- Speaker #0
Bonjour et bienvenue dans l'état d'esprit de Guy Amalfitano. A 17 ans, la vie de Guy bascule, un cancer, une amputation, beaucoup auraient renoncé. Lui a décidé de courir, plus loin que jamais. Trois tours de France, une traversée du Canada à Becky, la tour Eiffel gravie sur une jambe, et un sourire toujours en avant. Un parcours hors du commun, une leçon d'optimisme. Bonjour Guy, en 2019, vous recevez la Légion d'honneur. Ce jour-là, qu'est-ce qui domine ? La fierté, la reconnaissance ou quelque chose de plus intime ?
- Speaker #1
Oui, bien sûr, de la fierté, de la reconnaissance, oui, évidemment, puisque moi je me suis engagé dans pas mal d'actions, donc c'est vrai que c'est une reconnaissance par rapport à tout ce que j'ai pu faire dans le domaine sportif et plus ou moins aussi dans le domaine des opérations humanitaires.
- Speaker #0
À 17 ans ? Vous traversez l'épreuve du cancer, une amputation puis une reconstruction. Qu'est-ce que cette épreuve vous a appris sur vous-même alors qu'on est très jeune, 17 ans ?
- Speaker #1
17 ans, c'est vrai que quand ça vous arrive, on n'est pas prêt pour ça. En général, j'aimais faire la fête, j'étais en pleine action. Et puis du jour au lendemain, comme ça, on m'annonce un ostosarcome. donc il a fallu... Il a fallu surmonter tout ça, donc ça a été très compliqué au départ. J'étais vraiment au fond du seau, je me posais beaucoup de questions. Et voilà, je pense que c'est un petit peu normal, parce que 17 ans, on est atteint dans sa chair. On se demande un petit peu ce qui va se passer après. On a une petite perte de confiance, même beaucoup. Il faut arriver à retrouver la force de rebondir, puisqu'on se dit que c'est une épreuve qu'il va falloir surmonter. Ça va peut-être nous renforcer. Donc voilà, on essaie de rebondir comme on peut.
- Speaker #0
J'imagine que vous passez par plusieurs étapes.
- Speaker #1
Oui, plusieurs étapes. Il y a d'abord le fait qu'on refuse cet état de fait. Et puis après, on commence à réfléchir. On se dit qu'il va falloir vivre avec. Donc soit on le prend du bon côté, soit... Donc moi c'est ce que j'ai fait, j'ai eu ma période un petit peu noire, ça n'a pas duré très longtemps puisque ça ne durait que quelques mois. Et puis après j'ai vite rebondi, je me suis relancé dans le sport parce que je suis quand même un sportif de tout temps, j'ai fait du sport. Donc voilà, je me suis relancé dans le sport, ça m'a permis de changer les idées, de penser à autre chose, de moins m'emberger sur mon état. Et puis voilà, ça s'est très bien passé.
- Speaker #0
Et finalement, c'est ce qui est devenu presque une conviction, c'est ce qui a fait votre vie ?
- Speaker #1
Exactement. Moi, le sport, de toute façon, oui, le sport et puis surtout le fait d'avoir rebondi, c'est vrai que ça m'a énormément apporté. Je me suis rendu compte que finalement, dans les épreuves, aussi douloureuses soient-elles, on arrive à trouver le moyen, la force d'aller chercher le côté positif de ce qui s'est passé.
- Speaker #0
Est-ce que vous diriez que c'était du courage ou finalement autre chose ?
- Speaker #1
Du courage, oui. Beaucoup me disent « Oh, t'as du courage » . Enfin, moi, je réfléchis pas à ça. C'est du oui. C'est un genre de courage. C'est l'instinct. On réagit par rapport... On s'adapte.
- Speaker #0
Est-ce qu'on a peur ?
- Speaker #1
Alors, on a peur au début parce qu'on a peur un petit peu de l'inconnu. On se demande comment ça va se dérouler. Puis après, on s'aperçoit que finalement, les choses se passent très bien et que finalement, on grossit beaucoup les... L'effet, en fait, quand on est dans le feu de l'action, tout se déroule à peu près normalement.
- Speaker #0
Alors finalement, pour la suite, vous avez fait une belle carrière sportive, notamment. D'où vient cette énergie ? Parce que ça continue d'ailleurs.
