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L'OREILLE DU BOSPHORE

L'unique femme, marchande de tapis du Grand Bazar d'Istanbul, est française

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28min |09/12/2024
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L'OREILLE DU BOSPHORE

L'unique femme, marchande de tapis du Grand Bazar d'Istanbul, est française

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28min |09/12/2024
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Description

Le labyrinthe du grand bazar d’Istanbul, avec ses 65 rues, ses 4000 boutiques et les 20 000 personnes qui y travaillent n’ont plus aucun secret pour Florence. Dans ce monde essentiellement masculin et très conservateur, forte de sa personnalité et de son savoir-faire, elle a, au fil des années, tissé les liens qui ont fait sa réputation tant auprès des commerçants du bazar, que de la communauté française et internationale d’Istanbul.

Si vous la rencontrez dans sa boutique, cette experte en tapis et kilims turcs vous racontera la tradition anatolienne du tissage et du nouage de la laine, du coton ou de la soie, l’origine des couleurs naturelles et la place de cet objet artisanal dans la vie nomade et familiale. Elle saura aussi vous surprendre en vous emmenant à la découverte de l’un des plus grands marchés couverts au monde, de ses cours intérieures, de ses passages secrets, des hans ancestraux, où travaillent des artisans, et peut être pourra-t-elle vous procurer les clés des toits, ceux parcourus par Daniel Craig, alias James Bond dans le film skyfall, où vous pourrez faire des selfies exclusifs.

Florence Öğütgen, une vie d’aventure sans mésaventure, une histoire qu’elle raconte au micro de l’oreille du Bosphore. Une émission à écouter sur votre plateforme préférée, Deezer, Spotify, Apple Podcasts, etc…  et surtout : ABONNEZ VOUS !


Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Cette femme unique est une Française. Elle s'appelle

  • Speaker #1

    Florence Augutgen.

  • Speaker #0

    Elle est marchande de tapis, mais pas que ça. Bonjour Florence.

  • Speaker #1

    Bonjour Jean-Michel.

  • Speaker #0

    C'est quand même quelque chose d'assez exceptionnel, une petite Française étrangère dans ce monde masculin. Comment ça se passe le Grand Bazar ? C'est quoi d'abord pour vous le Grand Bazar ? Comment est-ce que vous le représenteriez ?

  • Speaker #1

    Alors le Bazar d'abord c'est 4000 boutiques et ateliers sur un espace de 15 hectares. hectares, en plein centre de la vieille ville. Donc c'est un monument qui dépend des monuments historiques d'ailleurs. Et les 4000 commerçants ont des boutiques depuis la nuit des temps qui se passent de père ou fils ou qu'ils achètent et s'installent.

  • Speaker #0

    Et alors c'est qui ces gens-là ? C'est des Turcs, des Istanbuliotes ou c'est des gens qui viennent d'un peu partout, y compris d'autres pays proches de la Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar évolue comme toute la Turquie. Et à l'origine, c'était plutôt des Arméniens, des Chaldéens, des Juifs, des gens qui étaient plutôt dans le commerce et dans l'artisanat. Et petit à petit, les, disons, musulmans se sont réappropriés un petit peu le bazar au fur et à mesure des époques. Et le bazar s'est ouvert un petit peu au tourisme, parce qu'avant, c'était vraiment le lieu où les Turcs faisaient leurs achats pour les mariages. Moi, quand je suis arrivée il y a 40 ans en Turquie, on faisait des meubles, on faisait des couettes, on faisait des draps, donc tout ce qui était pour installer une maison. Et quand la Turquie s'est ouverte vers le tourisme, bien sûr, ces métiers ont quitté le bazar, et donc ça a été plus ouvert vers le... L'artisanat a changé un petit peu, donc c'est ouvert. Alors c'est toujours... Il y a beaucoup de Turcs qui achètent des choses dans le Grand Bazar, mais il y a aussi des touristes. Donc c'est devenu un lieu plus touristique que ça ne l'était à l'origine.

  • Speaker #0

    On trouve de tout.

  • Speaker #1

    Tout ce que la Turquie produit comme artisanat, vous le retrouvez dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et vous, vous êtes marchande de tapis. Exactement. Alors, vous n'êtes pas arrivée comme ça en Turquie pour devenir marchande de tapis. Comment vous êtes arrivée en Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je suis arrivée en 1983. Du haut de mes 23 ans, je me suis installée à Istanbul. J'ai travaillé d'abord dans le textile. J'ai épousé un marchand de tapis. C'est ce qui m'a décidé à m'installer à Istanbul, parce que j'ai vraiment eu en 1983 un coup de foudre pour cette ville, qui était très mystique, qu'il est encore d'ailleurs, et très originale, très différente de ce que je connaissais. Et voilà, donc la rencontre avec un garçon m'a fait m'installer dans la ville et tenter ma nouvelle vie.

  • Speaker #0

    Et vous êtes resté, vous y êtes toujours. Vous êtes arrivé en 83 et en quelle année avez-vous ouvert votre boutique ?

  • Speaker #1

    Mon mari était marge en tapis, donc on a ouvert ensemble une boutique en 88. Donc c'est lui qui la gérait. Et dans les années 92, il a voulu faire autre chose. Et moi en 98, j'ai récupéré la boutique et j'ai donné ma petite touche plus française, plus féminine dans cette boutique. Donc j'ai repris la main. Et donc j'ai continué ce métier, donc ça fait maintenant 25 ans que je suis quotidiennement dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Pour vendre des tapis, il faut quand même un certain niveau, parce que c'est compliqué les tapis. Il n'y a pas un tapis turc, il y a des dizaines de types de tapis turcs qui sont faits dans différentes régions de la Turquie, même hors Turquie. Comment vous apprenez tout ça ? Comment vous arrivez à déceler que ce tapis-là a été fait à telle époque, il a été fait avec tel type de laine ou de coton ou de soie ? Ça s'apprend comment ?

  • Speaker #1

    Sur le temps. Moi je suis arrivée ne connaissant rien aux tapis. Je venais accompagner mon mari pour voir un petit peu les ventes qu'il faisait, mais plus par curiosité, etc. Et quand j'ai été plongée dans ce bain du Grand Bazar, que j'aimais beaucoup avant d'arriver en tant que commerçante, connaissant le caractère des Turcs et la culture turque, et en achetant les tapis moi-même, Donc j'ai discuté avec les fournisseurs, j'ai lu, j'ai mis à contribution mon savoir sur la culture turque. Et donc j'ai fait ma propre expérience et ma propre recherche. pour ma connaissance du tapis. C'est un métier qui est que oral, on imagine beaucoup de choses, et donc c'est ce qu'on transmet un petit peu, la culture, et se mettre à la place de la jeune fille qui a fait ce tapis-là.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce qu'on arrive à s'intégrer dans ce monde ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que comme j'ai repris le magasin de mon mari, ils m'ont accueillie avec un petit peu un regard en disant tiens on va voir comment elle va s'en sortir, mais j'ai pas eu de coup fourré. Ils ne m'ont pas mis des bâtons dans la roue. Le fait que je sois une femme et que je connaisse la culture turque m'a permis de m'intégrer sans les choquer. Le bazar, c'est masculin. On doit être cinq femmes en tout dans le bazar. L'intégration s'est faite parce que, comme je connais la mentalité turque, je ne les ai pas heurtées. J'ai utilisé ma féminité comme un plus qu'eux n'avaient pas. Mais je n'ai pas utilisé ma féminité vestimentairement, je n'ai pas aguiché les clients, j'ai fait très attention, je souris peu dans le grand bazar pour ne pas justement causer ce genre d'attitude qui pourrait être préjudiciable à ma condition féminine. Et donc en fait compte, les commerçants du grand bazar sont souvent des... grands enfants, donc ils sont toute la journée dans leur monde masculin et ils peuvent avoir envie d'avoir une oreille féminine qui les entendent et qui les écoute. Et donc, pour moi, ça a été un plus. Et pour eux aussi, parce qu'en fait, très souvent, ils viennent me voir pour me raconter leurs soucis avec les enfants, d'éducation, leurs soucis avec leurs femmes. Et donc, je suis un petit peu, je ne veux pas dire leur maman, mais je les écoute souvent. Alors, pas tous, heureusement, parce que ça me prendrait beaucoup de temps. Mais je me suis quand même imposée par cette écoute féminine et par mon attitude qui était féminine dans le bon côté des choses, mais pas en utilisant ma féminité comme un atout pour attraper les clients ou pour vendre. C'est en m'imposant quotidiennement par la connaissance que j'avais de la communauté française essentiellement, et expatriée en tout cas, petit à petit quand ils ont vu que la communauté expatriée venait chez moi. que j'étais capable de vendre des tapis aux Français et aux autres clients, que je me suis imposée. Ça, ça ne s'est pas fait tout seul. Et petit à petit, j'ai même des collègues marchands de tapis qui m'amènent des clients français, sachant que la clientèle française est une clientèle difficile. Donc c'est la preuve qu'ils me font confiance. Mais ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. C'est le quotidien.

  • Speaker #0

    J'imagine. Effectivement, vous avez cet atout de la française. qui peut plus facilement communiquer avec la clientèle touristique française. Mais vous avez parlé d'expatriés, la communauté locale. Vous êtes aussi très impliqué dans la communauté d'expatriés françaises à Istanbul. Il y en a combien actuellement de Français ?

  • Speaker #1

    Il y a 13 000 Français en Turquie et 8 000 à Istanbul.

  • Speaker #0

    Une petite ville en fait, une petite ville française. Une petite ville française. Et vous êtes ? un peu la référente, à la fois la référente et à la fois référencée dans cette communauté. Et ça non plus, ce n'est pas par hasard, puisque outre votre activité de commerçante, vous avez aussi travaillé chez les plus grands couturiers de Turquie au tout début, lorsque vous arrivez, vous cherchez du boulot et vous allez travailler chez Vako. Et Vako, c'est ?

  • Speaker #1

    C'était à l'époque le grand couturier en prêt-à-porter de la société turque. de haut niveau.

  • Speaker #0

    Et puis vous avez travaillé pour un autre grand couturier, plus contemporain, on va dire, plus d'aujourd'hui, parce que Waco, c'est une vieille histoire. C'est une histoire qui démarre avec la République. Et vous avez travaillé avec un autre couturier.

  • Speaker #1

    Jemil Epekji.

  • Speaker #0

    Voilà, Jemil Epekji, qui lui aussi...

  • Speaker #1

    Il était plus dans la haute couture.

  • Speaker #0

    Voilà, absolument. Donc vous avez travaillé, ensuite vous avez vécu votre vie de couple, et puis vous avez eu... un premier enfant. Et c'est un peu lorsque vous avez eu ce premier enfant qu'il y a eu un déclic. Vous êtes intéressé à la communauté française. En même temps, vous avez des enfants qui grandissent, qui vont à l'école, et vous devenez la responsable de l'association des parents d'élèves du lycée.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que quand moi je suis arrivée, j'ai voulu m'intégrer à la société turque. Et quand on a un enfant, on se dit, bon, mon enfant va être turc ou va être français. Et j'ai compris qu'ils pouvaient être les deux. Et pour ça, je l'ai mis quand même à l'école française parce qu'étant française moi-même, je voulais qu'il ait la culture française, le parler français correct et qu'il grandisse dans mes valeurs personnelles. Et donc, je me suis occupée de l'association des parents d'élèves du lycée Pierre Louty d'Istanbul.

  • Speaker #0

    Et en même temps, vous allez être une créatrice d'associations parce que vous allez créer une des premières associations de français en Turquie en fait. Oui.

  • Speaker #1

    Et il y avait une association de femmes d'expatriés, Isamboul Accueil, qui s'est créée en 92. Et moi en 94, donc l'année où j'ai commencé à m'occuper de l'association des parents d'élèves, j'ai créé en même temps une association de familles franco-turques. Parce que Isamboul Accueil c'était bien, mais c'était quand même très orienté vers les femmes d'expat. Et moi je trouvais que les familles franco-turques, même si on est français, on a des difficultés ou des problématiques. que les expats n'ont pas.

  • Speaker #0

    Alors les expats, il faut simplement dire, ce sont les gens qui sont envoyés par leur entreprise, par leur travail, pour aller travailler à l'étranger. Donc des Français qui n'étaient pas forcément préparés et qui sont envoyés, qui travaillent pour des grandes sociétés, ça peut être Danone, ça peut être Renault en Turquie, Renault c'est très important, ça peut être des tas de sociétés internationales, ils sont envoyés à l'étranger pour un an, pour deux ans, pour trois ans. Les diplomates également sont. sont des expats. Donc voilà, ça c'est une catégorie et ce sont ces gens-là qui se regroupent dans l'association Istanbul Accueil. Mais vous, vous n'êtes pas vraiment une expat, comme pas mal de gens. Vous, vous êtes venu vous-même, ce n'est pas une entreprise, vous avez décidé, vous êtes en quelque sorte une immigrée, vous avez changé de pays par plaisir, d'autres changent par force, par obligation, et bien on peut changer aussi de pays par plaisir. plaisir et on devient aussi quelque part un immigré. Et vous avez voulu que ces gens, justement, ces immigrés qui se regroupent et aient de l'information rencontrent d'autres Français dans une situation un peu analogue et c'est ça, la passerelle, c'était ça. Tout à fait. Pour revenir au Grand Bazar, grâce à cette association de parents d'élèves, grâce à la passerelle, vous devenez quelqu'un de connu dans la communauté expatriée et immigrée française d'Istanbul. Ce sont des clients potentiels qui vont aussi vous faire confiance au niveau de ce que vous vendez et qui vont même vous amener, et là on va passer un peu au côté politique, on va dire des grands acheteurs, j'allais dire des grands acheteurs, mais des acheteurs de marques, quelque chose comme ça, puisque c'est des personnalités politiques qui vont passer à un moment donné. Vous avez vu qui comme personnalité politique ?

  • Speaker #1

    Disons que moi je me suis lancée un petit peu dans la politique, un petit peu. un petit peu par opportunisme parce que l'occasion se présentait. Donc je me suis présentée aux élections pour représenter les Français de l'étranger. Et à ce titre, j'ai été élue. Et depuis 1994, alors ça ne s'est pas été dit, élue tout de suite, j'étais représentante d'une autre liste. Mais depuis 1994, je suis sur la scène politique. Et les ministres ou les personnes qui viennent visiter la Turquie, très souvent, je les rencontre. Et je les reçois dans mon magasin de tapis.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas toujours des acheteurs, mais c'est des visiteurs.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça parce que moi, quand je suis allé dans votre magasin de tapis, j'ai vu ça. J'ai vu Ségolène Royal, j'ai vu des articles de journaux, des photos. J'ai vu Philippe Seguin, j'ai vu un ancien premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Je ne sais plus qui encore, mais c'est parce que vous n'êtes pas la seule à recevoir des politiques. Parce que dans le bazar, chez les marchands de tapis, on voit de temps en temps des images, des photos. Alors on peut voir Clinton, on peut voir des présidents américains, étrangers, beaucoup de personnalités politiques, comme chez vous. Et c'est le seul endroit dans le Grand Bazar où on voit des images, des photos, des articles sur les personnalités politiques françaises.

