- Romain LE GAL
Bienvenue sur Lait'Change, le podcast qui donne la parole aux actrices et aux acteurs de la filière laitière et fromagère. Je suis Romain Le Gal et aujourd'hui, j'ai la chance d'être dans la capitale mondiale de la gastronomie. Vous vous en doutez, je parle bien sûr de Lyon. Et quand on pense à Lyon et gastronomie, on pense aux Halles Paul-Bocuse où je me trouve ce matin, en compagnie de René Richard, une des Mères lyonnaises. Bonjour René.
- Renée RICHARD
Bonjour Romain.
- Romain LE GAL
Comment vas-tu ce matin ?
- Renée RICHARD
Eh bien écoute, ça va très bien. Comme en général le matin, je suis contente de commencer ma journée, venir vendre mes Saint-Marcelin.
- Romain LE GAL
Et pas que ?
- Renée RICHARD
Et pas que, bien sûr. Je dis Saint-Marcelin, mais c'est un peu réducteur. Néanmoins, c'est notre spécialité, on est marqué par le Saint-Marcelin.
- Romain LE GAL
Avant de rentrer dans l'histoire et tout ça, Renée, peux-tu te présenter en quelques mots ?
- Renée RICHARD
Oui, alors donc je m'appelle Renée Richard, plus communément appelée la Mère Richard. Et je vends du fromage aux halles de Lyon, Paul Bocuse. La mère Richard, comme je le dis souvent, la vraie, avec un V majuscule, c'était ma mère. Parce que c'était M. Bocuse, Paul Bocuse, qui l'avait surnommé comme ça. Quand il arrivait le matin aux halles pour faire le marché, il n'était pas en voyage dans le monde pour être l'ambassadeur de la gastronomie. Il arrivait, il haranguait ma mère en lui disant, comment vas-tu la Mère Richard ? Donc c'est resté. Et c'est même devenu l'enseigne du magasin.
- Romain LE GAL
Et toi Renée, du coup, comment tu es arrivée à venir vendre du fromage avec ta maman ?
- Renée RICHARD
Alors, il se trouve que quand j'étais jeune, enfant, adolescente, j'étais en pension parce que ma mère travaillait beaucoup. J'ai passé mon bac, un bac philo. J'ai fait du droit, des études de notariat.
- Romain LE GAL
Un bac philo, un petit peu loin du fromage.
- Renée RICHARD
Oui, bien sûr. Mais bon. Comme on dit, le droit mène à tout. Donc, j'ai fait du notariat. Et à partir de là, les dimanches, comme souvent les enfants de commerçants, les dimanches, les jours de fête, les vacances, je venais prêter la main à ma mère. Et donc, j'ai appris mon métier sur le tas. Je n'ai pas fait une école. Là, c'est en me confrontant aux clients, en affinant les fromages, que j'ai appris mon travail. Et quand j'ai fini mes études... Il se trouve que ma mère avait besoin de moi. Je lui ai dit, tu sais, si tu veux, au lieu de chercher un stage tout de suite chez un notaire pour continuer le chemin qui était tracé, parce qu'après le diplôme de clerc de notaire, il fallait passer celui de premier clerc et ensuite celui de notaire. Eh bien, si tu veux, je viens t'aider quelques temps et je chercherai un stage après. Il y a de nombreuses années de ça. Et à l'époque, on n'avait pas de souci pour trouver des stages et pour trouver du travail. Et ma mère m'a dit avec plaisir. Et je ne suis jamais repartie.
- Romain LE GAL
Donc c'était en quelle année ça Renée ?
- Renée RICHARD
Alors ça c'était dans les années 70.
- Romain LE GAL
D'accord, donc depuis les années 70, matin, midi, soir, 7 jours sur 7 ?
- Renée RICHARD
Presque, presque. Parce que le lundi il faut passer les commandes chez les fournisseurs, appeler quelques clients qui ont l'habitude d'être appelés le lundi. Donc tout ça fait que c'est presque 7 jours sur 7.
- Romain LE GAL
Et du coup, cette histoire, ta maman, elle a commencé dans le fromage dans les quelles années ?