- Speaker #1
Le sport, j'en ai toujours fait, depuis tout petit. Et puis on est une famille de grands sportifs. On est des footeux, beaucoup de footeux. J'ai des cousins qui ont joué à l'OM. Donc voilà, mon père faisait beaucoup de foot aussi. Moi, il a voulu un petit peu me lancer dans le foot, mais les sports collectifs, ce n'était pas trop mon truc. J'ai fait du judo. Après, j'ai fait de l'athlétisme, beaucoup d'athlétisme. Et bon, ensuite, j'ai eu mon pépin. Je pense que c'est un équilibre. Ça m'apporte énormément.
- Speaker #0
Et après votre pépin, comme vous dites, vous avez continué à faire du sport.
- Speaker #1
J'ai changé de discipline, puisque je... J'avais appris que beaucoup d'unijambistes pratiquaient le ski. Donc c'est vrai que trois mois après mon opération, j'ai fait mon premier stage de ski. Je suis rentré en équipe de France. Puis voilà, j'ai fait une petite carrière de skieur de haut niveau, on va dire. Le fait d'avoir eu cet objectif-là de partir faire du ski, d'apprendre une nouvelle discipline et puis d'avoir un objectif de rentrer en équipe de France, de faire des compétitions, ça m'a vidé totalement d'esprit. j'ai plus pensé à... à ce que j'avais et je pense que c'est un petit peu ce qui m'a... Ça a été ma bouée de sauvetage, en fait.
- Speaker #0
Qu'est-ce que ça vous a pris, justement, ce contact avec d'autres personnes qui, elles aussi, avaient été victimes soit de maladies, soit de blessures, soit d'accidents ?
- Speaker #1
On était un petit groupe, on s'entraidait et puis ça se passait très bien. Bon, on se comprenait puisqu'on avait un petit peu les mêmes soucis. Voilà, ça rapproche et puis ça... Et puis je me suis aperçu que finalement, le fait d'avoir une jambe ou pas, ça ne change forcément pas grand-chose à l'affaire.
- Speaker #0
Alors vous avez fait de nombreuses traversées en béquille. Est-ce que vous pouvez nous dire en quelques mots ?
- Speaker #1
La course à pied, je m'y suis mis assez tard, puisque ça s'est passé en fait en... J'ai commencé à courir moi en 2010 à peu près. Donc il n'y a pas si longtemps que ça, suite à... Un concours de circonstances en fait, c'était lors d'une sortie ski justement, je me suis sur une réception de saut, je faisais beaucoup de freestyle et sur une réception de saut je me suis fracturé la troisième lombaire donc je suis resté pendant plusieurs mois immobilisé, ensuite je me suis dit bon il faut que je me remette un petit peu en condition parce que bon j'avais pris en 5 mois d'immobilisation, bon on prend du poids, on est un petit peu voilà, j'ai dit je vais éliminer tout ça. Je vais un petit peu me ressaisir, me remettre en condition. Je m'étais fixé trois semaines à peu près, trois, quatre semaines d'aller courir un petit peu tous les jours. Je me suis aperçu que la course à pied, ça me faisait du bien. Ça me permettait de réfléchir sur plein de choses. D'ailleurs, pendant cette période, j'ai fait un petit peu mon introspection. J'en ai profité pour faire le point sur ma vie. Réfléchir à ce que j'avais vécu, le déroulé de ma vie, de mon but, ce que j'allais faire ensuite. Et puis finalement j'en suis venu à la conclusion que finalement j'étais, pendant toutes ces années, après mon opération, j'ai été un petit peu centré sur ma petite personne, que j'en ai un petit peu oublié les choses essentielles, le fait d'avoir survécu à cette maladie, d'avoir eu des gens qui... qui me soutiennent, qui m'ont aidé, les médecins, les chirurgiens. C'est bien de se faire plaisir, de se faire du bien, mais bon, dans quel but ? Il y a peut-être quelque chose à faire autre que penser à sa petite personne. C'est à partir de là que j'ai eu tout à basculer dans ma tête. Je me suis dit qu'il fallait que je ne pense un petit peu moins à moi et que je m'occupe un petit peu des autres, que je me rende utile à quelque chose surtout. J'ai dit pourquoi pas me