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L'état d'esprit : Jean Hiquet, médecin légiste, chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes à Pau cover
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L'état d'esprit

L'état d'esprit : Jean Hiquet, médecin légiste, chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes à Pau

L'état d'esprit : Jean Hiquet, médecin légiste, chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes à Pau

18min |20/10/2025
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18min |20/10/2025
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Description

Dans cet épisode du podcast L’État d’esprit, le Dr Jean Hiquet, médecin légiste et chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes du Centre hospitalier de Pau, ouvre les portes d’un univers souvent méconnu : celui de la médecine légale.
Également expert judiciaire près la cour d’appel de Pau, il partage avec une grande sincérité son parcours, ses convictions et la réalité d’un métier à la frontière entre le soin et la justice.

À travers ses mots, se dessine une vocation profondément humaine : celle d’un médecin qui, au-delà des constats et des procédures, accompagne la souffrance des victimes et cherche à redonner du sens à l’acte de soin, même dans les situations les plus douloureuses.
Ce témoignage fort dévoile une autre facette de la médecine légale — loin des clichés froids et techniques — pour mettre en lumière la dimension éthique, psychologique et empathique de cette spécialité exigeante.

Le Dr Hiquet évoque aussi son engagement au sein de la Maison des Femmes, un lieu d’accueil, d’écoute et de reconstruction pour les victimes de violences conjugales et sexuelles. Chaque jour, avec son équipe, il œuvre pour que la parole des victimes soit entendue, respectée et accompagnée avec dignité.

Cet échange, à la fois sensible et percutant, nous interroge sur ce que signifie réellement “prendre soin” dans l’irréparable. Il met en lumière la force tranquille d’un professionnel qui, au cœur du drame, fait de l’écoute et de la bienveillance ses outils les plus puissants.

Un épisode essentiel pour comprendre la valeur humaine du soin, la responsabilité de la justice, et la force du lien entre science et compassion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de l'état d'esprit. Aujourd'hui je reçois le docteur Jean Hickey, médecin légiste, chef de service de l'unité médico-judiciaire et maison des femmes du centre hospitalier de Pau, expert judiciaire près de la cour d'appel de Pau. Bonjour docteur Hickey, je voulais savoir qu'avez-vous ressenti quand vous avez réalisé votre première autopsie en tant qu'étudiant ?

  • Speaker #1

    Ma première autopsie en tant qu'étudiant, ça remonte. J'étais en quatrième année de médecine, c'était mon premier stage de découverte de la médecine légale. Je me rappelle très très bien de cette première autopsie qui était celle d'un enfant d'une dizaine d'années. Donc un dossier assez singulier pour débuter. Et je me rappelle avant de rentrer dans la salle d'autopsie, je n'avais qu'une idée en tête, c'était de ne pas faire de malaise, de ne pas faire de malaise. j'avais peur de ça parce que pour ne rien vous cacher quelques... Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté un malaise vagal dans la librairie Vigo Malouane à Paris, rue de l'école de médecine, en feuilletant un traité de médecine légale. J'avais eu un petit coup de chaud et je m'étais retrouvé au sol, les jambes en l'air. Et donc j'avais un petit peu de pression sur cette première autopsie. Et rapidement, ce qui a pris le dessus, c'est la fascination de la démarche intellectuelle, de l'analyse du... corps qui était devenu un objet d'étude. Et grâce à un accompagnement très pédagogique du médecin légiste à l'époque, je suis sorti de là en me disant, je crois que c'est vraiment ce métier que je veux faire. Alors en tant que médecin, quand j'ai eu mon nom sur la blouse, c'était novembre 2011. Alors étrangement, je garde peu de souvenirs de ces premiers dossiers. Certains m'ont marqué plus que d'autres, mais en tout cas les premiers seuls, je garde peu de souvenirs. J'ai essayé de chercher il n'y a pas longtemps de ça, mais j'ai le souvenir d'avoir débuté avec l'impression d'avoir une responsabilité importante dans le cadre de ce travail. Mais j'avais l'assurance d'avoir une équipe plus expérimentée autour de moi et d'avoir des collègues plus âgés qui étaient un filet de sécurité. Donc j'ai le souvenir d'avoir commencé dans des très bonnes conditions d'encadrement, ce qui, je pense, a permis peut-être de diminuer la charge de stress et de pression, ce qui fait que je m'en rappelle un peu moins probablement.

  • Speaker #0

    Comment on gère ces émotions, ce contact finalement avec la mort ? Ou la violence d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors les émotions, elles sont là. Elles sont différentes en fonction des personnes, des individus, de leur histoire personnelle, de leur sensibilité. C'est un apprentissage, ça fait partie de la formation. On fait quelque chose qui est loin d'être anodin. Donc forcément, ça fait écho, ça renvoie des choses parfois positives, parfois négatives et douloureuses. Il faut savoir être à l'écoute de ces émotions-là. Il faut savoir. les canaliser et puis leur laisser une place, mais pas une place envahissante en tout cas. Donc la confrontation à la violence, à la mort, elle est là, c'est notre quotidien. Ça permet parfois, au fur et à mesure de son exercice, d'avoir un regard qui va changer sur certaines choses. Les rapports entre les individus, sur la nature humaine, le rapport à la mort aussi. Personnellement, je n'ai pas le même rapport à la mort aujourd'hui que j'ai pu l'avoir il y a 15 ans quand j'ai débuté. Donc voilà, tout ça se façonne, tout ça se travaille et la spécialité se charge de nous faire avancer sur ces sujets-là.

  • Speaker #0

    Et ça, vous l'apprenez ou ça se construit au fur et à mesure des années ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'est un cheminement, en ce qui me concerne en tout cas, qui s'est construit progressivement. Après, il y a certaines étapes plus marquantes que d'autres, des dossiers plus marquants que d'autres, qui débouchent sur des échanges, sur des partages d'émotions, de ressentis avec des collègues, avec des pairs aussi, qui donnent des conseils, qui... Voilà, chaque individu est unique et on se fait sa propre idée de tout ça au fur et à mesure, je crois.

  • Speaker #0

    Pourquoi avoir choisi la médecine légale ?

  • Speaker #1

    La médecine légale, c'est une science à part entière qui consiste à mettre au service de la justice, la justice au sens large, des connaissances et des compétences médicales. C'est un univers qui a la frontière entre le monde du droit et le monde de la santé. Chez moi, j'ai découvert ce métier en lisant... À l'époque, j'étais lycéen et j'avais découvert des ouvrages de Patricia Cornwell, qui est une autrice américaine qui décrit les enquêtes d'une médecin légiste qui s'appelle le docteur Kei Scarpetta. Et j'avais trouvé... j'avais trouvé ce métier fascinant tel qu'il était en tout cas raconté dans ses ouvrages et puis les hasards de la vie ont fait que j'ai croisé aussi le parcours d'une professeure de médecine légale qui est devenue plus tard mon professeur de médecine légale à Bordeaux et qui était une femme extrêmement passionnée par son métier qui en parlait avec des étoiles dans les yeux et qui a su, je pense, me défendre. donner l'envie de le découvrir et de l'apprendre et puis de l'exercer donc je lui dois ça effectivement le déclic il est survenu tôt au lycée donc j'ai passé mon bac j'ai je suis parti faire mes études de médecine dans l'idée d'être médecin légiste après voilà je suis d'un naturel assez curieux assez ouvert aussi donc je ne me suis pas fermé la porte sur d'autres spécialités d'autres disciplines. J'ai été très attiré pendant longtemps par par la psychiatrie. J'y ai fait des stages, je m'y suis beaucoup intéressé. La psychiatrie, c'est une discipline qui est aussi très liée à la justice. La psychiatrie médico-légale est une discipline à part entière que l'on côtoie aussi assez fréquemment dans les dossiers. J'ai pu faire quand même deux stages en médecine légale qui m'ont conforté dans l'idée que c'était médecin légiste que je voulais être et non pas psychiatre.

  • Speaker #0

    Comment vous découvrez-vous ? Vous décrivriez votre rôle ? Vous êtes un médecin, vous êtes un expert, vous êtes un enquêteur ou vous êtes les trois ?

  • Speaker #1

    Moi, je suis médecin avant tout. J'ai prêté un serment. Je n'ai pas fait d'autres études que des études de médecine. Je suis pour que chacun reste dans son rôle. On travaille en complémentarité, mais à aucun moment, je me considère comme un enquêteur. Je n'ai aucun pouvoir d'enquête et je n'en veux aucun. Aux États-Unis, les médecins légistes ont plus de pouvoir d'investigation que nous n'avons pas du tout. Ici, nous travaillons sous l'autorité du procureur de la République et les officiers de police judiciaire par délégation. Mais moi, je suis médecin avant tout. Donc mon travail, c'est de faire des constatations à charge, à décharge. En tout cas, des constatations qui soient utiles à l'enquête et in fine à la manifestation de la vérité.

  • Speaker #0

    Quels sont les enjeux quand vous... examinez un corps de personnes décédées ou une personne qui ne l'est pas ?

