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L'envers du récit

Pères absents : écouter sans juger, ni excuser

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19min |06/03/2024
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Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 20.


En 2020, une famille française sur quatre était composée d’un parent seul et dans 80 % des cas, il s’agissait de la mère. "Où sont passés les pères ?", s’est interrogé Mikael Corre, journaliste à "La Croix l’hebdo". Pour tenter de répondre à cette question, il a rencontré des hommes qui n’ont plus de contacts avec leurs enfants. En recueillant leurs paroles, il souhaitait comprendre, sans juger ni excuser, ce qui les a conduits à délaisser leur foyer.


► Retrouvez le récit de Mikael Corre : https://www.la-croix.com/new-articles/ou-sont-les-peres-enquete-sur-ces-hommes-qui-ont-abandonne-leurs-enfants-20231114


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mars 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • #0

    Souvent, à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup, plus rien n'est possible.

  • #1

    Michael Corr est journaliste à la Croix-L'Hebdo. Pendant plusieurs semaines, il a recueilli le témoignage de pères qui ne sont plus en contact avec leurs enfants. À chaque fois, il a cherché à comprendre leur situation sans les juger ni les excuser. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #0

    Bonjour, je m'appelle Mickaël Corr et je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo. L'enquête que je vais vous raconter, en fait, son idée, elle est née dans un train qui me ramenait de Mulhouse. Et j'étais avec mon éditrice, Victoire Lematt, on venait de faire une rencontre dans une librairie sur le thème de la police. Et en fait, on parlait d'un article qui venait de paraître sur les mères isolées, les mères qui élèvent seules leurs enfants. Et donc, Victoire Lematt me dit, en fait, on entend toujours parler des mères, on entend toujours... parler les mères, mais en fait on n'entend jamais les pères. Qu'est-ce qu'ils ont à dire, pourquoi ils sont partis, etc. Je trouvais que la question était excellente, d'une part parce que c'est vrai, et d'autre part parce que c'est un article que je n'ai jamais lu. Et comme beaucoup d'idées excellentes, je l'ai oublié. On est arrivé à Paris, la vie a repris son cours, je me suis mis sur d'autres articles. Et en fait, cette idée, elle m'est revenue lors d'une conférence de rédaction à la Croix-Lep-Dôme. Donc, c'est ces moments où on est tous autour de la table avec les chefs, tous les rédacteurs, les concepteurs graphiques aussi, les responsables de la photo. Puis on réfléchissait à ce qu'on allait faire en lien avec les émeutes de l'été 2023, puisqu'il y avait un jeune, donc Naël Merzou, de 17 ans, qui avait été... Tuer par un tir policier après un refus d'obtempérer, ça avait généré des violences urbaines ? Et à ce moment-là, on s'était remis à parler dans la presse, dans certains articles, du fait que beaucoup de jeunes qui avaient pris part à ces violences urbaines vivaient en fait dans des familles monoparentales. Et les chiffres nous sont arrivés d'ailleurs un peu après l'été du ministère de la Justice sur les un peu plus de 1000 jeunes interpellés lors de ces violences. En fait, il y en a une forte proportion, trois fois supérieure à la moyenne nationale, qui vit seulement avec un seul parent et en fait dans 80% des cas. C'est seulement la mère. Du coup, je me suis reposé la question de Victoire, je l'ai proposée et on est parti du coup de cette question-là. Où sont les pères ? Avec cette idée que le but dans cet article, c'était de rencontrer des hommes qui avaient abandonné leurs enfants ou qui, pour une raison ou pour une autre, ne vivaient plus avec eux et de les faire parler pour comprendre pourquoi, comprendre quelle est leur sociologie, etc. L'idée a tout de suite suscité un certain enthousiasme à la rédaction, ce qui est toujours bon signe vu que mes chefs et mes collègues sont mes premiers lecteurs. Le seul problème, c'est que j'ai passé une première semaine un petit peu difficile parce que je n'en trouvais pas. Il n'existe pas en France d'association de pères absents ou d'amicales des pères qui ont abandonné leurs enfants. Les seuls pères qu'on trouve dans ce cas-là, ce sont des pères qui se battent pour obtenir un droit de visite sur leurs enfants dans le cas de situations extrêmement compliquées et conflictuelles dans le couple. Mais en fait, c'était un petit bout de la lorniette. Moi, je voulais de manière beaucoup plus massive voir aussi des hommes qui sont tout simplement partis. Et donc, j'ai cherché sur des forums, sur Internet, sur les réseaux sociaux, etc. Je n'en ai pas trouvé. J'ai fait un appel à témoins dans le journal en disant, voilà, je cherche des hommes qui sont pères, qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. J'ai eu beaucoup de retours, mais beaucoup de retours hors sujet, mais qui sont quand même touchants. Il faut les raconter, c'est-à-dire des... Des hommes qui, parce qu'ils ont travaillé, par exemple, dans la marine marchande, m'ont appelé en me disant mais en fait, voilà, j'ai pas toujours été aussi présent que je voulais pour mes enfants. Et moi, avant d'être journaliste, je suis sociologue, donc quand je travaille sur des concepts, mon but, c'est qu'ils m'aident à travailler. C'est pas qu'ils soient vrais tout le temps, ou c'est pas de dire aux gens comment ils doivent vivre leur vie. Donc en fait, ces pères-là, je leur disais mais en fait, quand moi je mets le terme père absent c'est pas pour juger des situations. C'est-à-dire que moi, je cherche des pères qui ne payent pas de pension alimentaire, qui ne sont vraiment pas là, qui n'ont aucun lien. Donc vous, vous n'êtes peut-être pas aussi présent que vous auriez voulu, mais en fait, vous avez participé financièrement à l'éducation de vos enfants. Je ne sais pas, vous aviez un lien avec eux ? Ah bah oui, je leur écrivais toutes les semaines. Je leur disais, monsieur, je suis au regret de vous annoncer que d'après ma définition dans cet article, vous n'êtes pas un père absent. Voilà, même si évidemment, réfléchir à... Comment on a élevé ces enfants ? C'est des questions intéressantes, mais ce n'était pas le sujet de cet article. J'ai commencé à trouver mes premiers pères absents. Le premier que j'ai trouvé, son surnom c'est Gipetto, c'est comme ça que j'en parle dans l'article. Et je l'ai trouvé à Place d'Italie en micro-trottoir. Je me souviens, c'était un jour, il commençait à pleuvioter, et puis c'est vers 14h, ça faisait une semaine et demie que je ne trouvais personne. Du coup, je suis parti du travail et je me suis dit, je vais aller dans la rue, et tous les hommes que je rencontre, je vais leur poser la question, est-ce que vous êtes un père absent ? Alors il a fallu que je rôde un peu mon discours, parce qu'il ne fallait pas que les pères soient effrayés tout de suite. Dès que je voyais des hommes en âge de procréer, je leur posais la question et puis je leur disais, voilà, est-ce que vous êtes père ? Je cherche des pères qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. Le premier élément d'enquête, parce qu'au final, je pense que j'ai fait l'équivalent d'une bonne semaine en temps plein de micro-trottoirs. Donc j'en ai fait à Paris, au HAL, à Place d'Italie, à Brest. Et en moyenne, je rencontrais un père absent par heure. Voilà, je ne sais pas si c'est beaucoup, pas beaucoup. En tout cas, ce n'était pas très dur d'en trouver. Après, ce qui était plus compliqué, c'était d'en trouver qui acceptent d'en parler avec moi. Il y a beaucoup de pères absents qui ont pris mon numéro de téléphone et qui m'ont promis qu'ils me rappelleraient, qu'on prendrait rendez-vous et qu'on se verrait. Une bonne vingtaine. En fait, il n'y en a aucun qui l'a fait. Personne ne m'a jamais rappelé. Et les seuls pères qui m'ont parlé, au total, il y en a une dizaine. Certains que j'ai aussi trouvé, un par l'appel à témoins dans la Croix et un autre aussi via une association ATD Quart Monde. Mais en fait, ceux qui m'ont parlé, c'est des gens qui ont accepté de me parler tout de suite. Je les ai rencontrés, puis ils ont pris une heure de leur temps ou deux heures et on a discuté. Je me souviens d'un père assez jeune, un trentenaire, qui m'a dit, ben voilà, moi j'ai pas été père en fait. Parce qu'un père c'est quelqu'un qui est présent, si on n'est pas présent on n'est pas père, donc avec un regard extrêmement dur sur lui-même. Et tout de suite il m'a appris de son propre père qui était absent, enfin en même temps voilà, il m'a dit j'ai pas appris à être père. Et en fait ce que j'ai trouvé incroyable dans cette enquête c'est que... Moi, j'ai choisi le sujet. Enfin, je ne l'ai même pas choisi puisque c'est né de cette discussion dans le train. Mais ensuite, les problématiques sociales, les questions qui ont émergé dans l'enquête, en fait, elles émergeaient vraiment du discours des pères. C'est-à-dire que cette personne, par exemple, me disait moi, je n'ai pas réussi à être père parce que mon père n'a jamais été un père avec moi Et en fait, ce qui est intéressant, c'est que j'ai ensuite essayé de creuser dans la statistique et je me suis rendu compte qu'il y avait une étude de l'INED, donc l'Institut national des études démographiques, qui montre qu'après une séparation, il y a un enfant sur cinq qui ne voit plus son père. Et en fait, quand on parle de pères qui eux-mêmes n'ont pas eu de père, là on n'est plus à 1 sur 5, on est quasiment à 1 sur 2. C'est-à-dire que le fait qu'un homme ait eu une relation avec son père va vraiment déterminer, après une séparation, s'il a une relation avec son fils. Et ce qui est fou dans ces statistiques, c'est qu'il y a une grande différence en termes de classe sociale. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus d'ouvriers qui n'ont pas de relation avec leur père que de cadres, par exemple. À chaque fois que je rencontrais comme ça des personnes, j'essayais ensuite d'aller creuser les problématiques sociales qui émergeaient. Et les deux premières qui ont émergé, et ce n'est pas celles auxquelles je pensais, parce que quand on pense au père absent, on pense beaucoup plus à la question de l'autorité, à la question de l'évolution de notre société, la place du père. C'est souvent ça, en fait, dans les articles qu'on lit sur ce sujet. Et la première personne que j'ai rencontrée à Place d'Italie, dont j'en parlais, c'est Gipetto. Gipetto, il m'a dit, moi, en fait, il m'a raconté une situation de... Deux couples extrêmement compliqués, sur fond de grande précarité et de violence. Et en fait, lui, ce qui a vraiment coupé sa relation à son fils, ce qu'il n'a pas vu depuis neuf ans, c'est la prison. C'est une réalité à laquelle on ne pense pas, mais il y a à peu près 70 000 hommes en prison. Et d'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, à peu près la moitié d'entre eux sont pères. Et donc, ça pose la question du maintien des liens familiaux en prison et en particulier dans les maisons d'arrêt, là où il y a des courtes peines, où en fait, la rencontre avec des enfants, y compris en bas âge, se fait uniquement au parloir, donc dans les conditions qu'on imagine. Autre problématique qui est apparue comme ça, c'est un homme que j'ai rencontré et qui était sergent-chef dans l'armée. Et suite au suicide de sa femme, il s'est retrouvé criblé de dettes. Et puis du coup, il me raconte qu'il a été voir une juge et puis il lui a dit, voilà, placez mes filles. De toute façon, moi, je... Je ne peux pas m'en occuper, faites de moi ce que vous