undefined cover
undefined cover
Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre cover
Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre cover
L'Actu En Tête

Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre

Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre

14min |05/09/2025
Play
undefined cover
undefined cover
Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre cover
Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre cover
L'Actu En Tête

Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre

Episode 2 : Les Jeunes, l'Anxiété et la Guerre

14min |05/09/2025
Play

Description

🎙️ Épisode 2 – Les jeunes, l’anxiété et la guerre

Comment les conflits mondiaux, omniprésents dans l’actualité, impactent-ils la santé mentale des jeunes générations ? Entre anxiété, peur de l’avenir et sentiment d’impuissance, Didier Meillerand (journaliste & fondateur du Psychodon) et Fabrice Pastor (neuropsychologue) analysent les effets de ces images et récits de guerre sur le quotidien des adolescents et des étudiants.


Ils proposent des clés pour comprendre ces mécanismes, mais aussi des pistes pour renforcer la résilience, ouvrir le dialogue et accompagner cette jeunesse confrontée à des enjeux plus lourds que jamais.


Un échange à la fois lucide et porteur d’espoir, pour mieux saisir ce que traversent les jeunes aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur l'actu en tête.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans le podcast l'actu en tête. Notre ambition est de vous aider à prendre du recul sur l'actualité qui impacte et parfois avec force notre santé mentale. Je suis avec Fabrice Pastor. Bonjour Fabrice.

  • Speaker #0

    Bonjour Lilié.

  • Speaker #1

    Tu es neuropsychologue, auteur et acteur de terrain et je suis très heureux de te retrouver. dans ce podcast et nous parlerons aujourd'hui des guerres, des guerres qui impactent notre quotidien.

  • Speaker #0

    Oui, Didier, et toi tu es journaliste, tu es également le président fondateur du Psychodon et le commissaire général du Forum National de la Santé Mentale. Effectivement, l'actualité est lourde, elle pèse vraiment beaucoup sur nos têtes, parfois sans qu'on s'en rende compte. Ce matin, par exemple, je lisais le témoignage d'un jeune adulte qui disait « Moi je dors mal depuis que j'ai vu les images » . de Gaza, ça n'arrête pas. Alors oui, c'est vrai que ces guerres plus ou moins lointaines, géographiquement, elles sont aujourd'hui dans nos poches, sur nos écrans et donc dans nos têtes en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et c'est un sujet qui est profondément humain, universel. La guerre, les guerres, en Ukraine, au Proche-Orient, à côté de chez nous, tout au bord de nos portes, cette anxiété est tout à fait légitime. une anxiété qui est générée face à des images, à des sons. Tu sais Fabrice, je me demande souvent comment cette actualité martiale permanente impacte ceux qui grandissent aujourd'hui. Je le voyais bien dans les rédactions où j'ai travaillé, que traiter les conflits, le travail des journalistes, c'est difficile. C'est un exercice... Compliquer les journalistes sur une vraie responsabilité. Aujourd'hui un collégien qui vit ici en France peut voir une vidéo où des familles meurent sous les bombes et entre deux vidéos de tchats sur les réseaux sociaux il n'y a plus de sas, il n'y a plus le travail de journaliste, il n'y a plus de filtre.

  • Speaker #0

    Oui tout à fait ce que tu dis là c'est absolument central parce que c'est pas seulement l'information qui est anxiogène c'est aussi sa brutalité, le fait que ça se répète aussi et aussi surtout son intrusion. Alors j'ai trouvé une étude qui a été publiée en 2023 dans un journal qui montrait que notamment l'exposition répétée à des images de guerre elle est souvent associée à une augmentation significative de l'anxiété et des troubles du sommeil chez les adolescents et ceci même lorsqu'ils vivent loin des zones de conflit. Et en France aussi, selon Santé publique France, il y a plus d'un jeune sur deux qui déclare avoir déjà ressenti une forme de détresse en lien ... avec les images d'actualités violentes.

  • Speaker #1

    Et c'est un paradoxe cruel Fabrice, les jeunes qui sont en général les moins responsables, les moins aux commandes politiques, sont les plus exposés émotionnellement. Je pense par exemple à cette adolescente de 14 ans que j'ai rencontrée lors d'un déplacement pour une consultation citoyenne pour la santé mentale. Elle me disait je veux faire un métier utile mais à quoi bon, le monde va brûler, brûle de toute façon et cette forme de résignation est terrible. C'est une quête de sens, d'engagement qui est contrariée par la réalité des violences et guerres, qui se répète comme si les hommes n'apprenaient rien. On a envie de se dire, mais ils sont bêtes ou quoi ? Pourquoi tuer les enfants de ces mères à travers le monde ? Cela génère une anxiété profonde.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on nomme parfois l'anxiété existentielle. Il n'y a pas forcément d'un danger immédiat. En fait, on est plus sur un sentiment d'insécurité globale. Donc tout ce qui est maintenant les sujets comme le climat, la guerre, les catastrophes naturelles, il y a beaucoup de jeunes, pour beaucoup de jeunes en fait le futur il est flou, il est même menaçant. On l'a déjà évoqué lors des épisodes précédents qu'on a fait ensemble, mais le cerveau des jeunes en fait il est en pleine maturation, il est souvent très hypersensible à cette insécurité perçue. Ils ont finalement en général un peu plus de mal à relativiser tout simplement.

  • Speaker #1

    Ce que dit la science sur le stress, l'exposition aux images de violence et de guerre, ... Fabrice, tu as des repères scientifiques à nous partager.

  • Speaker #0

    Oui, quelques repères scientifiques que j'ai trouvés. L'Inserm a publié en 2022 un rapport sur les conséquences psychologiques de l'exposition médiatique aux événements violents. Il souligne que chez les jeunes, cette exposition peut produire des symptômes comparables à ceux d'un stress post-traumatique et même sans exposition directe au danger. On parle aussi parfois d'une sorte de vulnérabilité cumulative. En gros, pour faire simple, si un adolescent est déjà stressé par plein de choses, ça peut être l'école, ça peut être des problèmes familiaux ou encore des problèmes d'image de soi, l'exposition à la guerre peut tout à fait agir comme une sorte de facteur aggravant.

  • Speaker #1

    Et ce qui est terrible, c'est qu'on ne voit pas toujours ces signes chez les jeunes. Un adolescent qui ne parle pas n'est pas... pas forcément solide. Il peut être anesthésié, désengagé, en train de somatiser, comme sidéré face à la violence des images et des sons des guerres et des violences.

  • Speaker #0

    Oui, exactement Didier. En fait, il ne faut pas penser que les symptômes sont obligatoirement spectaculaires. Ça peut être des troubles du sommeil, ça peut être une fatigue qui est un peu chronique, une hyper-émotivité, un repli sur soi. ou d'ailleurs même parfois ça peut être tout simplement une sur-implication dans des causes humanitaires pour essayer en quelque sorte de réguler cette anxiété. Toi Didier par exemple en tant que journaliste, on sait que tu as interviewé des figures internationales mais comment est-ce qu'on fait quand on est journaliste pour parler de guerre sans forcément nourrir l'angoisse ? Quels sont tes conseils ? Comment tu faisais ? Comment tu fais ?

  • Speaker #1

    C'est une vraie question éthique et je vais la renvoyer surtout aux journalistes qui sont des experts et des reporters. de guerre, qui ont une vraie responsabilité, car l'information, elle doit être transmise, mais il faut s'interroger, et certains le font très bien, pour qu'elle ne soit pas systématiquement choquante. Oui, il faut montrer la réalité, la cruauté des bombes, les peurs, les morts, mais il faut expliquer, donner les sources, proposer des angles différents pour montrer des positions diverses. situer les divers protagonismes et les diverses implications du conflit. Plus que jamais, il faut des journalistes, pas des personnes, qui envoient des images et des sons, et qui les envoient bruts sur des réseaux sociaux, sans travail éditorial et sans filtre. Parce que diffuser certains sons ou des images en boucle, ce n'est pas du journalisme, ce n'est pas une attitude déontologiquement acceptable. Mais aujourd'hui, l'algorithme ne fait pas de déontologie. il pousse ce qui fait du buzz, ce qui fait réagir, ce qui fait de l'audience. Et ce qui fait le plus réagir, je dirais presque malheureusement, c'est la violence, le chaos. Et ça entraîne la violence et ça entraîne le chaos.

