- Speaker #0
Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu, le podcast engagé qui remet la philosophie au cœur de l'actualité. Ici, pas de philo prétentieuse et déconnectée du monde, mais une philo accessible et ancrée dans la société. Tous les mercredis, je vous propose une chronique commentant l'actualité et, une fois par mois, l'interview d'un ou d'une philosophe contemporaine. Prêt et prête pour une philosophie vivante et engagée ? Bienvenue dans le fil d'actu. Peut-on philosopher avec les enfants ? Comment la pratique de la philosophie dès le plus jeune âge peut-elle être une source d'émancipation, d'esprit critique, d'estime de soi et de sens ? Pourquoi la philosophie ne devrait-elle surtout pas être réservée aux adultes ? Voici les questions que j'ai posées à Edwige Chiroutère, philosophe de l'éducation et titulaire de la chaire UNESCO. dédiée à la pratique de la philosophie avec les enfants. Dans cet épisode, elle nous présente sa conception d'une école philosophique qui permet de repenser toute la mission de l'éducation et de démocratiser une philosophie trop souvent élitiste et inaccessible. Ce qu'Edwige Hirouter raconte est bouleversant. Elle nous raconte son expérience de la philosophie avec les enfants qu'elle pratique depuis 25 ans. Vous allez retrouver votre âme d'enfant, imaginez une école où vous auriez rêvé d'aller. et reconsidérer les enfants autrement, comme des graines de philosophes. Alors, êtes-vous prêts et prêtes pour un rêve d'enfance qui pourrait peut-être devenir réalité ? Bonjour Edwige.
- Speaker #1
Bonjour.
- Speaker #0
Je suis extrêmement excitée de te recevoir aujourd'hui, vraiment très émue en fait, parce que j'ai moi-même un enfant de trois ans et donc un petit philosophe, une graine de philosophe. D'habitude, je pose une question rituelle pour les interviews, je demande... C'est quoi pour toi la philosophie ? Mais là, ça va être le thème de tout notre épisode. Et donc, je vais te poser une question un petit peu décalée. Pour toi, qu'est-ce que n'est pas la philosophie ?
- Speaker #1
Alors, qu'est-ce que n'est pas la philosophie ? Je vais répondre avec mon prisme, qui est chercheur, qui travaille depuis presque 25 ans sur les ateliers de philosophie qu'on peut proposer à des enfants et à des adolescents. Quand on pratique des ateliers de philosophie, ça n'est pas. un café du commerce, une discussion informelle qui serait une énumération de nos idées toutes faites, de nos préjugés, de nos opinions. Donc ça n'est pas un café du commerce, même si j'adore les cafés du commerce, parce que le travail philosophique, c'est un moment, je reprends souvent une expression d'Anna Arendt où elle dit des oasis de pensée. C'est un moment où on fait un peu pause par rapport à l'urgence du quotidien et où collectivement c'est très important que les ateliers philo avec les enfants, adolescents ou même adultes en coopération intellectuelle. Tous ensemble, on se pose. Voilà, pousse par rapport à l'urgence et on va prendre le temps, une demi-heure, une heure. Mais c'est quoi une vie réussie ? Mais faut-il vraiment avoir peur de la mort ? Mais c'est quoi une loi juste ? Mais est-ce que parfois c'est sage de désobéir ? On vient tous à l'atelier philo, et ça c'est vrai à tout âge, avec nos préjugés, avec nos opinions, avec nos idées toutes faites, avec nos croyances, avec tout ce qu'on n'a pas pris le temps avant d'interroger. qui nous vient de la famille, qui nous vient de l'environnement, qui nous vient de la culture. Et le moment philosophique, c'est un moment où on va passer à la loupe. J'ai une petite loupe avec les enfants, où je leur dis, on va examiner nos idées, on va aller regarder nos idées, on va voir si on pense vraiment ce qu'on a dit. Tu dis ça ? Bah t'es sûre ? C'est tout le temps vrai ? Bah ça pourrait pas être autrement. Et vous les autres, que vous en pensez, vous êtes d'accord ? C'est toujours vrai, c'est pas vrai ? Et donc il y a un moment où on est un peu bouleversé. C'est un peu ce que raconte Platon dans La Caverne. On est confortable dans la caverne de nos opinions, de nos préjugés. Et le philosophe, le travail philosophique, c'est un moment un peu d'arrachement qui peut être difficile, mais il peut être joyeux. On va voir avec les enfants, c'est super drôle. Mais c'est quand même un travail. Mais c'est quand même un moment où on prend le temps d'interroger, de passer à l'examen critique, de juger nos idées, pour voir à quel point on les pense. C'est vraiment un travail d'examen critique, de jugement des idées. Mais le travail philosophique, c'est ce temps qu'on prend pour justement passer à la loupe, passer à l'examen critique de façon coopérative et bienveillante aussi. Dirons, est-ce que je suis sûre de penser ce que je viens de dire ? Ce que j'ai affirmé, à quelles conditions c'est vrai ? On a le droit de se rendre compte qu'on s'est trompé. Parce qu'en philosophie, et le grand risque, je réponds à ta question sur ce que n'est pas la philo, ça n'est pas le relativisme des opinions. Ça n'est pas l'expression de l'ego sur des mentionnés du « moi je pense que, moi je pense que, moi je pense que » sans avoir fait ce travail justement en amont de forger des convictions. Donc le premier danger pour moi de la philosophie, ce serait le relativisme des opinions et des exemples personnels qui ne seraient pas interrogés, problématisés, travaillés.
- Speaker #0
Mais ce qu'on voit sur les réseaux sociaux, dès que tu dis quelque chose, il y a quelqu'un qui dit « oui mais moi j'ai vécu ça » .
- Speaker #1
Je crois que la philosophie... Et c'est pour ça que c'est des pratiques qui sont politiques. C'est un levier pédagogique, sans être la recette magique, parce qu'il n'y a pas de recette magique, mais c'est un levier pédagogique sur lequel, notamment l'école, peut s'appuyer pour lutter contre un des dangers qui menacent la vie démocratique, c'est justement ce relativisme des opinions. Parce qu'on apprend justement que nos idées, il faut les travailler véritablement et les passer à la loupe. Est-ce que c'est vrai ? Est-ce que c'est faux ? Est-ce que c'est juste ? Est-ce que c'est injuste ? Est-ce que c'est tolérable ? et que c'est intolérable. Tout ne se vaut pas. Tout n'est pas vrai, tout n'est pas juste, tout n'est pas tolérable. Et le travail philosophique, c'est ce moment justement d'oasis où on prend le temps collectivement de passer à l'examen critique nos idées pour examiner justement leur degré de véracité, leur degré aussi de tolérabilité. C'est un mot qui n'existe pas, mais je viens de l'apporter.
- Speaker #0
On a le droit.
- Speaker #1
Ce n'est pas le café du commerce, ce n'est pas la psychothérapie. aussi avec une énumération d'exemples personnels de vécu et d'intime, mais ce n'est pas aussi une leçon de morale qui serait un peu déguisée.
- Speaker #0
Ça, c'est très important parce que ce serait une tentation qu'on aurait de dire un cours de morale version années 50.
- Speaker #1
Exactement, c'est-à-dire que les ateliers de philosophie avec les enfants, avec les adolescents et avec les adultes, ça, je pense que c'est vraiment aussi... Ce n'est pas l'enseignant, l'animateur, le professeur qui va faire un atelier pour que les enfants finissent par penser qu'eux. C'est vraiment aussi montrer la Merci. la complexité, la pluralité des réponses possibles, ce n'est pas parce qu'il n'y a pas qu'une réponse possible qu'on peut dire n'importe quoi. Et ce n'est pas parce qu'il y a du vrai, du faux, de juste et de l'injuste qu'il n'y a pas non plus qu'une seule façon de répondre à ces questions. Donc c'est dans cet entre-deux-là, qui me paraît très politique, ni relativisme, ni dogmatique, que s'engouffre le travail philosophique.
- Speaker #0
C'est un travail très fin, parce que c'est vraiment un énorme enjeu. ne pas dire n'importe quoi, mais pas non plus avoir une pensée unique. C'est quand même un enjeu, le pluralisme, dans un certain respect de la réflexion et aussi des valeurs de société qu'on doit avoir en commun.