  • Speaker #1

    Comme je suis un petit peu une personnalité, donc l'ambassade ou le consulat... Quand ils ont des visites comme ça officielles, ils veulent leur faire un petit peu visiter le Grand Bazar parce que c'est quand même un incontournable de la ville. Et donc, ils m'appellent et je m'occupe de ces personnalités. Je leur présente le Grand Bazar avec tous ces commerçants, toutes ces ruelles.

  • Speaker #0

    Voilà, ce labyrinthe. Masculin. Masculin, oui, ce labyrinthe masculin. On a l'impression de se perdre parce qu'en fait... On se perd jamais dans le Grand Bazar. On a l'impression, lorsqu'on rentre dans le Grand Bazar, qu'on va se perdre. D'ailleurs, vous avez également eu Gérard de Hillier, qui est venu, l'auteur de S.A.S. Alors, est-ce qu'il est venu pour, justement, essayer de se perdre et de trouver les sorties pour ses personnages ? Mais c'est très facile de trouver les sorties. Grand Bazar, sortie 1, sortie 2, sortie 3, sortie 4, c'est très facile. Mais le plaisir, c'est que, quand on n'est pas habitué, on a peur de ne pas trouver la sortie. Alors, là... ça crée de l'émotion en plus de ces lumières, ces couleurs, ces boutiques en tout genre, que ce soit les tapis, que ce soit la verrerie, la céramique, les choses parfumées, comme maintenant il y a de plus en plus de loukoum ou de pâtisserie, des choses comme ça. Voilà, donc on ne se perd pas dans le Grand Bazar et vous êtes vous-même jamais perdu.

  • Speaker #1

    Le Bazar, c'est une ville dans la ville. Et donc en fait, il y a les commerçants, mais il y a tout qui... Il y a les restaurants, il y a les marques de santé, il y a la police, il y a un petit hôpital. Enfin, pas un hôpital, mais un médecin. Et donc en fait, c'est une ville dans la ville, avec ses bons côtés et ses mauvais côtés. Ça ressemble beaucoup à Istanbul. C'est qu'en fait, ça a l'air d'être un chaos, mais c'est un chaos très organisé. Quand vous regardez un plan, toutes les rues sont parallèles et perpendiculaires. C'est pas n'importe comment, c'est très organisé et très... Très structuré comme toute la Turquie ou comme la ville d'Issamboul particulièrement. Mais il y a cette impression de chaos qui est la lumière de cette ville.

  • Speaker #0

    Qui n'est qu'une impression. Et j'ajouterais que toute cette vie du bazar avec ces ruelles où les touristes ne vont pas, ces arrières-cours qu'on appelle les han, où les touristes ne vont pas ou très peu. On peut même arriver dans des labyrinthes montés sur les toits. découvrir des quartiers, des coins du bazar qui ont été construits après un autre moment, recollés, raccommodés. Les meilleurs restaurants du Grand Bazar ne sont pas ceux où vont les touristes. Ce sont ceux qui sont cachés, qui n'ont l'air de rien, où les touristes n'osent pas entrer.

  • Speaker #1

    Dans le bazar, il faut se lancer, il faut aller partout. Vous serez toujours bien accueillis de toute façon. Il ne faut pas rester avec oh là là, je ne peux pas rentrer dans cette cour Il faut y aller, il faut oser. Il ne va rien vous arriver, c'est là qu'il y a les bons petits restaurants, les petites cantines des commerçants. Tout est à découvrir dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et si vous n'aviez pas foncé, vous ne seriez pas là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Ça c'est sûr.

  • Speaker #0

    La clientèle française qui vous suit, donc autant en tant que conseillère que marchande de tapis dans le Grand Bazar, parce que ça doit aussi un petit peu les étonner d'arriver à Istanbul, dans une grande ville, sur laquelle ils ont déjà pas mal fantasmé avant d'arriver. Et de retrouver dans ce bazar une petite Française dans son magasin, avec son sourire, son dynamisme, son énergie, qui dit bonjour en turc, qui a ce tas de tapis, des tapis en soie, des tapis en laine, en coton, des coussins. Voilà, on est complètement dans l'Orient fantasmé, on peut encore le dire, dans ce magasin. Et vous, vous êtes là. Alors là, vous êtes quoi ? Vous êtes la française ou vous êtes la marchande de tapis turc ? Parce que vous êtes vous-même presque binational, on va dire, biculturel.

  • Speaker #1

    Je suis sûrement biculturel. Je n'ai pas pris la nationalité turque, en tout cas pas encore. Mais non, je suis vraiment très française. Et j'essaye... Les gens qui viennent dans ma boutique, ce n'est pas forcément des gens qui veulent acheter des tapis. Donc déjà, je les aide quand ils ont des recherches à faire dans le Grand Bazar, etc. On peut se promener ensemble pour les orienter vers les bonnes boutiques, enfin les boutiques que je connais. Et donc c'est vrai que par cette disponibilité que je donne à mes visiteurs, je suis un petit peu une référence dans le grand bazar pour la communauté expatriée. Bien sûr, s'ils veulent des tapis, je suis à leur disposition. Je préfère qu'ils achètent chez moi qu'ailleurs. Mais je leur explique aussi la pédagogie, la culture du tapis. Ce n'est pas un objet manufacturé, tous les tapis sont uniques. Et donc, je leur fais prendre conscience de cette culture-là. Et les Français, ils aiment bien comprendre ce qu'ils achètent. Et la culture, ils aiment ça, même s'ils ne l'ont pas, même s'ils ne connaissent pas le tapis, parce que c'est un monde un petit peu magique, mais peu connu. Donc, j'essaye un petit peu de leur expliquer comment se fait un tapis, avec la laine, avec tous les matériaux. toute la culture qui est transmise dans cette pièce unique.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce qu'on marchande chez vous ? Non. Ah, alors c'est quand même quelque chose de particulier si on ne marchande pas, parce que dans le grand bazar, il y a une réputation de marchandage. Alors,

  • Speaker #1

    le fait que je sois française, les gens n'ont pas ce réflexe et moi j'annonce la couleur. Donc je dis aux gens que je fais le meilleur prix possible. Je suis une commerçante, donc bien entendu je gagne ma vie. Mais mon but c'est de vendre un tapis moins cher que s'ils allaient ailleurs tout seuls. Donc déjà, c'est un bon deal pour eux. Et du coup, ils respectent en général ce deal. Les gens qui veulent marchander, ils peuvent aller ailleurs, mais pas chez moi.

  • Speaker #0

    Là, entre quatre yeux, c'est impossible de trouver moins cher que chez vous, dans le grand bazar ?

  • Speaker #1

    C'est toujours possible, parce qu'il y a des gens qui peuvent avoir besoin d'argent et qui peuvent vendre un tapis à prix coûtant.

  • Speaker #0

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #1

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #0

    Parce que j'ai entendu dire, vous allez me confirmer ça, qu'il fallait parfois vendre. avant midi quelque chose pour pouvoir faire une bonne journée. Et que lorsqu'on n'avait pas vendu quelque chose avant midi, c'était toute la journée qui allait être foutue et que du coup, arriver chez un marchand entre 11h30 et midi, ça permettait d'avoir un bon prix. C'est une histoire vraie ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas forcément midi. C'est la première vente qui ne doit pas être ratée. Donc, quand vous allez tôt le matin, le commerçant peut vous faire un prix sympathique parce que justement... il y a cette croyance. Donc, on ne va pas faire partir un client à cause du prix. Effectivement, vous pouvez avoir un bon prix le matin pour la première vente. Alors, est-ce que c'est midi ? Est-ce que c'est 11h ? Est-ce que c'est 10h ? Pour moi, c'est pareil. C'est vrai que je ne vais pas rater une vente si je sens que le client a aimé un tapis. Je peux faire un cadeau, mais on ne va pas rentrer dans le processus du marchandage. Moi, je vais faire un petit prix moi-même, mais ça ne sera pas du marchandage. Dans tous les cas.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a 30 ans, lorsque vous avez commencé, on marchandait autant dans le Grand Bazar ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'on marchandait encore plus.

  • Speaker #0

    Encore plus ? Oui,

  • Speaker #1

    parce que le prix d'achat, pas que des tapis, mais tout était quand même beaucoup moins cher. Donc la marge était beaucoup plus élevée. Aujourd'hui, tout augmente, les tapis aussi. On les achète en devise, en dollars, en euros. Et on ne fait plus des marges énormes. Donc à l'époque, il y avait certainement beaucoup plus de marchandises parce que la marge était plus importante.

  • Speaker #0

    Donc il n'y a pas forcément intérêt à tout acheter quand on est un touriste dans le Grand Bazar. Il faut aussi aller voir à l'extérieur ce qu'on peut trouver.

  • Speaker #1

    L'avantage du Grand Bazar, c'est que vous avez beaucoup de concurrence, puisqu'il y a quand même 4000 boutiques. Tout est dans un même endroit, donc en fait un commerçant ne va pas vouloir perdre son client parce qu'il sait très bien que son voisin ou son concurrent direct va lui piquer son client et faire une vente à sa place. Moi, je pense que le bazar reste certainement le meilleur endroit pour avoir des bons prix. Mais après, tout dépend du commerçant sur lequel vous tombez, de la qualité qu'il va vous vendre. Et il faut savoir quand même que si un commerçant qui commence un prix à, je dis n'importe quoi, mais 5 000 euros et qui vend le tapis à 1 000 euros, quelque part, il y a anguille sous roche. Ce genre de choses, vous pouvez le trouver en dehors du bazar, assurément. Dans le bazar, c'est quand même difficile d'avoir un magasin. Il y en a 4000, mais les places sont chères, les places sont rares, c'est difficile de rentrer, c'est difficile de s'y installer. Donc le commerçant, il ne va pas s'amuser à rater un client. Vous avez certainement la possibilité de faire des meilleures affaires dans le Grand Bazar qu'en dehors, à mon avis.

  • Speaker #0

    Et comment ça se passe dans le Grand Bazar ? Les marchands se connaissent, discutent, ont de bonnes relations, ou se regardent tous un peu en chien de faïence ? C'est comment l'atmosphère ensemble ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar c'est 4000 boutiques, ça veut dire à peu près à vue de nez 20 000 personnes qui y travaillent. Donc forcément on a un réseau. Alors le réseau c'est en fonction des amitiés personnelles, en fonction de la langue que vous parlez. Moi je parle le turc mais moi je travaille plus avec des commerçants qui parlent français et des gens qui ont un petit peu la même clientèle que moi. Et donc on se passe les clients les uns les autres, c'est un réseau. On est tous concurrents. Mais il y a quand même, c'est vrai de moins en moins, parce qu'il y a de plus en plus de jeunes qui rentrent dans le bazar parce que les vieux arrêtent et qu'ils sont à la retraite. Mais ma génération, c'est des commerçants qui sont de père en fils dans le Grand Bazar. Donc il y a la culture du Grand Bazar. On a des liens d'amis sympathiques, etc. et des chances de clients. Et donc on ne va pas se nuire mutuellement. Parce que quand on se nuit mutuellement, on nuit. au commerce et au bazar.

  • Speaker #0

    Tous ces marchands qui sont là, que ce soit le tapis, que ce soit le cuir, que ce soit la faïence, la céramique, les bijoux et puis les antiquités. On n'a que des spécialistes pratiquement.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Les gens ont leur magasin par leur père, leur grand-oncle ou une famille. Donc ils sont dans le métier depuis trois, quatre, cinq générations. Leur métier, c'est vraiment un métier familial.

  • Speaker #0

    Et puis, on parlait des antiquités, il y a ce old bazaar qui est à l'intérieur du grand bazar et qui est le marché des antiquités en fait.

  • Speaker #1

    Un petit peu moins maintenant. parce que la population est de moins en moins attirée vers les sous-antiques. Mais c'est vrai que c'est l'endroit où on peut trouver encore des antiquités, que ce soit en cuivre, que ce soit des vieux poignards, que ce soit des bijoux anciens et d'autres choses.

  • Speaker #0

    Et si j'ai bien compris, c'est un endroit où on vend, les marchands vendent, mais achètent aussi. Et où viennent, passent des gens d'Asie centrale ? avec leurs bijoux, viennent vendre leur maison pratiquement, ce qu'ils ont dans leur maison en arrivant d'Ouzbékistan, du Turkménistan, etc. Il y a ce côté achat et vente.

  • Speaker #1

    Alors ce n'est pas que dans le vieux bazar. Dans tout le Grand Mazarin, c'est vrai qu'on est la position de la Turquie, proche de pays comme l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan, etc. Les gens qui ont des choses à vendre, ils viennent à Istanbul parce qu'ils espèrent en avoir un prix. bien meilleure que s'ils le vendaient dans leur pays. Donc, c'est pour ça que le bazar est magique. Parce qu'en fait, vous avez des choses merveilleuses qui viennent de toute la région, et pas que de la Turquie. Donc, ils viennent pour vendre leurs objets. Et nous, pour moi, les tapis, je peux en acheter à des femmes au Zbek qui amènent le bourra, qu'elles ont fait. Et comme c'est des tapis qui sont difficiles à trouver, j'achèterais, s'il est en bon état, bien entendu. Donc, c'est vrai pour les tapis, c'est vrai pour les antiquités, c'est vrai pour les tissus, c'est vrai pour les bijoux. Toutes les choses, tous les magasins où on travaille avec des produits anciens, les pièces anciennes, vous les trouvez dans les familles. Et c'est les familles qui vous les apportent. Familles turques qui peuvent vouloir se débarrasser parce qu'ils ont envie d'avoir d'autres tapis que ce qu'ils ont. Ou les familles qui ont besoin d'argent. Donc familles turques, mais familles étrangères, usbèques, syriennes, irakiennes, iraniennes. Et tous ces pays-là qui viennent vers Istanbul parce que c'est la capitale de cette région-là.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Florence, merci pour cette histoire de vie au Grand Bazar. On va quand même donner l'adresse du magasin, qui se trouve dans quel quartier ? Parce que c'est par quartier aussi le Grand Bazar.

  • Speaker #1

    Le Grand Bazar est un petit peu construit sur une pente, et donc c'est la partie la plus haute dans le quartier du Cuir. Donc le mieux c'est de rentrer par la porte numéro 2, qui est pas loin de la station de tramway Chamberlitas. Et quand vous rentrez par la porte numéro 2, Juste sur la droite, il y a une entrée dans une cour. Et dans cette cour, il y a des toilettes. Et moi, je suis dans cette cour-là. Vous demandez Florence à n'importe qui, ils sauront vous amener jusqu'à moi.

  • Speaker #0

    Florence, la marchande de tapis du Grand Bazar, à côté de la station de tram Jemberlitach. Il y a d'ailleurs à cette station de tram un hammam très connu. Et donc, l'entrée du bazar est à 50 mètres, 100 mètres de ce hammam. Oui, tout à fait. Et c'est juste après l'entrée à droite. Merci Florence. Merci. A une prochaine fois.