  • Speaker #0

    Donc en gros, ce que tu dis, c'est que les jeunes reçoivent des contenus bruts, sans mise en contexte, sans forcément qu'il y ait de médiation, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Exactement. Et c'est là le rôle des adultes qui devient crucial. parents, enseignants, éducateurs, ils doivent reprendre la main, se saisir de l'information. C'est nécessaire, ils doivent réintroduire du sens, réintroduire du langage, tenter la prise de recul, partager des émotions en famille, comme la peur, la tristesse face à la mort, et la joie, dès qu'il y a des moments de paix qui sont intenses, mais en tout cas, ressentir ensemble et en famille et avec d'autres, la diversité des émotions. Parce que c'est ces sentiments ressentis, ces émotions ressenties qui feront grandir les plus jeunes. Sinon, ils restent seuls, avec des émotions brutes, ils ne savent pas quoi en faire, ils souffrent, ils se consument de l'intérieur, se détruisent même parfois par des passages à l'acte pour compenser. Et ce sont des passages à l'acte qui peuvent être aussi violents que les images violentes reçues.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Et il y a des choses simples qu'on peut faire. D'abord déjà, la première chose qu'on peut faire, c'est... tout simplement ne pas éviter le sujet, même si c'est parfois dur. Parce que l'évitement écrit plus d'angoisse que la parole. Et ensuite, évidemment, on va adapter le langage à l'âge. On ne dit pas du tout de la même manière à un enfant de 7 ans les mêmes choses qu'à un lycéen, évidemment.

  • Speaker #1

    Tu sais, parfois, les jeunes posent des questions très directes et pleines de sens. Est-ce qu'on va être bombardés ici, chez nous ? Pourquoi ces gens-là, ils tuent des enfants ? Et parfois, on peut être tenté de minimiser pour rassurer nos enfants et les plus jeunes. mais ils savent bien que parfois on leur ment ou qu'on est démuni.

  • Speaker #0

    Exactement. Et le but, ce n'est pas du tout de dire sans filtre, mais de dire vrai, avec des mots justes, en validant les émotions. Oui, c'est normal que tu aies peur. Moi aussi, ça m'inquiète parfois. Et puis surtout aussi, il faut redonner des leviers d'action. Même petit, faire un dessin pour une association, participer à une collecte. écrire une lettre, ça, ça redonne un sentiment d'utilité face à l'impuissance, en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et ça, c'est très important, parce que ça permet d'incarner, de s'approprier les images de guerre et de violence, et ça peut se jouer aussi à l'école, et d'ailleurs, on s'interroge sur qu'est-ce qu'on peut faire à l'école, est-ce qu'on en parle suffisamment de cette charge anxieuse liée à l'actualité, ces images qui nous montrent des guerres ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, je pense qu'on n'en parle peut-être pas encore assez. Alors pourtant, l'école, c'est un... C'est aussi un lieu central pour ça. Il y a également certains établissements qui organisent des débats encadrés, des ateliers de philosophie, des temps de parole. Ça, c'est hyper important, c'est très précieux. Mais il faut aussi former les enseignants à repérer les signaux et si c'est possible, proposer des temps de parole. Alors ça se fait parfois dans certains établissements et à certains âges, mais moi je pense qu'il faudrait peut-être un peu plus les généraliser.

  • Speaker #1

    Oui, je crois qu'il y a une vraie demande aussi des enseignants. J'ai récemment animé une rencontre dans un lycée à Paris et une prof me disait, parfois ils sont un peu désespérés, les élèves n'écoutent plus les infos. ils les subissent. Cette phrase est marquante.

  • Speaker #0

    Oui, et dans certaines académies, il y a des psychologues qui interviennent ponctuellement sur ces thématiques, mais bon, c'est toujours pareil, on le sait tous, on manque cruellement de moyens. Il faudrait, en quelque sorte, institutionnaliser les temps de parole sur les grandes crises du monde. Pas pour expliquer ce que c'est que la géopolitique, mais pour globalement recueillir un petit peu tout ce qui est l'aspect émotionnel et ce que ça peut susciter.

  • Speaker #1

    Et nous, les adultes, comment on tient ? Parce que l'anxiété n'épargne pas les adultes. Tu sais, parfois je me lève le matin avec une boule au ventre en voyant les alertes sur mon téléphone ou en écoutant les infos à la radio. Toutes ces guerres, ces folies dans le monde, Gaza, Kiev, et toutes ces guerres non médiatiques où des centaines de milliers de personnes meurent d'une façon non médiatisée au bout du monde. Ça me fait penser à Boris Cyrulnik dont j'ai fait l'interview au Forum National de la Santé Mentale récemment à Cannes. Il me disait, les malades mentaux sont ceux qui sont au pouvoir.

  • Speaker #0

    En même temps, pour accéder au pouvoir, on peut se questionner aussi, c'est pas simple d'accéder au pouvoir. C'est quoi un président normal ? Absolument. Tu sais Didier, t'es pas le seul. Parce qu'il y a un terme qu'on commence à utiliser parfois, c'est ce qu'on appelle la fatigue compassionnelle. En quelque sorte, c'est un épuisement psychique qui est lié à la surexposition, à la souffrance, surtout quand on se sent impuissant. Les médias l'évoquent parfois dans certaines chroniques d'ailleurs, on l'entend souvent. Puis il faut aussi parler des adultes qui ont aussi le droit d'être tout à fait touchés. Mais leur rôle c'est de transformer cette émotion en cadre pour les plus jeunes. Ce n'est pas grave d'être ému, ce n'est pas grave de ressentir des choses. Par contre c'est grave de ne pas en parler.

  • Speaker #1

    J'ai vraiment du mal à comprendre comment des grands hommes, des chefs d'État, font la guerre et envoient les enfants de leur nation, les enfants de leur pays à la mort. Je m'interroge si ce ne sont pas des petits hommes qui jouent aux soldats en restant dans leur bureau ou dans leur palais. Tu veux dire qu'il faut assumer nos propres limites, même si eux ils ne savent pas le faire, pour que nous on accompagne mieux nos enfants ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis dire, moi aussi, j'ai peur parfois. C'est montrer qu'on peut ressentir sans être submergé. Ça, on peut... Tout à fait, oui.

  • Speaker #1

    En tout cas, il s'agit de faire de la guerre un sujet de dialogue et non pas un sujet de peur et de sidération.

  • Speaker #0

    Alors Didier, si tu devais résumer notre épisode, qu'est-ce que tu nous dirais ?

  • Speaker #1

    Je crois, Fabrice, que tu partages l'idée que nous ne pouvons pas laisser la guerre... coloniser nos esprits, les têtes de nos enfants, l'actu en tête, cette actualité qui nous entête, sans explication, il faut en parler, l'information est une force, elle fait grandir, mais elle a besoin, comme tu nous l'as dit, d'un cadre humain, d'un matelas émotionnel, et ce cadre, ce matelas, ce sont nous, les adultes, qui devons, en toute cohérence, avec discernement, prendre de la distance, proposer des filtres dans nos familles, je pense qu'il faut aussi Ne manquez aucune occasion de montrer la paix, le beau, la joie, expliquer aux enfants l'histoire d'Anne Frank, valoriser le parcours de Simone Veil par exemple.

  • Speaker #0

    Il ne s'agit pas de protéger à tout prix, mais de soutenir, d'écouter, de parler, de relier. Un jeune qui comprend ce qu'il ressent, c'est finalement un jeune qui est moins vulnérable. La guerre, aussi tragique soit-elle, elle peut tout à fait devenir un... un point de départ pour réfléchir au vivre ensemble, pour réfléchir à l'engagement, tout simplement à la paix.

  • Speaker #1

    Merci Fabrice et merci à vous tous qui nous écoutez. N'hésitez pas à partager cet épisode autour de vous. Prenez soin de votre santé mentale avec vos proches.

  • Speaker #0

    Merci à toi Didier.