- Speaker #1
Mais je pense que c'est vraiment ça, c'est vraiment un pluralisme démocratique et national. C'est comment on construit... sur ces grandes questions qui ne sont pas n'importe quelles questions aussi. Quand je donnais les exemples, qu'est-ce que c'est qu'une vie réussie, on voit bien qu'il n'y a pas qu'une seule réponse possible. Mais on voit bien aussi qu'on ne peut pas dire tout et n'importe quoi, qu'il pourrait y avoir du vrai, du faux, du juste, de l'injuste, du tolérable et de l'intolérable. Ce que tu dis là est intolérable. Ce que tu dis là est factuellement faux. Donc je crois vraiment, et c'est pour ça que pour moi encore une fois, c'est une pratique qui est politique, le travail philosophique qu'on peut faire si on commence beaucoup plus tôt que l'année de terminale. Oui. c'est-à-dire avec des enfants très jeunes et en les entraînant de façon régulière, ça peut être vraiment un levier pour ce que Martha Nussbaum, qui est une philosophe américaine dans les émotions démocratiques, appelle la survie des démocraties. C'est un livre qui est paru au début des années 2000, 2010, où elle dit déjà que les systèmes éducatifs ne créent plus des citoyens éclairés, mais des futurs consommateurs ou des futurs agents du monde du travail économique, que les sciences humaines sont peu appréciées. peu délaissé, voire abandonné des systèmes éducatifs et que pourtant les démocraties, elles ont absolument besoin de pratiques qui sont des pratiques où justement se forgent à la fois la lutte contre le relativisme et la lutte contre le dogmatisme.
- Speaker #0
Alors il y a énormément de choses dans tout ce que tu viens de me dire, j'ai à peu près mille questions, donc on va essayer de les prendre dans l'ordre. Mais déjà, on va parler un petit peu de ton parcours, parce que tu as publié, ça fait 25 ans que tu travailles, tu me disais, sur la philosophie avec les enfants. Tu as publié plein d'ouvrages, des ouvrages de théorie, notamment un ouvrage qui s'appelle La philosophie avec les enfants, un paradigme pour l'émancipation, la reconnaissance, la résonance. Donc ça, on va pouvoir parler de ces trois aspects de la philosophie avec les enfants. Tu as aussi publié des livres pratiques, par exemple les nouveaux ateliers de philosophie à partir d'albums et autres fictions en 2022. Et à chaque fois, tu essayes de penser aussi ce lien avec la littérature. Vous voyez tout le programme qui nous reste dans cet épisode, ça va être passionnant. On va peut-être commencer par la partie théorique. La philosophie avec les enfants, tu nous expliques que c'est un paradigme pour l'émancipation, la reconnaissance, la résonance. Est-ce que tu peux nous parler de ces trois dimensions ?
- Speaker #1
Émancipation, on vient d'en parler. Bien sûr que la philosophie, elle nous permet d'échapper à toutes les formes d'aliénation possibles. Alors ça, c'est l'idéal, etc. Mais bien sûr, c'est une finalité du travail philosophique. Donner aux enfants les outils intellectuels et culturels qui leur... permettront de s'émanciper. Le deuxième, c'est la reconnaissance. Ça, c'est super important parce que la reconnaissance, c'est vraiment un besoin hyper important si on ne veut pas tomber dans la colère et la rancœur. Et les enfants, quand vers 4-5 ans, ils nous posent des questions philosophiques. Très, très souvent, on a tendance, nous les adultes, et je me mets aussi dans le panier quand mes enfants étaient tout petits, mais à ne pas prendre le temps justement pour réfléchir avec eux. Parce que c'est des questions qui sont difficiles, parce que c'est des questions qui sont complexes. Et on a tendance entre adultes, soit à se renvoyer la balle, de me demander ça à papa, de me demander ça à mamie, ou alors de lui dire, oh là là, c'est compliqué, tu verras ça quand tu seras grand. Comme si cette question-là, elle n'était pas pour lui et pour elle, là. maintenant hyper importante.
- Speaker #0
Il y a une urgence. Il y a une urgence.
- Speaker #1
Il y a une vraie question. Et puis, ce n'est pas n'importe quelle question. Ça va être la mort. Ça va être la violence. Ça va être l'injustice. Ça va être le mal. Ça, c'est des questions qui travaillent vraiment les enfants. Et donc, c'est comme si on lui disait c'est pas pour toi. Oui,
- Speaker #0
on désapprend le questionnement, en fait,
- Speaker #1
dans la façon dont on grandit. Là, tu vois, c'est vraiment avec les tout-petits. On a tendance à ne pas les prendre au sérieux. Pour les plus grands, et notamment là je pense à l'enseignement de la philo, en France en tout cas, mais ce n'est pas une exception, n'oublions pas que c'est les terminales, des lycées généraux et technologiques, mais pas professionnels.
- Speaker #0
Quand on y pense, c'est absolument honteux.
- Speaker #1
Mais oui, et ce qui fait que l'immense majorité des enfants des classes populaires, qui sont sociologiquement orientés vers ces sections-là, n'ont même pas une année de philo. En gros, c'est leur dire quand même qu'ils n'en sont pas capables.
- Speaker #0
Oui, ce n'est pas pour vous.
- Speaker #1
Ce n'est pas des questions pour eux. Vous n'avez pas besoin de poser des questions. La justice, le bonheur, comme si vous alliez vous intéresser à ça. Et puis, c'est un travail. Je l'ai dit tout à l'heure, c'est un travail. Mais vous n'allez pas réussir.
- Speaker #0
Oui,
- Speaker #1
vous allez réussir. Il y a un côté d'exclusion de la philosophie et le fait de le proposer. Ça a un effet de reconnaissance. Ça a un effet de dire que ce n'est pas pour plus tard. Tu es capable. Voilà. Et donc, il y a des effets. Je travaille avec le quartier mineur de la prison de Nanterre, où tous les vendredis, il y a des ateliers philo qui sont proposés. Donc, il faut voir la population de ces jeunes qui ont entre 13 et 17 ans qui sont incarcérés pour des crimes, parce qu'on n'est pas incarcérés pour des petits délits. Et on les voit et on voit à quel point ils sont abîmés parce qu'ils ont vécu eux-mêmes, parce qu'ils ont fait, parce qu'ils vivent en prison. Et dans ces ateliers, moi, ce qui me marque le plus, c'est le redressement des corps et des visages.
- Speaker #0
Physiquement, tu es...
- Speaker #1
Physiquement. et ça fait de la reconnaissance ça doit être bouleversant c'est vraiment bouleversant ce redressement des corps les visages les regards qui osent se croiser, oser prendre la parole et ça je pense aussi que si ces pratiques là sont proposées de façon régulière aux enfants très jeunes et aux adolescents qui a priori sont exclus de cet exercice là ça a des effets sur la reconnaissance et l'estime de soi et puis le troisième c'est la résonance et que... Ça, c'est un concept que j'emprunte au parrain de la chaire UNESCO, Artur Trosa, sociologue, philosophe allemand, et qui dit que, notamment pour apprendre, il faut être en résonance avec les savoirs. Et je crois que la philosophie, ce n'est pas que je crois, c'est que j'ai fait une recherche là-dessus, donc j'ai produit du savoir là-dessus. Quand on propose des ateliers de philo dans les disciplines scolaires, en art, en fait, qu'est-ce que c'est qu'une œuvre d'art ? Qu'est-ce que c'est qu'être un artiste ? En science, qu'est-ce que c'est qu'une vérité scientifique ? En histoire, peut-on tirer des leçons de l'histoire ? En sport ? on dit qu'il y a des jeux de filles et des jeux de garçons, en fait, on crée chez les élèves une réflexion de type méta sur ce qu'ils sont en train de faire à l'école.
- Speaker #0
Donc ça les connecte, ça donne du sens. La résonance, c'est donner du sens.
- Speaker #1
C'est donner du sens.
- Speaker #0
On le dit très simplement.