Description

Le labyrinthe du grand bazar d’Istanbul, avec ses 65 rues, ses 4000 boutiques et les 20 000 personnes qui y travaillent n’ont plus aucun secret pour Florence. Dans ce monde essentiellement masculin et très conservateur, forte de sa personnalité et de son savoir-faire, elle a, au fil des années, tissé les liens qui ont fait sa réputation tant auprès des commerçants du bazar, que de la communauté française et internationale d’Istanbul.

Si vous la rencontrez dans sa boutique, cette experte en tapis et kilims turcs vous racontera la tradition anatolienne du tissage et du nouage de la laine, du coton ou de la soie, l’origine des couleurs naturelles et la place de cet objet artisanal dans la vie nomade et familiale. Elle saura aussi vous surprendre en vous emmenant à la découverte de l’un des plus grands marchés couverts au monde, de ses cours intérieures, de ses passages secrets, des hans ancestraux, où travaillent des artisans, et peut être pourra-t-elle vous procurer les clés des toits, ceux parcourus par Daniel Craig, alias James Bond dans le film skyfall, où vous pourrez faire des selfies exclusifs.

Florence Öğütgen, une vie d’aventure sans mésaventure, une histoire qu’elle raconte au micro de l’oreille du Bosphore. Une émission à écouter sur votre plateforme préférée, Deezer, Spotify, Apple Podcasts, etc…  et surtout : ABONNEZ VOUS !


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Transcription

  • Speaker #0

    Cette femme unique est une Française. Elle s'appelle

  • Speaker #1

    Florence Augutgen.

  • Speaker #0

    Elle est marchande de tapis, mais pas que ça. Bonjour Florence.

  • Speaker #1

    Bonjour Jean-Michel.

  • Speaker #0

    C'est quand même quelque chose d'assez exceptionnel, une petite Française étrangère dans ce monde masculin. Comment ça se passe le Grand Bazar ? C'est quoi d'abord pour vous le Grand Bazar ? Comment est-ce que vous le représenteriez ?

  • Speaker #1

    Alors le Bazar d'abord c'est 4000 boutiques et ateliers sur un espace de 15 hectares. hectares, en plein centre de la vieille ville. Donc c'est un monument qui dépend des monuments historiques d'ailleurs. Et les 4000 commerçants ont des boutiques depuis la nuit des temps qui se passent de père ou fils ou qu'ils achètent et s'installent.

  • Speaker #0

    Et alors c'est qui ces gens-là ? C'est des Turcs, des Istanbuliotes ou c'est des gens qui viennent d'un peu partout, y compris d'autres pays proches de la Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar évolue comme toute la Turquie. Et à l'origine, c'était plutôt des Arméniens, des Chaldéens, des Juifs, des gens qui étaient plutôt dans le commerce et dans l'artisanat. Et petit à petit, les, disons, musulmans se sont réappropriés un petit peu le bazar au fur et à mesure des époques. Et le bazar s'est ouvert un petit peu au tourisme, parce qu'avant, c'était vraiment le lieu où les Turcs faisaient leurs achats pour les mariages. Moi, quand je suis arrivée il y a 40 ans en Turquie, on faisait des meubles, on faisait des couettes, on faisait des draps, donc tout ce qui était pour installer une maison. Et quand la Turquie s'est ouverte vers le tourisme, bien sûr, ces métiers ont quitté le bazar, et donc ça a été plus ouvert vers le... L'artisanat a changé un petit peu, donc c'est ouvert. Alors c'est toujours... Il y a beaucoup de Turcs qui achètent des choses dans le Grand Bazar, mais il y a aussi des touristes. Donc c'est devenu un lieu plus touristique que ça ne l'était à l'origine.

  • Speaker #0

    On trouve de tout.

  • Speaker #1

    Tout ce que la Turquie produit comme artisanat, vous le retrouvez dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et vous, vous êtes marchande de tapis. Exactement. Alors, vous n'êtes pas arrivée comme ça en Turquie pour devenir marchande de tapis. Comment vous êtes arrivée en Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je suis arrivée en 1983. Du haut de mes 23 ans, je me suis installée à Istanbul. J'ai travaillé d'abord dans le textile. J'ai épousé un marchand de tapis. C'est ce qui m'a décidé à m'installer à Istanbul, parce que j'ai vraiment eu en 1983 un coup de foudre pour cette ville, qui était très mystique, qu'il est encore d'ailleurs, et très originale, très différente de ce que je connaissais. Et voilà, donc la rencontre avec un garçon m'a fait m'installer dans la ville et tenter ma nouvelle vie.

  • Speaker #0

    Et vous êtes resté, vous y êtes toujours. Vous êtes arrivé en 83 et en quelle année avez-vous ouvert votre boutique ?

  • Speaker #1

    Mon mari était marge en tapis, donc on a ouvert ensemble une boutique en 88. Donc c'est lui qui la gérait. Et dans les années 92, il a voulu faire autre chose. Et moi en 98, j'ai récupéré la boutique et j'ai donné ma petite touche plus française, plus féminine dans cette boutique. Donc j'ai repris la main. Et donc j'ai continué ce métier, donc ça fait maintenant 25 ans que je suis quotidiennement dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Pour vendre des tapis, il faut quand même un certain niveau, parce que c'est compliqué les tapis. Il n'y a pas un tapis turc, il y a des dizaines de types de tapis turcs qui sont faits dans différentes régions de la Turquie, même hors Turquie. Comment vous apprenez tout ça ? Comment vous arrivez à déceler que ce tapis-là a été fait à telle époque, il a été fait avec tel type de laine ou de coton ou de soie ? Ça s'apprend comment ?

  • Speaker #1

    Sur le temps. Moi je suis arrivée ne connaissant rien aux tapis. Je venais accompagner mon mari pour voir un petit peu les ventes qu'il faisait, mais plus par curiosité, etc. Et quand j'ai été plongée dans ce bain du Grand Bazar, que j'aimais beaucoup avant d'arriver en tant que commerçante, connaissant le caractère des Turcs et la culture turque, et en achetant les tapis moi-même, Donc j'ai discuté avec les fournisseurs, j'ai lu, j'ai mis à contribution mon savoir sur la culture turque. Et donc j'ai fait ma propre expérience et ma propre recherche. pour ma connaissance du tapis. C'est un métier qui est que oral, on imagine beaucoup de choses, et donc c'est ce qu'on transmet un petit peu, la culture, et se mettre à la place de la jeune fille qui a fait ce tapis-là.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce qu'on arrive à s'intégrer dans ce monde ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que comme j'ai repris le magasin de mon mari, ils m'ont accueillie avec un petit peu un regard en disant tiens on va voir comment elle va s'en sortir, mais j'ai pas eu de coup fourré. Ils ne m'ont pas mis des bâtons dans la roue. Le fait que je sois une femme et que je connaisse la culture turque m'a permis de m'intégrer sans les choquer. Le bazar, c'est masculin. On doit être cinq femmes en tout dans le bazar. L'intégration s'est faite parce que, comme je connais la mentalité turque, je ne les ai pas heurtées. J'ai utilisé ma féminité comme un plus qu'eux n'avaient pas. Mais je n'ai pas utilisé ma féminité vestimentairement, je n'ai pas aguiché les clients, j'ai fait très attention, je souris peu dans le grand bazar pour ne pas justement causer ce genre d'attitude qui pourrait être préjudiciable à ma condition féminine. Et donc en fait compte, les commerçants du grand bazar sont souvent des... grands enfants, donc ils sont toute la journée dans leur monde masculin et ils peuvent avoir envie d'avoir une oreille féminine qui les entendent et qui les écoute. Et donc, pour moi, ça a été un plus. Et pour eux aussi, parce qu'en fait, très souvent, ils viennent me voir pour me raconter leurs soucis avec les enfants, d'éducation, leurs soucis avec leurs femmes. Et donc, je suis un petit peu, je ne veux pas dire leur maman, mais je les écoute souvent. Alors, pas tous, heureusement, parce que ça me prendrait beaucoup de temps. Mais je me suis quand même imposée par cette écoute féminine et par mon attitude qui était féminine dans le bon côté des choses, mais pas en utilisant ma féminité comme un atout pour attraper les clients ou pour vendre. C'est en m'imposant quotidiennement par la connaissance que j'avais de la communauté française essentiellement, et expatriée en tout cas, petit à petit quand ils ont vu que la communauté expatriée venait chez moi. que j'étais capable de vendre des tapis aux Français et aux autres clients, que je me suis imposée. Ça, ça ne s'est pas fait tout seul. Et petit à petit, j'ai même des collègues marchands de tapis qui m'amènent des clients français, sachant que la clientèle française est une clientèle difficile. Donc c'est la preuve qu'ils me font confiance. Mais ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. C'est le quotidien.

  • Speaker #0

    J'imagine. Effectivement, vous avez cet atout de la française. qui peut plus facilement communiquer avec la clientèle touristique française. Mais vous avez parlé d'expatriés, la communauté locale. Vous êtes aussi très impliqué dans la communauté d'expatriés françaises à Istanbul. Il y en a combien actuellement de Français ?

  • Speaker #1

    Il y a 13 000 Français en Turquie et 8 000 à Istanbul.

  • Speaker #0

    Une petite ville en fait, une petite ville française. Une petite ville française. Et vous êtes ? un peu la référente, à la fois la référente et à la fois référencée dans cette communauté. Et ça non plus, ce n'est pas par hasard, puisque outre votre activité de commerçante, vous avez aussi travaillé chez les plus grands couturiers de Turquie au tout début, lorsque vous arrivez, vous cherchez du boulot et vous allez travailler chez Vako. Et Vako, c'est ?

  • Speaker #1

    C'était à l'époque le grand couturier en prêt-à-porter de la société turque. de haut niveau.

  • Speaker #0

    Et puis vous avez travaillé pour un autre grand couturier, plus contemporain, on va dire, plus d'aujourd'hui, parce que Waco, c'est une vieille histoire. C'est une histoire qui démarre avec la République. Et vous avez travaillé avec un autre couturier.

  • Speaker #1

    Jemil Epekji.

  • Speaker #0

    Voilà, Jemil Epekji, qui lui aussi...

  • Speaker #1

    Il était plus dans la haute couture.

  • Speaker #0

    Voilà, absolument. Donc vous avez travaillé, ensuite vous avez vécu votre vie de couple, et puis vous avez eu... un premier enfant. Et c'est un peu lorsque vous avez eu ce premier enfant qu'il y a eu un déclic. Vous êtes intéressé à la communauté française. En même temps, vous avez des enfants qui grandissent, qui vont à l'école, et vous devenez la responsable de l'association des parents d'élèves du lycée.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que quand moi je suis arrivée, j'ai voulu m'intégrer à la société turque. Et quand on a un enfant, on se dit, bon, mon enfant va être turc ou va être français. Et j'ai compris qu'ils pouvaient être les deux. Et pour ça, je l'ai mis quand même à l'école française parce qu'étant française moi-même, je voulais qu'il ait la culture française, le parler français correct et qu'il grandisse dans mes valeurs personnelles. Et donc, je me suis occupée de l'association des parents d'élèves du lycée Pierre Louty d'Istanbul.

  • Speaker #0

    Et en même temps, vous allez être une créatrice d'associations parce que vous allez créer une des premières associations de français en Turquie en fait. Oui.

  • Speaker #1

    Et il y avait une association de femmes d'expatriés, Isamboul Accueil, qui s'est créée en 92. Et moi en 94, donc l'année où j'ai commencé à m'occuper de l'association des parents d'élèves, j'ai créé en même temps une association de familles franco-turques. Parce que Isamboul Accueil c'était bien, mais c'était quand même très orienté vers les femmes d'expat. Et moi je trouvais que les familles franco-turques, même si on est français, on a des difficultés ou des problématiques. que les expats n'ont pas.

  • Speaker #0

    Alors les expats, il faut simplement dire, ce sont les gens qui sont envoyés par leur entreprise, par leur travail, pour aller travailler à l'étranger. Donc des Français qui n'étaient pas forcément préparés et qui sont envoyés, qui travaillent pour des grandes sociétés, ça peut être Danone, ça peut être Renault en Turquie, Renault c'est très important, ça peut être des tas de sociétés internationales, ils sont envoyés à l'étranger pour un an, pour deux ans, pour trois ans. Les diplomates également sont. sont des expats. Donc voilà, ça c'est une catégorie et ce sont ces gens-là qui se regroupent dans l'association Istanbul Accueil. Mais vous, vous n'êtes pas vraiment une expat, comme pas mal de gens. Vous, vous êtes venu vous-même, ce n'est pas une entreprise, vous avez décidé, vous êtes en quelque sorte une immigrée, vous avez changé de pays par plaisir, d'autres changent par force, par obligation, et bien on peut changer aussi de pays par plaisir. plaisir et on devient aussi quelque part un immigré. Et vous avez voulu que ces gens, justement, ces immigrés qui se regroupent et aient de l'information rencontrent d'autres Français dans une situation un peu analogue et c'est ça, la passerelle, c'était ça. Tout à fait. Pour revenir au Grand Bazar, grâce à cette association de parents d'élèves, grâce à la passerelle, vous devenez quelqu'un de connu dans la communauté expatriée et immigrée française d'Istanbul. Ce sont des clients potentiels qui vont aussi vous faire confiance au niveau de ce que vous vendez et qui vont même vous amener, et là on va passer un peu au côté politique, on va dire des grands acheteurs, j'allais dire des grands acheteurs, mais des acheteurs de marques, quelque chose comme ça, puisque c'est des personnalités politiques qui vont passer à un moment donné. Vous avez vu qui comme personnalité politique ?

  • Speaker #1

    Disons que moi je me suis lancée un petit peu dans la politique, un petit peu. un petit peu par opportunisme parce que l'occasion se présentait. Donc je me suis présentée aux élections pour représenter les Français de l'étranger. Et à ce titre, j'ai été élue. Et depuis 1994, alors ça ne s'est pas été dit, élue tout de suite, j'étais représentante d'une autre liste. Mais depuis 1994, je suis sur la scène politique. Et les ministres ou les personnes qui viennent visiter la Turquie, très souvent, je les rencontre. Et je les reçois dans mon magasin de tapis.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas toujours des acheteurs, mais c'est des visiteurs.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça parce que moi, quand je suis allé dans votre magasin de tapis, j'ai vu ça. J'ai vu Ségolène Royal, j'ai vu des articles de journaux, des photos. J'ai vu Philippe Seguin, j'ai vu un ancien premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Je ne sais plus qui encore, mais c'est parce que vous n'êtes pas la seule à recevoir des politiques. Parce que dans le bazar, chez les marchands de tapis, on voit de temps en temps des images, des photos. Alors on peut voir Clinton, on peut voir des présidents américains, étrangers, beaucoup de personnalités politiques, comme chez vous. Et c'est le seul endroit dans le Grand Bazar où on voit des images, des photos, des articles sur les personnalités politiques françaises.

