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Épisode 5 · Dans l'imprévu cover
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L' Apéro des "Papas"

Épisode 5 · Dans l'imprévu

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35min |05/12/2024
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L' Apéro des "Papas"

Épisode 5 · Dans l'imprévu

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Description

Avertissement : cet épisode aborde avec sensibilité des expériences de "fausse" couche et deuil d'enfant. Paroles venues du cœur de ces pères un jour plongés dans un imprévu, perturbant ou difficile, mais toujours chargé d'amour.


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L’APÉRO DES PAPAS · 05 · DANS L'IMPRÉVU -

Ingénieur du son · Alexandre Moll -

Organisation · Ulysse Vincent & Barthélémy Lagneau -

Écriture & Réalisation · Daniel Touati -

Musique · Jimmy Whoo -

Montage & Mixage · Maxime Champesme -

Graphisme · Angélique Jordan -

Communication · Marion Tranchant & Jack Weber -

Production · Association AU CALM & Daniel Touati -

Avec le soutien de · Le CALM & La Fondation de France -

Moyens techniques · DCA & Ciel Rouge Studio -

· · ·



Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à l'apéro des papas. S'il vous plaît, enlevez vos chaussures en entrant, car nous sommes à la maison de naissance du calme, comme à la maison, qui accueille en journée des couples et des bébés, et ce soir, notre podcast. Un jeudi par mois, nous avons décidé de nous réunir ici, entre père et futur père, pour questionner cette difficulté d'être l'autre, d'être celui ou celle des deux qui ne portent pas l'enfant. celui ou celle qui cherche la juste place et qui parfois se sent seul et doute. Autour de cette large table en bois, pas de spécialiste de la naissance. Juste nous, des Ausha, comme on dit, qui partageons nos émotions, nos expériences, nos récits de vie. Et une chaise vide, la vôtre, chère auditrice, cher auditeur, qui est là où le bienvenu a nous rejoint. C'est bon ?

  • Speaker #1

    Allez !

  • Speaker #0

    Ce soir, c'est l'épisode 5 de notre podcast Quand les choses ne se passent pas comme prévu Or, c'est vaste. Ça peut autant toucher à l'avant-naissance qu'à la naissance, qu'à l'après-naissance. Donc, comme d'habitude, je commencerai par nous demander de nous présenter.

  • Speaker #1

    Eh bien, je suis Barthélémy, je suis le papa d'une petite fille qui est née il y a un an et demi au calme, et bientôt le papa d'un autre enfant, de genre inconnu.

  • Speaker #2

    Je suis Ulysse, je suis le papa d'Amel, qui a trois ans et demi, et de Noam, qui a six mois.

  • Speaker #3

    Moi c'est Jonathan, je ne suis pas encore papa, mais bientôt. C'est un enfant que j'attends avec Rafaela, ma femme. Et aujourd'hui, le sexe, pour l'instant, il est caché. On ne souhaite pas le dire. Nous, on le sait, mais on ne souhaite pas le dire. Je trouve que c'est un peu plus intime. Et ça me permet de me projeter, moi, un peu plus. C'est mon premier enfant,

  • Speaker #2

    donc. C'est votre petit secret de couple. C'est sympa. Oui,

  • Speaker #3

    complètement.

  • Speaker #0

    Or moi, à l'inverse, je voulais absolument connaître le sexe de mes deux enfants.

  • Speaker #3

    Moi aussi, je veux connaître, mais je ne veux pas le dire. Moi, je me dis, ah oui, tu attends un garçon, tu vas voir, les garçons, c'est comme ça, dès la naissance, tu vas galérer les premiers mois. Ou alors, ah, c'est une fille, tu vas voir, elle va être vraiment très proche de toi et pas du tout de ta femme. Et tout ça, je n'ai pas envie. Donc, j'ai envie de garder ça pour moi et pour ma femme et de faire nos projections nous-mêmes. Et on va voir ce que ça va donner.

  • Speaker #0

    Je suis Daniel, je suis papa de Pablo qui veut fêter son anniversaire de 5 ans et demi la semaine prochaine et de Alice, sa petite sœur, pour laquelle justement on voulait savoir si c'était une fille ou un garçon afin d'annoncer à Pablo s'il aurait un petit frère ou une petite sœur pour rendre ça concret pour lui. Ce thème de ce soir, peut-être justement on ne se connaît pas. Pour toi, comment ça résonne cette idée quand les choses ne se passent pas comme prévu ? Moi,

  • Speaker #3

    il me parle beaucoup parce que je déteste les surprises et j'aime bien un peu tout planifier. Et alors là, ça va être, je crois, la plus grosse surprise de ma vie, je pense, d'avoir un enfant. Et de me dire comment ça va se passer et si ça se passe mal. Parce que concrètement... ne l'ayant pas vécu, ça va être une sacrée épreuve cet accouchement-là. Et je me dis, oui, peut-être que pour moi, quand je vais imaginer que ça se passe mal, finalement, ça va être juste bien se passer.

  • Speaker #1

    Moi, on a plutôt pris le parti de, un peu systématiquement, prévoir le pire. Pour, si quelque chose s'était mal passé, ça aurait été, entre guillemets, prévu. Elle s'est autodiagnostiquée du diabète gestationnel, la macrosomie de l'enfant, l'enfant dans le mauvais sens. Tout ce qui peut mal se passer, le moindre signe était prétexte à monter un scénario du pire.

  • Speaker #3

    Ça ne t'a pas mis une angoisse ?

  • Speaker #1

    Si, bien sûr. À elle plus qu'à moi, d'ailleurs.

  • Speaker #3

    Ah oui ? Mais du coup, ta femme, elle t'a fait imaginer tout le champ du possible, du pire, qui pouvait lui arriver pendant cette grossesse-là ?

  • Speaker #1

    Pas tout, je ne l'ai pas suivi aussi loin à chaque fois, mais tu es obligé d'avoir un minimum d'empathie, parce qu'elle, elle est dans son corps, donc elle est sans ses symptômes, elle est aux premières loges.

  • Speaker #2

    Qui tu es pour lui dire non ? J'ai été un peu marqué par le fait qu'il disait, ma femme essaye de tout imaginer, mais je pense que tu ne peux jamais tout imaginer. Et c'est justement ça l'imprévu, c'est le truc que tu n'as pas pensé. qui arrive et qui...

  • Speaker #3

    Moi, j'adore parler de ça. Parce qu'avec ma femme, j'ai l'impression que tout s'est déroulé un peu comme si on avait déjà tout écrit. C'était un papier à musique, presque. Quand je me suis mis avec elle, de suite, j'ai vu en elle la mère de mes enfants. Et elle, inversement, aussi. On s'est dit, bon, ça serait bien qu'on ait un enfant après le mariage. Et donc, on s'est mariés. Et... Et puis, le voyage de Noce se passe.

  • Speaker #2

    Je dénonce. Désolé.

  • Speaker #3

    Et quelques semaines après, je ne sais plus quand exactement, un matin, elle m'annonce qu'elle est enceinte. Et là, la première chose que je lui dis, c'est déjà ? C'est vraiment écrit comme sur un papier à musique. Tout était déjà prédestiné. Et donc, je n'ai même pas eu le temps de me poser la question. on va pas réussir à avoir un enfant et que bah en fait finalement elle était déjà enceinte pour l'instant tout est dans le comme prévu oui mais tout est dans le comme prévu mais moi

  • Speaker #1

    je suis un petit peu dans ton cas aussi Jonathan dans le sens où pour moi aussi ça a été ça a été rapide ah oui ?

  • Speaker #3

    trop rapide ou ?

  • Speaker #1

    ouais un peu nous en plus on a On a emménagé, on a conçu au même moment, tu vois, ensemble. Et ça prend de court, un peu.

  • Speaker #3

    Ah bah là,

  • Speaker #1

    complètement. Mais...

  • Speaker #3

    Café le matin, c'est d'autre monde.

  • Speaker #1

    Je crois que t'es nécessairement surpris.

  • Speaker #2

    Ouais. J'ai pas la même... Enfin, ça se ressemble un peu, parce que dans le sens où, effectivement, on a... On va dire qu'on a beaucoup planifié. Moi, j'ai été très longtemps avec ma compagne avant d'avoir un enfant. À un moment donné, on a fait un grand voyage et c'était notre idée, c'était de démarrer la conception après ce grand voyage. Voilà, nous, ça n'a pas été du tac au tac. Voilà, on a attendu six mois pour... pour que le bébé arrive dans le ventre de colline. Donc tout ça, c'était tout à fait raisonnable. Mais quand même, le temps d'attente est assez long. Donc j'étais pressé.

  • Speaker #0

    Moi, je rejoins plutôt le groupe de ceux qui ont été étonnés que ça se passe vite.

  • Speaker #2

    Moi, j'ai l'impression que je suis le seul à l'avoir vu.

  • Speaker #0

    Mais je m'étais fait le film que ça serait long, comme toi, Élis. Et du coup, à partir du moment où on a décidé un enfant, hop, ma compagne a été enceinte et je crois qu'on en était tous les deux très étonnés. Ça y est, donc, ah oui, ok, d'accord, super, très bien, et puis même génial. Et puis, très rapidement, les choses se sont emballées, médicalement, et ça nous a pris de court également. Dans le sens que, ben oui, il y a un enfant, donc il faut faire une échographie de datation. Et je me retrouve d'un seul coup une échographie, mais beaucoup trop tôt, avec ce côté Ah ben c'est formidable, il y a un cœur qui bat, je suis ému. Oui, mais le rythme est bizarre, le rythme est lent. À mon avis, l'embryon ne va pas tenir. C'était un mois et demi, deux mois. Une sortie de cette journée-là, un peu, je suis très heureux, mais je suis très triste et très décontenancé. Puis on se retrouve à un café et puis on... On est très énervé contre la personne qui nous a dit ça. On trouve que c'est un peu n'importe quoi, que ça nous a été dit n'importe comment. Et on ne sait pas si on est en train de devoir s'accrocher à un espoir d'un embryon qui doit s'accrocher et vivre ou si on est en train de ne pas vouloir entendre ce qu'on nous dit. C'est-à-dire qu'en fait, statistiquement, cette grossesse ne va pas marcher. Et puis bon, ça se confirme avec d'autres examens que ça ne va pas tenir. Mais en même temps, ça vit encore. Donc comment faire avec ça pendant ces semaines-là ? Et d'un seul coup, ça s'emballe en fait, on s'emballe par les retours des autres dans l'angoisse parce qu'on ne se fait pas de représentation de comment ça va terminer. Donc on passe quelques semaines comme ça, entre eux, il faut que ça se termine au plus vite, médicalement mais comment ? Jusqu'à non, non, ne prenez pas leur voiture parce que quelqu'un nous dit vous prenez la voiture La voiture, c'est des vibrations à cette époque-là et les vibrations, c'est mauvais pour l'embryon. Et en même temps, on nous a dit dans tous les cas, ça va terminer. Donc, on met toutes les chances de notre côté pour quelque chose où tout le monde nous dit il n'y a plus de chance Et donc on finit contre l'avis d'une certaine personne au niveau médical de prendre la voiture, oui faire le long voyage vers l'océan, et puis quitte à vivre ça, peut-être le vivre devant l'océan ça sera quand même mieux. Et puis tout se soulage grâce à la voix d'une sage femme qui nous dit mais en fait c'est naturel ce qui vous arrive. qui dit à un compagne, mais ça s'appelle une fausse couche, oui ça va vous arriver, ça va vous arriver une nuit ou un matin, puis vous allez la traverser, et puis voilà comment ça va se passer, puis l'embryon va sortir, et puis votre corps va créer des contractions, comme pour un accouchement, et puis voilà tel médicament pour la douleur que vous pouvez prendre comme ça, et puis voilà, vous êtes l'homme, et vous allez l'accompagner, et puis c'est la vie, c'est l'existence. Et alors ça... Ça nous a paru juste dès les premières secondes. Oui, ça nous regarde elle et moi. Puis oui, ça va se passer sur le moment comme ça doit se passer. Puis ça ne s'est pas passé au bord de l'océan. On est revenu, puis on l'a vécu ensemble dans cette soirée-là. Et puis ça a été une expérience évidemment difficile de voir sa douleur. Puis elle était transparente, vraiment. Et en même temps, j'ai compris que je pouvais avoir toute confiance dans cette femme. Que je me suis dit, elle est vraiment en train de le traverser. Et quelque part, cet événement, cette fausse couche, ce premier enfant, Cette première possibilité d'enfant, vu son âge, je ne sais pas comment dire, nous a permis de confirmer que oui, on voulait un enfant, que oui, on était capable ensemble de traverser des épreuves fortes, et que maintenant, on savait ce qu'on ne voulait pas au niveau médical, et on savait ce qu'on voulait. Et de là est née la volonté de ma compagne d'aller vers plus de douceur dans l'accompagnement de la naissance, en fin de compte. Donc ça nous a énormément rapprochés. Moins de médicaments. Et c'est un enfant à qui on a fait une petite pierre au bord d'une plage, très symbolique et très rituel. Mais d'un seul coup, on était associés ensemble avec la possibilité d'un être. Et en fin de compte, c'est une expérience que je ne vois que positive aujourd'hui. Souvent, on dit que la fausse couche, c'est une expérience dure. Alors oui, c'est une expérience dure. Mais en termes de couple et de récit de notre famille, je n'ai pas encore trop eu le temps de le partager avec mon fils. Mais je pense que je le ferai dans peu de temps.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est une pierre que vous pouvez revenir voir ou c'est une pierre qui a été emmenée par les flots ?

  • Speaker #0

    Le rocher, l'endroit, le rocher, je pense qu'il sera là encore quelques milliers d'années. La petite pierre sous terre, sous le sable, elle sera emportée quand la nature en décidera.

  • Speaker #3

    Ça pose la question aussi, à quel moment tu le dis aussi à ta famille, tes amis, parce que potentiellement, il y a cet imprévu là qui arrive. Et est-ce que tu as envie que ta famille t'accompagne là-dedans ou justement, tu as envie de le garder pour toi et pour le couple ? C'est un peu compliqué.

  • Speaker #1

    Tu peux te retrouver seul avec ça.

  • Speaker #2

    C'est une excellente question et je pense que tu te dis forcément sur le moment. Plus il y aura de monde au courant, plus ils vont me le renvoyer dans la gueule et plus la douleur va être dure. Et au final, pour l'avoir vécu de mon côté aussi, je pense que plus il y a de monde au courant, finalement plus c'est facile à vivre parce que c'est aussi un entourage.

  • Speaker #1

    J'ai une histoire un peu particulière qui fait un peu écho à la tienne, Daniel. C'est que mon deuxième enfant, là, que j'attends maintenant, il était envisagé, mais il n'était pas prévu. Et sur tout le premier trimestre de grossesse, ma compagne a fait un truc qui est assez commun, mais pas très connu, qui est une dépression du prépartum. Et ça rejoint un peu ce que tu dis, Daniel, parce que... J'ai passé trois mois avec un enfant de Schrödinger. Je ne savais pas si ce serait un enfant ou si ce serait un avortement. On est allé assez loin dans plusieurs plannings familiales successivement. On s'est arrêté avant le petit cachet qui rend la chose un peu irrémédiable. Et ouais, ça c'est dur. Et c'est d'autant plus dur que comme... La continuation de cette grossesse était suspendue à une autre décision. Et que notre décision était fonction de sa dépression, d'une maladie. Mais à l'époque, on ne le savait pas. Et puis quand on est dedans, on ne sait pas ce qui dépend de la maladie. Comme la dépression, ça joue sur les ressentis. Tu ne peux plus faire confiance à ce que tu ressens. Tu fais confiance à quoi ? Et ça a été compliqué d'en parler. Parce que... On en a vraiment parlé à très très peu de gens, à des gens dont on était sûr qu'ils étaient capables de comprendre, qu'ils étaient capables de ne pas trop investir émotionnellement. Enfin, typiquement, la famille, ce n'était pas possible. Parce que les grands-parents, tu leur dis, votre petit enfant, peut-être, mais peut-être pas. Et ça va dépendre de ce qu'on va décider, parce que là, tout de suite, on n'est pas en état de savoir. Tu ne peux pas annoncer ça. Donc ça a été des mois assez compliqués. Mais on l'a traversé et ma femme a retrouvé le sourire et est redevenue la personne que je connais. Et cette grossesse s'est poursuivie et les choses sont rentrées dans l'ordre.

  • Speaker #3

    Ça a duré combien de temps, cette période-là ?

  • Speaker #1

    Le premier trimestre, trois mois.

  • Speaker #3

    Trois mois ? Et puis ça, ce n'est pas quelque chose sur lequel on se prépare à l'école. À l'école, on ne parle pas de ça, tu vois, ou même ailleurs.

  • Speaker #0

    Et ça revient un peu à ce que tu disais aussi, Ulysse. Tout à l'heure, tu disais en fin de compte, on croit qu'en se taisant, ça va être plus facile parce que justement, ça réactive la douleur de parler à tout le monde. Et toi, tu disais, ta propre expérience, c'est qu'au contraire... De parler, ça aide beaucoup. C'est de la chaleur humaine.