- Speaker #1
C'est exactement ça. C'est donner du sens. C'est donner du sens, non seulement à mon expérience du monde, parce qu'une fois que j'ai réfléchi sur qu'est-ce que c'est qu'une vie réussie, on peut dire que peut-être que le monde résonne plus. Mais les savoirs aussi à l'école peuvent résonner plus, c'est-à-dire exactement ça, c'est leur donner du sens, ça parle. parle, ça me parle, je comprends mieux pourquoi cette discipline, pourquoi cet apprentissage, on me l'impose.
- Speaker #0
Oui, pour quand on me dit d'apprendre le théorème de Pythagore.
- Speaker #1
On me l'impose. Voilà, les choses sont imposées. Oui,
- Speaker #0
bien sûr.
- Speaker #1
Et le travail de tout enseignant, c'est cette ruse dont parle Rousseau, c'est donner du sens. Pourquoi j'apprends ça ? Et je crois que la réflexion philosophique, la philosophie en tant que telle, elle peut permettre, justement, en faisant toujours des petits pas de côté, vous êtes en science, mais qu'est-ce que c'est qu'une vérité scientifique ? Vous êtes en histoire, Mais est-ce qu'on peut tirer des leçons de l'histoire ? Vous êtes en art, c'est quoi une œuvre d'art ? C'est pas de côté par rapport aux disciplines. Ça permet... aux enfants de mieux comprendre ce qu'ils font là et ce qui leur est imposé. Donc l'émancipation, la reconnaissance et la résonance, pour moi, c'est trois grandes finalités du travail philosophique.
- Speaker #0
En fait, on voit à ce moment-là que c'est un programme total, parce que quand tu dis, on va se demander qu'est-ce que c'est qu'une vérité scientifique, concrètement, ça se passerait comment ? Ce serait le prof de science qui devrait gérer ça, ou est-ce qu'il y aurait un métaprof de philo qui accompagne ? Comment tu vois ça concrètement ?
- Speaker #1
Tout est possible. À Nantes Université, on a ouvert un diplôme universitaire qui permet de se former aux pratiques philosophiques à l'école et dans la cité. On a des enseignants du secondaire qui viennent, des profs de maths, des profs de sport, des profs de science. On n'a pas seulement des profs de littérature qui viennent, parce que justement, d'abord, ils ont l'enseignement moral et civique, ils ont la vie de classe. Et ils ont aussi envie d'avoir des outils pour avoir ce type de réflexion méta. Donc, bien sûr, ça peut être le professeur, l'enseignant de la discipline. ça peut être une... collaboration entre le prof de science et le prof de littérature. Et ça peut être, bien sûr, si les établissements s'y prêtent, d'avoir le collègue de philo qui vient filer un coup de main pour l'animation de ces ateliers-là. Tout est possible. Ça demande une formation, on y reviendra peut-être, mais tous les enseignants sont capables, s'ils sont formés, d'animer avec leurs élèves un atelier philo. Oui,
- Speaker #0
parce que tout simplement, ils ont déjà la pédagogie et puis en fait, tout le monde est capable de philosopher. C'est exactement ce que tu nous disais tout à l'heure.
- Speaker #1
Tout le monde est capable de philosopher Tout le monde peut animer des ateliers de philosophie. Mais bien sûr qu'il faut se former. Bien sûr,
- Speaker #0
bien sûr.
- Speaker #1
Bien sûr qu'il faut se former.
- Speaker #0
On va revenir après sur, parce que tu en parlais un petit peu tout à l'heure, sur le fait que ce n'est pas le café du commerce, etc. On parlera un petit peu tout à l'heure de la méthode et des exigences que toi, tu penses être importantes dans des ateliers de philo. Je voudrais revenir avant sur quelque chose que tu as dit tout à l'heure. C'était la philosophe Martha Nussbaum qui a réfléchi sur le fait que l'école aujourd'hui n'était plus un outil d'émancipation démocratique, mais un outil de formation. à des bons petits capitalistes, en gros.
- Speaker #1
Oui, en gros.
- Speaker #0
Est-ce que tu peux nous développer un petit peu ça ? Nous expliquer comment est l'école aujourd'hui ? Qu'est-ce qu'elle devrait être ? Qu'est-ce qu'elle pourrait être ? Comment on pourrait la réinventer ?
- Speaker #1
L'école, si on parle du cas français, elle a toujours d'abord une mission extrêmement politique, qui était de former des citoyens, des citoyennes éclairées, et de faire adhérer les petits Français au modèle démocratique et au modèle républicain, ce qui n'était pas du tout gagné dans les années 1882. Et puis, à ce rôle politique, peu à peu, c'est aussi rajouter des fonctions, et notamment des fonctions d'adaptation au monde économique. Et là, ce qu'analyse Martin Nussbaum, c'est que les missions politiques de l'école, des missions d'émancipation, de formation du citoyen éclairé, elles se sont peu à peu effacées, et que la fonction d'adaptation au monde, et notamment au monde économique ultra-libéral, a pris le pas. Ce qui fait qu'on a des changements dans les programmes, on a des changements dans la hiérarchie des disciplines. On a des changements dans l'évaluation à tout crin. On a des changements dans les valeurs qui sont préconisées. Coopération, VS compétition, discipline scientifique et technologique, VS humanité. Et ça, on le voit dans le système éducatif français. Quand on dit revenir aux fondamentaux, en fait, il y a une forme aussi de délaissement de toutes les disciplines qui pourraient aussi contribuer à l'ouverture d'esprit. Les arts, la littérature. et c'est cette mission politique de l'école qui est peu à peu délaissée. C'est ça que critique Martinus Bond, elle dit que c'est un phénomène mondial, mais si on voit dans le cas français, ça résonne, comme dirait Artmond Trosa, très très fort avec toutes les réformes qu'on connaît.
- Speaker #0
Mais alors sur la question des matières scientifiques, moi je suis totalement d'accord avec tout ce que tu dis et c'est vrai qu'à l'école il y a une perte de sens. Je me souviens alors, c'était pas... Je me souviens qu'à l'école, j'ai eu le sentiment qu'on m'apprenait à ne pas poser de questions. Donc là, il y avait quand même quelque chose. On entend souvent les justifications sur la partie scientifique, parce que tu dis qu'on met l'accent là-dessus. Il y a une justification méritocratique. On dit que les maths, soi-disant, alors c'est assez faux en vérité, mais ce serait une matière où, quel que soit le milieu dont on vient, il y a moins de différences et d'inégalités, contrairement aux humanités, où en fait, si tu es dans une famille sociologiquement plus élevée, tu as des facilités.
- Speaker #1
sociologiquement c'est faux parce que quand on regarde les élèves qui sont orientés dans les... filières qui sont scientifiques, c'est les enfants des classes supérieures.
- Speaker #0
Donc en fait, même ça, c'est un faux argument.
- Speaker #1
C'est un faux argument. Et puis en plus, il n'y a rien qui est inné. Je ne vois pas pourquoi les mathématiques et la littérature seraient plus compliquées que la littérature si on n'apprend pas aux enfants, dès le plus jeune âge, à avoir accès à des textes littéraires et à faire de l'interprétation de la littérature. Il ne faudrait pas opposer la science et puis les humanités. Bien sûr qu'il faut des sciences, il faut des sciences scientifiques. Mais il y a une façon de faire des sciences aussi. Est-ce qu'on est plutôt dans des transmissions de résultats de façon verticale ou est-ce qu'on est dans la démarche scientifique ? Et c'est ça aussi la critique de Martha Nussbaum, c'est qu'on n'est pas, quand on enseigne les sciences, on ne les enseigne pas en mettant les enfants en position de petits chercheurs. On les met plutôt dans des positions qui sont passives. de transmission des connaissances. Et donc, on apprend finalement plus à se soumettre à l'autorité d'un savoir, même s'il est constitué scientifiquement, mais on apprend plus à, encore une fois, à se soumettre à l'autorité de la parole du maître, plutôt qu'à comprendre les mécanismes qui permettent de construire le savoir scientifique.