voulez, mais je tiens à ce que mes filles soient placées ensemble. Et donc lui, il s'est complètement désengagé de cette parentalité qu'il n'arrivait plus à assumer, que ce soit financièrement et aussi émotionnellement à ce moment-là. Et donc il raconte ça, et en fait, là-dessus c'est pareil. C'est-à-dire que c'est un petit peu comme la prison, la grande précarité, on n'y pense pas, mais quand on voit les rapports de la Fondation Abbé Pierre année après année, le nombre de personnes à la rue, continue d'augmenter année après année. Et en fait, comme la prison, la grande précarité, c'est essentiellement une réalité masculine. C'est en majorité des hommes qui sont dans la rue. Et en fait, ces hommes, certains ont des enfants qui ne vivent pas avec eux. Alors c'est pareil, j'ai essayé de retrouver des statistiques, ce n'est pas toujours facile, mais c'est quand même énormément de gens. Ça concerne énormément d'enfants. Et on se rend compte que finalement, la famille, on a souvent tendance à projeter sur ces problématiques sociales. des analyses un peu éducatives ou psychologiques ou d'évolution de la société, mais en fait, la famille n'est que le creuset de problématiques plus larges. Et la prison, c'est tellement pas déconnecté du sujet que, dans le cas de Naël Merzouk, dont je parlais tout à l'heure, ce jeune qui a été tué à Nanterre d'un tir policier, lui-même, il n'avait plus de contact avec son père. Et son père, il a donné une interview durant l'été à l'agence France Presse expliquant que les liens avec son fils s'étaient complètement coupés. au moment d'un passage en prison. Et d'ailleurs, la statistique, quand je parle de 70 000 hommes en prison, c'est un instant T. Mais la statistique que je n'ai pas réussi à trouver, c'est le nombre d'hommes passés par la prison. Parce que ce n'est pas parce qu'un homme est sorti de prison qu'il va forcément renouer avec son fils ou avec sa fille dès qu'il sort de prison. Une autre problématique sociale qui a émergé, là j'étais dans la banlieue d'une ville française en train de discuter avec un père. On est autour de la table. Ce père, c'est un grand colosse qui me reçoit en robe de chambre. Et on parle du fait qu'il y a eu une plainte à la gendarmerie, mais ce n'est pas très clair. Et puis, il n'y a pas eu de procès encore, mais il ne voit plus sa fille parce que son ex-femme. Et puis là, il y a beaucoup de noms d'oiseaux. Une situation extrêmement confuse. Et puis à un moment donné, je lui dis, monsieur, en fait, je ne comprends pas. Parce qu'il y avait quand même une décision de justice, mais là, il est en attente d'une autre décision de justice. Vraiment, l'histoire est très confuse. Et là, je lui dis non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas la décision de la juge de vous enlever totalement votre fille. Donc là, il me dit, il pense que j'adopte sa vision des choses. Il me dit, ah bah oui, voilà, c'est incompréhensible. De toute façon, il n'y en a que pour les femmes. Elles sont tout le temps favorisées. Je lui dis non, non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas. C'est pas cohérent, en fait. Entre ce que vous me décrivez de la situation et la décision de justice, il y a une incohérence. C'est-à-dire que c'est pas possible qu'on vous les retire par rapport à ce que vous me dites. Et je lui demande s'il a le document expliquant la décision de justice. Donc il met un petit peu de temps à me le donner, mais je lui dis, voilà, moi, j'écrirai pas sur une situation si je la comprends pas, si elle me semble incohérente. Parce que c'est aussi l'une des limites de mon travail, c'est que comme je ne m'adresse qu'au père, je rentre toujours évidemment un peu dans des histoires conjugales, souvent très complexes. Parce que souvent à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup plus rien n'est possible. C'est souvent comme ça que ça se décrit. Et là en l'occurrence je lis le jugement et en fait le jugement il fait état de... De violences sexuelles présumées sur son enfant. Donc là, moi, je me retrouve autour de la table en train de lire ça. Donc le monsieur m'explique que c'est faux. Je ne sais plus vraiment ce que je réponds à ce moment-là. Et puis, je finis par repartir. Mais ce n'était pas un moment très facile humainement. Parce qu'effectivement, j'avais ressenti pendant l'entretien une grande violence chez cet homme, en même temps beaucoup de détresse, enfin bref, c'était vraiment compliqué. Mais cette question de la violence, je l'amène par cette scène parce qu'elle est forte et qu'elle m'est apparue aussi de manière un peu brutale et violente, parce que je ne m'y attendais pas. Mais en fait, c'est une question colossale, c'est-à-dire qu'avant d'être urbaine, les violences, elles sont souvent intrafamiliales. Il y a eu une étude à Marseille qui a été réalisée par deux sociologues, Daphné Bibard et Laurent Mukieli. qui en fait se sont intéressés aux dossiers de jeunes pris en charge par la justice à Marseille. Ils ont épluché 500 cas de mineurs délinquants. Ils se sont intéressés à qui sont ces gamins en fait, qui sont ces jeunes, quel est leur contexte social, économique, qui sont leurs parents, etc. Ils se sont rendus compte que dans quasiment la moitié des cas, en fait, les gamins délinquants avaient été victimes de violences. C'est une banalité peut-être de le dire pour certains, mais c'est vrai que... Le fait de le montrer statistiquement comme ça, c'est implacable. Quand je suis revenu après avec tout ce matériau, avec tous ces visages et toutes ces histoires en tête à la rédaction, au début j'avais dans l'idée de construire deux articles. Un article très humain, la parole aux pairs, les pairs qui sont partis et qui parlent, en disant c'est mon travail de journaliste de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Pas pour être dans une forme de dialectique en disant ils ont raison face aux maires. Mon article n'est pas militant, c'est juste de dire leurs paroles n'existent pas dans le débat public, faisons-la exister et sans doute que ça nous amènera à mieux comprendre le phénomène. Mais pour aussi la contextualiser, je trouvais ça intéressant de l'accompagner d'un autre article statistique sur les pères absents. Ils sont combien ? C'est qui ? Combien de pères sont passés par la prison ? Enfin voilà, essayer de documenter ça. Parce qu'en fait, sans ces chiffres, on ne comprend pas quel est le problème. Par exemple, on parle des familles monoparentales. Mais en soi, que des enfants vivent avec un parent, ce n'est pas nécessairement mal. Qu'un enfant vive avec des adultes qui ne sont pas forcément son géniteur. Après la guerre, il y a plein de gens qui ont été élevés par leur mère et leur grand-mère. Il y a des personnes qui sont devenues des gens tout à fait équilibrés, qui n'ont pas manqué d'amour, etc. Même si leur père leur a manqué. L'idée, ce n'était surtout pas de juger des situations individuelles, mais par contre, de ne pas se tromper. C'est-à-dire qu'en France, 40,5% des enfants qui vivent dans une famille monoparentale sont pauvres. C'est-à-dire que quand on parle des familles monoparentales avec à leur tête une femme, on parle souvent de réalité précaire. Et du coup, l'enjeu de l'absence des pères, enfin en tout cas de la questionner, c'est un enjeu aussi qui est d'abord de sécurité matérielle, etc. On n'est pas que sur des questions d'équilibre psychologique ou éducatif. Et en fait, au bout d'un moment, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire deux articles. Un humain, un statistique, ça ne marchait pas. Pour comprendre vraiment cette réalité telle que je voulais la décrire, Il fallait mêler les deux. Il fallait à chaque fois qu'on ait une entrée très humaine, avec le visage de Gipetto, le visage d'autres pères, et puis à un moment donné, qu'on rappelle un peu les faits, qu'on redonne le contexte, qu'on monte un petit peu en généralité pour essayer de comprendre et de déconstruire aussi un peu des discours, je pense que voilà, au moment des émeutes liées à la mort de Néel, les discours politiques sur le retour à l'autorité, sur le besoin d'autorité dans les familles, etc. Quand on voit le niveau de violence dans certaines familles, on se demande si ces discours sont toujours bien ajustés. C'est-à-dire que, est-ce que des gamins qui n'ont pas de père ou qui ont un père absent, ou qui ont un père en prison, ou qui ont un père en grande précarité, est-ce que ce qui leur manque, c'est une sorte de père fouettard qui vient leur mettre des baffes, comme le suggérait un préfet très inspiré à ce moment-là, ou est-ce que ce qui leur a manqué, c'est tout simplement un parent aimant qui s'intéresse à qui ils sont et qui éventuellement partage une activité avec eux. et effectivement pose un cadre, mais ça fait partie de la parentalité. En tout cas, la manière d'en parler était à questionner aussi. C'est un article qui a été compliqué à écrire parce que c'était impossible de le terminer. Il n'y avait pas vraiment de fin à cet article, c'est-à-dire que je ne conclue pas en disant voilà ce qu'on pourrait faire, voilà comment ça pourrait mieux marcher. C'est un article qui est davantage descriptif, qui est là pour poser un problème. C'est un peu un article en forme de point d'interrogation. Et du coup, je me suis un peu retrouvé avec ma feuille et vraiment, je n'avais pas de fin, ça ne chutait pas. Et là, je me suis souvenu d'un témoignage que j'avais évacué. Parce que c'était un père qui se considérait comme absent, qui m'avait téléphoné et puis je lui avais dit Non, monsieur, vous n'êtes pas absent parce que vous ne l'avez jamais été. Cet homme, il s'appelle Philippe. Ce n'est pas le même que celui dont je parlais tout à l'heure, mais c'en est un autre à qui il a fallu que je dise Vous ne rentrez pas dans ma catégorie, même si votre histoire, elle est intéressante. En fait, je me suis rendu compte que ce père, il mérite d'être dans cet article. Il n'est pas absent. Donc, en fait, c'était vraiment une histoire très banale. C'est-à-dire qu'il y avait eu un divorce qui avait été très difficile pour lui. Les premières fois que ses enfants venaient chez lui, en fait, il avait beaucoup de mal à ne pas pleurer. Et du coup, il n'arrivait pas à être père. Mais ça a duré deux mois et après, ça s'est résorbé. Au début, je me suis dit, bon, je veux dire, humainement, ce que vit cet homme est évidemment bouleversant, mais je ne vois pas très bien en quoi c'est de nature à être une information intéressante, etc. Et en fait, j'ai relu un peu mes notes et à un moment donné, il me dit, voilà, j'ai pas été un père absent, peut-être, mais j'aurais pu le devenir. Et l'une des choses qui l'a aidé à ne pas être absent... C'est en fait son propre père à lui et ses parents qui, au début, quand ses enfants venaient chez lui et que lui, il n'arrivait pas à être père avec ses deux enfants, qui étaient petits en plus, tout seul, il venait en mode relais et il me raconte cette scène, sur laquelle je termine cet article, où ces deux enfants passent la porte et puis il y a son père à lui qui dit, bon, les enfants, qui veut aller cueillir des pommes avec papy ? Du coup, je me suis rendu compte que le seul élément, en tout cas l'un des éléments un peu de solution qu'il y avait, c'est que... Souvent, les Pères, ce qui les a aidés à ne pas être absents, en dehors d'un modèle, puis d'éviter d'être dans la précarité ou d'autres contextes plus violents, c'est en fait d'avoir des relais, des personnes relais, une sorte d'aide extérieure. Je trouvais que c'était une belle manière de conclure. Merci

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L’envers du récit, saison 6, épisode 20.


