Et du coup, tu t'es adapté vraiment très, très, très, très vite. Ça va me permettre d'enchaîner sur le prochain épisode. Dans cet épisode, j'aimerais qu'on explore ensemble l'adaptation du cerveau ou du corps dans des milieux extrêmes, voire aussi avec le réchauffement climatique, on est dans des milieux qui vont évoluer et comment le corps et le cerveau vont évoluer, peut-être à la même vitesse ou moins vite, je ne sais pas, par rapport à ces milieux extrêmes. Merci à toi Thibault.
- Speaker #1
Merci Jérôme.