- Speaker #0
Oui, tu parles de différents types de pédagogie. Tu parles de ça dans tes livres. Tu dis, il y a notamment la pédagogie de l'enquête. donc le fait, tu dis, de se remettre dans la position d'un petit chercheur, c'est pas on va vous dire c'est comme ça on va dire questionnons le monde autour de nous,
- Speaker #1
comment est-ce qu'on enquête bien sûr je parlais de la loupe ça vient du pragmatisme qui est un courant de philosophie qui est né aux Etats-Unis, en Angleterre notamment où ils essayent justement de réinventer ou de proposer des modèles éducatifs qui seraient au service de la démocratie parce que ça c'est quand même une grande question, une grande préoccupation dans les années 5 50-60. Le savoir ne sauve pas de la barbarie, c'est quand même ce qui est retenu du scandale d'Auschwitz, du procès d'Eichmann, auquel assiste Anna Arendt. On peut être très intelligent, on peut être très rationnel, on peut être très cultivé et être un barbare. Et ça, c'est la question qui est posée aussi en philosophie politique et en philosophie de l'éducation. Qu'est-ce que ça veut dire qu'une éducation qui soit vraiment une éducation démocratique et humaniste ? Et c'est là où Anna Arendt, elle fait la différence entre l'intelligence et la pensée. Achman, il est intelligent, il est incapable de penser. Et c'est ça aussi sur lequel s'appuie Martha Nussbaum en disant, on apprend aux élèves à être intelligents. Elle parle de machines efficaces. Des tableaux Excel, quoi.
- Speaker #0
Oui, c'est ça. On construit des tableaux Excel. On revient à cette phrase, science sans conscience n'est que ruine de l'âme, en fait. On revient à cette critique de Rabelais qui date d'il y a quelques siècles. On n'en est pas sortis, en fait.
- Speaker #1
Quand on regarde l'histoire de la philosophie de l'éducation, on se rend toujours compte que, comme dans plein de domaines de l'histoire de la pensée, il y a toujours... Des moments où on va être plus progressif, plus conservateur, plus progressif, plus conservateur. Inutile de vous dire que la période est plutôt conservatrice.
- Speaker #0
J'ai l'impression, on va en reparler, mais l'uniforme, tout ça, ce n'est pas très bien.
- Speaker #1
L'uniforme, l'autorité du maître, le retour dans les programmes d'enseignement moral et civique, par exemple, de la politesse. Il y a ça ? Il y a ça, il y a ça.
- Speaker #0
La politesse, voilà bien.
- Speaker #1
Comme si, dès qu'on décortique, on fait un petit atelier philo avec les enfants, par exemple, le vouvoiement, par exemple, la question du vouvoiement, du tutoiement. Il suffit de réfléchir cinq minutes. Bien sûr qu'on peut respecter quelqu'un qu'on tutoie. Et bien sûr qu'on peut mépriser quelqu'un qu'on vouvoie.
- Speaker #0
Absolument. Par exemple, je vous vois Emmanuel Macron, je le rencontre.
- Speaker #1
Et nous on se tutoie et on se respecte.
- Speaker #0
Et nous on se tutoie.
- Speaker #1
Oui, oui. Mais bien sûr, c'est une vision de l'enfant, c'est une vision de l'éducation qui revient un peu quand même à mater, à adresser, à soumettre.
- Speaker #0
L'intention, est-ce qu'elle est... C'est une question que je me pose régulièrement. Est-ce que tu penses qu'ils se disent que vraiment les élèves sont des mauvaises graines qu'il faut aider à pousser droit ? Sinon, ça va faire des petits délinquants, tout ça. Ou est-ce que c'est une stratégie plus cynique que ça de protection de ses propres intérêts de classe ?
- Speaker #1
Sûrement les deux. De toute façon, il y a, que ce soit conscient ou pas, anthropologiquement, une représentation même de la nature humaine, avant de parler même de la nature de l'enfant. l'idée que l'humain serait fondamentalement méchant, mauvais. C'est toute la théorie si obtienne. L'homme est un loup pour l'homme. À l'état de nature, ce qui règne, c'est l'agressivité. Et donc la première fonction du politique, c'est d'abord et avant tout l'ordre et la sécurité. Et donc les pédagogies qui vont correspondre à cette représentation anthropologique de l'homme enfant mauvais de nature, Et donc, de la nécessité de l'ordre et de la sécurité dans la cité, c'est une pédagogie forcément qui est une pédagogie du redressement.
- Speaker #0
Forcément, oui.
- Speaker #1
Ces anthropologies pédagogie et politique sont complètement cohérentes. L'homme est méchant, donc il faut de l'ordre et de la sécurité et donc on apprend à soumettre. Tout va ensemble. Alors vous voyez, chez les politiques, c'est peut-être pas aussi fluide que ça, aussi explicite que ça, mais bien évidemment dans les pédagogies de redressement, conservatrice, verticale, Il y a cette idée quand même qu'il faut redresser. C'est Michel Foucault, l'en surveiller et punir. Oui,
- Speaker #0
il parle du panoptique.
- Speaker #1
Et puis le tuteur, la figure du tuteur. Et le tuteur, c'est d'abord le bout de bois qui oblige l'art à pousser droit. Comme de la même façon qu'on emmaillotait les enfants parce qu'on pensait que la liberté des corps mènerait forcément à des malformations. Et c'est Rousseau qui va déconstruire ça.
- Speaker #0
Oui, d'ailleurs, c'est des choses qu'on anticipe un peu sur l'actualité, mais qu'on a pu retrouver dans les discours, par exemple, de Gabriel Attal, qui parlait de l'autorité, qui parlait « tu casses, tu répares, tu salis, tu nettoies » , avec cette idée que c'était sa seule définition de l'enfance et de l'élève,
- Speaker #1
c'était ça.
- Speaker #0
« Casse, il salit, il nettoie » . C'était quand même très bizarre, très choquant, en fait, de revenir à ça. Je trouve qu'on en voit des signaux aussi, on entend parler de l'enfant roi systématiquement, comme si un enfant qui n'était pas muselé était forcément un enfant roi ? Il y a une interrogation là-dessus aussi.
- Speaker #1
Oui, bien sûr, mais encore une fois, tout ça repose vraiment sur des représentations de la nature humaine, comme s'il y avait une nature humaine. C'est très lié aussi à l'inéisme. Il y en a qui seraient doués, d'autres qui ne le seraient pas. Il y a un peu ça aussi dans ce qu'on fait dans les classes de niveau, etc. Il y a quand même quelque chose qui se dit que tout est un peu joué d'avance, quoi. Entre ceux... qui sont faits pour les études, ceux qui ne seraient pas faits pour les études, ceux qui seraient faits pour la philosophie, ceux qui ne seraient pas faits pour la philosophie.
- Speaker #0
Et oui, ceux qui vont au lycée professionnel et qui sont privés de la philosophie.
- Speaker #1
Et qui sont privés de la philosophie, mais ils sont privés de la philosophie parce que dans ce système-là, ils n'en sont pas capables. Et puis, il y a autre chose aussi, si on parle un peu des peuples exclus, ce qu'on appelle les peuples exclus de la philo, il y a cette idée aussi que si jamais ils se mettaient à faire de la philo, ce ne serait plus vraiment de la philosophie. Ah,
- Speaker #0
intéressant ! Donc ça dénaturerait, ça salirait la discipline.
- Speaker #1
C'est ce qu'on disait des femmes avant 1923. Je crois que c'est en 1923 de mémoire que les femmes ont le droit d'enseigner la philosophie. Mais il y a Victor Cousin, par exemple, qui dit qu'il n'arrête pas de lutter contre, justement, le fait que les femmes puissent avoir accès à la philosophie. Et il parle d'une nature féminine qui est incompatible avec l'exercice de la raison. Et si les femmes s'emparent de la philo, ce ne serait plus de la phirée, et de l'authentique, et de la noble philosophie. Merci. Et on dit un peu la même chose des classes populaires. Ils n'en sont pas capables et si jamais ils en faisaient, ce ne serait pas vraiment de la philo. Et on dit la même chose des enfants. Ils n'en sont pas capables et si jamais on leur propose de la philo, ce ne serait plus vraiment de la philo. Ça dénaturerait, ça appauvrirait la discipline elle-même.
- Speaker #0
Oui, alors que toi, tu dis cette phrase qui m'a marquée. Tu écris, ce n'est pas parce que la philosophie serait facile qu'on pourrait la faire avec les enfants. C'est parce qu'elle est difficile qu'il faut la commencer tôt.