En 2020, une famille française sur quatre était composée d’un parent seul et dans 80 % des cas, il s’agissait de la mère. "Où sont passés les pères ?", s’est interrogé Mikael Corre, journaliste à "La Croix l’hebdo". Pour tenter de répondre à cette question, il a rencontré des hommes qui n’ont plus de contacts avec leurs enfants. En recueillant leurs paroles, il souhaitait comprendre, sans juger ni excuser, ce qui les a conduits à délaisser leur foyer.


► Retrouvez le récit de Mikael Corre : https://www.la-croix.com/new-articles/ou-sont-les-peres-enquete-sur-ces-hommes-qui-ont-abandonne-leurs-enfants-20231114


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Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mars 2024     


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    Souvent, à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup, plus rien n'est possible.

  • #1

    Michael Corr est journaliste à la Croix-L'Hebdo. Pendant plusieurs semaines, il a recueilli le témoignage de pères qui ne sont plus en contact avec leurs enfants. À chaque fois, il a cherché à comprendre leur situation sans les juger ni les excuser. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #0

    Bonjour, je m'appelle Mickaël Corr et je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo. L'enquête que je vais vous raconter, en fait, son idée, elle est née dans un train qui me ramenait de Mulhouse. Et j'étais avec mon éditrice, Victoire Lematt, on venait de faire une rencontre dans une librairie sur le thème de la police. Et en fait, on parlait d'un article qui venait de paraître sur les mères isolées, les mères qui élèvent seules leurs enfants. Et donc, Victoire Lematt me dit, en fait, on entend toujours parler des mères, on entend toujours... parler les mères, mais en fait on n'entend jamais les pères. Qu'est-ce qu'ils ont à dire, pourquoi ils sont partis, etc. Je trouvais que la question était excellente, d'une part parce que c'est vrai, et d'autre part parce que c'est un article que je n'ai jamais lu. Et comme beaucoup d'idées excellentes, je l'ai oublié. On est arrivé à Paris, la vie a repris son cours, je me suis mis sur d'autres articles. Et en fait, cette idée, elle m'est revenue lors d'une conférence de rédaction à la Croix-Lep-Dôme. Donc, c'est ces moments où on est tous autour de la table avec les chefs, tous les rédacteurs, les concepteurs graphiques aussi, les responsables de la photo. Puis on réfléchissait à ce qu'on allait faire en lien avec les émeutes de l'été 2023, puisqu'il y avait un jeune, donc Naël Merzou, de 17 ans, qui avait été... Tuer par un tir policier après un refus d'obtempérer, ça avait généré des violences urbaines ? Et à ce moment-là, on s'était remis à parler dans la presse, dans certains articles, du fait que beaucoup de jeunes qui avaient pris part à ces violences urbaines vivaient en fait dans des familles monoparentales. Et les chiffres nous sont arrivés d'ailleurs un peu après l'été du ministère de la Justice sur les un peu plus de 1000 jeunes interpellés lors de ces violences. En fait, il y en a une forte proportion, trois fois supérieure à la moyenne nationale, qui vit seulement avec un seul parent et en fait dans 80% des cas. C'est seulement la mère. Du coup, je me suis reposé la question de Victoire, je l'ai proposée et on est parti du coup de cette question-là. Où sont les pères ? Avec cette idée que le but dans cet article, c'était de rencontrer des hommes qui avaient abandonné leurs enfants ou qui, pour une raison ou pour une autre, ne vivaient plus avec eux et de les faire parler pour comprendre pourquoi, comprendre quelle est leur sociologie, etc. L'idée a tout de suite suscité un certain enthousiasme à la rédaction, ce qui est toujours bon signe vu que mes chefs et mes collègues sont mes premiers lecteurs. Le seul problème, c'est que j'ai passé une première semaine un petit peu difficile parce que je n'en trouvais pas. Il n'existe pas en France d'association de pères absents ou d'amicales des pères qui ont abandonné leurs enfants. Les seuls pères qu'on trouve dans ce cas-là, ce sont des pères qui se battent pour obtenir un droit de visite sur leurs enfants dans le cas de situations extrêmement compliquées et conflictuelles dans le couple. Mais en fait, c'était un petit bout de la lorniette. Moi, je voulais de manière beaucoup plus massive voir aussi des hommes qui sont tout simplement partis. Et donc, j'ai cherché sur des forums, sur Internet, sur les réseaux sociaux, etc. Je n'en ai pas trouvé. J'ai fait un appel à témoins dans le journal en disant, voilà, je cherche des hommes qui sont pères, qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. J'ai eu beaucoup de retours, mais beaucoup de retours hors sujet, mais qui sont quand même touchants. Il faut les raconter, c'est-à-dire des... Des hommes qui, parce qu'ils ont travaillé, par exemple, dans la marine marchande, m'ont appelé en me disant mais en fait, voilà, j'ai pas toujours été aussi présent que je voulais pour mes enfants. Et moi, avant d'être journaliste, je suis sociologue, donc quand je travaille sur des concepts, mon but, c'est qu'ils m'aident à travailler. C'est pas qu'ils soient vrais tout le temps, ou c'est pas de dire aux gens comment ils doivent vivre leur vie. Donc en fait, ces pères-là, je leur disais mais en fait, quand moi je mets le terme père absent c'est pas pour juger des situations. C'est-à-dire que moi, je cherche des pères qui ne payent pas de pension alimentaire, qui ne sont vraiment pas là, qui n'ont aucun lien. Donc vous, vous n'êtes peut-être pas aussi présent que vous auriez voulu, mais en fait, vous avez participé financièrement à l'éducation de vos enfants. Je ne sais pas, vous aviez un lien avec eux ? Ah bah oui, je leur écrivais toutes les semaines. Je leur disais, monsieur, je suis au regret de vous annoncer que d'après ma définition dans cet article, vous n'êtes pas un père absent. Voilà, même si évidemment, réfléchir à... Comment on a élevé ces enfants ? C'est des questions intéressantes, mais ce n'était pas le sujet de cet article. J'ai commencé à trouver mes premiers pères absents. Le premier que j'ai trouvé, son surnom c'est Gipetto, c'est comme ça que j'en parle dans l'article. Et je l'ai trouvé à Place d'Italie en micro-trottoir. Je me souviens, c'était un jour, il commençait à pleuvioter, et puis c'est vers 14h, ça faisait une semaine et demie que je ne trouvais personne. Du coup, je suis parti du travail et je me suis dit, je vais aller dans la rue, et tous les hommes que je rencontre, je vais leur poser la question, est-ce que vous êtes un père absent ? Alors il a fallu que je rôde un peu mon discours, parce qu'il ne fallait pas que les pères soient effrayés tout de suite. Dès que je voyais des hommes en âge de procréer, je leur posais la question et puis je leur disais, voilà, est-ce que vous êtes père ? Je cherche des pères qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. Le premier élément d'enquête, parce qu'au final, je pense que j'ai fait l'équivalent d'une bonne semaine en temps plein de micro-trottoirs. Donc j'en ai fait à Paris, au HAL, à Place d'Italie, à Brest. Et en moyenne, je rencontrais un père absent par heure. Voilà, je ne sais pas si c'est beaucoup, pas beaucoup. En tout cas, ce n'était pas très dur d'en trouver. Après, ce qui était plus compliqué, c'était d'en trouver qui acceptent d'en parler avec moi. Il y a beaucoup de pères absents qui ont pris mon numéro de téléphone et qui m'ont promis qu'ils me rappelleraient, qu'on prendrait rendez-vous et qu'on se verrait. Une bonne vingtaine. En fait, il n'y en a aucun qui l'a fait. Personne ne m'a jamais rappelé. Et les seuls pères qui m'ont parlé, au total, il y en a une dizaine. Certains que j'ai aussi trouvé, un par l'appel à témoins dans la Croix et un autre aussi via une association ATD Quart Monde. Mais en fait, ceux qui m'ont parlé, c'est des gens qui ont accepté de me parler tout de suite. Je les ai rencontrés, puis ils ont pris une heure de leur temps ou deux heures et on a discuté. Je me souviens d'un père assez jeune, un trentenaire, qui m'a dit, ben voilà, moi j'ai pas été père en fait. Parce qu'un père c'est quelqu'un qui est présent, si on n'est pas présent on n'est pas père, donc avec un regard extrêmement dur sur lui-même. Et tout de suite il m'a appris de son propre père qui était absent, enfin en même temps voilà, il m'a dit j'ai pas appris à être père. Et en fait ce que j'ai trouvé incroyable dans cette enquête c'est que... Moi, j'ai choisi le sujet. Enfin, je ne l'ai même pas choisi puisque c'est né de cette discussion dans le train. Mais ensuite, les problématiques sociales, les questions qui ont émergé dans l'enquête, en fait, elles émergeaient vraiment du discours des pères. C'est-à-dire que cette personne, par exemple, me disait moi, je n'ai pas réussi à être père parce que mon père n'a jamais été un père avec moi Et en fait, ce qui est intéressant, c'est que j'ai ensuite essayé de creuser dans la statistique et je me suis rendu compte qu'il y avait une étude de l'INED, donc l'Institut national des études démographiques, qui montre qu'après une séparation, il y a un enfant sur cinq qui ne voit plus son père. Et en fait, quand on parle de pères qui eux-mêmes n'ont pas eu de père, là on n'est plus à 1 sur 5, on est quasiment à 1 sur 2. C'est-à-dire que le fait qu'un homme ait eu une relation avec son père va vraiment déterminer, après une séparation, s'il a une relation avec son fils. Et ce qui est fou dans ces statistiques, c'est qu'il y a une grande différence en termes de classe sociale. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus d'ouvriers qui n'ont pas de relation avec leur père que de cadres, par exemple. À chaque fois que je rencontrais comme ça des personnes, j'essayais ensuite d'aller creuser les problématiques sociales qui émergeaient. Et les deux premières qui ont émergé, et ce n'est pas celles auxquelles je pensais, parce que quand on pense au père absent, on pense beaucoup plus à la question de l'autorité, à la question de l'évolution de notre société, la place du père. C'est souvent ça, en fait, dans les articles qu'on lit sur ce sujet. Et la première personne que j'ai rencontrée à Place d'Italie, dont j'en parlais, c'est Gipetto. Gipetto, il m'a dit, moi, en fait, il m'a raconté une situation de... Deux couples extrêmement compliqués, sur fond de grande précarité et de violence. Et en fait, lui, ce qui a vraiment coupé sa relation à son fils, ce qu'il n'a pas vu depuis neuf ans, c'est la prison. C'est une réalité à laquelle on ne pense pas, mais il y a à peu près 70 000 hommes en prison. Et d'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, à peu près la moitié d'entre eux sont pères. Et donc, ça pose la question du maintien des liens familiaux en prison et en particulier dans les maisons d'arrêt, là où il y a des courtes peines, où en fait, la rencontre avec des enfants, y compris en bas âge, se fait uniquement au parloir, donc dans les conditions qu'on imagine. Autre problématique qui est apparue comme ça, c'est un homme que j'ai rencontré et qui était sergent-chef dans l'armée. Et suite au suicide de sa femme, il s'est retrouvé criblé de dettes. Et puis du coup, il me raconte qu'il a été voir une juge et puis il lui a dit, voilà, placez mes filles. De toute façon, moi, je... Je ne peux pas m'en occuper, faites de moi ce que vous voulez, mais je tiens à ce que mes filles soient placées ensemble. Et donc lui, il s'est complètement désengagé de cette parentalité