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L'envers du récit

Pourquoi j’ai fait un jeûne spirituel

Pourquoi j’ai fait un jeûne spirituel

22min |13/02/2024
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22min |13/02/2024
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Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 18.


Stéphane Bataillon est grand reporter à "La Croix L’Hebdo". À l’occasion de ce Carême 2024, il a choisi de suivre une session de jeûne d’une semaine, organisée par le père Jean-Luc Souveton à l’abbaye de Pradines, dans le département de la Loire. Son but n’était pas de faire une enquête sur cette pratique, mais de raconter, au jour le jour, les sensations qui l’ont traversé durant cette période de privation.


► Retrouvez le récit de Stéphane Bataillon : https://www.la-croix.com/religion/podcast-careme-2024-pourquoi-j-ai-fait-un-jeune-spirituel-20240214


► Découvrez également notre grande enquête "A table ! Nourrir et se nourrir" :


Production et distribution des denrées, mondialisation des régimes alimentaires, inégalité et éducation nutritionnelles, pratiques religieuses : sur fond de crise agricole et alors que débute le temps du Carême, notre manière de nous alimenter, individuellement et collectivement, révèle plus que jamais notre rapport au monde et au sacré. "La Croix" vous propose pendant deux semaines d’aller à la rencontre de celles et ceux qui nous nourrissent, corps et âme : https://www.la-croix.com/france/a-table


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • #0

    Je suis très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie.

  • #1

    Stéphane Bataillon est journaliste à l'Arc-Malekdo. À l'occasion du carême, il a réalisé un jeûne d'une semaine organisé à l'abbaye de Pradlun, près de Rouen. Une expérience à la fois physique et spirituelle qu'il a choisi de raconter à la première personne. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #0