  • Speaker #1

    Bien évidemment le premier c'est l'enjeu judiciaire. Notre travail c'est de faire des photographies à l'instant T de l'état traumatique d'un individu qu'il soit décédé ou qu'il soit vivant. Donc notre travail c'est avec nos yeux de décrire des éléments objectifs, des blessures et d'apporter ces éléments à la connaissance de la justice à travers d'or. des rapports, des rapports médico-légaux, qui vont venir apporter des éléments de preuve qui permettront après, dans le cadre de l'enquête, de faire avancer les choses, de fermer des portes, d'en ouvrir d'autres, de confronter des hypothèses, d'infirmer d'autres hypothèses. Donc l'enjeu premier, il est judiciaire. Derrière cet enjeu judiciaire, il y a des enjeux aussi éthiques, des enjeux humains, En étant médecin, on se doit de pratiquer la médecine légale selon des règles de déontologie, la question de l'information des victimes que l'on reçoit. On doit les informer de qui on est, de comment on intervient, de quel est notre travail. On se doit de recueillir leur consentement. pour être examiné et on se doit aussi de mener nos investigations avec le plus d'humanité possible notamment dans le cadre d'examens particuliers comme des examens de victimes de violences sexuelles qui sont des examens assez délicat très souvent très intrusif et donc on se doit de faire preuve d'empathie. Donc ça, c'est pour moi des enjeux aujourd'hui éthiques qui sont absolument indissociables de l'enjeu premier qui est, lui, judiciaire.

  • Speaker #0

    Tout ce qui est empathie, tout ce qui est accompagnement des victimes, comment vous le vivez ? Comment vous perfectionnez, si je puis dire, ou en tout cas, vous y travaillez ?

  • Speaker #1

    Effectivement ça fait partie de la formation maintenant pour être médecin légiste c'est une spécialité qui dure quatre ans après après le concours de l'internat donc les jeunes médecins légistes apprennent justement à recevoir une victime à l'écouter à lui poser des questions à la préparer à un examen à l'examiner et puis aussi apprennent à l'accompagner une fois l'examen terminé donc ça c'est un vrai apprentissage Et puis après, il y a le socle théorique et puis après, il y a la pratique. Donc probablement qu'aujourd'hui, je prends en charge des victimes de façon peut-être un peu plus étayée et un peu plus enveloppante qu'à mes débuts où on est souvent un petit peu maladroit, stressé. Voilà, donc c'est aussi un apprentissage sur le terrain.

  • Speaker #0

    Vous dirigez l'unité médico-judiciaire et la maison des femmes du centre hospitalier de Pau. À quoi elle sert ? Et comment elle est organisée ?

  • Speaker #1

    Alors l'unité médico-judiciaire c'est un service auxiliaire de justice qui est financé par le ministère de la justice. Donc tous les ans on a une enveloppe financière qui permet de faire fonctionner dans une même unité de temps et de lieu un ensemble de professionnels. à savoir des médecins légistes, des infirmières, des psychologues, secrétaires, un cadre de santé qui donc ont pour finalité de recevoir des personnes qui sont impliquées soit en tant que victime, soit en tant que mise en cause dans des affaires judiciaires qui sont sous l'autorité du procureur de la République du tribunal judiciaire de Pau. On a un critère de compétence géographique. Et donc notre travail, c'est de recevoir tous les jours. Alors statistiquement, c'est plus souvent des personnes qui se plaignent d'avoir subi des violences. Par abus de langage, souvent on parle de victimes, mais pour l'instant, la justice n'est pas encore rendue. Donc on devrait parler plutôt de plaignante ou de plaignant et de mise en cause. En tout cas, on est là pour faire des constatations utiles. à charge et à décharge. Donc on va décrire des blessures, on va faire des prélèvements. de toxicologie, des prélèvements d'ADN dans des affaires criminelles, dans des viols notamment. On va faire des rapports dans lesquels on va évaluer ce que l'on appelle aussi l'incapacité totale de travail, cette notion de droit et de médecine qui va permettre au procureur de qualifier son infraction et puis après qui aura une importance aussi sur les peines au moment du jugement. On est amené aussi ici à recevoir des mineurs non accompagnés pour lesquels il manque des documents. officiel d'identité permettant d'attester leur âge. Et donc, ces personnes vont passer par notre service en dernier recours pour que l'on tente d'estimer leur âge biologique.

  • Speaker #0

    Vous êtes confronté, donc, vous le décrivez au quotidien à de la violence. Comment vous arrivez à garder une distance ?

  • Speaker #1

    C'est important de bien se connaître. Alors, on ne se connaît pas de la même manière à 20 ans, à 30 et à 40. moins à 50 et plus tard. Donc je pense que c'est important de toujours se questionner, de rechercher, d'identifier en tout cas qui on est, quels sont nos points forts, quels sont nos points faibles, parce que c'est une spécialité qui peut être parfois très intrusive, qui peut renvoyer à sa propre existence, son propre vécu, ses propres peurs, frustrations. Donc c'est important de bien se connaître. Après c'est un apprentissage là aussi, on avance, parfois on se prend des claques, parfois moins, il y a des dossiers qui font progresser sur des sujets très personnels. En tout cas ce que je conseille à tous les gens qui franchissent la porte de ce service pour y travailler, que ce soit des secrétaires, que ce soit des médecins, c'est qu'il faut avoir une vie à côté riche Alors, une vie riche, on peut avoir une vie riche de plein de façons. En tout cas, il faut avoir des sources de... plaisir de bonheur de satisfaction parce que c'est ici un univers très noir très sombre nous on annonce jamais de bonnes nouvelles on voit défiler toute la journée des gens qui sont abîmés des gens qui sont en souffrance des gens qui pleurent du matin jusqu'au soir donc c'est important quand on se franchit la porte dans l'eau sens de pouvoir avoir une vie sociale une vie familiale des loisirs que ce soit du sport du théâtre voilà deux mais en tout cas des sources de plaisir qui viennent vraiment regonfler les batteries le week-end et le soir.

  • Speaker #0

    Justement, est-ce qu'il y a des moments où vous êtes en colère, vous êtes sous le choc, vous êtes révolté quelque part par rapport aux situations que vous rencontrez et comment vous le gérez ?

  • Speaker #1

    Alors je ne pense pas qu'on soit dans ce registre d'émotions là en ce qui me concerne. Je pense que d'ailleurs ça serait peut-être un signal d'alarme que d'éprouver ce genre de choses qui pourraient témoigner d'un certain ras-le-bol ou d'une une certaine usure. Si je devais retenir une émotion ou un ressenti, ce serait parfois du découragement face à des situations de violence intrafamiliale, notamment de violence au sein du couple, où on a l'impression que malgré la mobilisation de tous les acteurs, des services de l'État, des associations, malheureusement, on voit des femmes qui reviennent plusieurs fois pour des faits qui se reproduisent, bien qu'il y ait eu une sanction judiciaire. que la justice soit passée. Alors on sait que la justice, ce n'est pas forcément la réponse à tout, c'est une réponse parmi d'autres, mais en tout cas un sentiment parfois d'échec et de lassitude en se disant que beaucoup d'énergie pour au final pas de résultat. Donc à côté de ça, on a quand même des dossiers qui nous permettent d'avoir une certaine satisfaction, mais des émotions qu'on essaie en tout cas de garder à distance. dans le quotidien professionnel.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous aide à continuer justement avec sérénité ?

  • Speaker #1

    La passion du métier, je crois qu'elle est toujours là. Quand je me gare sur le parking de l'hôpital, je ne sais pas quelle va être la journée. Et je me dis qu'il y a toujours une petite pointe d'excitation qui est là. Et j'espère que ça va durer, parce que c'est un joli moteur pour venir tous les matins ici.

  • Speaker #0

    Vous intervenez à l'université ? auprès des étudiants, qui est l'objet de ces interventions.

  • Speaker #1

    Moi j'y enseigne les grands principes de la médecine légale, clinique et thanatologique. Moi l'objectif premier c'est que les étudiants puissent acquérir un socle de connaissances en lien avec ma discipline, mais c'est aussi l'occasion de leur transmettre pour ces jeunes qui se destinent à des carrières dans les métiers du droit, que ce soit la magistrature, avocat. commissaires au PJ j'essaie de leur véhiculer des messages en termes d'humilité en termes de prudence et aussi en termes de culture du doute je pense que dans nos métiers c'est extrêmement dangereux d'avoir des certitudes d'être très sûr de soi plus j'avance dans ma carrière plus je suis prudent. prudent. Et parfois, quand je vois des rapports que j'ai rédigés à mes débuts, aujourd'hui, je me dis, oh là là, j'aurais jamais rédigé ça comme ça aujourd'hui. Et ça m'est arrivé deux, trois fois de trembler en allant aux assises parce que on a tendance à vouloir en dire beaucoup, à s'avancer beaucoup. Et en fait, je pense qu'aujourd'hui, les bons professionnels sont ceux qui ont ces valeurs-là en tête, je pense.