qu'il n'arrivait plus à assumer, que ce soit financièrement et aussi émotionnellement à ce moment-là. Et donc il raconte ça, et en fait, là-dessus c'est pareil. C'est-à-dire que c'est un petit peu comme la prison, la grande précarité, on n'y pense pas, mais quand on voit les rapports de la Fondation Abbé Pierre année après année, le nombre de personnes à la rue, continue d'augmenter année après année. Et en fait, comme la prison, la grande précarité, c'est essentiellement une réalité masculine. C'est en majorité des hommes qui sont dans la rue. Et en fait, ces hommes, certains ont des enfants qui ne vivent pas avec eux. Alors c'est pareil, j'ai essayé de retrouver des statistiques, ce n'est pas toujours facile, mais c'est quand même énormément de gens. Ça concerne énormément d'enfants. Et on se rend compte que finalement, la famille, on a souvent tendance à projeter sur ces problématiques sociales. des analyses un peu éducatives ou psychologiques ou d'évolution de la société, mais en fait, la famille n'est que le creuset de problématiques plus larges. Et la prison, c'est tellement pas déconnecté du sujet que, dans le cas de Naël Merzouk, dont je parlais tout à l'heure, ce jeune qui a été tué à Nanterre d'un tir policier, lui-même, il n'avait plus de contact avec son père. Et son père, il a donné une interview durant l'été à l'agence France Presse expliquant que les liens avec son fils s'étaient complètement coupés. au moment d'un passage en prison. Et d'ailleurs, la statistique, quand je parle de 70 000 hommes en prison, c'est un instant T. Mais la statistique que je n'ai pas réussi à trouver, c'est le nombre d'hommes passés par la prison. Parce que ce n'est pas parce qu'un homme est sorti de prison qu'il va forcément renouer avec son fils ou avec sa fille dès qu'il sort de prison. Une autre problématique sociale qui a émergé, là j'étais dans la banlieue d'une ville française en train de discuter avec un père. On est autour de la table. Ce père, c'est un grand colosse qui me reçoit en robe de chambre. Et on parle du fait qu'il y a eu une plainte à la gendarmerie, mais ce n'est pas très clair. Et puis, il n'y a pas eu de procès encore, mais il ne voit plus sa fille parce que son ex-femme. Et puis là, il y a beaucoup de noms d'oiseaux. Une situation extrêmement confuse. Et puis à un moment donné, je lui dis, monsieur, en fait, je ne comprends pas. Parce qu'il y avait quand même une décision de justice, mais là, il est en attente d'une autre décision de justice. Vraiment, l'histoire est très confuse. Et là, je lui dis non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas la décision de la juge de vous enlever totalement votre fille. Donc là, il me dit, il pense que j'adopte sa vision des choses. Il me dit, ah bah oui, voilà, c'est incompréhensible. De toute façon, il n'y en a que pour les femmes. Elles sont tout le temps favorisées. Je lui dis non, non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas. C'est pas cohérent, en fait. Entre ce que vous me décrivez de la situation et la décision de justice, il y a une incohérence. C'est-à-dire que c'est pas possible qu'on vous les retire par rapport à ce que vous me dites. Et je lui demande s'il a le document expliquant la décision de justice. Donc il met un petit peu de temps à me le donner, mais je lui dis, voilà, moi, j'écrirai pas sur une situation si je la comprends pas, si elle me semble incohérente. Parce que c'est aussi l'une des limites de mon travail, c'est que comme je ne m'adresse qu'au père, je rentre toujours évidemment un peu dans des histoires conjugales, souvent très complexes. Parce que souvent à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup plus rien n'est possible. C'est souvent comme ça que ça se décrit. Et là en l'occurrence je lis le jugement et en fait le jugement il fait état de... De violences sexuelles présumées sur son enfant. Donc là, moi, je me retrouve autour de la table en train de lire ça. Donc le monsieur m'explique que c'est faux. Je ne sais plus vraiment ce que je réponds à ce moment-là. Et puis, je finis par repartir. Mais ce n'était pas un moment très facile humainement. Parce qu'effectivement, j'avais ressenti pendant l'entretien une grande violence chez cet homme, en même temps beaucoup de détresse, enfin bref, c'était vraiment compliqué. Mais cette question de la violence, je l'amène par cette scène parce qu'elle est forte et qu'elle m'est apparue aussi de manière un peu brutale et violente, parce que je ne m'y attendais pas. Mais en fait, c'est une question colossale, c'est-à-dire qu'avant d'être urbaine, les violences, elles sont souvent intrafamiliales. Il y a eu une étude à Marseille qui a été réalisée par deux sociologues, Daphné Bibard et Laurent Mukieli. qui en fait se sont intéressés aux dossiers de jeunes pris en charge par la justice à Marseille. Ils ont épluché 500 cas de mineurs délinquants. Ils se sont intéressés à qui sont ces gamins en fait, qui sont ces jeunes, quel est leur contexte social, économique, qui sont leurs parents, etc. Ils se sont rendus compte que dans quasiment la moitié des cas, en fait, les gamins délinquants avaient été victimes de violences. C'est une banalité peut-être de le dire pour certains, mais c'est vrai que... Le fait de le montrer statistiquement comme ça, c'est implacable. Quand je suis revenu après avec tout ce matériau, avec tous ces visages et toutes ces histoires en tête à la rédaction, au début j'avais dans l'idée de construire deux articles. Un article très humain, la parole aux pairs, les pairs qui sont partis et qui parlent, en disant c'est mon travail de journaliste de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Pas pour être dans une forme de dialectique en disant ils ont raison face aux maires. Mon article n'est pas militant, c'est juste de dire leurs paroles n'existent pas dans le débat public, faisons-la exister et sans doute que ça nous amènera à mieux comprendre le phénomène. Mais pour aussi la contextualiser, je trouvais ça intéressant de l'accompagner d'un autre article statistique sur les pères absents. Ils sont combien ? C'est qui ? Combien de pères sont passés par la prison ? Enfin voilà, essayer de documenter ça. Parce qu'en fait, sans ces chiffres, on ne comprend pas quel est le problème. Par exemple, on parle des familles monoparentales. Mais en soi, que des enfants vivent avec un parent, ce n'est pas nécessairement mal. Qu'un enfant vive avec des adultes qui ne sont pas forcément son géniteur. Après la guerre, il y a plein de gens qui ont été élevés par leur mère et leur grand-mère. Il y a des personnes qui sont devenues des gens tout à fait équilibrés, qui n'ont pas manqué d'amour, etc. Même si leur père leur a manqué. L'idée, ce n'était surtout pas de juger des situations individuelles, mais par contre, de ne pas se tromper. C'est-à-dire qu'en France, 40,5% des enfants qui vivent dans une famille monoparentale sont pauvres. C'est-à-dire que quand on parle des familles monoparentales avec à leur tête une femme, on parle souvent de réalité précaire. Et du coup, l'enjeu de l'absence des pères, enfin en tout cas de la questionner, c'est un enjeu aussi qui est d'abord de sécurité matérielle, etc. On n'est pas que sur des questions d'équilibre psychologique ou éducatif. Et en fait, au bout d'un moment, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire deux articles. Un humain, un statistique, ça ne marchait pas. Pour comprendre vraiment cette réalité telle que je voulais la décrire, Il fallait mêler les deux. Il fallait à chaque fois qu'on ait une entrée très humaine, avec le visage de Gipetto, le visage d'autres pères, et puis à un moment donné, qu'on rappelle un peu les faits, qu'on redonne le contexte, qu'on monte un petit peu en généralité pour essayer de comprendre et de déconstruire aussi un peu des discours, je pense que voilà, au moment des émeutes liées à la mort de Néel, les discours politiques sur le retour à l'autorité, sur le besoin d'autorité dans les familles, etc. Quand on voit le niveau de violence dans certaines familles, on se demande si ces discours sont toujours bien ajustés. C'est-à-dire que, est-ce que des gamins qui n'ont pas de père ou qui ont un père absent, ou qui ont un père en prison, ou qui ont un père en grande précarité, est-ce que ce qui leur manque, c'est une sorte de père fouettard qui vient leur mettre des baffes, comme le suggérait un préfet très inspiré à ce moment-là, ou est-ce que ce qui leur a manqué, c'est tout simplement un parent aimant qui s'intéresse à qui ils sont et qui éventuellement partage une activité avec eux. et effectivement pose un cadre, mais ça fait partie de la parentalité. En tout cas, la manière d'en parler était à questionner aussi. C'est un article qui a été compliqué à écrire parce que c'était impossible de le terminer. Il n'y avait pas vraiment de fin à cet article, c'est-à-dire que je ne conclue pas en disant voilà ce qu'on pourrait faire, voilà comment ça pourrait mieux marcher. C'est un article qui est davantage descriptif, qui est là pour poser un problème. C'est un peu un article en forme de point d'interrogation. Et du coup, je me suis un peu retrouvé avec ma feuille et vraiment, je n'avais pas de fin, ça ne chutait pas. Et là, je me suis souvenu d'un témoignage que j'avais évacué. Parce que c'était un père qui se considérait comme absent, qui m'avait téléphoné et puis je lui avais dit Non, monsieur, vous n'êtes pas absent parce que vous ne l'avez jamais été. Cet homme, il s'appelle Philippe. Ce n'est pas le même que celui dont je parlais tout à l'heure, mais c'en est un autre à qui il a fallu que je dise Vous ne rentrez pas dans ma catégorie, même si votre histoire, elle est intéressante. En fait, je me suis rendu compte que ce père, il mérite d'être dans cet article. Il n'est pas absent. Donc, en fait, c'était vraiment une histoire très banale. C'est-à-dire qu'il y avait eu un divorce qui avait été très difficile pour lui. Les premières fois que ses enfants venaient chez lui, en fait, il avait beaucoup de mal à ne pas pleurer. Et du coup, il n'arrivait pas à être père. Mais ça a duré deux mois et après, ça s'est résorbé. Au début, je me suis dit, bon, je veux dire, humainement, ce que vit cet homme est évidemment bouleversant, mais je ne vois pas très bien en quoi c'est de nature à être une information intéressante, etc. Et en fait, j'ai relu un peu mes notes et à un moment donné, il me dit, voilà, j'ai pas été un père absent, peut-être, mais j'aurais pu le devenir. Et l'une des choses qui l'a aidé à ne pas être absent... C'est en fait son propre père à lui et ses parents qui, au début, quand ses enfants venaient chez lui et que lui, il n'arrivait pas à être père avec ses deux enfants, qui étaient petits en plus, tout seul, il venait en mode relais et il me raconte cette scène, sur laquelle je termine cet article, où ces deux enfants passent la porte et puis il y a son père à lui qui dit, bon, les enfants, qui veut aller cueillir des pommes avec papy ? Du coup, je me suis rendu compte que le seul élément, en tout cas l'un des éléments un peu de solution qu'il y avait, c'est que... Souvent, les Pères, ce qui les a aidés à ne pas être absents, en dehors d'un modèle, puis d'éviter d'être dans la précarité ou d'autres contextes plus violents, c'est en fait d'avoir des relais, des personnes relais, une sorte d'aide extérieure. Je trouvais que c'était une belle manière de conclure. Merci

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L’envers du récit, saison 6, épisode 20.