  • Speaker #2

    Même si c'est très difficile de le dire, parce que ça demande de raconter à nouveau, de te replonger dans ces moments difficiles. Et pour la société aussi, comme tu dis, de parler des fausses couches, c'est essentiel. Je pense que c'est de parler des bébés morts, c'est essentiel. Donc moi, mon expérience, c'est que ma première fille est décédée peu après la naissance. Je t'ai parlé de mes deux enfants, mais j'en ai une troisième, qui s'appelle Léonore, et qui est décédée peu après sa naissance. Pour le coup, nous, la question ne s'est pas posée de le garder secret, puisque notre grossesse était arrivée à terme, jusqu'à même la naissance, donc tout le monde savait. Mais par contre, on a quand même fait une démarche volontaire de non seulement ne pas le garder secret, mais le diffuser le plus largement possible. On a fait une cérémonie pour son enterrement. Enfin, ce n'était pas son enterrement, mais une cérémonie en tout cas. Et on a invité des gens qui n'étaient pas du tout au courant de la question. grossesse j'ai invité des collègues j'ai invité vraiment tout le monde autour de moi avec dans cette idée que que justement je voulais pas me retrouver avec dans la situation où dans deux mois quelqu'un je me retrouve face à quelqu'un qui n'est pas du tout au courant de ce qui m'est arrivé voilà mais pourtant c'est arrivé même des gens qui étaient tout à fait au courant Comme c'est très difficile de parler des enfants morts, finalement, il y a beaucoup de gens qui ont fait comme si rien ne s'était passé par la suite. C'est très difficile à vivre. Donc nous, on a fait ce choix-là pour ces raisons-là et je ne regrette vraiment pas. On a pu se confier ici, on a pu partager, on était entouré avec des personnes qui parlent le vrai, comme tu disais. Pour votre fausse couche, Daniel, effectivement, des mots simples et sincères, ça aide beaucoup.

  • Speaker #0

    Parce que du coup, à ce moment-là, vous, toi et ta compagne, vous avanciez sans modèle.

  • Speaker #2

    Non, parce que pour le coup, là, ce qui nous est arrivé, c'est l'imprévu total. C'est avoir un enfant qui va mourir, c'est pas... C'est pas quelque chose que tu peux prévoir pour le coup. Tu peux essayer d'anticiper. Je pense que tu peux essayer d'anticiper toutes les galères du monde. Ça, c'est de l'ordre de l'impensable, en fait. Donc là, on est dans l'imprévu total. Mais voilà.

  • Speaker #3

    Et ça, votre couple, vous avez réussi à le traverser grâce justement à ta famille, tout ça ?

  • Speaker #2

    Je pense, oui. Oui, je pense grâce au fait qu'on en parle, grâce au fait que notre couple était fort depuis longtemps. On a fêté nos 17 ans ensemble de vie commune, donc on était à 10 ans de vie commune à 11 ans au moment de Léonore. Oui, on l'a traversé. Bon, il se trouve qu'on est dans une situation particulière au CAM, c'était qu'on s'était lancé à ce moment-là, il y avait des ateliers d'écriture qui existaient. Et nos proches, effectivement, le fait qu'on ait fait une cérémonie, le fait qu'on ait écrit, qu'on ait une tombe. beaucoup de choses qu'on a faites après je sais pas peut-être que on aurait pu faire les choses très différemment et qu'on aurait aussi bien vécu ça c'est difficile à dire en tout cas je peux juste raconter ce que nous on a fait et je peux dire qu'on l'a bien vécu on l'a bien vécu parce que on se sent toujours fort de ça en fait c'est une expérience qu'on qu'on regrette pas et qu'on chérit même notre premier accouchement était formidable c'était un moment un moment absolument génial qui est dans nos cœurs à vie.

  • Speaker #3

    Et t'as pas eu peur après pour les enfants ? Après, par la suite, ça a pas été une angoisse ?

  • Speaker #2

    Un petit peu, un petit peu, mais moins que nos proches.

  • Speaker #0

    Ah ouais ? Moi, j'ai toujours eu la sensation en t'entendant parler de Léonard, d'Amel et puis plus récemment, en plus de Noam. Ouais. qu'en fin de compte, les questions tabou appartiennent plutôt aux autres. C'est presque le regard des autres personnes qui pourrait mettre dessus des tabous ou des différences, plutôt que vous.

  • Speaker #2

    Oui, après, de fait, on met nos propres tabous certainement, et du coup, ceux qu'on a mis, nous, ne sont pas du tout évoqués, donc ne sont pas perçus.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as envie, Ulysse, puisque tu parlais de l'atelier d'écriture, que tu avais commencé avant la naissance de Léonore et que tu as continué après, de nous partager le texte que tu as écrit à cette époque-là ? Est-ce que pour toi, ça te paraît un bon moment, adapté ?

  • Speaker #2

    Je veux bien, je vais demander l'allure de Jonathan, parce que lui, il va être papa. Donc, c'est un texte... Du coup, effectivement, j'avais commencé à écrire des textes... Avant la naissance, après la naissance, évidemment, tout ça a changé. Donc finalement, c'est devenu un texte où je décris relativement précisément tout ce qui m'est arrivé, donc l'accouchement, la naissance, et après la réanimation et le décès. Donc c'est peut-être un peu lourd pour toi d'entendre ça aujourd'hui. Donc voilà, tu as le droit de dire que ce n'est pas le bon moment.

  • Speaker #3

    Non, je pense que c'est... Là, ça a mis beaucoup de sérieux. Au début, j'étais... Moi, je suis arrivé un peu... Tu vois, c'est les oiseaux et tout ça.

  • Speaker #2

    Désolé.

  • Speaker #3

    Non, non, non, mais c'est bien parce que je ne suis pas assez terre à terre. Et c'est vrai, je voulais rajouter un truc aussi sur le fait que c'est l'impensable, mais c'est aussi parce que c'est un peu le sacré. On n'imagine pas qu'une âme aussi innocente puisse partir si vite. Et je pense que c'est important justement que... Moi, je ne l'ai jamais envisagé encore pour l'instant.

  • Speaker #2

    Je ne te souhaite pas de l'envisager. Non, non, non,

  • Speaker #3

    mais il faut quand même le garder à l'esprit, potentiellement une petite porte ouverte là-dessus. Et je pense que c'est bien justement que tu en parles.

  • Speaker #2

    Merci. Et je pense que ce n'est pas inutile, même si je ne te souhaite pas de l'envisager, comme je l'ai dit, même si ça crée des angoisses potentiellement. Forcément.

  • Speaker #0

    Tu vois, tu dis de le raconter, ça crée des angoisses. Moi, j'aurais envie de dire, ça dépend pour qui. Moi, avant moi et mon frère, il y a eu une sœur. Donc, une grande sœur dans les années de naissance, mais que je n'ai jamais connue puisqu'elle est morte juste avant la naissance. D'entendre ces récits-là... Moi, ça ne me crée pas d'angoisse, ça me soulage. Et donc, ce n'est plus l'inquiétude d'un mystère, c'est en parler entre nous. Donc non, pour te dire, moi, je ne le reçois pas comme une angoisse. Au contraire, je le reçois comme un soulagement.

  • Speaker #2

    Ok. Notre Barthes aussi. Oui. Alexandre, au fond de la salle. Du coup, je me permets d'aller pisser avant. Oui.

  • Speaker #0

    donc ça c'est le texte que tu as écrit en L'atelier d'écriture.

  • Speaker #2

    Voilà, c'est un texte qui date du coup de 2018, de la naissance de Léonore. Et son titre c'est 30 ans, 9 mois et 2 jours, qui correspond à mon temps d'attente de devenir papa. Un peu avant midi, le téléphone sonne. C'est ta mère. Elle a des contractions depuis ce matin et ça s'intensifie. Neuf mois que je tourne autour du ventre de ta mère comme un gamin impatient qui attend son jouet. On se calme. Respiration, méditation, zen. Je vais te voir, ma fille. J'exploserai de joie à ce moment-là. Quand je vous rejoins enfin, je me mêle, enthousiaste, à ce marathon dans lequel vous êtes toutes deux engagées. Une course de fond, calme, apaisée et délicatement orchestrée. Ta naissance, mon amour. Quand nous arrivons au calme, Eva, notre sage-femme, nous accueille chaleureusement. Notre chambre sent bon la lavande, la fraîcheur et un bain chaud et coulé. Ta mère s'y plonge sans attendre, pendant que je déballe nos affaires. Je pose notre lampe comme un conquérant marquant son nouveau territoire. J'installe nos bougies longue durée dans des petites soucoupes que je répartis à même le sol de la pièce. Eva m'aide à installer nos draps sur le lit et il ne me reste plus qu'à démarrer la musique. Eva nous sert une tisane qui ne sera jamais bue. Car les vagues de contraction nous laissent déjà peu de répit. Si ta mère est un navire, violemment chahuté par une mer agitée, je suis ses gréments, solidement fixés à sa proue. Certes, protégé de la fureur des flots, mais balotté au rythme des secousses. Au fur et à mesure que la nuit s'épaissit, le travail devient plus intense, plus rythmé. Ces contractions sont profondes, régulières. Ta mère mène la danse, nous commandant nos gestes, nous contraignant nos positions, nous rythmant nos respirations, chorégraphiant ainsi un spectacle bouleversant, intime et profondément sensuel. Se glissant péniblement jusqu'au lit, elle est immobilisée par une intense contraction. L'atmosphère change, car ta tête vient de s'engager dans le bassin. Ta mère, que je croyais à bout de force, va se mettre à pousser. mobilisant une énergie nouvelle, puissante, insoupçonnée, pour permettre ta venue au monde. Je m'arrête un instant pour contempler et fixer dans ma mémoire ce moment magique que nous partageons, instant suspendu, que le jour baigne toujours plus de sa lumière, illuminant ainsi une scène profondément intime, gracieuse, une page de vie d'une intensité incomparable. Je fixe ces souvenirs pour ne rien oublier, quand les jours viendront où tu me demanderas de te raconter. Mais même les instants suspendus ont une fin. À 8h03, ton arrivée me ramène dans l'instant présent. Eva nous invite à nous redresser pour te contempler au milieu de nos corps emmêlés. Léonore. Tu nais violette foncée, avec le crâne en forme d'obus, des cheveux bien présents, deux petits yeux, fermés pour le moment, un nez, une bouche, quatre membres et un tronc qui se remue délicatement sur le matelas, cherchant du confort dans ce nouvel environnement. Tu clignes les yeux, ouvres la bouche et pousses un petit cri. Mais quelque chose s'arrête. Comment aurions-nous pu voir qu'Eva commençait à s'inquiéter ? Comment aurions-nous pu comprendre, quand elle nous demande de t'appeler par ton prénom, qu'elle essayait de déclencher une décharge d'adrénaline pour relancer ton cœur, ma chérie ? Nos appels ne suffisent pas. Eva doit couper le cordon plus vite que prévu pour t'apporter des soins. Le temps de le dire, en quelques gestes précis, le cordon est coupé. Elle te saisit pour t'emmener sur une table à longer, pendant qu'Emma rentre une roulante de matériel d'urgence. Pendant que jette ta mère à s'allonger sur le lit, Eva et Emma t'aspirent une grande quantité de liquide des poumons. Ton cœur repart. Mais tu ne parviens pas à respirer seul. Tu as bu une sacrée tasse et tes poumons restent gorgés d'un liquide gluant, terriblement difficile à éliminer. À 8h05, tu rejoins la salle de réanimation de la maternité des Bluets, à l'état supérieur, où ta prise en charge nous échappe définitivement. Ma petite fille chérie, toi qui es si parfaite, tu vas forcément te remettre. Tu vas redescendre, nous te prendrons dans nos bras et enfin, mon cœur explosera du bonheur d'être ton papa. Mais ce n'est que 50 minutes plus tard que je vais te revoir, seule, dans une petite salle entourée de personnel soignant. Que tu es belle. Une délicate teinte rosée, tu agites tes membres au son de ma voix, tu vas même me montrer tes jolis yeux l'espace d'un instant. Brûlant d'envie de les revoir, je te chante une berceuse et te caresse les bras. Tu ne les ouvriras plus. Des torrents d'émotions contradictoires s'entrechoquent dans mon cœur. Mon amour, je suis si inquiet. Quel soulagement de te voir. Il faudra trois heures pour que le SAMU soit prêt à te transférer au centre de réanimation de Créteil. Tu as pu passer faire un coucou à ta maman et nous te laissons au Grouny, ton petit chien en peluche, pour voyager avec toi. Mais tu es déjà bien en peine, en lutte pour ta survie, et j'ai bien peur que nous ne t'apportions que peu de réconfort. Je fais le voyage avec toi, sirène hurlante sur le périphérique. Suis-je inquiet ? Certainement, mais résolument positif. Je mange une banane dans l'ambulance pour reprendre des forces. A l'arrivée, mon optimisme va prendre un sacré coup. Ils envisagent de te mettre sous combinaison hypothermique pendant trois jours. Je prends peur. Je m'assure qu'ils ont besoin de mon accord pour engager le traitement. La médecin prend peur à son tour. Elle veut me faire signer un papier les autorisant à t'opérer. Je panique. Je suis confronté à une décision imprenable, ne pouvant mesurer ni le danger qui pèse sur toi, ni ton ressenti sur ta médicalisation à marche forcée. Est-ce là mon rôle de père, de voir trancher entre deux inacceptables ? On me permet de te voir, finalement. Tu respires mieux, tu as été réintubé, mais tu as l'air faible. Tu ne réagis plus à ma voix, à mon toucher. À la recherche d'un espace vert, je trouve le bord d'un canal, puis je déverse mes larmes sur ce ponton en bois au-dessus de l'eau. Le lendemain. Le lendemain, quand j'arrive à l'hôpital, ta mère me fait rire en décrivant ses multiples examens à répétition et ses aventures au service des suites de couches. Elle t'a vu ce matin. Il semblerait que tu n'aies pas passé une super nuit. Les médecins veulent nous en parler. Ça tombe bien, car elle me tarde de te voir. Nous sommes heureux de te dire bonjour ensemble, de te retrouver après une nuit de sommeil qui a finalement clos cette journée à rallonge. Bienvenue dans ton deuxième jour de vie ma chérie. On nous permet de t'avoir dans nos bras, enfin. Mobilisant trois infirmières, on te place dans les bras de ta maman, puis de ton papa. Tu rencontres tes grands-parents, tes tantes, nous prenons des photos, te couvrons de bisous, nous sommes presque heureux dans notre malheur. Nous profitons des heures les plus intimes qui nous a été donné de vivre avec toi. À la fin du jour, je t'ai dans mes bras pour la deuxième fois de ma vie, mais la tienne est déjà en train de s'échapper. Tes forces t'abandonnent petit à petit, rompues à l'effort constant que tu accomplis depuis ta naissance pour vivre. Ton corps est maintenant complètement dévitalisé. Ce soir tu vas partir et tes efforts seront terminés. J'accouche de tous mes espoirs, de tous mes désirs de te connaître, t'accompagner, te suivre, te regarder, te materner, te voir rigoler, aimer, rêver. Je perds les os. C'est si soudain, c'est trop rapide. Je n'étais pas préparé. Pas d'Eva pour m'aider. Ta mère suit encore des examens pour sa sortie. Je suis seul, avec toi dans mes bras dont la vie s'enfuit. J'hurle par tous les ports de ma peau pour que tu m'entendes et que tu saches quand tu partiras tout l'amour que j'ai pour toi. C'est au tour de ton cœur de rendre son dernier combat. Ton rythme cardiaque ralentit doucement. On te place dans les bras de ta mère, on supprime une à une les machines et les tuyaux qui te maintiennent avec nous, et tu t'éteins calmement à la fin de ce deuxième jour de ta courte vie. Nouvelle contraction, indolore. Était-ce la délivrance ? Merci d'avoir écouté. J'aime beaucoup, beaucoup ce texte.

  • Speaker #0

    À qui l'as-tu lu ?

  • Speaker #2

    Alors, figure-toi que nous avons fait un spectacle, donc je l'ai lu à une bonne centaine de personnes qui étaient présentes à ce spectacle. On a fait une lecture commune avec Colline, donc on a mélangé nos deux textes.

  • Speaker #3

    Je pense que c'est important que tu le dises aux autres, parce que pour moi, ça m'a touché et je pense que j'en avais besoin. Donc, je te remercie là-dessus. Là, j'aurais tellement de questions.

  • Speaker #2

    La naissance, tu veux dire ?

  • Speaker #3

    Non, après ce moment-là qui t'est arrivé, parce que moi, j'aurais eu tellement de colère en moi. Que ça me soit arrivé, j'en aurais voulu à la terre entière. Je ne sais pas si toi, tu es passé par toutes ces étapes-là ou quoi, mais...

  • Speaker #2

    Peut-être.

  • Speaker #0

    Après le texte que tu nous as lu sur Léonore, justement, toi, comment tu as envisagé et comment tu as vu la naissance d'Amel ou comment tu as vu la naissance de Noam ?

  • Speaker #2

    Tu parles de comment tu voyais l'accouchement ?

  • Speaker #0

    Oui, comment tu as abordé, comment tu allais vers les autres naissances.

  • Speaker #2

    Je ne vois pas trop de changements, à part qu'on avait ça en tête. Notamment pour Amel, on avait un peu peur que la même chose se reproduise, ce qui est un peu insensé, parce que c'est très très rare. C'est naturel. mais voilà c'est un peu peur je voyais je m'imaginais un accouchement assez long et j'avais peur effectivement d'avoir peur d'un accouchement long bon bah c'était un accouchement très rapide pour les deux autres quand j'entends vos témoignages moins rapide que vous mais par rapport à léonard très rapide Mais du coup, en tout cas, d'avoir vécu Amel et Noam, je peux confirmer ce que disait Sage-Femme, que chaque enfant est différent et du coup, chaque âge couchant est différent et l'histoire ne se répète pas.

  • Speaker #3

    Et c'est vrai que ce qui a fait du bien un petit peu aujourd'hui avec justement toutes ces langues qui se délient ou alors toutes ces informations qui se transmettent, c'est qu'auparavant, moi, je m'imaginais un petit peu... l'accouchement comme ce qu'on voit dans les films et c'est pas du tout ça concrètement donc non donc c'est bien d'avoir un peu ce panel là qui permet à la fois de prendre un peu de recul et puis de se dire ben c'est c'est un peu l'inconnu et puis ben on y va quoi donc

  • Speaker #0

    Merci. C'est toujours précieux d'avoir quelqu'un qui en apprend.

  • Speaker #1

    L'Apéro des papas, un podcast enregistré par Alexandre Molle, monté et mixé par Maxime Champême, organisé par Ulysse Vincent et Barthélémy Lagneux, écrit et réalisé par Daniel Toiti. Musique composée par Jimmy Hu, produit par l'association Au Calme avec le soutien de la Fondation de France. Moyens techniques fournis par DCA et Ciel Rouge Studio. Au prochain épisode, nous parlerons d'être à la fois père et homme.