- Speaker #1
Oui, c'est vraiment ce que je dis aux enfants, vraiment en grande section, en CP. la question qu'on est en train de se poser. poser, ce n'est vraiment pas une question facile. Et en plus, c'est ce qu'on disait tout à l'heure, on ne va pas seulement dire ce qu'on pense. On va aller passer à la loupe nos préjugés, nos opinions toutes faites, etc. Et c'est un exercice qui est difficile intellectuellement. C'est un exercice qui est difficile affectivement parce que les enfants vont se rendre compte que ce qu'ils entendent à la maison, par exemple. Oui,
- Speaker #0
tu vas remettre en question.
- Speaker #1
On leur met en question. Alors pas seulement pour dire que c'est faux, que c'est intolérable ce qu'ils entendent. Mais juste que ce n'est pas la seule façon d'y répondre. Ça peut déstabiliser. Parce que, évidemment, la parole parentale, c'est une parole qui est quasi sacrée pour les enfants. Maman, elle a dit ça. Papa, il a dit ça. Il y a Dieu qui existe. Il y a Dieu qui n'existe pas. Et le fait d'être devant du pluralisme et de dire, ton camarade qui dit que Dieu n'existe pas, il a le droit. Et toi, tu as le droit de croire aussi. Tu vois, toi, tu disais, il faut toujours dire la vérité. Lui, il dit non. Parce que maman, elle t'a dit... Merci. Là, on parle avec les tout-petits, avec les plus grands, ils font moins référence peut-être à ce qu'ils entendent dans la famille, mais ils sont quand même construits par ça.
- Speaker #0
Oui, on est quand même totalement modelés.
- Speaker #1
Bien sûr, et ce travail philosophique, ça va être un travail aussi d'apprentissage. J'aime beaucoup cette idée-là d'une forme de vulnérabilité. C'est « je ne suis pas tout-puissant » , par la toute-puissance de la pensée et du dogmatisme. Je peux avoir des croyances, je peux avoir des convictions, mais je suis conscient que ce sont des croyances et des convictions parmi d'autres, et que d'autres qui ne pensent pas comme moi peuvent aussi avoir raison. Et ça, c'est quand même... C'est fort, ça. Oui, c'est fort et donc ça demande du temps. De toute façon, tout ce qui est ambitieux demande du temps. C'est des comparaisons que je fais souvent. Si on veut apprendre à philosopher, c'est comme apprendre à courir un marathon ou à jouer du violon. Ce n'est pas avec trois séances de sensibilisation. Ça veut dire que ça va être un apprentissage à long terme. Et c'est pour ça que moi, je milite pour que la philosophie, elle commence beaucoup plus tôt dans le système éducatif pour me permettre à tous les enfants de s'entraîner et d'arriver... en terminale, hyper près. Oui, c'est ça.
- Speaker #0
Oui, parce que là, je pense que tous les gens, enfin, la plupart des gens qui ont vécu la philosophie en terminale ont vécu une espèce de déception. Moi, ça a été mon cas. J'attendais tout de cette année de philosophie et en fait, en arrivant, j'ai pas compris tout d'un coup cette espèce de matière aride sur des textes obscurs et ça répondait pas du tout à cette quête existentielle que je pouvais avoir en fait, en arrivant. Ça, c'est une expérience j'imagine qui est partagée par beaucoup de gens.
- Speaker #1
Oui, beaucoup. Tous les ans, j'enseigne mes étudiants, ils sont en master, donc ils ont 22-23 ans, et je commence le premier cours. En général, si on en fiche, je dis « Vous êtes contents de refaire de la philo ? » « Qui est content de refaire de la philo ? » Donc ils ont 150, et puis il y a 20 mains qui se lèvent. Tout est presque fait institutionnellement pour que ça ne marche pas, ou que ça marche mal. Et ça, il ne faut vraiment, enfin, on ne jette absolument pas la pierre aux collègues.
- Speaker #0
Ah non, alors ça, vraiment,
- Speaker #1
ça ne craint pas les profs. À jamais, admiration sans borne pour mes collègues, je suis de la maison, etc. Quand on parle des difficultés du système, on parle vraiment de système. On tâche les ministres. Le système, l'institution, qui est malmené, et là c'est des questions de casse du service public, mais aussi par rapport à la philo de représentation qu'on traîne aussi de notre discipline. Les collègues sur le terrain, ils font ce qu'ils peuvent. Mais institutionnellement, on ne leur facilite pas la tâche.
- Speaker #0
On dit une année, mais en fait, c'est quelques semaines.
- Speaker #1
Oui, c'est ça, c'est septembre,
- Speaker #0
avril, les vacances, tout ça. Un programme qui est magnifique,
- Speaker #1
mais qui est encyclopédique.
- Speaker #0
Des auteurs qui sont extraordinaires, mais extrêmement difficiles. Et puis, pas de préparation en amont pour les élèves. Et puis, une formation continue qui est devenue quasi inexistante pour les collègues. Tout est fait institutionnellement aussi pour que ça ne marche pas forcément très, très bien.
- Speaker #1
Tu penses que ça peut commencer à partir de 4 ans ? Donc, en gros, moyenne, grande section ?
- Speaker #0
Grande section de l'internel. Moi, je pense que d'abord, on peut commencer dès que les questions se posent. On peut le faire. Alors, on ne va pas le faire à partir des textes canoniques de l'histoire de la philo. On va le faire à partir de Spinoza. Mais la littérature de jeunesse, bien évidemment, c'est une des médiations qui sont absolument magnifiques pour aborder ces questions-là avec les enfants. Et je pense vraiment que c'est un apprentissage. Mais les enfants de 4 ans, 5 ans, tous les auditeurs qui ont eu des enfants, des petits-enfants autour d'eux, savent que... c'est vraiment l'âge de ce qu'Aristote appelle l'étonnement devant le monde. Et pourquoi ? Et comment ? Et pourquoi ? Et comment ? Donc, je pense qu'il faut saisir ce moment-là et les accompagner dans ce long chemin. Il faut vraiment, pour moi, que ce soit une pratique qui soit institutionnalisée pour qu'elle puisse être régulière.
- Speaker #1
Et alors, dans ces cas-là, parce que tout à l'heure, on disait, il y a des gens qui disent que ce n'est pas vraiment de la philo, que ça dénature près. Et en quoi c'est de la philo, justement ? On en arrive à cette question, c'est quoi la philophilie ?
- Speaker #0
Oui, on a parlé de ce que n'était pas la philo, ni relativisme, je me dis dogmatisme. c'est S'emparer. Et ça, c'est vraiment des mots que j'utilise avec les enfants d'une grande question universelle, intemporelle, centrale, problématique. Je reprends mon exemple, qu'est-ce qu'une vie réussie ? On peut dire que c'est une question a priori universelle, cette question du bonheur ou d'une vie juste. Tous les êtres humains sur cette planète peuvent la rencontrer. Tous les humains peuvent la rencontrer, donc elle est universelle parce qu'elle est centrale. Comme la mort, comme l'amour, comme la justice, comme la violence. Centrale et donc universelle. C'est des questions qui sont intemporelles, qui traversent les siècles ou qui traversent une vie. Et elles sont intemporelles parce qu'il n'y a pas une réponse possible. La science ne nous dira jamais de façon définitive, ça y est, on a trouvé, voilà la vie réussie. Jamais aucune science dure ne trouvera ce que c'est qu'aimer vraiment quelqu'un. Aucune science dure ne trouvera ce que c'est qu'une loi juste. Donc, ces questions universelles, intemporelles, centrales, on s'en empare. Et ça, on voit bien qu'on peut s'en emparer à tout âge.
- Speaker #1
Ce que ça m'inspire, ce que tu décris, c'est peut-être l'idée qu'on apprend qu'il n'y a pas une réponse définitive, ce qui veut aussi dire qu'on peut toujours réinterroger la réponse que l'on donne, aussi au fur et à mesure de sa vie. Ça donne une espèce de profondeur. Alors, ça peut déstabiliser, c'est sûr, mais ça donne aussi une profondeur existentielle à ce niveau-là.
