Speaker #0Hello. Une fraction de seconde avant que ma voix atteigne vos oreilles, vous avez probablement cliqué sur votre souris, votre trackpad, vous avez appuyé sur votre écran. Quoi qu'il en soit, c'était anodin, ça a fonctionné. Vous ne vous êtes pas demandé pourquoi ni comment ce podcast vous est parvenu. Mais il fut un temps où l'accès aux médias ne se faisait pas aussi facilement et où Internet n'était certainement pas l'option à privilégier si on voulait écouter de la musique ou regarder un film. Pourtant, à la fin des années 90, un phénomène change la donne à tout jamais. Aujourd'hui, on s'intéresse à Napster, qui en plus d'avoir démoli des modèles économiques et des normes, a démocratisé le concept de commodité dans la consommation de médias en tout genre. Bienvenue dans l'épisode précédent. Avant de plonger dans l'histoire de Napster, essayons de comprendre où on se situe dans le temps. Les années 90 voient apparaître l'explosion de l'utilisation des PC et l'avènement d'Internet. Cependant, malgré l'émergence de technologies numériques, la musique est principalement distribuée via des supports physiques, tels que les cassettes, mais surtout les CD. Les majors de l'industrie musicale règnent en maître absolu sur la production, la commercialisation et, ce qui nous intéresse aujourd'hui, la distribution de la musique. Si on devait choisir un point de départ à Napster, ça pourrait être 1993. Parce qu'en 1993 apparaît un format qui va venir secouer une industrie toute entière et à terme les habitudes de centaines de millions de personnes. Ce format, c'est le MP3. Pour vulgariser le MP3, on peut dire que c'est un format de compression audio qui réduit considérablement la taille des fichiers musicaux tout en préservant une qualité sonore acceptable. Oui les audiophiles, je vous vois, calmez-vous. Pourquoi le MP3 a-t-il joué un rôle si important dans l'histoire de Napster, et de manière générale dans l'histoire de l'échange de musique sur Internet ? Promis, après cette explication, on ne parle plus de technique. Sur un CD, un album de musique prend environ 700 méga octets. A la fin des années 90, la vitesse de connexion Internet moyenne est de 56 kilobits par seconde, ce qui signifie que si vous aviez voulu télécharger un CD avec votre connexion de l'époque, ça vous aurait pris environ 28 heures. 28 heures dans un monde où on ne met les plantages, les connexions qui coupent, etc. Concrètement, c'était possible, mais c'est un peu comme si vous aviez essayé de remplir une piscine olympique avec un tout petit tuyau d'arrosage. C'est faisable, mais c'est long et c'est pas très passionnant. Avec le format MP3 fraîchement débarqué, notre album de musique passe de 700 MHz à 80 MHz. Et alors, mon téléchargement de 28 heures se transforme en 3 heures. C'est toujours très long, mais pour l'époque, c'est plutôt rapide. Et pour peu que vous soyez précurseur avec une connexion ADSL, les 3 heures se transforment en 20 minutes. Alors voilà, avec le MP3, on a le format idéal pour faire passer de la musique dans l'Internet des années 90. A partir de là, des groupes pullulent sur internet et permettent de s'échanger des fichiers musicaux. Ces groupes sont très actifs et grandissent, mais restent tout de même destinés à des cercles plutôt confidentiels. La machine est en marche, mais pas encore tout à fait mûre pour le grand public. Il va falloir attendre 1999 pour que Sean Fanning et Sean Parker offrent au monde une petite bombe à retardement. Cette bombe s'appelle Napster. Napster se présente comme une plateforme permettant aux utilisateurs de partager et télécharger de la musique sous forme de fichiers MP3 via un service peer-to-peer. Avec ce service, l'objectif de Sean Fanning était simple, transformer la mise à disposition et le partage de la musique. Ce qu'il va alors en réalité créer, c'est une secousse sismique qui retentira jusqu'aux portes des PDG des plus grandes maisons de disques de l'époque. Mais comment ça a fonctionné ? Napster utilisait une technologie décentralisée pour connecter les ordinateurs des utilisateurs entre eux, permettant ainsi un échange direct de fichiers. En gros, j'ai un fichier sur mon ordinateur, je le mets à disposition sur Napster, vous pouvez venir le télécharger directement sur mon ordinateur en utilisant vous aussi Napster. Plus on est nombreux à partager le même fichier, plus ça va vite pour celui qui le télécharge. On peut difficilement faire plus simple à l'époque. Napster venait alors de résoudre un problème. complexe avec une solution très très simple. Au-delà de l'expérience pour l'utilisateur, l'autre coup de génie de Sean Fanning est plutôt technique. Contrairement au modèle de