Description

Avertissement : cet épisode aborde avec sensibilité des expériences de "fausse" couche et deuil d'enfant. Paroles venues du cœur de ces pères un jour plongés dans un imprévu, perturbant ou difficile, mais toujours chargé d'amour.


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L’APÉRO DES PAPAS · 05 · DANS L'IMPRÉVU -

Ingénieur du son · Alexandre Moll -

Organisation · Ulysse Vincent & Barthélémy Lagneau -

Écriture & Réalisation · Daniel Touati -

Musique · Jimmy Whoo -

Montage & Mixage · Maxime Champesme -

Graphisme · Angélique Jordan -

Communication · Marion Tranchant & Jack Weber -

Production · Association AU CALM & Daniel Touati -

Avec le soutien de · Le CALM & La Fondation de France -

Moyens techniques · DCA & Ciel Rouge Studio -

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à l'apéro des papas. S'il vous plaît, enlevez vos chaussures en entrant, car nous sommes à la maison de naissance du calme, comme à la maison, qui accueille en journée des couples et des bébés, et ce soir, notre podcast. Un jeudi par mois, nous avons décidé de nous réunir ici, entre père et futur père, pour questionner cette difficulté d'être l'autre, d'être celui ou celle des deux qui ne portent pas l'enfant. celui ou celle qui cherche la juste place et qui parfois se sent seul et doute. Autour de cette large table en bois, pas de spécialiste de la naissance. Juste nous, des Ausha, comme on dit, qui partageons nos émotions, nos expériences, nos récits de vie. Et une chaise vide, la vôtre, chère auditrice, cher auditeur, qui est là où le bienvenu a nous rejoint. C'est bon ?

  • Speaker #1

    Allez !

  • Speaker #0

    Ce soir, c'est l'épisode 5 de notre podcast Quand les choses ne se passent pas comme prévu Or, c'est vaste. Ça peut autant toucher à l'avant-naissance qu'à la naissance, qu'à l'après-naissance. Donc, comme d'habitude, je commencerai par nous demander de nous présenter.

  • Speaker #1

    Eh bien, je suis Barthélémy, je suis le papa d'une petite fille qui est née il y a un an et demi au calme, et bientôt le papa d'un autre enfant, de genre inconnu.

  • Speaker #2

    Je suis Ulysse, je suis le papa d'Amel, qui a trois ans et demi, et de Noam, qui a six mois.

  • Speaker #3

    Moi c'est Jonathan, je ne suis pas encore papa, mais bientôt. C'est un enfant que j'attends avec Rafaela, ma femme. Et aujourd'hui, le sexe, pour l'instant, il est caché. On ne souhaite pas le dire. Nous, on le sait, mais on ne souhaite pas le dire. Je trouve que c'est un peu plus intime. Et ça me permet de me projeter, moi, un peu plus. C'est mon premier enfant,

  • Speaker #2

    donc. C'est votre petit secret de couple. C'est sympa. Oui,

  • Speaker #3

    complètement.

  • Speaker #0

    Or moi, à l'inverse, je voulais absolument connaître le sexe de mes deux enfants.

  • Speaker #3

    Moi aussi, je veux connaître, mais je ne veux pas le dire. Moi, je me dis, ah oui, tu attends un garçon, tu vas voir, les garçons, c'est comme ça, dès la naissance, tu vas galérer les premiers mois. Ou alors, ah, c'est une fille, tu vas voir, elle va être vraiment très proche de toi et pas du tout de ta femme. Et tout ça, je n'ai pas envie. Donc, j'ai envie de garder ça pour moi et pour ma femme et de faire nos projections nous-mêmes. Et on va voir ce que ça va donner.

  • Speaker #0

    Je suis Daniel, je suis papa de Pablo qui veut fêter son anniversaire de 5 ans et demi la semaine prochaine et de Alice, sa petite sœur, pour laquelle justement on voulait savoir si c'était une fille ou un garçon afin d'annoncer à Pablo s'il aurait un petit frère ou une petite sœur pour rendre ça concret pour lui. Ce thème de ce soir, peut-être justement on ne se connaît pas. Pour toi, comment ça résonne cette idée quand les choses ne se passent pas comme prévu ? Moi,

  • Speaker #3

    il me parle beaucoup parce que je déteste les surprises et j'aime bien un peu tout planifier. Et alors là, ça va être, je crois, la plus grosse surprise de ma vie, je pense, d'avoir un enfant. Et de me dire comment ça va se passer et si ça se passe mal. Parce que concrètement... ne l'ayant pas vécu, ça va être une sacrée épreuve cet accouchement-là. Et je me dis, oui, peut-être que pour moi, quand je vais imaginer que ça se passe mal, finalement, ça va être juste bien se passer.

  • Speaker #1

    Moi, on a plutôt pris le parti de, un peu systématiquement, prévoir le pire. Pour, si quelque chose s'était mal passé, ça aurait été, entre guillemets, prévu. Elle s'est autodiagnostiquée du diabète gestationnel, la macrosomie de l'enfant, l'enfant dans le mauvais sens. Tout ce qui peut mal se passer, le moindre signe était prétexte à monter un scénario du pire.

  • Speaker #3

    Ça ne t'a pas mis une angoisse ?

  • Speaker #1

    Si, bien sûr. À elle plus qu'à moi, d'ailleurs.

  • Speaker #3

    Ah oui ? Mais du coup, ta femme, elle t'a fait imaginer tout le champ du possible, du pire, qui pouvait lui arriver pendant cette grossesse-là ?

  • Speaker #1

    Pas tout, je ne l'ai pas suivi aussi loin à chaque fois, mais tu es obligé d'avoir un minimum d'empathie, parce qu'elle, elle est dans son corps, donc elle est sans ses symptômes, elle est aux premières loges.

  • Speaker #2

    Qui tu es pour lui dire non ? J'ai été un peu marqué par le fait qu'il disait, ma femme essaye de tout imaginer, mais je pense que tu ne peux jamais tout imaginer. Et c'est justement ça l'imprévu, c'est le truc que tu n'as pas pensé. qui arrive et qui...

  • Speaker #3

    Moi, j'adore parler de ça. Parce qu'avec ma femme, j'ai l'impression que tout s'est déroulé un peu comme si on avait déjà tout écrit. C'était un papier à musique, presque. Quand je me suis mis avec elle, de suite, j'ai vu en elle la mère de mes enfants. Et elle, inversement, aussi. On s'est dit, bon, ça serait bien qu'on ait un enfant après le mariage. Et donc, on s'est mariés. Et... Et puis, le voyage de Noce se passe.

  • Speaker #2

    Je dénonce. Désolé.

  • Speaker #3

    Et quelques semaines après, je ne sais plus quand exactement, un matin, elle m'annonce qu'elle est enceinte. Et là, la première chose que je lui dis, c'est déjà ? C'est vraiment écrit comme sur un papier à musique. Tout était déjà prédestiné. Et donc, je n'ai même pas eu le temps de me poser la question. on va pas réussir à avoir un enfant et que bah en fait finalement elle était déjà enceinte pour l'instant tout est dans le comme prévu oui mais tout est dans le comme prévu mais moi

  • Speaker #1

    je suis un petit peu dans ton cas aussi Jonathan dans le sens où pour moi aussi ça a été ça a été rapide ah oui ?

  • Speaker #3

    trop rapide ou ?

  • Speaker #1

    ouais un peu nous en plus on a On a emménagé, on a conçu au même moment, tu vois, ensemble. Et ça prend de court, un peu.

  • Speaker #3

    Ah bah là,

  • Speaker #1

    complètement. Mais...

  • Speaker #3

    Café le matin, c'est d'autre monde.

  • Speaker #1

    Je crois que t'es nécessairement surpris.

  • Speaker #2

    Ouais. J'ai pas la même... Enfin, ça se ressemble un peu, parce que dans le sens où, effectivement, on a... On va dire qu'on a beaucoup planifié. Moi, j'ai été très longtemps avec ma compagne avant d'avoir un enfant. À un moment donné, on a fait un grand voyage et c'était notre idée, c'était de démarrer la conception après ce grand voyage. Voilà, nous, ça n'a pas été du tac au tac. Voilà, on a attendu six mois pour... pour que le bébé arrive dans le ventre de colline. Donc tout ça, c'était tout à fait raisonnable. Mais quand même, le temps d'attente est assez long. Donc j'étais pressé.

  • Speaker #0

    Moi, je rejoins plutôt le groupe de ceux qui ont été étonnés que ça se passe vite.

  • Speaker #2

    Moi, j'ai l'impression que je suis le seul à l'avoir vu.

  • Speaker #0

    Mais je m'étais fait le film que ça serait long, comme toi, Élis. Et du coup, à partir du moment où on a décidé un enfant, hop, ma compagne a été enceinte et je crois qu'on en était tous les deux très étonnés. Ça y est, donc, ah oui, ok, d'accord, super, très bien, et puis même génial. Et puis, très rapidement, les choses se sont emballées, médicalement, et ça nous a pris de court également. Dans le sens que, ben oui, il y a un enfant, donc il faut faire une échographie de datation. Et je me retrouve d'un seul coup une échographie, mais beaucoup trop tôt, avec ce côté Ah ben c'est formidable, il y a un cœur qui bat, je suis ému. Oui, mais le rythme est bizarre, le rythme est lent. À mon avis, l'embryon ne va pas tenir. C'était un mois et demi, deux mois. Une sortie de cette journée-là, un peu, je suis très heureux, mais je suis très triste et très décontenancé. Puis on se retrouve à un café et puis on... On est très énervé contre la personne qui nous a dit ça. On trouve que c'est un peu n'importe quoi, que ça nous a été dit n'importe comment. Et on ne sait pas si on est en train de devoir s'accrocher à un espoir d'un embryon qui doit s'accrocher et vivre ou si on est en train de ne pas vouloir entendre ce qu'on nous dit. C'est-à-dire qu'en fait, statistiquement, cette grossesse ne va pas marcher. Et puis bon, ça se confirme avec d'autres examens que ça ne va pas tenir. Mais en même temps, ça vit encore. Donc comment faire avec ça pendant ces semaines-là ? Et d'un seul coup, ça s'emballe en fait, on s'emballe par les retours des autres dans l'angoisse parce qu'on ne se fait pas de représentation de comment ça va terminer. Donc on passe quelques semaines comme ça, entre eux, il faut que ça se termine au plus vite, médicalement mais comment ? Jusqu'à non, non, ne prenez pas leur voiture parce que quelqu'un nous dit vous prenez la voiture La voiture, c'est des vibrations à cette époque-là et les vibrations, c'est mauvais pour l'embryon. Et en même temps, on nous a dit dans tous les cas, ça va terminer. Donc, on met toutes les chances de notre côté pour quelque chose où tout le monde nous dit il n'y a plus de chance Et donc on finit contre l'avis d'une certaine personne au niveau médical de prendre la voiture, oui faire le long voyage vers l'océan, et puis quitte à vivre ça, peut-être le vivre devant l'océan ça sera quand même mieux. Et puis tout se soulage grâce à la voix d'une sage femme qui nous dit mais en fait c'est naturel ce qui vous arrive. qui dit à un compagne, mais ça s'appelle une fausse couche, oui ça va vous arriver, ça va vous arriver une nuit ou un matin, puis vous allez la traverser, et puis voilà comment ça va se passer, puis l'embryon va sortir, et puis votre corps va créer des contractions, comme pour un accouchement, et puis voilà tel médicament pour la douleur que vous pouvez prendre comme ça, et puis voilà, vous êtes l'homme, et vous allez l'accompagner, et puis c'est la vie, c'est l'existence. Et alors ça... Ça nous a paru juste dès les premières secondes. Oui, ça nous regarde elle et moi. Puis oui, ça va se passer sur le moment comme ça doit se passer. Puis ça ne s'est pas passé au bord de l'océan. On est revenu, puis on l'a vécu ensemble dans cette soirée-là. Et puis ça a été une expérience évidemment difficile de voir sa douleur. Puis elle était transparente, vraiment. Et en même temps, j'ai compris que je pouvais avoir toute confiance dans cette femme. Que je me suis dit, elle est vraiment en train de le traverser. Et quelque part, cet événement, cette fausse couche, ce premier enfant, Cette première possibilité d'enfant, vu son âge, je ne sais pas comment dire, nous a permis de confirmer que oui, on voulait un enfant, que oui, on était capable ensemble de traverser des épreuves fortes, et que maintenant, on savait ce qu'on ne voulait pas au niveau médical, et on savait ce qu'on voulait. Et de là est née la volonté de ma compagne d'aller vers plus de douceur dans l'accompagnement de la naissance, en fin de compte. Donc ça nous a énormément rapprochés. Moins de médicaments. Et c'est un enfant à qui on a fait une petite pierre au bord d'une plage, très symbolique et très rituel. Mais d'un seul coup, on était associés ensemble avec la possibilité d'un être. Et en fin de compte, c'est une expérience que je ne vois que positive aujourd'hui. Souvent, on dit que la fausse couche, c'est une expérience dure. Alors oui, c'est une expérience dure. Mais en termes de couple et de récit de notre famille, je n'ai pas encore trop eu le temps de le partager avec mon fils. Mais je pense que je le ferai dans peu de temps.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est une pierre que vous pouvez revenir voir ou c'est une pierre qui a été emmenée par les flots ?

  • Speaker #0

    Le rocher, l'endroit, le rocher, je pense qu'il sera là encore quelques milliers d'années. La petite pierre sous terre, sous le sable, elle sera emportée quand la nature en décidera.

  • Speaker #3

    Ça pose la question aussi, à quel moment tu le dis aussi à ta famille, tes amis, parce que potentiellement, il y a cet imprévu là qui arrive. Et est-ce que tu as envie que ta famille t'accompagne là-dedans ou justement, tu as envie de le garder pour toi et pour le couple ? C'est un peu compliqué.

  • Speaker #1

    Tu peux te retrouver seul avec ça.

  • Speaker #2

    C'est une excellente question et je pense que tu te dis forcément sur le moment. Plus il y aura de monde au courant, plus ils vont me le renvoyer dans la gueule et plus la douleur va être dure. Et au final, pour l'avoir vécu de mon côté aussi, je pense que plus il y a de monde au courant, finalement plus c'est facile à vivre parce que c'est aussi un entourage.

  • Speaker #1

    J'ai une histoire un peu particulière qui fait un peu écho à la tienne, Daniel. C'est que mon deuxième enfant, là, que j'attends maintenant, il était envisagé, mais il n'était pas prévu. Et sur tout le premier trimestre de grossesse, ma compagne a fait un truc qui est assez commun, mais pas très connu, qui est une dépression du prépartum. Et ça rejoint un peu ce que tu dis, Daniel, parce que... J'ai passé trois mois avec un enfant de Schrödinger. Je ne savais pas si ce serait un enfant ou si ce serait un avortement. On est allé assez loin dans plusieurs plannings familiales successivement. On s'est arrêté avant le petit cachet qui rend la chose un peu irrémédiable. Et ouais, ça c'est dur. Et c'est d'autant plus dur que comme... La continuation de cette grossesse était suspendue à une autre décision. Et que notre décision était fonction de sa dépression, d'une maladie. Mais à l'époque, on ne le savait pas. Et puis quand on est dedans, on ne sait pas ce qui dépend de la maladie. Comme la dépression, ça joue sur les ressentis. Tu ne peux plus faire confiance à ce que tu ressens. Tu fais confiance à quoi ? Et ça a été compliqué d'en parler. Parce que... On en a vraiment parlé à très très peu de gens, à des gens dont on était sûr qu'ils étaient capables de comprendre, qu'ils étaient capables de ne pas trop investir émotionnellement. Enfin, typiquement, la famille, ce n'était pas possible. Parce que les grands-parents, tu leur dis, votre petit enfant, peut-être, mais peut-être pas. Et ça va dépendre de ce qu'on va décider, parce que là, tout de suite, on n'est pas en état de savoir. Tu ne peux pas annoncer ça. Donc ça a été des mois assez compliqués. Mais on l'a traversé et ma femme a retrouvé le sourire et est redevenue la personne que je connais. Et cette grossesse s'est poursuivie et les choses sont rentrées dans l'ordre.

  • Speaker #3

    Ça a duré combien de temps, cette période-là ?

  • Speaker #1

    Le premier trimestre, trois mois.

  • Speaker #3

    Trois mois ? Et puis ça, ce n'est pas quelque chose sur lequel on se prépare à l'école. À l'école, on ne parle pas de ça, tu vois, ou même ailleurs.

  • Speaker #0

    Et ça revient un peu à ce que tu disais aussi, Ulysse. Tout à l'heure, tu disais en fin de compte, on croit qu'en se taisant, ça va être plus facile parce que justement, ça réactive la douleur de parler à tout le monde. Et toi, tu disais, ta propre expérience, c'est qu'au contraire... De parler, ça aide beaucoup. C'est de la chaleur humaine.

  • Speaker #2

    Même si c'est très difficile de le dire, parce que ça demande de raconter à nouveau, de te replonger dans ces moments difficiles. Et pour la société aussi, comme tu dis, de parler des fausses couches, c'est essentiel. Je pense que c'est de parler des bébés morts, c'est essentiel. Donc moi, mon expérience, c'est que ma première fille est décédée peu après la naissance. Je t'ai parlé de mes deux enfants, mais j'en ai une troisième, qui s'appelle Léonore, et qui est décédée peu après sa naissance. Pour le coup, nous, la question ne s'est pas posée de le garder secret, puisque notre grossesse était arrivée à terme, jusqu'à même la naissance, donc tout le monde savait. Mais par contre, on a quand même fait une démarche volontaire de non seulement ne pas le garder secret, mais le diffuser le plus largement possible. On a fait une cérémonie pour son enterrement. Enfin, ce n'était pas son enterrement, mais une cérémonie en tout cas. Et on a invité des gens qui n'étaient pas du tout au courant de la question. grossesse j'ai invité des collègues j'ai invité vraiment tout le monde autour de moi avec dans cette idée que que justement je voulais pas me retrouver avec dans la situation où dans deux mois quelqu'un je me retrouve face à quelqu'un qui n'est pas du tout au courant de ce qui m'est arrivé voilà mais pourtant c'est arrivé même des gens qui étaient tout à fait au courant Comme c'est très difficile de parler des enfants morts, finalement, il y a beaucoup de gens qui ont fait comme si rien ne s'était passé par la suite. C'est très difficile à vivre. Donc nous, on a fait ce choix-là pour ces raisons-là et je ne regrette vraiment pas. On a pu se confier ici, on a pu partager, on était entouré avec des personnes qui parlent le vrai, comme tu disais. Pour votre fausse couche, Daniel, effectivement, des mots simples et sincères, ça aide beaucoup.