    Je m'appelle Stéphane Bataillon, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo et à l'occasion du carême, je suis parti faire un jeûne d'une semaine dans une abbaye. On a eu l'idée de ce reportage, on voulait réagir un peu sur cet événement qui revient chaque année, qui est important, sachant que le quotidien va faire beaucoup de papier dessus. L'Hebdo, on voulait trouver une façon un peu différente de le faire, ce qui n'est jamais évident parce qu'on a un peu tout dit sur le jeûne, nos lecteurs ont déjà lu beaucoup de choses là-dessus. J'ai eu l'idée de faire un peu comme l'Ecran. L'année dernière, j'étais parti une semaine dans un monastère en Bretagne, à Lendevenec, pour faire ma première retraite silencieuse. J'ai eu l'idée, comme je n'ai jamais fait de jeûne, de refaire un peu la même chose, de repartir dans un endroit pendant une longue durée et de raconter un peu ce qui m'arrivait au plus près de mes émotions, qui forcément sont personnelles, j'espère que ça peut toucher les autres. C'était une manière aussi de ne pas rentrer dans des définitions qu'on a déjà lues ou qu'on a déjà vues, pour ceux qui s'y intéressent. Le jeûne, c'est une pratique qui est revenue à la mode ces dernières années, qui touche bien au-delà des croyants, qui touche tout le monde. Il y a plein, plein, plein de manières de jeûner. Première grande différence, c'est un jeûne thérapeutique pour soigner une maladie, un surpoids. C'est des séjours qui coûtent généralement plusieurs milliers d'euros. Voilà, c'était pas l'idée. Et puis il y a le jeûne spirituel, qui là est beaucoup plus simple, un peu moins encadré, pas de batterie de médecin, qui a une dimension spirituelle forte, où il n'y a pas que le fait de jeûner, mais aussi... de retour sur la parole. Donc c'est ce jeûne spirituel que j'ai décidé de suivre. Mais comment le faire ? On peut faire un jeûne intermittent, c'est-à-dire on s'arrête de manger pendant un repas par semaine. On peut faire des jeûnes secs, pas d'eau et pas de nourriture pendant une longue durée. Et puis le jeûne que j'ai choisi, c'est un jeûne hydrique, c'est-à-dire pendant une période qui est là d'une semaine, on ne mange rien de solide, mais on boit à volonté de l'eau, des tisanes, avec... de légumes et un petit verre de jus de pomme bio par jour. J'ai fait un grand travail de documentation avant de partir, j'ai lu pas mal de livres, des livres à la fois spirituels et des livres de documentation sur la santé, le jeûne et la santé. Et je me suis aperçu qu'en fait cette question du jeûne, pratique millénaire, mais étudiée surtout depuis le XXe siècle au niveau santé, est encore grandement débattue par les médecins. Donc bien sûr il y a plutôt un a priori favorable, on montrerait que ça peut régénérer certaines parties du corps, tout ça, mais les études sont encore en cours. C'est en cours, c'est encore en discussion. Donc évidemment, les tenants du jeûne avancent des études scientifiques fabuleuses. Certains médecins disent que ce n'est pas complètement prouvé. Je n'ai pas voulu entrer dans ce débat-là. Je me suis dit que je vais tenter l'expérience. Ce qui est sûr, c'est qu'a priori, le type de jeûne que j'allais faire n'était pas dangereux pour la santé. Donc je me suis dit, je me renseigne là-dessus, ça m'intéresse, mais je ne vais pas faire une enquête contradictoire sur jeûne et santé. Je vais essayer vraiment de raconter mes émotions et de voir un peu ce qui se passe. Donc je me suis beaucoup documenté, mais j'ai essayé d'oublier ça une fois que je suis parti. Comme c'était un reportage pour le carême pour la croix, on s'est dit qu'il faut quand même un lieu spirituel, chrétien. Donc je me suis un peu renseigné. Au journal, plusieurs personnes connaissaient Jean-Luc Soufton, qui est prêtre du diocèse de Saint-Étienne et qui est un peu dans le milieu chrétien, le spécialiste du jeûne. Il a monté des assises du jeûne chrétien, de l'écologie, tout ça. Donc je l'ai contacté, je lui ai proposé mon projet. Et je lui ai dit, l'idée, ce n'est pas de faire un reportage sur vos sessions, mais c'est vraiment de venir comme un jeuneur lambda et de raconter ce qui se passe avant tout en moi. Ce qui tombait bien, parce que dans les sessions de Jean-Luc Souffeton, les gens viennent souvent pour décharger un peu ce qu'il y a de lourd dans leur vie. Ils ont besoin d'une semaine de pause et ils peuvent se dire des choses très intimes. Donc l'idée, ce n'était pas de venir mettre un œil comme ça de journaliste là-dedans, mais vraiment faire ce récit. Il a accepté la proposition, il connaît bien Lacroix, il a déjà écrit dans Lacroix, donc il avait une confiance préalable dans notre journal, ce qui a facilité le contact. Avant de partir faire une session de jeûne d'une semaine, il est très important de respecter un temps qu'on appelle la descente alimentaire. C'est finalement la phase de préparation la plus importante, sans quoi on risque d'avoir des problèmes si on arrête trop brutalement la nourriture. Nausées, maux de tête, tout ça. Je ne m'attendais pas à ce que cette descente alimentaire soit aussi importante. Dans les 15 jours précédant mon départ, j'ai arrêté quand même le café, la viande, l'alcool et petit à petit le poisson pour ne finir qu'à manger des légumes et un peu de riz. Ça m'a fait perdre 4 kilos. Donc déjà rien que ça, en m'y tenant vraiment assez fermement, j'ai tout de suite vu l'effet d'un nouveau rapport à son alimentation, sans parler de jeûne. Ça, c'était pour moi une première et satisfaction et surprise. Je ne pensais pas que ça pouvait aller si vite. C'était la seule préparation réelle avant de partir dans cette expérience-là. Mon expérience précédente en ABI, j'avais eu très très froid. C'était à peu près la même période, en janvier-février. Donc là, je me suis dit, je vais vraiment me préparer. Et donc, j'ai pris quatre seins pulls, une couette. J'ai vraiment bourré ma valise pour ne pas avoir froid parce que c'est ce qui m'avait fait le plus souffrir la dernière fois. Donc je pars, et coïncidence, je m'étais fait baptiser vendredi, deux jours avant mon départ pour le jeûne. Ce baptême était directement en lien avec mon précédent article, la retraite au monastère. C'était à cette occasion-là que j'avais pris la décision de sauter le pas et de confirmer mon identité protestante que j'ai depuis l'adolescence, mais n'étant pas baptisé. J'avais pas du tout prévu d'en parler dans mon article, mais il se trouve que l'organisation des sessions ont fait qu'il n'y avait que ce créneau-là, en fait, pour partir et être prêt-à-temps pour la publication de l'article. Et en fait, ça a tout changé, c'est-à-dire que cet événement personnel dans ma vie, qui était plutôt une confirmation de ma foi protestante par un baptême, qui avait donc pris un an à se concrétiser, qui est une autre histoire, qui est très personnelle. Mais le fait de partir faire un jeûne juste après a teinté cette expérience d'une dimension spirituelle que je n'envisageais pas forcément au départ. J'arrive à l'abbaye qui est à Pradine dans la région de Lyon. J'ai eu un problème de train et j'ai réussi à contacter les autres participants. J'ai tout de suite eu quelqu'un qui a pu venir me chercher à une autre gare. On a tout de suite sympathisé avec Lucas, qui s'inquiétait un peu d'arriver tout seul dans un groupe inconnu. Et en fait, ma proposition de venir me chercher l'a beaucoup aidé. Et ça a vraiment brisé la glace dès le début. Quand on est arrivé, l'abbaye de Pradine, on s'est retrouvé dans une salle qui n'était pas formidable. Une salle de retraitants, un réfectoire, assez quelconque. Et tout de suite, je me suis dit, mince, qu'est-ce qu'on va pouvoir montrer ? Alors le précédent article, j'avais travaillé avec un photographe qui s'appelle Stéphane Lavoué et qui avait fait un travail magnifique, personnel, sur le monastère où on était. Cette fois-ci, on n'avait pas prévu ça. C'était pas dans le même cadre. Là, j'entrais dans un groupe constitué. Dès le début, on s'est dit, ça va pas être la bonne stratégie de faire venir encore un second regard extérieur dans le groupe. Et avec Bruno, le directeur photo du journal, on a eu cette idée-là que je prenne les photos moi-même et qu'ensuite on illustre par autre chose, qui sont des dessins de presse. Quand on arrive avec Lucas, on est tout de suite pris dans un tourbillon qui ne va pas s'arrêter. Une des caractéristiques de cette semaine, c'était que pour nous empêcher de penser à ce qu'on n'allait pas manger, il y a des activités prévues de 7h du matin à 21h. Méditation, des temps de parole, de la gymnastique, des temps en groupe, des balades, deux heures de randonnée par jour. Assez intense, et ça commence dès la première minute. Le père Jean-Luc Souffeton nous demande de décharger tout ce qui va être nécessaire pour la semaine, les tapis de méditation, tout ça, et d'enchaîner tout de suite sur une première réunion de présentation. On n'a pas trop le temps de se poser dans une chambre, de voir un peu comment ça se passe. Alors quand même, je dépose mon sac, je m'assure qu'il y a un radiateur. Ça va, il fait chaud, donc c'est une grosse angoisse de moins. Et aussi, je savais que la première expérience à faire, c'était une purge. Quand on arrive, quand on arrête de manger, il faut purger son estomac. Et je me suis dit, mais on est 20 personnes, j'espère qu'il y a beaucoup de toilettes. Donc je vais voir en premier lieu les toilettes. Je me dis, ah non, il y en a plusieurs, ça va, il n'y aura pas de soucis. Donc je rentre dans la salle plutôt rassuré. Et donc là, tout le monde se présente. Et alors j'ai rencontré une vingtaine de personnes. En couple ou seul, en activité ou retraité, beaucoup de catholiques, pratiquants, mais tous très ouverts sur d'autres formes de spiritualité. Il y a de la méditation zen qui est prévue durant le séjour, ce qui n'est pas forcément commun dans une session spirituelle chrétienne. Donc des gens en confiance, beaucoup de gens qui ont déjà fait des jeunes. On est deux, trois dont c'est la première expérience. Et tout de suite, l'ambiance est plutôt bonne, très cadrée, sur un respect d'écoute qui, moi, m'a beaucoup marqué. Et je suis très, très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste... Le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie durant des longues sessions de deux heures de temps de parole où chacun peut parler librement et personne ne peut le couper. C'est très intéressant parce qu'on voit un peu que les gens, quand on leur laisse un champ libre, parfois disent deux, trois phrases, s'arrêtent, d'autres restent pendant une demi-heure à parler. Ça crée une qualité d'écoute incroyable. Et très rapidement, je me suis dit, je ne vais pas raconter un peu ce qui se passe précisément dans la vie de ces gens-là. Parce que justement, ils viennent ici pour se livrer devant d'autres personnes qui sont dans une écoute bienveillante, mais qui ne sont pas des amis. Et ça doit rester au sein du groupe de parole. Si je le raconte, déjà, ça n'aura pas d'intérêt pour le lecteur. Parce que finalement, c'est des conflits ou des problèmes qui sont très aigus pour les personnes. mais que tout le monde peut rencontrer, et ils ne font que dire le problème. Certains réagissent, donnent des pistes, tout ça, mais on est plutôt dans le besoin de, après avoir enlevé la nourriture de son corps, on sort les mots qui nous pèsent, qui pèsent sur l'estomac, qui pèsent dans le dos. Donc je décide de respecter ce temps intime et je leur dis, je dis écoutez, ne vous en faites pas, je suis journaliste, mais on gardera tout ce qui est ici pour nous. À la fin du reportage, j'ai demandé, mais c'est bizarre, on n'a pas pris de photo. Personne n'a pris de photo les uns des autres. Pourtant, on a vécu des moments sympas. Lors des randonnées, il y avait des éclats de rire, il y avait des partages intimes de la vie. Bon, personne ne prenait de photo et quelqu'un m'a dit, mais en fait, c'est vraiment pas le but. L'idée, c'est d'avoir une semaine vraiment à soi, où on peut se poser et ensuite repartir sans crainte. On peut reprendre nos masques sociaux. Donc j'aimais bien ça, mais professionnellement, ça me posait un problème. Le lieu n'était pas fabuleux, l'abbaye est très belle, mais cette salle de retraitant est un peu quelconque. Et les personnes n'ont pas trop envie d'être prises en photo. Donc comment je vais pouvoir illustrer l'article au final ? Je me suis souvenu d'un article de Society qui traitait d'un fait divers dont on n'avait pas vraiment retrouvé les protagonistes. Et ils avaient fait le choix d'illustrer une dizaine de pages d'enquête par des photos des lieux du fait divers, mais vides. Et je me suis dit, peut-être que c'est intéressant de jouer avec le vide du jeune. On enlève quelque chose d'important, on a un espace à soi, un temps qu'on a jamais. et de le traduire en photo. Donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai pris tous les éléments qui étaient à ma disposition, simplement comme des polaroïds un peu. Vide. Ça allait du verre de jus de pomme à ce qui m'a servi pour la purge, le magnésium, un tapis de méditation, l'intérieur de l'abbaye, l'église. mais juste comme ça, sans personne. Et puis, on a complété ça par des dessins d'humour. C'est Quentin Vijoux qui fait les dessins. C'était aussi un moyen de remettre les pieds sur terre et de créer un petit décalage qui ne gâche pas la sincérité du témoignage, mais qui permet d'enjoliver un peu, peut-être d'accueillir un peu plus le lecteur encore dans l'expérience intime, par le dessin. Pendant la semaine de jeûne, j'ai suivi le programme classique qui est assez simple, c'est-à-dire on ne mange rien, on peut boire des tisanes, c'est tout. Et je me suis étonné à ne pas avoir faim. Je n'ai pas eu faim une seule fois durant toute la semaine. Et non seulement je n'ai pas eu faim, mais je n'ai pas eu les effets qui sont nausées, probables maux de tête, étourdissements qui peuvent arriver. Parce qu'au bout de deux jours, on a ce qu'on appelle la crise d'acidose, c'est-à-dire que le corps commence à puiser. des ressources dans les graisses. Et ça, ça peut provoquer beaucoup de maux différents. Comme j'avais très bien respecté la descente alimentaire, ces effets ont été atténués. Et en fait, je n'ai pas ressenti de gêne ou de souffrance, contrairement à certains participants qui avaient mal fait cette descente, qui ne l'avaient pas fait assez longuement, et qui là, forcément, la privation de nourriture, ton corps réagit tout de suite. Ça ne m'arrangeait pas trop, parce que si moi il ne m'arrivait rien, qu'est-ce que j'allais raconter ? Et en fait, cette angoisse est montée de jour en jour, puisque pour moi, je vivais complètement normalement. Sauf que le temps était un peu différent. C'est vrai que de ne pas avoir de temps de repas, ça désoriente un peu. Et du coup, il n'y a plus de séparation entre le matin et l'après-midi, par exemple. On ne sait pas trop quand commence la soirée. Donc la fatigue s'accumulant, parce que c'était quand même fatigant. Au bout du quatrième jour, j'étais un peu dans l'évap'. Pas de souffrance, mais un peu comme ça. Ça s'est très bien passé. rythmé par ces temps de parole qui, plus le séjour avançait, plus l'intimité entre nous grandissait. Mais une intimité avec toujours une distance. Il y avait une sorte de respect très important qui fait que chacun pouvait vivre son jeûne, non pas en solitaire, mais vraiment à l'écoute de son corps, et régler éventuellement ses questions, ses problèmes, qui ont souvent besoin juste de temps de pause et de formulation pour s'exprimer. J'ai ressenti à un moment, à la fin du séjour, ce qu'a dit une des participantes. Elle a dit je me sens un peu coupable parce que moi tout va bien dans ma vie Et moi qui étais là pour des raisons professionnelles, je me suis dit moi aussi en fait, j'ai pas grand chose à dire parce que moi tout va plutôt bien. J'ai quand même admis quelque chose que j'ai redécouvert tout au long de cette semaine. Par la gymnastique et la méditation, c'était que j'étais un peu coupé de mon corps. Étant dans un métier très intellectuel, ne faisant pas de sport outre mesure, je me suis rendu compte, on avait deux heures de gymnastique tous les jours, que finalement je n'écoutais pas assez mon corps. Je n'ai pas de réponse, mais ça m'a intrigué sur mon rapport à cette absence de faim, à cette absence de réaction, de sensation. La fin du séjour s'est passée avec une interrogation. Le jeune s'est enlevé des choses dans sa vie. Comment parler d'un espace libre ? Comment parler d'un espace vide ? Que raconter quand finalement on a juste moins ? que dans la vie quotidienne normale. Et qu'on ne veut pas non plus trahir les confidences des autres. Et là, je pense que mon cheminement personnel, spirituel, le baptême a joué. J'ai décidé de faire confiance, en fait. Je me suis dit, je me laisse aller, ça va bien se passer. Je vais écrire. Je vais essayer de rester au plus près des émotions, au plus près aussi de la pudeur. d'expliquer cette pudeur-là, et de faire quelque chose de très incarné, de très personnel, ce qui n'est pas du tout le style de la croix d'habitude. Donc je prends un risque, c'est d'entrer dans une sorte de... de nombrilisme de personnes qui... un journaliste lambda qui se raconte, ça peut choquer. Moi, ça me gêne parfois, de lire des choses comme ça, quand je vois que la personne se met trop en avant, tout ça. Et j'ai pas envie, parce que l'idée, c'était justement de raconter quelque chose qui donne aussi envie au lecteur, quelque part, de tenter l'expérience pour lui. Donc j'ai essayé d'user un peu d'humour, d'autodérision, de me mettre un peu en situation réelle, de doute, de micro-échecs, de maladresse parfois, pour lutter contre quelque chose aussi qu'une amie m'avait dit avant de partir, une amie qui avait fait des jeûnes, et qui m'avait dit c'est formidable, mais il faut faire attention au démon de la pureté Elle avait dit tu termines le jeûne, il peut y avoir un sentiment d'être... Comme on est un peu étourdis, un peu illuminés, un peu tout ça. Donc l'humour c'était aussi un moyen de rester les pieds sur terre. Et c'est vrai que comme moi il ne s'était rien passé de négatif durant le séjour, j'avais presque envie de continuer à la fin du jeûne, à jeûner. Cette idée s'est très vite terminée, parce que dès que je suis arrivé à la gare en fait... J'ai vu une salade, une salade de lentilles, et là je me suis senti salivé pour la première fois. C'est marrant. Revenir dans le monde, en tout cas hors de ce groupe où on était là pour ça, tout de suite mon corps a réagi en disant j'ai faim Résultat de l'opération, j'ai quand même perdu 8 kilos sur les 3 semaines, que j'ai hélas repris en grande partie 2 mois plus tard. Ça, on m'avait aussi prévenu, on m'avait dit, attention. Il faut le faire chaque année pour que ça ait vraiment un effet sur le poids. Donc physiquement, je suis content de moi, parce que c'est quand même bien de perdre un peu de poids comme ça. C'est spirituellement que ça a changé, et surtout dans mes habitudes de consommation. C'est-à-dire que je me rends compte que je mange plus de légumes qu'avant. Je fais beaucoup plus attention à la manière dont je mange, à mâcher lentement, à prendre en considération ce que j'ingurgite. Et aussi, je pense, un peu un rapport avec mon corps qui est pacifié. Je ne suis plus juste dans le haut de la tête. C'est encore très neuf, donc je ne sais pas ce que ça va donner. Mais cette expérience, en fait, m'a apporté beaucoup. Ça m'a apporté aussi beaucoup de rencontres. On est resté très en contact avec les participants du stage. Il y a eu des très beaux moments. Donc ça, c'est toujours, je dirais, le cœur de ce métier. C'est d'aller rencontrer des gens, d'aller échanger des expériences. C'est pour ça que j'aime faire ce métier de journaliste, de découvrir des nouvelles émotions, des nouvelles lignes de vie. Et je pense qu'en fait, j'ai envie de continuer ça. Finalement, pourquoi je m'intéresse aux spiritualités, c'est pas tant dans une visée encyclopédique ou de savoir. Ce qui m'intéresse, en fait, c'est de formuler les émotions que les gens ressentent dans cette dimension spirituelle de l'existence. C'est pas pour en défendre l'une ou l'autre, je suis prêt à aller voir un peu... Toutes les spiritualités, j'aimerais bien par exemple passer une semaine dans un temple bouddhiste. Ça m'intéresserait de voir ce qui est différent. Et c'est de sentir la qualité des émotions qui sont ressenties dans cette dimension-là de l'existence. Et je pense que je vais continuer à explorer ça.

  • #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Le récit de Stéphane Bataillon est à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du Quotidien Lacroix.

Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 18.