  • Speaker #1

    Comme je suis un petit peu une personnalité, donc l'ambassade ou le consulat... Quand ils ont des visites comme ça officielles, ils veulent leur faire un petit peu visiter le Grand Bazar parce que c'est quand même un incontournable de la ville. Et donc, ils m'appellent et je m'occupe de ces personnalités. Je leur présente le Grand Bazar avec tous ces commerçants, toutes ces ruelles.

  • Speaker #0

    Voilà, ce labyrinthe. Masculin. Masculin, oui, ce labyrinthe masculin. On a l'impression de se perdre parce qu'en fait... On se perd jamais dans le Grand Bazar. On a l'impression, lorsqu'on rentre dans le Grand Bazar, qu'on va se perdre. D'ailleurs, vous avez également eu Gérard de Hillier, qui est venu, l'auteur de S.A.S. Alors, est-ce qu'il est venu pour, justement, essayer de se perdre et de trouver les sorties pour ses personnages ? Mais c'est très facile de trouver les sorties. Grand Bazar, sortie 1, sortie 2, sortie 3, sortie 4, c'est très facile. Mais le plaisir, c'est que, quand on n'est pas habitué, on a peur de ne pas trouver la sortie. Alors, là... ça crée de l'émotion en plus de ces lumières, ces couleurs, ces boutiques en tout genre, que ce soit les tapis, que ce soit la verrerie, la céramique, les choses parfumées, comme maintenant il y a de plus en plus de loukoum ou de pâtisserie, des choses comme ça. Voilà, donc on ne se perd pas dans le Grand Bazar et vous êtes vous-même jamais perdu.

  • Speaker #1

    Le Bazar, c'est une ville dans la ville. Et donc en fait, il y a les commerçants, mais il y a tout qui... Il y a les restaurants, il y a les marques de santé, il y a la police, il y a un petit hôpital. Enfin, pas un hôpital, mais un médecin. Et donc en fait, c'est une ville dans la ville, avec ses bons côtés et ses mauvais côtés. Ça ressemble beaucoup à Istanbul. C'est qu'en fait, ça a l'air d'être un chaos, mais c'est un chaos très organisé. Quand vous regardez un plan, toutes les rues sont parallèles et perpendiculaires. C'est pas n'importe comment, c'est très organisé et très... Très structuré comme toute la Turquie ou comme la ville d'Issamboul particulièrement. Mais il y a cette impression de chaos qui est la lumière de cette ville.

  • Speaker #0

    Qui n'est qu'une impression. Et j'ajouterais que toute cette vie du bazar avec ces ruelles où les touristes ne vont pas, ces arrières-cours qu'on appelle les han, où les touristes ne vont pas ou très peu. On peut même arriver dans des labyrinthes montés sur les toits. découvrir des quartiers, des coins du bazar qui ont été construits après un autre moment, recollés, raccommodés. Les meilleurs restaurants du Grand Bazar ne sont pas ceux où vont les touristes. Ce sont ceux qui sont cachés, qui n'ont l'air de rien, où les touristes n'osent pas entrer.

  • Speaker #1

    Dans le bazar, il faut se lancer, il faut aller partout. Vous serez toujours bien accueillis de toute façon. Il ne faut pas rester avec oh là là, je ne peux pas rentrer dans cette cour Il faut y aller, il faut oser. Il ne va rien vous arriver, c'est là qu'il y a les bons petits restaurants, les petites cantines des commerçants. Tout est à découvrir dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et si vous n'aviez pas foncé, vous ne seriez pas là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Ça c'est sûr.

  • Speaker #0

    La clientèle française qui vous suit, donc autant en tant que conseillère que marchande de tapis dans le Grand Bazar, parce que ça doit aussi un petit peu les étonner d'arriver à Istanbul, dans une grande ville, sur laquelle ils ont déjà pas mal fantasmé avant d'arriver. Et de retrouver dans ce bazar une petite Française dans son magasin, avec son sourire, son dynamisme, son énergie, qui dit bonjour en turc, qui a ce tas de tapis, des tapis en soie, des tapis en laine, en coton, des coussins. Voilà, on est complètement dans l'Orient fantasmé, on peut encore le dire, dans ce magasin. Et vous, vous êtes là. Alors là, vous êtes quoi ? Vous êtes la française ou vous êtes la marchande de tapis turc ? Parce que vous êtes vous-même presque binational, on va dire, biculturel.

  • Speaker #1

    Je suis sûrement biculturel. Je n'ai pas pris la nationalité turque, en tout cas pas encore. Mais non, je suis vraiment très française. Et j'essaye... Les gens qui viennent dans ma boutique, ce n'est pas forcément des gens qui veulent acheter des tapis. Donc déjà, je les aide quand ils ont des recherches à faire dans le Grand Bazar, etc. On peut se promener ensemble pour les orienter vers les bonnes boutiques, enfin les boutiques que je connais. Et donc c'est vrai que par cette disponibilité que je donne à mes visiteurs, je suis un petit peu une référence dans le grand bazar pour la communauté expatriée. Bien sûr, s'ils veulent des tapis, je suis à leur disposition. Je préfère qu'ils achètent chez moi qu'ailleurs. Mais je leur explique aussi la pédagogie, la culture du tapis. Ce n'est pas un objet manufacturé, tous les tapis sont uniques. Et donc, je leur fais prendre conscience de cette culture-là. Et les Français, ils aiment bien comprendre ce qu'ils achètent. Et la culture, ils aiment ça, même s'ils ne l'ont pas, même s'ils ne connaissent pas le tapis, parce que c'est un monde un petit peu magique, mais peu connu. Donc, j'essaye un petit peu de leur expliquer comment se fait un tapis, avec la laine, avec tous les matériaux. toute la culture qui est transmise dans cette pièce unique.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce qu'on marchande chez vous ? Non. Ah, alors c'est quand même quelque chose de particulier si on ne marchande pas, parce que dans le grand bazar, il y a une réputation de marchandage. Alors,

  • Speaker #1

    le fait que je sois française, les gens n'ont pas ce réflexe et moi j'annonce la couleur. Donc je dis aux gens que je fais le meilleur prix possible. Je suis une commerçante, donc bien entendu je gagne ma vie. Mais mon but c'est de vendre un tapis moins cher que s'ils allaient ailleurs tout seuls. Donc déjà, c'est un bon deal pour eux. Et du coup, ils respectent en général ce deal. Les gens qui veulent marchander, ils peuvent aller ailleurs, mais pas chez moi.

  • Speaker #0

    Là, entre quatre yeux, c'est impossible de trouver moins cher que chez vous, dans le grand bazar ?

  • Speaker #1

    C'est toujours possible, parce qu'il y a des gens qui peuvent avoir besoin d'argent et qui peuvent vendre un tapis à prix coûtant.

  • Speaker #0

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #1

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #0

    Parce que j'ai entendu dire, vous allez me confirmer ça, qu'il fallait parfois vendre. avant midi quelque chose pour pouvoir faire une bonne journée. Et que lorsqu'on n'avait pas vendu quelque chose avant midi, c'était toute la journée qui allait être foutue et que du coup, arriver chez un marchand entre 11h30 et midi, ça permettait d'avoir un bon prix. C'est une histoire vraie ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas forcément midi. C'est la première vente qui ne doit pas être ratée. Donc, quand vous allez tôt le matin, le commerçant peut vous faire un prix sympathique parce que justement... il y a cette croyance. Donc, on ne va pas faire partir un client à cause du prix. Effectivement, vous pouvez avoir un bon prix le matin pour la première vente. Alors, est-ce que c'est midi ? Est-ce que c'est 11h ? Est-ce que c'est 10h ? Pour moi, c'est pareil. C'est vrai que je ne vais pas rater une vente si je sens que le client a aimé un tapis. Je peux faire un cadeau, mais on ne va pas rentrer dans le processus du marchandage. Moi, je vais faire un petit prix moi-même, mais ça ne sera pas du marchandage. Dans tous les cas.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a 30 ans, lorsque vous avez commencé, on marchandait autant dans le Grand Bazar ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'on marchandait encore plus.

  • Speaker #0

    Encore plus ? Oui,

  • Speaker #1

    parce que le prix d'achat, pas que des tapis, mais tout était quand même beaucoup moins cher. Donc la marge était beaucoup plus élevée. Aujourd'hui, tout augmente, les tapis aussi. On les achète en devise, en dollars, en euros. Et on ne fait plus des marges énormes. Donc à l'époque, il y avait certainement beaucoup plus de marchandises parce que la marge était plus importante.

  • Speaker #0

    Donc il n'y a pas forcément intérêt à tout acheter quand on est un touriste dans le Grand Bazar. Il faut aussi aller voir à l'extérieur ce qu'on peut trouver.

  • Speaker #1

    L'avantage du Grand Bazar, c'est que vous avez beaucoup de concurrence, puisqu'il y a quand même 4000 boutiques. Tout est dans un même endroit, donc en fait un commerçant ne va pas vouloir perdre son client parce qu'il sait très bien que son voisin ou son concurrent direct va lui piquer son client et faire une vente à sa place. Moi, je pense que le bazar reste certainement le meilleur endroit pour avoir des bons prix. Mais après, tout dépend du commerçant sur lequel vous tombez, de la qualité qu'il va vous vendre. Et il faut savoir quand même que si un commerçant qui commence un prix à, je dis n'importe quoi, mais 5 000 euros et qui vend le tapis à 1 000 euros, quelque part, il y a anguille sous roche. Ce genre de choses, vous pouvez le trouver en dehors du bazar, assurément. Dans le bazar, c'est quand même difficile d'avoir un magasin. Il y en a 4000, mais les places sont chères, les places sont rares, c'est difficile de rentrer, c'est difficile de s'y installer. Donc le commerçant, il ne va pas s'amuser à rater un client. Vous avez certainement la possibilité de faire des meilleures affaires dans le Grand Bazar qu'en dehors, à mon avis.

  • Speaker #0

    Et comment ça se passe dans le Grand Bazar ? Les marchands se connaissent, discutent, ont de bonnes relations, ou se regardent tous un peu en chien de faïence ? C'est comment l'atmosphère ensemble ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar c'est 4000 boutiques, ça veut dire à peu près à vue de nez 20 000 personnes qui y travaillent. Donc forcément on a un réseau. Alors le réseau c'est en fonction des amitiés personnelles, en fonction de la langue que vous parlez. Moi je parle le turc mais moi je travaille plus avec des commerçants qui parlent français et des gens qui ont un petit peu la même clientèle que moi. Et donc on se passe les clients les uns les autres, c'est un réseau. On est tous concurrents. Mais il y a quand même, c'est vrai de moins en moins, parce qu'il y a de plus en plus de jeunes qui rentrent dans le bazar parce que les vieux arrêtent et qu'ils sont à la retraite. Mais ma génération, c'est des commerçants qui sont de père en fils dans le Grand Bazar. Donc il y a la culture du Grand Bazar. On a des liens d'amis sympathiques, etc. et des chances de clients. Et donc on ne va pas se nuire mutuellement. Parce que quand on se nuit mutuellement, on nuit. au commerce et au bazar.

  • Speaker #0

    Tous ces marchands qui sont là, que ce soit le tapis, que ce soit le cuir, que ce soit la faïence, la céramique, les bijoux et puis les antiquités. On n'a que des spécialistes pratiquement.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Les gens ont leur magasin par leur père, leur grand-oncle ou une famille. Donc ils sont dans le métier depuis trois, quatre, cinq générations. Leur métier, c'est vraiment un métier familial.

  • Speaker #0

    Et puis, on parlait des antiquités, il y a ce old bazaar qui est à l'intérieur du grand bazar et qui est le marché des antiquités en fait.

  • Speaker #1

    Un petit peu moins maintenant. parce que la population est de moins en moins attirée vers les sous-antiques. Mais c'est vrai que c'est l'endroit où on peut trouver encore des antiquités, que ce soit en cuivre, que ce soit des vieux poignards, que ce soit des bijoux anciens et d'autres choses.

  • Speaker #0

    Et si j'ai bien compris, c'est un endroit où on vend, les marchands vendent, mais achètent aussi. Et où viennent, passent des gens d'Asie centrale ? avec leurs bijoux, viennent vendre leur maison pratiquement, ce qu'ils ont dans leur maison en arrivant d'Ouzbékistan, du Turkménistan, etc. Il y a ce côté achat et vente.

  • Speaker #1

    Alors ce n'est pas que dans le vieux bazar. Dans tout le Grand Mazarin, c'est vrai qu'on est la position de la Turquie, proche de pays comme l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan, etc. Les gens qui ont des choses à vendre, ils viennent à Istanbul parce qu'ils espèrent en avoir un prix. bien meilleure que s'ils le vendaient dans leur pays. Donc, c'est pour ça que le bazar est magique. Parce qu'en fait, vous avez des choses merveilleuses qui viennent de toute la région, et pas que de la Turquie. Donc, ils viennent pour vendre leurs objets. Et nous, pour moi, les tapis, je peux en acheter à des femmes au Zbek qui amènent le bourra, qu'elles ont fait. Et comme c'est des tapis qui sont difficiles à trouver, j'achèterais, s'il est en bon état, bien entendu. Donc, c'est vrai pour les tapis, c'est vrai pour les antiquités, c'est vrai pour les tissus, c'est vrai pour les bijoux. Toutes les choses, tous les magasins où on travaille avec des produits anciens, les pièces anciennes, vous les trouvez dans les familles. Et c'est les familles qui vous les apportent. Familles turques qui peuvent vouloir se débarrasser parce qu'ils ont envie d'avoir d'autres tapis que ce qu'ils ont. Ou les familles qui ont besoin d'argent. Donc familles turques, mais familles étrangères, usbèques, syriennes, irakiennes, iraniennes. Et tous ces pays-là qui viennent vers Istanbul parce que c'est la capitale de cette région-là.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Florence, merci pour cette histoire de vie au Grand Bazar. On va quand même donner l'adresse du magasin, qui se trouve dans quel quartier ? Parce que c'est par quartier aussi le Grand Bazar.

  • Speaker #1

    Le Grand Bazar est un petit peu construit sur une pente, et donc c'est la partie la plus haute dans le quartier du Cuir. Donc le mieux c'est de rentrer par la porte numéro 2, qui est pas loin de la station de tramway Chamberlitas. Et quand vous rentrez par la porte numéro 2, Juste sur la droite, il y a une entrée dans une cour. Et dans cette cour, il y a des toilettes. Et moi, je suis dans cette cour-là. Vous demandez Florence à n'importe qui, ils sauront vous amener jusqu'à moi.

  • Speaker #0

    Florence, la marchande de tapis du Grand Bazar, à côté de la station de tram Jemberlitach. Il y a d'ailleurs à cette station de tram un hammam très connu. Et donc, l'entrée du bazar est à 50 mètres, 100 mètres de ce hammam. Oui, tout à fait. Et c'est juste après l'entrée à droite. Merci Florence. Merci. A une prochaine fois.

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Description

Le labyrinthe du grand bazar d’Istanbul, avec ses 65 rues, ses 4000 boutiques et les 20 000 personnes qui y travaillent n’ont plus aucun secret pour Florence. Dans ce monde essentiellement masculin et très conservateur, forte de sa personnalité et de son savoir-faire, elle a, au fil des années, tissé les liens qui ont fait sa réputation tant auprès des commerçants du bazar, que de la communauté française et internationale d’Istanbul.