  • Speaker #0

    Parce que du coup, à ce moment-là, vous, toi et ta compagne, vous avanciez sans modèle.

  • Speaker #2

    Non, parce que pour le coup, là, ce qui nous est arrivé, c'est l'imprévu total. C'est avoir un enfant qui va mourir, c'est pas... C'est pas quelque chose que tu peux prévoir pour le coup. Tu peux essayer d'anticiper. Je pense que tu peux essayer d'anticiper toutes les galères du monde. Ça, c'est de l'ordre de l'impensable, en fait. Donc là, on est dans l'imprévu total. Mais voilà.

  • Speaker #3

    Et ça, votre couple, vous avez réussi à le traverser grâce justement à ta famille, tout ça ?

  • Speaker #2

    Je pense, oui. Oui, je pense grâce au fait qu'on en parle, grâce au fait que notre couple était fort depuis longtemps. On a fêté nos 17 ans ensemble de vie commune, donc on était à 10 ans de vie commune à 11 ans au moment de Léonore. Oui, on l'a traversé. Bon, il se trouve qu'on est dans une situation particulière au CAM, c'était qu'on s'était lancé à ce moment-là, il y avait des ateliers d'écriture qui existaient. Et nos proches, effectivement, le fait qu'on ait fait une cérémonie, le fait qu'on ait écrit, qu'on ait une tombe. beaucoup de choses qu'on a faites après je sais pas peut-être que on aurait pu faire les choses très différemment et qu'on aurait aussi bien vécu ça c'est difficile à dire en tout cas je peux juste raconter ce que nous on a fait et je peux dire qu'on l'a bien vécu on l'a bien vécu parce que on se sent toujours fort de ça en fait c'est une expérience qu'on qu'on regrette pas et qu'on chérit même notre premier accouchement était formidable c'était un moment un moment absolument génial qui est dans nos cœurs à vie.

  • Speaker #3

    Et t'as pas eu peur après pour les enfants ? Après, par la suite, ça a pas été une angoisse ?

  • Speaker #2

    Un petit peu, un petit peu, mais moins que nos proches.

  • Speaker #0

    Ah ouais ? Moi, j'ai toujours eu la sensation en t'entendant parler de Léonard, d'Amel et puis plus récemment, en plus de Noam. Ouais. qu'en fin de compte, les questions tabou appartiennent plutôt aux autres. C'est presque le regard des autres personnes qui pourrait mettre dessus des tabous ou des différences, plutôt que vous.

  • Speaker #2

    Oui, après, de fait, on met nos propres tabous certainement, et du coup, ceux qu'on a mis, nous, ne sont pas du tout évoqués, donc ne sont pas perçus.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as envie, Ulysse, puisque tu parlais de l'atelier d'écriture, que tu avais commencé avant la naissance de Léonore et que tu as continué après, de nous partager le texte que tu as écrit à cette époque-là ? Est-ce que pour toi, ça te paraît un bon moment, adapté ?

  • Speaker #2

    Je veux bien, je vais demander l'allure de Jonathan, parce que lui, il va être papa. Donc, c'est un texte... Du coup, effectivement, j'avais commencé à écrire des textes... Avant la naissance, après la naissance, évidemment, tout ça a changé. Donc finalement, c'est devenu un texte où je décris relativement précisément tout ce qui m'est arrivé, donc l'accouchement, la naissance, et après la réanimation et le décès. Donc c'est peut-être un peu lourd pour toi d'entendre ça aujourd'hui. Donc voilà, tu as le droit de dire que ce n'est pas le bon moment.

  • Speaker #3

    Non, je pense que c'est... Là, ça a mis beaucoup de sérieux. Au début, j'étais... Moi, je suis arrivé un peu... Tu vois, c'est les oiseaux et tout ça.

  • Speaker #2

    Désolé.

  • Speaker #3

    Non, non, non, mais c'est bien parce que je ne suis pas assez terre à terre. Et c'est vrai, je voulais rajouter un truc aussi sur le fait que c'est l'impensable, mais c'est aussi parce que c'est un peu le sacré. On n'imagine pas qu'une âme aussi innocente puisse partir si vite. Et je pense que c'est important justement que... Moi, je ne l'ai jamais envisagé encore pour l'instant.

  • Speaker #2

    Je ne te souhaite pas de l'envisager. Non, non, non,

  • Speaker #3

    mais il faut quand même le garder à l'esprit, potentiellement une petite porte ouverte là-dessus. Et je pense que c'est bien justement que tu en parles.

  • Speaker #2

    Merci. Et je pense que ce n'est pas inutile, même si je ne te souhaite pas de l'envisager, comme je l'ai dit, même si ça crée des angoisses potentiellement. Forcément.

  • Speaker #0

    Tu vois, tu dis de le raconter, ça crée des angoisses. Moi, j'aurais envie de dire, ça dépend pour qui. Moi, avant moi et mon frère, il y a eu une sœur. Donc, une grande sœur dans les années de naissance, mais que je n'ai jamais connue puisqu'elle est morte juste avant la naissance. D'entendre ces récits-là... Moi, ça ne me crée pas d'angoisse, ça me soulage. Et donc, ce n'est plus l'inquiétude d'un mystère, c'est en parler entre nous. Donc non, pour te dire, moi, je ne le reçois pas comme une angoisse. Au contraire, je le reçois comme un soulagement.

  • Speaker #2

    Ok. Notre Barthes aussi. Oui. Alexandre, au fond de la salle. Du coup, je me permets d'aller pisser avant. Oui.

  • Speaker #0

    donc ça c'est le texte que tu as écrit en L'atelier d'écriture.

  • Speaker #2

    Voilà, c'est un texte qui date du coup de 2018, de la naissance de Léonore. Et son titre c'est 30 ans, 9 mois et 2 jours, qui correspond à mon temps d'attente de devenir papa. Un peu avant midi, le téléphone sonne. C'est ta mère. Elle a des contractions depuis ce matin et ça s'intensifie. Neuf mois que je tourne autour du ventre de ta mère comme un gamin impatient qui attend son jouet. On se calme. Respiration, méditation, zen. Je vais te voir, ma fille. J'exploserai de joie à ce moment-là. Quand je vous rejoins enfin, je me mêle, enthousiaste, à ce marathon dans lequel vous êtes toutes deux engagées. Une course de fond, calme, apaisée et délicatement orchestrée. Ta naissance, mon amour. Quand nous arrivons au calme, Eva, notre sage-femme, nous accueille chaleureusement. Notre chambre sent bon la lavande, la fraîcheur et un bain chaud et coulé. Ta mère s'y plonge sans attendre, pendant que je déballe nos affaires. Je pose notre lampe comme un conquérant marquant son nouveau territoire. J'installe nos bougies longue durée dans des petites soucoupes que je répartis à même le sol de la pièce. Eva m'aide à installer nos draps sur le lit et il ne me reste plus qu'à démarrer la musique. Eva nous sert une tisane qui ne sera jamais bue. Car les vagues de contraction nous laissent déjà peu de répit. Si ta mère est un navire, violemment chahuté par une mer agitée, je suis ses gréments, solidement fixés à sa proue. Certes, protégé de la fureur des flots, mais balotté au rythme des secousses. Au fur et à mesure que la nuit s'épaissit, le travail devient plus intense, plus rythmé. Ces contractions sont profondes, régulières. Ta mère mène la danse, nous commandant nos gestes, nous contraignant nos positions, nous rythmant nos respirations, chorégraphiant ainsi un spectacle bouleversant, intime et profondément sensuel. Se glissant péniblement jusqu'au lit, elle est immobilisée par une intense contraction. L'atmosphère change, car ta tête vient de s'engager dans le bassin. Ta mère, que je croyais à bout de force, va se mettre à pousser. mobilisant une énergie nouvelle, puissante, insoupçonnée, pour permettre ta venue au monde. Je m'arrête un instant pour contempler et fixer dans ma mémoire ce moment magique que nous partageons, instant suspendu, que le jour baigne toujours plus de sa lumière, illuminant ainsi une scène profondément intime, gracieuse, une page de vie d'une intensité incomparable. Je fixe ces souvenirs pour ne rien oublier, quand les jours viendront où tu me demanderas de te raconter. Mais même les instants suspendus ont une fin. À 8h03, ton arrivée me ramène dans l'instant présent. Eva nous invite à nous redresser pour te contempler au milieu de nos corps emmêlés. Léonore. Tu nais violette foncée, avec le crâne en forme d'obus, des cheveux bien présents, deux petits yeux, fermés pour le moment, un nez, une bouche, quatre membres et un tronc qui se remue délicatement sur le matelas, cherchant du confort dans ce nouvel environnement. Tu clignes les yeux, ouvres la bouche et pousses un petit cri. Mais quelque chose s'arrête. Comment aurions-nous pu voir qu'Eva commençait à s'inquiéter ? Comment aurions-nous pu comprendre, quand elle nous demande de t'appeler par ton prénom, qu'elle essayait de déclencher une décharge d'adrénaline pour relancer ton cœur, ma chérie ? Nos appels ne suffisent pas. Eva doit couper le cordon plus vite que prévu pour t'apporter des soins. Le temps de le dire, en quelques gestes précis, le cordon est coupé. Elle te saisit pour t'emmener sur une table à longer, pendant qu'Emma rentre une roulante de matériel d'urgence. Pendant que jette ta mère à s'allonger sur le lit, Eva et Emma t'aspirent une grande quantité de liquide des poumons. Ton cœur repart. Mais tu ne parviens pas à respirer seul. Tu as bu une sacrée tasse et tes poumons restent gorgés d'un liquide gluant, terriblement difficile à éliminer. À 8h05, tu rejoins la salle de réanimation de la maternité des Bluets, à l'état supérieur, où ta prise en charge nous échappe définitivement. Ma petite fille chérie, toi qui es si parfaite, tu vas forcément te remettre. Tu vas redescendre, nous te prendrons dans nos bras et enfin, mon cœur explosera du bonheur d'être ton papa. Mais ce n'est que 50 minutes plus tard que je vais te revoir, seule, dans une petite salle entourée de personnel soignant. Que tu es belle. Une délicate teinte rosée, tu agites tes membres au son de ma voix, tu vas même me montrer tes jolis yeux l'espace d'un instant. Brûlant d'envie de les revoir, je te chante une berceuse et te caresse les bras. Tu ne les ouvriras plus. Des torrents d'émotions contradictoires s'entrechoquent dans mon cœur. Mon amour, je suis si inquiet. Quel soulagement de te voir. Il faudra trois heures pour que le SAMU soit prêt à te transférer au centre de réanimation de Créteil. Tu as pu passer faire un coucou à ta maman et nous te laissons au Grouny, ton petit chien en peluche, pour voyager avec toi. Mais tu es déjà bien en peine, en lutte pour ta survie, et j'ai bien peur que nous ne t'apportions que peu de réconfort. Je fais le voyage avec toi, sirène hurlante sur le périphérique. Suis-je inquiet ? Certainement, mais résolument positif. Je mange une banane dans l'ambulance pour reprendre des forces. A l'arrivée, mon optimisme va prendre un sacré coup. Ils envisagent de te mettre sous combinaison hypothermique pendant trois jours. Je prends peur. Je m'assure qu'ils ont besoin de mon accord pour engager le traitement. La médecin prend peur à son tour. Elle veut me faire signer un papier les autorisant à t'opérer. Je panique. Je suis confronté à une décision imprenable, ne pouvant mesurer ni le danger qui pèse sur toi, ni ton ressenti sur ta médicalisation à marche forcée. Est-ce là mon rôle de père, de voir trancher entre deux inacceptables ? On me permet de te voir, finalement. Tu respires mieux, tu as été réintubé, mais tu as l'air faible. Tu ne réagis plus à ma voix, à mon toucher. À la recherche d'un espace vert, je trouve le bord d'un canal, puis je déverse mes larmes sur ce ponton en bois au-dessus de l'eau. Le lendemain. Le lendemain, quand j'arrive à l'hôpital, ta mère me fait rire en décrivant ses multiples examens à répétition et ses aventures au service des suites de couches. Elle t'a vu ce matin. Il semblerait que tu n'aies pas passé une super nuit. Les médecins veulent nous en parler. Ça tombe bien, car elle me tarde de te voir. Nous sommes heureux de te dire bonjour ensemble, de te retrouver après une nuit de sommeil qui a finalement clos cette journée à rallonge. Bienvenue dans ton deuxième jour de vie ma chérie. On nous permet de t'avoir dans nos bras, enfin. Mobilisant trois infirmières, on te place dans les bras de ta maman, puis de ton papa. Tu rencontres tes grands-parents, tes tantes, nous prenons des photos, te couvrons de bisous, nous sommes presque heureux dans notre malheur. Nous profitons des heures les plus intimes qui nous a été donné de vivre avec toi. À la fin du jour, je t'ai dans mes bras pour la deuxième fois de ma vie, mais la tienne est déjà en train de s'échapper. Tes forces t'abandonnent petit à petit, rompues à l'effort constant que tu accomplis depuis ta naissance pour vivre. Ton corps est maintenant complètement dévitalisé. Ce soir tu vas partir et tes efforts seront terminés. J'accouche de tous mes espoirs, de tous mes désirs de te connaître, t'accompagner, te suivre, te regarder, te materner, te voir rigoler, aimer, rêver. Je perds les os. C'est si soudain, c'est trop rapide. Je n'étais pas préparé. Pas d'Eva pour m'aider. Ta mère suit encore des examens pour sa sortie. Je suis seul, avec toi dans mes bras dont la vie s'enfuit. J'hurle par tous les ports de ma peau pour que tu m'entendes et que tu saches quand tu partiras tout l'amour que j'ai pour toi. C'est au tour de ton cœur de rendre son dernier combat. Ton rythme cardiaque ralentit doucement. On te place dans les bras de ta mère, on supprime une à une les machines et les tuyaux qui te maintiennent avec nous, et tu t'éteins calmement à la fin de ce deuxième jour de ta courte vie. Nouvelle contraction, indolore. Était-ce la délivrance ? Merci d'avoir écouté. J'aime beaucoup, beaucoup ce texte.

  • Speaker #0

    À qui l'as-tu lu ?

  • Speaker #2

    Alors, figure-toi que nous avons fait un spectacle, donc je l'ai lu à une bonne centaine de personnes qui étaient présentes à ce spectacle. On a fait une lecture commune avec Colline, donc on a mélangé nos deux textes.

  • Speaker #3

    Je pense que c'est important que tu le dises aux autres, parce que pour moi, ça m'a touché et je pense que j'en avais besoin. Donc, je te remercie là-dessus. Là, j'aurais tellement de questions.

  • Speaker #2

    La naissance, tu veux dire ?

  • Speaker #3

    Non, après ce moment-là qui t'est arrivé, parce que moi, j'aurais eu tellement de colère en moi. Que ça me soit arrivé, j'en aurais voulu à la terre entière. Je ne sais pas si toi, tu es passé par toutes ces étapes-là ou quoi, mais...

  • Speaker #2

    Peut-être.

  • Speaker #0

    Après le texte que tu nous as lu sur Léonore, justement, toi, comment tu as envisagé et comment tu as vu la naissance d'Amel ou comment tu as vu la naissance de Noam ?

  • Speaker #2

    Tu parles de comment tu voyais l'accouchement ?

  • Speaker #0

    Oui, comment tu as abordé, comment tu allais vers les autres naissances.

  • Speaker #2

    Je ne vois pas trop de changements, à part qu'on avait ça en tête. Notamment pour Amel, on avait un peu peur que la même chose se reproduise, ce qui est un peu insensé, parce que c'est très très rare. C'est naturel. mais voilà c'est un peu peur je voyais je m'imaginais un accouchement assez long et j'avais peur effectivement d'avoir peur d'un accouchement long bon bah c'était un accouchement très rapide pour les deux autres quand j'entends vos témoignages moins rapide que vous mais par rapport à léonard très rapide Mais du coup, en tout cas, d'avoir vécu Amel et Noam, je peux confirmer ce que disait Sage-Femme, que chaque enfant est différent et du coup, chaque âge couchant est différent et l'histoire ne se répète pas.

  • Speaker #3

    Et c'est vrai que ce qui a fait du bien un petit peu aujourd'hui avec justement toutes ces langues qui se délient ou alors toutes ces informations qui se transmettent, c'est qu'auparavant, moi, je m'imaginais un petit peu... l'accouchement comme ce qu'on voit dans les films et c'est pas du tout ça concrètement donc non donc c'est bien d'avoir un peu ce panel là qui permet à la fois de prendre un peu de recul et puis de se dire ben c'est c'est un peu l'inconnu et puis ben on y va quoi donc

  • Speaker #0

    Merci. C'est toujours précieux d'avoir quelqu'un qui en apprend.

  • Speaker #1

    L'Apéro des papas, un podcast enregistré par Alexandre Molle, monté et mixé par Maxime Champême, organisé par Ulysse Vincent et Barthélémy Lagneux, écrit et réalisé par Daniel Toiti. Musique composée par Jimmy Hu, produit par l'association Au Calme avec le soutien de la Fondation de France. Moyens techniques fournis par DCA et Ciel Rouge Studio. Au prochain épisode, nous parlerons d'être à la fois père et homme.

