Speaker #0Dès sa première œuvre, Tropisme, publiée en 1939, Nathalie Sarotte s'intéresse à ces mouvements indéfinissables qui sont enracinés dans l'expérience de chacun de nous et qu'elle nomme Tropisme. Nous retrouverons cette thématique dans ses romans, mais aussi dans son œuvre théâtrale, qu'elle débute tardivement d'ailleurs avec Silence en 1964, une pièce qui a été écrite à la demande d'une radio allemande. Six autres pièces suivront jusqu'à Pour un oui ou pour un non. Dernière pièce de l'auteur, 1981, elle aussi initialement conçue comme une pièce radiophonique avant d'être représentée sur scène en 1986. C'est d'ailleurs l'oeuvre la plus jouée de Sarreuth. Pièce sans acte ni scène, dont les personnages ne sont désignés que par des initiales génériques H1, H2, H3, F, et puis aussi pièce sans action au sens traditionnel, puisque celle-ci est remplacée par un flux et reflux du langage. comme le précise Sarotte elle-même. On y sent aussi encore l'influence des choix d'écriture du nouveau roman que Sarotte elle-même avait théorisé dans l'ère du soupçon 1956. Au fil de la pièce, les personnages vont exprimer ce que, d'ordinaire, on ne dit pas, révéler les non-dits et les interprétations de chacun, et le conflit va s'intensifier. Le passage que nous allons analyser se situe au début. Un ami H1 rend visite à un autre H2. car il trouve qu'une distance s'est instaurée entre eux qu'il ne comprend pas. Or, après avoir nié justement cette distance, H2 est finalement poussé dans ses retranchements et avoue ce qu'il a blessé. Donc ce passage constitue la révélation du motif apparemment insignifiant de leur dispute, mais il pose aussi les bases du conflit qui va s'amplifier tout au long de la pièce. Et surtout, il illustre parfaitement l'effet dévastateur des tropismes sur les relations interpersonnelles en montrant comment un détail apparemment insignifiant L'intonation d'une phrase banale, c'est bien ça, peut remettre en cause une vieille amitié. Notre fil directeur cherchera donc à montrer comment Nathalie Sarotte parvient à révéler, à travers ce dialogue, la complexité des relations humaines et la violence sous-jacente du langage, et donc le fonctionnement du tropisme. Mouvement du texte. Premier mouvement, la réticence et l'hésitation de H2, du début jusqu'à dis-le, tu me le dois Puis l'aveu progressif de je te dis, ce n'est rien qu'on puisse dire jusqu'à c'est à cause de ce rien que tu t'es éloigné Et enfin, le troisième mouvement, la révélation du motif et l'incompréhension de H1, de oui, c'est à cause de ça jusqu'à la fin. Lecture. Mais qu'est-ce que c'est, alors C'est plutôt que ce n'est rien, ce qui s'appelle rien. ce qu'on appelle ainsi, en parler seulement, évoquer ça, ça peut vous entraîner de quoi on aurait l'air. Personne, du reste, personne ne l'ose, on n'en entend jamais parler. Eh bien, je te demande, au nom de tout ce que tu prétends que j'ai été pour toi, au nom de ta mère, de nos parents, je t'adjure, solennellement, tu ne peux plus reculer. Qu'est-ce qu'il y a eu Dis-le, tu me dois ça. Je te dis, ce n'est rien qu'on puisse dire. Rien dont il soit permis de parler. Allons, vas-y. Eh bien, c'est juste des mots. Des mots Entre nous Ne me dis pas qu'on a eu des mots. Ce n'est pas possible et je m'en serais souvenu. Non, pas des mots comme ça. D'autres mots. Pas ceux dont on dit qu'on les a eus, des mots qu'on n'a pas eus, justement. On ne sait pas comment ils vous viennent. Lesquels Quels mots Tu me fais languir, tu me taquines. Mais non, je ne te taquine pas. Mais si je te les dis... Alors, qu'est-ce qui se passera Tu me dis que ce n'est rien. Mais justement... Ce n'est rien. Et c'est à cause de ce rien... Ah, on y arrive. C'est à cause de ce rien que tu t'es éloigné Que tu as voulu rompre avec moi Oui, c'est à cause de ça. Tu ne comprendras jamais. Personne, du reste, ne pourra comprendre. Et c'est toujours. Je ne suis pas si obtus. Oh, si, pour ça, tu l'es. Vous l'êtes tous, du reste. Alors, chiche, on verra. Eh bien, tu m'as dit, il y a quelque temps, tu m'as dit... Quand je me suis vanté de je ne sais plus quoi, de je ne sais plus quel succès. Oui, dérisoire. Quand je t'en ai parlé, tu m'as dit c'est bien ça. Répète-le, je t'en prie, j'ai du mal à entendre. Tu m'as dit c'est bien ça. Juste avec