Si vous la rencontrez dans sa boutique, cette experte en tapis et kilims turcs vous racontera la tradition anatolienne du tissage et du nouage de la laine, du coton ou de la soie, l’origine des couleurs naturelles et la place de cet objet artisanal dans la vie nomade et familiale. Elle saura aussi vous surprendre en vous emmenant à la découverte de l’un des plus grands marchés couverts au monde, de ses cours intérieures, de ses passages secrets, des hans ancestraux, où travaillent des artisans, et peut être pourra-t-elle vous procurer les clés des toits, ceux parcourus par Daniel Craig, alias James Bond dans le film skyfall, où vous pourrez faire des selfies exclusifs.

Florence Öğütgen, une vie d’aventure sans mésaventure, une histoire qu’elle raconte au micro de l’oreille du Bosphore. Une émission à écouter sur votre plateforme préférée, Deezer, Spotify, Apple Podcasts, etc…  et surtout : ABONNEZ VOUS !


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Transcription

  • Speaker #0

    Cette femme unique est une Française. Elle s'appelle

  • Speaker #1

    Florence Augutgen.

  • Speaker #0

    Elle est marchande de tapis, mais pas que ça. Bonjour Florence.

  • Speaker #1

    Bonjour Jean-Michel.

  • Speaker #0

    C'est quand même quelque chose d'assez exceptionnel, une petite Française étrangère dans ce monde masculin. Comment ça se passe le Grand Bazar ? C'est quoi d'abord pour vous le Grand Bazar ? Comment est-ce que vous le représenteriez ?

  • Speaker #1

    Alors le Bazar d'abord c'est 4000 boutiques et ateliers sur un espace de 15 hectares. hectares, en plein centre de la vieille ville. Donc c'est un monument qui dépend des monuments historiques d'ailleurs. Et les 4000 commerçants ont des boutiques depuis la nuit des temps qui se passent de père ou fils ou qu'ils achètent et s'installent.

  • Speaker #0

    Et alors c'est qui ces gens-là ? C'est des Turcs, des Istanbuliotes ou c'est des gens qui viennent d'un peu partout, y compris d'autres pays proches de la Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar évolue comme toute la Turquie. Et à l'origine, c'était plutôt des Arméniens, des Chaldéens, des Juifs, des gens qui étaient plutôt dans le commerce et dans l'artisanat. Et petit à petit, les, disons, musulmans se sont réappropriés un petit peu le bazar au fur et à mesure des époques. Et le bazar s'est ouvert un petit peu au tourisme, parce qu'avant, c'était vraiment le lieu où les Turcs faisaient leurs achats pour les mariages. Moi, quand je suis arrivée il y a 40 ans en Turquie, on faisait des meubles, on faisait des couettes, on faisait des draps, donc tout ce qui était pour installer une maison. Et quand la Turquie s'est ouverte vers le tourisme, bien sûr, ces métiers ont quitté le bazar, et donc ça a été plus ouvert vers le... L'artisanat a changé un petit peu, donc c'est ouvert. Alors c'est toujours... Il y a beaucoup de Turcs qui achètent des choses dans le Grand Bazar, mais il y a aussi des touristes. Donc c'est devenu un lieu plus touristique que ça ne l'était à l'origine.

  • Speaker #0

    On trouve de tout.

  • Speaker #1

    Tout ce que la Turquie produit comme artisanat, vous le retrouvez dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et vous, vous êtes marchande de tapis. Exactement. Alors, vous n'êtes pas arrivée comme ça en Turquie pour devenir marchande de tapis. Comment vous êtes arrivée en Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je suis arrivée en 1983. Du haut de mes 23 ans, je me suis installée à Istanbul. J'ai travaillé d'abord dans le textile. J'ai épousé un marchand de tapis. C'est ce qui m'a décidé à m'installer à Istanbul, parce que j'ai vraiment eu en 1983 un coup de foudre pour cette ville, qui était très mystique, qu'il est encore d'ailleurs, et très originale, très différente de ce que je connaissais. Et voilà, donc la rencontre avec un garçon m'a fait m'installer dans la ville et tenter ma nouvelle vie.

  • Speaker #0

    Et vous êtes resté, vous y êtes toujours. Vous êtes arrivé en 83 et en quelle année avez-vous ouvert votre boutique ?

  • Speaker #1

    Mon mari était marge en tapis, donc on a ouvert ensemble une boutique en 88. Donc c'est lui qui la gérait. Et dans les années 92, il a voulu faire autre chose. Et moi en 98, j'ai récupéré la boutique et j'ai donné ma petite touche plus française, plus féminine dans cette boutique. Donc j'ai repris la main. Et donc j'ai continué ce métier, donc ça fait maintenant 25 ans que je suis quotidiennement dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Pour vendre des tapis, il faut quand même un certain niveau, parce que c'est compliqué les tapis. Il n'y a pas un tapis turc, il y a des dizaines de types de tapis turcs qui sont faits dans différentes régions de la Turquie, même hors Turquie. Comment vous apprenez tout ça ? Comment vous arrivez à déceler que ce tapis-là a été fait à telle époque, il a été fait avec tel type de laine ou de coton ou de soie ? Ça s'apprend comment ?

  • Speaker #1

    Sur le temps. Moi je suis arrivée ne connaissant rien aux tapis. Je venais accompagner mon mari pour voir un petit peu les ventes qu'il faisait, mais plus par curiosité, etc. Et quand j'ai été plongée dans ce bain du Grand Bazar, que j'aimais beaucoup avant d'arriver en tant que commerçante, connaissant le caractère des Turcs et la culture turque, et en achetant les tapis moi-même, Donc j'ai discuté avec les fournisseurs, j'ai lu, j'ai mis à contribution mon savoir sur la culture turque. Et donc j'ai fait ma propre expérience et ma propre recherche. pour ma connaissance du tapis. C'est un métier qui est que oral, on imagine beaucoup de choses, et donc c'est ce qu'on transmet un petit peu, la culture, et se mettre à la place de la jeune fille qui a fait ce tapis-là.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce qu'on arrive à s'intégrer dans ce monde ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que comme j'ai repris le magasin de mon mari, ils m'ont accueillie avec un petit peu un regard en disant tiens on va voir comment elle va s'en sortir, mais j'ai pas eu de coup fourré. Ils ne m'ont pas mis des bâtons dans la roue. Le fait que je sois une femme et que je connaisse la culture turque m'a permis de m'intégrer sans les choquer. Le bazar, c'est masculin. On doit être cinq femmes en tout dans le bazar. L'intégration s'est faite parce que, comme je connais la mentalité turque, je ne les ai pas heurtées. J'ai utilisé ma féminité comme un plus qu'eux n'avaient pas. Mais je n'ai pas utilisé ma féminité vestimentairement, je n'ai pas aguiché les clients, j'ai fait très attention, je souris peu dans le grand bazar pour ne pas justement causer ce genre d'attitude qui pourrait être préjudiciable à ma condition féminine. Et donc en fait compte, les commerçants du grand bazar sont souvent des... grands enfants, donc ils sont toute la journée dans leur monde masculin et ils peuvent avoir envie d'avoir une oreille féminine qui les entendent et qui les écoute. Et donc, pour moi, ça a été un plus. Et pour eux aussi, parce qu'en fait, très souvent, ils viennent me voir pour me raconter leurs soucis avec les enfants, d'éducation, leurs soucis avec leurs femmes. Et donc, je suis un petit peu, je ne veux pas dire leur maman, mais je les écoute souvent. Alors, pas tous, heureusement, parce que ça me prendrait beaucoup de temps. Mais je me suis quand même imposée par cette écoute féminine et par mon attitude qui était féminine dans le bon côté des choses, mais pas en utilisant ma féminité comme un atout pour attraper les clients ou pour vendre. C'est en m'imposant quotidiennement par la connaissance que j'avais de la communauté française essentiellement, et expatriée en tout cas, petit à petit quand ils ont vu que la communauté expatriée venait chez moi. que j'étais capable de vendre des tapis aux Français et aux autres clients, que je me suis imposée. Ça, ça ne s'est pas fait tout seul. Et petit à petit, j'ai même des collègues marchands de tapis qui m'amènent des clients français, sachant que la clientèle française est une clientèle difficile. Donc c'est la preuve qu'ils me font confiance. Mais ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. C'est le quotidien.

  • Speaker #0

    J'imagine. Effectivement, vous avez cet atout de la française. qui peut plus facilement communiquer avec la clientèle touristique française. Mais vous avez parlé d'expatriés, la communauté locale. Vous êtes aussi très impliqué dans la communauté d'expatriés françaises à Istanbul. Il y en a combien actuellement de Français ?

  • Speaker #1

    Il y a 13 000 Français en Turquie et 8 000 à Istanbul.

  • Speaker #0

    Une petite ville en fait, une petite ville française. Une petite ville française. Et vous êtes ? un peu la référente, à la fois la référente et à la fois référencée dans cette communauté. Et ça non plus, ce n'est pas par hasard, puisque outre votre activité de commerçante, vous avez aussi travaillé chez les plus grands couturiers de Turquie au tout début, lorsque vous arrivez, vous cherchez du boulot et vous allez travailler chez Vako. Et Vako, c'est ?

  • Speaker #1

    C'était à l'époque le grand couturier en prêt-à-porter de la société turque. de haut niveau.

  • Speaker #0

    Et puis vous avez travaillé pour un autre grand couturier, plus contemporain, on va dire, plus d'aujourd'hui, parce que Waco, c'est une vieille histoire. C'est une histoire qui démarre avec la République. Et vous avez travaillé avec un autre couturier.

  • Speaker #1

    Jemil Epekji.

  • Speaker #0

    Voilà, Jemil Epekji, qui lui aussi...

  • Speaker #1

    Il était plus dans la haute couture.

  • Speaker #0

    Voilà, absolument. Donc vous avez travaillé, ensuite vous avez vécu votre vie de couple, et puis vous avez eu... un premier enfant. Et c'est un peu lorsque vous avez eu ce premier enfant qu'il y a eu un déclic. Vous êtes intéressé à la communauté française. En même temps, vous avez des enfants qui grandissent, qui vont à l'école, et vous devenez la responsable de l'association des parents d'élèves du lycée.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que quand moi je suis arrivée, j'ai voulu m'intégrer à la société turque. Et quand on a un enfant, on se dit, bon, mon enfant va être turc ou va être français. Et j'ai compris qu'ils pouvaient être les deux. Et pour ça, je l'ai mis quand même à l'école française parce qu'étant française moi-même, je voulais qu'il ait la culture française, le parler français correct et qu'il grandisse dans mes valeurs personnelles. Et donc, je me suis occupée de l'association des parents d'élèves du lycée Pierre Louty d'Istanbul.

  • Speaker #0

    Et en même temps, vous allez être une créatrice d'associations parce que vous allez créer une des premières associations de français en Turquie en fait. Oui.

  • Speaker #1

    Et il y avait une association de femmes d'expatriés, Isamboul Accueil, qui s'est créée en 92. Et moi en 94, donc l'année où j'ai commencé à m'occuper de l'association des parents d'élèves, j'ai créé en même temps une association de familles franco-turques. Parce que Isamboul Accueil c'était bien, mais c'était quand même très orienté vers les femmes d'expat. Et moi je trouvais que les familles franco-turques, même si on est français, on a des difficultés ou des problématiques. que les expats n'ont pas.

  • Speaker #0

    Alors les expats, il faut simplement dire, ce sont les gens qui sont envoyés par leur entreprise, par leur travail, pour aller travailler à l'étranger. Donc des Français qui n'étaient pas forcément préparés et qui sont envoyés, qui travaillent pour des grandes sociétés, ça peut être Danone, ça peut être Renault en Turquie, Renault c'est très important, ça peut être des tas de sociétés internationales, ils sont envoyés à l'étranger pour un an, pour deux ans, pour trois ans. Les diplomates également sont. sont des expats. Donc voilà, ça c'est une catégorie et ce sont ces gens-là qui se regroupent dans l'association Istanbul Accueil. Mais vous, vous n'êtes pas vraiment une expat, comme pas mal de gens. Vous, vous êtes venu vous-même, ce n'est pas une entreprise, vous avez décidé, vous êtes en quelque sorte une immigrée, vous avez changé de pays par plaisir, d'autres changent par force, par obligation, et bien on peut changer aussi de pays par plaisir. plaisir et on devient aussi quelque part un immigré. Et vous avez voulu que ces gens, justement, ces immigrés qui se regroupent et aient de l'information rencontrent d'autres Français dans une situation un peu analogue et c'est ça, la passerelle, c'était ça. Tout à fait. Pour revenir au Grand Bazar, grâce à cette association de parents d'élèves, grâce à la passerelle, vous devenez quelqu'un de connu dans la communauté expatriée et immigrée française d'Istanbul. Ce sont des clients potentiels qui vont aussi vous faire confiance au niveau de ce que vous vendez et qui vont même vous amener, et là on va passer un peu au côté politique, on va dire des grands acheteurs, j'allais dire des grands acheteurs, mais des acheteurs de marques, quelque chose comme ça, puisque c'est des personnalités politiques qui vont passer à un moment donné. Vous avez vu qui comme personnalité politique ?

  • Speaker #1

    Disons que moi je me suis lancée un petit peu dans la politique, un petit peu. un petit peu par opportunisme parce que l'occasion se présentait. Donc je me suis présentée aux élections pour représenter les Français de l'étranger. Et à ce titre, j'ai été élue. Et depuis 1994, alors ça ne s'est pas été dit, élue tout de suite, j'étais représentante d'une autre liste. Mais depuis 1994, je suis sur la scène politique. Et les ministres ou les personnes qui viennent visiter la Turquie, très souvent, je les rencontre. Et je les reçois dans mon magasin de tapis.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas toujours des acheteurs, mais c'est des visiteurs.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça parce que moi, quand je suis allé dans votre magasin de tapis, j'ai vu ça. J'ai vu Ségolène Royal, j'ai vu des articles de journaux, des photos. J'ai vu Philippe Seguin, j'ai vu un ancien premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Je ne sais plus qui encore, mais c'est parce que vous n'êtes pas la seule à recevoir des politiques. Parce que dans le bazar, chez les marchands de tapis, on voit de temps en temps des images, des photos. Alors on peut voir Clinton, on peut voir des présidents américains, étrangers, beaucoup de personnalités politiques, comme chez vous. Et c'est le seul endroit dans le Grand Bazar où on voit des images, des photos, des articles sur les personnalités politiques françaises.

  • Speaker #1

    Comme je suis un petit peu une personnalité, donc l'ambassade ou le consulat... Quand ils ont des visites comme ça officielles, ils veulent leur faire un petit peu visiter le Grand Bazar parce que c'est quand même un incontournable de la ville. Et donc, ils m'appellent et je m'occupe de ces personnalités. Je leur présente le Grand Bazar avec tous ces commerçants, toutes ces ruelles.