Stéphane Bataillon est grand reporter à "La Croix L’Hebdo". À l’occasion de ce Carême 2024, il a choisi de suivre une session de jeûne d’une semaine, organisée par le père Jean-Luc Souveton à l’abbaye de Pradines, dans le département de la Loire. Son but n’était pas de faire une enquête sur cette pratique, mais de raconter, au jour le jour, les sensations qui l’ont traversé durant cette période de privation.


► Retrouvez le récit de Stéphane Bataillon : https://www.la-croix.com/religion/podcast-careme-2024-pourquoi-j-ai-fait-un-jeune-spirituel-20240214


► Découvrez également notre grande enquête "A table ! Nourrir et se nourrir" :


Production et distribution des denrées, mondialisation des régimes alimentaires, inégalité et éducation nutritionnelles, pratiques religieuses : sur fond de crise agricole et alors que débute le temps du Carême, notre manière de nous alimenter, individuellement et collectivement, révèle plus que jamais notre rapport au monde et au sacré. "La Croix" vous propose pendant deux semaines d’aller à la rencontre de celles et ceux qui nous nourrissent, corps et âme : https://www.la-croix.com/france/a-table


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


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Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

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    Je suis très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie.

  • #1

    Stéphane Bataillon est journaliste à l'Arc-Malekdo. À l'occasion du carême, il a réalisé un jeûne d'une semaine organisé à l'abbaye de Pradlun, près de Rouen. Une expérience à la fois physique et spirituelle qu'il a choisi de raconter à la première personne. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #0