ce suspens, cet accent. Ce n'est pas vrai. Ça ne peut pas être ça. Ce n'est pas possible. Tu vois, je te l'avais bien dit. À quoi bon Non mais, vraiment, ce n'est pas une plaisanterie Tu parles sérieusement Oui, très, très sérieusement. Écoute, dis-moi si je rêve, si je me trompe. Tu m'aurais fait part d'une réussite. Quelle réussite, d'ailleurs Oh, peu importe. une réussite quelconque et alors je t'aurais dit c'est bien ça pas tout à fait ainsi il y avait entre c'est bien et ça un intervalle plus grand c'est bien ça un accent mis sur bien un étirement bien et un suspens avant que ça arrive Ce n'est pas sans importance. L'extrait s'ouvre sur une nouvelle question de H1 qui essaye de faire parler H2, de lui faire dévoiler la cause de la distance entre eux. Sa question est plutôt directe et concise. La réponse d'H2, en revanche, est fragmentée. Elle s'ouvre sur une épanorthose, c'est c'est plutôt ce qui s'appelle, ce qu'on appelle, etc. Il cherche donc à exprimer ce qui est indicible à travers des reformulations successives. On a aussi des aposiopèses marquées par les points de suspension. On a donc l'impression d'une parole balbutiante. D'ailleurs, cette parole, elle est dangereuse, puisque en parler seulement, on a ici évoquer ça, on a ici l'adverbe seulement, et le verbe évoquer, qui suggère que, parce que évoquer, ça n'est pas dire, c'est dire très superficiellement en tout cas. Donc ces termes suggèrent ce danger potentiel. De plus, l'utilisation de ça dans évoquer ça, signale la complexité de quelque chose qui n'est pas dissible. ou pas clairement dissibles. Et donc ce danger se manifeste ici, par les deux propositions, ça peut vous entraîner, et de quoi on aurait l'air, avec l'utilisation de l'indiffini on qu'on avait déjà dans ce qu'on appelle ainsi. Et donc il y a cette tentation de parler, et en même temps la crainte des conséquences. C'est la peur, chez H2, de la révélation, ça peut vous entraîner, les conséquences de la révélation, et la peur d'être incompris ou ridicule, de quoi on aurait l'air. La réplique se poursuit sur un constat d'impuissance, puisqu'on a deux fois la négation lexicale personne personne du reste, personne ne l'ose qui insiste justement sur ce tabou social qui consisterait à se livrer sur ses ressentis, à exprimer ses tropismes. Et une fois encore ici, l'utilisation conjointe du pronom indéfini on de la négation et de l'adverbe jamais fait référence à ce tabou social fort. A champ va alors utiliser le lexique de la supplication et de la prière. Je te demande au nom, je t'adjure solennellement qui joue sur la relation affective et d'une certaine façon cherche à manipuler H1 en le culpabilisant de ne pas parler. D'autant que ici on a ce que tu prétends que j'ai été pour toi, le tu me dois ça qui clôt la réplique. D'où sa réponse avec la didascalie piteusement qui montre l'impact des propos de H1 sur H2. H2 insiste à nouveau sur la dangerosité et l'interdiction, le tabou social, de vouloir expliquer ce que les mots ne peuvent dire. La possibilité est niée d'abord par l'utilisation à la négative du verbe pouvoir, ce n'est rien qu'on puisse dire, en tout cas la restriction, c'est-à-dire qu'en parler ne fait pas partie de ce qu'on peut dire, puis la négation, rien dont il soit permis de parler, donc la négation de ce qui est autorisé. H1 va répondre par deux impératifs qui insistent sur son désir de savoir et traduisent. son impatience, allons-vas-y. Devant l'assistance de H1, H2 cherche à minimiser l'importance de ce qu'il tente d'exprimer. C'est ce que montre l'emploi, ici, de l'adverbe restrictif juste. C'est juste des mots. Mais cette réplique de H2 va déclencher un espèce de quiproquo puisque la réplique de H1 va jouer sur l'ambiguïté du sens de l'expression avoir des mots, qui signifie normalement avoir une dispute claire. H1, ici, interprète littéralement ce que H2 vient de dire. C'est juste des mots. Si c'est juste des mots, on a eu une dispute, c'est pas grave. Or, des mots ne me dit pas qu'on a eu des mots. En fait, H1 parle de mots dans leur sens littéral, sans les paroles prononcées. Alors que H1 comprend l'expression figée avoir des mots, c'est-à-dire se disputer. Et cette incompréhension révèle la difficulté de communication entre les personnages. L'incrédulité de H1 