  • Speaker #1

    A bientôt Fabrice. A bientôt. A bientôt pour un autre épisode de l'Actu en tête.

Description

🎙️ Épisode 2 – Les jeunes, l’anxiété et la guerre

Comment les conflits mondiaux, omniprésents dans l’actualité, impactent-ils la santé mentale des jeunes générations ? Entre anxiété, peur de l’avenir et sentiment d’impuissance, Didier Meillerand (journaliste & fondateur du Psychodon) et Fabrice Pastor (neuropsychologue) analysent les effets de ces images et récits de guerre sur le quotidien des adolescents et des étudiants.


Ils proposent des clés pour comprendre ces mécanismes, mais aussi des pistes pour renforcer la résilience, ouvrir le dialogue et accompagner cette jeunesse confrontée à des enjeux plus lourds que jamais.


Un échange à la fois lucide et porteur d’espoir, pour mieux saisir ce que traversent les jeunes aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur l'actu en tête.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans le podcast l'actu en tête. Notre ambition est de vous aider à prendre du recul sur l'actualité qui impacte et parfois avec force notre santé mentale. Je suis avec Fabrice Pastor. Bonjour Fabrice.

  • Speaker #0

    Bonjour Lilié.

  • Speaker #1

    Tu es neuropsychologue, auteur et acteur de terrain et je suis très heureux de te retrouver. dans ce podcast et nous parlerons aujourd'hui des guerres, des guerres qui impactent notre quotidien.

  • Speaker #0

    Oui, Didier, et toi tu es journaliste, tu es également le président fondateur du Psychodon et le commissaire général du Forum National de la Santé Mentale. Effectivement, l'actualité est lourde, elle pèse vraiment beaucoup sur nos têtes, parfois sans qu'on s'en rende compte. Ce matin, par exemple, je lisais le témoignage d'un jeune adulte qui disait « Moi je dors mal depuis que j'ai vu les images » . de Gaza, ça n'arrête pas. Alors oui, c'est vrai que ces guerres plus ou moins lointaines, géographiquement, elles sont aujourd'hui dans nos poches, sur nos écrans et donc dans nos têtes en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et c'est un sujet qui est profondément humain, universel. La guerre, les guerres, en Ukraine, au Proche-Orient, à côté de chez nous, tout au bord de nos portes, cette anxiété est tout à fait légitime. une anxiété qui est générée face à des images, à des sons. Tu sais Fabrice, je me demande souvent comment cette actualité martiale permanente impacte ceux qui grandissent aujourd'hui. Je le voyais bien dans les rédactions où j'ai travaillé, que traiter les conflits, le travail des journalistes, c'est difficile. C'est un exercice... Compliquer les journalistes sur une vraie responsabilité. Aujourd'hui un collégien qui vit ici en France peut voir une vidéo où des familles meurent sous les bombes et entre deux vidéos de tchats sur les réseaux sociaux il n'y a plus de sas, il n'y a plus le travail de journaliste, il n'y a plus de filtre.

  • Speaker #0

    Oui tout à fait ce que tu dis là c'est absolument central parce que c'est pas seulement l'information qui est anxiogène c'est aussi sa brutalité, le fait que ça se répète aussi et aussi surtout son intrusion. Alors j'ai trouvé une étude qui a été publiée en 2023 dans un journal qui montrait que notamment l'exposition répétée à des images de guerre elle est souvent associée à une augmentation significative de l'anxiété et des troubles du sommeil chez les adolescents et ceci même lorsqu'ils vivent loin des zones de conflit. Et en France aussi, selon Santé publique France, il y a plus d'un jeune sur deux qui déclare avoir déjà ressenti une forme de détresse en lien ... avec les images d'actualités violentes.

  • Speaker #1

    Et c'est un paradoxe cruel Fabrice, les jeunes qui sont en général les moins responsables, les moins aux commandes politiques, sont les plus exposés émotionnellement. Je pense par exemple à cette adolescente de 14 ans que j'ai rencontrée lors d'un déplacement pour une consultation citoyenne pour la santé mentale. Elle me disait je veux faire un métier utile mais à quoi bon, le monde va brûler, brûle de toute façon et cette forme de résignation est terrible. C'est une quête de sens, d'engagement qui est contrariée par la réalité des violences et guerres, qui se répète comme si les hommes n'apprenaient rien. On a envie de se dire, mais ils sont bêtes ou quoi ? Pourquoi tuer les enfants de ces mères à travers le monde ? Cela génère une anxiété profonde.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on nomme parfois l'anxiété existentielle. Il n'y a pas forcément d'un danger immédiat. En fait, on est plus sur un sentiment d'insécurité globale. Donc tout ce qui est maintenant les sujets comme le climat, la guerre, les catastrophes naturelles, il y a beaucoup de jeunes, pour beaucoup de jeunes en fait le futur il est flou, il est même menaçant. On l'a déjà évoqué lors des épisodes précédents qu'on a fait ensemble, mais le cerveau des jeunes en fait il est en pleine maturation, il est souvent très hypersensible à cette insécurité perçue. Ils ont finalement en général un peu plus de mal à relativiser tout simplement.

  • Speaker #1

    Ce que dit la science sur le stress, l'exposition aux images de violence et de guerre, ... Fabrice, tu as des repères scientifiques à nous partager.

  • Speaker #0

    Oui, quelques repères scientifiques que j'ai trouvés. L'Inserm a publié en 2022 un rapport sur les conséquences psychologiques de l'exposition médiatique aux événements violents. Il souligne que chez les jeunes, cette exposition peut produire des symptômes comparables à ceux d'un stress post-traumatique et même sans exposition directe au danger. On parle aussi parfois d'une sorte de vulnérabilité cumulative. En gros, pour faire simple, si un adolescent est déjà stressé par plein de choses, ça peut être l'école, ça peut être des problèmes familiaux ou encore des problèmes d'image de soi, l'exposition à la guerre peut tout à fait agir comme une sorte de facteur aggravant.

  • Speaker #1

    Et ce qui est terrible, c'est qu'on ne voit pas toujours ces signes chez les jeunes. Un adolescent qui ne parle pas n'est pas... pas forcément solide. Il peut être anesthésié, désengagé, en train de somatiser, comme sidéré face à la violence des images et des sons des guerres et des violences.

  • Speaker #0

    Oui, exactement Didier. En fait, il ne faut pas penser que les symptômes sont obligatoirement spectaculaires. Ça peut être des troubles du sommeil, ça peut être une fatigue qui est un peu chronique, une hyper-émotivité, un repli sur soi. ou d'ailleurs même parfois ça peut être tout simplement une sur-implication dans des causes humanitaires pour essayer en quelque sorte de réguler cette anxiété. Toi Didier par exemple en tant que journaliste, on sait que tu as interviewé des figures internationales mais comment est-ce qu'on fait quand on est journaliste pour parler de guerre sans forcément nourrir l'angoisse ? Quels sont tes conseils ? Comment tu faisais ? Comment tu fais ?

  • Speaker #1

    C'est une vraie question éthique et je vais la renvoyer surtout aux journalistes qui sont des experts et des reporters. de guerre, qui ont une vraie responsabilité, car l'information, elle doit être transmise, mais il faut s'interroger, et certains le font très bien, pour qu'elle ne soit pas systématiquement choquante. Oui, il faut montrer la réalité, la cruauté des bombes, les peurs, les morts, mais il faut expliquer, donner les sources, proposer des angles différents pour montrer des positions diverses. situer les divers protagonismes et les diverses implications du conflit. Plus que jamais, il faut des journalistes, pas des personnes, qui envoient des images et des sons, et qui les envoient bruts sur des réseaux sociaux, sans travail éditorial et sans filtre. Parce que diffuser certains sons ou des images en boucle, ce n'est pas du journalisme, ce n'est pas une attitude déontologiquement acceptable. Mais aujourd'hui, l'algorithme ne fait pas de déontologie. il pousse ce qui fait du buzz, ce qui fait réagir, ce qui fait de l'audience. Et ce qui fait le plus réagir, je dirais presque malheureusement, c'est la violence, le chaos. Et ça entraîne la violence et ça entraîne le chaos.