    Je m'appelle Stéphane Bataillon, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo et à l'occasion du carême, je suis parti faire un jeûne d'une semaine dans une abbaye. On a eu l'idée de ce reportage, on voulait réagir un peu sur cet événement qui revient chaque année, qui est important, sachant que le quotidien va faire beaucoup de papier dessus. L'Hebdo, on voulait trouver une façon un peu différente de le faire, ce qui n'est jamais évident parce qu'on a un peu tout dit sur le jeûne, nos lecteurs ont déjà lu beaucoup de choses là-dessus. J'ai eu l'idée de faire un peu comme l'Ecran. L'année dernière, j'étais parti une semaine dans un monastère en Bretagne, à Lendevenec, pour faire ma première retraite silencieuse. J'ai eu l'idée, comme je n'ai jamais fait de jeûne, de refaire un peu la même chose, de repartir dans un endroit pendant une longue durée et de raconter un peu ce qui m'arrivait au plus près de mes émotions, qui forcément sont personnelles, j'espère que ça peut toucher les autres. C'était une manière aussi de ne pas rentrer dans des définitions qu'on a déjà lues ou qu'on a déjà vues, pour ceux qui s'y intéressent. Le jeûne, c'est une pratique qui est revenue à la mode ces dernières années, qui touche bien au-delà des croyants, qui touche tout le monde. Il y a plein, plein, plein de manières de jeûner. Première grande différence, c'est un jeûne thérapeutique pour soigner une maladie, un surpoids. C'est des séjours qui coûtent généralement plusieurs milliers d'euros. Voilà, c'était pas l'idée. Et puis il y a le jeûne spirituel, qui là est beaucoup plus simple, un peu moins encadré, pas de batterie de médecin, qui a une dimension spirituelle forte, où il n'y a pas que le fait de jeûner, mais aussi... de retour sur la parole. Donc c'est ce jeûne spirituel que j'ai décidé de suivre. Mais comment le faire ? On peut faire un jeûne intermittent, c'est-à-dire on s'arrête de manger pendant un repas par semaine. On peut faire des jeûnes secs, pas d'eau et pas de nourriture pendant une longue durée. Et puis le jeûne que j'ai choisi, c'est un jeûne hydrique, c'est-à-dire pendant une période qui est là d'une semaine, on ne mange rien de solide, mais on boit à volonté de l'eau, des tisanes, avec... de légumes et un petit verre de jus de pomme bio par jour. J'ai fait un grand travail de documentation avant de partir, j'ai lu pas mal de livres, des livres à la fois spirituels et des livres de documentation sur la santé, le jeûne et la santé. Et je me suis aperçu qu'en fait cette question du jeûne, pratique millénaire, mais étudiée surtout depuis le XXe siècle au niveau santé, est encore grandement débattue par les médecins. Donc bien sûr il y a plutôt un a priori favorable, on montrerait que ça peut régénérer certaines parties du corps, tout ça, mais les études sont encore en cours. C'est en cours, c'est encore en discussion. Donc évidemment, les tenants du jeûne avancent des études scientifiques fabuleuses. Certains médecins disent que ce n'est pas complètement prouvé. Je n'ai pas voulu entrer dans ce débat-là. Je me suis dit que je vais tenter l'expérience. Ce qui est sûr, c'est qu'a priori, le type de jeûne que j'allais faire n'était pas dangereux pour la santé. Donc je me suis dit, je me renseigne là-dessus, ça m'intéresse, mais je ne vais pas faire une enquête contradictoire sur jeûne et santé. Je vais essayer vraiment de raconter mes émotions et de voir un peu ce qui se passe. Donc je me suis beaucoup documenté, mais j'ai essayé d'oublier ça une fois que je suis parti. Comme c'était un reportage pour le carême pour la croix, on s'est dit qu'il faut quand même un lieu spirituel, chrétien. Donc je me suis un peu renseigné. Au journal, plusieurs personnes connaissaient Jean-Luc Soufton, qui est prêtre du diocèse de Saint-Étienne et qui est un peu dans le milieu chrétien, le spécialiste du jeûne. Il a monté des assises du jeûne chrétien, de l'écologie, tout ça. Donc je l'ai contacté, je lui ai proposé mon projet. Et je lui ai dit, l'idée, ce n'est pas de faire un reportage sur vos sessions, mais c'est vraiment de venir comme un jeuneur lambda et de raconter ce qui se passe avant tout en moi. Ce qui tombait bien, parce que dans les sessions de Jean-Luc Souffeton, les gens viennent souvent pour décharger un peu ce qu'il y a de lourd dans leur vie. Ils ont besoin d'une semaine de pause et ils peuvent se dire des choses très intimes. Donc l'idée, ce n'était pas de venir mettre un œil comme ça de journaliste là-dedans, mais vraiment faire ce récit. Il a accepté la proposition, il connaît bien Lacroix, il a déjà écrit dans Lacroix, donc il avait une confiance préalable dans notre journal, ce qui a facilité le contact. Avant de partir faire une session de jeûne d'une semaine, il est très important de respecter un temps qu'on appelle la descente alimentaire. C'est finalement la phase de préparation la plus importante, sans quoi on risque d'avoir des problèmes si on arrête trop brutalement la nourriture. Nausées, maux de tête, tout ça. Je ne m'attendais pas à ce que cette descente alimentaire soit aussi importante. Dans les 15 jours précédant mon départ, j'ai arrêté quand même le café, la viande, l'alcool et petit à petit le poisson pour ne finir qu'à manger des légumes et un peu de riz. Ça m'a fait perdre 4 kilos. Donc déjà rien que ça, en m'y tenant vraiment assez fermement, j'ai tout de suite vu l'effet d'un nouveau rapport à son alimentation, sans parler de jeûne. Ça, c'était pour moi une première et satisfaction et surprise. Je ne pensais pas que ça pouvait aller si vite. C'était la seule préparation réelle avant de partir dans cette expérience-là. Mon expérience précédente en ABI, j'avais eu très très froid. C'était à peu près la même période, en janvier-février. Donc là, je me suis dit, je vais vraiment me préparer. Et donc, j'ai pris quatre seins pulls, une couette. J'ai vraiment bourré ma valise pour ne pas avoir froid parce que c'est ce qui m'avait fait le plus souffrir la dernière fois. Donc je pars, et coïncidence, je m'étais fait baptiser vendredi, deux jours avant mon départ pour le jeûne. Ce baptême était directement en lien avec mon précédent article, la retraite au monastère. C'était à cette occasion-là que j'avais pris la décision de sauter le pas et de confirmer mon identité protestante que j'ai depuis l'adolescence, mais n'étant pas baptisé. J'avais pas du tout prévu d'en parler dans mon article, mais il se trouve que l'organisation des sessions ont fait qu'il n'y avait que ce créneau-là, en fait, pour partir et être prêt-à-temps pour la publication de l'article. Et en fait, ça a tout changé, c'est-à-dire que cet événement personnel dans ma vie, qui était plutôt une confirmation de ma foi protestante par un baptême, qui avait donc pris un an à se concrétiser, qui est une autre histoire, qui est très personnelle. Mais le fait de partir faire un jeûne juste après a teinté cette expérience d'une dimension spirituelle que je n'envisageais pas forcément au départ. J'arrive à l'abbaye qui est à Pradine dans la région de Lyon. J'ai eu un problème de train et j'ai réussi à contacter les autres participants. J'ai tout de suite eu quelqu'un qui a pu venir me chercher à une autre gare. On a tout de suite sympathisé avec Lucas, qui s'inquiétait un peu d'arriver tout seul dans un groupe inconnu. Et en fait, ma proposition de venir me chercher l'a beaucoup aidé. Et ça a vraiment brisé la glace dès le début. Quand on est arrivé, l'abbaye de Pradine, on s'est retrouvé dans une salle qui n'était pas formidable. Une salle de retraitants, un réfectoire, assez quelconque. Et tout de suite, je me suis dit, mince, qu'est-ce qu'on va pouvoir montrer ? Alors le précédent article, j'avais travaillé avec un photographe qui s'appelle Stéphane Lavoué et qui avait fait un travail magnifique, personnel, sur le monastère où on était. Cette fois-ci, on n'avait pas prévu ça. C'était pas dans le même cadre. Là, j'entrais dans un groupe constitué. Dès le début, on s'est dit, ça va pas être la bonne stratégie de faire venir encore un second regard extérieur dans le groupe. Et avec Bruno, le directeur photo du journal, on a eu cette idée-là que je prenne les photos moi-même et qu'ensuite on illustre par autre chose, qui sont des dessins de presse. Quand on arrive avec Lucas, on est tout de suite pris dans un tourbillon qui ne va pas s'arrêter. Une des caractéristiques de cette semaine, c'était que pour nous empêcher de penser à ce qu'on n'allait pas manger, il y a des activités prévues de 7h du matin à 21h. Méditation, des temps de parole, de la gymnastique, des temps en groupe, des balades, deux heures de randonnée par jour. Assez intense, et ça commence dès la première minute. Le père Jean-Luc Souffeton nous demande de décharger tout ce qui va être nécessaire pour la semaine, les tapis de méditation, tout ça, et d'enchaîner tout de suite sur une première réunion de présentation. On n'a pas trop le temps de se poser dans une chambre, de voir un peu comment ça se passe. Alors quand même, je dépose mon sac, je m'assure qu'il y a un radiateur. Ça va, il fait chaud, donc c'est une grosse angoisse de moins. Et aussi, je savais que la première expérience à faire, c'était une purge. Quand on arrive, quand on arrête de manger, il faut purger son estomac. Et je me suis dit, mais on est 20 personnes, j'espère qu'il y a beaucoup de toilettes. Donc je vais voir en premier lieu les toilettes. Je me dis, ah non, il y en a plusieurs, ça va, il n'y aura pas de soucis. Donc je rentre dans la salle plutôt rassuré. Et donc là, tout le monde se présente. Et alors j'ai rencontré une vingtaine de personnes. En couple ou seul, en activité ou retraité, beaucoup de catholiques, pratiquants, mais tous très ouverts sur d'autres formes de spiritualité. Il y a de la méditation zen qui est prévue durant le séjour, ce qui n'est pas forcément commun dans une session spirituelle chrétienne. Donc des gens en confiance, beaucoup de gens qui ont déjà fait des jeunes. On est deux, trois dont c'est la première expérience. Et tout de suite, l'ambiance est plutôt bonne, très cadrée, sur un respect d'écoute qui, moi, m'a beaucoup marqué. Et je suis très, très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste... Le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie durant des longues sessions de deux heures de temps de parole où chacun peut parler librement et personne ne peut le couper. C'est très intéressant parce qu'on voit un peu que les gens, quand on leur laisse un champ libre, parfois disent deux, trois phrases, s'arrêtent, d'autres restent pendant une demi-heure à parler. Ça crée une qualité d'écoute incroyable. Et très rapidement, je me suis dit, je ne vais pas raconter un peu ce qui se passe précisément dans la vie de ces gens-là. Parce que justement, ils viennent ici pour se livrer devant d'autres personnes qui sont dans une écoute bienveillante, mais qui ne sont pas des amis. Et ça doit rester au sein du groupe de parole. Si je le raconte, déjà, ça n'aura pas d'intérêt pour le lecteur. Parce que finalement, c'est des conflits ou des problèmes qui sont très aigus pour les personnes. mais que tout le monde peut rencontrer, et ils ne font que dire le problème. Certains réagissent, donnent des pistes, tout ça, mais on est plutôt dans le besoin de, après avoir enlevé la nourriture de son corps, on sort les mots qui nous pèsent, qui pèsent sur l'estomac, qui pèsent dans le dos. Donc je décide de respecter ce temps intime et je leur dis, je dis écoutez, ne vous en faites pas, je suis journaliste, mais on gardera tout ce qui est ici pour nous. À la fin du reportage, j'ai demandé, mais c'est bizarre, on n'a pas pris de photo. Personne n'a pris de photo les uns des autres. Pourtant, on a vécu des moments sympas. Lors des randonnées, il y avait des éclats de rire, il y avait des partages intimes de la vie. Bon, personne ne prenait de photo et quelqu'un m'a dit, mais en fait, c'est vraiment pas le but. L'idée, c'est d'avoir une semaine vraiment à soi, où on peut se poser et ensuite repartir sans crainte. On peut reprendre nos masques sociaux. Donc j'aimais bien ça, mais professionnellement, ça me posait un problème. Le lieu n'était pas fabuleux, l'abbaye est très belle, mais cette salle de retraitant est un peu quelconque. Et les personnes n'ont pas trop envie d'être prises en photo. Donc comment je vais pouvoir illustrer l'article au final ? Je me suis souvenu d'un article de Society qui traitait d'un fait divers dont on n'avait pas vraiment retrouvé les protagonistes. Et ils avaient fait le choix d'illustrer une dizaine de pages d'enquête par des photos des lieux du fait divers, mais vides. Et je me suis dit, peut-être que c'est intéressant de jouer avec le vide du jeune. On enlève quelque chose d'important, on a un espace à soi, un temps qu'on a jamais. et de le traduire en photo. Donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai pris tous les éléments qui étaient à ma disposition, simplement comme des polaroïds un peu. Vide. Ça allait du verre de jus de pomme à ce qui m'a servi pour la purge, le magnésium, un tapis de méditation, l'intérieur de l'abbaye, l'église. mais juste comme ça, sans personne. Et puis, on a complété ça par des dessins d'humour. C'est Quentin Vijoux qui fait les dessins. C'était aussi un moyen de remettre les pieds sur terre et de créer un petit décalage qui ne gâche pas la sincérité du témoignage, mais qui permet d'enjoliver un peu, peut-être d'accueillir un peu plus le lecteur encore dans l'expérience intime, par le dessin. Pendant la semaine de jeûne, j'ai suivi le programme classique qui est assez simple, c'est-à-dire on ne mange rien, on peut boire des tisanes, c'est tout. Et je me suis étonné à ne pas avoir faim. Je n'ai pas eu faim une seule fois durant toute la semaine. Et non seulement je n'ai pas eu faim, mais je n'ai pas eu les effets qui sont nausées, probables maux de tête, étourdissements qui peuvent arriver. Parce qu'au bout de deux jours, on a ce qu'on appelle la crise d'acidose, c'est-à-dire que le corps commence à puiser. des ressources dans les graisses. Et ça, ça peut provoquer beaucoup de maux différents. Comme j'avais très bien respecté la descente alimentaire, ces effets ont été atténués. Et en fait, je n'ai pas ressenti de gêne ou de souffrance, contrairement à certains participants qui avaient mal fait cette descente, qui ne l'avaient pas fait assez longuement, et qui là, forcément, la privation de nourriture, ton corps réagit tout de suite. Ça ne m'arrangeait pas trop, parce que si moi il ne m'arrivait rien, qu'est-ce que j'allais raconter ? Et en fait, cette angoisse est montée de jour en jour, puisque pour moi, je vivais complètement normalement. Sauf que le temps était un peu différent. C'est vrai que de ne pas avoir de temps de repas, ça désoriente un peu. Et du coup, il n'y a plus de séparation entre le matin et l'après-midi, par exemple. On ne sait pas trop quand commence la soirée. Donc la fatigue s'accumulant, parce que c'était quand même fatigant. Au bout du quatrième jour, j'étais un peu dans l'évap'. Pas de souffrance, mais un peu comme ça. Ça s'est très bien passé. rythmé par ces temps de parole qui, plus le séjour avançait, plus l'intimité entre nous grandissait. Mais une intimité avec toujours une distance. Il y avait une sorte de respect très important qui fait que chacun pouvait vivre son jeûne, non pas en solitaire, mais vraiment à l'écoute de son corps, et régler éventuellement ses questions, ses problèmes, qui ont souvent besoin juste de temps de pause et de formulation pour s'exprimer. J'ai ressenti à un moment, à la fin du séjour, ce qu'a dit une des participantes. Elle a dit je me sens un peu coupable parce que moi tout va bien dans ma vie Et moi qui étais là pour des raisons professionnelles, je me suis dit moi aussi en fait, j'ai pas grand chose à dire parce que moi tout va plutôt bien. J'ai quand même admis quelque chose que j'ai redécouvert tout au long de cette semaine. Par la gymnastique et la méditation, c'était que j'étais un peu coupé de mon corps. Étant dans un métier très intellectuel, ne faisant pas de sport outre mesure, je me suis rendu compte, on avait deux heures de gymnastique tous les jours, que finalement je n'écoutais pas assez mon corps. Je n'ai pas de réponse, mais ça m'a intrigué sur mon rapport à cette absence de faim, à cette absence de réaction, de sensation. La fin du séjour s'est passée avec une interrogation. Le jeune s'est enlevé des choses dans sa vie. Comment parler d'un espace libre ? Comment parler d'un espace vide ? Que raconter quand finalement on a juste moins ? que dans la vie quotidienne normale. Et qu'on ne veut pas non plus trahir les confidences des autres. Et là, je pense que mon cheminement personnel, spirituel, le baptême a joué. J'ai décidé de faire confiance, en fait. Je me suis dit, je me laisse aller, ça va bien se passer. Je vais écrire. Je vais essayer de rester au plus près des émotions, au plus près aussi de la pudeur. d'expliquer cette pudeur-là, et de faire quelque chose de très incarné, de très personnel, ce qui n'est pas du tout le style de la croix d'habitude. Donc je prends un risque, c'est d'entrer dans une sorte de... de nombrilisme de personnes qui... un journaliste lambda qui se raconte, ça peut choquer. Moi, ça me gêne parfois, de lire des choses comme ça, quand je vois que la personne se met trop en avant, tout ça. Et j'ai pas envie, parce que l'idée, c'était justement de raconter quelque chose qui donne aussi envie au lecteur, quelque part, de tenter l'expérience pour lui. Donc j'ai essayé d'user un peu d'humour, d'autodérision, de me mettre un peu en situation réelle, de doute, de micro-échecs, de maladresse parfois, pour lutter contre quelque chose aussi qu'une amie m'avait dit avant de partir, une amie qui avait fait des jeûnes, et qui m'avait dit c'est formidable, mais il faut faire attention au démon de la pureté Elle avait dit tu termines le jeûne, il peut y avoir un sentiment d'être... Comme on est un peu étourdis, un peu illuminés, un peu tout ça. Donc l'humour c'était aussi un moyen de rester les pieds sur terre. Et c'est vrai que comme moi il ne s'était rien passé de négatif durant le séjour, j'avais presque envie de continuer à la fin du jeûne, à jeûner. Cette idée s'est très vite terminée, parce que dès que je suis arrivé à la gare en fait... J'ai vu une salade, une salade de lentilles, et là je me suis senti salivé pour la première fois. C'est marrant. Revenir dans le monde, en tout cas hors de ce groupe où on était là pour ça, tout de suite mon corps a réagi en disant j'ai faim Résultat de l'opération, j'ai quand même perdu 8 kilos sur les 3 semaines, que j'ai hélas repris en grande partie 2 mois plus tard. Ça, on m'avait aussi prévenu, on m'avait dit, attention. Il faut le faire chaque année pour que ça ait vraiment un effet sur le poids. Donc physiquement, je suis content de moi, parce que c'est quand même bien de perdre un peu de poids comme ça. C'est spirituellement que ça a changé, et surtout dans mes habitudes de consommation. C'est-à-dire que je me rends compte que je mange plus de légumes qu'avant. Je fais beaucoup plus attention à la manière dont je mange, à mâcher lentement, à prendre en considération ce que j'ingurgite. Et aussi, je pense, un peu un rapport avec mon corps qui est pacifié. Je ne suis plus juste dans le haut de la tête. C'est encore très neuf, donc je ne sais pas ce que ça va donner. Mais cette expérience, en fait, m'a apporté beaucoup. Ça m'a apporté aussi beaucoup de rencontres. On est resté très en contact avec les participants du stage. Il y a eu des très beaux moments. Donc ça, c'est toujours, je dirais, le cœur de ce métier. C'est d'aller rencontrer des gens, d'aller échanger des expériences. C'est pour ça que j'aime faire ce métier de journaliste, de découvrir des nouvelles émotions, des nouvelles lignes de vie. Et je pense qu'en fait, j'ai envie de continuer ça. Finalement, pourquoi je m'intéresse aux spiritualités, c'est pas tant dans une visée encyclopédique ou de savoir. Ce qui m'intéresse, en fait, c'est de formuler les émotions que les gens ressentent dans cette dimension spirituelle de l'existence. C'est pas pour en défendre l'une ou l'autre, je suis prêt à aller voir un peu... Toutes les spiritualités, j'aimerais bien par exemple passer une semaine dans un temple bouddhiste. Ça m'intéresserait de voir ce qui est différent. Et c'est de sentir la qualité des émotions qui sont ressenties dans cette dimension-là de l'existence. Et je pense que je vais continuer à explorer ça.

  • #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Le récit de Stéphane Bataillon est à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du Quotidien Lacroix.

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Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 18.


Stéphane Bataillon est grand reporter à "La Croix L’Hebdo". À l’occasion de ce Carême 2024, il a choisi de suivre une session de jeûne d’une semaine, organisée par le père Jean-Luc Souveton à l’abbaye de Pradines, dans le département de la Loire. Son but n’était pas de faire une enquête sur cette pratique, mais de raconter, au jour le jour, les sensations qui l’ont traversé durant cette période de privation.