En 2020, une famille française sur quatre était composée d’un parent seul et dans 80 % des cas, il s’agissait de la mère. "Où sont passés les pères ?", s’est interrogé Mikael Corre, journaliste à "La Croix l’hebdo". Pour tenter de répondre à cette question, il a rencontré des hommes qui n’ont plus de contacts avec leurs enfants. En recueillant leurs paroles, il souhaitait comprendre, sans juger ni excuser, ce qui les a conduits à délaisser leur foyer.


► Retrouvez le récit de Mikael Corre : https://www.la-croix.com/new-articles/ou-sont-les-peres-enquete-sur-ces-hommes-qui-ont-abandonne-leurs-enfants-20231114


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mars 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

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    Souvent, à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup, plus rien n'est possible.

  • #1

    Michael Corr est journaliste à la Croix-L'Hebdo. Pendant plusieurs semaines, il a recueilli le témoignage de pères qui ne sont plus en contact avec leurs enfants. À chaque fois, il a cherché à comprendre leur situation sans les juger ni les excuser. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #0

    Bonjour, je m'appelle Mickaël Corr et je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo. L'enquête que je vais vous raconter, en fait, son idée, elle est née dans un train qui me ramenait de Mulhouse. Et j'étais avec mon éditrice, Victoire Lematt, on venait de faire une rencontre dans une librairie sur le thème de la police. Et en fait, on parlait d'un article qui venait de paraître sur les mères isolées, les mères qui élèvent seules leurs enfants. Et donc, Victoire Lematt me dit, en fait, on entend toujours parler des mères, on entend toujours... parler les mères, mais en fait on n'entend jamais les pères. Qu'est-ce qu'ils ont à dire, pourquoi ils sont partis, etc. Je trouvais que la question était excellente, d'une part parce que c'est vrai, et d'autre part parce que c'est un article que je n'ai jamais lu. Et comme beaucoup d'idées excellentes, je l'ai oublié. On est arrivé à Paris, la vie a repris son cours, je me suis mis sur d'autres articles. Et en fait, cette idée, elle m'est revenue lors d'une conférence de rédaction à la Croix-Lep-Dôme. Donc, c'est ces moments où on est tous autour de la table avec les chefs, tous les rédacteurs, les concepteurs graphiques aussi, les responsables de la photo. Puis on réfléchissait à ce qu'on allait faire en lien avec les émeutes de l'été 2023, puisqu'il y avait un jeune, donc Naël Merzou, de 17 ans, qui avait été... Tuer par un tir policier après un refus d'obtempérer, ça avait généré des violences urbaines ? Et à ce moment-là, on s'était remis à parler dans la presse, dans certains articles, du fait que beaucoup de jeunes qui avaient pris part à ces violences urbaines vivaient en fait dans des familles monoparentales. Et les chiffres nous sont arrivés d'ailleurs un peu après l'été du ministère de la Justice sur les un peu plus de 1000 jeunes interpellés lors de ces violences. En fait, il y en a une forte proportion, trois fois supérieure à la moyenne nationale, qui vit seulement avec un seul parent et en fait dans 80% des cas. C'est seulement la mère. Du coup, je me suis reposé la question de Victoire, je l'ai proposée et on est parti du coup de cette question-là. Où sont les pères ? Avec cette idée que le but dans cet article, c'était de rencontrer des hommes qui avaient abandonné leurs enfants ou qui, pour une raison ou pour une autre, ne vivaient plus avec eux et de les faire parler pour comprendre pourquoi, comprendre quelle est leur sociologie, etc. L'idée a tout de suite suscité un certain enthousiasme à la rédaction, ce qui est toujours bon signe vu que mes chefs et mes collègues sont mes premiers lecteurs. Le seul problème, c'est que j'ai passé une première semaine un petit peu difficile parce que je n'en trouvais pas. Il n'existe pas en France d'association de pères absents ou d'amicales des pères qui ont abandonné leurs enfants. Les seuls pères qu'on trouve dans ce cas-là, ce sont des pères qui se battent pour obtenir un droit de visite sur leurs enfants dans le cas de situations extrêmement compliquées et conflictuelles dans le couple. Mais en fait, c'était un petit bout de la lorniette. Moi, je voulais de manière beaucoup plus massive voir aussi des hommes qui sont tout simplement partis. Et donc, j'ai cherché sur des forums, sur Internet, sur les réseaux sociaux, etc. Je n'en ai pas trouvé. J'ai fait un appel à témoins dans le journal en disant, voilà, je cherche des hommes qui sont pères, qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. J'ai eu beaucoup de retours, mais beaucoup de retours hors sujet, mais qui sont quand même touchants. Il faut les raconter, c'est-à-dire des... Des hommes qui, parce qu'ils ont travaillé, par exemple, dans la marine marchande, m'ont appelé en me disant mais en fait, voilà, j'ai pas toujours été aussi présent que je voulais pour mes enfants. Et moi, avant d'être journaliste, je suis sociologue, donc quand je travaille sur des concepts, mon but, c'est qu'ils m'aident à travailler. C'est pas qu'ils soient vrais tout le temps, ou c'est pas de dire aux gens comment ils doivent vivre leur vie. Donc en fait, ces pères-là, je leur disais mais en fait, quand moi je mets le terme père absent c'est pas pour juger des situations. C'est-à-dire que moi, je cherche des pères qui ne payent pas de pension alimentaire, qui ne sont vraiment pas là, qui n'ont aucun lien. Donc vous, vous n'êtes peut-être pas aussi présent que vous auriez voulu, mais en fait, vous avez participé financièrement à l'éducation de vos enfants. Je ne sais pas, vous aviez un lien avec eux ? Ah bah oui, je leur écrivais toutes les semaines. Je leur disais, monsieur, je suis au regret de vous annoncer que d'après ma définition dans cet article, vous n'êtes pas un père absent. Voilà, même si évidemment, réfléchir à... Comment on a élevé ces enfants ? C'est des questions intéressantes, mais ce n'était pas le sujet de cet article. J'ai commencé à trouver mes premiers pères absents. Le premier que j'ai trouvé, son surnom c'est Gipetto, c'est comme ça que j'en parle dans l'article. Et je l'ai trouvé à Place d'Italie en micro-trottoir. Je me souviens, c'était un jour, il commençait à pleuvioter, et puis c'est vers 14h, ça faisait une semaine et demie que je ne trouvais personne. Du coup, je suis parti du travail et je me suis dit, je vais aller dans la rue, et tous les hommes que je rencontre, je vais leur poser la question, est-ce que vous êtes un père absent ? Alors il a fallu que je rôde un peu mon discours, parce qu'il ne fallait pas que les pères soient effrayés tout de suite. Dès que je voyais des hommes en âge de procréer, je leur posais la question et puis je leur disais, voilà, est-ce que vous êtes père ? Je cherche des pères qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. Le premier élément d'enquête, parce qu'au final, je pense que j'ai fait l'équivalent d'une bonne semaine en temps plein de micro-trottoirs. Donc j'en ai fait à Paris, au HAL, à Place d'Italie, à Brest. Et en moyenne, je rencontrais un père absent par heure. Voilà, je ne sais pas si c'est beaucoup, pas beaucoup. En tout cas, ce n'était pas très dur d'en trouver. Après, ce qui était plus compliqué, c'était d'en trouver qui acceptent d'en parler avec moi. Il y a beaucoup de pères absents qui ont pris mon numéro de téléphone et qui m'ont promis qu'ils me rappelleraient, qu'on prendrait rendez-vous et qu'on se verrait. Une bonne vingtaine. En fait, il n'y en a aucun qui l'a fait. Personne ne m'a jamais rappelé. Et les seuls pères qui m'ont parlé, au total, il y en a une dizaine. Certains que j'ai aussi trouvé, un par l'appel à témoins dans la Croix et un autre aussi via une association ATD Quart Monde. Mais en fait, ceux qui m'ont parlé, c'est des gens qui ont accepté de me parler tout de suite. Je les ai rencontrés, puis ils ont pris une heure de leur temps ou deux heures et on a discuté. Je me souviens d'un père assez jeune, un trentenaire, qui m'a dit, ben voilà, moi j'ai pas été père en fait. Parce qu'un père c'est quelqu'un qui est présent, si on n'est pas présent on n'est pas père, donc avec un regard extrêmement dur sur lui-même. Et tout de suite il m'a appris de son propre père qui était absent, enfin en même temps voilà, il m'a dit j'ai pas appris à être père. Et en fait ce que j'ai trouvé incroyable dans cette enquête c'est que... Moi, j'ai choisi le sujet. Enfin, je ne l'ai même pas choisi puisque c'est né de cette discussion dans le train. Mais ensuite, les problématiques sociales, les questions qui ont émergé dans l'enquête, en fait, elles émergeaient vraiment du discours des pères. C'est-à-dire que cette personne, par exemple, me disait moi, je n'ai pas réussi à être père parce que mon père n'a jamais été un père avec moi Et en fait, ce qui est intéressant, c'est que j'ai ensuite essayé de creuser dans la statistique et je me suis rendu compte qu'il y avait une étude de l'INED, donc l'Institut national des études démographiques, qui montre qu'après une séparation, il y a un enfant sur cinq qui ne voit plus son père. Et en fait, quand on parle de pères qui eux-mêmes n'ont pas eu de père, là on n'est plus à 1 sur 5, on est quasiment à 1 sur 2. C'est-à-dire que le fait qu'un homme ait eu une relation avec son père va vraiment déterminer, après une séparation, s'il a une relation avec son fils. Et ce qui est fou dans ces statistiques, c'est qu'il y a une grande différence en termes de classe sociale. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus d'ouvriers qui n'ont pas de relation avec leur père que de cadres, par exemple. À chaque fois que je rencontrais comme ça des personnes, j'essayais ensuite d'aller creuser les problématiques sociales qui émergeaient. Et les deux premières qui ont émergé, et ce n'est pas celles auxquelles je pensais, parce que quand on pense au père absent, on pense beaucoup plus à la question de l'autorité, à la question de l'évolution de notre société, la place du père. C'est souvent ça, en fait, dans les articles qu'on lit sur ce sujet. Et la première personne que j'ai rencontrée à Place d'Italie, dont j'en parlais, c'est Gipetto. Gipetto, il m'a dit, moi, en fait, il m'a raconté une situation de... Deux couples extrêmement compliqués, sur fond de grande précarité et de violence. Et en fait, lui, ce qui a vraiment coupé sa relation à son fils, ce qu'il n'a pas vu depuis neuf ans, c'est la prison. C'est une réalité à laquelle on ne pense pas, mais il y a à peu près 70 000 hommes en prison. Et d'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, à peu près la moitié d'entre eux sont pères. Et donc, ça pose la question du maintien des liens familiaux en prison et en particulier dans les maisons d'arrêt, là où il y a des courtes peines, où en fait, la rencontre avec des enfants, y compris en bas âge, se fait uniquement au parloir, donc dans les conditions qu'on imagine. Autre problématique qui est apparue comme ça, c'est un homme que j'ai rencontré et qui était sergent-chef dans l'armée. Et suite au suicide de sa femme, il s'est retrouvé criblé de dettes. Et puis du coup, il me raconte qu'il a été voir une juge et puis il lui a dit, voilà, placez mes filles. De toute façon, moi, je... Je ne peux pas m'en occuper, faites de moi ce que vous voulez, mais je tiens à ce que mes filles soient placées ensemble. Et donc lui, il s'est complètement désengagé de cette parentalité qu'il n'arrivait plus à assumer, que ce soit financièrement et aussi émotionnellement à ce moment-là. Et donc il raconte ça, et en fait, là-dessus c'est pareil. C'est-à-dire que c'est un petit peu comme la