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Description

Avertissement : cet épisode aborde avec sensibilité des expériences de "fausse" couche et deuil d'enfant. Paroles venues du cœur de ces pères un jour plongés dans un imprévu, perturbant ou difficile, mais toujours chargé d'amour.


· · ·


L’APÉRO DES PAPAS · 05 · DANS L'IMPRÉVU -

Ingénieur du son · Alexandre Moll -

Organisation · Ulysse Vincent & Barthélémy Lagneau -

Écriture & Réalisation · Daniel Touati -

Musique · Jimmy Whoo -

Montage & Mixage · Maxime Champesme -

Graphisme · Angélique Jordan -

Communication · Marion Tranchant & Jack Weber -

Production · Association AU CALM & Daniel Touati -

Avec le soutien de · Le CALM & La Fondation de France -

Moyens techniques · DCA & Ciel Rouge Studio -

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à l'apéro des papas. S'il vous plaît, enlevez vos chaussures en entrant, car nous sommes à la maison de naissance du calme, comme à la maison, qui accueille en journée des couples et des bébés, et ce soir, notre podcast. Un jeudi par mois, nous avons décidé de nous réunir ici, entre père et futur père, pour questionner cette difficulté d'être l'autre, d'être celui ou celle des deux qui ne portent pas l'enfant. celui ou celle qui cherche la juste place et qui parfois se sent seul et doute. Autour de cette large table en bois, pas de spécialiste de la naissance. Juste nous, des Ausha, comme on dit, qui partageons nos émotions, nos expériences, nos récits de vie. Et une chaise vide, la vôtre, chère auditrice, cher auditeur, qui est là où le bienvenu a nous rejoint. C'est bon ?

  • Speaker #1

    Allez !

  • Speaker #0

    Ce soir, c'est l'épisode 5 de notre podcast Quand les choses ne se passent pas comme prévu Or, c'est vaste. Ça peut autant toucher à l'avant-naissance qu'à la naissance, qu'à l'après-naissance. Donc, comme d'habitude, je commencerai par nous demander de nous présenter.

  • Speaker #1

    Eh bien, je suis Barthélémy, je suis le papa d'une petite fille qui est née il y a un an et demi au calme, et bientôt le papa d'un autre enfant, de genre inconnu.

  • Speaker #2

    Je suis Ulysse, je suis le papa d'Amel, qui a trois ans et demi, et de Noam, qui a six mois.

  • Speaker #3

    Moi c'est Jonathan, je ne suis pas encore papa, mais bientôt. C'est un enfant que j'attends avec Rafaela, ma femme. Et aujourd'hui, le sexe, pour l'instant, il est caché. On ne souhaite pas le dire. Nous, on le sait, mais on ne souhaite pas le dire. Je trouve que c'est un peu plus intime. Et ça me permet de me projeter, moi, un peu plus. C'est mon premier enfant,

  • Speaker #2

    donc. C'est votre petit secret de couple. C'est sympa. Oui,

  • Speaker #3

    complètement.

  • Speaker #0

    Or moi, à l'inverse, je voulais absolument connaître le sexe de mes deux enfants.

  • Speaker #3

    Moi aussi, je veux connaître, mais je ne veux pas le dire. Moi, je me dis, ah oui, tu attends un garçon, tu vas voir, les garçons, c'est comme ça, dès la naissance, tu vas galérer les premiers mois. Ou alors, ah, c'est une fille, tu vas voir, elle va être vraiment très proche de toi et pas du tout de ta femme. Et tout ça, je n'ai pas envie. Donc, j'ai envie de garder ça pour moi et pour ma femme et de faire nos projections nous-mêmes. Et on va voir ce que ça va donner.

  • Speaker #0

    Je suis Daniel, je suis papa de Pablo qui veut fêter son anniversaire de 5 ans et demi la semaine prochaine et de Alice, sa petite sœur, pour laquelle justement on voulait savoir si c'était une fille ou un garçon afin d'annoncer à Pablo s'il aurait un petit frère ou une petite sœur pour rendre ça concret pour lui. Ce thème de ce soir, peut-être justement on ne se connaît pas. Pour toi, comment ça résonne cette idée quand les choses ne se passent pas comme prévu ? Moi,

  • Speaker #3

    il me parle beaucoup parce que je déteste les surprises et j'aime bien un peu tout planifier. Et alors là, ça va être, je crois, la plus grosse surprise de ma vie, je pense, d'avoir un enfant. Et de me dire comment ça va se passer et si ça se passe mal. Parce que concrètement... ne l'ayant pas vécu, ça va être une sacrée épreuve cet accouchement-là. Et je me dis, oui, peut-être que pour moi, quand je vais imaginer que ça se passe mal, finalement, ça va être juste bien se passer.

  • Speaker #1

    Moi, on a plutôt pris le parti de, un peu systématiquement, prévoir le pire. Pour, si quelque chose s'était mal passé, ça aurait été, entre guillemets, prévu. Elle s'est autodiagnostiquée du diabète gestationnel, la macrosomie de l'enfant, l'enfant dans le mauvais sens. Tout ce qui peut mal se passer, le moindre signe était prétexte à monter un scénario du pire.

  • Speaker #3

    Ça ne t'a pas mis une angoisse ?

  • Speaker #1

    Si, bien sûr. À elle plus qu'à moi, d'ailleurs.

  • Speaker #3

    Ah oui ? Mais du coup, ta femme, elle t'a fait imaginer tout le champ du possible, du pire, qui pouvait lui arriver pendant cette grossesse-là ?

  • Speaker #1

    Pas tout, je ne l'ai pas suivi aussi loin à chaque fois, mais tu es obligé d'avoir un minimum d'empathie, parce qu'elle, elle est dans son corps, donc elle est sans ses symptômes, elle est aux premières loges.

  • Speaker #2

    Qui tu es pour lui dire non ? J'ai été un peu marqué par le fait qu'il disait, ma femme essaye de tout imaginer, mais je pense que tu ne peux jamais tout imaginer. Et c'est justement ça l'imprévu, c'est le truc que tu n'as pas pensé. qui arrive et qui...

  • Speaker #3

    Moi, j'adore parler de ça. Parce qu'avec ma femme, j'ai l'impression que tout s'est déroulé un peu comme si on avait déjà tout écrit. C'était un papier à musique, presque. Quand je me suis mis avec elle, de suite, j'ai vu en elle la mère de mes enfants. Et elle, inversement, aussi. On s'est dit, bon, ça serait bien qu'on ait un enfant après le mariage. Et donc, on s'est mariés. Et... Et puis, le voyage de Noce se passe.

  • Speaker #2

    Je dénonce. Désolé.

  • Speaker #3

    Et quelques semaines après, je ne sais plus quand exactement, un matin, elle m'annonce qu'elle est enceinte. Et là, la première chose que je lui dis, c'est déjà ? C'est vraiment écrit comme sur un papier à musique. Tout était déjà prédestiné. Et donc, je n'ai même pas eu le temps de me poser la question. on va pas réussir à avoir un enfant et que bah en fait finalement elle était déjà enceinte pour l'instant tout est dans le comme prévu oui mais tout est dans le comme prévu mais moi

  • Speaker #1

    je suis un petit peu dans ton cas aussi Jonathan dans le sens où pour moi aussi ça a été ça a été rapide ah oui ?

  • Speaker #3

    trop rapide ou ?

  • Speaker #1

    ouais un peu nous en plus on a On a emménagé, on a conçu au même moment, tu vois, ensemble. Et ça prend de court, un peu.

  • Speaker #3

    Ah bah là,

  • Speaker #1

    complètement. Mais...

  • Speaker #3

    Café le matin, c'est d'autre monde.

  • Speaker #1

    Je crois que t'es nécessairement surpris.

  • Speaker #2

    Ouais. J'ai pas la même... Enfin, ça se ressemble un peu, parce que dans le sens où, effectivement, on a... On va dire qu'on a beaucoup planifié. Moi, j'ai été très longtemps avec ma compagne avant d'avoir un enfant. À un moment donné, on a fait un grand voyage et c'était notre idée, c'était de démarrer la conception après ce grand voyage. Voilà, nous, ça n'a pas été du tac au tac. Voilà, on a attendu six mois pour... pour que le bébé arrive dans le ventre de colline. Donc tout ça, c'était tout à fait raisonnable. Mais quand même, le temps d'attente est assez long. Donc j'étais pressé.

  • Speaker #0

    Moi, je rejoins plutôt le groupe de ceux qui ont été étonnés que ça se passe vite.

  • Speaker #2

    Moi, j'ai l'impression que je suis le seul à l'avoir vu.

  • Speaker #0

    Mais je m'étais fait le film que ça serait long, comme toi, Élis. Et du coup, à partir du moment où on a décidé un enfant, hop, ma compagne a été enceinte et je crois qu'on en était tous les deux très étonnés. Ça y est, donc, ah oui, ok, d'accord, super, très bien, et puis même génial. Et puis, très rapidement, les choses se sont emballées, médicalement, et ça nous a pris de court également. Dans le sens que, ben oui, il y a un enfant, donc il faut faire une échographie de datation. Et je me retrouve d'un seul coup une échographie, mais beaucoup trop tôt, avec ce côté Ah ben c'est formidable, il y a un cœur qui bat, je suis ému. Oui, mais le rythme est bizarre, le rythme est lent. À mon avis, l'embryon ne va pas tenir. C'était un mois et demi, deux mois. Une sortie de cette journée-là, un peu, je suis très heureux, mais je suis très triste et très décontenancé. Puis on se retrouve à un café et puis on... On est très énervé contre la personne qui nous a dit ça. On trouve que c'est un peu n'importe quoi, que ça nous a été dit n'importe comment. Et on ne sait pas si on est en train de devoir s'accrocher à un espoir d'un embryon qui doit s'accrocher et vivre ou si on est en train de ne pas vouloir entendre ce qu'on nous dit. C'est-à-dire qu'en fait, statistiquement, cette grossesse ne va pas marcher. Et puis bon, ça se confirme avec d'autres examens que ça ne va pas tenir. Mais en même temps, ça vit encore. Donc comment faire avec ça pendant ces semaines-là ? Et d'un seul coup, ça s'emballe en fait, on s'emballe par les retours des autres dans l'angoisse parce qu'on ne se fait pas de représentation de comment ça va terminer. Donc on passe quelques semaines comme ça, entre eux, il faut que ça se termine au plus vite, médicalement mais comment ? Jusqu'à non, non, ne prenez pas leur voiture parce que quelqu'un nous dit vous prenez la voiture La voiture, c'est des vibrations à cette époque-là et les vibrations, c'est mauvais pour l'embryon. Et en même temps, on nous a dit dans tous les cas, ça va terminer. Donc, on met toutes les chances de notre côté pour quelque chose où tout le monde nous dit il n'y a plus de chance Et donc on finit contre l'avis d'une certaine personne au niveau médical de prendre la voiture, oui faire le long voyage vers l'océan, et puis quitte à vivre ça, peut-être le vivre devant l'océan ça sera quand même mieux. Et puis tout se soulage grâce à la voix d'une sage femme qui nous dit mais en fait c'est naturel ce qui vous arrive. qui dit à un compagne, mais ça s'appelle une fausse couche, oui ça va vous arriver, ça va vous arriver une nuit ou un matin, puis vous allez la traverser, et puis voilà comment ça va se passer, puis l'embryon va sortir, et puis votre corps va créer des contractions, comme pour un accouchement, et puis voilà tel médicament pour la douleur que vous pouvez prendre comme ça, et puis voilà, vous êtes l'homme, et vous allez l'accompagner, et puis c'est la vie, c'est l'existence. Et alors ça... Ça nous a paru juste dès les premières secondes. Oui, ça nous regarde elle et moi. Puis oui, ça va se passer sur le moment comme ça doit se passer. Puis ça ne s'est pas passé au bord de l'océan. On est revenu, puis on l'a vécu ensemble dans cette soirée-là. Et puis ça a été une expérience évidemment difficile de voir sa douleur. Puis elle était transparente, vraiment. Et en même temps, j'ai compris que je pouvais avoir toute confiance dans cette femme. Que je me suis dit, elle est vraiment en train de le traverser. Et quelque part, cet événement, cette fausse couche, ce premier enfant, Cette première possibilité d'enfant, vu son âge, je ne sais pas comment dire, nous a permis de confirmer que oui, on voulait un enfant, que oui, on était capable ensemble de traverser des épreuves fortes, et que maintenant, on savait ce qu'on ne voulait pas au niveau médical, et on savait ce qu'on voulait. Et de là est née la volonté de ma compagne d'aller vers plus de douceur dans l'accompagnement de la naissance, en fin de compte. Donc ça nous a énormément rapprochés. Moins de médicaments. Et c'est un enfant à qui on a fait une petite pierre au bord d'une plage, très symbolique et très rituel. Mais d'un seul coup, on était associés ensemble avec la possibilité d'un être. Et en fin de compte, c'est une expérience que je ne vois que positive aujourd'hui. Souvent, on dit que la fausse couche, c'est une expérience dure. Alors oui, c'est une expérience dure. Mais en termes de couple et de récit de notre famille, je n'ai pas encore trop eu le temps de le partager avec mon fils. Mais je pense que je le ferai dans peu de temps.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est une pierre que vous pouvez revenir voir ou c'est une pierre qui a été emmenée par les flots ?

  • Speaker #0

    Le rocher, l'endroit, le rocher, je pense qu'il sera là encore quelques milliers d'années. La petite pierre sous terre, sous le sable, elle sera emportée quand la nature en décidera.

  • Speaker #3

    Ça pose la question aussi, à quel moment tu le dis aussi à ta famille, tes amis, parce que potentiellement, il y a cet imprévu là qui arrive. Et est-ce que tu as envie que ta famille t'accompagne là-dedans ou justement, tu as envie de le garder pour toi et pour le couple ? C'est un peu compliqué.

  • Speaker #1

    Tu peux te retrouver seul avec ça.

  • Speaker #2

    C'est une excellente question et je pense que tu te dis forcément sur le moment. Plus il y aura de monde au courant, plus ils vont me le renvoyer dans la gueule et plus la douleur va être dure. Et au final, pour l'avoir vécu de mon côté aussi, je pense que plus il y a de monde au courant, finalement plus c'est facile à vivre parce que c'est aussi un entourage.

  • Speaker #1

    J'ai une histoire un peu particulière qui fait un peu écho à la tienne, Daniel. C'est que mon deuxième enfant, là, que j'attends maintenant, il était envisagé, mais il n'était pas prévu. Et sur tout le premier trimestre de grossesse, ma compagne a fait un truc qui est assez commun, mais pas très connu, qui est une dépression du prépartum. Et ça rejoint un peu ce que tu dis, Daniel, parce que... J'ai passé trois mois avec un enfant de Schrödinger. Je ne savais pas si ce serait un enfant ou si ce serait un avortement. On est allé assez loin dans plusieurs plannings familiales successivement. On s'est arrêté avant le petit cachet qui rend la chose un peu irrémédiable. Et ouais, ça c'est dur. Et c'est d'autant plus dur que comme... La continuation de cette grossesse était suspendue à une autre décision. Et que notre décision était fonction de sa dépression, d'une maladie. Mais à l'époque, on ne le savait pas. Et puis quand on est dedans, on ne sait pas ce qui dépend de la maladie. Comme la dépression, ça joue sur les ressentis. Tu ne peux plus faire confiance à ce que tu ressens. Tu fais confiance à quoi ? Et ça a été compliqué d'en parler. Parce que... On en a vraiment parlé à très très peu de gens, à des gens dont on était sûr qu'ils étaient capables de comprendre, qu'ils étaient capables de ne pas trop investir émotionnellement. Enfin, typiquement, la famille, ce n'était pas possible. Parce que les grands-parents, tu leur dis, votre petit enfant, peut-être, mais peut-être pas. Et ça va dépendre de ce qu'on va décider, parce que là, tout de suite, on n'est pas en état de savoir. Tu ne peux pas annoncer ça. Donc ça a été des mois assez compliqués. Mais on l'a traversé et ma femme a retrouvé le sourire et est redevenue la personne que je connais. Et cette grossesse s'est poursuivie et les choses sont rentrées dans l'ordre.

  • Speaker #3

    Ça a duré combien de temps, cette période-là ?

  • Speaker #1

    Le premier trimestre, trois mois.

  • Speaker #3

    Trois mois ? Et puis ça, ce n'est pas quelque chose sur lequel on se prépare à l'école. À l'école, on ne parle pas de ça, tu vois, ou même ailleurs.

  • Speaker #0

    Et ça revient un peu à ce que tu disais aussi, Ulysse. Tout à l'heure, tu disais en fin de compte, on croit qu'en se taisant, ça va être plus facile parce que justement, ça réactive la douleur de parler à tout le monde. Et toi, tu disais, ta propre expérience, c'est qu'au contraire... De parler, ça aide beaucoup. C'est de la chaleur humaine.

  • Speaker #2

    Même si c'est très difficile de le dire, parce que ça demande de raconter à nouveau, de te replonger dans ces moments difficiles. Et pour la société aussi, comme tu dis, de parler des fausses couches, c'est essentiel. Je pense que c'est de parler des bébés morts, c'est essentiel. Donc moi, mon expérience, c'est que ma première fille est décédée peu après la naissance. Je t'ai parlé de mes deux enfants, mais j'en ai une troisième, qui s'appelle Léonore, et qui est décédée peu après sa naissance. Pour le coup, nous, la question ne s'est pas posée de le garder secret, puisque notre grossesse était arrivée à terme, jusqu'à même la naissance, donc tout le monde savait. Mais par contre, on a quand même fait une démarche volontaire de non seulement ne pas le garder secret, mais le diffuser le plus largement possible. On a fait une cérémonie pour son enterrement. Enfin, ce n'était pas son enterrement, mais une cérémonie en tout cas. Et on a invité des gens qui n'étaient pas du tout au courant de la question. grossesse j'ai invité des collègues j'ai invité vraiment tout le monde autour de moi avec dans cette idée que que justement je voulais pas me retrouver avec dans la situation où dans deux mois quelqu'un je me retrouve face à quelqu'un qui n'est pas du tout au courant de ce qui m'est arrivé voilà mais pourtant c'est arrivé même des gens qui étaient tout à fait au courant Comme c'est très difficile de parler des enfants morts, finalement, il y a beaucoup de gens qui ont fait comme si rien ne s'était passé par la suite. C'est très difficile à vivre. Donc nous, on a fait ce choix-là pour ces raisons-là et je ne regrette vraiment pas. On a pu se confier ici, on a pu partager, on était entouré avec des personnes qui parlent le vrai, comme tu disais. Pour votre fausse couche, Daniel, effectivement, des mots simples et sincères, ça aide beaucoup.