  • Speaker #0

    Donc en gros, ce que tu dis, c'est que les jeunes reçoivent des contenus bruts, sans mise en contexte, sans forcément qu'il y ait de médiation, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Exactement. Et c'est là le rôle des adultes qui devient crucial. parents, enseignants, éducateurs, ils doivent reprendre la main, se saisir de l'information. C'est nécessaire, ils doivent réintroduire du sens, réintroduire du langage, tenter la prise de recul, partager des émotions en famille, comme la peur, la tristesse face à la mort, et la joie, dès qu'il y a des moments de paix qui sont intenses, mais en tout cas, ressentir ensemble et en famille et avec d'autres, la diversité des émotions. Parce que c'est ces sentiments ressentis, ces émotions ressenties qui feront grandir les plus jeunes. Sinon, ils restent seuls, avec des émotions brutes, ils ne savent pas quoi en faire, ils souffrent, ils se consument de l'intérieur, se détruisent même parfois par des passages à l'acte pour compenser. Et ce sont des passages à l'acte qui peuvent être aussi violents que les images violentes reçues.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Et il y a des choses simples qu'on peut faire. D'abord déjà, la première chose qu'on peut faire, c'est... tout simplement ne pas éviter le sujet, même si c'est parfois dur. Parce que l'évitement écrit plus d'angoisse que la parole. Et ensuite, évidemment, on va adapter le langage à l'âge. On ne dit pas du tout de la même manière à un enfant de 7 ans les mêmes choses qu'à un lycéen, évidemment.

  • Speaker #1

    Tu sais, parfois, les jeunes posent des questions très directes et pleines de sens. Est-ce qu'on va être bombardés ici, chez nous ? Pourquoi ces gens-là, ils tuent des enfants ? Et parfois, on peut être tenté de minimiser pour rassurer nos enfants et les plus jeunes. mais ils savent bien que parfois on leur ment ou qu'on est démuni.

  • Speaker #0

    Exactement. Et le but, ce n'est pas du tout de dire sans filtre, mais de dire vrai, avec des mots justes, en validant les émotions. Oui, c'est normal que tu aies peur. Moi aussi, ça m'inquiète parfois. Et puis surtout aussi, il faut redonner des leviers d'action. Même petit, faire un dessin pour une association, participer à une collecte. écrire une lettre, ça, ça redonne un sentiment d'utilité face à l'impuissance, en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et ça, c'est très important, parce que ça permet d'incarner, de s'approprier les images de guerre et de violence, et ça peut se jouer aussi à l'école, et d'ailleurs, on s'interroge sur qu'est-ce qu'on peut faire à l'école, est-ce qu'on en parle suffisamment de cette charge anxieuse liée à l'actualité, ces images qui nous montrent des guerres ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, je pense qu'on n'en parle peut-être pas encore assez. Alors pourtant, l'école, c'est un... C'est aussi un lieu central pour ça. Il y a également certains établissements qui organisent des débats encadrés, des ateliers de philosophie, des temps de parole. Ça, c'est hyper important, c'est très précieux. Mais il faut aussi former les enseignants à repérer les signaux et si c'est possible, proposer des temps de parole. Alors ça se fait parfois dans certains établissements et à certains âges, mais moi je pense qu'il faudrait peut-être un peu plus les généraliser.

  • Speaker #1

    Oui, je crois qu'il y a une vraie demande aussi des enseignants. J'ai récemment animé une rencontre dans un lycée à Paris et une prof me disait, parfois ils sont un peu désespérés, les élèves n'écoutent plus les infos. ils les subissent. Cette phrase est marquante.

  • Speaker #0

    Oui, et dans certaines académies, il y a des psychologues qui interviennent ponctuellement sur ces thématiques, mais bon, c'est toujours pareil, on le sait tous, on manque cruellement de moyens. Il faudrait, en quelque sorte, institutionnaliser les temps de parole sur les grandes crises du monde. Pas pour expliquer ce que c'est que la géopolitique, mais pour globalement recueillir un petit peu tout ce qui est l'aspect émotionnel et ce que ça peut susciter.

  • Speaker #1

    Et nous, les adultes, comment on tient ? Parce que l'anxiété n'épargne pas les adultes. Tu sais, parfois je me lève le matin avec une boule au ventre en voyant les alertes sur mon téléphone ou en écoutant les infos à la radio. Toutes ces guerres, ces folies dans le monde, Gaza, Kiev, et toutes ces guerres non médiatiques où des centaines de milliers de personnes meurent d'une façon non médiatisée au bout du monde. Ça me fait penser à Boris Cyrulnik dont j'ai fait l'interview au Forum National de la Santé Mentale récemment à Cannes. Il me disait, les malades mentaux sont ceux qui sont au pouvoir.

  • Speaker #0

    En même temps, pour accéder au pouvoir, on peut se questionner aussi, c'est pas simple d'accéder au pouvoir. C'est quoi un président normal ? Absolument. Tu sais Didier, t'es pas le seul. Parce qu'il y a un terme qu'on commence à utiliser parfois, c'est ce qu'on appelle la fatigue compassionnelle. En quelque sorte, c'est un épuisement psychique qui est lié à la surexposition, à la souffrance, surtout quand on se sent impuissant. Les médias l'évoquent parfois dans certaines chroniques d'ailleurs, on l'entend souvent. Puis il faut aussi parler des adultes qui ont aussi le droit d'être tout à fait touchés. Mais leur rôle c'est de transformer cette émotion en cadre pour les plus jeunes. Ce n'est pas grave d'être ému, ce n'est pas grave de ressentir des choses. Par contre c'est grave de ne pas en parler.

  • Speaker #1

    J'ai vraiment du mal à comprendre comment des grands hommes, des chefs d'État, font la guerre et envoient les enfants de leur nation, les enfants de leur pays à la mort. Je m'interroge si ce ne sont pas des petits hommes qui jouent aux soldats en restant dans leur bureau ou dans leur palais. Tu veux dire qu'il faut assumer nos propres limites, même si eux ils ne savent pas le faire, pour que nous on accompagne mieux nos enfants ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis dire, moi aussi, j'ai peur parfois. C'est montrer qu'on peut ressentir sans être submergé. Ça, on peut... Tout à fait, oui.

  • Speaker #1

    En tout cas, il s'agit de faire de la guerre un sujet de dialogue et non pas un sujet de peur et de sidération.

  • Speaker #0

    Alors Didier, si tu devais résumer notre épisode, qu'est-ce que tu nous dirais ?

  • Speaker #1

    Je crois, Fabrice, que tu partages l'idée que nous ne pouvons pas laisser la guerre... coloniser nos esprits, les têtes de nos enfants, l'actu en tête, cette actualité qui nous entête, sans explication, il faut en parler, l'information est une force, elle fait grandir, mais elle a besoin, comme tu nous l'as dit, d'un cadre humain, d'un matelas émotionnel, et ce cadre, ce matelas, ce sont nous, les adultes, qui devons, en toute cohérence, avec discernement, prendre de la distance, proposer des filtres dans nos familles, je pense qu'il faut aussi Ne manquez aucune occasion de montrer la paix, le beau, la joie, expliquer aux enfants l'histoire d'Anne Frank, valoriser le parcours de Simone Veil par exemple.

  • Speaker #0

    Il ne s'agit pas de protéger à tout prix, mais de soutenir, d'écouter, de parler, de relier. Un jeune qui comprend ce qu'il ressent, c'est finalement un jeune qui est moins vulnérable. La guerre, aussi tragique soit-elle, elle peut tout à fait devenir un... un point de départ pour réfléchir au vivre ensemble, pour réfléchir à l'engagement, tout simplement à la paix.

  • Speaker #1

    Merci Fabrice et merci à vous tous qui nous écoutez. N'hésitez pas à partager cet épisode autour de vous. Prenez soin de votre santé mentale avec vos proches.

  • Speaker #0

    Merci à toi Didier.

  • Speaker #1

    A bientôt Fabrice. A bientôt. A bientôt pour un autre épisode de l'Actu en tête.