prison, la grande précarité, on n'y pense pas, mais quand on voit les rapports de la Fondation Abbé Pierre année après année, le nombre de personnes à la rue, continue d'augmenter année après année. Et en fait, comme la prison, la grande précarité, c'est essentiellement une réalité masculine. C'est en majorité des hommes qui sont dans la rue. Et en fait, ces hommes, certains ont des enfants qui ne vivent pas avec eux. Alors c'est pareil, j'ai essayé de retrouver des statistiques, ce n'est pas toujours facile, mais c'est quand même énormément de gens. Ça concerne énormément d'enfants. Et on se rend compte que finalement, la famille, on a souvent tendance à projeter sur ces problématiques sociales. des analyses un peu éducatives ou psychologiques ou d'évolution de la société, mais en fait, la famille n'est que le creuset de problématiques plus larges. Et la prison, c'est tellement pas déconnecté du sujet que, dans le cas de Naël Merzouk, dont je parlais tout à l'heure, ce jeune qui a été tué à Nanterre d'un tir policier, lui-même, il n'avait plus de contact avec son père. Et son père, il a donné une interview durant l'été à l'agence France Presse expliquant que les liens avec son fils s'étaient complètement coupés. au moment d'un passage en prison. Et d'ailleurs, la statistique, quand je parle de 70 000 hommes en prison, c'est un instant T. Mais la statistique que je n'ai pas réussi à trouver, c'est le nombre d'hommes passés par la prison. Parce que ce n'est pas parce qu'un homme est sorti de prison qu'il va forcément renouer avec son fils ou avec sa fille dès qu'il sort de prison. Une autre problématique sociale qui a émergé, là j'étais dans la banlieue d'une ville française en train de discuter avec un père. On est autour de la table. Ce père, c'est un grand colosse qui me reçoit en robe de chambre. Et on parle du fait qu'il y a eu une plainte à la gendarmerie, mais ce n'est pas très clair. Et puis, il n'y a pas eu de procès encore, mais il ne voit plus sa fille parce que son ex-femme. Et puis là, il y a beaucoup de noms d'oiseaux. Une situation extrêmement confuse. Et puis à un moment donné, je lui dis, monsieur, en fait, je ne comprends pas. Parce qu'il y avait quand même une décision de justice, mais là, il est en attente d'une autre décision de justice. Vraiment, l'histoire est très confuse. Et là, je lui dis non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas la décision de la juge de vous enlever totalement votre fille. Donc là, il me dit, il pense que j'adopte sa vision des choses. Il me dit, ah bah oui, voilà, c'est incompréhensible. De toute façon, il n'y en a que pour les femmes. Elles sont tout le temps favorisées. Je lui dis non, non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas. C'est pas cohérent, en fait. Entre ce que vous me décrivez de la situation et la décision de justice, il y a une incohérence. C'est-à-dire que c'est pas possible qu'on vous les retire par rapport à ce que vous me dites. Et je lui demande s'il a le document expliquant la décision de justice. Donc il met un petit peu de temps à me le donner, mais je lui dis, voilà, moi, j'écrirai pas sur une situation si je la comprends pas, si elle me semble incohérente. Parce que c'est aussi l'une des limites de mon travail, c'est que comme je ne m'adresse qu'au père, je rentre toujours évidemment un peu dans des histoires conjugales, souvent très complexes. Parce que souvent à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup plus rien n'est possible. C'est souvent comme ça que ça se décrit. Et là en l'occurrence je lis le jugement et en fait le jugement il fait état de... De violences sexuelles présumées sur son enfant. Donc là, moi, je me retrouve autour de la table en train de lire ça. Donc le monsieur m'explique que c'est faux. Je ne sais plus vraiment ce que je réponds à ce moment-là. Et puis, je finis par repartir. Mais ce n'était pas un moment très facile humainement. Parce qu'effectivement, j'avais ressenti pendant l'entretien une grande violence chez cet homme, en même temps beaucoup de détresse, enfin bref, c'était vraiment compliqué. Mais cette question de la violence, je l'amène par cette scène parce qu'elle est forte et qu'elle m'est apparue aussi de manière un peu brutale et violente, parce que je ne m'y attendais pas. Mais en fait, c'est une question colossale, c'est-à-dire qu'avant d'être urbaine, les violences, elles sont souvent intrafamiliales. Il y a eu une étude à Marseille qui a été réalisée par deux sociologues, Daphné Bibard et Laurent Mukieli. qui en fait se sont intéressés aux dossiers de jeunes pris en charge par la justice à Marseille. Ils ont épluché 500 cas de mineurs délinquants. Ils se sont intéressés à qui sont ces gamins en fait, qui sont ces jeunes, quel est leur contexte social, économique, qui sont leurs parents, etc. Ils se sont rendus compte que dans quasiment la moitié des cas, en fait, les gamins délinquants avaient été victimes de violences. C'est une banalité peut-être de le dire pour certains, mais c'est vrai que... Le fait de le montrer statistiquement comme ça, c'est implacable. Quand je suis revenu après avec tout ce matériau, avec tous ces visages et toutes ces histoires en tête à la rédaction, au début j'avais dans l'idée de construire deux articles. Un article très humain, la parole aux pairs, les pairs qui sont partis et qui parlent, en disant c'est mon travail de journaliste de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Pas pour être dans une forme de dialectique en disant ils ont raison face aux maires. Mon article n'est pas militant, c'est juste de dire leurs paroles n'existent pas dans le débat public, faisons-la exister et sans doute que ça nous amènera à mieux comprendre le phénomène. Mais pour aussi la contextualiser, je trouvais ça intéressant de l'accompagner d'un autre article statistique sur les pères absents. Ils sont combien ? C'est qui ? Combien de pères sont passés par la prison ? Enfin voilà, essayer de documenter ça. Parce qu'en fait, sans ces chiffres, on ne comprend pas quel est le problème. Par exemple, on parle des familles monoparentales. Mais en soi, que des enfants vivent avec un parent, ce n'est pas nécessairement mal. Qu'un enfant vive avec des adultes qui ne sont pas forcément son géniteur. Après la guerre, il y a plein de gens qui ont été élevés par leur mère et leur grand-mère. Il y a des personnes qui sont devenues des gens tout à fait équilibrés, qui n'ont pas manqué d'amour, etc. Même si leur père leur a manqué. L'idée, ce n'était surtout pas de juger des situations individuelles, mais par contre, de ne pas se tromper. C'est-à-dire qu'en France, 40,5% des enfants qui vivent dans une famille monoparentale sont pauvres. C'est-à-dire que quand on parle des familles monoparentales avec à leur tête une femme, on parle souvent de réalité précaire. Et du coup, l'enjeu de l'absence des pères, enfin en tout cas de la questionner, c'est un enjeu aussi qui est d'abord de sécurité matérielle, etc. On n'est pas que sur des questions d'équilibre psychologique ou éducatif. Et en fait, au bout d'un moment, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire deux articles. Un humain, un statistique, ça ne marchait pas. Pour comprendre vraiment cette réalité telle que je voulais la décrire, Il fallait mêler les deux. Il fallait à chaque fois qu'on ait une entrée très humaine, avec le visage de Gipetto, le visage d'autres pères, et puis à un moment donné, qu'on rappelle un peu les faits, qu'on redonne le contexte, qu'on monte un petit peu en généralité pour essayer de comprendre et de déconstruire aussi un peu des discours, je pense que voilà, au moment des émeutes liées à la mort de Néel, les discours politiques sur le retour à l'autorité, sur le besoin d'autorité dans les familles, etc. Quand on voit le niveau de violence dans certaines familles, on se demande si ces discours sont toujours bien ajustés. C'est-à-dire que, est-ce que des gamins qui n'ont pas de père ou qui ont un père absent, ou qui ont un père en prison, ou qui ont un père en grande précarité, est-ce que ce qui leur manque, c'est une sorte de père fouettard qui vient leur mettre des baffes, comme le suggérait un préfet très inspiré à ce moment-là, ou est-ce que ce qui leur a manqué, c'est tout simplement un parent aimant qui s'intéresse à qui ils sont et qui éventuellement partage une activité avec eux. et effectivement pose un cadre, mais ça fait partie de la parentalité. En tout cas, la manière d'en parler était à questionner aussi. C'est un article qui a été compliqué à écrire parce que c'était impossible de le terminer. Il n'y avait pas vraiment de fin à cet article, c'est-à-dire que je ne conclue pas en disant voilà ce qu'on pourrait faire, voilà comment ça pourrait mieux marcher. C'est un article qui est davantage descriptif, qui est là pour poser un problème. C'est un peu un article en forme de point d'interrogation. Et du coup, je me suis un peu retrouvé avec ma feuille et vraiment, je n'avais pas de fin, ça ne chutait pas. Et là, je me suis souvenu d'un témoignage que j'avais évacué. Parce que c'était un père qui se considérait comme absent, qui m'avait téléphoné et puis je lui avais dit Non, monsieur, vous n'êtes pas absent parce que vous ne l'avez jamais été. Cet homme, il s'appelle Philippe. Ce n'est pas le même que celui dont je parlais tout à l'heure, mais c'en est un autre à qui il a fallu que je dise Vous ne rentrez pas dans ma catégorie, même si votre histoire, elle est intéressante. En fait, je me suis rendu compte que ce père, il mérite d'être dans cet article. Il n'est pas absent. Donc, en fait, c'était vraiment une histoire très banale. C'est-à-dire qu'il y avait eu un divorce qui avait été très difficile pour lui. Les premières fois que ses enfants venaient chez lui, en fait, il avait beaucoup de mal à ne pas pleurer. Et du coup, il n'arrivait pas à être père. Mais ça a duré deux mois et après, ça s'est résorbé. Au début, je me suis dit, bon, je veux dire, humainement, ce que vit cet homme est évidemment bouleversant, mais je ne vois pas très bien en quoi c'est de nature à être une information intéressante, etc. Et en fait, j'ai relu un peu mes notes et à un moment donné, il me dit, voilà, j'ai pas été un père absent, peut-être, mais j'aurais pu le devenir. Et l'une des choses qui l'a aidé à ne pas être absent... C'est en fait son propre père à lui et ses parents qui, au début, quand ses enfants venaient chez lui et que lui, il n'arrivait pas à être père avec ses deux enfants, qui étaient petits en plus, tout seul, il venait en mode relais et il me raconte cette scène, sur laquelle je termine cet article, où ces deux enfants passent la porte et puis il y a son père à lui qui dit, bon, les enfants, qui veut aller cueillir des pommes avec papy ? Du coup, je me suis rendu compte que le seul élément, en tout cas l'un des éléments un peu de solution qu'il y avait, c'est que... Souvent, les Pères, ce qui les a aidés à ne pas être absents, en dehors d'un modèle, puis d'éviter d'être dans la précarité ou d'autres contextes plus violents, c'est en fait d'avoir des relais, des personnes relais, une sorte d'aide extérieure. Je trouvais que c'était une belle manière de conclure. Merci

Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 20.


En 2020, une famille française sur quatre était composée d’un parent seul et dans 80 % des cas, il s’agissait de la mère. "Où sont passés les pères ?", s’est interrogé Mikael Corre, journaliste à "La Croix l’hebdo". Pour tenter de répondre à cette question, il a rencontré des hommes qui n’ont plus de contacts avec leurs enfants. En recueillant leurs paroles, il souhaitait comprendre, sans juger ni excuser, ce qui les a conduits à délaisser leur foyer.