- Renée RICHARD
Alors, en 1965, ce qu'on appelle à Lyon les anciennes Halles. A l'époque, les Halles étaient dans la Presqu'île, c'est-à-dire entre Rhône et Saône, dans un quartier qu'on appelle le quartier des Cordeliers. Aujourd'hui, c'est un parking. A l'époque, le bâtiment était beau, c'était des vieilles pierres avec une grande verrière. C'était complètement obsolète. Les livraisons étaient impossibles. Ça se faisait... dans les rues adjacentes, enfin c'était dans des conditions pas acceptables. Donc le maire de l'époque qui s'appelait Louis Pradel avait décidé de construire des nouvelles Halles dans ce quartier où nous sommes maintenant qui est le quartier de la Part-Dieu. À l'époque c'était un quartier un peu marécageux qu'on a asainie, où on a construit la gare de la Part-Dieu, extrêmement connue.
- Romain LE GAL
Extrêmement ?
- Renée RICHARD
Extrêmement. où on a construit l'auditorium, on a construit également le centre commercial de la Part Dieu, et puis les Halles. Voilà, et c'est comme ça que le 1er janvier 1971, nous sommes arrivés aux Halles de Lyon, qui par la suite se sont appelées Paul Bocuse.
- Romain LE GAL
Ça s'est appelé Paul Bocuse à partir de quand ?
- Renée RICHARD
Dans les années 90.
- Romain LE GAL
D'accord.
- Renée RICHARD
Monsieur Paul, très généreusement, nous a permis d'accoler son nom à celui des Halles. Donc, si tu veux, c'était un échange. On lui rendait hommage. Et lui, il nous a permis, évidemment, d'attirer beaucoup de clientèles. Parce que Paul Bocuse, c'est un nom magique dans le monde entier.
- Romain LE GAL
Complètement, avec beaucoup de reconnaissance. Et du coup, ta maman, dès le départ, elle a eu un attrait pour le Saint-Marcelin. Comment elle a fait ça ? C'était avec nous au départ ?
- Renée RICHARD
Alors au départ, ça s'est passé ce qu'on appelait les anciens halles, les Halles des Cordeliers. Elle trouvait qu'à Lyon, il n'y avait pas franchement de spécialité. Il n'y avait pas un fromage qui était mis en avant, comme dans certaines régions. Donc, elle a regardé un petit peu ce qui se passait autour de nous. on est quand même gâtés, tout autour de nous.
- Romain LE GAL
C'est une région riche.
- Renée RICHARD
Tout afflue vers nous.
- Romain LE GAL
Complètement.
- Renée RICHARD
Donc, les chèvres, les vaches, les brebis, etc. Les brebis, peut-être un peu moins, mais les chèvres et les vaches. Et puis, son dévelu, c'est jeté sur le Saint-Marcelin, qu'à l'époque, on vendait peu affiné, plutôt comme un petit séchon, plutôt comme un petit fromage sans grand intérêt. Et elle, elle s'est appliquée à le faire devenir coulant, crémeux. Ce n'était pas sans risque parce qu'il ne faut pas aller trop loin. Il faut le vendre à l'instant T au jour J. Et puis, ça a marché.
- Romain LE GAL
C'est des petits fromages, donc ça évolue très, très vite.
- Renée RICHARD
Et puis, c'est du lait de vache, donc ça évolue très vite, beaucoup plus vite que le lait de chèvre. Et ça a plu aux clients particuliers et aussi aux restaurateurs, dont M. Paul, qui l'a beaucoup aidé. Mais c'est un fromage qu'on retrouve aussi bien sur les tables des restaurants gastronomiques que sur les tables des bistrots ou des brasseries, tu vois.
- Romain LE GAL
J'ai pu lire un petit peu sur Internet que ta maman avait un sacré caractère.
- Renée RICHARD
Oui, c'est vrai, elle avait un fort caractère.
- Romain LE GAL
Et qu'ils se chamaillaient un petit peu avec M. Paul de temps en temps. Oui,
- Renée RICHARD
beaucoup, ils adoraient ça.
- Romain LE GAL
Ils adoraient, c'était un petit jeu finalement.
- Renée RICHARD
Chacun cherchait l'autre.
- Romain LE GAL
C'était le chat et la souris.
- Renée RICHARD
C'est ça, M. Paul. Et puis, les clients, c'était comme ça aussi. Les clients venaient aussi pour passer un moment avec ma mère, pour rigoler avec elle, pour la chahuter. Mais tout le monde passait à la boutique. À l'époque, c'était un petit peu plus convivial. Et puis, comment te dire ? On avait l'esprit un peu plus ouvert que maintenant. On parlait plus facilement politique. On parlait plus facilement.