Share

Embed

You may also like

Description

🎙️ Épisode 2 – Les jeunes, l’anxiété et la guerre

Comment les conflits mondiaux, omniprésents dans l’actualité, impactent-ils la santé mentale des jeunes générations ? Entre anxiété, peur de l’avenir et sentiment d’impuissance, Didier Meillerand (journaliste & fondateur du Psychodon) et Fabrice Pastor (neuropsychologue) analysent les effets de ces images et récits de guerre sur le quotidien des adolescents et des étudiants.


Ils proposent des clés pour comprendre ces mécanismes, mais aussi des pistes pour renforcer la résilience, ouvrir le dialogue et accompagner cette jeunesse confrontée à des enjeux plus lourds que jamais.


Un échange à la fois lucide et porteur d’espoir, pour mieux saisir ce que traversent les jeunes aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur l'actu en tête.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans le podcast l'actu en tête. Notre ambition est de vous aider à prendre du recul sur l'actualité qui impacte et parfois avec force notre santé mentale. Je suis avec Fabrice Pastor. Bonjour Fabrice.

  • Speaker #0

    Bonjour Lilié.

  • Speaker #1

    Tu es neuropsychologue, auteur et acteur de terrain et je suis très heureux de te retrouver. dans ce podcast et nous parlerons aujourd'hui des guerres, des guerres qui impactent notre quotidien.

  • Speaker #0

    Oui, Didier, et toi tu es journaliste, tu es également le président fondateur du Psychodon et le commissaire général du Forum National de la Santé Mentale. Effectivement, l'actualité est lourde, elle pèse vraiment beaucoup sur nos têtes, parfois sans qu'on s'en rende compte. Ce matin, par exemple, je lisais le témoignage d'un jeune adulte qui disait « Moi je dors mal depuis que j'ai vu les images » . de Gaza, ça n'arrête pas. Alors oui, c'est vrai que ces guerres plus ou moins lointaines, géographiquement, elles sont aujourd'hui dans nos poches, sur nos écrans et donc dans nos têtes en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et c'est un sujet qui est profondément humain, universel. La guerre, les guerres, en Ukraine, au Proche-Orient, à côté de chez nous, tout au bord de nos portes, cette anxiété est tout à fait légitime. une anxiété qui est générée face à des images, à des sons. Tu sais Fabrice, je me demande souvent comment cette actualité martiale permanente impacte ceux qui grandissent aujourd'hui. Je le voyais bien dans les rédactions où j'ai travaillé, que traiter les conflits, le travail des journalistes, c'est difficile. C'est un exercice... Compliquer les journalistes sur une vraie responsabilité. Aujourd'hui un collégien qui vit ici en France peut voir une vidéo où des familles meurent sous les bombes et entre deux vidéos de tchats sur les réseaux sociaux il n'y a plus de sas, il n'y a plus le travail de journaliste, il n'y a plus de filtre.

  • Speaker #0

    Oui tout à fait ce que tu dis là c'est absolument central parce que c'est pas seulement l'information qui est anxiogène c'est aussi sa brutalité, le fait que ça se répète aussi et aussi surtout son intrusion. Alors j'ai trouvé une étude qui a été publiée en 2023 dans un journal qui montrait que notamment l'exposition répétée à des images de guerre elle est souvent associée à une augmentation significative de l'anxiété et des troubles du sommeil chez les adolescents et ceci même lorsqu'ils vivent loin des zones de conflit. Et en France aussi, selon Santé publique France, il y a plus d'un jeune sur deux qui déclare avoir déjà ressenti une forme de détresse en lien ... avec les images d'actualités violentes.

  • Speaker #1

    Et c'est un paradoxe cruel Fabrice, les jeunes qui sont en général les moins responsables, les moins aux commandes politiques, sont les plus exposés émotionnellement. Je pense par exemple à cette adolescente de 14 ans que j'ai rencontrée lors d'un déplacement pour une consultation citoyenne pour la santé mentale. Elle me disait je veux faire un métier utile mais à quoi bon, le monde va brûler, brûle de toute façon et cette forme de résignation est terrible. C'est une quête de sens, d'engagement qui est contrariée par la réalité des violences et guerres, qui se répète comme si les hommes n'apprenaient rien. On a envie de se dire, mais ils sont bêtes ou quoi ? Pourquoi tuer les enfants de ces mères à travers le monde ? Cela génère une anxiété profonde.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on nomme parfois l'anxiété existentielle. Il n'y a pas forcément d'un danger immédiat. En fait, on est plus sur un sentiment d'insécurité globale. Donc tout ce qui est maintenant les sujets comme le climat, la guerre, les catastrophes naturelles, il y a beaucoup de jeunes, pour beaucoup de jeunes en fait le futur il est flou, il est même menaçant. On l'a déjà évoqué lors des épisodes précédents qu'on a fait ensemble, mais le cerveau des jeunes en fait il est en pleine maturation, il est souvent très hypersensible à cette insécurité perçue. Ils ont finalement en général un peu plus de mal à relativiser tout simplement.

  • Speaker #1

    Ce que dit la science sur le stress, l'exposition aux images de violence et de guerre, ... Fabrice, tu as des repères scientifiques à nous partager.

  • Speaker #0

    Oui, quelques repères scientifiques que j'ai trouvés. L'Inserm a publié en 2022 un rapport sur les conséquences psychologiques de l'exposition médiatique aux événements violents. Il souligne que chez les jeunes, cette exposition peut produire des symptômes comparables à ceux d'un stress post-traumatique et même sans exposition directe au danger. On parle aussi parfois d'une sorte de vulnérabilité cumulative. En gros, pour faire simple, si un adolescent est déjà stressé par plein de choses, ça peut être l'école, ça peut être des problèmes familiaux ou encore des problèmes d'image de soi, l'exposition à la guerre peut tout à fait agir comme une sorte de facteur aggravant.

  • Speaker #1

    Et ce qui est terrible, c'est qu'on ne voit pas toujours ces signes chez les jeunes. Un adolescent qui ne parle pas n'est pas... pas forcément solide. Il peut être anesthésié, désengagé, en train de somatiser, comme sidéré face à la violence des images et des sons des guerres et des violences.

  • Speaker #0

    Oui, exactement Didier. En fait, il ne faut pas penser que les symptômes sont obligatoirement spectaculaires. Ça peut être des troubles du sommeil, ça peut être une fatigue qui est un peu chronique, une hyper-émotivité, un repli sur soi. ou d'ailleurs même parfois ça peut être tout simplement une sur-implication dans des causes humanitaires pour essayer en quelque sorte de réguler cette anxiété. Toi Didier par exemple en tant que journaliste, on sait que tu as interviewé des figures internationales mais comment est-ce qu'on fait quand on est journaliste pour parler de guerre sans forcément nourrir l'angoisse ? Quels sont tes conseils ? Comment tu faisais ? Comment tu fais ?

  • Speaker #1

    C'est une vraie question éthique et je vais la renvoyer surtout aux journalistes qui sont des experts et des reporters. de guerre, qui ont une vraie responsabilité, car l'information, elle doit être transmise, mais il faut s'interroger, et certains le font très bien, pour qu'elle ne soit pas systématiquement choquante. Oui, il faut montrer la réalité, la cruauté des bombes, les peurs, les morts, mais il faut expliquer, donner les sources, proposer des angles différents pour montrer des positions diverses. situer les divers protagonismes et les diverses implications du conflit. Plus que jamais, il faut des journalistes, pas des personnes, qui envoient des images et des sons, et qui les envoient bruts sur des réseaux sociaux, sans travail éditorial et sans filtre. Parce que diffuser certains sons ou des images en boucle, ce n'est pas du journalisme, ce n'est pas une attitude déontologiquement acceptable. Mais aujourd'hui, l'algorithme ne fait pas de déontologie. il pousse ce qui fait du buzz, ce qui fait réagir, ce qui fait de l'audience. Et ce qui fait le plus réagir, je dirais presque malheureusement, c'est la violence, le chaos. Et ça entraîne la violence et ça entraîne le chaos.