- Speaker #0
Être déstabilisé, c'est ce que j'appelais tout à l'heure la vulnérabilité. C'est bien déstabiliser, c'est bien d'être vulnérable. Oui.
- Speaker #1
Je suis d'accord.
- Speaker #0
Mais ça, c'est ce d'amour, comme ça, de cette vulnérabilité. Alors attention, on ne laisse pas les enfants dans des gouffres métaphysiques.
- Speaker #1
À la semaine prochaine.
- Speaker #0
On donne des repères. On déconstruit, on reconstruit. Mais on sait que ce qu'on a construit, comme conviction, par exemple, elles seront toujours réinterrogeables. Et puis, on peut faire des rencontres. On peut grandir, on peut vieillir. On peut faire des rencontres. Les rencontres, c'est les gens. Les rencontres, c'est les livres. Les rencontres, c'est les œuvres. Et ce que je pensais être ferme comme conviction, tout d'un coup, c'est rebousculé, c'est reconstruit. Et c'est ça, le travail philosophique.
- Speaker #1
En fait, je trouve que ça donne une liberté aussi. Ça permet de dire qu'il y a un souffle de liberté d'exploration qui nous attend. Je trouve que c'est assez enthousiasmant. Puis,
- Speaker #0
c'est des moments aussi où il y a une espèce de joie de penser. Il y a une joie de l'accomplissement. Ils aiment bien quand c'est compliqué, les enfants. Il y a des formes de jeu. Tout à l'heure, j'étais à Sarcelles, dans une école, et on travaillait avec des CM2 sur qu'est-ce que c'est qu'une œuvre d'art. Pourquoi il y a des peintures qui vont dans des musées et pas d'autres ?
- Speaker #1
Ah, intéressant. Je n'ai pas la réponse, moi. Je n'en ai plus.
- Speaker #0
Parce que je leur disais, alors on a passé plein de tableaux, il y a des Polak, des Van Gogh, Vermeer, la Joconde, Picasso. Et on se disait, mais qu'est-ce qu'il y a dans ces œuvres-là pour que ça puisse être considéré comme des chefs-d'œuvre ? Et on a eu plein de réponses. on a eu la beauté, on a eu le motif, on a eu la technique, la prouesse technique, on a la célébrité de l'auteur. C'est génial, parce que je disais à l'enseignante, mais tous les critères qu'ils ont donnés au bout d'une heure, c'est des critères qu'on peut retrouver en cours de philo de terminale. Mais donc, on a une grande question comme ça. Et au début, ils ne savent pas. Ils disent, qu'est-ce que c'est ? Non, c'est rien.
- Speaker #1
Je n'ai jamais réfléchi à ça.
- Speaker #0
Je n'ai jamais réfléchi à ça. Donc, on fait des exercices, on montre des œuvres d'art, on regarde des petites vidéos, on regarde des albums, etc. Et puis, à un moment donné, ces critères-là, ils surgissent. et donc il sort de l'atelier philo et il sort de l'atelier philo en disant une œuvre d'art Oui, ça peut être la beauté, ça peut être le motif, ça peut être la prouesse technique, ça peut être la célébrité. ils ont reconstruit. Et c'est une façon aussi d'éclairer le réel. Et donc, ils sont repartis de l'atelier philo. Ils sont repartis dans le monde parce que pour moi, l'atelier philo, c'est comme ce que Ricoeur appelle le grand laboratoire de l'imaginaire ou l'oasis. C'est un moment qui est déconnecté du quotidien. On ne parle pas du vécu dans les ateliers philo.
- Speaker #1
Oui, alors ça, justement, c'est important de dire. Je voulais justement y revenir là-dessus parce que tu parles beaucoup de littérature et dans tes méthodologies, tu fais lire des livres. Alors, attention, ce n'est pas une liste de livres à la maison, par exemple, même pour les petites sections, pour les grandes sections. ça va être lecture en classe d'un livre jeunesse ou des choses comme ça. Et toi, c'est important pour toi qu'il y ait un certain nombre de références communes partagées par tout le monde pour que justement, ce ne soit pas le café du commerce et qu'il y ait un matériau commun sur lequel travailler.
- Speaker #0
Ce qui est extraordinaire dans la littérature, c'est une phrase de Paul Ricoeur, il parle du laboratoire, le grand laboratoire de l'imaginaire. Je crois, et on pourrait en discuter, c'est une conviction, mais je sais qu'on ne peut pas être d'accord, c'est qu'en tout cas... quand on apprend à philosopher, le vécu et l'intimité c'est une matière inflammable. On est dans l'affect, on est dans l'émotion, on est dans le trop émotif. Quand on parle de soi, on a du mal à prendre de la distance. Et cette distance, elle est nécessaire en philosophie. Donc l'idée, et on voit bien que ça peut être pas facile avec des enfants, c'est que quand ils vont parler de l'amitié, quand ils vont parler du bonheur, quand ils vont parler de la vérité, ils vont pas parler de ce qu'ils vivent à l'école, à la maison, etc. Donc il faut quand même les nourrir. Il faut se baser sur des expériences, il faut se baser sur... des situations. Et ça, la littérature va nous l'apporter. Donc on va lire effectivement toute une série d'albums sur Faut-il toujours dire la vérité ? Avec des histoires où le mensonge va être présenté comme un moindre mal. Comme dans Blanche-Neige et le chasseur.
- Speaker #1
Rappelle-nous, parce que je ne me souvenais pas, le chasseur ment, c'est ça ?
- Speaker #0
Oui, moins la reine. La reine dit oui à Blanche-Neige. La reine ordonne au chasseur d'aller tuer Blanche-Neige. Il part dans la forêt avec Blanche-Neige et au lieu de la tuer, il a pitié d'elle. Il lui dit d'aller partir. Il tue un sanglier à la place et il donne le cœur du sanglier en disant à la reine, j'ai tué Blanche-Neige, etc. Il lui ment.
- Speaker #1
Donc, c'est un moindre mal. Et donc, finalement, ça pose la question, est-ce que c'est toujours ok de mentir ?
- Speaker #0
Les enfants, souvent, quand on leur dit, est-ce qu'il faut toujours dire la vérité ? Ils disent, oui, c'est pas bien de mentir, c'est pas bien de mentir. C'est un gros principe qu'ancien. Le péché, c'est un péché, tout ça.
- Speaker #1
Le truc qu'on t'a bien appris en tant que parent aussi.
- Speaker #0
Alors que je pense que dans leur vraie vie, je pense qu'il y a pas mal de situations ou pour une... Moi, j'ai menti, tout ça. Je ne veux pas qu'on parle de l'intime. Donc, on va aller chercher des ruses, on va aller chercher des situations où les personnages sont en situation d'avoir se poser la question de savoir s'il n'est pas préférable de mentir pour protéger quelqu'un. On ne peut pas faire de la peine aussi, qui peut être un critère. Ou alors, le mensonge qui va être présenté comme vraiment un vilain défaut parce qu'on perd toute confiance en autrui. Le petit garçon qui criait au loup. Donc, en fait, les albums, ils vont présenter la question dans toute sa complexité. Et les enfants vont aller puiser. Alors ça, c'est vraiment aussi le DTH de l'enseignant. Ça ne se fait pas naturellement comme ça, de façon innée. Mais le dispositif et les relances de l'enseignant vont permettre aux enfants d'aller puiser dans les histoires des situations sur lesquelles ils vont pouvoir s'appuyer pour argumenter, trouver des situations, donner des réponses, être d'accord, ne pas être d'accord. Est-ce que le personnage a eu raison ? Est-ce qu'il a eu tort ? Et ça permet de nourrir.
- Speaker #1
Oui, ça permet aussi, comme tu disais tout à l'heure, que ce ne soit pas un cercle de psychothérapie où on demande aux enfants d'être pour le coup trop vulnérables, d'aller livrer des choses. Ça permet de se décentrer, de se cacher derrière aussi, de se protéger derrière des exemples littéraires aussi.