- Romain LE GAL
On était moins jugé, en fait.
- Renée RICHARD
Voilà. Alors... Les politiques passaient là, la gauche, la droite, le centre. Elle a été copine avec tous les maires de Lyon. Ma mère, ce n'est pas qu'elle mangeait à tous les râteliers, comme on pourrait dire. Mais c'est que...
- Romain LE GAL
Mais ils mangeaient tous des Saint-Marcelin.
- Renée RICHARD
Voilà, les gens aimaient bien venir la voir, manger une tartine de Saint-Marcelin, rigoler avec elle. C'était sympa.
- Romain LE GAL
Et du coup, ta maman, alors avant qu'on revienne sur l'histoire du Saint-Marcelin, a, dans l'affinage, un peu eu une idée.
- Renée RICHARD
Oui.
- Romain LE GAL
Une idée qui était de... L'emballer ?
- Renée RICHARD
Alors, voilà. Ce qui était nouveau, si tu veux, c'était de le logoter. Parce qu'à l'époque, maintenant, ça paraît banal. Parce qu'avec tous les produits qui sont aux marques maintenant, ça n'a rien d'exceptionnel. Mais à l'époque, ça n'existait pas. Et elle a fait faire un papier avec son nom, Saint-Marcelin, Mère Richard. Et donc, elle a logoté ce fromage. Et c'était une première. Donc, ça a contribué aussi avec le fait que les restaurateurs mettent Saint-Marcelin, Mère Richard sur leur carte. Ça a contribué à l'essor du Saint-Marcelin et par voie de conséquence, à l'essor de la boutique.
- Romain LE GAL
Et aujourd'hui, le Saint-Marcelin, la Mère Richard est encore un Saint-Marcelin emballé.
- Renée RICHARD
Ah oui, toujours.
- Romain LE GAL
Avec marqué Renée. Ah oui,
- Renée RICHARD
il part jamais nu. Renée et Renée Richard. Parce que ma mère avait eu l'idée. Je ne sais pas si c'est un pressentiment, si elle pensait que j'allais prendre la suite.
- Romain LE GAL
En fait, c'était écrit.
- Renée RICHARD
Voilà, c'était écrit. C'était mon karma. Elle m'a prénommée comme elle. C'est vrai. On n'a pas triché. C'était Renée et Renée Richard.
- Romain LE GAL
Mais déjà sur le papier, avant que tu reviennes à la boutique, c'était déjà Renée et Renée.
- Renée RICHARD
Comme je t'expliquais, très jeune, j'ai commencé à venir à la boutique. J'ai prêté la main,
- Romain LE GAL
donc ça s'est fait. Ça avait tout son sens. Parce que les clients qui venaient quand c'était le week-end, c'était une période d'affluence sur les marchés.
- Renée RICHARD
Les gens n'ont pas dit à un moment, tiens, la mère Richard s'est retirée, sa fille vient de prendre la relève. Parce qu'on a tellement travaillé main dans la main et côte à côte pendant des années que les choses se sont faites simplement.
- Romain LE GAL
Et travailler avec sa maman comme ça pendant des années, moi j'ai des amis, et notamment un monde qui nous relie, qui est le monde agricole, qui travaille... Avec leurs parents, il y a toujours des petits points de friction, tension.
- Renée RICHARD
Il peut y avoir, bien sûr, mais bon, il faut être diplomate et il faut savoir régler les problèmes.
- Romain LE GAL
Quand la boutique est fermée, quand le rideau est baissé.
- Renée RICHARD
Quand les clients ne sont pas là.
- Romain LE GAL
Exactement. Du coup, ce Saint-Marcelin, est-ce que tu peux nous raconter un petit peu son histoire ? Parce qu'il n'a pas toujours été au lait de vache.
- Renée RICHARD
Alors non, le Saint-Marcelin, on dit qu'il remonte à Louis XI. Louis XI, dit-on, se serait perdu en allant à la chasse et des paysans l'auraient recueilli, accueilli à leur table, réchauffé avec une soupe et je ne sais quoi. Et puis le fromage qu'il faisait, et ce fromage en question, c'était le Saint-Marcelin. Et par reconnaissance... Et aussi parce que le fromage lui avait beaucoup plu, il a demandé à ce qu'il soit servi à la table royale. Donc, le Saint-Marcelin, d'après les livres, si tu veux, c'est l'origine la plus ancienne qu'on connaisse. Peut-être qu'on en trouvera d'autres. Je ne sais pas, les historiens découvriront peut-être un jour une origine plus ancienne encore. pendant des années, il a été au lait de chèvre, il a été au lait de mélange.