  • Speaker #0

    Merci Dr Ike à la fois pour votre témoignage. témoignages pour votre sincérité, votre engagement et la justesse de vos mots. A très bientôt pour un nouvel épisode de l'état d'esprit.

Description

Dans cet épisode du podcast L’État d’esprit, le Dr Jean Hiquet, médecin légiste et chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes du Centre hospitalier de Pau, ouvre les portes d’un univers souvent méconnu : celui de la médecine légale.
Également expert judiciaire près la cour d’appel de Pau, il partage avec une grande sincérité son parcours, ses convictions et la réalité d’un métier à la frontière entre le soin et la justice.

À travers ses mots, se dessine une vocation profondément humaine : celle d’un médecin qui, au-delà des constats et des procédures, accompagne la souffrance des victimes et cherche à redonner du sens à l’acte de soin, même dans les situations les plus douloureuses.
Ce témoignage fort dévoile une autre facette de la médecine légale — loin des clichés froids et techniques — pour mettre en lumière la dimension éthique, psychologique et empathique de cette spécialité exigeante.

Le Dr Hiquet évoque aussi son engagement au sein de la Maison des Femmes, un lieu d’accueil, d’écoute et de reconstruction pour les victimes de violences conjugales et sexuelles. Chaque jour, avec son équipe, il œuvre pour que la parole des victimes soit entendue, respectée et accompagnée avec dignité.

Cet échange, à la fois sensible et percutant, nous interroge sur ce que signifie réellement “prendre soin” dans l’irréparable. Il met en lumière la force tranquille d’un professionnel qui, au cœur du drame, fait de l’écoute et de la bienveillance ses outils les plus puissants.

Un épisode essentiel pour comprendre la valeur humaine du soin, la responsabilité de la justice, et la force du lien entre science et compassion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de l'état d'esprit. Aujourd'hui je reçois le docteur Jean Hickey, médecin légiste, chef de service de l'unité médico-judiciaire et maison des femmes du centre hospitalier de Pau, expert judiciaire près de la cour d'appel de Pau. Bonjour docteur Hickey, je voulais savoir qu'avez-vous ressenti quand vous avez réalisé votre première autopsie en tant qu'étudiant ?

  • Speaker #1

    Ma première autopsie en tant qu'étudiant, ça remonte. J'étais en quatrième année de médecine, c'était mon premier stage de découverte de la médecine légale. Je me rappelle très très bien de cette première autopsie qui était celle d'un enfant d'une dizaine d'années. Donc un dossier assez singulier pour débuter. Et je me rappelle avant de rentrer dans la salle d'autopsie, je n'avais qu'une idée en tête, c'était de ne pas faire de malaise, de ne pas faire de malaise. j'avais peur de ça parce que pour ne rien vous cacher quelques... Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté un malaise vagal dans la librairie Vigo Malouane à Paris, rue de l'école de médecine, en feuilletant un traité de médecine légale. J'avais eu un petit coup de chaud et je m'étais retrouvé au sol, les jambes en l'air. Et donc j'avais un petit peu de pression sur cette première autopsie. Et rapidement, ce qui a pris le dessus, c'est la fascination de la démarche intellectuelle, de l'analyse du... corps qui était devenu un objet d'étude. Et grâce à un accompagnement très pédagogique du médecin légiste à l'époque, je suis sorti de là en me disant, je crois que c'est vraiment ce métier que je veux faire. Alors en tant que médecin, quand j'ai eu mon nom sur la blouse, c'était novembre 2011. Alors étrangement, je garde peu de souvenirs de ces premiers dossiers. Certains m'ont marqué plus que d'autres, mais en tout cas les premiers seuls, je garde peu de souvenirs. J'ai essayé de chercher il n'y a pas longtemps de ça, mais j'ai le souvenir d'avoir débuté avec l'impression d'avoir une responsabilité importante dans le cadre de ce travail. Mais j'avais l'assurance d'avoir une équipe plus expérimentée autour de moi et d'avoir des collègues plus âgés qui étaient un filet de sécurité. Donc j'ai le souvenir d'avoir commencé dans des très bonnes conditions d'encadrement, ce qui, je pense, a permis peut-être de diminuer la charge de stress et de pression, ce qui fait que je m'en rappelle un peu moins probablement.

  • Speaker #0

    Comment on gère ces émotions, ce contact finalement avec la mort ? Ou la violence d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors les émotions, elles sont là. Elles sont différentes en fonction des personnes, des individus, de leur histoire personnelle, de leur sensibilité. C'est un apprentissage, ça fait partie de la formation. On fait quelque chose qui est loin d'être anodin. Donc forcément, ça fait écho, ça renvoie des choses parfois positives, parfois négatives et douloureuses. Il faut savoir être à l'écoute de ces émotions-là. Il faut savoir. les canaliser et puis leur laisser une place, mais pas une place envahissante en tout cas. Donc la confrontation à la violence, à la mort, elle est là, c'est notre quotidien. Ça permet parfois, au fur et à mesure de son exercice, d'avoir un regard qui va changer sur certaines choses. Les rapports entre les individus, sur la nature humaine, le rapport à la mort aussi. Personnellement, je n'ai pas le même rapport à la mort aujourd'hui que j'ai pu l'avoir il y a 15 ans quand j'ai débuté. Donc voilà, tout ça se façonne, tout ça se travaille et la spécialité se charge de nous faire avancer sur ces sujets-là.

  • Speaker #0

    Et ça, vous l'apprenez ou ça se construit au fur et à mesure des années ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'est un cheminement, en ce qui me concerne en tout cas, qui s'est construit progressivement. Après, il y a certaines étapes plus marquantes que d'autres, des dossiers plus marquants que d'autres, qui débouchent sur des échanges, sur des partages d'émotions, de ressentis avec des collègues, avec des pairs aussi, qui donnent des conseils, qui... Voilà, chaque individu est unique et on se fait sa propre idée de tout ça au fur et à mesure, je crois.

  • Speaker #0

    Pourquoi avoir choisi la médecine légale ?

  • Speaker #1

    La médecine légale, c'est une science à part entière qui consiste à mettre au service de la justice, la justice au sens large, des connaissances et des compétences médicales. C'est un univers qui a la frontière entre le monde du droit et le monde de la santé. Chez moi, j'ai découvert ce métier en lisant... À l'époque, j'étais lycéen et j'avais découvert des ouvrages de Patricia Cornwell, qui est une autrice américaine qui décrit les enquêtes d'une médecin légiste qui s'appelle le docteur Kei Scarpetta. Et j'avais trouvé... j'avais trouvé ce métier fascinant tel qu'il était en tout cas raconté dans ses ouvrages et puis les hasards de la vie ont fait que j'ai croisé aussi le parcours d'une professeure de médecine légale qui est devenue plus tard mon professeur de médecine légale à Bordeaux et qui était une femme extrêmement passionnée par son métier qui en parlait avec des étoiles dans les yeux et qui a su, je pense, me défendre. donner l'envie de le découvrir et de l'apprendre et puis de l'exercer donc je lui dois ça effectivement le déclic il est survenu tôt au lycée donc j'ai passé mon bac j'ai je suis parti faire mes études de médecine dans l'idée d'être médecin légiste après voilà je suis d'un naturel assez curieux assez ouvert aussi donc je ne me suis pas fermé la porte sur d'autres spécialités d'autres disciplines. J'ai été très attiré pendant longtemps par par la psychiatrie. J'y ai fait des stages, je m'y suis beaucoup intéressé. La psychiatrie, c'est une discipline qui est aussi très liée à la justice. La psychiatrie médico-légale est une discipline à part entière que l'on côtoie aussi assez fréquemment dans les dossiers. J'ai pu faire quand même deux stages en médecine légale qui m'ont conforté dans l'idée que c'était médecin légiste que je voulais être et non pas psychiatre.

  • Speaker #0

    Comment vous découvrez-vous ? Vous décrivriez votre rôle ? Vous êtes un médecin, vous êtes un expert, vous êtes un enquêteur ou vous êtes les trois ?

  • Speaker #1

    Moi, je suis médecin avant tout. J'ai prêté un serment. Je n'ai pas fait d'autres études que des études de médecine. Je suis pour que chacun reste dans son rôle. On travaille en complémentarité, mais à aucun moment, je me considère comme un enquêteur. Je n'ai aucun pouvoir d'enquête et je n'en veux aucun. Aux États-Unis, les médecins légistes ont plus de pouvoir d'investigation que nous n'avons pas du tout. Ici, nous travaillons sous l'autorité du procureur de la République et les officiers de police judiciaire par délégation. Mais moi, je suis médecin avant tout. Donc mon travail, c'est de faire des constatations à charge, à décharge. En tout cas, des constatations qui soient utiles à l'enquête et in fine à la manifestation de la vérité.

  • Speaker #0

    Quels sont les enjeux quand vous... examinez un corps de personnes décédées ou une personne qui ne l'est pas ?