  • Speaker #0

    Voilà, ce labyrinthe. Masculin. Masculin, oui, ce labyrinthe masculin. On a l'impression de se perdre parce qu'en fait... On se perd jamais dans le Grand Bazar. On a l'impression, lorsqu'on rentre dans le Grand Bazar, qu'on va se perdre. D'ailleurs, vous avez également eu Gérard de Hillier, qui est venu, l'auteur de S.A.S. Alors, est-ce qu'il est venu pour, justement, essayer de se perdre et de trouver les sorties pour ses personnages ? Mais c'est très facile de trouver les sorties. Grand Bazar, sortie 1, sortie 2, sortie 3, sortie 4, c'est très facile. Mais le plaisir, c'est que, quand on n'est pas habitué, on a peur de ne pas trouver la sortie. Alors, là... ça crée de l'émotion en plus de ces lumières, ces couleurs, ces boutiques en tout genre, que ce soit les tapis, que ce soit la verrerie, la céramique, les choses parfumées, comme maintenant il y a de plus en plus de loukoum ou de pâtisserie, des choses comme ça. Voilà, donc on ne se perd pas dans le Grand Bazar et vous êtes vous-même jamais perdu.

  • Speaker #1

    Le Bazar, c'est une ville dans la ville. Et donc en fait, il y a les commerçants, mais il y a tout qui... Il y a les restaurants, il y a les marques de santé, il y a la police, il y a un petit hôpital. Enfin, pas un hôpital, mais un médecin. Et donc en fait, c'est une ville dans la ville, avec ses bons côtés et ses mauvais côtés. Ça ressemble beaucoup à Istanbul. C'est qu'en fait, ça a l'air d'être un chaos, mais c'est un chaos très organisé. Quand vous regardez un plan, toutes les rues sont parallèles et perpendiculaires. C'est pas n'importe comment, c'est très organisé et très... Très structuré comme toute la Turquie ou comme la ville d'Issamboul particulièrement. Mais il y a cette impression de chaos qui est la lumière de cette ville.

  • Speaker #0

    Qui n'est qu'une impression. Et j'ajouterais que toute cette vie du bazar avec ces ruelles où les touristes ne vont pas, ces arrières-cours qu'on appelle les han, où les touristes ne vont pas ou très peu. On peut même arriver dans des labyrinthes montés sur les toits. découvrir des quartiers, des coins du bazar qui ont été construits après un autre moment, recollés, raccommodés. Les meilleurs restaurants du Grand Bazar ne sont pas ceux où vont les touristes. Ce sont ceux qui sont cachés, qui n'ont l'air de rien, où les touristes n'osent pas entrer.

  • Speaker #1

    Dans le bazar, il faut se lancer, il faut aller partout. Vous serez toujours bien accueillis de toute façon. Il ne faut pas rester avec oh là là, je ne peux pas rentrer dans cette cour Il faut y aller, il faut oser. Il ne va rien vous arriver, c'est là qu'il y a les bons petits restaurants, les petites cantines des commerçants. Tout est à découvrir dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et si vous n'aviez pas foncé, vous ne seriez pas là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Ça c'est sûr.

  • Speaker #0

    La clientèle française qui vous suit, donc autant en tant que conseillère que marchande de tapis dans le Grand Bazar, parce que ça doit aussi un petit peu les étonner d'arriver à Istanbul, dans une grande ville, sur laquelle ils ont déjà pas mal fantasmé avant d'arriver. Et de retrouver dans ce bazar une petite Française dans son magasin, avec son sourire, son dynamisme, son énergie, qui dit bonjour en turc, qui a ce tas de tapis, des tapis en soie, des tapis en laine, en coton, des coussins. Voilà, on est complètement dans l'Orient fantasmé, on peut encore le dire, dans ce magasin. Et vous, vous êtes là. Alors là, vous êtes quoi ? Vous êtes la française ou vous êtes la marchande de tapis turc ? Parce que vous êtes vous-même presque binational, on va dire, biculturel.

  • Speaker #1

    Je suis sûrement biculturel. Je n'ai pas pris la nationalité turque, en tout cas pas encore. Mais non, je suis vraiment très française. Et j'essaye... Les gens qui viennent dans ma boutique, ce n'est pas forcément des gens qui veulent acheter des tapis. Donc déjà, je les aide quand ils ont des recherches à faire dans le Grand Bazar, etc. On peut se promener ensemble pour les orienter vers les bonnes boutiques, enfin les boutiques que je connais. Et donc c'est vrai que par cette disponibilité que je donne à mes visiteurs, je suis un petit peu une référence dans le grand bazar pour la communauté expatriée. Bien sûr, s'ils veulent des tapis, je suis à leur disposition. Je préfère qu'ils achètent chez moi qu'ailleurs. Mais je leur explique aussi la pédagogie, la culture du tapis. Ce n'est pas un objet manufacturé, tous les tapis sont uniques. Et donc, je leur fais prendre conscience de cette culture-là. Et les Français, ils aiment bien comprendre ce qu'ils achètent. Et la culture, ils aiment ça, même s'ils ne l'ont pas, même s'ils ne connaissent pas le tapis, parce que c'est un monde un petit peu magique, mais peu connu. Donc, j'essaye un petit peu de leur expliquer comment se fait un tapis, avec la laine, avec tous les matériaux. toute la culture qui est transmise dans cette pièce unique.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce qu'on marchande chez vous ? Non. Ah, alors c'est quand même quelque chose de particulier si on ne marchande pas, parce que dans le grand bazar, il y a une réputation de marchandage. Alors,

  • Speaker #1

    le fait que je sois française, les gens n'ont pas ce réflexe et moi j'annonce la couleur. Donc je dis aux gens que je fais le meilleur prix possible. Je suis une commerçante, donc bien entendu je gagne ma vie. Mais mon but c'est de vendre un tapis moins cher que s'ils allaient ailleurs tout seuls. Donc déjà, c'est un bon deal pour eux. Et du coup, ils respectent en général ce deal. Les gens qui veulent marchander, ils peuvent aller ailleurs, mais pas chez moi.

  • Speaker #0

    Là, entre quatre yeux, c'est impossible de trouver moins cher que chez vous, dans le grand bazar ?

  • Speaker #1

    C'est toujours possible, parce qu'il y a des gens qui peuvent avoir besoin d'argent et qui peuvent vendre un tapis à prix coûtant.

  • Speaker #0

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #1

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #0

    Parce que j'ai entendu dire, vous allez me confirmer ça, qu'il fallait parfois vendre. avant midi quelque chose pour pouvoir faire une bonne journée. Et que lorsqu'on n'avait pas vendu quelque chose avant midi, c'était toute la journée qui allait être foutue et que du coup, arriver chez un marchand entre 11h30 et midi, ça permettait d'avoir un bon prix. C'est une histoire vraie ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas forcément midi. C'est la première vente qui ne doit pas être ratée. Donc, quand vous allez tôt le matin, le commerçant peut vous faire un prix sympathique parce que justement... il y a cette croyance. Donc, on ne va pas faire partir un client à cause du prix. Effectivement, vous pouvez avoir un bon prix le matin pour la première vente. Alors, est-ce que c'est midi ? Est-ce que c'est 11h ? Est-ce que c'est 10h ? Pour moi, c'est pareil. C'est vrai que je ne vais pas rater une vente si je sens que le client a aimé un tapis. Je peux faire un cadeau, mais on ne va pas rentrer dans le processus du marchandage. Moi, je vais faire un petit prix moi-même, mais ça ne sera pas du marchandage. Dans tous les cas.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a 30 ans, lorsque vous avez commencé, on marchandait autant dans le Grand Bazar ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'on marchandait encore plus.

  • Speaker #0

    Encore plus ? Oui,

  • Speaker #1

    parce que le prix d'achat, pas que des tapis, mais tout était quand même beaucoup moins cher. Donc la marge était beaucoup plus élevée. Aujourd'hui, tout augmente, les tapis aussi. On les achète en devise, en dollars, en euros. Et on ne fait plus des marges énormes. Donc à l'époque, il y avait certainement beaucoup plus de marchandises parce que la marge était plus importante.

  • Speaker #0

    Donc il n'y a pas forcément intérêt à tout acheter quand on est un touriste dans le Grand Bazar. Il faut aussi aller voir à l'extérieur ce qu'on peut trouver.

  • Speaker #1

    L'avantage du Grand Bazar, c'est que vous avez beaucoup de concurrence, puisqu'il y a quand même 4000 boutiques. Tout est dans un même endroit, donc en fait un commerçant ne va pas vouloir perdre son client parce qu'il sait très bien que son voisin ou son concurrent direct va lui piquer son client et faire une vente à sa place. Moi, je pense que le bazar reste certainement le meilleur endroit pour avoir des bons prix. Mais après, tout dépend du commerçant sur lequel vous tombez, de la qualité qu'il va vous vendre. Et il faut savoir quand même que si un commerçant qui commence un prix à, je dis n'importe quoi, mais 5 000 euros et qui vend le tapis à 1 000 euros, quelque part, il y a anguille sous roche. Ce genre de choses, vous pouvez le trouver en dehors du bazar, assurément. Dans le bazar, c'est quand même difficile d'avoir un magasin. Il y en a 4000, mais les places sont chères, les places sont rares, c'est difficile de rentrer, c'est difficile de s'y installer. Donc le commerçant, il ne va pas s'amuser à rater un client. Vous avez certainement la possibilité de faire des meilleures affaires dans le Grand Bazar qu'en dehors, à mon avis.

  • Speaker #0

    Et comment ça se passe dans le Grand Bazar ? Les marchands se connaissent, discutent, ont de bonnes relations, ou se regardent tous un peu en chien de faïence ? C'est comment l'atmosphère ensemble ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar c'est 4000 boutiques, ça veut dire à peu près à vue de nez 20 000 personnes qui y travaillent. Donc forcément on a un réseau. Alors le réseau c'est en fonction des amitiés personnelles, en fonction de la langue que vous parlez. Moi je parle le turc mais moi je travaille plus avec des commerçants qui parlent français et des gens qui ont un petit peu la même clientèle que moi. Et donc on se passe les clients les uns les autres, c'est un réseau. On est tous concurrents. Mais il y a quand même, c'est vrai de moins en moins, parce qu'il y a de plus en plus de jeunes qui rentrent dans le bazar parce que les vieux arrêtent et qu'ils sont à la retraite. Mais ma génération, c'est des commerçants qui sont de père en fils dans le Grand Bazar. Donc il y a la culture du Grand Bazar. On a des liens d'amis sympathiques, etc. et des chances de clients. Et donc on ne va pas se nuire mutuellement. Parce que quand on se nuit mutuellement, on nuit. au commerce et au bazar.

  • Speaker #0

    Tous ces marchands qui sont là, que ce soit le tapis, que ce soit le cuir, que ce soit la faïence, la céramique, les bijoux et puis les antiquités. On n'a que des spécialistes pratiquement.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Les gens ont leur magasin par leur père, leur grand-oncle ou une famille. Donc ils sont dans le métier depuis trois, quatre, cinq générations. Leur métier, c'est vraiment un métier familial.

  • Speaker #0

    Et puis, on parlait des antiquités, il y a ce old bazaar qui est à l'intérieur du grand bazar et qui est le marché des antiquités en fait.

  • Speaker #1

    Un petit peu moins maintenant. parce que la population est de moins en moins attirée vers les sous-antiques. Mais c'est vrai que c'est l'endroit où on peut trouver encore des antiquités, que ce soit en cuivre, que ce soit des vieux poignards, que ce soit des bijoux anciens et d'autres choses.

  • Speaker #0

    Et si j'ai bien compris, c'est un endroit où on vend, les marchands vendent, mais achètent aussi. Et où viennent, passent des gens d'Asie centrale ? avec leurs bijoux, viennent vendre leur maison pratiquement, ce qu'ils ont dans leur maison en arrivant d'Ouzbékistan, du Turkménistan, etc. Il y a ce côté achat et vente.

  • Speaker #1

    Alors ce n'est pas que dans le vieux bazar. Dans tout le Grand Mazarin, c'est vrai qu'on est la position de la Turquie, proche de pays comme l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan, etc. Les gens qui ont des choses à vendre, ils viennent à Istanbul parce qu'ils espèrent en avoir un prix. bien meilleure que s'ils le vendaient dans leur pays. Donc, c'est pour ça que le bazar est magique. Parce qu'en fait, vous avez des choses merveilleuses qui viennent de toute la région, et pas que de la Turquie. Donc, ils viennent pour vendre leurs objets. Et nous, pour moi, les tapis, je peux en acheter à des femmes au Zbek qui amènent le bourra, qu'elles ont fait. Et comme c'est des tapis qui sont difficiles à trouver, j'achèterais, s'il est en bon état, bien entendu. Donc, c'est vrai pour les tapis, c'est vrai pour les antiquités, c'est vrai pour les tissus, c'est vrai pour les bijoux. Toutes les choses, tous les magasins où on travaille avec des produits anciens, les pièces anciennes, vous les trouvez dans les familles. Et c'est les familles qui vous les apportent. Familles turques qui peuvent vouloir se débarrasser parce qu'ils ont envie d'avoir d'autres tapis que ce qu'ils ont. Ou les familles qui ont besoin d'argent. Donc familles turques, mais familles étrangères, usbèques, syriennes, irakiennes, iraniennes. Et tous ces pays-là qui viennent vers Istanbul parce que c'est la capitale de cette région-là.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Florence, merci pour cette histoire de vie au Grand Bazar. On va quand même donner l'adresse du magasin, qui se trouve dans quel quartier ? Parce que c'est par quartier aussi le Grand Bazar.

  • Speaker #1

    Le Grand Bazar est un petit peu construit sur une pente, et donc c'est la partie la plus haute dans le quartier du Cuir. Donc le mieux c'est de rentrer par la porte numéro 2, qui est pas loin de la station de tramway Chamberlitas. Et quand vous rentrez par la porte numéro 2, Juste sur la droite, il y a une entrée dans une cour. Et dans cette cour, il y a des toilettes. Et moi, je suis dans cette cour-là. Vous demandez Florence à n'importe qui, ils sauront vous amener jusqu'à moi.

  • Speaker #0

    Florence, la marchande de tapis du Grand Bazar, à côté de la station de tram Jemberlitach. Il y a d'ailleurs à cette station de tram un hammam très connu. Et donc, l'entrée du bazar est à 50 mètres, 100 mètres de ce hammam. Oui, tout à fait. Et c'est juste après l'entrée à droite. Merci Florence. Merci. A une prochaine fois.

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Le labyrinthe du grand bazar d’Istanbul, avec ses 65 rues, ses 4000 boutiques et les 20 000 personnes qui y travaillent n’ont plus aucun secret pour Florence. Dans ce monde essentiellement masculin et très conservateur, forte de sa personnalité et de son savoir-faire, elle a, au fil des années, tissé les liens qui ont fait sa réputation tant auprès des commerçants du bazar, que de la communauté française et internationale d’Istanbul.