► Retrouvez le récit de Stéphane Bataillon : https://www.la-croix.com/religion/podcast-careme-2024-pourquoi-j-ai-fait-un-jeune-spirituel-20240214


► Découvrez également notre grande enquête "A table ! Nourrir et se nourrir" :


Production et distribution des denrées, mondialisation des régimes alimentaires, inégalité et éducation nutritionnelles, pratiques religieuses : sur fond de crise agricole et alors que débute le temps du Carême, notre manière de nous alimenter, individuellement et collectivement, révèle plus que jamais notre rapport au monde et au sacré. "La Croix" vous propose pendant deux semaines d’aller à la rencontre de celles et ceux qui nous nourrissent, corps et âme : https://www.la-croix.com/france/a-table


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • #0

    Je suis très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie.

  • #1

    Stéphane Bataillon est journaliste à l'Arc-Malekdo. À l'occasion du carême, il a réalisé un jeûne d'une semaine organisé à l'abbaye de Pradlun, près de Rouen. Une expérience à la fois physique et spirituelle qu'il a choisi de raconter à la première personne. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

  • #0

    Je m'appelle Stéphane Bataillon, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo et à l'occasion du carême, je suis parti faire un jeûne d'une semaine dans une abbaye. On a eu l'idée de ce reportage, on voulait réagir un peu sur cet événement qui revient chaque année, qui est important, sachant que le quotidien va faire beaucoup de papier dessus. L'Hebdo, on voulait trouver une façon un peu différente de le faire, ce qui n'est jamais évident parce qu'on a un peu tout dit sur le jeûne, nos lecteurs ont déjà lu beaucoup de choses là-dessus. J'ai eu l'idée de faire un peu comme l'Ecran. L'année dernière, j'étais parti une semaine dans un monastère en Bretagne, à Lendevenec, pour faire ma première retraite silencieuse. J'ai eu l'idée, comme je n'ai jamais fait de jeûne, de refaire un peu la même chose, de repartir dans un endroit pendant une longue durée et de raconter un peu ce qui m'arrivait au plus près de mes émotions, qui forcément sont personnelles, j'espère que ça peut toucher les autres. C'était une manière aussi de ne pas rentrer dans des définitions qu'on a déjà lues ou qu'on a déjà vues, pour ceux qui s'y intéressent. Le jeûne, c'est une pratique qui est revenue à la mode ces dernières années, qui touche bien au-delà des croyants, qui touche tout le monde. Il y a plein, plein, plein de manières de jeûner. Première grande différence, c'est un jeûne thérapeutique pour soigner une maladie, un surpoids. C'est des séjours qui coûtent généralement plusieurs milliers d'euros. Voilà, c'était pas l'idée. Et puis il y a le jeûne spirituel, qui là est beaucoup plus simple, un peu moins encadré, pas de batterie de médecin, qui a une dimension spirituelle forte, où il n'y a pas que le fait de jeûner, mais aussi... de retour sur la parole. Donc c'est ce jeûne spirituel que j'ai décidé de suivre. Mais comment le faire ? On peut faire un jeûne intermittent, c'est-à-dire on s'arrête de manger pendant un repas par semaine. On peut faire des jeûnes secs, pas d'eau et pas de nourriture pendant une longue durée. Et puis le jeûne que j'ai choisi, c'est un jeûne hydrique, c'est-à-dire pendant une période qui est là d'une semaine, on ne mange rien de solide, mais on boit à volonté de l'eau, des tisanes, avec... de légumes et un petit verre de jus de pomme bio par jour. J'ai fait un grand travail de documentation avant de partir, j'ai lu pas mal de livres, des livres à la fois spirituels et des livres de documentation sur la santé, le jeûne et la santé. Et je me suis aperçu qu'en fait cette question du jeûne, pratique millénaire, mais étudiée surtout depuis le XXe siècle au niveau santé, est encore grandement débattue par les médecins. Donc bien sûr il y a plutôt un a priori favorable, on montrerait que ça peut régénérer certaines parties du corps, tout ça, mais les études sont encore en cours. C'est en cours, c'est encore en discussion. Donc évidemment, les tenants du jeûne avancent des études scientifiques fabuleuses. Certains médecins disent que ce n'est pas complètement prouvé. Je n'ai pas voulu entrer dans ce débat-là. Je me suis dit que je vais tenter l'expérience. Ce qui est sûr, c'est qu'a priori, le type de jeûne que j'allais faire n'était pas dangereux pour la santé. Donc je me suis dit, je me renseigne là-dessus, ça m'intéresse, mais je ne vais pas faire une enquête contradictoire sur jeûne et santé. Je vais essayer vraiment de raconter mes émotions et de voir un peu ce qui se passe. Donc je me suis beaucoup documenté, mais j'ai essayé d'oublier ça une fois que je suis parti. Comme c'était un reportage pour le carême pour la croix, on s'est dit qu'il faut quand même un lieu spirituel, chrétien. Donc je me suis un peu renseigné. Au journal, plusieurs personnes connaissaient Jean-Luc Soufton, qui est prêtre du diocèse de Saint-Étienne et qui est un peu dans le milieu chrétien, le spécialiste du jeûne. Il a monté des assises du jeûne chrétien, de l'écologie, tout ça. Donc je l'ai contacté, je lui ai proposé mon projet. Et je lui ai dit, l'idée, ce n'est pas de faire un reportage sur vos sessions, mais c'est vraiment de venir comme un jeuneur lambda et de raconter ce qui se passe avant tout en moi. Ce qui tombait bien, parce que dans les sessions de Jean-Luc Souffeton, les gens viennent souvent pour décharger un peu ce qu'il y a de lourd dans leur vie. Ils ont besoin d'une semaine de pause et ils peuvent se dire des choses très intimes. Donc l'idée, ce n'était pas de venir mettre un œil comme ça de journaliste là-dedans, mais vraiment faire ce récit. Il a accepté la proposition, il connaît bien Lacroix, il a déjà écrit dans Lacroix, donc il avait une confiance préalable dans notre journal, ce qui a facilité le contact. Avant de partir faire une session de jeûne d'une semaine, il est très important de respecter un temps qu'on appelle la descente alimentaire. C'est finalement la phase de préparation la plus importante, sans quoi on risque d'avoir des problèmes si on arrête trop brutalement la nourriture. Nausées, maux de tête, tout ça. Je ne m'attendais pas à ce que cette descente alimentaire soit aussi importante. Dans les 15 jours précédant mon départ, j'ai arrêté quand même le café, la viande, l'alcool et petit à petit le poisson pour ne finir qu'à manger des légumes et un peu de riz. Ça m'a fait perdre 4 kilos. Donc déjà rien que ça, en m'y tenant vraiment assez fermement, j'ai tout de suite vu l'effet d'un nouveau rapport à son alimentation, sans parler de jeûne. Ça, c'était pour moi une première et satisfaction et surprise. Je ne pensais pas que ça pouvait aller si vite. C'était la seule préparation réelle avant de partir dans cette expérience-là. Mon expérience précédente en ABI, j'avais eu très très froid. C'était à peu près la même période, en janvier-février. Donc là, je me suis dit, je vais vraiment me préparer. Et donc, j'ai pris quatre seins pulls, une couette. J'ai vraiment bourré ma valise pour ne pas avoir froid parce que c'est ce qui m'avait fait le plus souffrir la dernière fois. Donc je pars, et coïncidence, je m'étais fait baptiser vendredi, deux jours avant mon départ pour le jeûne. Ce baptême était directement en lien avec mon précédent article, la retraite au monastère. C'était à cette occasion-là que j'avais pris la décision de sauter le pas et de confirmer mon identité protestante que j'ai depuis l'adolescence, mais n'étant pas baptisé. J'avais pas du tout prévu d'en parler dans mon article, mais il se trouve que l'organisation des sessions ont fait qu'il n'y avait que ce créneau-là, en fait, pour partir et être prêt-à-temps pour la publication de l'article. Et en fait, ça a tout changé, c'est-à-dire que cet événement personnel dans ma vie, qui était plutôt une confirmation de ma foi protestante par un baptême, qui avait donc pris un an à se concrétiser, qui est une autre histoire, qui est très personnelle. Mais le fait de partir faire un jeûne juste après a teinté cette expérience d'une dimension spirituelle que je n'envisageais pas forcément au départ. J'arrive à l'abbaye qui est à Pradine dans la région de Lyon. J'ai eu un problème de train et j'ai réussi à contacter les autres participants. J'ai tout de suite eu quelqu'un qui a pu venir me chercher à une autre gare. On a tout de suite sympathisé avec Lucas, qui s'inquiétait un peu d'arriver tout seul dans un groupe inconnu. Et en fait, ma proposition de venir me chercher l'a beaucoup aidé. Et ça a vraiment brisé la glace dès le début. Quand on est arrivé, l'abbaye de Pradine, on s'est retrouvé dans une salle qui n'était pas formidable. Une salle de retraitants, un réfectoire, assez quelconque. Et tout de suite, je me suis dit, mince, qu'est-ce qu'on va pouvoir montrer ? Alors le précédent article, j'avais travaillé avec un photographe qui s'appelle Stéphane Lavoué et qui avait fait un travail magnifique, personnel, sur le monastère où on était. Cette fois-ci, on n'avait pas prévu ça. C'était pas dans le même cadre. Là, j'entrais dans un groupe constitué. Dès le début, on s'est dit, ça va pas être la bonne stratégie de faire venir encore un second regard extérieur dans le groupe. Et avec Bruno, le directeur photo du journal, on a eu cette idée-là que je prenne les photos moi-même et qu'ensuite on illustre par autre chose, qui sont des dessins de presse. Quand on arrive avec Lucas, on est tout de suite pris dans un tourbillon qui ne va pas s'arrêter. Une des caractéristiques de cette semaine, c'était que pour nous empêcher de penser à ce qu'on n'allait pas manger, il y a des activités prévues de 7h du matin à 21h. Méditation, des temps de parole, de la gymnastique, des temps en groupe, des balades, deux heures de randonnée par jour. Assez intense, et ça commence dès la première minute. Le père Jean-Luc Souffeton nous demande de décharger tout ce qui va être nécessaire pour la semaine, les tapis de méditation, tout ça, et d'enchaîner tout de suite sur une première réunion de présentation. On n'a pas trop le temps de se poser dans une chambre, de voir un peu comment ça se passe. Alors quand même, je dépose mon sac, je m'assure qu'il y a un radiateur. Ça va, il fait chaud, donc c'est une grosse angoisse de moins. Et aussi, je savais que la première expérience à faire, c'était une purge. Quand on arrive, quand on arrête de manger, il faut purger son estomac. Et je me suis dit, mais on est 20 personnes, j'espère qu'il y a beaucoup de toilettes. Donc je vais voir en premier lieu les toilettes. Je me dis, ah non, il y en a plusieurs, ça va, il n'y aura pas de soucis. Donc je rentre dans la salle plutôt rassuré. Et donc là, tout le monde se présente. Et alors j'ai rencontré une vingtaine de personnes. En couple ou seul, en activité ou retraité, beaucoup de