  • Speaker #0

    Donc en gros, ce que tu dis, c'est que les jeunes reçoivent des contenus bruts, sans mise en contexte, sans forcément qu'il y ait de médiation, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Exactement. Et c'est là le rôle des adultes qui devient crucial. parents, enseignants, éducateurs, ils doivent reprendre la main, se saisir de l'information. C'est nécessaire, ils doivent réintroduire du sens, réintroduire du langage, tenter la prise de recul, partager des émotions en famille, comme la peur, la tristesse face à la mort, et la joie, dès qu'il y a des moments de paix qui sont intenses, mais en tout cas, ressentir ensemble et en famille et avec d'autres, la diversité des émotions. Parce que c'est ces sentiments ressentis, ces émotions ressenties qui feront grandir les plus jeunes. Sinon, ils restent seuls, avec des émotions brutes, ils ne savent pas quoi en faire, ils souffrent, ils se consument de l'intérieur, se détruisent même parfois par des passages à l'acte pour compenser. Et ce sont des passages à l'acte qui peuvent être aussi violents que les images violentes reçues.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Et il y a des choses simples qu'on peut faire. D'abord déjà, la première chose qu'on peut faire, c'est... tout simplement ne pas éviter le sujet, même si c'est parfois dur. Parce que l'évitement écrit plus d'angoisse que la parole. Et ensuite, évidemment, on va adapter le langage à l'âge. On ne dit pas du tout de la même manière à un enfant de 7 ans les mêmes choses qu'à un lycéen, évidemment.

  • Speaker #1

    Tu sais, parfois, les jeunes posent des questions très directes et pleines de sens. Est-ce qu'on va être bombardés ici, chez nous ? Pourquoi ces gens-là, ils tuent des enfants ? Et parfois, on peut être tenté de minimiser pour rassurer nos enfants et les plus jeunes. mais ils savent bien que parfois on leur ment ou qu'on est démuni.

  • Speaker #0

    Exactement. Et le but, ce n'est pas du tout de dire sans filtre, mais de dire vrai, avec des mots justes, en validant les émotions. Oui, c'est normal que tu aies peur. Moi aussi, ça m'inquiète parfois. Et puis surtout aussi, il faut redonner des leviers d'action. Même petit, faire un dessin pour une association, participer à une collecte. écrire une lettre, ça, ça redonne un sentiment d'utilité face à l'impuissance, en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et ça, c'est très important, parce que ça permet d'incarner, de s'approprier les images de guerre et de violence, et ça peut se jouer aussi à l'école, et d'ailleurs, on s'interroge sur qu'est-ce qu'on peut faire à l'école, est-ce qu'on en parle suffisamment de cette charge anxieuse liée à l'actualité, ces images qui nous montrent des guerres ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, je pense qu'on n'en parle peut-être pas encore assez. Alors pourtant, l'école, c'est un... C'est aussi un lieu central pour ça. Il y a également certains établissements qui organisent des débats encadrés, des ateliers de philosophie, des temps de parole. Ça, c'est hyper important, c'est très précieux. Mais il faut aussi former les enseignants à repérer les signaux et si c'est possible, proposer des temps de parole. Alors ça se fait parfois dans certains établissements et à certains âges, mais moi je pense qu'il faudrait peut-être un peu plus les généraliser.

  • Speaker #1

    Oui, je crois qu'il y a une vraie demande aussi des enseignants. J'ai récemment animé une rencontre dans un lycée à Paris et une prof me disait, parfois ils sont un peu désespérés, les élèves n'écoutent plus les infos. ils les subissent. Cette phrase est marquante.

  • Speaker #0

    Oui, et dans certaines académies, il y a des psychologues qui interviennent ponctuellement sur ces thématiques, mais bon, c'est toujours pareil, on le sait tous, on manque cruellement de moyens. Il faudrait, en quelque sorte, institutionnaliser les temps de parole sur les grandes crises du monde. Pas pour expliquer ce que c'est que la géopolitique, mais pour globalement recueillir un petit peu tout ce qui est l'aspect émotionnel et ce que ça peut susciter.

  • Speaker #1

    Et nous, les adultes, comment on tient ? Parce que l'anxiété n'épargne pas les adultes. Tu sais, parfois je me lève le matin avec une boule au ventre en voyant les alertes sur mon téléphone ou en écoutant les infos à la radio. Toutes ces guerres, ces folies dans le monde, Gaza, Kiev, et toutes ces guerres non médiatiques où des centaines de milliers de personnes meurent d'une façon non médiatisée au bout du monde. Ça me fait penser à Boris Cyrulnik dont j'ai fait l'interview au Forum National de la Santé Mentale récemment à Cannes. Il me disait, les malades mentaux sont ceux qui sont au pouvoir.

  • Speaker #0

    En même temps, pour accéder au pouvoir, on peut se questionner aussi, c'est pas simple d'accéder au pouvoir. C'est quoi un président normal ? Absolument. Tu sais Didier, t'es pas le seul. Parce qu'il y a un terme qu'on commence à utiliser parfois, c'est ce qu'on appelle la fatigue compassionnelle. En quelque sorte, c'est un épuisement psychique qui est lié à la surexposition, à la souffrance, surtout quand on se sent impuissant. Les médias l'évoquent parfois dans certaines chroniques d'ailleurs, on l'entend souvent. Puis il faut aussi parler des adultes qui ont aussi le droit d'être tout à fait touchés. Mais leur rôle c'est de transformer cette émotion en cadre pour les plus jeunes. Ce n'est pas grave d'être ému, ce n'est pas grave de ressentir des choses. Par contre c'est grave de ne pas en parler.

  • Speaker #1

    J'ai vraiment du mal à comprendre comment des grands hommes, des chefs d'État, font la guerre et envoient les enfants de leur nation, les enfants de leur pays à la mort. Je m'interroge si ce ne sont pas des petits hommes qui jouent aux soldats en restant dans leur bureau ou dans leur palais. Tu veux dire qu'il faut assumer nos propres limites, même si eux ils ne savent pas le faire, pour que nous on accompagne mieux nos enfants ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis dire, moi aussi, j'ai peur parfois. C'est montrer qu'on peut ressentir sans être submergé. Ça, on peut... Tout à fait, oui.

  • Speaker #1

    En tout cas, il s'agit de faire de la guerre un sujet de dialogue et non pas un sujet de peur et de sidération.

  • Speaker #0

    Alors Didier, si tu devais résumer notre épisode, qu'est-ce que tu nous dirais ?

  • Speaker #1

    Je crois, Fabrice, que tu partages l'idée que nous ne pouvons pas laisser la guerre... coloniser nos esprits, les têtes de nos enfants, l'actu en tête, cette actualité qui nous entête, sans explication, il faut en parler, l'information est une force, elle fait grandir, mais elle a besoin, comme tu nous l'as dit, d'un cadre humain, d'un matelas émotionnel, et ce cadre, ce matelas, ce sont nous, les adultes, qui devons, en toute cohérence, avec discernement, prendre de la distance, proposer des filtres dans nos familles, je pense qu'il faut aussi Ne manquez aucune occasion de montrer la paix, le beau, la joie, expliquer aux enfants l'histoire d'Anne Frank, valoriser le parcours de Simone Veil par exemple.

  • Speaker #0

    Il ne s'agit pas de protéger à tout prix, mais de soutenir, d'écouter, de parler, de relier. Un jeune qui comprend ce qu'il ressent, c'est finalement un jeune qui est moins vulnérable. La guerre, aussi tragique soit-elle, elle peut tout à fait devenir un... un point de départ pour réfléchir au vivre ensemble, pour réfléchir à l'engagement, tout simplement à la paix.

  • Speaker #1

    Merci Fabrice et merci à vous tous qui nous écoutez. N'hésitez pas à partager cet épisode autour de vous. Prenez soin de votre santé mentale avec vos proches.

  • Speaker #0

    Merci à toi Didier.

  • Speaker #1

    A bientôt Fabrice. A bientôt. A bientôt pour un autre épisode de l'Actu en tête.