- Romain LE GAL
Ça, c'est quelque chose dans le monde des produits laitiers qui est un petit peu compliqué quand on fait un peu de littérature, etc. C'est qu'au final, il n'y a pas grand-chose d'écrit sur les fromages dans les livres, à part dans des relevés d'impôts ou de comptes. C'est vraiment là-dessus où on voit sur le fromage... Il y a peu de choses. C'était des choses qu'on se passait de la main à la main et des savoir-faire qui sont... ancestraux, puisqu'on fait maintenant des fromages depuis des millénaires, et il n'y a pas grand-chose décrit dans les livres. Donc au début, il n'était pas qu'au fromage de vache,
- Renée RICHARD
au lait de vache. Il a été aussi au lait de chèvre, il a été même au lait de mélange. Moi, je me rappelle aux anciennes Halles avoir vendu encore des Saint-Marcelin qui étaient mi-chèvre, mi-vache. Mais tu sais comme moi que le lait de chèvre s'affine moins et coule moins que le lait de vache, donc il restait toujours un peu plus ferme. Et la tendance aujourd'hui est... a aimé le Saint-Marcelin très coulant, très fondant, tartiné. Donc, je pense que peut-être qu'il y gagnerait avec un goût un peu plus affirmé, mais qu'il n'y aurait pas ce côté coulant, fondant que les clients réclament. Et je pense qu'il faut bien qu'on reste avec cette recette au lait de vache.
- Romain LE GAL
Donc, le Saint-Marcelin, si maintenant tu peux le présenter au lait cru, évidemment. Même si dans le cahier des charges, puisque le Saint-Marcelin est un fromage IGP,
- Renée RICHARD
Oui, bien sûr.
- Romain LE GAL
Là, il y a la demande en ce moment des IGP de Savoie qui demandent à, entre guillemets, à passer AOP et avoir une révision du cahier des charges.
- Renée RICHARD
Oui, il y a beaucoup, beaucoup de demandes. Beaucoup de demandes, bien sûr.
- Romain LE GAL
Et c'est assez long, la mise en place des cahiers des charges.
- Renée RICHARD
Tu sais, bien qu'on n'ait pas l'AOP, ça n'empêche pas de vendre le fromage. Je ne sais pas si ça changerait grand-chose.
- Romain LE GAL
Et reconnu à travers le monde.
- Renée RICHARD
Je ne sais pas si ça changerait grand-chose.
- Romain LE GAL
Donc le fromage de Saint-Marcelin, si tu peux le présenter en quelques mots, parce que là on en a parlé. Comment c'est fait ? Comment c'est produit ? Alors on a parlé du lait, ce sera du lait de vache. Bon, nous on préfère le lait cru en tant que fromager.
- Renée RICHARD
Mais ça existe aussi au lait thermisé ou pasteurisé. Les trois versions existent.
- Romain LE GAL
Et après c'est un petit fromage qui fait ?
- Renée RICHARD
C'est un petit disque plat qui fait quelques centimètres de diamètre, pas très haut. Il ne faut pas qu'il soit très haut d'ailleurs, parce que ça signifie qu'il n'est pas affiné. Et de couleur un petit peu dorée. Et on l'amène à maturité jusqu'à ce qu'il soit bon à tartiner.
- Romain LE GAL
C'est minimum 10 jours dans l'appellation ?
- Renée RICHARD
Oui, mais les nôtres ont bien 21 jours.
- Romain LE GAL
Pour toi, un Saint-Marcelin, c'est 21 minimum pour que ça équie vraiment l'expression et les caractéristiques du Saint-Marcelin. Aujourd'hui, on a aussi une dominance qu'on appelle lactique. C'est un fromage qu'on va finalement, peu de présure et un temps de coagulation très, très long. Et toi, comment tu pourrais qualifier de manière organoleptique le Saint-Marcelin ? Un bon Saint-Marcelin pour toi, qu'est-ce qu'on doit ressentir dans la bouche ?
- Renée RICHARD
Ce côté crémeux et puis quand même un goût assez prononcé quand même. C'est un fromage qui est vigoureux quand même un peu, le Saint-Marcelin.