catholiques, pratiquants, mais tous très ouverts sur d'autres formes de spiritualité. Il y a de la méditation zen qui est prévue durant le séjour, ce qui n'est pas forcément commun dans une session spirituelle chrétienne. Donc des gens en confiance, beaucoup de gens qui ont déjà fait des jeunes. On est deux, trois dont c'est la première expérience. Et tout de suite, l'ambiance est plutôt bonne, très cadrée, sur un respect d'écoute qui, moi, m'a beaucoup marqué. Et je suis très, très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste... Le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie durant des longues sessions de deux heures de temps de parole où chacun peut parler librement et personne ne peut le couper. C'est très intéressant parce qu'on voit un peu que les gens, quand on leur laisse un champ libre, parfois disent deux, trois phrases, s'arrêtent, d'autres restent pendant une demi-heure à parler. Ça crée une qualité d'écoute incroyable. Et très rapidement, je me suis dit, je ne vais pas raconter un peu ce qui se passe précisément dans la vie de ces gens-là. Parce que justement, ils viennent ici pour se livrer devant d'autres personnes qui sont dans une écoute bienveillante, mais qui ne sont pas des amis. Et ça doit rester au sein du groupe de parole. Si je le raconte, déjà, ça n'aura pas d'intérêt pour le lecteur. Parce que finalement, c'est des conflits ou des problèmes qui sont très aigus pour les personnes. mais que tout le monde peut rencontrer, et ils ne font que dire le problème. Certains réagissent, donnent des pistes, tout ça, mais on est plutôt dans le besoin de, après avoir enlevé la nourriture de son corps, on sort les mots qui nous pèsent, qui pèsent sur l'estomac, qui pèsent dans le dos. Donc je décide de respecter ce temps intime et je leur dis, je dis écoutez, ne vous en faites pas, je suis journaliste, mais on gardera tout ce qui est ici pour nous. À la fin du reportage, j'ai demandé, mais c'est bizarre, on n'a pas pris de photo. Personne n'a pris de photo les uns des autres. Pourtant, on a vécu des moments sympas. Lors des randonnées, il y avait des éclats de rire, il y avait des partages intimes de la vie. Bon, personne ne prenait de photo et quelqu'un m'a dit, mais en fait, c'est vraiment pas le but. L'idée, c'est d'avoir une semaine vraiment à soi, où on peut se poser et ensuite repartir sans crainte. On peut reprendre nos masques sociaux. Donc j'aimais bien ça, mais professionnellement, ça me posait un problème. Le lieu n'était pas fabuleux, l'abbaye est très belle, mais cette salle de retraitant est un peu quelconque. Et les personnes n'ont pas trop envie d'être prises en photo. Donc comment je vais pouvoir illustrer l'article au final ? Je me suis souvenu d'un article de Society qui traitait d'un fait divers dont on n'avait pas vraiment retrouvé les protagonistes. Et ils avaient fait le choix d'illustrer une dizaine de pages d'enquête par des photos des lieux du fait divers, mais vides. Et je me suis dit, peut-être que c'est intéressant de jouer avec le vide du jeune. On enlève quelque chose d'important, on a un espace à soi, un temps qu'on a jamais. et de le traduire en photo. Donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai pris tous les éléments qui étaient à ma disposition, simplement comme des polaroïds un peu. Vide. Ça allait du verre de jus de pomme à ce qui m'a servi pour la purge, le magnésium, un tapis de méditation, l'intérieur de l'abbaye, l'église. mais juste comme ça, sans personne. Et puis, on a complété ça par des dessins d'humour. C'est Quentin Vijoux qui fait les dessins. C'était aussi un moyen de remettre les pieds sur terre et de créer un petit décalage qui ne gâche pas la sincérité du témoignage, mais qui permet d'enjoliver un peu, peut-être d'accueillir un peu plus le lecteur encore dans l'expérience intime, par le dessin. Pendant la semaine de jeûne, j'ai suivi le programme classique qui est assez simple, c'est-à-dire on ne mange rien, on peut boire des tisanes, c'est tout. Et je me suis étonné à ne pas avoir faim. Je n'ai pas eu faim une seule fois durant toute la semaine. Et non seulement je n'ai pas eu faim, mais je n'ai pas eu les effets qui sont nausées, probables maux de tête, étourdissements qui peuvent arriver. Parce qu'au bout de deux jours, on a ce qu'on appelle la crise d'acidose, c'est-à-dire que le corps commence à puiser. des ressources dans les graisses. Et ça, ça peut provoquer beaucoup de maux différents. Comme j'avais très bien respecté la descente alimentaire, ces effets ont été atténués. Et en fait, je n'ai pas ressenti de gêne ou de souffrance, contrairement à certains participants qui avaient mal fait cette descente, qui ne l'avaient pas fait assez longuement, et qui là, forcément, la privation de nourriture, ton corps réagit tout de suite. Ça ne m'arrangeait pas trop, parce que si moi il ne m'arrivait rien, qu'est-ce que j'allais raconter ? Et en fait, cette angoisse est montée de jour en jour, puisque pour moi, je vivais complètement normalement. Sauf que le temps était un peu différent. C'est vrai que de ne pas avoir de temps de repas, ça désoriente un peu. Et du coup, il n'y a plus de séparation entre le matin et l'après-midi, par exemple. On ne sait pas trop quand commence la soirée. Donc la fatigue s'accumulant, parce que c'était quand même fatigant. Au bout du quatrième jour, j'étais un peu dans l'évap'. Pas de souffrance, mais un peu comme ça. Ça s'est très bien passé. rythmé par ces temps de parole qui, plus le séjour avançait, plus l'intimité entre nous grandissait. Mais une intimité avec toujours une distance. Il y avait une sorte de respect très important qui fait que chacun pouvait vivre son jeûne, non pas en solitaire, mais vraiment à l'écoute de son corps, et régler éventuellement ses questions, ses problèmes, qui ont souvent besoin juste de temps de pause et de formulation pour s'exprimer. J'ai ressenti à un moment, à la fin du séjour, ce qu'a dit une des participantes. Elle a dit je me sens un peu coupable parce que moi tout va bien dans ma vie Et moi qui étais là pour des raisons professionnelles, je me suis dit moi aussi en fait, j'ai pas grand chose à dire parce que moi tout va plutôt bien. J'ai quand même admis quelque chose que j'ai redécouvert tout au long de cette semaine. Par la gymnastique et la méditation, c'était que j'étais un peu coupé de mon corps. Étant dans un métier très intellectuel, ne faisant pas de sport outre mesure, je me suis rendu compte, on avait deux heures de gymnastique tous les jours, que finalement je n'écoutais pas assez mon corps. Je n'ai pas de réponse, mais ça m'a intrigué sur mon rapport à cette absence de faim, à cette absence de réaction, de sensation. La fin du séjour s'est passée avec une interrogation. Le jeune s'est enlevé des choses dans sa vie. Comment parler d'un espace libre ? Comment parler d'un espace vide ? Que raconter quand finalement on a juste moins ? que dans la vie quotidienne normale. Et qu'on ne veut pas non plus trahir les confidences des autres. Et là, je pense que mon cheminement personnel, spirituel, le baptême a joué. J'ai décidé de faire confiance, en fait. Je me suis dit, je me laisse aller, ça va bien se passer. Je vais écrire. Je vais essayer de rester au plus près des émotions, au plus près aussi de la pudeur. d'expliquer cette pudeur-là, et de faire quelque chose de très incarné, de très personnel, ce qui n'est pas du tout le style de la croix d'habitude. Donc je prends un risque, c'est d'entrer dans une sorte de... de nombrilisme de personnes qui... un journaliste lambda qui se raconte, ça peut choquer. Moi, ça me gêne parfois, de lire des choses comme ça, quand je vois que la personne se met trop en avant, tout ça. Et j'ai pas envie, parce que l'idée, c'était justement de raconter quelque chose qui donne aussi envie au lecteur, quelque part, de tenter l'expérience pour lui. Donc j'ai essayé d'user un peu d'humour, d'autodérision, de me mettre un peu en situation réelle, de doute, de micro-échecs, de maladresse parfois, pour lutter contre quelque chose aussi qu'une amie m'avait dit avant de partir, une amie qui avait fait des jeûnes, et qui m'avait dit c'est formidable, mais il faut faire attention au démon de la pureté Elle avait dit tu termines le jeûne, il peut y avoir un sentiment d'être... Comme on est un peu étourdis, un peu illuminés, un peu tout ça. Donc l'humour c'était aussi un moyen de rester les pieds sur terre. Et c'est vrai que comme moi il ne s'était rien passé de négatif durant le séjour, j'avais presque envie de continuer à la fin du jeûne, à jeûner. Cette idée s'est très vite terminée, parce que dès que je suis arrivé à la gare en fait... J'ai vu une salade, une salade de lentilles, et là je me suis senti salivé pour la première fois. C'est marrant. Revenir dans le monde, en tout cas hors de ce groupe où on était là pour ça, tout de suite mon corps a réagi en disant j'ai faim Résultat de l'opération, j'ai quand même perdu 8 kilos sur les 3 semaines, que j'ai hélas repris en grande partie 2 mois plus tard. Ça, on m'avait aussi prévenu, on m'avait dit, attention. Il faut le faire chaque année pour que ça ait vraiment un effet sur le poids. Donc physiquement, je suis content de moi, parce que c'est quand même bien de perdre un peu de poids comme ça. C'est spirituellement que ça a changé, et surtout dans mes habitudes de consommation. C'est-à-dire que je me rends compte que je mange plus de légumes qu'avant. Je fais beaucoup plus attention à la manière dont je mange, à mâcher lentement, à prendre en considération ce que j'ingurgite. Et aussi, je pense, un peu un rapport avec mon corps qui est pacifié. Je ne suis plus juste dans le haut de la tête. C'est encore très neuf, donc je ne sais pas ce que ça va donner. Mais cette expérience, en fait, m'a apporté beaucoup. Ça m'a apporté aussi beaucoup de rencontres. On est resté très en contact avec les participants du stage. Il y a eu des très beaux moments. Donc ça, c'est toujours, je dirais, le cœur de ce métier. C'est d'aller rencontrer des gens, d'aller échanger des expériences. C'est pour ça que j'aime faire ce métier de journaliste, de découvrir des nouvelles émotions, des nouvelles lignes de vie. Et je pense qu'en fait, j'ai envie de continuer ça. Finalement, pourquoi je m'intéresse aux spiritualités, c'est pas tant dans une visée encyclopédique ou de savoir. Ce qui m'intéresse, en fait, c'est de formuler les émotions que les gens ressentent dans cette dimension spirituelle de l'existence. C'est pas pour en défendre l'une ou l'autre, je suis prêt à aller voir un peu... Toutes les spiritualités, j'aimerais bien par exemple passer une semaine dans un temple bouddhiste. Ça m'intéresserait de voir ce qui est différent. Et c'est de sentir la qualité des émotions qui sont ressenties dans cette dimension-là de l'existence. Et je pense que je vais continuer à explorer ça.