- Speaker #0
C'est ce que j'appelle le paravent du personnage. C'est-à-dire qu'il faut que la question philosophique, elle soit ni trop proche de moi, parce que sinon je suis dans l'affect, je suis dans l'émotionnel et je ne réfléchis pas bien. Il ne faut pas qu'elle soit trop abstraite non plus. il faut bien pouvoir s'appuyer sur des situations. Je donne souvent l'exemple du sentiment amoureux. Qu'est-ce que ça veut dire qu'aimer vraiment quelqu'un ? Ça va être quand même très, très difficile de réfléchir sereinement sur ces questions-là à partir de nos propres histoires.
- Speaker #1
Oui, si on parle de papa, papa, papa, les histoires à nous.
- Speaker #0
On n'a pas la sérénité psychique dans l'affect. Et c'est normal. Par contre, si on dit, on ne parle pas de vous, de nous, de nos histoires d'amour, alors qu'est-ce que c'est que les attributs de l'amour authentique ? C'est trop loin. Il va falloir qu'on s'appuie sur des situations. Et un atelier que j'adore, c'est Cyrano. Cyrano aime-t-il Roxane ? Cyrano aime-t-il vraiment Roxane ? Et on va aller regarder ce qui se joue entre Christian, Cyrano, Roxane, et les interroger. Est-ce qu'on peut vraiment parler d'amour ? Parce que quand même, il n'arrête pas de lui mentir. Parce que quand même, quand Christian meurt, il ne lui dit pas la vérité, il la laisse enfermée. Est-ce qu'on peut aimer mentir ? Est-ce qu'on peut aimer sans laisser l'autre libre ? de son propre choix. Et tant qu'on regarde l'histoire du point de vue de Roxane, on n'est pas si sûr que ça s'agisse véritablement d'amour. Et ça dépend ce qu'on entend par amour. Donc, la situation de Cyrano, je l'ai fait avec des ados plein de fois, ils sont à la fois impliqués... Ils sont en colère. Il n'est pas jaloux, il est christian, mais il lui ment, il n'arrête pas de lui mentir. On les voit, ils sont investis. Il y a de l'émotion. Oui,
- Speaker #1
ce n'est pas froid et purement intellectuel.
- Speaker #0
Il y a de l'émotion, ils sont en colère, ils sont d'accord, ils ne sont pas d'accord, etc. Mais en même temps, ils ne sont pas en train de parler d'eux. Et ça, c'est vraiment typiquement ce que permet la littérature en philosophie, c'est de nourrir, en plus, ce qu'on va pouvoir vivre dans la littérature. C'est tout ce que le réel ne nous offre pas. Moi, je ne sais pas, toi, mais je n'ai jamais été dans la situation d'Antigone, de savoir si je devais ou pas enterrer mon frère. J'ai jamais été dans la situation, j'ai jamais tué quelqu'un non plus. Il y a plein de situations qui relèvent de la condition humaine et que le réel seul ne m'a jamais apporté. Et la littérature, elle va pouvoir m'apporter des dilemmes moraux. Elle va pouvoir m'apporter des situations, des histoires d'amour, des histoires d'amitié, dans lesquelles je vais pouvoir m'identifier et sur lesquelles je vais pouvoir réfléchir. Par exemple, sur qu'est-ce que c'est que le courage, qu'est-ce que c'est qu'un bon choix, qu'est-ce que c'est que la justice. Et ça, évidemment, les enfants sont tout petits, ils ont une expérience du monde qui est très limitée, qui est la famille, le milieu social, etc. Et la littérature, elle ouvre à des possibles. Et là, on retrouve cette émancipation, cette ouverture d'esprit.
- Speaker #1
Je voulais revenir sur quelque chose dont tu parlais tout à l'heure. on a un petit peu évoqué mais... Tu parlais de la coopération, le fait d'écouter, que c'était aussi démocratique parce que ça te fait écouter les autres finalement, ça te fait sortir aussi de ta propre perspective. Et tu parlais justement comment l'école aujourd'hui est dans la compétition. Est-ce que tu penses que la pratique de la philosophie à l'école pourrait à ce point changer le paradigme général ?
- Speaker #0
un de mes livres, effectivement, que tu as cité tout à l'heure où je parle d'école philosophique.
- Speaker #1
C'est ça dont je voulais qu'on parle,
- Speaker #0
l'école philosophique. Pour moi, ça veut dire ce qui se joue dans les ateliers de philo. Alors, la philo avec les enfants, il faut savoir aussi que c'est un domaine de recherche depuis plus de 50 ans partout dans le monde. Ça vient des États-Unis, du Québec, ça arrivait en France, mais il y a quand même 50 années de recherche universitaire fait par des philosophes, en sciences de l'éducation, notamment, où ce modèle d'apprentissage de la philosophie, il est vraiment pensé. Ce qu'on entend par philosophie avec les enfants, ce qu'on a essayé de décrire depuis le début de l'émission, cette oasis de pensée où on se pose pour réfléchir ensemble sur une grande question, avec de l'exigence, avec du nourrissage culturel, pour moi, ça donne vraiment le modèle, le paradigme, ça veut dire modèle, de ce que devrait être l'école, en fait, au quotidien. L'école, elle devrait être vraiment un lieu de la lenteur aussi, de la pause. Les enfants ne le savent souvent pas, mais l'école, scoler, ça veut dire loisir. C'est le lieu où on est arraché du quotidien, on est arraché du travail. Les philosophes, les grecs, ils disaient, les philosophes ont besoin de loisirs. Ils ont besoin d'esclaves, qui vont travailler à leur place, parce que pour penser fout du temps, il faut ne pas travailler au sens du travail, du labeur.
- Speaker #1
C'est l'osium aussi, en latin, osium et négocium. Osium, c'est le loisir, justement, c'est la vie, l'idéal de vie où on réfléchit, et le négocium, c'est... le négoce, ça devient la négation, le serf, c'est le marchand. Donc effectivement, on est aujourd'hui dans une société où on nous dit que le temps libre est coupable, parce que c'est du temps où tu ne travailles pas et où tu ne capitalises pas et où tu n'es pas productif. Il y a quand même une grosse culpabilisation là-dessus. Et l'école a complètement embrayé là-dessus.
- Speaker #0
Au loisir.
- Speaker #1
Au loisir,
- Speaker #0
oui. L'oasis de pensée, donc une pédagogie de la lenteur, une pédagogie de la coopération. Ils n'ont pas de la coopération. compétition, quand on voit les classes de niveau, ça veut dire que dès le départ, on classe, on compare les notes. Ah oui,
- Speaker #1
alors je voulais qu'on en parle. On est contre les notes, on est d'accord ? C'est horrible les notes.
- Speaker #0
Oui, surtout avec les tout-petits. Mais oui, il faut repenser l'évaluation pour qu'elle soit vraiment formative, qu'elle... Apprendre à les enfants, j'espère que ça se fait de moins en moins, mais quoi que, quand on fait des devoirs de mettre le livre là pour pas copier, etc. Les notes qui sont données par entrecroissants ou décroissants. On a tous connu ça. Donc, réapprendre la coopération, la résonance dont je parlais tout à l'heure. Prendre le temps, peut-être avoir des programmes beaucoup, beaucoup moins chargés, mais prendre le temps d'expliquer aux enfants pourquoi c'est important d'apprendre ça. Donc, une école de la résonance, une école de la lenteur, une école de la coopération, une école aussi réflexive.
- Speaker #1
Et réfléchir, ça veut dire qu'on va interroger ses propres représentations et valeurs.
- Speaker #0
De penser, de réfléchir sur le sens de vivre ensemble dans cette cité qu'est l'école, mais dans cette cité aussi qui sera plus tard pour les enfants, leur rôle de citoyen et de citoyenne. Faire vivre au quotidien des pratiques qui sont des pratiques coopératives, non discriminantes, non humiliantes. Et c'est pour ça que je pense que le modèle de la philo avec les enfants, c'est un modèle qui est duplicable à l'école tout entière. C'est ce que j'appelle de mes voeux, cette école philosophique.