  • Speaker #1

    Bien évidemment le premier c'est l'enjeu judiciaire. Notre travail c'est de faire des photographies à l'instant T de l'état traumatique d'un individu qu'il soit décédé ou qu'il soit vivant. Donc notre travail c'est avec nos yeux de décrire des éléments objectifs, des blessures et d'apporter ces éléments à la connaissance de la justice à travers d'or. des rapports, des rapports médico-légaux, qui vont venir apporter des éléments de preuve qui permettront après, dans le cadre de l'enquête, de faire avancer les choses, de fermer des portes, d'en ouvrir d'autres, de confronter des hypothèses, d'infirmer d'autres hypothèses. Donc l'enjeu premier, il est judiciaire. Derrière cet enjeu judiciaire, il y a des enjeux aussi éthiques, des enjeux humains, En étant médecin, on se doit de pratiquer la médecine légale selon des règles de déontologie, la question de l'information des victimes que l'on reçoit. On doit les informer de qui on est, de comment on intervient, de quel est notre travail. On se doit de recueillir leur consentement. pour être examiné et on se doit aussi de mener nos investigations avec le plus d'humanité possible notamment dans le cadre d'examens particuliers comme des examens de victimes de violences sexuelles qui sont des examens assez délicat très souvent très intrusif et donc on se doit de faire preuve d'empathie. Donc ça, c'est pour moi des enjeux aujourd'hui éthiques qui sont absolument indissociables de l'enjeu premier qui est, lui, judiciaire.

  • Speaker #0

    Tout ce qui est empathie, tout ce qui est accompagnement des victimes, comment vous le vivez ? Comment vous perfectionnez, si je puis dire, ou en tout cas, vous y travaillez ?

  • Speaker #1

    Effectivement ça fait partie de la formation maintenant pour être médecin légiste c'est une spécialité qui dure quatre ans après après le concours de l'internat donc les jeunes médecins légistes apprennent justement à recevoir une victime à l'écouter à lui poser des questions à la préparer à un examen à l'examiner et puis aussi apprennent à l'accompagner une fois l'examen terminé donc ça c'est un vrai apprentissage Et puis après, il y a le socle théorique et puis après, il y a la pratique. Donc probablement qu'aujourd'hui, je prends en charge des victimes de façon peut-être un peu plus étayée et un peu plus enveloppante qu'à mes débuts où on est souvent un petit peu maladroit, stressé. Voilà, donc c'est aussi un apprentissage sur le terrain.

  • Speaker #0

    Vous dirigez l'unité médico-judiciaire et la maison des femmes du centre hospitalier de Pau. À quoi elle sert ? Et comment elle est organisée ?

  • Speaker #1

    Alors l'unité médico-judiciaire c'est un service auxiliaire de justice qui est financé par le ministère de la justice. Donc tous les ans on a une enveloppe financière qui permet de faire fonctionner dans une même unité de temps et de lieu un ensemble de professionnels. à savoir des médecins légistes, des infirmières, des psychologues, secrétaires, un cadre de santé qui donc ont pour finalité de recevoir des personnes qui sont impliquées soit en tant que victime, soit en tant que mise en cause dans des affaires judiciaires qui sont sous l'autorité du procureur de la République du tribunal judiciaire de Pau. On a un critère de compétence géographique. Et donc notre travail, c'est de recevoir tous les jours. Alors statistiquement, c'est plus souvent des personnes qui se plaignent d'avoir subi des violences. Par abus de langage, souvent on parle de victimes, mais pour l'instant, la justice n'est pas encore rendue. Donc on devrait parler plutôt de plaignante ou de plaignant et de mise en cause. En tout cas, on est là pour faire des constatations utiles. à charge et à décharge. Donc on va décrire des blessures, on va faire des prélèvements. de toxicologie, des prélèvements d'ADN dans des affaires criminelles, dans des viols notamment. On va faire des rapports dans lesquels on va évaluer ce que l'on appelle aussi l'incapacité totale de travail, cette notion de droit et de médecine qui va permettre au procureur de qualifier son infraction et puis après qui aura une importance aussi sur les peines au moment du jugement. On est amené aussi ici à recevoir des mineurs non accompagnés pour lesquels il manque des documents. officiel d'identité permettant d'attester leur âge. Et donc, ces personnes vont passer par notre service en dernier recours pour que l'on tente d'estimer leur âge biologique.

  • Speaker #0

    Vous êtes confronté, donc, vous le décrivez au quotidien à de la violence. Comment vous arrivez à garder une distance ?

  • Speaker #1

    C'est important de bien se connaître. Alors, on ne se connaît pas de la même manière à 20 ans, à 30 et à 40. moins à 50 et plus tard. Donc je pense que c'est important de toujours se questionner, de rechercher, d'identifier en tout cas qui on est, quels sont nos points forts, quels sont nos points faibles, parce que c'est une spécialité qui peut être parfois très intrusive, qui peut renvoyer à sa propre existence, son propre vécu, ses propres peurs, frustrations. Donc c'est important de bien se connaître. Après c'est un apprentissage là aussi, on avance, parfois on se prend des claques, parfois moins, il y a des dossiers qui font progresser sur des sujets très personnels. En tout cas ce que je conseille à tous les gens qui franchissent la porte de ce service pour y travailler, que ce soit des secrétaires, que ce soit des médecins, c'est qu'il faut avoir une vie à côté riche Alors, une vie riche, on peut avoir une vie riche de plein de façons. En tout cas, il faut avoir des sources de... plaisir de bonheur de satisfaction parce que c'est ici un univers très noir très sombre nous on annonce jamais de bonnes nouvelles on voit défiler toute la journée des gens qui sont abîmés des gens qui sont en souffrance des gens qui pleurent du matin jusqu'au soir donc c'est important quand on se franchit la porte dans l'eau sens de pouvoir avoir une vie sociale une vie familiale des loisirs que ce soit du sport du théâtre voilà deux mais en tout cas des sources de plaisir qui viennent vraiment regonfler les batteries le week-end et le soir.

  • Speaker #0

    Justement, est-ce qu'il y a des moments où vous êtes en colère, vous êtes sous le choc, vous êtes révolté quelque part par rapport aux situations que vous rencontrez et comment vous le gérez ?

  • Speaker #1

    Alors je ne pense pas qu'on soit dans ce registre d'émotions là en ce qui me concerne. Je pense que d'ailleurs ça serait peut-être un signal d'alarme que d'éprouver ce genre de choses qui pourraient témoigner d'un certain ras-le-bol ou d'une une certaine usure. Si je devais retenir une émotion ou un ressenti, ce serait parfois du découragement face à des situations de violence intrafamiliale, notamment de violence au sein du couple, où on a l'impression que malgré la mobilisation de tous les acteurs, des services de l'État, des associations, malheureusement, on voit des femmes qui reviennent plusieurs fois pour des faits qui se reproduisent, bien qu'il y ait eu une sanction judiciaire. que la justice soit passée. Alors on sait que la justice, ce n'est pas forcément la réponse à tout, c'est une réponse parmi d'autres, mais en tout cas un sentiment parfois d'échec et de lassitude en se disant que beaucoup d'énergie pour au final pas de résultat. Donc à côté de ça, on a quand même des dossiers qui nous permettent d'avoir une certaine satisfaction, mais des émotions qu'on essaie en tout cas de garder à distance. dans le quotidien professionnel.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous aide à continuer justement avec sérénité ?

  • Speaker #1

    La passion du métier, je crois qu'elle est toujours là. Quand je me gare sur le parking de l'hôpital, je ne sais pas quelle va être la journée. Et je me dis qu'il y a toujours une petite pointe d'excitation qui est là. Et j'espère que ça va durer, parce que c'est un joli moteur pour venir tous les matins ici.

  • Speaker #0

    Vous intervenez à l'université ? auprès des étudiants, qui est l'objet de ces interventions.

  • Speaker #1

    Moi j'y enseigne les grands principes de la médecine légale, clinique et thanatologique. Moi l'objectif premier c'est que les étudiants puissent acquérir un socle de connaissances en lien avec ma discipline, mais c'est aussi l'occasion de leur transmettre pour ces jeunes qui se destinent à des carrières dans les métiers du droit, que ce soit la magistrature, avocat. commissaires au PJ j'essaie de leur véhiculer des messages en termes d'humilité en termes de prudence et aussi en termes de culture du doute je pense que dans nos métiers c'est extrêmement dangereux d'avoir des certitudes d'être très sûr de soi plus j'avance dans ma carrière plus je suis prudent. prudent. Et parfois, quand je vois des rapports que j'ai rédigés à mes débuts, aujourd'hui, je me dis, oh là là, j'aurais jamais rédigé ça comme ça aujourd'hui. Et ça m'est arrivé deux, trois fois de trembler en allant aux assises parce que on a tendance à vouloir en dire beaucoup, à s'avancer beaucoup. Et en fait, je pense qu'aujourd'hui, les bons professionnels sont ceux qui ont ces valeurs-là en tête, je pense.

  • Speaker #0

    Merci Dr Ike à la fois pour votre témoignage. témoignages pour votre sincérité, votre engagement et la justesse de vos mots. A très bientôt pour un nouvel épisode de l'état d'esprit.