► Retrouvez le récit de Mikael Corre : https://www.la-croix.com/new-articles/ou-sont-les-peres-enquete-sur-ces-hommes-qui-ont-abandonne-leurs-enfants-20231114


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Mars 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

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    Souvent, à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup, plus rien n'est possible.

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    Michael Corr est journaliste à la Croix-L'Hebdo. Pendant plusieurs semaines, il a recueilli le témoignage de pères qui ne sont plus en contact avec leurs enfants. À chaque fois, il a cherché à comprendre leur situation sans les juger ni les excuser. Dans ce podcast, un journaliste de la Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

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    Bonjour, je m'appelle Mickaël Corr et je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo. L'enquête que je vais vous raconter, en fait, son idée, elle est née dans un train qui me ramenait de Mulhouse. Et j'étais avec mon éditrice, Victoire Lematt, on venait de faire une rencontre dans une librairie sur le thème de la police. Et en fait, on parlait d'un article qui venait de paraître sur les mères isolées, les mères qui élèvent seules leurs enfants. Et donc, Victoire Lematt me dit, en fait, on entend toujours parler des mères, on entend toujours... parler les mères, mais en fait on n'entend jamais les pères. Qu'est-ce qu'ils ont à dire, pourquoi ils sont partis, etc. Je trouvais que la question était excellente, d'une part parce que c'est vrai, et d'autre part parce que c'est un article que je n'ai jamais lu. Et comme beaucoup d'idées excellentes, je l'ai oublié. On est arrivé à Paris, la vie a repris son cours, je me suis mis sur d'autres articles. Et en fait, cette idée, elle m'est revenue lors d'une conférence de rédaction à la Croix-Lep-Dôme. Donc, c'est ces moments où on est tous autour de la table avec les chefs, tous les rédacteurs, les concepteurs graphiques aussi, les responsables de la photo. Puis on réfléchissait à ce qu'on allait faire en lien avec les émeutes de l'été 2023, puisqu'il y avait un jeune, donc Naël Merzou, de 17 ans, qui avait été... Tuer par un tir policier après un refus d'obtempérer, ça avait généré des violences urbaines ? Et à ce moment-là, on s'était remis à parler dans la presse, dans certains articles, du fait que beaucoup de jeunes qui avaient pris part à ces violences urbaines vivaient en fait dans des familles monoparentales. Et les chiffres nous sont arrivés d'ailleurs un peu après l'été du ministère de la Justice sur les un peu plus de 1000 jeunes interpellés lors de ces violences. En fait, il y en a une forte proportion, trois fois supérieure à la moyenne nationale, qui vit seulement avec un seul parent et en fait dans 80% des cas. C'est seulement la mère. Du coup, je me suis reposé la question de Victoire, je l'ai proposée et on est parti du coup de cette question-là. Où sont les pères ? Avec cette idée que le but dans cet article, c'était de rencontrer des hommes qui avaient abandonné leurs enfants ou qui, pour une raison ou pour une autre, ne vivaient plus avec eux et de les faire parler pour comprendre pourquoi, comprendre quelle est leur sociologie, etc. L'idée a tout de suite suscité un certain enthousiasme à la rédaction, ce qui est toujours bon signe vu que mes chefs et mes collègues sont mes premiers lecteurs. Le seul problème, c'est que j'ai passé une première semaine un petit peu difficile parce que je n'en trouvais pas. Il n'existe pas en France d'association de pères absents ou d'amicales des pères qui ont abandonné leurs enfants. Les seuls pères qu'on trouve dans ce cas-là, ce sont des pères qui se battent pour obtenir un droit de visite sur leurs enfants dans le cas de situations extrêmement compliquées et conflictuelles dans le couple. Mais en fait, c'était un petit bout de la lorniette. Moi, je voulais de manière beaucoup plus massive voir aussi des hommes qui sont tout simplement partis. Et donc, j'ai cherché sur des forums, sur Internet, sur les réseaux sociaux, etc. Je n'en ai pas trouvé. J'ai fait un appel à témoins dans le journal en disant, voilà, je cherche des hommes qui sont pères, qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. J'ai eu beaucoup de retours, mais beaucoup de retours hors sujet, mais qui sont quand même touchants. Il faut les raconter, c'est-à-dire des... Des hommes qui, parce qu'ils ont travaillé, par exemple, dans la marine marchande, m'ont appelé en me disant mais en fait, voilà, j'ai pas toujours été aussi présent que je voulais pour mes enfants. Et moi, avant d'être journaliste, je suis sociologue, donc quand je travaille sur des concepts, mon but, c'est qu'ils m'aident à travailler. C'est pas qu'ils soient vrais tout le temps, ou c'est pas de dire aux gens comment ils doivent vivre leur vie. Donc en fait, ces pères-là, je leur disais mais en fait, quand moi je mets le terme père absent c'est pas pour juger des situations. C'est-à-dire que moi, je cherche des pères qui ne payent pas de pension alimentaire, qui ne sont vraiment pas là, qui n'ont aucun lien. Donc vous, vous n'êtes peut-être pas aussi présent que vous auriez voulu, mais en fait, vous avez participé financièrement à l'éducation de vos enfants. Je ne sais pas, vous aviez un lien avec eux ? Ah bah oui, je leur écrivais toutes les semaines. Je leur disais, monsieur, je suis au regret de vous annoncer que d'après ma définition dans cet article, vous n'êtes pas un père absent. Voilà, même si évidemment, réfléchir à... Comment on a élevé ces enfants ? C'est des questions intéressantes, mais ce n'était pas le sujet de cet article. J'ai commencé à trouver mes premiers pères absents. Le premier que j'ai trouvé, son surnom c'est Gipetto, c'est comme ça que j'en parle dans l'article. Et je l'ai trouvé à Place d'Italie en micro-trottoir. Je me souviens, c'était un jour, il commençait à pleuvioter, et puis c'est vers 14h, ça faisait une semaine et demie que je ne trouvais personne. Du coup, je suis parti du travail et je me suis dit, je vais aller dans la rue, et tous les hommes que je rencontre, je vais leur poser la question, est-ce que vous êtes un père absent ? Alors il a fallu que je rôde un peu mon discours, parce qu'il ne fallait pas que les pères soient effrayés tout de suite. Dès que je voyais des hommes en âge de procréer, je leur posais la question et puis je leur disais, voilà, est-ce que vous êtes père ? Je cherche des pères qui, pour une raison ou pour une autre, n'ont plus de lien avec leurs enfants. Le premier élément d'enquête, parce qu'au final, je pense que j'ai fait l'équivalent d'une bonne semaine en temps plein de micro-trottoirs. Donc j'en ai fait à Paris, au HAL, à Place d'Italie, à Brest. Et en moyenne, je rencontrais un père absent par heure. Voilà, je ne sais pas si c'est beaucoup, pas beaucoup. En tout cas, ce n'était pas très dur d'en trouver. Après, ce qui était plus compliqué, c'était d'en trouver qui acceptent d'en parler avec moi. Il y a beaucoup de pères absents qui ont pris mon numéro de téléphone et qui m'ont promis qu'ils me rappelleraient, qu'on prendrait rendez-vous et qu'on se verrait. Une bonne vingtaine. En fait, il n'y en a aucun qui l'a fait. Personne ne m'a jamais rappelé. Et les seuls pères qui m'ont parlé, au total, il y en a une dizaine. Certains que j'ai aussi trouvé, un par l'appel à témoins dans la Croix et un autre aussi via une association ATD Quart Monde. Mais en fait, ceux qui m'ont parlé, c'est des gens qui ont accepté de me parler tout de suite. Je les ai rencontrés, puis ils ont pris une heure de leur temps ou deux heures et on a discuté. Je me souviens d'un père assez jeune, un trentenaire, qui m'a dit, ben voilà, moi j'ai pas été père en fait. Parce qu'un père c'est quelqu'un qui est présent, si on n'est pas présent on n'est pas père, donc avec un regard extrêmement dur sur lui-même. Et tout de suite il m'a appris de son propre père qui était absent, enfin en même temps voilà, il m'a dit j'ai pas appris à être père. Et en fait ce que j'ai trouvé incroyable dans cette enquête c'est que... Moi, j'ai choisi le sujet. Enfin, je ne l'ai même pas choisi puisque c'est né de cette discussion dans le train. Mais ensuite, les problématiques sociales, les questions qui ont émergé dans l'enquête, en fait, elles émergeaient vraiment du discours des pères. C'est-à-dire que cette personne, par exemple, me disait moi, je n'ai pas réussi à être père parce que mon père n'a jamais été un père avec moi Et en fait, ce qui est intéressant, c'est que j'ai ensuite essayé de creuser dans la statistique et je me suis rendu compte qu'il y avait une étude de l'INED, donc l'Institut national des études démographiques, qui montre qu'après une séparation, il y a un enfant sur cinq qui ne voit plus son père. Et en fait, quand on parle de pères qui eux-mêmes n'ont pas eu de père, là on n'est plus à 1 sur 5, on est quasiment à 1 sur 2. C'est-à-dire que le fait qu'un homme ait eu une relation avec son père va vraiment déterminer, après une séparation, s'il a une relation avec son fils. Et ce qui est fou dans ces statistiques, c'est qu'il y a une grande différence en termes de classe sociale. C'est-à-dire qu'il y a beaucoup plus d'ouvriers qui n'ont pas de relation avec leur père que de cadres, par exemple. À chaque fois que je rencontrais comme ça des personnes, j'essayais ensuite d'aller creuser les problématiques sociales qui émergeaient. Et les deux premières qui ont émergé, et ce n'est pas celles auxquelles je pensais, parce que quand on pense au père absent, on pense beaucoup plus à la question de l'autorité, à la question de l'évolution de notre société, la place du père. C'est souvent ça, en fait, dans les articles qu'on lit sur ce sujet. Et la première personne que j'ai rencontrée à Place d'Italie, dont j'en parlais, c'est Gipetto. Gipetto, il m'a dit, moi, en fait, il m'a raconté une situation de... Deux couples extrêmement compliqués, sur fond de grande précarité et de violence. Et en fait, lui, ce qui a vraiment coupé sa relation à son fils, ce qu'il n'a pas vu depuis neuf ans, c'est la prison. C'est une réalité à laquelle on ne pense pas, mais il y a à peu près 70 000 hommes en prison. Et d'après les chiffres de l'administration pénitentiaire, à peu près la moitié d'entre eux sont pères. Et donc, ça pose la question du maintien des liens familiaux en prison et en particulier dans les maisons d'arrêt, là où il y a des courtes peines, où en fait, la rencontre avec des enfants, y compris en bas âge, se fait uniquement au parloir, donc dans les conditions qu'on imagine. Autre problématique qui est apparue comme ça, c'est un homme que j'ai rencontré et qui était sergent-chef dans l'armée. Et suite au suicide de sa femme, il s'est retrouvé criblé de dettes. Et puis du coup, il me raconte qu'il a été voir une juge et puis il lui a dit, voilà, placez mes filles. De toute façon, moi, je... Je ne peux pas m'en occuper, faites de moi ce que vous voulez, mais je tiens à ce que mes filles soient placées ensemble. Et donc lui, il s'est complètement désengagé de cette parentalité qu'il n'arrivait plus à assumer, que ce soit financièrement et aussi émotionnellement à ce moment-là. Et donc il raconte ça, et en fait, là-dessus c'est pareil. C'est-à-dire que c'est un petit peu