est d'abord exprimée par des phrases... nominale interrogative. Des mots entre nous. Et puis, on voit ensuite une gradation dans l'expression du refus de croire, avec les négations. Ne me dis pas qu'on a eu des mots. Puis une affirmation à la forme négative, ce n'est pas possible. Et enfin, l'utilisation du conditionnel passé, je m'en serais souvenu, qui fonctionne comme une accusation implicite. Puisque je ne m'en souviens pas, c'est que tu inventes. H2 ouvre sa réplique par une négation initiale qui rectifie l'interprétation de H1. Non, pas des mots comme ça. d'autres mots. Les négations qui suivent, pas ce, pas eu, donc les négations qui suivent et l'utilisation de l'épanorthose, pas des mots comme ça, pas ce, etc., insistent sur ce refus de réduire le problème à une dispute explicite, c'est-à-dire des mots qu'on a eus, des mots dont on dit qu'on les a eus. Mais ce que veut expliquer H2, c'est que le problème, ce sont ces autres mots, des mots qu'on n'a pas eus, avec l'insistance de l'adverbe justement avec l'adverbe justement qui insiste. sur cette différence d'interprétation, et le fait que eu soit entre guillemets. Enfin, à la fin de la réplique, la dernière phrase, on ne sait pas comment ils vous viennent la négation montre que ces mots échappent à la conscience. Et cette ignorance associée au verbe venir indique un mouvement involontaire, comme si finalement ces mots surgissaient d'eux-mêmes. Ce sont des micro-émotions qui traversent l'esprit sans être formulées consciemment. Et bien donc, ce sont les tropismes. Et ce qui est rien pour H1, une intonation ou un silence, devient essentiel pour H2. H1 va utiliser alors des questions pressantes, lesquelles, quels mots, qui soulignent son agacement. Mais les expressions tu me fais languir et tu me taquines suggèrent que H1 perçoit la résistance de H2 comme un jeu, et ces mots sont en décalage avec la gravité de la situation. Et la réplique éclaire l'incompréhension fondamentale entre les deux personnages. H1 n'a pas compris ce que lui dit H2, ou ce que tente de lui dire H2. D'où sa réponse négative, mais non. qui provoque un effet d'opposition immédiat, avec la reprise en plus ici des mêmes termes à la négative je ne te taquine pas La dernière proposition est une hypothétique, mais si je te l'ai dit, et elle suggère que H2 anticipe les conséquences négatives à ses révélations, ce qui explique sa réticence. Elle introduit même une vague menace, une sous-conversation, renforcée par la podiopèse ici, puisque la phrase n'est pas finie. Réaction immédiate d'H1, Et il y a une gradation dans son interrogation. D'abord, alors, qui est une question elliptique, qui relance le dialogue. Et qu'est-ce qui se passera Qui est plutôt une tentative de désamorcer la crainte de H2 concernant les conséquences de ses révélations, et c'est pour ça que c'est au futur. Enfin, la dernière phrase de la réplique, Tu me dis que ce n'est rien, reprends les propos de H2 pour souligner leur contradiction avec son comportement. Tu me dis que ce n'est rien. Si c'est rien, c'est pas la peine d'en faire toute une histoire. Donc cette réplique illustre parfaitement le décalage sémantique sur le mot rien parce que là à nouveau, H1 le prend dans son sens littéral, alors que pour H2, le rien n'est pas rien, il le dit. Mais justement, ce n'est rien, et c'est à cause de ce rien. La réplique met en avant un paradoxe sur le mot rien avec l'opposition entre ce n'est rien et c'est à cause de ce rien qui montre que ce qui semble insignifiant, le rien, est en réalité la source du conflit. Et l'adverbe, justement, ici, insiste sur la force de ce rien comme cause du problème. Et là, H2 commence à révéler la vraie nature de leur conflit. Effectivement, H1 réagit comme quelqu'un qui a compris. Ah, on y arrive Sauf que le ton est un peu sarcastique dans l'exclamative. Ah, on y arrive Et il marque la satisfaction, certes, de H1 de progresser dans la compréhension du conflit, mais c'est une fausse lucidité, puisque la réplique finale de H1 c'est à cause de ce rien que tu t'es éloigné, que tu as voulu rompre avec moi. Ce qui révèle son incompréhension. Par contre, le lexique de la rupture, éloigner, rompre et l'utilisation du tu renvoie en quelque sorte la responsabilité sur H2. Celui-ci d'ailleurs indique sa