- Romain LE GAL
Il faut qu'il y ait du goût.
- Renée RICHARD
Plus qu'un Saint-Félicien, par exemple. Un Saint-Félicien, lui, il a un apport de crème.
- Romain LE GAL
C'est des fromages aussi que tu affines, les Saint-Féliciens ?
- Renée RICHARD
Oui bien sûr. Mais si tu veux, le Saint-Félicien, avec son apport de crème, il est tout de suite plus doux et moins typé que le Saint-Marcelin. Le Saint-Marcelin, il faut qu'il reste typé comme ça.
- Romain LE GAL
Aujourd'hui, dans le cahier des charges, on voit deux types d'affinage en Saint-Marcelin. Toi, sur Lyon, on ne demande pas. Que finalement, chez toi
- Renée RICHARD
chez moi. Alors peut-être qu'ailleurs, ça se passe autrement. Mais chez moi, on me le demande. Ou alors les voyageurs, les gens qui sont de passage, les étrangers qui nous demandent de les emballer spécialement ou de les mettre sous vide, ce que je n'aime pas beaucoup parce que je trouve que ça nuit un peu à la qualité et que ça transforme.
- Romain LE GAL
Des fois, c'est plus pratique pour l'avion et les valises.
- Renée RICHARD
C'est surtout à cause des avions et des douanes. Mais alors à ce moment-là, on nous le demande peu fait. Et ils continuent à le garder un peu à température ambiante chez eux. Mais normalement, on nous le demande très affine. Et c'est comme ça que les gens le réclament.
- Romain LE GAL
Pour revenir un petit peu au début, on a parlé Mère, Mère Richard. Qu'est-ce que c'est qu'une Mère ?
- Renée RICHARD
Alors, c'est celle qui donne à manger. Mais si tu veux, à Lyon, il y a une tradition. C'était plutôt une tradition de restaurant, notamment avec la Mère Brazier, qui d'ailleurs a été un des maîtres d'apprentissage de M. Paul. La Mère Brazier, il y a eu la Mère Filloux, la Mère Léa.
- Romain LE GAL
La Mère Brazier, ça a été la première femme qui a eu trois étoiles au guide Michelin ?
- Renée RICHARD
Trois étoiles à deux endroits. Parce que l'été, elle était au col de la Luère, à la campagne, où les Lyonnais allaient pour prendre un peu la fraîcheur. Et l'hiver, elle était, où le restaurant existe encore d'ailleurs, rue Royale, et où elle avait ses trois étoiles aussi. Elle a eu trois étoiles aux deux endroits. Ça, c'est formidable. C'est la première qui a eu ça. Et c'est même resté la seule. Enfin, bon. Et donc, les mères donnaient à manger. Et puis, il y a eu après une certaine reconnaissance, parce que certaines d'entre elles se sont distinguées comme la Mère Brazier ou la Mère Léa. Et c'était tellement bon, si tu veux, que les adresses se sont communiquées. Et puis, c'est devenu une référence. Et donc, moi, je pense que quand M. Paul a surnommé ma mère la Mère Richard, C'était par reconnaissance.
- Romain LE GAL
Monsieur Paul, c'est la seule Mère qu'il a finalement nommée comme ça ?
- Renée RICHARD
La seule.
- Romain LE GAL
Uniquement la mère Richard.
- Renée RICHARD
Et puis il y avait dans sa vie une autre mère avant qui était la Mère Brazier.
- Romain LE GAL
Donc finalement,
- Renée RICHARD
Qui lui a appris la cuisine.
- Romain LE GAL
Il l'a peut-être retrouvée dans le caractère de ta maman et dans celle de la mère Brazier. Des tempéraments un peu forts.
- Renée RICHARD
Peut-être un peu moins durs parce que les années avaient passé et c'était encore plus, je dirais presque violent. du temps de la mère Brazier. Il a eu deux maîtres d'apprentissage essentiels, la mère Brazier et Point à Vienne. Monsieur Point aussi était un homme d'une personnalité exceptionnelle.
- Romain LE GAL
Toi qui as vu les 50 dernières années, même un petit peu plus maintenant, l'évolution de la gastronomie lyonnaise, comment tu l'as vu évoluer cette gastronomie ?