servir de cet outil-là, la course à pied, parce que la course à pied c'est un excellent outil de communication je trouve. Puis là il m'est venu à l'esprit l'histoire de Terry Fox. Pour la petite histoire, moi je l'ai découvert sur mon lit d'hôpital, je faisais de la chimiothérapie après mon amputation, donc j'étais au fond du seau. Puis j'avais la télé pendant ma chimio, je regardais la télé, il y avait les infos et aux infos il montrait... Ils ont parlé de ce gars, un Canadien qui s'appelait Terry Fox, qui avait été amputé de sa jambe, comme moi, qui avait eu un ostéosarocum, comme moi, la même jambe, exactement, pareil. Et il était en train de traverser le Canada pour collecter des fonds pour la recherche contre le cancer. Et quand je l'ai vu, ça m'a fait un genre d'électrochoc. Je me suis dit, oh là là, ce gars, il court. Alors lui, il avait une prothèse. C'est vrai qu'à l'époque, les prothèses, ce n'étaient pas les prothèses qu'on a maintenant. Donc voilà, ce n'était pas forcément évident pour lui. Mais bon, il est arrivé, donc il était en train de traverser le Canada, il essayait de mobiliser les Canadiens, et moi je m'étais dit, si lui il arrive à faire des trucs comme ça, il faut que je me bouge un petit peu, et puis rien n'est perdu. La vie ne se termine pas comme ça, après un cancer, on peut arriver à s'en sortir. Donc voilà, Terry Fox, je me suis un petit peu intéressé à son histoire. Donc il a continué sa traversée du Canada, c'était en 1980, et à mi-parcours malheureusement le cancer l'a rattrapé. Il a dû arrêter son aventure, alors il avait réussi à mobiliser le Canada entier, il y avait des mondes fous sur les routes qu'il attendait, des écoles, des enfants, tout le monde l'attendait sur le bord des routes. Et lui son rêve c'était de partir de St. John's côté Terre-Neuve et de rejoindre Vancouver, traverser tout le Canada en courant. Voilà, donc malheureusement le cancer l'a rattrapé, a mis par cours à Thunder Bay, il a dû arrêter son périple et quelques mois après il est décédé. Donc je me suis dit pourquoi pas faire ce qu'avait fait Terry Fox un petit peu, alors pas aller au Canada mais faire par exemple partir, faire un tour de France et puis collecter des fonds pour la recherche contre le cancer. Donc je pense que c'est une bonne idée. Donc à partir de là, au lieu d'arrêter mes petites séances de course à pied, Je me suis fixé l'objectif. Je me suis dit, je vais continuer, je vais faire de l'entraînement, je vais partir. Et puis, je vais faire un tour de France et je vais collecter les fonds. Donc voilà, tout est parti de là.
- Speaker #0
Et justement, qu'est-ce que vous ressentez déjà ? Et qu'est-ce que vous disent les gens que vous croisez ?
- Speaker #1
Alors, ce que je ressens, c'est un plaisir déjà. Alors, pas le plaisir de courir forcément, parce que moi, la course à pied, alors ça va faire rire beaucoup de gens, mais moi, la course à pied, je n'aime pas ça. Après, bon, il faut savoir que je cours. D'une manière très particulière, puisque j'ai des béquilles qui sont spécialement adaptées pour ça, avec des gros ressorts, des gros amortisseurs. J'intercale un cloche-pied, ce qui me permet de me relancer, de faire de la course à pied. Donc pour moi, déjà la course à pied, à la base, ça demande énormément d'énergie. Mais ce que ça m'apporte, c'est surtout le fait d'aller à la rencontre des gens. Ils sont heureux que je fasse toutes ces opérations-là. Ils sont bienveillants et j'échange beaucoup avec eux. J'ai rencontré beaucoup de personnes qui avaient été atteintes du cancer. Je leur donnais un petit peu, à travers ce que je faisais, de l'espoir comme moi j'en ai eu quand j'ai vu Terry Fox à la télévision. Si je peux inspirer les gens, c'est le but ultime.
- Speaker #0
En 2026, vous préparez un nouveau challenge. Le Kilimanjaro est le plus grand escalier du monde. Pourquoi ces deux lieux ?