lassitude par le soupir qu'indique la didascalie, ou un découragement. Et l'indéfini oui, c'est à cause de ça ici, rappelle l'impossibilité de nommer clairement la cause. D'où... D'où la fin de sa réplique, passage du tu à la généralisation, tu personne, l'adverbe jamais et l'utilisation du futur à valeur de certitude, qui montre que le langage est inapte à la communication. Et c'est toujours, je ne suis pas si obtus, l'impératif ici est teinté d'ironie, et c'est toujours, et je ne suis pas si obtus, bien sûr, est une sorte d'autodéfense agressive de H1. O, si, pour s'attuler, vous l'êtes tous du reste. Il y a une gradation ici dans la négation, O, si, et une insistance, parce que H2 généralise à nouveau le conflit à une incommunicabilité plus générale, en passant encore du tu au vous, et tous, vous l'êtes tous. exprime une critique de H2 envers le groupe social auquel appartient H1, et suggère que le problème dépasse leur relation personnelle. On peut être surpris par la réponse de H1, alors chiche, parce que là on a l'utilisation d'un langage enfantin qui dénote totalement avec la gravité de la situation, et qui pourrait signifier soit que H1 n'a pas compris, soit qu'il continue d'être sourd volontairement aux attentes d'H2. La réplique de H2 est fragmentée, ici, Il y a de nombreuses hésitations, on a des apodiopèses et des épanorthoses. Tu m'as dit est repris trois fois. Ça crée un effet d'hésitation, certes, mais aussi d'insistance sur l'importance de la parole de l'autre. Les épanorthoses comme je ne sais plus quoi je ne sais plus quel succès oui dérisoire etc. C'est-à-dire des autocorrections montrent les efforts d'H2 pour trouver les mots justes. Mais l'utilisation de termes dépréciatifs pour parler de son succès passé, par exemple quand je me suis vanté dérisoire et puis la négation du verbe savoir, je ne sais plus, etc. peut être pour H2 une manière de se protéger, d'anticiper sur le dénigrement de H1, puisqu'il y a un effet traumatique ici. C'est précisément l'annonce du succès qui, dans le passé, était la source du tropisme du fameux c'est bien ça Enfin, la réplique se clôt sur la révélation de la cause du rien, tu m'as dit, c'est bien ça mis entre guillemets, puisque c'est censé être les paroles rapportées de H2. La réplique de H1, répète-le je t'en prie, est marquée par un contraste entre l'autorité et l'urgence de la demande à l'impératif, répète-le, et la politesse de la formulation je t'en prie. Et cette association crée une dissonance. Ni, à son tour, est renforcée par l'expression j'ai du mal à entendre. Parce que c'est une façon de nier ce qui vient d'être dit, c'est comme si H2 n'avait pas parlé. Et là on voit bien le décalage permanent entre les deux personnages. Nouvelle tentative de H2, avec la didascalie prenant courage. Tu m'as dit, on a encore cette expression, c'est bien ça, juste avec ce suspens, cet accent. H2 insiste ici sur l'intonation, juste avec ce suspens, cet accent. Et on a encore cet adverbe, juste, qui montre justement l'insignifiant. H1 ne comprend pas. Et les trois négations en cascade, ce n'est pas vrai, ça ne peut pas être ça, ce n'est pas possible, qui sont trois formulations différentes mais qui énoncent la même chose, c'est-à-dire le refus d'y croire. marque une stupéfaction chez H1, mais aussi un fort refus ou une impossibilité de comprendre les valeurs de l'autre. L'utilisation du pronom démonstratif ça ne peut pas être ça Pour désigner la cause du problème, souligne son caractère apparemment insignifiant aux yeux de H1. Tu vois, je te l'avais bien dit, à quoi bon marque l'échec de sa tentative, enfin de la tentative d'H2. Je te l'avais bien dit une espèce de prédiction. Et la question rhétorique à quoi bon signale sa résignation et renforce le constat d'échec. On a des aposiopèses, là aussi, qui traduisent la résignation. Insistance d'H1, dans son incompréhension, par les deux interrogatifs juxtaposés. Ce n'est pas une plaisanterie, tu parles sérieusement. Par la négation, dans la première, et l'adverbe vraiment. Non, vraiment, qui remet en doute ce qui a été dit. L'opposition implicite aussi entre plaisanterie et sérieusement, qui crée un effet d'opposition, d'antithèse, qui souligne le contraste entre ce que H1 espère. Que ce soit une blague, en fait. Et ce