- Renée RICHARD
Alors, bien sûr qu'il y a toute cette gastronomie d'aujourd'hui des jeunes avec les fast-foods, avec... la cuisine asiatique, que je ne critique pas.
- Romain LE GAL
Avec d'autres saveurs qui viennent d'ailleurs.
- Renée RICHARD
Mais qui est autre chose. Et puis, ça leur permet peut-être de manger aussi un peu moins cher, de se nourrir à moindre frais. Mais la gastronomie résiste bien à Lyon. Je pense qu'en France aussi, tout au moins je l'espère. Parce qu'on peut manger bon et pas trop cher dans un bistrot avec un plat du jour. On n'est pas obligé d'aller dans un gastro quotidiennement. Et je pense que ça résiste bien. Et quand on voit comment les gens continuent à nous demander de la qualité, il faut croire que les clients continuent à être attachés aux bons produits.
- Romain LE GAL
Quand tu sers à la boutique aujourd'hui, par rapport à tout ce qu'on entend dans les médias, etc., Est-ce que les clients sont attentifs au monde agricole pour toi ? Ah oui,
- Renée RICHARD
ça a bien été. Ça, c'est un mouvement qui a bien précédé les barrages des paysans, tout ce qu'on a pu voir au moment du Salon de l'agriculture dernièrement. Les gens ont toujours défendu les paysans et les agriculteurs, toujours. Et moi aussi d'ailleurs. Alors peut-être que... Ils abondaient dans mon sens dans les discussions, j'en sais rien. Mais sans les agriculteurs, on n'est rien. On a vraiment besoin d'eux. C'est eux qui nous nourrissent.
- Romain LE GAL
C'est eux qui nous nourrissent, oui.
- Renée RICHARD
C'est bête à dire, c'est tout simple, mais on a vraiment besoin d'eux. Ils ont un métier ingrat qui n'est pas toujours très bien rémunéré. Donc, moi, je les ai toujours défendus à fond, bien sûr.
- Romain LE GAL
Aujourd'hui, c'est quoi la vie sur les Halles de Lyon ? C'est quoi la vie d'une mère ? Et d'un crémier fromager sur les Halles de Lyon ?
- Renée RICHARD
Alors, un peu comme dans n'importe quelle boutique, je te dirais. Sauf qu'on est un peu les uns sur les autres et qu'on a une fréquentation qui est peut-être un peu plus importante dans la mesure où les gens viennent. Tu vois, il y a un groupe qui vient de passer là.
- Romain LE GAL
On a entendu les valises.
- Renée RICHARD
Les valises. Et puis, c'était un groupe de touristes, tous les étudiants qui viennent. On a beaucoup d'étudiants des écoles de cuisine aussi, tu vois. qui viennent, qui regardent les produits, qui posent des questions. On a aussi tous les touristes. On a les gens du quartier, tout simplement. Et puis les Lyonnais et le Grand Lyon aussi. Toute la périphérie lyonnaise. Les Parisiens qui viennent chercher leur train à la Part Dieu, leur TGV pour rentrer sur Paris. La clientèle est très variée. On a quand même un fond de clientèle fidèle. Le samedi et le dimanche, on a souvent les mêmes visages qui reviennent.
- Romain LE GAL
C'est des gens que tu vois depuis des années.
- Renée RICHARD
Et même,je dirais, de génération en génération. Aussi ? Les générations succèdent. D'accord. Oui, parce qu'ils sont venus gamins avec leurs parents. et continue à venir après.
- Romain LE GAL
C'est ça qu'on attend aussi, c'est d'avoir un petit peu sa Madeleine de Proust.
- Renée RICHARD
Oui, c'est ça. Donc toi,
- Romain LE GAL
la vie sur les Halles, elle commence à quelle heure le matin ? Comment ça s'organise, une journée ?
- Renée RICHARD
Alors, elle commence tôt, parce qu'il y a la réception des marchandises. Donc, réception des marchandises. On a deux casquettes chez la Mère Richard. On sert les particuliers et on sert aussi les restaurants et les hôtels.
- Romain LE GAL
Donc les particuliers, finalement, c'est les gens qui viennent sur le banc. On en a pas.
- Renée RICHARD
Si on n'avait que les particuliers à servir, on pourrait venir à 8h ou 8h30 le matin. Oui,
- Romain LE GAL
c'est la différence entre un fromager et un poissonnier.