téléchargement centralisé, Napster ne stockait pas de musique sur ses serveurs. Le fait d'aller directement télécharger des fichiers sur la machine d'un particulier était, là encore, un bouleversement. En mettant en place ce système, Sean pensait éviter les accusations de piratage. Je vous spoil, ils n'y ont pas coupé. Au bout d'un moment, la justice s'est sérieusement intéressée à leur cas. En peu de temps, Napster devient un phénomène culturel dans le monde entier. Les adolescents et les jeunes adultes en particulier adoptent massivement cette nouvelle forme d'accès à la musique. La facilité de trouver presque n'importe quel morceau de musique sans sortir de chez soi et gratuitement bouleverse complètement l'industrie musicale. Les ventes de CD commencent tranquillement à chuter, alarmant les maisons de disques et les artistes qui voient leurs revenus diminuer. Bon la suite vous la connaissez, les grandes majors s'unissent, sortent leur propre plateforme de streaming parce qu'elles avaient vu le vent tourner et prospèrent encore pendant de longues années. Non. En réalité, plutôt que d'épouser le besoin auquel Napster répond et proposer elle-même une alternative légale, l'industrie musicale réagit en intentant une série de poursuites judiciaires contre Napster. Les grandes majors comprennent que quelque chose se passe, mais ne savent pas vraiment quel rôle jouer dans cette transformation numérique. A partir de là, les pires ennemis de Napster sont entre autres Metallica et Dr. Dre. Les artistes portent plainte contre la société, accusant Napster de faciliter le piratage à grande échelle, même si la plateforme n'est finalement qu'un facilitateur de toutes ces transactions illégales. Pour ma part, la première fois que j'utilise Napster, j'ai 14 ans, et ça me laisse sans voix. Principalement parce que 3 téléchargements sur 5 n'aboutissent pas, ou que, pensant télécharger le dernier album de Placebo, je me retrouve avec des mixtapes de rappeurs. Mais quand ça fonctionne, c'est juste fou. Il faut bien prendre la mesure de ce qui se joue alors. Je suis devant un ordinateur, connecté à un internet archaïque. Je fais une recherche, très souvent je trouve ce que je cherche, parfois plus facilement que chez un disqueur. ou dans une grande enceine de l'époque, je télécharge de la musique sur l'ordinateur de quelqu'un, qui peut être n'importe où sur la planète. À ce moment-là, avec mes amis, on vit l'instant, on hallucine, mais on ne réalise pas vraiment l'aspect illégal de ce qu'on fait. Pourtant, dans les années qui suivent, on découvre tout un tas de spots qui avertissent sur l'aspect illégal de Napster. Le téléchargement illégal, c'est du vol, voler, c'est mal. Bon, ça vole pas haut, mais les faits sont là. Télécharger de la musique illégalement, c'est effectivement priver tous les maillons d'une chaîne d'être rétribués pour le travail fourni. En 2001, la pression judiciaire est trop forte, Napster est contraint de fermer ses portes. Toutefois, le débat autour des droits d'auteur et de la distribution numérique ne fait que commencer. Bien que Napster était généralement utilisé de manière illégale, il serait bien trop facile de le cantonner à un service de partage de fichiers pour consommateurs avares. Napster a été le premier catalyseur de changement dans la consommation de la musique pour le grand public. Il a été un avant-gardiste qui a défié un modèle économique, et surtout une industrie qui n'a vu dans le numérique qu'une économie d'échelle et les profits qui en découleraient. Napster a donné naissance à de nouvelles façons de penser la propriété intellectuelle, et la distribution numérique. Le vinyle, la cassette, le CD. Du jour où l'on a réussi à numériser la musique, à la transformer en 1 et en 0, il était inéluctable que le support physique ne tiendrait pas et serait vu comme une forme d'encombrement par le grand public. Le CD s'est chargé d'apporter la musique numérique dans les foyers. Napster a révolutionné la manière dont on la découvre. En 2024, que reste-t-il réellement de Napster ? Pour ma part, je lui trouve principalement des héritiers. Il s'appelle Spotify, Apple Music ou encore Deezer. Des plateformes qui ont adopté le modèle de streaming, modèle qui doit une partie de son existence aux fondations posées par Napster. Bien que son aspect éthique reste parfaitement discutable, il est indéniable que la plateforme pour apprentis pirates a créé un besoin et a répandu ses racines dans des foyers en quête de solutions de téléchargement et de streaming légal. Des cendres de l'air que Napster a tué, une culture puissante et pérenne a émergé. Vous venez d'écouter l'épisode précédent consacré à Napster. A bientôt.