  • Speaker #0

    Parce que du coup, à ce moment-là, vous, toi et ta compagne, vous avanciez sans modèle.

  • Speaker #2

    Non, parce que pour le coup, là, ce qui nous est arrivé, c'est l'imprévu total. C'est avoir un enfant qui va mourir, c'est pas... C'est pas quelque chose que tu peux prévoir pour le coup. Tu peux essayer d'anticiper. Je pense que tu peux essayer d'anticiper toutes les galères du monde. Ça, c'est de l'ordre de l'impensable, en fait. Donc là, on est dans l'imprévu total. Mais voilà.

  • Speaker #3

    Et ça, votre couple, vous avez réussi à le traverser grâce justement à ta famille, tout ça ?

  • Speaker #2

    Je pense, oui. Oui, je pense grâce au fait qu'on en parle, grâce au fait que notre couple était fort depuis longtemps. On a fêté nos 17 ans ensemble de vie commune, donc on était à 10 ans de vie commune à 11 ans au moment de Léonore. Oui, on l'a traversé. Bon, il se trouve qu'on est dans une situation particulière au CAM, c'était qu'on s'était lancé à ce moment-là, il y avait des ateliers d'écriture qui existaient. Et nos proches, effectivement, le fait qu'on ait fait une cérémonie, le fait qu'on ait écrit, qu'on ait une tombe. beaucoup de choses qu'on a faites après je sais pas peut-être que on aurait pu faire les choses très différemment et qu'on aurait aussi bien vécu ça c'est difficile à dire en tout cas je peux juste raconter ce que nous on a fait et je peux dire qu'on l'a bien vécu on l'a bien vécu parce que on se sent toujours fort de ça en fait c'est une expérience qu'on qu'on regrette pas et qu'on chérit même notre premier accouchement était formidable c'était un moment un moment absolument génial qui est dans nos cœurs à vie.

  • Speaker #3

    Et t'as pas eu peur après pour les enfants ? Après, par la suite, ça a pas été une angoisse ?

  • Speaker #2

    Un petit peu, un petit peu, mais moins que nos proches.

  • Speaker #0

    Ah ouais ? Moi, j'ai toujours eu la sensation en t'entendant parler de Léonard, d'Amel et puis plus récemment, en plus de Noam. Ouais. qu'en fin de compte, les questions tabou appartiennent plutôt aux autres. C'est presque le regard des autres personnes qui pourrait mettre dessus des tabous ou des différences, plutôt que vous.

  • Speaker #2

    Oui, après, de fait, on met nos propres tabous certainement, et du coup, ceux qu'on a mis, nous, ne sont pas du tout évoqués, donc ne sont pas perçus.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as envie, Ulysse, puisque tu parlais de l'atelier d'écriture, que tu avais commencé avant la naissance de Léonore et que tu as continué après, de nous partager le texte que tu as écrit à cette époque-là ? Est-ce que pour toi, ça te paraît un bon moment, adapté ?

  • Speaker #2

    Je veux bien, je vais demander l'allure de Jonathan, parce que lui, il va être papa. Donc, c'est un texte... Du coup, effectivement, j'avais commencé à écrire des textes... Avant la naissance, après la naissance, évidemment, tout ça a changé. Donc finalement, c'est devenu un texte où je décris relativement précisément tout ce qui m'est arrivé, donc l'accouchement, la naissance, et après la réanimation et le décès. Donc c'est peut-être un peu lourd pour toi d'entendre ça aujourd'hui. Donc voilà, tu as le droit de dire que ce n'est pas le bon moment.

  • Speaker #3

    Non, je pense que c'est... Là, ça a mis beaucoup de sérieux. Au début, j'étais... Moi, je suis arrivé un peu... Tu vois, c'est les oiseaux et tout ça.

  • Speaker #2

    Désolé.

  • Speaker #3

    Non, non, non, mais c'est bien parce que je ne suis pas assez terre à terre. Et c'est vrai, je voulais rajouter un truc aussi sur le fait que c'est l'impensable, mais c'est aussi parce que c'est un peu le sacré. On n'imagine pas qu'une âme aussi innocente puisse partir si vite. Et je pense que c'est important justement que... Moi, je ne l'ai jamais envisagé encore pour l'instant.

  • Speaker #2

    Je ne te souhaite pas de l'envisager. Non, non, non,

  • Speaker #3

    mais il faut quand même le garder à l'esprit, potentiellement une petite porte ouverte là-dessus. Et je pense que c'est bien justement que tu en parles.

  • Speaker #2

    Merci. Et je pense que ce n'est pas inutile, même si je ne te souhaite pas de l'envisager, comme je l'ai dit, même si ça crée des angoisses potentiellement. Forcément.

  • Speaker #0

    Tu vois, tu dis de le raconter, ça crée des angoisses. Moi, j'aurais envie de dire, ça dépend pour qui. Moi, avant moi et mon frère, il y a eu une sœur. Donc, une grande sœur dans les années de naissance, mais que je n'ai jamais connue puisqu'elle est morte juste avant la naissance. D'entendre ces récits-là... Moi, ça ne me crée pas d'angoisse, ça me soulage. Et donc, ce n'est plus l'inquiétude d'un mystère, c'est en parler entre nous. Donc non, pour te dire, moi, je ne le reçois pas comme une angoisse. Au contraire, je le reçois comme un soulagement.

  • Speaker #2

    Ok. Notre Barthes aussi. Oui. Alexandre, au fond de la salle. Du coup, je me permets d'aller pisser avant. Oui.

  • Speaker #0

    donc ça c'est le texte que tu as écrit en L'atelier d'écriture.

  • Speaker #2

    Voilà, c'est un texte qui date du coup de 2018, de la naissance de Léonore. Et son titre c'est 30 ans, 9 mois et 2 jours, qui correspond à mon temps d'attente de devenir papa. Un peu avant midi, le téléphone sonne. C'est ta mère. Elle a des contractions depuis ce matin et ça s'intensifie. Neuf mois que je tourne autour du ventre de ta mère comme un gamin impatient qui attend son jouet. On se calme. Respiration, méditation, zen. Je vais te voir, ma fille. J'exploserai de joie à ce moment-là. Quand je vous rejoins enfin, je me mêle, enthousiaste, à ce marathon dans lequel vous êtes toutes deux engagées. Une course de fond, calme, apaisée et délicatement orchestrée. Ta naissance, mon amour. Quand nous arrivons au calme, Eva, notre sage-femme, nous accueille chaleureusement. Notre chambre sent bon la lavande, la fraîcheur et un bain chaud et coulé. Ta mère s'y plonge sans attendre, pendant que je déballe nos affaires. Je pose notre lampe comme un conquérant marquant son nouveau territoire. J'installe nos bougies longue durée dans des petites soucoupes que je répartis à même le sol de la pièce. Eva m'aide à installer nos draps sur le lit et il ne me reste plus qu'à démarrer la musique. Eva nous sert une tisane qui ne sera jamais bue. Car les vagues de contraction nous laissent déjà peu de répit. Si ta mère est un navire, violemment chahuté par une mer agitée, je suis ses gréments, solidement fixés à sa proue. Certes, protégé de la fureur des flots, mais balotté au rythme des secousses. Au fur et à mesure que la nuit s'épaissit, le travail devient plus intense, plus rythmé. Ces contractions sont profondes, régulières. Ta mère mène la danse, nous commandant nos gestes, nous contraignant nos positions, nous rythmant nos respirations, chorégraphiant ainsi un spectacle bouleversant, intime et profondément sensuel. Se glissant péniblement jusqu'au lit, elle est immobilisée par une intense contraction. L'atmosphère change, car ta tête vient de s'engager dans le bassin. Ta mère, que je croyais à bout de force, va se mettre à pousser. mobilisant une énergie nouvelle, puissante, insoupçonnée, pour permettre ta venue au monde. Je m'arrête un instant pour contempler et fixer dans ma mémoire ce moment magique que nous partageons, instant suspendu, que le jour baigne toujours plus de sa lumière, illuminant ainsi une scène profondément intime, gracieuse, une page de vie d'une intensité incomparable. Je fixe ces souvenirs pour ne rien oublier, quand les jours viendront où tu me demanderas de te raconter. Mais même les instants suspendus ont une fin. À 8h03, ton arrivée me ramène dans l'instant présent. Eva nous invite à nous redresser pour te contempler au milieu de nos corps emmêlés. Léonore. Tu nais violette foncée, avec le crâne en forme d'obus, des cheveux bien présents, deux petits yeux, fermés pour le moment, un nez, une bouche, quatre membres et un tronc qui se remue délicatement sur le matelas, cherchant du confort dans ce nouvel environnement. Tu clignes les yeux, ouvres la bouche et pousses un petit cri. Mais quelque chose s'arrête. Comment aurions-nous pu voir qu'Eva commençait à s'inquiéter ? Comment aurions-nous pu comprendre, quand elle nous demande de t'appeler par ton prénom, qu'elle essayait de déclencher une décharge d'adrénaline pour relancer ton cœur, ma chérie ? Nos appels ne suffisent pas. Eva doit couper le cordon plus vite que prévu pour t'apporter des soins. Le temps de le dire, en quelques gestes précis, le cordon est coupé. Elle te saisit pour t'emmener sur une table à longer, pendant qu'Emma rentre une roulante de matériel d'urgence. Pendant que jette ta mère à s'allonger sur le lit, Eva et Emma t'aspirent une grande quantité de liquide des poumons. Ton cœur repart. Mais tu ne parviens pas à respirer seul. Tu as bu une sacrée tasse et tes poumons restent gorgés d'un liquide gluant, terriblement difficile à éliminer. À 8h05, tu rejoins la salle de réanimation de la maternité des Bluets, à l'état supérieur, où ta prise en charge nous échappe définitivement. Ma petite fille chérie, toi qui es si parfaite, tu vas forcément te remettre. Tu vas redescendre, nous te prendrons dans nos bras et enfin, mon cœur explosera du bonheur d'être ton papa. Mais ce n'est que 50 minutes plus tard que je vais te revoir, seule, dans une petite salle entourée de personnel soignant. Que tu es belle. Une délicate teinte rosée, tu agites tes membres au son de ma voix, tu vas même me montrer tes jolis yeux l'espace d'un instant. Brûlant d'envie de les revoir, je te chante une berceuse et te caresse les bras. Tu ne les ouvriras plus. Des torrents d'émotions contradictoires s'entrechoquent dans mon cœur. Mon amour, je suis si inquiet. Quel soulagement de te voir. Il faudra trois heures pour que le SAMU soit prêt à te transférer au centre de réanimation de Créteil. Tu as pu passer faire un coucou à ta maman et nous te laissons au Grouny, ton petit chien en peluche, pour voyager avec toi. Mais tu es déjà bien en peine, en lutte pour ta survie, et j'ai bien peur que nous ne t'apportions que peu de réconfort. Je fais le voyage avec toi, sirène hurlante sur le périphérique. Suis-je inquiet ? Certainement, mais résolument positif. Je mange une banane dans l'ambulance pour reprendre des forces. A l'arrivée, mon optimisme va prendre un sacré coup. Ils envisagent de te mettre sous combinaison hypothermique pendant trois jours. Je prends peur. Je m'assure qu'ils ont besoin de mon accord pour engager le traitement. La médecin prend peur à son tour. Elle veut me faire signer un papier les autorisant à t'opérer. Je panique. Je suis confronté à une décision imprenable, ne pouvant mesurer ni le danger qui pèse sur toi, ni ton ressenti sur ta médicalisation à marche forcée. Est-ce là mon rôle de père, de voir trancher entre deux inacceptables ? On me permet de te voir, finalement. Tu respires mieux, tu as été réintubé, mais tu as l'air faible. Tu ne réagis plus à ma voix, à mon toucher. À la recherche d'un espace vert, je trouve le bord d'un canal, puis je déverse mes larmes sur ce ponton en bois au-dessus de l'eau. Le lendemain. Le lendemain, quand j'arrive à l'hôpital, ta mère me fait rire en décrivant ses multiples examens à répétition et ses aventures au service des suites de couches. Elle t'a vu ce matin. Il semblerait que tu n'aies pas passé une super nuit. Les médecins veulent nous en parler. Ça tombe bien, car elle me tarde de te voir. Nous sommes heureux de te dire bonjour ensemble, de te retrouver après une nuit de sommeil qui a finalement clos cette journée à rallonge. Bienvenue dans ton deuxième jour de vie ma chérie. On nous permet de t'avoir dans nos bras, enfin. Mobilisant trois infirmières, on te place dans les bras de ta maman, puis de ton papa. Tu rencontres tes grands-parents, tes tantes, nous prenons des photos, te couvrons de bisous, nous sommes presque heureux dans notre malheur. Nous profitons des heures les plus intimes qui nous a été donné de vivre avec toi. À la fin du jour, je t'ai dans mes bras pour la deuxième fois de ma vie, mais la tienne est déjà en train de s'échapper. Tes forces t'abandonnent petit à petit, rompues à l'effort constant que tu accomplis depuis ta naissance pour vivre. Ton corps est maintenant complètement dévitalisé. Ce soir tu vas partir et tes efforts seront terminés. J'accouche de tous mes espoirs, de tous mes désirs de te connaître, t'accompagner, te suivre, te regarder, te materner, te voir rigoler, aimer, rêver. Je perds les os. C'est si soudain, c'est trop rapide. Je n'étais pas préparé. Pas d'Eva pour m'aider. Ta mère suit encore des examens pour sa sortie. Je suis seul, avec toi dans mes bras dont la vie s'enfuit. J'hurle par tous les ports de ma peau pour que tu m'entendes et que tu saches quand tu partiras tout l'amour que j'ai pour toi. C'est au tour de ton cœur de rendre son dernier combat. Ton rythme cardiaque ralentit doucement. On te place dans les bras de ta mère, on supprime une à une les machines et les tuyaux qui te maintiennent avec nous, et tu t'éteins calmement à la fin de ce deuxième jour de ta courte vie. Nouvelle contraction, indolore. Était-ce la délivrance ? Merci d'avoir écouté. J'aime beaucoup, beaucoup ce texte.

  • Speaker #0

    À qui l'as-tu lu ?

  • Speaker #2

    Alors, figure-toi que nous avons fait un spectacle, donc je l'ai lu à une bonne centaine de personnes qui étaient présentes à ce spectacle. On a fait une lecture commune avec Colline, donc on a mélangé nos deux textes.

  • Speaker #3

    Je pense que c'est important que tu le dises aux autres, parce que pour moi, ça m'a touché et je pense que j'en avais besoin. Donc, je te remercie là-dessus. Là, j'aurais tellement de questions.

  • Speaker #2

    La naissance, tu veux dire ?

  • Speaker #3

    Non, après ce moment-là qui t'est arrivé, parce que moi, j'aurais eu tellement de colère en moi. Que ça me soit arrivé, j'en aurais voulu à la terre entière. Je ne sais pas si toi, tu es passé par toutes ces étapes-là ou quoi, mais...

  • Speaker #2

    Peut-être.

  • Speaker #0

    Après le texte que tu nous as lu sur Léonore, justement, toi, comment tu as envisagé et comment tu as vu la naissance d'Amel ou comment tu as vu la naissance de Noam ?

  • Speaker #2

    Tu parles de comment tu voyais l'accouchement ?

  • Speaker #0

    Oui, comment tu as abordé, comment tu allais vers les autres naissances.

  • Speaker #2

    Je ne vois pas trop de changements, à part qu'on avait ça en tête. Notamment pour Amel, on avait un peu peur que la même chose se reproduise, ce qui est un peu insensé, parce que c'est très très rare. C'est naturel. mais voilà c'est un peu peur je voyais je m'imaginais un accouchement assez long et j'avais peur effectivement d'avoir peur d'un accouchement long bon bah c'était un accouchement très rapide pour les deux autres quand j'entends vos témoignages moins rapide que vous mais par rapport à léonard très rapide Mais du coup, en tout cas, d'avoir vécu Amel et Noam, je peux confirmer ce que disait Sage-Femme, que chaque enfant est différent et du coup, chaque âge couchant est différent et l'histoire ne se répète pas.

  • Speaker #3

    Et c'est vrai que ce qui a fait du bien un petit peu aujourd'hui avec justement toutes ces langues qui se délient ou alors toutes ces informations qui se transmettent, c'est qu'auparavant, moi, je m'imaginais un petit peu... l'accouchement comme ce qu'on voit dans les films et c'est pas du tout ça concrètement donc non donc c'est bien d'avoir un peu ce panel là qui permet à la fois de prendre un peu de recul et puis de se dire ben c'est c'est un peu l'inconnu et puis ben on y va quoi donc

  • Speaker #0

    Merci. C'est toujours précieux d'avoir quelqu'un qui en apprend.

  • Speaker #1

    L'Apéro des papas, un podcast enregistré par Alexandre Molle, monté et mixé par Maxime Champême, organisé par Ulysse Vincent et Barthélémy Lagneux, écrit et réalisé par Daniel Toiti. Musique composée par Jimmy Hu, produit par l'association Au Calme avec le soutien de la Fondation de France. Moyens techniques fournis par DCA et Ciel Rouge Studio. Au prochain épisode, nous parlerons d'être à la fois père et homme.