  • #1

    Vous venez d'écouter un épisode de l'Envers du récit. N'hésitez pas à le partager et à vous abonner à notre podcast. Le récit de Stéphane Bataillon est à lire sur le site et l'appli Lacroix. Vous trouverez le lien dans le texte de description qui accompagne ce podcast. L'Envers du récit est un podcast original du Quotidien Lacroix.

Description

L’envers du récit, saison 6, épisode 18.


Stéphane Bataillon est grand reporter à "La Croix L’Hebdo". À l’occasion de ce Carême 2024, il a choisi de suivre une session de jeûne d’une semaine, organisée par le père Jean-Luc Souveton à l’abbaye de Pradines, dans le département de la Loire. Son but n’était pas de faire une enquête sur cette pratique, mais de raconter, au jour le jour, les sensations qui l’ont traversé durant cette période de privation.


► Retrouvez le récit de Stéphane Bataillon : https://www.la-croix.com/religion/podcast-careme-2024-pourquoi-j-ai-fait-un-jeune-spirituel-20240214


► Découvrez également notre grande enquête "A table ! Nourrir et se nourrir" :


Production et distribution des denrées, mondialisation des régimes alimentaires, inégalité et éducation nutritionnelles, pratiques religieuses : sur fond de crise agricole et alors que débute le temps du Carême, notre manière de nous alimenter, individuellement et collectivement, révèle plus que jamais notre rapport au monde et au sacré. "La Croix" vous propose pendant deux semaines d’aller à la rencontre de celles et ceux qui nous nourrissent, corps et âme : https://www.la-croix.com/france/a-table


► Vous avez une question ou une remarque ? Écrivez-nous à cette adresse : podcast.lacroix@groupebayard.com


CRÉDITS :


Rédaction en chef : Fabienne Lemahieu. Réalisation : Clémence Maret, Célestine Albert-Steward et Flavien Edenne. Entretien et textes : Clémence Maret. Captation, montage et mixage : Flavien Edenne. Chargée de production : Célestine Albert-Steward. Création musicale : Emmanuel Viau. Responsable marketing et voix : Laurence Szabason. Illustration : Mathieu Ughetti.


L'envers du récit est un podcast original de LA CROIX – Janvier 2024     


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

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    Je suis très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie.

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    Stéphane Bataillon est journaliste à l'Arc-Malekdo. À l'occasion du carême, il a réalisé un jeûne d'une semaine organisé à l'abbaye de Pradlun, près de Rouen. Une expérience à la fois physique et spirituelle qu'il a choisi de raconter à la première personne. Dans ce podcast, un journaliste de La Croix raconte les coulisses d'un reportage, d'une enquête ou d'une rencontre, ce qui s'est passé avant et comment il l'a vécu. Vous écoutez l'envers du récit.