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Description

Dans cet épisode du podcast L’État d’esprit, le Dr Jean Hiquet, médecin légiste et chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes du Centre hospitalier de Pau, ouvre les portes d’un univers souvent méconnu : celui de la médecine légale.
Également expert judiciaire près la cour d’appel de Pau, il partage avec une grande sincérité son parcours, ses convictions et la réalité d’un métier à la frontière entre le soin et la justice.

À travers ses mots, se dessine une vocation profondément humaine : celle d’un médecin qui, au-delà des constats et des procédures, accompagne la souffrance des victimes et cherche à redonner du sens à l’acte de soin, même dans les situations les plus douloureuses.
Ce témoignage fort dévoile une autre facette de la médecine légale — loin des clichés froids et techniques — pour mettre en lumière la dimension éthique, psychologique et empathique de cette spécialité exigeante.

Le Dr Hiquet évoque aussi son engagement au sein de la Maison des Femmes, un lieu d’accueil, d’écoute et de reconstruction pour les victimes de violences conjugales et sexuelles. Chaque jour, avec son équipe, il œuvre pour que la parole des victimes soit entendue, respectée et accompagnée avec dignité.

Cet échange, à la fois sensible et percutant, nous interroge sur ce que signifie réellement “prendre soin” dans l’irréparable. Il met en lumière la force tranquille d’un professionnel qui, au cœur du drame, fait de l’écoute et de la bienveillance ses outils les plus puissants.

Un épisode essentiel pour comprendre la valeur humaine du soin, la responsabilité de la justice, et la force du lien entre science et compassion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de l'état d'esprit. Aujourd'hui je reçois le docteur Jean Hickey, médecin légiste, chef de service de l'unité médico-judiciaire et maison des femmes du centre hospitalier de Pau, expert judiciaire près de la cour d'appel de Pau. Bonjour docteur Hickey, je voulais savoir qu'avez-vous ressenti quand vous avez réalisé votre première autopsie en tant qu'étudiant ?

  • Speaker #1

    Ma première autopsie en tant qu'étudiant, ça remonte. J'étais en quatrième année de médecine, c'était mon premier stage de découverte de la médecine légale. Je me rappelle très très bien de cette première autopsie qui était celle d'un enfant d'une dizaine d'années. Donc un dossier assez singulier pour débuter. Et je me rappelle avant de rentrer dans la salle d'autopsie, je n'avais qu'une idée en tête, c'était de ne pas faire de malaise, de ne pas faire de malaise. j'avais peur de ça parce que pour ne rien vous cacher quelques... Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté un malaise vagal dans la librairie Vigo Malouane à Paris, rue de l'école de médecine, en feuilletant un traité de médecine légale. J'avais eu un petit coup de chaud et je m'étais retrouvé au sol, les jambes en l'air. Et donc j'avais un petit peu de pression sur cette première autopsie. Et rapidement, ce qui a pris le dessus, c'est la fascination de la démarche intellectuelle, de l'analyse du... corps qui était devenu un objet d'étude. Et grâce à un accompagnement très pédagogique du médecin légiste à l'époque, je suis sorti de là en me disant, je crois que c'est vraiment ce métier que je veux faire. Alors en tant que médecin, quand j'ai eu mon nom sur la blouse, c'était novembre 2011. Alors étrangement, je garde peu de souvenirs de ces premiers dossiers. Certains m'ont marqué plus que d'autres, mais en tout cas les premiers seuls, je garde peu de souvenirs. J'ai essayé de chercher il n'y a pas longtemps de ça, mais j'ai le souvenir d'avoir débuté avec l'impression d'avoir une responsabilité importante dans le cadre de ce travail. Mais j'avais l'assurance d'avoir une équipe plus expérimentée autour de moi et d'avoir des collègues plus âgés qui étaient un filet de sécurité. Donc j'ai le souvenir d'avoir commencé dans des très bonnes conditions d'encadrement, ce qui, je pense, a permis peut-être de diminuer la charge de stress et de pression, ce qui fait que je m'en rappelle un peu moins probablement.

  • Speaker #0

    Comment on gère ces émotions, ce contact finalement avec la mort ? Ou la violence d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors les émotions, elles sont là. Elles sont différentes en fonction des personnes, des individus, de leur histoire personnelle, de leur sensibilité. C'est un apprentissage, ça fait partie de la formation. On fait quelque chose qui est loin d'être anodin. Donc forcément, ça fait écho, ça renvoie des choses parfois positives, parfois négatives et douloureuses. Il faut savoir être à l'écoute de ces émotions-là. Il faut savoir. les canaliser et puis leur laisser une place, mais pas une place envahissante en tout cas. Donc la confrontation à la violence, à la mort, elle est là, c'est notre quotidien. Ça permet parfois, au fur et à mesure de son exercice, d'avoir un regard qui va changer sur certaines choses. Les rapports entre les individus, sur la nature humaine, le rapport à la mort aussi. Personnellement, je n'ai pas le même rapport à la mort aujourd'hui que j'ai pu l'avoir il y a 15 ans quand j'ai débuté. Donc voilà, tout ça se façonne, tout ça se travaille et la spécialité se charge de nous faire avancer sur ces sujets-là.

  • Speaker #0

    Et ça, vous l'apprenez ou ça se construit au fur et à mesure des années ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'est un cheminement, en ce qui me concerne en tout cas, qui s'est construit progressivement. Après, il y a certaines étapes plus marquantes que d'autres, des dossiers plus marquants que d'autres, qui débouchent sur des échanges, sur des partages d'émotions, de ressentis avec des collègues, avec des pairs aussi, qui donnent des conseils, qui... Voilà, chaque individu est unique et on se fait sa propre idée de tout ça au fur et à mesure, je crois.

  • Speaker #0

    Pourquoi avoir choisi la médecine légale ?

  • Speaker #1

    La médecine légale, c'est une science à part entière qui consiste à mettre au service de la justice, la justice au sens large, des connaissances et des compétences médicales. C'est un univers qui a la frontière entre le monde du droit et le monde de la santé. Chez moi, j'ai découvert ce métier en lisant... À l'époque, j'étais lycéen et j'avais découvert des ouvrages de Patricia Cornwell, qui est une autrice américaine qui décrit les enquêtes d'une médecin légiste qui s'appelle le docteur Kei Scarpetta. Et j'avais trouvé... j'avais trouvé ce métier fascinant tel qu'il était en tout cas raconté dans ses ouvrages et puis les hasards de la vie ont fait que j'ai croisé aussi le parcours d'une professeure de médecine légale qui est devenue plus tard mon professeur de médecine légale à Bordeaux et qui était une femme extrêmement passionnée par son métier qui en parlait avec des étoiles dans les yeux et qui a su, je pense, me défendre. donner l'envie de le découvrir et de l'apprendre et puis de l'exercer donc je lui dois ça effectivement le déclic il est survenu tôt au lycée donc j'ai passé mon bac j'ai je suis parti faire mes études de médecine dans l'idée d'être médecin légiste après voilà je suis d'un naturel assez curieux assez ouvert aussi donc je ne me suis pas fermé la porte sur d'autres spécialités d'autres disciplines. J'ai été très attiré pendant longtemps par par la psychiatrie. J'y ai fait des stages, je m'y suis beaucoup intéressé. La psychiatrie, c'est une discipline qui est aussi très liée à la justice. La psychiatrie médico-légale est une discipline à part entière que l'on côtoie aussi assez fréquemment dans les dossiers. J'ai pu faire quand même deux stages en médecine légale qui m'ont conforté dans l'idée que c'était médecin légiste que je voulais être et non pas psychiatre.

  • Speaker #0

    Comment vous découvrez-vous ? Vous décrivriez votre rôle ? Vous êtes un médecin, vous êtes un expert, vous êtes un enquêteur ou vous êtes les trois ?

  • Speaker #1

    Moi, je suis médecin avant tout. J'ai prêté un serment. Je n'ai pas fait d'autres études que des études de médecine. Je suis pour que chacun reste dans son rôle. On travaille en complémentarité, mais à aucun moment, je me considère comme un enquêteur. Je n'ai aucun pouvoir d'enquête et je n'en veux aucun. Aux États-Unis, les médecins légistes ont plus de pouvoir d'investigation que nous n'avons pas du tout. Ici, nous travaillons sous l'autorité du procureur de la République et les officiers de police judiciaire par délégation. Mais moi, je suis médecin avant tout. Donc mon travail, c'est de faire des constatations à charge, à décharge. En tout cas, des constatations qui soient utiles à l'enquête et in fine à la manifestation de la vérité.

  • Speaker #0

    Quels sont les enjeux quand vous... examinez un corps de personnes décédées ou une personne qui ne l'est pas ?