Description

Avertissement : cet épisode aborde avec sensibilité des expériences de "fausse" couche et deuil d'enfant. Paroles venues du cœur de ces pères un jour plongés dans un imprévu, perturbant ou difficile, mais toujours chargé d'amour.


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L’APÉRO DES PAPAS · 05 · DANS L'IMPRÉVU -

Ingénieur du son · Alexandre Moll -

Organisation · Ulysse Vincent & Barthélémy Lagneau -

Écriture & Réalisation · Daniel Touati -

Musique · Jimmy Whoo -

Montage & Mixage · Maxime Champesme -

Graphisme · Angélique Jordan -

Communication · Marion Tranchant & Jack Weber -

Production · Association AU CALM & Daniel Touati -

Avec le soutien de · Le CALM & La Fondation de France -

Moyens techniques · DCA & Ciel Rouge Studio -

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Hébergé par Ausha. Visitez ausha.co/politique-de-confidentialite pour plus d'informations.

Transcription

  • Speaker #0

    Bienvenue à l'apéro des papas. S'il vous plaît, enlevez vos chaussures en entrant, car nous sommes à la maison de naissance du calme, comme à la maison, qui accueille en journée des couples et des bébés, et ce soir, notre podcast. Un jeudi par mois, nous avons décidé de nous réunir ici, entre père et futur père, pour questionner cette difficulté d'être l'autre, d'être celui ou celle des deux qui ne portent pas l'enfant. celui ou celle qui cherche la juste place et qui parfois se sent seul et doute. Autour de cette large table en bois, pas de spécialiste de la naissance. Juste nous, des Ausha, comme on dit, qui partageons nos émotions, nos expériences, nos récits de vie. Et une chaise vide, la vôtre, chère auditrice, cher auditeur, qui est là où le bienvenu a nous rejoint. C'est bon ?

  • Speaker #1

    Allez !

  • Speaker #0

    Ce soir, c'est l'épisode 5 de notre podcast Quand les choses ne se passent pas comme prévu Or, c'est vaste. Ça peut autant toucher à l'avant-naissance qu'à la naissance, qu'à l'après-naissance. Donc, comme d'habitude, je commencerai par nous demander de nous présenter.

  • Speaker #1

    Eh bien, je suis Barthélémy, je suis le papa d'une petite fille qui est née il y a un an et demi au calme, et bientôt le papa d'un autre enfant, de genre inconnu.

  • Speaker #2

    Je suis Ulysse, je suis le papa d'Amel, qui a trois ans et demi, et de Noam, qui a six mois.

  • Speaker #3

    Moi c'est Jonathan, je ne suis pas encore papa, mais bientôt. C'est un enfant que j'attends avec Rafaela, ma femme. Et aujourd'hui, le sexe, pour l'instant, il est caché. On ne souhaite pas le dire. Nous, on le sait, mais on ne souhaite pas le dire. Je trouve que c'est un peu plus intime. Et ça me permet de me projeter, moi, un peu plus. C'est mon premier enfant,

  • Speaker #2

    donc. C'est votre petit secret de couple. C'est sympa. Oui,

  • Speaker #3

    complètement.

  • Speaker #0

    Or moi, à l'inverse, je voulais absolument connaître le sexe de mes deux enfants.

  • Speaker #3

    Moi aussi, je veux connaître, mais je ne veux pas le dire. Moi, je me dis, ah oui, tu attends un garçon, tu vas voir, les garçons, c'est comme ça, dès la naissance, tu vas galérer les premiers mois. Ou alors, ah, c'est une fille, tu vas voir, elle va être vraiment très proche de toi et pas du tout de ta femme. Et tout ça, je n'ai pas envie. Donc, j'ai envie de garder ça pour moi et pour ma femme et de faire nos projections nous-mêmes. Et on va voir ce que ça va donner.

  • Speaker #0

    Je suis Daniel, je suis papa de Pablo qui veut fêter son anniversaire de 5 ans et demi la semaine prochaine et de Alice, sa petite sœur, pour laquelle justement on voulait savoir si c'était une fille ou un garçon afin d'annoncer à Pablo s'il aurait un petit frère ou une petite sœur pour rendre ça concret pour lui. Ce thème de ce soir, peut-être justement on ne se connaît pas. Pour toi, comment ça résonne cette idée quand les choses ne se passent pas comme prévu ? Moi,

  • Speaker #3

    il me parle beaucoup parce que je déteste les surprises et j'aime bien un peu tout planifier. Et alors là, ça va être, je crois, la plus grosse surprise de ma vie, je pense, d'avoir un enfant. Et de me dire comment ça va se passer et si ça se passe mal. Parce que concrètement... ne l'ayant pas vécu, ça va être une sacrée épreuve cet accouchement-là. Et je me dis, oui, peut-être que pour moi, quand je vais imaginer que ça se passe mal, finalement, ça va être juste bien se passer.

  • Speaker #1

    Moi, on a plutôt pris le parti de, un peu systématiquement, prévoir le pire. Pour, si quelque chose s'était mal passé, ça aurait été, entre guillemets, prévu. Elle s'est autodiagnostiquée du diabète gestationnel, la macrosomie de l'enfant, l'enfant dans le mauvais sens. Tout ce qui peut mal se passer, le moindre signe était prétexte à monter un scénario du pire.

  • Speaker #3

    Ça ne t'a pas mis une angoisse ?

  • Speaker #1

    Si, bien sûr. À elle plus qu'à moi, d'ailleurs.

  • Speaker #3

    Ah oui ? Mais du coup, ta femme, elle t'a fait imaginer tout le champ du possible, du pire, qui pouvait lui arriver pendant cette grossesse-là ?

  • Speaker #1

    Pas tout, je ne l'ai pas suivi aussi loin à chaque fois, mais tu es obligé d'avoir un minimum d'empathie, parce qu'elle, elle est dans son corps, donc elle est sans ses symptômes, elle est aux premières loges.

  • Speaker #2

    Qui tu es pour lui dire non ? J'ai été un peu marqué par le fait qu'il disait, ma femme essaye de tout imaginer, mais je pense que tu ne peux jamais tout imaginer. Et c'est justement ça l'imprévu, c'est le truc que tu n'as pas pensé. qui arrive et qui...

  • Speaker #3

    Moi, j'adore parler de ça. Parce qu'avec ma femme, j'ai l'impression que tout s'est déroulé un peu comme si on avait déjà tout écrit. C'était un papier à musique, presque. Quand je me suis mis avec elle, de suite, j'ai vu en elle la mère de mes enfants. Et elle, inversement, aussi. On s'est dit, bon, ça serait bien qu'on ait un enfant après le mariage. Et donc, on s'est mariés. Et... Et puis, le voyage de Noce se passe.

  • Speaker #2

    Je dénonce. Désolé.

  • Speaker #3

    Et quelques semaines après, je ne sais plus quand exactement, un matin, elle m'annonce qu'elle est enceinte. Et là, la première chose que je lui dis, c'est déjà ? C'est vraiment écrit comme sur un papier à musique. Tout était déjà prédestiné. Et donc, je n'ai même pas eu le temps de me poser la question. on va pas réussir à avoir un enfant et que bah en fait finalement elle était déjà enceinte pour l'instant tout est dans le comme prévu oui mais tout est dans le comme prévu mais moi

  • Speaker #1

    je suis un petit peu dans ton cas aussi Jonathan dans le sens où pour moi aussi ça a été ça a été rapide ah oui ?

  • Speaker #3

    trop rapide ou ?

  • Speaker #1

    ouais un peu nous en plus on a On a emménagé, on a conçu au même moment, tu vois, ensemble. Et ça prend de court, un peu.

  • Speaker #3

    Ah bah là,

  • Speaker #1

    complètement. Mais...

  • Speaker #3

    Café le matin, c'est d'autre monde.

  • Speaker #1

    Je crois que t'es nécessairement surpris.

  • Speaker #2

    Ouais. J'ai pas la même... Enfin, ça se ressemble un peu, parce que dans le sens où, effectivement, on a... On va dire qu'on a beaucoup planifié. Moi, j'ai été très longtemps avec ma compagne avant d'avoir un enfant. À un moment donné, on a fait un grand voyage et c'était notre idée, c'était de démarrer la conception après ce grand voyage. Voilà, nous, ça n'a pas été du tac au tac. Voilà, on a attendu six mois pour... pour que le bébé arrive dans le ventre de colline. Donc tout ça, c'était tout à fait raisonnable. Mais quand même, le temps d'attente est assez long. Donc j'étais pressé.

  • Speaker #0

    Moi, je rejoins plutôt le groupe de ceux qui ont été étonnés que ça se passe vite.

  • Speaker #2

    Moi, j'ai l'impression que je suis le seul à l'avoir vu.

  • Speaker #0

    Mais je m'étais fait le film que ça serait long, comme toi, Élis. Et du coup, à partir du moment où on a décidé un enfant, hop, ma compagne a été enceinte et je crois qu'on en était tous les deux très étonnés. Ça y est, donc, ah oui, ok, d'accord, super, très bien, et puis même génial. Et puis, très rapidement, les choses se sont emballées, médicalement, et ça nous a pris de court également. Dans le sens que, ben oui, il y a un enfant, donc il faut faire une échographie de datation. Et je me retrouve d'un seul coup une échographie, mais beaucoup trop tôt, avec ce côté Ah ben c'est formidable, il y a un cœur qui bat, je suis ému. Oui, mais le rythme est bizarre, le rythme est lent. À mon avis, l'embryon ne va pas tenir. C'était un mois et demi, deux mois. Une sortie de cette journée-là, un peu, je suis très heureux, mais je suis très triste et très décontenancé. Puis on se retrouve à un café et puis on... On est très énervé contre la personne qui nous a dit ça. On trouve que c'est un peu n'importe quoi, que ça nous a été dit n'importe comment. Et on ne sait pas si on est en train de devoir s'accrocher à un espoir d'un embryon qui doit s'accrocher et vivre ou si on est en train de ne pas vouloir entendre ce qu'on nous dit. C'est-à-dire qu'en fait, statistiquement, cette grossesse ne va pas marcher. Et puis bon, ça se confirme avec d'autres examens que ça ne va pas tenir. Mais en même temps, ça vit encore. Donc comment faire avec ça pendant ces semaines-là ? Et d'un seul coup, ça s'emballe en fait, on s'emballe par les retours des autres dans l'angoisse parce qu'on ne se fait pas de représentation de comment ça va terminer. Donc on passe quelques semaines comme ça, entre eux, il faut que ça se termine au plus vite, médicalement mais comment ? Jusqu'à non, non, ne prenez pas leur voiture parce que quelqu'un nous dit vous prenez la voiture La voiture, c'est des vibrations à cette époque-là et les vibrations, c'est mauvais pour l'embryon. Et en même temps, on nous a dit dans tous les cas, ça va terminer. Donc, on met toutes les chances de notre côté pour quelque chose où tout le monde nous dit il n'y a plus de chance Et donc on finit contre l'avis d'une certaine personne au niveau médical de prendre la voiture, oui faire le long voyage vers l'océan, et puis quitte à vivre ça, peut-être le vivre devant l'océan ça sera quand même mieux. Et puis tout se soulage grâce à la voix d'une sage femme qui nous dit mais en fait c'est naturel ce qui vous arrive. qui dit à un compagne, mais ça s'appelle une fausse couche, oui ça va vous arriver, ça va vous arriver une nuit ou un matin, puis vous allez la traverser, et puis voilà comment ça va se passer, puis l'embryon va sortir, et puis votre corps va créer des contractions, comme pour un accouchement, et puis voilà tel médicament pour la douleur que vous pouvez prendre comme ça, et puis voilà, vous êtes l'homme, et vous allez l'accompagner, et puis c'est la vie, c'est l'existence. Et alors ça... Ça nous a paru juste dès les premières secondes. Oui, ça nous regarde elle et moi. Puis oui, ça va se passer sur le moment comme ça doit se passer. Puis ça ne s'est pas passé au bord de l'océan. On est revenu, puis on l'a vécu ensemble dans cette soirée-là. Et puis ça a été une expérience évidemment difficile de voir sa douleur. Puis elle était transparente, vraiment. Et en même temps, j'ai compris que je pouvais avoir toute confiance dans cette femme. Que je me suis dit, elle est vraiment en train de le traverser. Et quelque part, cet événement, cette fausse couche, ce premier enfant, Cette première possibilité d'enfant, vu son âge, je ne sais pas comment dire, nous a permis de confirmer que oui, on voulait un enfant, que oui, on était capable ensemble de traverser des épreuves fortes, et que maintenant, on savait ce qu'on ne voulait pas au niveau médical, et on savait ce qu'on voulait. Et de là est née la volonté de ma compagne d'aller vers plus de douceur dans l'accompagnement de la naissance, en fin de compte. Donc ça nous a énormément rapprochés. Moins de médicaments. Et c'est un enfant à qui on a fait une petite pierre au bord d'une plage, très symbolique et très rituel. Mais d'un seul coup, on était associés ensemble avec la possibilité d'un être. Et en fin de compte, c'est une expérience que je ne vois que positive aujourd'hui. Souvent, on dit que la fausse couche, c'est une expérience dure. Alors oui, c'est une expérience dure. Mais en termes de couple et de récit de notre famille, je n'ai pas encore trop eu le temps de le partager avec mon fils. Mais je pense que je le ferai dans peu de temps.

  • Speaker #2

    Est-ce que c'est une pierre que vous pouvez revenir voir ou c'est une pierre qui a été emmenée par les flots ?

  • Speaker #0

    Le rocher, l'endroit, le rocher, je pense qu'il sera là encore quelques milliers d'années. La petite pierre sous terre, sous le sable, elle sera emportée quand la nature en décidera.

  • Speaker #3

    Ça pose la question aussi, à quel moment tu le dis aussi à ta famille, tes amis, parce que potentiellement, il y a cet imprévu là qui arrive. Et est-ce que tu as envie que ta famille t'accompagne là-dedans ou justement, tu as envie de le garder pour toi et pour le couple ? C'est un peu compliqué.

  • Speaker #1

    Tu peux te retrouver seul avec ça.

  • Speaker #2

    C'est une excellente question et je pense que tu te dis forcément sur le moment. Plus il y aura de monde au courant, plus ils vont me le renvoyer dans la gueule et plus la douleur va être dure. Et au final, pour l'avoir vécu de mon côté aussi, je pense que plus il y a de monde au courant, finalement plus c'est facile à vivre parce que c'est aussi un entourage.

  • Speaker #1

    J'ai une histoire un peu particulière qui fait un peu écho à la tienne, Daniel. C'est que mon deuxième enfant, là, que j'attends maintenant, il était envisagé, mais il n'était pas prévu. Et sur tout le premier trimestre de grossesse, ma compagne a fait un truc qui est assez commun, mais pas très connu, qui est une dépression du prépartum. Et ça rejoint un peu ce que tu dis, Daniel, parce que... J'ai passé trois mois avec un enfant de Schrödinger. Je ne savais pas si ce serait un enfant ou si ce serait un avortement. On est allé assez loin dans plusieurs plannings familiales successivement. On s'est arrêté avant le petit cachet qui rend la chose un peu irrémédiable. Et ouais, ça c'est dur. Et c'est d'autant plus dur que comme... La continuation de cette grossesse était suspendue à une autre décision. Et que notre décision était fonction de sa dépression, d'une maladie. Mais à l'époque, on ne le savait pas. Et puis quand on est dedans, on ne sait pas ce qui dépend de la maladie. Comme la dépression, ça joue sur les ressentis. Tu ne peux plus faire confiance à ce que tu ressens. Tu fais confiance à quoi ? Et ça a été compliqué d'en parler. Parce que... On en a vraiment parlé à très très peu de gens, à des gens dont on était sûr qu'ils étaient capables de comprendre, qu'ils étaient capables de ne pas trop investir émotionnellement. Enfin, typiquement, la famille, ce n'était pas possible. Parce que les grands-parents, tu leur dis, votre petit enfant, peut-être, mais peut-être pas. Et ça va dépendre de ce qu'on va décider, parce que là, tout de suite, on n'est pas en état de savoir. Tu ne peux pas annoncer ça. Donc ça a été des mois assez compliqués. Mais on l'a traversé et ma femme a retrouvé le sourire et est redevenue la personne que je connais. Et cette grossesse s'est poursuivie et les choses sont rentrées dans l'ordre.

  • Speaker #3

    Ça a duré combien de temps, cette période-là ?

  • Speaker #1

    Le premier trimestre, trois mois.

  • Speaker #3

    Trois mois ? Et puis ça, ce n'est pas quelque chose sur lequel on se prépare à l'école. À l'école, on ne parle pas de ça, tu vois, ou même ailleurs.

  • Speaker #0

    Et ça revient un peu à ce que tu disais aussi, Ulysse. Tout à l'heure, tu disais en fin de compte, on croit qu'en se taisant, ça va être plus facile parce que justement, ça réactive la douleur de parler à tout le monde. Et toi, tu disais, ta propre expérience, c'est qu'au contraire... De parler, ça aide beaucoup. C'est de la chaleur humaine.

  • Speaker #2

    Même si c'est très difficile de le dire, parce que ça demande de raconter à nouveau, de te replonger dans ces moments difficiles. Et pour la société aussi, comme tu dis, de parler des fausses couches, c'est essentiel. Je pense que c'est de parler des bébés morts, c'est essentiel. Donc moi, mon expérience, c'est que ma première fille est décédée peu après la naissance. Je t'ai parlé de mes deux enfants, mais j'en ai une troisième, qui s'appelle Léonore, et qui est décédée peu après sa naissance. Pour le coup, nous, la question ne s'est pas posée de le garder secret, puisque notre grossesse était arrivée à terme, jusqu'à même la naissance, donc tout le monde savait. Mais par contre, on a quand même fait une démarche volontaire de non seulement ne pas le garder secret, mais le diffuser le plus largement possible. On a fait une cérémonie pour son enterrement. Enfin, ce n'était pas son enterrement, mais une cérémonie en tout cas. Et on a invité des gens qui n'étaient pas du tout au courant de la question. grossesse j'ai invité des collègues j'ai invité vraiment tout le monde autour de moi avec dans cette idée que que justement je voulais pas me retrouver avec dans la situation où dans deux mois quelqu'un je me retrouve face à quelqu'un qui n'est pas du tout au courant de ce qui m'est arrivé voilà mais pourtant c'est arrivé même des gens qui étaient tout à fait au courant Comme c'est très difficile de parler des enfants morts, finalement, il y a beaucoup de gens qui ont fait comme si rien ne s'était passé par la suite. C'est très difficile à vivre. Donc nous, on a fait ce choix-là pour ces raisons-là et je ne regrette vraiment pas. On a pu se confier ici, on a pu partager, on était entouré avec des personnes qui parlent le vrai, comme tu disais. Pour votre fausse couche, Daniel, effectivement, des mots simples et sincères, ça aide beaucoup.