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    Je m'appelle Stéphane Bataillon, je suis journaliste à La Croix-L'Hebdo et à l'occasion du carême, je suis parti faire un jeûne d'une semaine dans une abbaye. On a eu l'idée de ce reportage, on voulait réagir un peu sur cet événement qui revient chaque année, qui est important, sachant que le quotidien va faire beaucoup de papier dessus. L'Hebdo, on voulait trouver une façon un peu différente de le faire, ce qui n'est jamais évident parce qu'on a un peu tout dit sur le jeûne, nos lecteurs ont déjà lu beaucoup de choses là-dessus. J'ai eu l'idée de faire un peu comme l'Ecran. L'année dernière, j'étais parti une semaine dans un monastère en Bretagne, à Lendevenec, pour faire ma première retraite silencieuse. J'ai eu l'idée, comme je n'ai jamais fait de jeûne, de refaire un peu la même chose, de repartir dans un endroit pendant une longue durée et de raconter un peu ce qui m'arrivait au plus près de mes émotions, qui forcément sont personnelles, j'espère que ça peut toucher les autres. C'était une manière aussi de ne pas rentrer dans des définitions qu'on a déjà lues ou qu'on a déjà vues, pour ceux qui s'y intéressent. Le jeûne, c'est une pratique qui est revenue à la mode ces dernières années, qui touche bien au-delà des croyants, qui touche tout le monde. Il y a plein, plein, plein de manières de jeûner. Première grande différence, c'est un jeûne thérapeutique pour soigner une maladie, un surpoids. C'est des séjours qui coûtent généralement plusieurs milliers d'euros. Voilà, c'était pas l'idée. Et puis il y a le jeûne spirituel, qui là est beaucoup plus simple, un peu moins encadré, pas de batterie de médecin, qui a une dimension spirituelle forte, où il n'y a pas que le fait de jeûner, mais aussi... de retour sur la parole. Donc c'est ce jeûne spirituel que j'ai décidé de suivre. Mais comment le faire ? On peut faire un jeûne intermittent, c'est-à-dire on s'arrête de manger pendant un repas par semaine. On peut faire des jeûnes secs, pas d'eau et pas de nourriture pendant une longue durée. Et puis le jeûne que j'ai choisi, c'est un jeûne hydrique, c'est-à-dire pendant une période qui est là d'une semaine, on ne mange rien de solide, mais on boit à volonté de l'eau, des tisanes, avec... de légumes et un petit verre de jus de pomme bio par jour. J'ai fait un grand travail de documentation avant de partir, j'ai lu pas mal de livres, des livres à la fois spirituels et des livres de documentation sur la santé, le jeûne et la santé. Et je me suis aperçu qu'en fait cette question du jeûne, pratique millénaire, mais étudiée surtout depuis le XXe siècle au niveau santé, est encore grandement débattue par les médecins. Donc bien sûr il y a plutôt un a priori favorable, on montrerait que ça peut régénérer certaines parties du corps, tout ça, mais les études sont encore en cours. C'est en cours, c'est encore en discussion. Donc évidemment, les tenants du jeûne avancent des études scientifiques fabuleuses. Certains médecins disent que ce n'est pas complètement prouvé. Je n'ai pas voulu entrer dans ce débat-là. Je me suis dit que je vais tenter l'expérience. Ce qui est sûr, c'est qu'a priori, le type de jeûne que j'allais faire n'était pas dangereux pour la santé. Donc je me suis dit, je me renseigne là-dessus, ça m'intéresse, mais je ne vais pas faire une enquête contradictoire sur jeûne et santé. Je vais essayer vraiment de raconter mes émotions et de voir un peu ce qui se passe. Donc je me suis beaucoup documenté, mais j'ai essayé d'oublier ça une fois que je suis parti. Comme c'était un reportage pour le carême pour la croix, on s'est dit qu'il faut quand même un lieu spirituel, chrétien. Donc je me suis un peu renseigné. Au journal, plusieurs personnes connaissaient Jean-Luc Soufton, qui est prêtre du diocèse de Saint-Étienne et qui est un peu dans le milieu chrétien, le spécialiste du jeûne. Il a monté des assises du jeûne chrétien, de l'écologie, tout ça. Donc je l'ai contacté, je lui ai proposé mon projet. Et je lui ai dit, l'idée, ce n'est pas de faire un reportage sur vos sessions, mais c'est vraiment de venir comme un jeuneur lambda et de raconter ce qui se passe avant tout en moi. Ce qui tombait bien, parce que dans les sessions de Jean-Luc Souffeton, les gens viennent souvent pour décharger un peu ce qu'il y a de lourd dans leur vie. Ils ont besoin d'une semaine de pause et ils peuvent se dire des choses très intimes. Donc l'idée, ce n'était pas de venir mettre un œil comme ça de journaliste là-dedans, mais vraiment faire ce récit. Il a accepté la proposition, il connaît bien Lacroix, il a déjà écrit dans Lacroix, donc il avait une confiance préalable dans notre journal, ce qui a facilité le contact. Avant de partir faire une session de jeûne d'une semaine, il est très important de respecter un temps qu'on appelle la descente alimentaire. C'est finalement la phase de préparation la plus importante, sans quoi on risque d'avoir des problèmes si on arrête trop brutalement la nourriture. Nausées, maux de tête, tout ça. Je ne m'attendais pas à ce que cette descente alimentaire soit aussi importante. Dans les 15 jours précédant mon départ, j'ai arrêté quand même le café, la viande, l'alcool et petit à petit le poisson pour ne finir qu'à manger des légumes et un peu de riz. Ça m'a fait perdre 4 kilos. Donc déjà rien que ça, en m'y tenant vraiment assez fermement, j'ai tout de suite vu l'effet d'un nouveau rapport à son alimentation, sans parler de jeûne. Ça, c'était pour moi une première et satisfaction et surprise. Je ne pensais pas que ça pouvait aller si vite. C'était la seule préparation réelle avant de partir dans cette expérience-là. Mon expérience précédente en ABI, j'avais eu très très froid. C'était à peu près la même période, en janvier-février. Donc là, je me suis dit, je vais vraiment me préparer. Et donc, j'ai pris quatre seins pulls, une couette. J'ai vraiment bourré ma valise pour ne pas avoir froid parce que c'est ce qui m'avait fait le plus souffrir la dernière fois. Donc je pars, et coïncidence, je m'étais fait baptiser vendredi, deux jours avant mon départ pour le jeûne. Ce baptême était directement en lien avec mon précédent article, la retraite au monastère. C'était à cette occasion-là que j'avais pris la décision de sauter le pas et de confirmer mon identité protestante que j'ai depuis l'adolescence, mais n'étant pas baptisé. J'avais pas du tout prévu d'en parler dans mon article, mais il se trouve que l'organisation des sessions ont fait qu'il n'y avait que ce créneau-là, en fait, pour partir et être prêt-à-temps pour la publication de l'article. Et en fait, ça a tout changé, c'est-à-dire que cet événement personnel dans ma vie, qui était plutôt une confirmation de ma foi protestante par un baptême, qui avait donc pris un an à se concrétiser, qui est une autre histoire, qui est très personnelle. Mais le fait de partir faire un jeûne juste après a teinté cette expérience d'une dimension spirituelle que je n'envisageais pas forcément au départ. J'arrive à l'abbaye qui est à Pradine dans la région de Lyon. J'ai eu un problème de train et j'ai réussi à contacter les autres participants. J'ai tout de suite eu quelqu'un qui a pu venir me chercher à une autre gare. On a tout de suite sympathisé avec Lucas, qui s'inquiétait un peu d'arriver tout seul dans un groupe inconnu. Et en fait, ma proposition de venir me chercher l'a beaucoup aidé. Et ça a vraiment brisé la glace dès le début. Quand on est arrivé, l'abbaye de Pradine, on s'est retrouvé dans une salle qui n'était pas formidable. Une salle de retraitants, un réfectoire, assez quelconque. Et tout de suite, je me suis dit, mince, qu'est-ce qu'on va pouvoir montrer ? Alors le précédent article, j'avais travaillé avec un photographe qui s'appelle Stéphane Lavoué et qui avait fait un travail magnifique, personnel, sur le monastère où on était. Cette fois-ci, on n'avait pas prévu ça. C'était pas dans le même cadre. Là, j'entrais dans un groupe constitué. Dès le début, on s'est dit, ça va pas être la bonne stratégie de faire venir encore un second regard extérieur dans le groupe. Et avec Bruno, le directeur photo du journal, on a eu cette idée-là que je prenne les photos moi-même et qu'ensuite on illustre par autre chose, qui sont des dessins de presse. Quand on arrive avec Lucas, on est tout de suite pris dans un tourbillon qui ne va pas s'arrêter. Une des caractéristiques de cette semaine, c'était que pour nous empêcher de penser à ce qu'on n'allait pas manger, il y a des activités prévues de 7h du matin à 21h. Méditation, des temps de parole, de la gymnastique, des temps en groupe, des balades, deux heures de randonnée par jour. Assez intense, et ça commence dès la première minute. Le père Jean-Luc Souffeton nous demande de décharger tout ce qui va être nécessaire pour la semaine, les tapis de méditation, tout ça, et d'enchaîner tout de suite sur une première réunion de présentation. On n'a pas trop le temps de se poser dans une chambre, de voir un peu comment ça se passe. Alors quand même, je dépose mon sac, je m'assure qu'il y a un radiateur. Ça va, il fait chaud, donc c'est une grosse angoisse de moins. Et aussi, je savais que la première expérience à faire, c'était une purge. Quand on arrive, quand on arrête de manger, il faut purger son estomac. Et je me suis dit, mais on est 20 personnes, j'espère qu'il y a beaucoup de toilettes. Donc je vais voir en premier lieu les toilettes. Je me dis, ah non, il y en a plusieurs, ça va, il n'y aura pas de soucis. Donc je rentre dans la salle plutôt rassuré. Et donc là, tout le monde se présente. Et alors j'ai rencontré une vingtaine de personnes. En couple ou seul, en activité ou retraité, beaucoup de catholiques, pratiquants, mais tous très ouverts sur d'autres formes de spiritualité. Il y a de la méditation zen qui est prévue durant le séjour, ce qui n'est pas forcément commun dans une session spirituelle chrétienne. Donc des gens en confiance, beaucoup de gens qui ont déjà fait des jeunes. On est deux, trois dont c'est la première expérience. Et tout de suite, l'ambiance est plutôt bonne, très cadrée, sur un respect d'écoute qui, moi, m'a beaucoup marqué. Et je suis très, très touché par les gens qui livrent leur vie, qui sont venus là parce qu'ils ont un trop-plein, des problèmes au travail, des problèmes de couple, des angoisses pour leurs proches. On dépose un peu, pas juste... Le désencombrement de la nourriture, mais on dépose aussi sa vie durant des longues sessions de deux heures de temps de parole où chacun peut parler librement et personne ne peut le couper. C'est très intéressant parce qu'on voit un peu que les gens, quand on leur laisse un champ libre, parfois disent deux, trois phrases, s'arrêtent, d'autres restent pendant une demi-heure à parler. Ça crée une qualité d'écoute incroyable. Et très rapidement, je me suis dit, je ne vais pas raconter un peu ce qui se passe précisément dans la vie de ces gens-là. Parce que justement, ils viennent ici pour se livrer devant d'autres personnes qui sont dans une écoute bienveillante, mais qui ne sont pas des amis. Et ça doit rester au sein du groupe de parole. Si je le raconte, déjà, ça n'aura pas d'intérêt pour le lecteur. Parce que finalement, c'est des conflits ou des problèmes qui sont très aigus pour les personnes. mais que tout le monde peut rencontrer, et ils ne font que dire le problème. Certains réagissent, donnent des pistes, tout ça, mais on est plutôt dans le besoin de, après avoir enlevé la nourriture de son corps, on sort les mots qui nous pèsent, qui pèsent sur l'estomac, qui pèsent dans le dos. Donc je décide de respecter ce temps intime et je leur dis, je dis écoutez, ne vous en faites pas, je suis journaliste, mais on gardera tout ce qui est ici pour nous. À la fin du reportage, j'ai demandé, mais c'est bizarre, on n'a pas pris de photo. Personne n'a pris de photo les uns des autres. Pourtant, on a vécu des moments sympas. Lors des randonnées, il y avait des éclats de rire, il y avait des partages intimes de la vie. Bon, personne ne prenait de photo et quelqu'un m'a dit, mais en fait, c'est vraiment pas le but. L'idée, c'est d'avoir une semaine vraiment à soi, où on peut se poser et ensuite repartir sans crainte. On peut reprendre nos masques sociaux. Donc j'aimais bien ça, mais professionnellement, ça me posait un problème. Le lieu n'était pas fabuleux, l'abbaye est très belle, mais cette salle de retraitant est un peu quelconque. Et les personnes n'ont pas trop envie d'être prises en photo. Donc comment je vais pouvoir illustrer l'article au final ? Je me suis souvenu d'un article de Society qui traitait d'un fait divers dont on n'avait pas vraiment retrouvé les protagonistes. Et ils avaient fait le choix d'illustrer une dizaine de pages d'enquête par des photos des lieux du fait divers, mais vides. Et je me suis dit, peut-être que c'est intéressant de jouer avec le vide du jeune. On enlève quelque chose d'important, on a un espace à soi, un temps qu'on a jamais. et de le traduire en photo. Donc ce que j'ai fait, c'est que j'ai pris tous les éléments qui étaient à ma disposition, simplement comme des polaroïds un peu. Vide. Ça allait du verre de jus de pomme à ce qui m'a servi pour la purge, le magnésium, un tapis de méditation, l'intérieur de l'abbaye, l'église. mais juste comme ça, sans personne. Et puis, on a complété ça par des dessins d'humour. C'est Quentin Vijoux qui fait les dessins. C'était aussi un moyen de remettre les pieds sur terre et de créer un petit décalage qui ne gâche pas la sincérité du témoignage, mais qui permet d'enjoliver un peu, peut-être d'accueillir un peu plus le lecteur encore dans l'expérience intime, par le dessin. Pendant la semaine de jeûne, j'ai suivi le programme classique qui est assez simple, c'est-à-dire on ne mange rien, on peut boire des tisanes, c'est tout. Et je me suis étonné à ne pas avoir faim. Je n'ai pas eu faim une seule fois durant toute la semaine. Et non seulement je n'ai pas eu faim, mais je n'ai pas eu les effets qui sont nausées, probables maux de tête, étourdissements qui peuvent arriver. Parce qu'au bout de deux jours, on a ce qu'on appelle la crise d'acidose, c'est-à-dire que le corps commence à puiser. des ressources dans les graisses. Et ça, ça peut provoquer beaucoup de maux différents. Comme j'avais très bien respecté la descente alimentaire, ces effets ont été atténués. Et en fait, je n'ai pas ressenti de gêne ou de souffrance, contrairement à certains participants qui avaient mal fait cette descente, qui ne l'avaient pas fait assez longuement, et qui là, forcément, la privation de nourriture, ton corps réagit tout de suite. Ça ne m'arrangeait pas trop, parce que si moi il ne m'arrivait rien, qu'est-ce que j'allais raconter ? Et en fait, cette angoisse est montée de jour en jour, puisque pour moi, je vivais complètement normalement. Sauf que le temps était un peu différent. C'est vrai que de ne pas avoir de temps de repas, ça désoriente un peu. Et du coup, il n'y a plus de séparation entre le matin et l'après-midi, par exemple. On ne sait pas trop quand commence la soirée. Donc la fatigue s'accumulant, parce que c'était quand même fatigant. Au bout du quatrième jour, j'étais un peu dans l'évap'. Pas de souffrance, mais un peu comme ça. Ça s'est très bien passé. rythmé par ces temps de parole qui, plus le séjour avançait, plus l'intimité entre nous grandissait. Mais une intimité avec toujours une distance. Il y avait une sorte de respect très important qui fait que chacun pouvait vivre son jeûne, non pas en solitaire, mais vraiment à l'écoute de son corps, et régler éventuellement ses questions, ses problèmes, qui ont souvent besoin juste de temps de pause et de formulation pour s'exprimer. J'ai ressenti à un moment, à la fin du séjour, ce qu'a dit une des participantes. Elle a dit je me sens un peu coupable parce que moi tout va bien dans ma vie Et moi qui étais là pour des raisons professionnelles, je me suis dit moi aussi en fait, j'ai pas grand chose à dire parce que moi tout va plutôt bien. J'ai quand même admis quelque chose que j'ai redécouvert tout au long de cette semaine. Par la gymnastique et la méditation, c'était que j'étais un peu coupé de mon corps. Étant dans un métier très intellectuel, ne faisant pas de sport outre mesure, je me suis rendu compte, on avait deux heures de gymnastique tous les jours, que finalement je n'écoutais pas assez mon corps. Je n'ai pas de réponse, mais ça m'a intrigué sur mon rapport à cette absence de faim, à cette absence de réaction, de sensation. La fin du séjour s'est passée avec une interrogation. Le jeune s'est enlevé des choses dans sa vie. Comment parler d'un espace libre ? Comment parler d'un espace vide ? Que raconter quand finalement on a juste moins ? que dans la vie quotidienne normale. Et qu'on ne veut pas non plus trahir les confidences des autres. Et là, je pense que mon cheminement personnel, spirituel, le baptême a joué. J'ai décidé de faire confiance, en fait. Je me suis dit, je me laisse aller, ça va bien se passer. Je vais écrire. Je vais essayer de rester au plus près des émotions, au plus près aussi de la pudeur. d'expliquer cette pudeur-là, et de faire quelque chose de très incarné, de très personnel, ce qui n'est pas du tout le style de la croix d'habitude. Donc je prends un risque, c'est d'entrer dans une sorte de... de nombrilisme de personnes qui... un journaliste lambda qui se raconte, ça peut choquer. Moi, ça me gêne parfois, de lire des choses comme ça, quand je vois que la personne se met trop en avant, tout ça. Et j'ai pas envie, parce que l'idée, c'était justement de raconter quelque chose qui donne aussi envie au lecteur, quelque part, de tenter l'expérience pour lui. Donc j'ai essayé d'user un peu d'humour, d'autodérision, de me mettre un peu en situation réelle, de doute, de micro-échecs, de maladresse parfois, pour lutter contre quelque chose aussi qu'une amie m'avait dit avant de partir, une amie qui avait fait des jeûnes, et qui m'avait dit c'est formidable, mais il faut faire attention au démon de la pureté Elle avait dit tu termines le jeûne, il peut y avoir un sentiment d'être... Comme on est un peu étourdis, un peu illuminés, un peu tout ça. Donc l'humour c'était aussi un moyen de rester les pieds sur terre. Et c'est vrai que comme moi il ne s'était rien passé de négatif durant le séjour, j'avais presque envie de continuer à la fin du jeûne, à jeûner. Cette idée s'est très vite terminée, parce que dès que je suis arrivé à la gare en fait... J'ai vu une salade, une salade de lentilles, et là je me suis senti salivé pour la première fois. C'est marrant. Revenir dans le monde, en tout cas hors de ce groupe où on était là pour ça, tout de suite mon corps a réagi en disant j'ai faim Résultat de l'opération, j'ai quand même perdu 8 kilos sur les 3 semaines, que j'ai hélas repris en grande partie 2 mois plus tard. Ça, on m'avait aussi prévenu, on m'avait dit, attention. Il faut le faire chaque année pour que ça ait vraiment un effet sur le poids. Donc physiquement, je suis content de moi, parce que c'est quand même bien de perdre un peu de poids comme ça. C'est spirituellement que ça a changé, et surtout dans mes habitudes de consommation. C'est-à-dire que je me rends compte que je mange plus de légumes qu'avant. Je fais beaucoup plus attention à la manière dont je mange, à mâcher lentement, à prendre en considération ce que j'ingurgite. Et aussi, je pense, un peu un rapport avec mon corps qui est pacifié. Je ne suis plus juste dans le haut de la tête. C'est encore très neuf, donc je ne sais pas ce que ça va donner. Mais cette expérience, en fait, m'a apporté beaucoup. Ça m'a apporté aussi beaucoup de rencontres. On est resté très en contact avec les participants du stage. Il y a eu des très beaux moments. Donc ça, c'est toujours, je dirais, le cœur de ce métier. C'est d'aller rencontrer des gens, d'aller échanger des expériences. C'est pour ça que j'aime faire ce métier de journaliste, de découvrir des nouvelles émotions, des nouvelles lignes de vie. Et je pense qu'en fait, j'ai envie de continuer ça. Finalement, pourquoi je m'intéresse aux spiritualités, c'est pas tant dans une visée encyclopédique ou de savoir. Ce qui m'intéresse, en fait, c'est de formuler les émotions que les gens ressentent dans cette dimension spirituelle de l'existence. C'est pas pour en défendre l'une ou l'autre, je suis prêt à aller voir un peu... Toutes les spiritualités, j'aimerais bien par exemple passer une semaine dans un temple bouddhiste. Ça m'intéresserait de voir ce qui est différent. Et c'est de sentir la qualité des émotions qui sont ressenties dans cette dimension-là de l'existence. Et je pense que je vais continuer à explorer ça.

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