  • Speaker #1

    Bien évidemment le premier c'est l'enjeu judiciaire. Notre travail c'est de faire des photographies à l'instant T de l'état traumatique d'un individu qu'il soit décédé ou qu'il soit vivant. Donc notre travail c'est avec nos yeux de décrire des éléments objectifs, des blessures et d'apporter ces éléments à la connaissance de la justice à travers d'or. des rapports, des rapports médico-légaux, qui vont venir apporter des éléments de preuve qui permettront après, dans le cadre de l'enquête, de faire avancer les choses, de fermer des portes, d'en ouvrir d'autres, de confronter des hypothèses, d'infirmer d'autres hypothèses. Donc l'enjeu premier, il est judiciaire. Derrière cet enjeu judiciaire, il y a des enjeux aussi éthiques, des enjeux humains, En étant médecin, on se doit de pratiquer la médecine légale selon des règles de déontologie, la question de l'information des victimes que l'on reçoit. On doit les informer de qui on est, de comment on intervient, de quel est notre travail. On se doit de recueillir leur consentement. pour être examiné et on se doit aussi de mener nos investigations avec le plus d'humanité possible notamment dans le cadre d'examens particuliers comme des examens de victimes de violences sexuelles qui sont des examens assez délicat très souvent très intrusif et donc on se doit de faire preuve d'empathie. Donc ça, c'est pour moi des enjeux aujourd'hui éthiques qui sont absolument indissociables de l'enjeu premier qui est, lui, judiciaire.

  • Speaker #0

    Tout ce qui est empathie, tout ce qui est accompagnement des victimes, comment vous le vivez ? Comment vous perfectionnez, si je puis dire, ou en tout cas, vous y travaillez ?

  • Speaker #1

    Effectivement ça fait partie de la formation maintenant pour être médecin légiste c'est une spécialité qui dure quatre ans après après le concours de l'internat donc les jeunes médecins légistes apprennent justement à recevoir une victime à l'écouter à lui poser des questions à la préparer à un examen à l'examiner et puis aussi apprennent à l'accompagner une fois l'examen terminé donc ça c'est un vrai apprentissage Et puis après, il y a le socle théorique et puis après, il y a la pratique. Donc probablement qu'aujourd'hui, je prends en charge des victimes de façon peut-être un peu plus étayée et un peu plus enveloppante qu'à mes débuts où on est souvent un petit peu maladroit, stressé. Voilà, donc c'est aussi un apprentissage sur le terrain.

  • Speaker #0

    Vous dirigez l'unité médico-judiciaire et la maison des femmes du centre hospitalier de Pau. À quoi elle sert ? Et comment elle est organisée ?

  • Speaker #1

    Alors l'unité médico-judiciaire c'est un service auxiliaire de justice qui est financé par le ministère de la justice. Donc tous les ans on a une enveloppe financière qui permet de faire fonctionner dans une même unité de temps et de lieu un ensemble de professionnels. à savoir des médecins légistes, des infirmières, des psychologues, secrétaires, un cadre de santé qui donc ont pour finalité de recevoir des personnes qui sont impliquées soit en tant que victime, soit en tant que mise en cause dans des affaires judiciaires qui sont sous l'autorité du procureur de la République du tribunal judiciaire de Pau. On a un critère de compétence géographique. Et donc notre travail, c'est de recevoir tous les jours. Alors statistiquement, c'est plus souvent des personnes qui se plaignent d'avoir subi des violences. Par abus de langage, souvent on parle de victimes, mais pour l'instant, la justice n'est pas encore rendue. Donc on devrait parler plutôt de plaignante ou de plaignant et de mise en cause. En tout cas, on est là pour faire des constatations utiles. à charge et à décharge. Donc on va décrire des blessures, on va faire des prélèvements. de toxicologie, des prélèvements d'ADN dans des affaires criminelles, dans des viols notamment. On va faire des rapports dans lesquels on va évaluer ce que l'on appelle aussi l'incapacité totale de travail, cette notion de droit et de médecine qui va permettre au procureur de qualifier son infraction et puis après qui aura une importance aussi sur les peines au moment du jugement. On est amené aussi ici à recevoir des mineurs non accompagnés pour lesquels il manque des documents. officiel d'identité permettant d'attester leur âge. Et donc, ces personnes vont passer par notre service en dernier recours pour que l'on tente d'estimer leur âge biologique.

  • Speaker #0

    Vous êtes confronté, donc, vous le décrivez au quotidien à de la violence. Comment vous arrivez à garder une distance ?

  • Speaker #1

    C'est important de bien se connaître. Alors, on ne se connaît pas de la même manière à 20 ans, à 30 et à 40. moins à 50 et plus tard. Donc je pense que c'est important de toujours se questionner, de rechercher, d'identifier en tout cas qui on est, quels sont nos points forts, quels sont nos points faibles, parce que c'est une spécialité qui peut être parfois très intrusive, qui peut renvoyer à sa propre existence, son propre vécu, ses propres peurs, frustrations. Donc c'est important de bien se connaître. Après c'est un apprentissage là aussi, on avance, parfois on se prend des claques, parfois moins, il y a des dossiers qui font progresser sur des sujets très personnels. En tout cas ce que je conseille à tous les gens qui franchissent la porte de ce service pour y travailler, que ce soit des secrétaires, que ce soit des médecins, c'est qu'il faut avoir une vie à côté riche Alors, une vie riche, on peut avoir une vie riche de plein de façons. En tout cas, il faut avoir des sources de... plaisir de bonheur de satisfaction parce que c'est ici un univers très noir très sombre nous on annonce jamais de bonnes nouvelles on voit défiler toute la journée des gens qui sont abîmés des gens qui sont en souffrance des gens qui pleurent du matin jusqu'au soir donc c'est important quand on se franchit la porte dans l'eau sens de pouvoir avoir une vie sociale une vie familiale des loisirs que ce soit du sport du théâtre voilà deux mais en tout cas des sources de plaisir qui viennent vraiment regonfler les batteries le week-end et le soir.

  • Speaker #0

    Justement, est-ce qu'il y a des moments où vous êtes en colère, vous êtes sous le choc, vous êtes révolté quelque part par rapport aux situations que vous rencontrez et comment vous le gérez ?

  • Speaker #1

    Alors je ne pense pas qu'on soit dans ce registre d'émotions là en ce qui me concerne. Je pense que d'ailleurs ça serait peut-être un signal d'alarme que d'éprouver ce genre de choses qui pourraient témoigner d'un certain ras-le-bol ou d'une une certaine usure. Si je devais retenir une émotion ou un ressenti, ce serait parfois du découragement face à des situations de violence intrafamiliale, notamment de violence au sein du couple, où on a l'impression que malgré la mobilisation de tous les acteurs, des services de l'État, des associations, malheureusement, on voit des femmes qui reviennent plusieurs fois pour des faits qui se reproduisent, bien qu'il y ait eu une sanction judiciaire. que la justice soit passée. Alors on sait que la justice, ce n'est pas forcément la réponse à tout, c'est une réponse parmi d'autres, mais en tout cas un sentiment parfois d'échec et de lassitude en se disant que beaucoup d'énergie pour au final pas de résultat. Donc à côté de ça, on a quand même des dossiers qui nous permettent d'avoir une certaine satisfaction, mais des émotions qu'on essaie en tout cas de garder à distance. dans le quotidien professionnel.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous aide à continuer justement avec sérénité ?

  • Speaker #1

    La passion du métier, je crois qu'elle est toujours là. Quand je me gare sur le parking de l'hôpital, je ne sais pas quelle va être la journée. Et je me dis qu'il y a toujours une petite pointe d'excitation qui est là. Et j'espère que ça va durer, parce que c'est un joli moteur pour venir tous les matins ici.

  • Speaker #0

    Vous intervenez à l'université ? auprès des étudiants, qui est l'objet de ces interventions.

  • Speaker #1

    Moi j'y enseigne les grands principes de la médecine légale, clinique et thanatologique. Moi l'objectif premier c'est que les étudiants puissent acquérir un socle de connaissances en lien avec ma discipline, mais c'est aussi l'occasion de leur transmettre pour ces jeunes qui se destinent à des carrières dans les métiers du droit, que ce soit la magistrature, avocat. commissaires au PJ j'essaie de leur véhiculer des messages en termes d'humilité en termes de prudence et aussi en termes de culture du doute je pense que dans nos métiers c'est extrêmement dangereux d'avoir des certitudes d'être très sûr de soi plus j'avance dans ma carrière plus je suis prudent. prudent. Et parfois, quand je vois des rapports que j'ai rédigés à mes débuts, aujourd'hui, je me dis, oh là là, j'aurais jamais rédigé ça comme ça aujourd'hui. Et ça m'est arrivé deux, trois fois de trembler en allant aux assises parce que on a tendance à vouloir en dire beaucoup, à s'avancer beaucoup. Et en fait, je pense qu'aujourd'hui, les bons professionnels sont ceux qui ont ces valeurs-là en tête, je pense.

  • Speaker #0

    Merci Dr Ike à la fois pour votre témoignage. témoignages pour votre sincérité, votre engagement et la justesse de vos mots. A très bientôt pour un nouvel épisode de l'état d'esprit.