dont il a peur, que ce soit très sérieux. Donc, à nouveau, on perçoit ce décalage de perception et d'utilisation du langage chez les deux personnages. Ce qui est insignifiant pour H1 et profondément blessant pour H2. D'ailleurs, il confirme, par la reprise de l'adverbe très très qui montre l'écart entre la perception des deux personnages, puisque l'un voit une plaisanterie, là où l'autre répond par quatre adverbes. Oui, très, très, sérieusement qui viennent confirmer. que ce n'est pas une plaisanterie. Toujours beaucoup de doutes chez H1, toujours des impératifs aussi, écoute, dis-moi, deux hypothèses, si je rêve, si je me trompe, pour finalement arriver à un conditionnel passé, tu m'aurais fait part d'une réussite, et ce conditionnel passé, qu'est-ce qu'il fait Eh bien, il refuse la version d'H2, parce qu'il fait de ce que lui a dit H2 une hypothèse invraisemblable, à laquelle il ne croit pas. Tu m'aurais fait part d'une réussite, mais tu délires, mon pauvre ami. Et ici, l'adjectif dépréciatif quel quelle réussite d'ailleurs et la fausse concession avec d'ailleurs signalent un grand mépris pour cette réussite éventuelle, puisqu'il n'en a aucun souvenir. À nouveau, interjection ici, qui fonctionne comme un soupir, qui signale encore le découragement d'H2 face à l'incompréhension de H1. Les points de suspension ici entre peu importe et une réussite quelconque et l'emploi de l'indéfini aussi quelconque qui contraste avec l'importance réelle accordée par H2 insiste sur ce découragement, ce sentiment qu'il ne sera jamais compris. H1 est toujours dans le déni, parce qu'il réutilise le conditionnel passé je t'aurais dit et continue ainsi de montrer que H1 considère les propos de H2 comme, en gros, une hypothèse farfelue. Quant aux guillemets qui encadrent ici c'est bien ça ils sont ambigus, parce qu'ils permettent à H1 de se mettre à distance des mots de H2, de ne pas se les approprier. En fait, ce n'est pas à lui qu'il les a dit, c'est H2. Malgré tout, H2, en dépit de la didascalie qui montre cette lassitude et ce découragement, va tenter une recherche de précision. Pas tout à fait ainsi. Toute la réplique, d'ailleurs, se veut explicative, avec plusieurs propositions juxtaposées. Et la posiopèse, c'est-à-dire les points de suspension ici, est utilisée à la fois pour marquer cette lassitude, mais va donner aussi un effet de précision chirurgicale dans l'explication. Parce que... On a un intervalle plus grand, le comparatif ici plus grand, l'accent mis sur bien, l'étirement avec la graphie et le suspens montrent que H2 focalise son attention sur le détail, l'insignifiant. Mais cet insignifiant, c'est précisément le tropisme qui déclenche d'abord la distance, puis la dispute, et finalement sans doute la rupture entre les deux amis. Et la double négation qui clôt la réplique, ce n'est pas sans importance, puisqu'ici on a une négation syntaxique, ce n'est pas, et une négation lexicale. Donc cette double négation transforme la négation en assertion. Ce n'est pas sans importance veut dire c'est important. Et oui, c'est important. Parce que la distance entre bien et ça, finalement, provoque la distance entre les deux personnages et fait de l'intervalle, de ce petit rien qui est l'intervalle, le lieu du drame relationnel entre H1 et H2. Conclusion. La progression grammatique de cet extrait du début de Pour un oui ou pour un non nous fait donc découvrir la difficulté à verbaliser l'indicible. Les procédés stylistiques, aposiopèse ou épanorthose, etc., traduisent cette parole qui se cherche, qui tâtonne, pour exprimer ce qui échappe habituellement au langage. Le mécanisme. du tropisme, ici, cause de l'éloignement de H2. Le décalage entre les paroles prononcées et les paroles perçues, le décalage entre l'usage d'un langage conventionnel chez H1 et d'un langage beaucoup plus subjectif chez H2, Et les conséquences de ces décalages font de ce passage une véritable autopsie du malentendu, qui ne fera que croître au cours de la pièce. Ce passage constitue donc une parfaite illustration de l'œuvre de Sarotte, où l'action traditionnelle est remplacée par un flux et reflux du langage, où le conflit naît de la perception subjective des nuances et de l'impossibilité fondamentale de partager finalement pleinement l'expérience d'autrui.