- Renée RICHARD
Voilà, mais on vient beaucoup plus tôt parce qu'il faut relever le répondeur, voir les mails pour les commandes des restaurants, des hôtels. Donc,
- Romain LE GAL
les restaurateurs se laissent après leur service, la veille au soir. Voilà,
- Renée RICHARD
le service du soir. Et donc, ça nous permet d'organiser les tournées des chauffeurs qui vont... justement, pour livrer les hôtels, les restaurants, voir si ce n'est pas à Lyon, si c'est par exemple à Paris ou dans le sud, faire des expéditions.
- Romain LE GAL
Et du coup, tu livres beaucoup de restaurateurs sur le Grand Lyonnais ? Ah oui,
- Renée RICHARD
oui, oui, beaucoup.
- Romain LE GAL
Depuis aussi des...
- Renée RICHARD
Depuis très longtemps, depuis très longtemps.
- Romain LE GAL
Ta maman avait déjà commencé ça. J'avais commencé,
- Renée RICHARD
ma mère.
- Romain LE GAL
C'est une activité qui est historique.
- Renée RICHARD
Tout à fait, tout à fait, et qui nous a beaucoup aidés, parce que le fait... que les gens voient Saint-Marcellin-de-la-Mere-Richard sur les cartes des restaurants, ça contribue à la notoriété.
- Romain LE GAL
Et ça, c'est un petit peu grâce à M. Paul également.
- Renée RICHARD
À M. Paul et puis à tous les cuisiniers qui l'ont suivi et qui ont fait la même chose.
- Romain LE GAL
C'est quoi la planche de fromage classique à Lyon dans un bouchon lyonnais ?
- Renée RICHARD
Alors tu sais, on a de la chance parce que Lyon, bon, Saint-Marcellin, Saint-Félicien. Et puis il y a aussi les Savoies avec Roblochon. Tommes, Tommes de vaches, Tommes de chèvres, le Beaufort. Il y a le Jura qui est pas loin avec le Comté. On vend énormément de Comtés. Notamment du Comté 18 mois, on en vend beaucoup, beaucoup. Il y a l'Auvergne qui est toute proche aussi avec le Saint-Nectaire, les Fourmes, voilà. On a vraiment beaucoup de chance.
- Romain LE GAL
Et puis un peu de chèvres aussi ?
- Renée RICHARD
Alors un peu de chèvres avec la Saône-et-Loire, les Charolais, les Maconais. la Drôme beaucoup de petites barattes aussi sur les gastro-lyonnais voilà les barattes plutôt dans les cocktails les barattes, les cocktails, les apéros le sud avec enfin le sud, plus au sud les Picodons les Rigottes de Condrieu tu vois on est vraiment gâtés c'est pour ça que monsieur Paul disait Lyon ne pouvait être que la capitale de la gastronomie avec tous ces produits qui confluent vers Lyon. Et au niveau du fromage, c'est bien le cas. C'est le cas pour d'autres choses aussi. Mais le fromage, presque en premier, je dirais.
- Romain LE GAL
Le vin, c'est vrai que c'est assez central. Il y a proximité aussi avec d'autres pays comme la Suisse, l'Italie, qui apportent encore de la richesse du passage. C'est une très, très belle place, en tout cas pour la gastronomie. Renée, pour terminer, j'ai une dernière question.
- Renée RICHARD
Oui.
- Romain LE GAL
Quelle est ta pizza préférée ?
- Renée RICHARD
Pourquoi tu me parles de pizza après une interview comme ça ? Et pourquoi pas ?
- Romain LE GAL
Parce que la pizza, c'est un plat qui rassemble tout le monde. On est le premier pays consommateur de pizza. Et en fait, on a chacun finalement une pizza préférée.
- Renée RICHARD
Je te dirais toute simple. Pizza, tomate, fromage, anchois, olives noires.
- Romain LE GAL
Anchois, olives noires, ce n'est pas tout simple ça René.
- Renée RICHARD
Ben si. Parce qu'il faut donner un petit peu de goût quand même.
- Romain LE GAL
Oui, il faut un petit peu de goût. Merci beaucoup René.
- Renée RICHARD
Je t'en prie, avec plaisir.
- Romain LE GAL
Je vous remercie de nous avoir écoutés. J'espère que cet épisode vous a plu. N'hésitez pas à le partager et à commenter. Et je vous dis à bientôt pour un prochain épisode de Lait'Change. Aurevoir!