Description

Dans cet épisode du podcast L’État d’esprit, le Dr Jean Hiquet, médecin légiste et chef de service de l’Unité médico-judiciaire & Maison des Femmes du Centre hospitalier de Pau, ouvre les portes d’un univers souvent méconnu : celui de la médecine légale.
Également expert judiciaire près la cour d’appel de Pau, il partage avec une grande sincérité son parcours, ses convictions et la réalité d’un métier à la frontière entre le soin et la justice.

À travers ses mots, se dessine une vocation profondément humaine : celle d’un médecin qui, au-delà des constats et des procédures, accompagne la souffrance des victimes et cherche à redonner du sens à l’acte de soin, même dans les situations les plus douloureuses.
Ce témoignage fort dévoile une autre facette de la médecine légale — loin des clichés froids et techniques — pour mettre en lumière la dimension éthique, psychologique et empathique de cette spécialité exigeante.

Le Dr Hiquet évoque aussi son engagement au sein de la Maison des Femmes, un lieu d’accueil, d’écoute et de reconstruction pour les victimes de violences conjugales et sexuelles. Chaque jour, avec son équipe, il œuvre pour que la parole des victimes soit entendue, respectée et accompagnée avec dignité.

Cet échange, à la fois sensible et percutant, nous interroge sur ce que signifie réellement “prendre soin” dans l’irréparable. Il met en lumière la force tranquille d’un professionnel qui, au cœur du drame, fait de l’écoute et de la bienveillance ses outils les plus puissants.

Un épisode essentiel pour comprendre la valeur humaine du soin, la responsabilité de la justice, et la force du lien entre science et compassion.


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bonjour et bienvenue dans ce nouvel épisode de l'état d'esprit. Aujourd'hui je reçois le docteur Jean Hickey, médecin légiste, chef de service de l'unité médico-judiciaire et maison des femmes du centre hospitalier de Pau, expert judiciaire près de la cour d'appel de Pau. Bonjour docteur Hickey, je voulais savoir qu'avez-vous ressenti quand vous avez réalisé votre première autopsie en tant qu'étudiant ?

  • Speaker #1

    Ma première autopsie en tant qu'étudiant, ça remonte. J'étais en quatrième année de médecine, c'était mon premier stage de découverte de la médecine légale. Je me rappelle très très bien de cette première autopsie qui était celle d'un enfant d'une dizaine d'années. Donc un dossier assez singulier pour débuter. Et je me rappelle avant de rentrer dans la salle d'autopsie, je n'avais qu'une idée en tête, c'était de ne pas faire de malaise, de ne pas faire de malaise. j'avais peur de ça parce que pour ne rien vous cacher quelques... Quelques mois auparavant, j'avais expérimenté un malaise vagal dans la librairie Vigo Malouane à Paris, rue de l'école de médecine, en feuilletant un traité de médecine légale. J'avais eu un petit coup de chaud et je m'étais retrouvé au sol, les jambes en l'air. Et donc j'avais un petit peu de pression sur cette première autopsie. Et rapidement, ce qui a pris le dessus, c'est la fascination de la démarche intellectuelle, de l'analyse du... corps qui était devenu un objet d'étude. Et grâce à un accompagnement très pédagogique du médecin légiste à l'époque, je suis sorti de là en me disant, je crois que c'est vraiment ce métier que je veux faire. Alors en tant que médecin, quand j'ai eu mon nom sur la blouse, c'était novembre 2011. Alors étrangement, je garde peu de souvenirs de ces premiers dossiers. Certains m'ont marqué plus que d'autres, mais en tout cas les premiers seuls, je garde peu de souvenirs. J'ai essayé de chercher il n'y a pas longtemps de ça, mais j'ai le souvenir d'avoir débuté avec l'impression d'avoir une responsabilité importante dans le cadre de ce travail. Mais j'avais l'assurance d'avoir une équipe plus expérimentée autour de moi et d'avoir des collègues plus âgés qui étaient un filet de sécurité. Donc j'ai le souvenir d'avoir commencé dans des très bonnes conditions d'encadrement, ce qui, je pense, a permis peut-être de diminuer la charge de stress et de pression, ce qui fait que je m'en rappelle un peu moins probablement.

  • Speaker #0

    Comment on gère ces émotions, ce contact finalement avec la mort ? Ou la violence d'ailleurs ?

  • Speaker #1

    Alors les émotions, elles sont là. Elles sont différentes en fonction des personnes, des individus, de leur histoire personnelle, de leur sensibilité. C'est un apprentissage, ça fait partie de la formation. On fait quelque chose qui est loin d'être anodin. Donc forcément, ça fait écho, ça renvoie des choses parfois positives, parfois négatives et douloureuses. Il faut savoir être à l'écoute de ces émotions-là. Il faut savoir. les canaliser et puis leur laisser une place, mais pas une place envahissante en tout cas. Donc la confrontation à la violence, à la mort, elle est là, c'est notre quotidien. Ça permet parfois, au fur et à mesure de son exercice, d'avoir un regard qui va changer sur certaines choses. Les rapports entre les individus, sur la nature humaine, le rapport à la mort aussi. Personnellement, je n'ai pas le même rapport à la mort aujourd'hui que j'ai pu l'avoir il y a 15 ans quand j'ai débuté. Donc voilà, tout ça se façonne, tout ça se travaille et la spécialité se charge de nous faire avancer sur ces sujets-là.

  • Speaker #0

    Et ça, vous l'apprenez ou ça se construit au fur et à mesure des années ?

  • Speaker #1

    Je pense que c'est un cheminement, en ce qui me concerne en tout cas, qui s'est construit progressivement. Après, il y a certaines étapes plus marquantes que d'autres, des dossiers plus marquants que d'autres, qui débouchent sur des échanges, sur des partages d'émotions, de ressentis avec des collègues, avec des pairs aussi, qui donnent des conseils, qui... Voilà, chaque individu est unique et on se fait sa propre idée de tout ça au fur et à mesure, je crois.

  • Speaker #0

    Pourquoi avoir choisi la médecine légale ?

  • Speaker #1

    La médecine légale, c'est une science à part entière qui consiste à mettre au service de la justice, la justice au sens large, des connaissances et des compétences médicales. C'est un univers qui a la frontière entre le monde du droit et le monde de la santé. Chez moi, j'ai découvert ce métier en lisant... À l'époque, j'étais lycéen et j'avais découvert des ouvrages de Patricia Cornwell, qui est une autrice américaine qui décrit les enquêtes d'une médecin légiste qui s'appelle le docteur Kei Scarpetta. Et j'avais trouvé... j'avais trouvé ce métier fascinant tel qu'il était en tout cas raconté dans ses ouvrages et puis les hasards de la vie ont fait que j'ai croisé aussi le parcours d'une professeure de médecine légale qui est devenue plus tard mon professeur de médecine légale à Bordeaux et qui était une femme extrêmement passionnée par son métier qui en parlait avec des étoiles dans les yeux et qui a su, je pense, me défendre. donner l'envie de le découvrir et de l'apprendre et puis de l'exercer donc je lui dois ça effectivement le déclic il est survenu tôt au lycée donc j'ai passé mon bac j'ai je suis parti faire mes études de médecine dans l'idée d'être médecin légiste après voilà je suis d'un naturel assez curieux assez ouvert aussi donc je ne me suis pas fermé la porte sur d'autres spécialités d'autres disciplines. J'ai été très attiré pendant longtemps par par la psychiatrie. J'y ai fait des stages, je m'y suis beaucoup intéressé. La psychiatrie, c'est une discipline qui est aussi très liée à la justice. La psychiatrie médico-légale est une discipline à part entière que l'on côtoie aussi assez fréquemment dans les dossiers. J'ai pu faire quand même deux stages en médecine légale qui m'ont conforté dans l'idée que c'était médecin légiste que je voulais être et non pas psychiatre.

  • Speaker #0

    Comment vous découvrez-vous ? Vous décrivriez votre rôle ? Vous êtes un médecin, vous êtes un expert, vous êtes un enquêteur ou vous êtes les trois ?

  • Speaker #1

    Moi, je suis médecin avant tout. J'ai prêté un serment. Je n'ai pas fait d'autres études que des études de médecine. Je suis pour que chacun reste dans son rôle. On travaille en complémentarité, mais à aucun moment, je me considère comme un enquêteur. Je n'ai aucun pouvoir d'enquête et je n'en veux aucun. Aux États-Unis, les médecins légistes ont plus de pouvoir d'investigation que nous n'avons pas du tout. Ici, nous travaillons sous l'autorité du procureur de la République et les officiers de police judiciaire par délégation. Mais moi, je suis médecin avant tout. Donc mon travail, c'est de faire des constatations à charge, à décharge. En tout cas, des constatations qui soient utiles à l'enquête et in fine à la manifestation de la vérité.

  • Speaker #0

    Quels sont les enjeux quand vous... examinez un corps de personnes décédées ou une personne qui ne l'est pas ?