Description

🎙️ Épisode 2 – Les jeunes, l’anxiété et la guerre

Comment les conflits mondiaux, omniprésents dans l’actualité, impactent-ils la santé mentale des jeunes générations ? Entre anxiété, peur de l’avenir et sentiment d’impuissance, Didier Meillerand (journaliste & fondateur du Psychodon) et Fabrice Pastor (neuropsychologue) analysent les effets de ces images et récits de guerre sur le quotidien des adolescents et des étudiants.


Ils proposent des clés pour comprendre ces mécanismes, mais aussi des pistes pour renforcer la résilience, ouvrir le dialogue et accompagner cette jeunesse confrontée à des enjeux plus lourds que jamais.


Un échange à la fois lucide et porteur d’espoir, pour mieux saisir ce que traversent les jeunes aujourd’hui.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue sur l'actu en tête.

  • Speaker #1

    Bonjour à toutes, bonjour à tous, bienvenue dans le podcast l'actu en tête. Notre ambition est de vous aider à prendre du recul sur l'actualité qui impacte et parfois avec force notre santé mentale. Je suis avec Fabrice Pastor. Bonjour Fabrice.

  • Speaker #0

    Bonjour Lilié.

  • Speaker #1

    Tu es neuropsychologue, auteur et acteur de terrain et je suis très heureux de te retrouver. dans ce podcast et nous parlerons aujourd'hui des guerres, des guerres qui impactent notre quotidien.

  • Speaker #0

    Oui, Didier, et toi tu es journaliste, tu es également le président fondateur du Psychodon et le commissaire général du Forum National de la Santé Mentale. Effectivement, l'actualité est lourde, elle pèse vraiment beaucoup sur nos têtes, parfois sans qu'on s'en rende compte. Ce matin, par exemple, je lisais le témoignage d'un jeune adulte qui disait « Moi je dors mal depuis que j'ai vu les images » . de Gaza, ça n'arrête pas. Alors oui, c'est vrai que ces guerres plus ou moins lointaines, géographiquement, elles sont aujourd'hui dans nos poches, sur nos écrans et donc dans nos têtes en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et c'est un sujet qui est profondément humain, universel. La guerre, les guerres, en Ukraine, au Proche-Orient, à côté de chez nous, tout au bord de nos portes, cette anxiété est tout à fait légitime. une anxiété qui est générée face à des images, à des sons. Tu sais Fabrice, je me demande souvent comment cette actualité martiale permanente impacte ceux qui grandissent aujourd'hui. Je le voyais bien dans les rédactions où j'ai travaillé, que traiter les conflits, le travail des journalistes, c'est difficile. C'est un exercice... Compliquer les journalistes sur une vraie responsabilité. Aujourd'hui un collégien qui vit ici en France peut voir une vidéo où des familles meurent sous les bombes et entre deux vidéos de tchats sur les réseaux sociaux il n'y a plus de sas, il n'y a plus le travail de journaliste, il n'y a plus de filtre.

  • Speaker #0

    Oui tout à fait ce que tu dis là c'est absolument central parce que c'est pas seulement l'information qui est anxiogène c'est aussi sa brutalité, le fait que ça se répète aussi et aussi surtout son intrusion. Alors j'ai trouvé une étude qui a été publiée en 2023 dans un journal qui montrait que notamment l'exposition répétée à des images de guerre elle est souvent associée à une augmentation significative de l'anxiété et des troubles du sommeil chez les adolescents et ceci même lorsqu'ils vivent loin des zones de conflit. Et en France aussi, selon Santé publique France, il y a plus d'un jeune sur deux qui déclare avoir déjà ressenti une forme de détresse en lien ... avec les images d'actualités violentes.

  • Speaker #1

    Et c'est un paradoxe cruel Fabrice, les jeunes qui sont en général les moins responsables, les moins aux commandes politiques, sont les plus exposés émotionnellement. Je pense par exemple à cette adolescente de 14 ans que j'ai rencontrée lors d'un déplacement pour une consultation citoyenne pour la santé mentale. Elle me disait je veux faire un métier utile mais à quoi bon, le monde va brûler, brûle de toute façon et cette forme de résignation est terrible. C'est une quête de sens, d'engagement qui est contrariée par la réalité des violences et guerres, qui se répète comme si les hommes n'apprenaient rien. On a envie de se dire, mais ils sont bêtes ou quoi ? Pourquoi tuer les enfants de ces mères à travers le monde ? Cela génère une anxiété profonde.

  • Speaker #0

    Oui, c'est ce qu'on nomme parfois l'anxiété existentielle. Il n'y a pas forcément d'un danger immédiat. En fait, on est plus sur un sentiment d'insécurité globale. Donc tout ce qui est maintenant les sujets comme le climat, la guerre, les catastrophes naturelles, il y a beaucoup de jeunes, pour beaucoup de jeunes en fait le futur il est flou, il est même menaçant. On l'a déjà évoqué lors des épisodes précédents qu'on a fait ensemble, mais le cerveau des jeunes en fait il est en pleine maturation, il est souvent très hypersensible à cette insécurité perçue. Ils ont finalement en général un peu plus de mal à relativiser tout simplement.

  • Speaker #1

    Ce que dit la science sur le stress, l'exposition aux images de violence et de guerre, ... Fabrice, tu as des repères scientifiques à nous partager.

  • Speaker #0

    Oui, quelques repères scientifiques que j'ai trouvés. L'Inserm a publié en 2022 un rapport sur les conséquences psychologiques de l'exposition médiatique aux événements violents. Il souligne que chez les jeunes, cette exposition peut produire des symptômes comparables à ceux d'un stress post-traumatique et même sans exposition directe au danger. On parle aussi parfois d'une sorte de vulnérabilité cumulative. En gros, pour faire simple, si un adolescent est déjà stressé par plein de choses, ça peut être l'école, ça peut être des problèmes familiaux ou encore des problèmes d'image de soi, l'exposition à la guerre peut tout à fait agir comme une sorte de facteur aggravant.

  • Speaker #1

    Et ce qui est terrible, c'est qu'on ne voit pas toujours ces signes chez les jeunes. Un adolescent qui ne parle pas n'est pas... pas forcément solide. Il peut être anesthésié, désengagé, en train de somatiser, comme sidéré face à la violence des images et des sons des guerres et des violences.

  • Speaker #0

    Oui, exactement Didier. En fait, il ne faut pas penser que les symptômes sont obligatoirement spectaculaires. Ça peut être des troubles du sommeil, ça peut être une fatigue qui est un peu chronique, une hyper-émotivité, un repli sur soi. ou d'ailleurs même parfois ça peut être tout simplement une sur-implication dans des causes humanitaires pour essayer en quelque sorte de réguler cette anxiété. Toi Didier par exemple en tant que journaliste, on sait que tu as interviewé des figures internationales mais comment est-ce qu'on fait quand on est journaliste pour parler de guerre sans forcément nourrir l'angoisse ? Quels sont tes conseils ? Comment tu faisais ? Comment tu fais ?

  • Speaker #1

    C'est une vraie question éthique et je vais la renvoyer surtout aux journalistes qui sont des experts et des reporters. de guerre, qui ont une vraie responsabilité, car l'information, elle doit être transmise, mais il faut s'interroger, et certains le font très bien, pour qu'elle ne soit pas systématiquement choquante. Oui, il faut montrer la réalité, la cruauté des bombes, les peurs, les morts, mais il faut expliquer, donner les sources, proposer des angles différents pour montrer des positions diverses. situer les divers protagonismes et les diverses implications du conflit. Plus que jamais, il faut des journalistes, pas des personnes, qui envoient des images et des sons, et qui les envoient bruts sur des réseaux sociaux, sans travail éditorial et sans filtre. Parce que diffuser certains sons ou des images en boucle, ce n'est pas du journalisme, ce n'est pas une attitude déontologiquement acceptable. Mais aujourd'hui, l'algorithme ne fait pas de déontologie. il pousse ce qui fait du buzz, ce qui fait réagir, ce qui fait de l'audience. Et ce qui fait le plus réagir, je dirais presque malheureusement, c'est la violence, le chaos. Et ça entraîne la violence et ça entraîne le chaos.

  • Speaker #0

    Donc en gros, ce que tu dis, c'est que les jeunes reçoivent des contenus bruts, sans mise en contexte, sans forcément qu'il y ait de médiation, c'est ça ?