comme la prison, la grande précarité, on n'y pense pas, mais quand on voit les rapports de la Fondation Abbé Pierre année après année, le nombre de personnes à la rue, continue d'augmenter année après année. Et en fait, comme la prison, la grande précarité, c'est essentiellement une réalité masculine. C'est en majorité des hommes qui sont dans la rue. Et en fait, ces hommes, certains ont des enfants qui ne vivent pas avec eux. Alors c'est pareil, j'ai essayé de retrouver des statistiques, ce n'est pas toujours facile, mais c'est quand même énormément de gens. Ça concerne énormément d'enfants. Et on se rend compte que finalement, la famille, on a souvent tendance à projeter sur ces problématiques sociales. des analyses un peu éducatives ou psychologiques ou d'évolution de la société, mais en fait, la famille n'est que le creuset de problématiques plus larges. Et la prison, c'est tellement pas déconnecté du sujet que, dans le cas de Naël Merzouk, dont je parlais tout à l'heure, ce jeune qui a été tué à Nanterre d'un tir policier, lui-même, il n'avait plus de contact avec son père. Et son père, il a donné une interview durant l'été à l'agence France Presse expliquant que les liens avec son fils s'étaient complètement coupés. au moment d'un passage en prison. Et d'ailleurs, la statistique, quand je parle de 70 000 hommes en prison, c'est un instant T. Mais la statistique que je n'ai pas réussi à trouver, c'est le nombre d'hommes passés par la prison. Parce que ce n'est pas parce qu'un homme est sorti de prison qu'il va forcément renouer avec son fils ou avec sa fille dès qu'il sort de prison. Une autre problématique sociale qui a émergé, là j'étais dans la banlieue d'une ville française en train de discuter avec un père. On est autour de la table. Ce père, c'est un grand colosse qui me reçoit en robe de chambre. Et on parle du fait qu'il y a eu une plainte à la gendarmerie, mais ce n'est pas très clair. Et puis, il n'y a pas eu de procès encore, mais il ne voit plus sa fille parce que son ex-femme. Et puis là, il y a beaucoup de noms d'oiseaux. Une situation extrêmement confuse. Et puis à un moment donné, je lui dis, monsieur, en fait, je ne comprends pas. Parce qu'il y avait quand même une décision de justice, mais là, il est en attente d'une autre décision de justice. Vraiment, l'histoire est très confuse. Et là, je lui dis non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas la décision de la juge de vous enlever totalement votre fille. Donc là, il me dit, il pense que j'adopte sa vision des choses. Il me dit, ah bah oui, voilà, c'est incompréhensible. De toute façon, il n'y en a que pour les femmes. Elles sont tout le temps favorisées. Je lui dis non, non, mais monsieur, en fait, je ne comprends pas. C'est pas cohérent, en fait. Entre ce que vous me décrivez de la situation et la décision de justice, il y a une incohérence. C'est-à-dire que c'est pas possible qu'on vous les retire par rapport à ce que vous me dites. Et je lui demande s'il a le document expliquant la décision de justice. Donc il met un petit peu de temps à me le donner, mais je lui dis, voilà, moi, j'écrirai pas sur une situation si je la comprends pas, si elle me semble incohérente. Parce que c'est aussi l'une des limites de mon travail, c'est que comme je ne m'adresse qu'au père, je rentre toujours évidemment un peu dans des histoires conjugales, souvent très complexes. Parce que souvent à l'origine de l'abandon ou du père qui s'efface, il y a une forme d'amalgame ou en tout cas de fusion entre la réalité conjugale et la réalité parentale. C'est le couple qui part en vrille et du coup plus rien n'est possible. C'est souvent comme ça que ça se décrit. Et là en l'occurrence je lis le jugement et en fait le jugement il fait état de... De violences sexuelles présumées sur son enfant. Donc là, moi, je me retrouve autour de la table en train de lire ça. Donc le monsieur m'explique que c'est faux. Je ne sais plus vraiment ce que je réponds à ce moment-là. Et puis, je finis par repartir. Mais ce n'était pas un moment très facile humainement. Parce qu'effectivement, j'avais ressenti pendant l'entretien une grande violence chez cet homme, en même temps beaucoup de détresse, enfin bref, c'était vraiment compliqué. Mais cette question de la violence, je l'amène par cette scène parce qu'elle est forte et qu'elle m'est apparue aussi de manière un peu brutale et violente, parce que je ne m'y attendais pas. Mais en fait, c'est une question colossale, c'est-à-dire qu'avant d'être urbaine, les violences, elles sont souvent intrafamiliales. Il y a eu une étude à Marseille qui a été réalisée par deux sociologues, Daphné Bibard et Laurent Mukieli. qui en fait se sont intéressés aux dossiers de jeunes pris en charge par la justice à Marseille. Ils ont épluché 500 cas de mineurs délinquants. Ils se sont intéressés à qui sont ces gamins en fait, qui sont ces jeunes, quel est leur contexte social, économique, qui sont leurs parents, etc. Ils se sont rendus compte que dans quasiment la moitié des cas, en fait, les gamins délinquants avaient été victimes de violences. C'est une banalité peut-être de le dire pour certains, mais c'est vrai que... Le fait de le montrer statistiquement comme ça, c'est implacable. Quand je suis revenu après avec tout ce matériau, avec tous ces visages et toutes ces histoires en tête à la rédaction, au début j'avais dans l'idée de construire deux articles. Un article très humain, la parole aux pairs, les pairs qui sont partis et qui parlent, en disant c'est mon travail de journaliste de donner la parole à ceux qui ne l'ont pas. Pas pour être dans une forme de dialectique en disant ils ont raison face aux maires. Mon article n'est pas militant, c'est juste de dire leurs paroles n'existent pas dans le débat public, faisons-la exister et sans doute que ça nous amènera à mieux comprendre le phénomène. Mais pour aussi la contextualiser, je trouvais ça intéressant de l'accompagner d'un autre article statistique sur les pères absents. Ils sont combien ? C'est qui ? Combien de pères sont passés par la prison ? Enfin voilà, essayer de documenter ça. Parce qu'en fait, sans ces chiffres, on ne comprend pas quel est le problème. Par exemple, on parle des familles monoparentales. Mais en soi, que des enfants vivent avec un parent, ce n'est pas nécessairement mal. Qu'un enfant vive avec des adultes qui ne sont pas forcément son géniteur. Après la guerre, il y a plein de gens qui ont été élevés par leur mère et leur grand-mère. Il y a des personnes qui sont devenues des gens tout à fait équilibrés, qui n'ont pas manqué d'amour, etc. Même si leur père leur a manqué. L'idée, ce n'était surtout pas de juger des situations individuelles, mais par contre, de ne pas se tromper. C'est-à-dire qu'en France, 40,5% des enfants qui vivent dans une famille monoparentale sont pauvres. C'est-à-dire que quand on parle des familles monoparentales avec à leur tête une femme, on parle souvent de réalité précaire. Et du coup, l'enjeu de l'absence des pères, enfin en tout cas de la questionner, c'est un enjeu aussi qui est d'abord de sécurité matérielle, etc. On n'est pas que sur des questions d'équilibre psychologique ou éducatif. Et en fait, au bout d'un moment, je me suis rendu compte que je ne pouvais pas faire deux articles. Un humain, un statistique, ça ne marchait pas. Pour comprendre vraiment cette réalité telle que je voulais la décrire, Il fallait mêler les deux. Il fallait à chaque fois qu'on ait une entrée très humaine, avec le visage de Gipetto, le visage d'autres pères, et puis à un moment donné, qu'on rappelle un peu les faits, qu'on redonne le contexte, qu'on monte un petit peu en généralité pour essayer de comprendre et de déconstruire aussi un peu des discours, je pense que voilà, au moment des émeutes liées à la mort de Néel, les discours politiques sur le retour à l'autorité, sur le besoin d'autorité dans les familles, etc. Quand on voit le niveau de violence dans certaines familles, on se demande si ces discours sont toujours bien ajustés. C'est-à-dire que, est-ce que des gamins qui n'ont pas de père ou qui ont un père absent, ou qui ont un père en prison, ou qui ont un père en grande précarité, est-ce que ce qui leur manque, c'est une sorte de père fouettard qui vient leur mettre des baffes, comme le suggérait un préfet très inspiré à ce moment-là, ou est-ce que ce qui leur a manqué, c'est tout simplement un parent aimant qui s'intéresse à qui ils sont et qui éventuellement partage une activité avec eux. et effectivement pose un cadre, mais ça fait partie de la parentalité. En tout cas, la manière d'en parler était à questionner aussi. C'est un article qui a été compliqué à écrire parce que c'était impossible de le terminer. Il n'y avait pas vraiment de fin à cet article, c'est-à-dire que je ne conclue pas en disant voilà ce qu'on pourrait faire, voilà comment ça pourrait mieux marcher. C'est un article qui est davantage descriptif, qui est là pour poser un problème. C'est un peu un article en forme de point d'interrogation. Et du coup, je me suis un peu retrouvé avec ma feuille et vraiment, je n'avais pas de fin, ça ne chutait pas. Et là, je me suis souvenu d'un témoignage que j'avais évacué. Parce que c'était un père qui se considérait comme absent, qui m'avait téléphoné et puis je lui avais dit Non, monsieur, vous n'êtes pas absent parce que vous ne l'avez jamais été. Cet homme, il s'appelle Philippe. Ce n'est pas le même que celui dont je parlais tout à l'heure, mais c'en est un autre à qui il a fallu que je dise Vous ne rentrez pas dans ma catégorie, même si votre histoire, elle est intéressante. En fait, je me suis rendu compte que ce père, il mérite d'être dans cet article. Il n'est pas absent. Donc, en fait, c'était vraiment une histoire très banale. C'est-à-dire qu'il y avait eu un divorce qui avait été très difficile pour lui. Les premières fois que ses enfants venaient chez lui, en fait, il avait beaucoup de mal à ne pas pleurer. Et du coup, il n'arrivait pas à être père. Mais ça a duré deux mois et après, ça s'est résorbé. Au début, je me suis dit, bon, je veux dire, humainement, ce que vit cet homme est évidemment bouleversant, mais je ne vois pas très bien en quoi c'est de nature à être une information intéressante, etc. Et en fait, j'ai relu un peu mes notes et à un moment donné, il me dit, voilà, j'ai pas été un père absent, peut-être, mais j'aurais pu le devenir. Et l'une des choses qui l'a aidé à ne pas être absent... C'est en fait son propre père à lui et ses parents qui, au début, quand ses enfants venaient chez lui et que lui, il n'arrivait pas à être père avec ses deux enfants, qui étaient petits en plus, tout seul, il venait en mode relais et il me raconte cette scène, sur laquelle je termine cet article, où ces deux enfants passent la porte et puis il y a son père à lui qui dit, bon, les enfants, qui veut aller cueillir des pommes avec papy ? Du coup, je me suis rendu compte que le seul élément, en tout cas l'un des éléments un peu de solution qu'il y avait, c'est que... Souvent, les Pères, ce qui les a aidés à ne pas être absents, en dehors d'un modèle, puis d'éviter d'être dans la précarité ou d'autres contextes plus violents, c'est en fait d'avoir des relais, des personnes relais, une sorte d'aide extérieure. Je trouvais que c'était une belle manière de conclure. Merci

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