  • Speaker #1

    Bien évidemment le premier c'est l'enjeu judiciaire. Notre travail c'est de faire des photographies à l'instant T de l'état traumatique d'un individu qu'il soit décédé ou qu'il soit vivant. Donc notre travail c'est avec nos yeux de décrire des éléments objectifs, des blessures et d'apporter ces éléments à la connaissance de la justice à travers d'or. des rapports, des rapports médico-légaux, qui vont venir apporter des éléments de preuve qui permettront après, dans le cadre de l'enquête, de faire avancer les choses, de fermer des portes, d'en ouvrir d'autres, de confronter des hypothèses, d'infirmer d'autres hypothèses. Donc l'enjeu premier, il est judiciaire. Derrière cet enjeu judiciaire, il y a des enjeux aussi éthiques, des enjeux humains, En étant médecin, on se doit de pratiquer la médecine légale selon des règles de déontologie, la question de l'information des victimes que l'on reçoit. On doit les informer de qui on est, de comment on intervient, de quel est notre travail. On se doit de recueillir leur consentement. pour être examiné et on se doit aussi de mener nos investigations avec le plus d'humanité possible notamment dans le cadre d'examens particuliers comme des examens de victimes de violences sexuelles qui sont des examens assez délicat très souvent très intrusif et donc on se doit de faire preuve d'empathie. Donc ça, c'est pour moi des enjeux aujourd'hui éthiques qui sont absolument indissociables de l'enjeu premier qui est, lui, judiciaire.

  • Speaker #0

    Tout ce qui est empathie, tout ce qui est accompagnement des victimes, comment vous le vivez ? Comment vous perfectionnez, si je puis dire, ou en tout cas, vous y travaillez ?

  • Speaker #1

    Effectivement ça fait partie de la formation maintenant pour être médecin légiste c'est une spécialité qui dure quatre ans après après le concours de l'internat donc les jeunes médecins légistes apprennent justement à recevoir une victime à l'écouter à lui poser des questions à la préparer à un examen à l'examiner et puis aussi apprennent à l'accompagner une fois l'examen terminé donc ça c'est un vrai apprentissage Et puis après, il y a le socle théorique et puis après, il y a la pratique. Donc probablement qu'aujourd'hui, je prends en charge des victimes de façon peut-être un peu plus étayée et un peu plus enveloppante qu'à mes débuts où on est souvent un petit peu maladroit, stressé. Voilà, donc c'est aussi un apprentissage sur le terrain.

  • Speaker #0

    Vous dirigez l'unité médico-judiciaire et la maison des femmes du centre hospitalier de Pau. À quoi elle sert ? Et comment elle est organisée ?

  • Speaker #1

    Alors l'unité médico-judiciaire c'est un service auxiliaire de justice qui est financé par le ministère de la justice. Donc tous les ans on a une enveloppe financière qui permet de faire fonctionner dans une même unité de temps et de lieu un ensemble de professionnels. à savoir des médecins légistes, des infirmières, des psychologues, secrétaires, un cadre de santé qui donc ont pour finalité de recevoir des personnes qui sont impliquées soit en tant que victime, soit en tant que mise en cause dans des affaires judiciaires qui sont sous l'autorité du procureur de la République du tribunal judiciaire de Pau. On a un critère de compétence géographique. Et donc notre travail, c'est de recevoir tous les jours. Alors statistiquement, c'est plus souvent des personnes qui se plaignent d'avoir subi des violences. Par abus de langage, souvent on parle de victimes, mais pour l'instant, la justice n'est pas encore rendue. Donc on devrait parler plutôt de plaignante ou de plaignant et de mise en cause. En tout cas, on est là pour faire des constatations utiles. à charge et à décharge. Donc on va décrire des blessures, on va faire des prélèvements. de toxicologie, des prélèvements d'ADN dans des affaires criminelles, dans des viols notamment. On va faire des rapports dans lesquels on va évaluer ce que l'on appelle aussi l'incapacité totale de travail, cette notion de droit et de médecine qui va permettre au procureur de qualifier son infraction et puis après qui aura une importance aussi sur les peines au moment du jugement. On est amené aussi ici à recevoir des mineurs non accompagnés pour lesquels il manque des documents. officiel d'identité permettant d'attester leur âge. Et donc, ces personnes vont passer par notre service en dernier recours pour que l'on tente d'estimer leur âge biologique.

  • Speaker #0

    Vous êtes confronté, donc, vous le décrivez au quotidien à de la violence. Comment vous arrivez à garder une distance ?

  • Speaker #1

    C'est important de bien se connaître. Alors, on ne se connaît pas de la même manière à 20 ans, à 30 et à 40. moins à 50 et plus tard. Donc je pense que c'est important de toujours se questionner, de rechercher, d'identifier en tout cas qui on est, quels sont nos points forts, quels sont nos points faibles, parce que c'est une spécialité qui peut être parfois très intrusive, qui peut renvoyer à sa propre existence, son propre vécu, ses propres peurs, frustrations. Donc c'est important de bien se connaître. Après c'est un apprentissage là aussi, on avance, parfois on se prend des claques, parfois moins, il y a des dossiers qui font progresser sur des sujets très personnels. En tout cas ce que je conseille à tous les gens qui franchissent la porte de ce service pour y travailler, que ce soit des secrétaires, que ce soit des médecins, c'est qu'il faut avoir une vie à côté riche Alors, une vie riche, on peut avoir une vie riche de plein de façons. En tout cas, il faut avoir des sources de... plaisir de bonheur de satisfaction parce que c'est ici un univers très noir très sombre nous on annonce jamais de bonnes nouvelles on voit défiler toute la journée des gens qui sont abîmés des gens qui sont en souffrance des gens qui pleurent du matin jusqu'au soir donc c'est important quand on se franchit la porte dans l'eau sens de pouvoir avoir une vie sociale une vie familiale des loisirs que ce soit du sport du théâtre voilà deux mais en tout cas des sources de plaisir qui viennent vraiment regonfler les batteries le week-end et le soir.

  • Speaker #0

    Justement, est-ce qu'il y a des moments où vous êtes en colère, vous êtes sous le choc, vous êtes révolté quelque part par rapport aux situations que vous rencontrez et comment vous le gérez ?

  • Speaker #1

    Alors je ne pense pas qu'on soit dans ce registre d'émotions là en ce qui me concerne. Je pense que d'ailleurs ça serait peut-être un signal d'alarme que d'éprouver ce genre de choses qui pourraient témoigner d'un certain ras-le-bol ou d'une une certaine usure. Si je devais retenir une émotion ou un ressenti, ce serait parfois du découragement face à des situations de violence intrafamiliale, notamment de violence au sein du couple, où on a l'impression que malgré la mobilisation de tous les acteurs, des services de l'État, des associations, malheureusement, on voit des femmes qui reviennent plusieurs fois pour des faits qui se reproduisent, bien qu'il y ait eu une sanction judiciaire. que la justice soit passée. Alors on sait que la justice, ce n'est pas forcément la réponse à tout, c'est une réponse parmi d'autres, mais en tout cas un sentiment parfois d'échec et de lassitude en se disant que beaucoup d'énergie pour au final pas de résultat. Donc à côté de ça, on a quand même des dossiers qui nous permettent d'avoir une certaine satisfaction, mais des émotions qu'on essaie en tout cas de garder à distance. dans le quotidien professionnel.

  • Speaker #0

    Qu'est-ce qui vous aide à continuer justement avec sérénité ?

  • Speaker #1

    La passion du métier, je crois qu'elle est toujours là. Quand je me gare sur le parking de l'hôpital, je ne sais pas quelle va être la journée. Et je me dis qu'il y a toujours une petite pointe d'excitation qui est là. Et j'espère que ça va durer, parce que c'est un joli moteur pour venir tous les matins ici.

  • Speaker #0

    Vous intervenez à l'université ? auprès des étudiants, qui est l'objet de ces interventions.

  • Speaker #1

    Moi j'y enseigne les grands principes de la médecine légale, clinique et thanatologique. Moi l'objectif premier c'est que les étudiants puissent acquérir un socle de connaissances en lien avec ma discipline, mais c'est aussi l'occasion de leur transmettre pour ces jeunes qui se destinent à des carrières dans les métiers du droit, que ce soit la magistrature, avocat. commissaires au PJ j'essaie de leur véhiculer des messages en termes d'humilité en termes de prudence et aussi en termes de culture du doute je pense que dans nos métiers c'est extrêmement dangereux d'avoir des certitudes d'être très sûr de soi plus j'avance dans ma carrière plus je suis prudent. prudent. Et parfois, quand je vois des rapports que j'ai rédigés à mes débuts, aujourd'hui, je me dis, oh là là, j'aurais jamais rédigé ça comme ça aujourd'hui. Et ça m'est arrivé deux, trois fois de trembler en allant aux assises parce que on a tendance à vouloir en dire beaucoup, à s'avancer beaucoup. Et en fait, je pense qu'aujourd'hui, les bons professionnels sont ceux qui ont ces valeurs-là en tête, je pense.

  • Speaker #0

    Merci Dr Ike à la fois pour votre témoignage. témoignages pour votre sincérité, votre engagement et la justesse de vos mots. A très bientôt pour un nouvel épisode de l'état d'esprit.

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