- Speaker #1
Pourquoi ces deux lieux ? Alors,
- Speaker #0
l'escalier, je trouve ça fun.
- Speaker #1
Il y a 11 600 marches, ce qui correspond à cette fois à l'ascension de la Tour Eiffel. Alors l'ascension de la Tour Eiffel, je l'ai faite. C'est un effort très violent. L'exercice de la montée des escaliers, je connais bien. Donc le Niesen, c'est le Niesen, c'est un sommet. Il y a un escalier qui longe un funiculaire. J'ai dit, pourquoi pas tenter l'aventure, voir un petit peu comment je me... Comment je réagis face à cet effort-là ? Très violent, parce que ça demande un effort hyper violent. Quant au Kilimanjaro, c'est le plus haut sommet d'Afrique. Et j'ai une amie qui s'appelle Vanessa, Vanessa Morales, qui détient actuellement le record du monde de la montée et de la redescente du Kilimanjaro. Elle a monté et descendu en 11 heures, un peu plus de 11 heures. Elle a pulvérisé le record du monde, donc c'est quelqu'un que je connais depuis très longtemps déjà. Donc là, je suis en pleine préparation depuis déjà plusieurs mois, préparation physique. Parce que je sais qu'il va falloir que je sois hyper préparé physiquement, plus que je ne l'ai été auparavant. On est en train de monter le dossier, c'est elle qui m'accompagnera parce qu'elle le connaît par cœur, le Kilimanjaro. Elle m'a fait un plan, je vais travailler en hypoxie parce qu'il va falloir travailler, voir un petit peu aussi comment je me comporte avec le manque d'oxygène. Il va falloir trouver les sponsors pour trouver le financement pour le projet.
- Speaker #0
Qu'avez-vous envie de dire à des personnes qui seraient atteintes du cancer, qui vous écoutent ?
- Speaker #1
Quand on est atteint d'une maladie comme ça, il faut essayer de trouver le côté positif de la chose, se servir de ça pour essayer d'avoir une utilité à quelque chose. Moi, j'ai mis des années avant de découvrir que finalement... Parce que je me posais souvent la question, je me disais, mais pourquoi ça m'est arrivé ? Pourquoi j'ai été amputé de 7 jambes et pourquoi je m'en suis sorti finalement ? Parce que c'est vrai qu'à l'époque en 1980, quand on a un osteosarcome, c'était très très grave. Là maintenant on a fait des progrès. Donc j'ai envie de leur dire, entre parenthèses, qu'il ne faut pas lâcher parce que les progrès il y en a. Alors c'est vrai qu'on a toujours l'impression que c'est très lent, que ça n'avance pas, mais ça avance énormément. Il ne faut pas s'apitoyer sur son sort, c'est comme ça, c'est la vie. Il faut essayer de trouver la raison pour laquelle, une raison pour laquelle ça s'est passé, il y a toujours une raison. Moi voilà, j'ai trouvé ma voie, moi je me sers de ça maintenant pour diffuser des messages, pour essayer d'inspirer les gens. Quand on a un rêve ou quelque chose qu'on a envie de faire, il faut le faire, il faut le tenter, même si on a l'impression que c'est impossible, qu'on n'est pas capable de le faire. J'ai été sidéré par le fait que le corps humain... à des ressources incroyables. Et on ne se rend pas bien compte, mais on peut faire énormément de choses. Il suffit d'oser les faire, tout simplement.
- Speaker #0
Justement, ce podcast s'appelle L'État d'Esprit. Qu'est-ce qui vous guide au quotidien ?
- Speaker #1
Ce qui me guide au quotidien, c'est déjà de vivre ma vie sans barrière, en faisant ce que j'ai envie de faire. Je ne me pose pas de questions. Je vis beaucoup au feeling. La vie c'est précieux, c'est important, donc autant la vivre le mieux possible, à fond. Je suis ma ligne de conduite, ma trajectoire, et ma trajectoire c'est d'essayer d'être le plus vrai possible, d'être quelqu'un qui se rend utile à quelque chose, quelqu'un qui inspire. C'est toutes ces choses-là qui font qu'aujourd'hui je suis épanoui, je suis bien équilibré, tout va bien.
- Speaker #0
Merci beaucoup Guy pour ce témoignage. Merci beaucoup.
- Speaker #1
Merci à vous.