  • Speaker #0

    Parce que du coup, à ce moment-là, vous, toi et ta compagne, vous avanciez sans modèle.

  • Speaker #2

    Non, parce que pour le coup, là, ce qui nous est arrivé, c'est l'imprévu total. C'est avoir un enfant qui va mourir, c'est pas... C'est pas quelque chose que tu peux prévoir pour le coup. Tu peux essayer d'anticiper. Je pense que tu peux essayer d'anticiper toutes les galères du monde. Ça, c'est de l'ordre de l'impensable, en fait. Donc là, on est dans l'imprévu total. Mais voilà.

  • Speaker #3

    Et ça, votre couple, vous avez réussi à le traverser grâce justement à ta famille, tout ça ?

  • Speaker #2

    Je pense, oui. Oui, je pense grâce au fait qu'on en parle, grâce au fait que notre couple était fort depuis longtemps. On a fêté nos 17 ans ensemble de vie commune, donc on était à 10 ans de vie commune à 11 ans au moment de Léonore. Oui, on l'a traversé. Bon, il se trouve qu'on est dans une situation particulière au CAM, c'était qu'on s'était lancé à ce moment-là, il y avait des ateliers d'écriture qui existaient. Et nos proches, effectivement, le fait qu'on ait fait une cérémonie, le fait qu'on ait écrit, qu'on ait une tombe. beaucoup de choses qu'on a faites après je sais pas peut-être que on aurait pu faire les choses très différemment et qu'on aurait aussi bien vécu ça c'est difficile à dire en tout cas je peux juste raconter ce que nous on a fait et je peux dire qu'on l'a bien vécu on l'a bien vécu parce que on se sent toujours fort de ça en fait c'est une expérience qu'on qu'on regrette pas et qu'on chérit même notre premier accouchement était formidable c'était un moment un moment absolument génial qui est dans nos cœurs à vie.

  • Speaker #3

    Et t'as pas eu peur après pour les enfants ? Après, par la suite, ça a pas été une angoisse ?

  • Speaker #2

    Un petit peu, un petit peu, mais moins que nos proches.

  • Speaker #0

    Ah ouais ? Moi, j'ai toujours eu la sensation en t'entendant parler de Léonard, d'Amel et puis plus récemment, en plus de Noam. Ouais. qu'en fin de compte, les questions tabou appartiennent plutôt aux autres. C'est presque le regard des autres personnes qui pourrait mettre dessus des tabous ou des différences, plutôt que vous.

  • Speaker #2

    Oui, après, de fait, on met nos propres tabous certainement, et du coup, ceux qu'on a mis, nous, ne sont pas du tout évoqués, donc ne sont pas perçus.

  • Speaker #0

    Est-ce que tu as envie, Ulysse, puisque tu parlais de l'atelier d'écriture, que tu avais commencé avant la naissance de Léonore et que tu as continué après, de nous partager le texte que tu as écrit à cette époque-là ? Est-ce que pour toi, ça te paraît un bon moment, adapté ?

  • Speaker #2

    Je veux bien, je vais demander l'allure de Jonathan, parce que lui, il va être papa. Donc, c'est un texte... Du coup, effectivement, j'avais commencé à écrire des textes... Avant la naissance, après la naissance, évidemment, tout ça a changé. Donc finalement, c'est devenu un texte où je décris relativement précisément tout ce qui m'est arrivé, donc l'accouchement, la naissance, et après la réanimation et le décès. Donc c'est peut-être un peu lourd pour toi d'entendre ça aujourd'hui. Donc voilà, tu as le droit de dire que ce n'est pas le bon moment.

  • Speaker #3

    Non, je pense que c'est... Là, ça a mis beaucoup de sérieux. Au début, j'étais... Moi, je suis arrivé un peu... Tu vois, c'est les oiseaux et tout ça.

  • Speaker #2

    Désolé.

  • Speaker #3

    Non, non, non, mais c'est bien parce que je ne suis pas assez terre à terre. Et c'est vrai, je voulais rajouter un truc aussi sur le fait que c'est l'impensable, mais c'est aussi parce que c'est un peu le sacré. On n'imagine pas qu'une âme aussi innocente puisse partir si vite. Et je pense que c'est important justement que... Moi, je ne l'ai jamais envisagé encore pour l'instant.

  • Speaker #2

    Je ne te souhaite pas de l'envisager. Non, non, non,

  • Speaker #3

    mais il faut quand même le garder à l'esprit, potentiellement une petite porte ouverte là-dessus. Et je pense que c'est bien justement que tu en parles.

  • Speaker #2

    Merci. Et je pense que ce n'est pas inutile, même si je ne te souhaite pas de l'envisager, comme je l'ai dit, même si ça crée des angoisses potentiellement. Forcément.

  • Speaker #0

    Tu vois, tu dis de le raconter, ça crée des angoisses. Moi, j'aurais envie de dire, ça dépend pour qui. Moi, avant moi et mon frère, il y a eu une sœur. Donc, une grande sœur dans les années de naissance, mais que je n'ai jamais connue puisqu'elle est morte juste avant la naissance. D'entendre ces récits-là... Moi, ça ne me crée pas d'angoisse, ça me soulage. Et donc, ce n'est plus l'inquiétude d'un mystère, c'est en parler entre nous. Donc non, pour te dire, moi, je ne le reçois pas comme une angoisse. Au contraire, je le reçois comme un soulagement.

  • Speaker #2

    Ok. Notre Barthes aussi. Oui. Alexandre, au fond de la salle. Du coup, je me permets d'aller pisser avant. Oui.

  • Speaker #0

    donc ça c'est le texte que tu as écrit en L'atelier d'écriture.

  • Speaker #2

    Voilà, c'est un texte qui date du coup de 2018, de la naissance de Léonore. Et son titre c'est 30 ans, 9 mois et 2 jours, qui correspond à mon temps d'attente de devenir papa. Un peu avant midi, le téléphone sonne. C'est ta mère. Elle a des contractions depuis ce matin et ça s'intensifie. Neuf mois que je tourne autour du ventre de ta mère comme un gamin impatient qui attend son jouet. On se calme. Respiration, méditation, zen. Je vais te voir, ma fille. J'exploserai de joie à ce moment-là. Quand je vous rejoins enfin, je me mêle, enthousiaste, à ce marathon dans lequel vous êtes toutes deux engagées. Une course de fond, calme, apaisée et délicatement orchestrée. Ta naissance, mon amour. Quand nous arrivons au calme, Eva, notre sage-femme, nous accueille chaleureusement. Notre chambre sent bon la lavande, la fraîcheur et un bain chaud et coulé. Ta mère s'y plonge sans attendre, pendant que je déballe nos affaires. Je pose notre lampe comme un conquérant marquant son nouveau territoire. J'installe nos bougies longue durée dans des petites soucoupes que je répartis à même le sol de la pièce. Eva m'aide à installer nos draps sur le lit et il ne me reste plus qu'à démarrer la musique. Eva nous sert une tisane qui ne sera jamais bue. Car les vagues de contraction nous laissent déjà peu de répit. Si ta mère est un navire, violemment chahuté par une mer agitée, je suis ses gréments, solidement fixés à sa proue. Certes, protégé de la fureur des flots, mais balotté au rythme des secousses. Au fur et à mesure que la nuit s'épaissit, le travail devient plus intense, plus rythmé. Ces contractions sont profondes, régulières. Ta mère mène la danse, nous commandant nos gestes, nous contraignant nos positions, nous rythmant nos respirations, chorégraphiant ainsi un spectacle bouleversant, intime et profondément sensuel. Se glissant péniblement jusqu'au lit, elle est immobilisée par une intense contraction. L'atmosphère change, car ta tête vient de s'engager dans le bassin. Ta mère, que je croyais à bout de force, va se mettre à pousser. mobilisant une énergie nouvelle, puissante, insoupçonnée, pour permettre ta venue au monde. Je m'arrête un instant pour contempler et fixer dans ma mémoire ce moment magique que nous partageons, instant suspendu, que le jour baigne toujours plus de sa lumière, illuminant ainsi une scène profondément intime, gracieuse, une page de vie d'une intensité incomparable. Je fixe ces souvenirs pour ne rien oublier, quand les jours viendront où tu me demanderas de te raconter. Mais même les instants suspendus ont une fin. À 8h03, ton arrivée me ramène dans l'instant présent. Eva nous invite à nous redresser pour te contempler au milieu de nos corps emmêlés. Léonore. Tu nais violette foncée, avec le crâne en forme d'obus, des cheveux bien présents, deux petits yeux, fermés pour le moment, un nez, une bouche, quatre membres et un tronc qui se remue délicatement sur le matelas, cherchant du confort dans ce nouvel environnement. Tu clignes les yeux, ouvres la bouche et pousses un petit cri. Mais quelque chose s'arrête. Comment aurions-nous pu voir qu'Eva commençait à s'inquiéter ? Comment aurions-nous pu comprendre, quand elle nous demande de t'appeler par ton prénom, qu'elle essayait de déclencher une décharge d'adrénaline pour relancer ton cœur, ma chérie ? Nos appels ne suffisent pas. Eva doit couper le cordon plus vite que prévu pour t'apporter des soins. Le temps de le dire, en quelques gestes précis, le cordon est coupé. Elle te saisit pour t'emmener sur une table à longer, pendant qu'Emma rentre une roulante de matériel d'urgence. Pendant que jette ta mère à s'allonger sur le lit, Eva et Emma t'aspirent une grande quantité de liquide des poumons. Ton cœur repart. Mais tu ne parviens pas à respirer seul. Tu as bu une sacrée tasse et tes poumons restent gorgés d'un liquide gluant, terriblement difficile à éliminer. À 8h05, tu rejoins la salle de réanimation de la maternité des Bluets, à l'état supérieur, où ta prise en charge nous échappe définitivement. Ma petite fille chérie, toi qui es si parfaite, tu vas forcément te remettre. Tu vas redescendre, nous te prendrons dans nos bras et enfin, mon cœur explosera du bonheur d'être ton papa. Mais ce n'est que 50 minutes plus tard que je vais te revoir, seule, dans une petite salle entourée de personnel soignant. Que tu es belle. Une délicate teinte rosée, tu agites tes membres au son de ma voix, tu vas même me montrer tes jolis yeux l'espace d'un instant. Brûlant d'envie de les revoir, je te chante une berceuse et te caresse les bras. Tu ne les ouvriras plus. Des torrents d'émotions contradictoires s'entrechoquent dans mon cœur. Mon amour, je suis si inquiet. Quel soulagement de te voir. Il faudra trois heures pour que le SAMU soit prêt à te transférer au centre de réanimation de Créteil. Tu as pu passer faire un coucou à ta maman et nous te laissons au Grouny, ton petit chien en peluche, pour voyager avec toi. Mais tu es déjà bien en peine, en lutte pour ta survie, et j'ai bien peur que nous ne t'apportions que peu de réconfort. Je fais le voyage avec toi, sirène hurlante sur le périphérique. Suis-je inquiet ? Certainement, mais résolument positif. Je mange une banane dans l'ambulance pour reprendre des forces. A l'arrivée, mon optimisme va prendre un sacré coup. Ils envisagent de te mettre sous combinaison hypothermique pendant trois jours. Je prends peur. Je m'assure qu'ils ont besoin de mon accord pour engager le traitement. La médecin prend peur à son tour. Elle veut me faire signer un papier les autorisant à t'opérer. Je panique. Je suis confronté à une décision imprenable, ne pouvant mesurer ni le danger qui pèse sur toi, ni ton ressenti sur ta médicalisation à marche forcée. Est-ce là mon rôle de père, de voir trancher entre deux inacceptables ? On me permet de te voir, finalement. Tu respires mieux, tu as été réintubé, mais tu as l'air faible. Tu ne réagis plus à ma voix, à mon toucher. À la recherche d'un espace vert, je trouve le bord d'un canal, puis je déverse mes larmes sur ce ponton en bois au-dessus de l'eau. Le lendemain. Le lendemain, quand j'arrive à l'hôpital, ta mère me fait rire en décrivant ses multiples examens à répétition et ses aventures au service des suites de couches. Elle t'a vu ce matin. Il semblerait que tu n'aies pas passé une super nuit. Les médecins veulent nous en parler. Ça tombe bien, car elle me tarde de te voir. Nous sommes heureux de te dire bonjour ensemble, de te retrouver après une nuit de sommeil qui a finalement clos cette journée à rallonge. Bienvenue dans ton deuxième jour de vie ma chérie. On nous permet de t'avoir dans nos bras, enfin. Mobilisant trois infirmières, on te place dans les bras de ta maman, puis de ton papa. Tu rencontres tes grands-parents, tes tantes, nous prenons des photos, te couvrons de bisous, nous sommes presque heureux dans notre malheur. Nous profitons des heures les plus intimes qui nous a été donné de vivre avec toi. À la fin du jour, je t'ai dans mes bras pour la deuxième fois de ma vie, mais la tienne est déjà en train de s'échapper. Tes forces t'abandonnent petit à petit, rompues à l'effort constant que tu accomplis depuis ta naissance pour vivre. Ton corps est maintenant complètement dévitalisé. Ce soir tu vas partir et tes efforts seront terminés. J'accouche de tous mes espoirs, de tous mes désirs de te connaître, t'accompagner, te suivre, te regarder, te materner, te voir rigoler, aimer, rêver. Je perds les os. C'est si soudain, c'est trop rapide. Je n'étais pas préparé. Pas d'Eva pour m'aider. Ta mère suit encore des examens pour sa sortie. Je suis seul, avec toi dans mes bras dont la vie s'enfuit. J'hurle par tous les ports de ma peau pour que tu m'entendes et que tu saches quand tu partiras tout l'amour que j'ai pour toi. C'est au tour de ton cœur de rendre son dernier combat. Ton rythme cardiaque ralentit doucement. On te place dans les bras de ta mère, on supprime une à une les machines et les tuyaux qui te maintiennent avec nous, et tu t'éteins calmement à la fin de ce deuxième jour de ta courte vie. Nouvelle contraction, indolore. Était-ce la délivrance ? Merci d'avoir écouté. J'aime beaucoup, beaucoup ce texte.

  • Speaker #0

    À qui l'as-tu lu ?

  • Speaker #2

    Alors, figure-toi que nous avons fait un spectacle, donc je l'ai lu à une bonne centaine de personnes qui étaient présentes à ce spectacle. On a fait une lecture commune avec Colline, donc on a mélangé nos deux textes.

  • Speaker #3

    Je pense que c'est important que tu le dises aux autres, parce que pour moi, ça m'a touché et je pense que j'en avais besoin. Donc, je te remercie là-dessus. Là, j'aurais tellement de questions.

  • Speaker #2

    La naissance, tu veux dire ?

  • Speaker #3

    Non, après ce moment-là qui t'est arrivé, parce que moi, j'aurais eu tellement de colère en moi. Que ça me soit arrivé, j'en aurais voulu à la terre entière. Je ne sais pas si toi, tu es passé par toutes ces étapes-là ou quoi, mais...

  • Speaker #2

    Peut-être.

  • Speaker #0

    Après le texte que tu nous as lu sur Léonore, justement, toi, comment tu as envisagé et comment tu as vu la naissance d'Amel ou comment tu as vu la naissance de Noam ?

  • Speaker #2

    Tu parles de comment tu voyais l'accouchement ?

  • Speaker #0

    Oui, comment tu as abordé, comment tu allais vers les autres naissances.

  • Speaker #2

    Je ne vois pas trop de changements, à part qu'on avait ça en tête. Notamment pour Amel, on avait un peu peur que la même chose se reproduise, ce qui est un peu insensé, parce que c'est très très rare. C'est naturel. mais voilà c'est un peu peur je voyais je m'imaginais un accouchement assez long et j'avais peur effectivement d'avoir peur d'un accouchement long bon bah c'était un accouchement très rapide pour les deux autres quand j'entends vos témoignages moins rapide que vous mais par rapport à léonard très rapide Mais du coup, en tout cas, d'avoir vécu Amel et Noam, je peux confirmer ce que disait Sage-Femme, que chaque enfant est différent et du coup, chaque âge couchant est différent et l'histoire ne se répète pas.

  • Speaker #3

    Et c'est vrai que ce qui a fait du bien un petit peu aujourd'hui avec justement toutes ces langues qui se délient ou alors toutes ces informations qui se transmettent, c'est qu'auparavant, moi, je m'imaginais un petit peu... l'accouchement comme ce qu'on voit dans les films et c'est pas du tout ça concrètement donc non donc c'est bien d'avoir un peu ce panel là qui permet à la fois de prendre un peu de recul et puis de se dire ben c'est c'est un peu l'inconnu et puis ben on y va quoi donc

  • Speaker #0

    Merci. C'est toujours précieux d'avoir quelqu'un qui en apprend.

  • Speaker #1

    L'Apéro des papas, un podcast enregistré par Alexandre Molle, monté et mixé par Maxime Champême, organisé par Ulysse Vincent et Barthélémy Lagneux, écrit et réalisé par Daniel Toiti. Musique composée par Jimmy Hu, produit par l'association Au Calme avec le soutien de la Fondation de France. Moyens techniques fournis par DCA et Ciel Rouge Studio. Au prochain épisode, nous parlerons d'être à la fois père et homme.

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