Si vous la rencontrez dans sa boutique, cette experte en tapis et kilims turcs vous racontera la tradition anatolienne du tissage et du nouage de la laine, du coton ou de la soie, l’origine des couleurs naturelles et la place de cet objet artisanal dans la vie nomade et familiale. Elle saura aussi vous surprendre en vous emmenant à la découverte de l’un des plus grands marchés couverts au monde, de ses cours intérieures, de ses passages secrets, des hans ancestraux, où travaillent des artisans, et peut être pourra-t-elle vous procurer les clés des toits, ceux parcourus par Daniel Craig, alias James Bond dans le film skyfall, où vous pourrez faire des selfies exclusifs.

Florence Öğütgen, une vie d’aventure sans mésaventure, une histoire qu’elle raconte au micro de l’oreille du Bosphore. Une émission à écouter sur votre plateforme préférée, Deezer, Spotify, Apple Podcasts, etc…  et surtout : ABONNEZ VOUS !


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Transcription

  • Speaker #0

    Cette femme unique est une Française. Elle s'appelle

  • Speaker #1

    Florence Augutgen.

  • Speaker #0

    Elle est marchande de tapis, mais pas que ça. Bonjour Florence.

  • Speaker #1

    Bonjour Jean-Michel.

  • Speaker #0

    C'est quand même quelque chose d'assez exceptionnel, une petite Française étrangère dans ce monde masculin. Comment ça se passe le Grand Bazar ? C'est quoi d'abord pour vous le Grand Bazar ? Comment est-ce que vous le représenteriez ?

  • Speaker #1

    Alors le Bazar d'abord c'est 4000 boutiques et ateliers sur un espace de 15 hectares. hectares, en plein centre de la vieille ville. Donc c'est un monument qui dépend des monuments historiques d'ailleurs. Et les 4000 commerçants ont des boutiques depuis la nuit des temps qui se passent de père ou fils ou qu'ils achètent et s'installent.

  • Speaker #0

    Et alors c'est qui ces gens-là ? C'est des Turcs, des Istanbuliotes ou c'est des gens qui viennent d'un peu partout, y compris d'autres pays proches de la Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar évolue comme toute la Turquie. Et à l'origine, c'était plutôt des Arméniens, des Chaldéens, des Juifs, des gens qui étaient plutôt dans le commerce et dans l'artisanat. Et petit à petit, les, disons, musulmans se sont réappropriés un petit peu le bazar au fur et à mesure des époques. Et le bazar s'est ouvert un petit peu au tourisme, parce qu'avant, c'était vraiment le lieu où les Turcs faisaient leurs achats pour les mariages. Moi, quand je suis arrivée il y a 40 ans en Turquie, on faisait des meubles, on faisait des couettes, on faisait des draps, donc tout ce qui était pour installer une maison. Et quand la Turquie s'est ouverte vers le tourisme, bien sûr, ces métiers ont quitté le bazar, et donc ça a été plus ouvert vers le... L'artisanat a changé un petit peu, donc c'est ouvert. Alors c'est toujours... Il y a beaucoup de Turcs qui achètent des choses dans le Grand Bazar, mais il y a aussi des touristes. Donc c'est devenu un lieu plus touristique que ça ne l'était à l'origine.

  • Speaker #0

    On trouve de tout.

  • Speaker #1

    Tout ce que la Turquie produit comme artisanat, vous le retrouvez dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et vous, vous êtes marchande de tapis. Exactement. Alors, vous n'êtes pas arrivée comme ça en Turquie pour devenir marchande de tapis. Comment vous êtes arrivée en Turquie ?

  • Speaker #1

    Alors moi, je suis arrivée en 1983. Du haut de mes 23 ans, je me suis installée à Istanbul. J'ai travaillé d'abord dans le textile. J'ai épousé un marchand de tapis. C'est ce qui m'a décidé à m'installer à Istanbul, parce que j'ai vraiment eu en 1983 un coup de foudre pour cette ville, qui était très mystique, qu'il est encore d'ailleurs, et très originale, très différente de ce que je connaissais. Et voilà, donc la rencontre avec un garçon m'a fait m'installer dans la ville et tenter ma nouvelle vie.

  • Speaker #0

    Et vous êtes resté, vous y êtes toujours. Vous êtes arrivé en 83 et en quelle année avez-vous ouvert votre boutique ?

  • Speaker #1

    Mon mari était marge en tapis, donc on a ouvert ensemble une boutique en 88. Donc c'est lui qui la gérait. Et dans les années 92, il a voulu faire autre chose. Et moi en 98, j'ai récupéré la boutique et j'ai donné ma petite touche plus française, plus féminine dans cette boutique. Donc j'ai repris la main. Et donc j'ai continué ce métier, donc ça fait maintenant 25 ans que je suis quotidiennement dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Pour vendre des tapis, il faut quand même un certain niveau, parce que c'est compliqué les tapis. Il n'y a pas un tapis turc, il y a des dizaines de types de tapis turcs qui sont faits dans différentes régions de la Turquie, même hors Turquie. Comment vous apprenez tout ça ? Comment vous arrivez à déceler que ce tapis-là a été fait à telle époque, il a été fait avec tel type de laine ou de coton ou de soie ? Ça s'apprend comment ?

  • Speaker #1

    Sur le temps. Moi je suis arrivée ne connaissant rien aux tapis. Je venais accompagner mon mari pour voir un petit peu les ventes qu'il faisait, mais plus par curiosité, etc. Et quand j'ai été plongée dans ce bain du Grand Bazar, que j'aimais beaucoup avant d'arriver en tant que commerçante, connaissant le caractère des Turcs et la culture turque, et en achetant les tapis moi-même, Donc j'ai discuté avec les fournisseurs, j'ai lu, j'ai mis à contribution mon savoir sur la culture turque. Et donc j'ai fait ma propre expérience et ma propre recherche. pour ma connaissance du tapis. C'est un métier qui est que oral, on imagine beaucoup de choses, et donc c'est ce qu'on transmet un petit peu, la culture, et se mettre à la place de la jeune fille qui a fait ce tapis-là.

  • Speaker #0

    Et comment est-ce qu'on arrive à s'intégrer dans ce monde ?

  • Speaker #1

    Alors je pense que comme j'ai repris le magasin de mon mari, ils m'ont accueillie avec un petit peu un regard en disant tiens on va voir comment elle va s'en sortir, mais j'ai pas eu de coup fourré. Ils ne m'ont pas mis des bâtons dans la roue. Le fait que je sois une femme et que je connaisse la culture turque m'a permis de m'intégrer sans les choquer. Le bazar, c'est masculin. On doit être cinq femmes en tout dans le bazar. L'intégration s'est faite parce que, comme je connais la mentalité turque, je ne les ai pas heurtées. J'ai utilisé ma féminité comme un plus qu'eux n'avaient pas. Mais je n'ai pas utilisé ma féminité vestimentairement, je n'ai pas aguiché les clients, j'ai fait très attention, je souris peu dans le grand bazar pour ne pas justement causer ce genre d'attitude qui pourrait être préjudiciable à ma condition féminine. Et donc en fait compte, les commerçants du grand bazar sont souvent des... grands enfants, donc ils sont toute la journée dans leur monde masculin et ils peuvent avoir envie d'avoir une oreille féminine qui les entendent et qui les écoute. Et donc, pour moi, ça a été un plus. Et pour eux aussi, parce qu'en fait, très souvent, ils viennent me voir pour me raconter leurs soucis avec les enfants, d'éducation, leurs soucis avec leurs femmes. Et donc, je suis un petit peu, je ne veux pas dire leur maman, mais je les écoute souvent. Alors, pas tous, heureusement, parce que ça me prendrait beaucoup de temps. Mais je me suis quand même imposée par cette écoute féminine et par mon attitude qui était féminine dans le bon côté des choses, mais pas en utilisant ma féminité comme un atout pour attraper les clients ou pour vendre. C'est en m'imposant quotidiennement par la connaissance que j'avais de la communauté française essentiellement, et expatriée en tout cas, petit à petit quand ils ont vu que la communauté expatriée venait chez moi. que j'étais capable de vendre des tapis aux Français et aux autres clients, que je me suis imposée. Ça, ça ne s'est pas fait tout seul. Et petit à petit, j'ai même des collègues marchands de tapis qui m'amènent des clients français, sachant que la clientèle française est une clientèle difficile. Donc c'est la preuve qu'ils me font confiance. Mais ça ne s'est pas fait du jour au lendemain. C'est le quotidien.

  • Speaker #0

    J'imagine. Effectivement, vous avez cet atout de la française. qui peut plus facilement communiquer avec la clientèle touristique française. Mais vous avez parlé d'expatriés, la communauté locale. Vous êtes aussi très impliqué dans la communauté d'expatriés françaises à Istanbul. Il y en a combien actuellement de Français ?

  • Speaker #1

    Il y a 13 000 Français en Turquie et 8 000 à Istanbul.

  • Speaker #0

    Une petite ville en fait, une petite ville française. Une petite ville française. Et vous êtes ? un peu la référente, à la fois la référente et à la fois référencée dans cette communauté. Et ça non plus, ce n'est pas par hasard, puisque outre votre activité de commerçante, vous avez aussi travaillé chez les plus grands couturiers de Turquie au tout début, lorsque vous arrivez, vous cherchez du boulot et vous allez travailler chez Vako. Et Vako, c'est ?

  • Speaker #1

    C'était à l'époque le grand couturier en prêt-à-porter de la société turque. de haut niveau.

  • Speaker #0

    Et puis vous avez travaillé pour un autre grand couturier, plus contemporain, on va dire, plus d'aujourd'hui, parce que Waco, c'est une vieille histoire. C'est une histoire qui démarre avec la République. Et vous avez travaillé avec un autre couturier.

  • Speaker #1

    Jemil Epekji.

  • Speaker #0

    Voilà, Jemil Epekji, qui lui aussi...

  • Speaker #1

    Il était plus dans la haute couture.

  • Speaker #0

    Voilà, absolument. Donc vous avez travaillé, ensuite vous avez vécu votre vie de couple, et puis vous avez eu... un premier enfant. Et c'est un peu lorsque vous avez eu ce premier enfant qu'il y a eu un déclic. Vous êtes intéressé à la communauté française. En même temps, vous avez des enfants qui grandissent, qui vont à l'école, et vous devenez la responsable de l'association des parents d'élèves du lycée.

  • Speaker #1

    Oui, c'est vrai que quand moi je suis arrivée, j'ai voulu m'intégrer à la société turque. Et quand on a un enfant, on se dit, bon, mon enfant va être turc ou va être français. Et j'ai compris qu'ils pouvaient être les deux. Et pour ça, je l'ai mis quand même à l'école française parce qu'étant française moi-même, je voulais qu'il ait la culture française, le parler français correct et qu'il grandisse dans mes valeurs personnelles. Et donc, je me suis occupée de l'association des parents d'élèves du lycée Pierre Louty d'Istanbul.

  • Speaker #0

    Et en même temps, vous allez être une créatrice d'associations parce que vous allez créer une des premières associations de français en Turquie en fait. Oui.

  • Speaker #1

    Et il y avait une association de femmes d'expatriés, Isamboul Accueil, qui s'est créée en 92. Et moi en 94, donc l'année où j'ai commencé à m'occuper de l'association des parents d'élèves, j'ai créé en même temps une association de familles franco-turques. Parce que Isamboul Accueil c'était bien, mais c'était quand même très orienté vers les femmes d'expat. Et moi je trouvais que les familles franco-turques, même si on est français, on a des difficultés ou des problématiques. que les expats n'ont pas.

  • Speaker #0

    Alors les expats, il faut simplement dire, ce sont les gens qui sont envoyés par leur entreprise, par leur travail, pour aller travailler à l'étranger. Donc des Français qui n'étaient pas forcément préparés et qui sont envoyés, qui travaillent pour des grandes sociétés, ça peut être Danone, ça peut être Renault en Turquie, Renault c'est très important, ça peut être des tas de sociétés internationales, ils sont envoyés à l'étranger pour un an, pour deux ans, pour trois ans. Les diplomates également sont. sont des expats. Donc voilà, ça c'est une catégorie et ce sont ces gens-là qui se regroupent dans l'association Istanbul Accueil. Mais vous, vous n'êtes pas vraiment une expat, comme pas mal de gens. Vous, vous êtes venu vous-même, ce n'est pas une entreprise, vous avez décidé, vous êtes en quelque sorte une immigrée, vous avez changé de pays par plaisir, d'autres changent par force, par obligation, et bien on peut changer aussi de pays par plaisir. plaisir et on devient aussi quelque part un immigré. Et vous avez voulu que ces gens, justement, ces immigrés qui se regroupent et aient de l'information rencontrent d'autres Français dans une situation un peu analogue et c'est ça, la passerelle, c'était ça. Tout à fait. Pour revenir au Grand Bazar, grâce à cette association de parents d'élèves, grâce à la passerelle, vous devenez quelqu'un de connu dans la communauté expatriée et immigrée française d'Istanbul. Ce sont des clients potentiels qui vont aussi vous faire confiance au niveau de ce que vous vendez et qui vont même vous amener, et là on va passer un peu au côté politique, on va dire des grands acheteurs, j'allais dire des grands acheteurs, mais des acheteurs de marques, quelque chose comme ça, puisque c'est des personnalités politiques qui vont passer à un moment donné. Vous avez vu qui comme personnalité politique ?

  • Speaker #1

    Disons que moi je me suis lancée un petit peu dans la politique, un petit peu. un petit peu par opportunisme parce que l'occasion se présentait. Donc je me suis présentée aux élections pour représenter les Français de l'étranger. Et à ce titre, j'ai été élue. Et depuis 1994, alors ça ne s'est pas été dit, élue tout de suite, j'étais représentante d'une autre liste. Mais depuis 1994, je suis sur la scène politique. Et les ministres ou les personnes qui viennent visiter la Turquie, très souvent, je les rencontre. Et je les reçois dans mon magasin de tapis.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça.

  • Speaker #1

    Ce n'est pas toujours des acheteurs, mais c'est des visiteurs.

  • Speaker #0

    Voilà, je vous dis ça parce que moi, quand je suis allé dans votre magasin de tapis, j'ai vu ça. J'ai vu Ségolène Royal, j'ai vu des articles de journaux, des photos. J'ai vu Philippe Seguin, j'ai vu un ancien premier ministre, Jean-Marc Ayrault. Je ne sais plus qui encore, mais c'est parce que vous n'êtes pas la seule à recevoir des politiques. Parce que dans le bazar, chez les marchands de tapis, on voit de temps en temps des images, des photos. Alors on peut voir Clinton, on peut voir des présidents américains, étrangers, beaucoup de personnalités politiques, comme chez vous. Et c'est le seul endroit dans le Grand Bazar où on voit des images, des photos, des articles sur les personnalités politiques françaises.

  • Speaker #1

    Comme je suis un petit peu une personnalité, donc l'ambassade ou le consulat... Quand ils ont des visites comme ça officielles, ils veulent leur faire un petit peu visiter le Grand Bazar parce que c'est quand même un incontournable de la ville. Et donc, ils m'appellent et je m'occupe de ces personnalités. Je leur présente le Grand Bazar avec tous ces commerçants, toutes ces ruelles.