  • Speaker #1

    Exactement. Et c'est là le rôle des adultes qui devient crucial. parents, enseignants, éducateurs, ils doivent reprendre la main, se saisir de l'information. C'est nécessaire, ils doivent réintroduire du sens, réintroduire du langage, tenter la prise de recul, partager des émotions en famille, comme la peur, la tristesse face à la mort, et la joie, dès qu'il y a des moments de paix qui sont intenses, mais en tout cas, ressentir ensemble et en famille et avec d'autres, la diversité des émotions. Parce que c'est ces sentiments ressentis, ces émotions ressenties qui feront grandir les plus jeunes. Sinon, ils restent seuls, avec des émotions brutes, ils ne savent pas quoi en faire, ils souffrent, ils se consument de l'intérieur, se détruisent même parfois par des passages à l'acte pour compenser. Et ce sont des passages à l'acte qui peuvent être aussi violents que les images violentes reçues.

  • Speaker #0

    Oui, tout à fait. Et il y a des choses simples qu'on peut faire. D'abord déjà, la première chose qu'on peut faire, c'est... tout simplement ne pas éviter le sujet, même si c'est parfois dur. Parce que l'évitement écrit plus d'angoisse que la parole. Et ensuite, évidemment, on va adapter le langage à l'âge. On ne dit pas du tout de la même manière à un enfant de 7 ans les mêmes choses qu'à un lycéen, évidemment.

  • Speaker #1

    Tu sais, parfois, les jeunes posent des questions très directes et pleines de sens. Est-ce qu'on va être bombardés ici, chez nous ? Pourquoi ces gens-là, ils tuent des enfants ? Et parfois, on peut être tenté de minimiser pour rassurer nos enfants et les plus jeunes. mais ils savent bien que parfois on leur ment ou qu'on est démuni.

  • Speaker #0

    Exactement. Et le but, ce n'est pas du tout de dire sans filtre, mais de dire vrai, avec des mots justes, en validant les émotions. Oui, c'est normal que tu aies peur. Moi aussi, ça m'inquiète parfois. Et puis surtout aussi, il faut redonner des leviers d'action. Même petit, faire un dessin pour une association, participer à une collecte. écrire une lettre, ça, ça redonne un sentiment d'utilité face à l'impuissance, en quelque sorte.

  • Speaker #1

    Et ça, c'est très important, parce que ça permet d'incarner, de s'approprier les images de guerre et de violence, et ça peut se jouer aussi à l'école, et d'ailleurs, on s'interroge sur qu'est-ce qu'on peut faire à l'école, est-ce qu'on en parle suffisamment de cette charge anxieuse liée à l'actualité, ces images qui nous montrent des guerres ?

  • Speaker #0

    Alors, moi, je pense qu'on n'en parle peut-être pas encore assez. Alors pourtant, l'école, c'est un... C'est aussi un lieu central pour ça. Il y a également certains établissements qui organisent des débats encadrés, des ateliers de philosophie, des temps de parole. Ça, c'est hyper important, c'est très précieux. Mais il faut aussi former les enseignants à repérer les signaux et si c'est possible, proposer des temps de parole. Alors ça se fait parfois dans certains établissements et à certains âges, mais moi je pense qu'il faudrait peut-être un peu plus les généraliser.

  • Speaker #1

    Oui, je crois qu'il y a une vraie demande aussi des enseignants. J'ai récemment animé une rencontre dans un lycée à Paris et une prof me disait, parfois ils sont un peu désespérés, les élèves n'écoutent plus les infos. ils les subissent. Cette phrase est marquante.

  • Speaker #0

    Oui, et dans certaines académies, il y a des psychologues qui interviennent ponctuellement sur ces thématiques, mais bon, c'est toujours pareil, on le sait tous, on manque cruellement de moyens. Il faudrait, en quelque sorte, institutionnaliser les temps de parole sur les grandes crises du monde. Pas pour expliquer ce que c'est que la géopolitique, mais pour globalement recueillir un petit peu tout ce qui est l'aspect émotionnel et ce que ça peut susciter.

  • Speaker #1

    Et nous, les adultes, comment on tient ? Parce que l'anxiété n'épargne pas les adultes. Tu sais, parfois je me lève le matin avec une boule au ventre en voyant les alertes sur mon téléphone ou en écoutant les infos à la radio. Toutes ces guerres, ces folies dans le monde, Gaza, Kiev, et toutes ces guerres non médiatiques où des centaines de milliers de personnes meurent d'une façon non médiatisée au bout du monde. Ça me fait penser à Boris Cyrulnik dont j'ai fait l'interview au Forum National de la Santé Mentale récemment à Cannes. Il me disait, les malades mentaux sont ceux qui sont au pouvoir.

  • Speaker #0

    En même temps, pour accéder au pouvoir, on peut se questionner aussi, c'est pas simple d'accéder au pouvoir. C'est quoi un président normal ? Absolument. Tu sais Didier, t'es pas le seul. Parce qu'il y a un terme qu'on commence à utiliser parfois, c'est ce qu'on appelle la fatigue compassionnelle. En quelque sorte, c'est un épuisement psychique qui est lié à la surexposition, à la souffrance, surtout quand on se sent impuissant. Les médias l'évoquent parfois dans certaines chroniques d'ailleurs, on l'entend souvent. Puis il faut aussi parler des adultes qui ont aussi le droit d'être tout à fait touchés. Mais leur rôle c'est de transformer cette émotion en cadre pour les plus jeunes. Ce n'est pas grave d'être ému, ce n'est pas grave de ressentir des choses. Par contre c'est grave de ne pas en parler.

  • Speaker #1

    J'ai vraiment du mal à comprendre comment des grands hommes, des chefs d'État, font la guerre et envoient les enfants de leur nation, les enfants de leur pays à la mort. Je m'interroge si ce ne sont pas des petits hommes qui jouent aux soldats en restant dans leur bureau ou dans leur palais. Tu veux dire qu'il faut assumer nos propres limites, même si eux ils ne savent pas le faire, pour que nous on accompagne mieux nos enfants ?

  • Speaker #0

    Oui, et puis dire, moi aussi, j'ai peur parfois. C'est montrer qu'on peut ressentir sans être submergé. Ça, on peut... Tout à fait, oui.

  • Speaker #1

    En tout cas, il s'agit de faire de la guerre un sujet de dialogue et non pas un sujet de peur et de sidération.

  • Speaker #0

    Alors Didier, si tu devais résumer notre épisode, qu'est-ce que tu nous dirais ?

  • Speaker #1

    Je crois, Fabrice, que tu partages l'idée que nous ne pouvons pas laisser la guerre... coloniser nos esprits, les têtes de nos enfants, l'actu en tête, cette actualité qui nous entête, sans explication, il faut en parler, l'information est une force, elle fait grandir, mais elle a besoin, comme tu nous l'as dit, d'un cadre humain, d'un matelas émotionnel, et ce cadre, ce matelas, ce sont nous, les adultes, qui devons, en toute cohérence, avec discernement, prendre de la distance, proposer des filtres dans nos familles, je pense qu'il faut aussi Ne manquez aucune occasion de montrer la paix, le beau, la joie, expliquer aux enfants l'histoire d'Anne Frank, valoriser le parcours de Simone Veil par exemple.

  • Speaker #0

    Il ne s'agit pas de protéger à tout prix, mais de soutenir, d'écouter, de parler, de relier. Un jeune qui comprend ce qu'il ressent, c'est finalement un jeune qui est moins vulnérable. La guerre, aussi tragique soit-elle, elle peut tout à fait devenir un... un point de départ pour réfléchir au vivre ensemble, pour réfléchir à l'engagement, tout simplement à la paix.

  • Speaker #1

    Merci Fabrice et merci à vous tous qui nous écoutez. N'hésitez pas à partager cet épisode autour de vous. Prenez soin de votre santé mentale avec vos proches.

  • Speaker #0

    Merci à toi Didier.

  • Speaker #1

    A bientôt Fabrice. A bientôt. A bientôt pour un autre épisode de l'Actu en tête.

Share

Embed

You may also like