  • Speaker #0

    Voilà, ce labyrinthe. Masculin. Masculin, oui, ce labyrinthe masculin. On a l'impression de se perdre parce qu'en fait... On se perd jamais dans le Grand Bazar. On a l'impression, lorsqu'on rentre dans le Grand Bazar, qu'on va se perdre. D'ailleurs, vous avez également eu Gérard de Hillier, qui est venu, l'auteur de S.A.S. Alors, est-ce qu'il est venu pour, justement, essayer de se perdre et de trouver les sorties pour ses personnages ? Mais c'est très facile de trouver les sorties. Grand Bazar, sortie 1, sortie 2, sortie 3, sortie 4, c'est très facile. Mais le plaisir, c'est que, quand on n'est pas habitué, on a peur de ne pas trouver la sortie. Alors, là... ça crée de l'émotion en plus de ces lumières, ces couleurs, ces boutiques en tout genre, que ce soit les tapis, que ce soit la verrerie, la céramique, les choses parfumées, comme maintenant il y a de plus en plus de loukoum ou de pâtisserie, des choses comme ça. Voilà, donc on ne se perd pas dans le Grand Bazar et vous êtes vous-même jamais perdu.

  • Speaker #1

    Le Bazar, c'est une ville dans la ville. Et donc en fait, il y a les commerçants, mais il y a tout qui... Il y a les restaurants, il y a les marques de santé, il y a la police, il y a un petit hôpital. Enfin, pas un hôpital, mais un médecin. Et donc en fait, c'est une ville dans la ville, avec ses bons côtés et ses mauvais côtés. Ça ressemble beaucoup à Istanbul. C'est qu'en fait, ça a l'air d'être un chaos, mais c'est un chaos très organisé. Quand vous regardez un plan, toutes les rues sont parallèles et perpendiculaires. C'est pas n'importe comment, c'est très organisé et très... Très structuré comme toute la Turquie ou comme la ville d'Issamboul particulièrement. Mais il y a cette impression de chaos qui est la lumière de cette ville.

  • Speaker #0

    Qui n'est qu'une impression. Et j'ajouterais que toute cette vie du bazar avec ces ruelles où les touristes ne vont pas, ces arrières-cours qu'on appelle les han, où les touristes ne vont pas ou très peu. On peut même arriver dans des labyrinthes montés sur les toits. découvrir des quartiers, des coins du bazar qui ont été construits après un autre moment, recollés, raccommodés. Les meilleurs restaurants du Grand Bazar ne sont pas ceux où vont les touristes. Ce sont ceux qui sont cachés, qui n'ont l'air de rien, où les touristes n'osent pas entrer.

  • Speaker #1

    Dans le bazar, il faut se lancer, il faut aller partout. Vous serez toujours bien accueillis de toute façon. Il ne faut pas rester avec oh là là, je ne peux pas rentrer dans cette cour Il faut y aller, il faut oser. Il ne va rien vous arriver, c'est là qu'il y a les bons petits restaurants, les petites cantines des commerçants. Tout est à découvrir dans le Grand Bazar.

  • Speaker #0

    Et si vous n'aviez pas foncé, vous ne seriez pas là aujourd'hui.

  • Speaker #1

    Ça c'est sûr.

  • Speaker #0

    La clientèle française qui vous suit, donc autant en tant que conseillère que marchande de tapis dans le Grand Bazar, parce que ça doit aussi un petit peu les étonner d'arriver à Istanbul, dans une grande ville, sur laquelle ils ont déjà pas mal fantasmé avant d'arriver. Et de retrouver dans ce bazar une petite Française dans son magasin, avec son sourire, son dynamisme, son énergie, qui dit bonjour en turc, qui a ce tas de tapis, des tapis en soie, des tapis en laine, en coton, des coussins. Voilà, on est complètement dans l'Orient fantasmé, on peut encore le dire, dans ce magasin. Et vous, vous êtes là. Alors là, vous êtes quoi ? Vous êtes la française ou vous êtes la marchande de tapis turc ? Parce que vous êtes vous-même presque binational, on va dire, biculturel.

  • Speaker #1

    Je suis sûrement biculturel. Je n'ai pas pris la nationalité turque, en tout cas pas encore. Mais non, je suis vraiment très française. Et j'essaye... Les gens qui viennent dans ma boutique, ce n'est pas forcément des gens qui veulent acheter des tapis. Donc déjà, je les aide quand ils ont des recherches à faire dans le Grand Bazar, etc. On peut se promener ensemble pour les orienter vers les bonnes boutiques, enfin les boutiques que je connais. Et donc c'est vrai que par cette disponibilité que je donne à mes visiteurs, je suis un petit peu une référence dans le grand bazar pour la communauté expatriée. Bien sûr, s'ils veulent des tapis, je suis à leur disposition. Je préfère qu'ils achètent chez moi qu'ailleurs. Mais je leur explique aussi la pédagogie, la culture du tapis. Ce n'est pas un objet manufacturé, tous les tapis sont uniques. Et donc, je leur fais prendre conscience de cette culture-là. Et les Français, ils aiment bien comprendre ce qu'ils achètent. Et la culture, ils aiment ça, même s'ils ne l'ont pas, même s'ils ne connaissent pas le tapis, parce que c'est un monde un petit peu magique, mais peu connu. Donc, j'essaye un petit peu de leur expliquer comment se fait un tapis, avec la laine, avec tous les matériaux. toute la culture qui est transmise dans cette pièce unique.

  • Speaker #0

    Alors, est-ce qu'on marchande chez vous ? Non. Ah, alors c'est quand même quelque chose de particulier si on ne marchande pas, parce que dans le grand bazar, il y a une réputation de marchandage. Alors,

  • Speaker #1

    le fait que je sois française, les gens n'ont pas ce réflexe et moi j'annonce la couleur. Donc je dis aux gens que je fais le meilleur prix possible. Je suis une commerçante, donc bien entendu je gagne ma vie. Mais mon but c'est de vendre un tapis moins cher que s'ils allaient ailleurs tout seuls. Donc déjà, c'est un bon deal pour eux. Et du coup, ils respectent en général ce deal. Les gens qui veulent marchander, ils peuvent aller ailleurs, mais pas chez moi.

  • Speaker #0

    Là, entre quatre yeux, c'est impossible de trouver moins cher que chez vous, dans le grand bazar ?

  • Speaker #1

    C'est toujours possible, parce qu'il y a des gens qui peuvent avoir besoin d'argent et qui peuvent vendre un tapis à prix coûtant.

  • Speaker #0

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #1

    Peut-être même en dessous du prix.

  • Speaker #0

    Parce que j'ai entendu dire, vous allez me confirmer ça, qu'il fallait parfois vendre. avant midi quelque chose pour pouvoir faire une bonne journée. Et que lorsqu'on n'avait pas vendu quelque chose avant midi, c'était toute la journée qui allait être foutue et que du coup, arriver chez un marchand entre 11h30 et midi, ça permettait d'avoir un bon prix. C'est une histoire vraie ?

  • Speaker #1

    Alors, ce n'est pas forcément midi. C'est la première vente qui ne doit pas être ratée. Donc, quand vous allez tôt le matin, le commerçant peut vous faire un prix sympathique parce que justement... il y a cette croyance. Donc, on ne va pas faire partir un client à cause du prix. Effectivement, vous pouvez avoir un bon prix le matin pour la première vente. Alors, est-ce que c'est midi ? Est-ce que c'est 11h ? Est-ce que c'est 10h ? Pour moi, c'est pareil. C'est vrai que je ne vais pas rater une vente si je sens que le client a aimé un tapis. Je peux faire un cadeau, mais on ne va pas rentrer dans le processus du marchandage. Moi, je vais faire un petit prix moi-même, mais ça ne sera pas du marchandage. Dans tous les cas.

  • Speaker #0

    Est-ce qu'il y a 30 ans, lorsque vous avez commencé, on marchandait autant dans le Grand Bazar ?

  • Speaker #1

    Je pense qu'on marchandait encore plus.

  • Speaker #0

    Encore plus ? Oui,

  • Speaker #1

    parce que le prix d'achat, pas que des tapis, mais tout était quand même beaucoup moins cher. Donc la marge était beaucoup plus élevée. Aujourd'hui, tout augmente, les tapis aussi. On les achète en devise, en dollars, en euros. Et on ne fait plus des marges énormes. Donc à l'époque, il y avait certainement beaucoup plus de marchandises parce que la marge était plus importante.

  • Speaker #0

    Donc il n'y a pas forcément intérêt à tout acheter quand on est un touriste dans le Grand Bazar. Il faut aussi aller voir à l'extérieur ce qu'on peut trouver.

  • Speaker #1

    L'avantage du Grand Bazar, c'est que vous avez beaucoup de concurrence, puisqu'il y a quand même 4000 boutiques. Tout est dans un même endroit, donc en fait un commerçant ne va pas vouloir perdre son client parce qu'il sait très bien que son voisin ou son concurrent direct va lui piquer son client et faire une vente à sa place. Moi, je pense que le bazar reste certainement le meilleur endroit pour avoir des bons prix. Mais après, tout dépend du commerçant sur lequel vous tombez, de la qualité qu'il va vous vendre. Et il faut savoir quand même que si un commerçant qui commence un prix à, je dis n'importe quoi, mais 5 000 euros et qui vend le tapis à 1 000 euros, quelque part, il y a anguille sous roche. Ce genre de choses, vous pouvez le trouver en dehors du bazar, assurément. Dans le bazar, c'est quand même difficile d'avoir un magasin. Il y en a 4000, mais les places sont chères, les places sont rares, c'est difficile de rentrer, c'est difficile de s'y installer. Donc le commerçant, il ne va pas s'amuser à rater un client. Vous avez certainement la possibilité de faire des meilleures affaires dans le Grand Bazar qu'en dehors, à mon avis.

  • Speaker #0

    Et comment ça se passe dans le Grand Bazar ? Les marchands se connaissent, discutent, ont de bonnes relations, ou se regardent tous un peu en chien de faïence ? C'est comment l'atmosphère ensemble ?

  • Speaker #1

    Alors le bazar c'est 4000 boutiques, ça veut dire à peu près à vue de nez 20 000 personnes qui y travaillent. Donc forcément on a un réseau. Alors le réseau c'est en fonction des amitiés personnelles, en fonction de la langue que vous parlez. Moi je parle le turc mais moi je travaille plus avec des commerçants qui parlent français et des gens qui ont un petit peu la même clientèle que moi. Et donc on se passe les clients les uns les autres, c'est un réseau. On est tous concurrents. Mais il y a quand même, c'est vrai de moins en moins, parce qu'il y a de plus en plus de jeunes qui rentrent dans le bazar parce que les vieux arrêtent et qu'ils sont à la retraite. Mais ma génération, c'est des commerçants qui sont de père en fils dans le Grand Bazar. Donc il y a la culture du Grand Bazar. On a des liens d'amis sympathiques, etc. et des chances de clients. Et donc on ne va pas se nuire mutuellement. Parce que quand on se nuit mutuellement, on nuit. au commerce et au bazar.

  • Speaker #0

    Tous ces marchands qui sont là, que ce soit le tapis, que ce soit le cuir, que ce soit la faïence, la céramique, les bijoux et puis les antiquités. On n'a que des spécialistes pratiquement.

  • Speaker #1

    Tout à fait. Les gens ont leur magasin par leur père, leur grand-oncle ou une famille. Donc ils sont dans le métier depuis trois, quatre, cinq générations. Leur métier, c'est vraiment un métier familial.

  • Speaker #0

    Et puis, on parlait des antiquités, il y a ce old bazaar qui est à l'intérieur du grand bazar et qui est le marché des antiquités en fait.

  • Speaker #1

    Un petit peu moins maintenant. parce que la population est de moins en moins attirée vers les sous-antiques. Mais c'est vrai que c'est l'endroit où on peut trouver encore des antiquités, que ce soit en cuivre, que ce soit des vieux poignards, que ce soit des bijoux anciens et d'autres choses.

  • Speaker #0

    Et si j'ai bien compris, c'est un endroit où on vend, les marchands vendent, mais achètent aussi. Et où viennent, passent des gens d'Asie centrale ? avec leurs bijoux, viennent vendre leur maison pratiquement, ce qu'ils ont dans leur maison en arrivant d'Ouzbékistan, du Turkménistan, etc. Il y a ce côté achat et vente.

  • Speaker #1

    Alors ce n'est pas que dans le vieux bazar. Dans tout le Grand Mazarin, c'est vrai qu'on est la position de la Turquie, proche de pays comme l'Ouzbékistan, l'Azerbaïdjan, etc. Les gens qui ont des choses à vendre, ils viennent à Istanbul parce qu'ils espèrent en avoir un prix. bien meilleure que s'ils le vendaient dans leur pays. Donc, c'est pour ça que le bazar est magique. Parce qu'en fait, vous avez des choses merveilleuses qui viennent de toute la région, et pas que de la Turquie. Donc, ils viennent pour vendre leurs objets. Et nous, pour moi, les tapis, je peux en acheter à des femmes au Zbek qui amènent le bourra, qu'elles ont fait. Et comme c'est des tapis qui sont difficiles à trouver, j'achèterais, s'il est en bon état, bien entendu. Donc, c'est vrai pour les tapis, c'est vrai pour les antiquités, c'est vrai pour les tissus, c'est vrai pour les bijoux. Toutes les choses, tous les magasins où on travaille avec des produits anciens, les pièces anciennes, vous les trouvez dans les familles. Et c'est les familles qui vous les apportent. Familles turques qui peuvent vouloir se débarrasser parce qu'ils ont envie d'avoir d'autres tapis que ce qu'ils ont. Ou les familles qui ont besoin d'argent. Donc familles turques, mais familles étrangères, usbèques, syriennes, irakiennes, iraniennes. Et tous ces pays-là qui viennent vers Istanbul parce que c'est la capitale de cette région-là.

  • Speaker #0

    Merci beaucoup Florence, merci pour cette histoire de vie au Grand Bazar. On va quand même donner l'adresse du magasin, qui se trouve dans quel quartier ? Parce que c'est par quartier aussi le Grand Bazar.

  • Speaker #1

    Le Grand Bazar est un petit peu construit sur une pente, et donc c'est la partie la plus haute dans le quartier du Cuir. Donc le mieux c'est de rentrer par la porte numéro 2, qui est pas loin de la station de tramway Chamberlitas. Et quand vous rentrez par la porte numéro 2, Juste sur la droite, il y a une entrée dans une cour. Et dans cette cour, il y a des toilettes. Et moi, je suis dans cette cour-là. Vous demandez Florence à n'importe qui, ils sauront vous amener jusqu'à moi.

  • Speaker #0

    Florence, la marchande de tapis du Grand Bazar, à côté de la station de tram Jemberlitach. Il y a d'ailleurs à cette station de tram un hammam très connu. Et donc, l'entrée du bazar est à 50 mètres, 100 mètres de ce hammam. Oui, tout à fait. Et c'est juste après l'entrée à droite. Merci Florence. Merci. A une prochaine fois.

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