- Speaker #1
Alors, tu parlais de John Dewey tout à l'heure, qui est un philosophe pragmatiste. J'avais fait des épisodes sur lui. Qui a créé une école ? C'est incroyable. Et son école, c'est le rêve absolu. Notamment, les élèves sont mélangés. Il n'y a pas de classe de niveau. Même de classe d'âge. Ça, j'ai appris d'ailleurs. que c'était un héritage de la religion chrétienne et catholique, et aussi de la conception de l'évolution de l'enfant avec une norme très figée, et qu'au contraire, en mélangeant les âges, il y a de la coopération. Alors lui, il envisageait par exemple plutôt des projets transverses. Par exemple, pour apprendre l'histoire, il fallait que les élèves reconstruisent une grotte préhistorique. Oui,
- Speaker #0
c'est la recherche, les chercheurs.
- Speaker #1
Et donc, ça fait à la fois faire des maths, de l'histoire, de l'art.
- Speaker #0
Tout ça chez Freinet, chez Élise et Célestin Freinet, dans la pédagogie coopérative, l'éducation nouvelle, tous ces courants pédagogiques qui sont des modèles politiques. La pédagogie n'est jamais neutre. Il n'y a aucune neutralité dans les pédagogies, mais elles répondent toujours. projets politiques. On parlait tout à l'heure de pédagogie, du dressage, de l'autorité, de la discipline. C'est des pédagogies qui visent un système politique où l'ordre...
- Speaker #1
Et la hiérarchie.
- Speaker #0
Et la hiérarchie, et la soumission à un chef. Et puis on voit bien le chef, voilà. L'homme fort, le chef, l'ordre, l'autorité, la discipline. Tout ça, c'est un modèle politique. Et les pédagogies qu'on va promouvoir sont des pédagogies qui sont au service d'un modèle politique. Il est évident que quand on va promouvoir des pédagogies coopératives, égalitaires, etc., on va évidemment soutenir un autre modèle politique.
- Speaker #1
Et d'ailleurs, Dewey a pensé la démocratie créatrice, par opposition à notre système qu'on vit, nous et dans d'autres pays occidentaux, qui est notamment la démocratie représentative, où en fait, on est en tant que citoyen, citoyenne passive. on va déléguer notre pouvoir à des gens qui sont en haut de la hiérarchie, ceux qui ont réussi à l'école, qui ont les codes, et qui sont, eux, considérés comme dignes de gouverner, pendant que nous, on est en bas. Et en fait, Dewey disait que la démocratie créatrice, c'est un mode de vie qui se fait au quotidien, quelque chose qu'on doit... C'est pas juste mettre un bulletin de vote... En plus, maintenant, on ne respecte pas le vote en France, c'est vraiment génial, mais c'est même pas seulement mettre pas plus tard de vote. qui se pratique au quotidien.
- Speaker #0
Ils habitent tous. C'est des habitus. C'est vraiment ce qui se joue aussi dans les pratiques philo avec les enfants. C'est pour ça que je parlais de régularité, etc. Et je pense vraiment que ce n'est pas la peine de faire des ateliers philo dans une classe pendant une demi-heure, si le reste du temps, les enfants sont en randonnion, avec de l'évaluation à tout craint. C'est une philosophie de l'école, la philosophie avec les enfants. C'est une philosophie de l'éducation. Et donc, c'est pour ça. Et tous les enseignants qui pratiquent des ateliers philo le disent. Ça a un souffle sur la pratique quotidienne de la classe. Ce n'est pas une demi-heure par semaine, en fait, c'est tout le temps.
- Speaker #1
Mais même, j'imagine que les profs qui se forment...
- Speaker #0
Oui, bien sûr. De toute façon, ils ne viennent pas là par hasard.
- Speaker #1
Oui, c'est des gens qui se questionnent déjà.
- Speaker #0
Les enseignants, les bibliothécaires, les animateurs socioculturels, les éducateurs, les comédiens qu'on reçoit dans notre diplôme universitaire, c'est des gens qui déjà portent des convictions politiques, pas au sens politicien, qui ont des valeurs. C'est des valeurs qui sont progressistes, c'est des valeurs qui sont démocratiques, c'est des valeurs qui sont humanistes. Et les gens qui viennent nous voir pour se former à ce type de pratiques-là, bien sûr qu'ils défendent une vision politique de l'enfance, une vision politique de l'école et une vision politique de la cité.
- Speaker #1
Et alors, comment on fait concrètement ? Comment on fait pour avoir ça dans notre école pour nos enfants ? Explique-nous le mode d'emploi.
- Speaker #0
Le mode d'emploi. Comment se déroule un atelier ?
- Speaker #1
Alors les deux, comment se déroule un atelier ? Tu disais que c'est... Toi, tu préconises que ce soit une fois par semaine ?
- Speaker #0
C'est super quand c'est une fois par semaine. Il faut s'engouffrer dans les programmes. Les enseignants, bien évidemment, ne peuvent pas faire n'importe quoi. Il y a des programmes, etc. Sinon, on ouvrirait la porte aussi à d'autres pratiques qui seraient plus ésotériques. Dans le cadre de l'enseignement moral et civique, parce qu'il y a quand même une heure par semaine, il y a le fait de forger l'esprit critique, le jugement critique. Donc, on peut tout à fait proposer ces ateliers-là dans ce cadre-là. On peut le rajouter avec la littérature, puisqu'on va beaucoup lire d'albums et les interpréter. Donc on s'engouffre. dans un moment des programmes, qui est l'enseignement moral et civique, la littérature, les arts et l'histoire, on peut mêler et faire du transdisciplinaire, les élèves sont souvent en cercle, pour commencer, face à face des visages, et de leur dire tout de suite, on va réfléchir sur une grande question universelle, intemporelle, centrale, et on a besoin de toutes les intelligences. On a besoin vraiment de s'écouter, de rebondir sur les exemples, les idées des intelligences, et on va construire ensemble. Moi, je me sers beaucoup du tableau, même s'ils ne savent pas lire, et je note, je... je catégorise les idées. Comme ça, à la fin de l'heure, je peux leur dire, Regardez ce que nous avons.
- Speaker #1
Et puis, j'imagine que ça valorise ce qu'il dit aussi. Ce que tu as dit, je l'écris.
- Speaker #0
C'est un exemple, c'est une nouvelle idée. C'est un exemple qui permet d'illustrer telle catégorie qu'on a déjà eu, etc. Et à la fin de l'atelier, ils ont vraiment une trace écrite. Collectivement, ils voient qu'ils ont construit quelque chose. Ça, c'est vraiment très important. Il y a le cercle et puis, il va y avoir la médiation culturelle. Et comme je disais tout à l'heure, on ne parle pas du vécu, de l'intime. Et donc, on va nourrir. Donc on peut partir d'une histoire. qu'on va lire jusqu'à un certain moment. Alors, il y a un grand classique en atelier philo, qui est aussi un classique de la philo, c'est assez chouette, c'est l'anneau d'Igès de Platon. Alors, pour ceux qui ne connaissent pas, c'est dans La République, c'est l'histoire d'un berger qui découvre une bague qui a le pouvoir de le rendre invisible. Quand il veut, il suffit de tourner la bague à l'intérieur et extérieur de la main. Inutile de vous dire que c'est une super expérience de pensée. On demande aux enfants, avant de leur lire la fin de l'histoire. Je les mets en petits groupes, en général. Ils sont en grands groupes. On lit l'histoire jusqu'à ce que le berger Giges découvre le pouvoir d'invisibilité de la bague. Et là, je leur dis, pendant 5-10 minutes, vous allez vous mettre en petit groupe avec les copains, les copines. Et puis, vous allez réfléchir. À votre avis, qu'est-ce qu'il va faire Giges ? Et vous ? On imagine, ça, c'est pas le jeu de l'intime. Je vais imaginer, demain, vous avez la bague pendant une journée. Vous faites quoi ? Et là, je les laisse mariner pendant 10 minutes. Et ils rigolent,
- Speaker #1
ils rigolent. Ah,
- Speaker #0
c'est génial. C'est génial. Ils rigolent, ils rigolent, ils rigolent. On revient en grand groupe. Et là... Alors, c'est quoi vos idées ? On vole, on triche, on espionne, on tue, on se venge, on fait des blagues, on ne va pas à l'école, on boit de l'alcool, tout ce qui est interdit. Et ensuite, une fois qu'on a tous ces exemples de transgression des interdits au tableau, ils transgressent pour eux, ils transgressent pour les autres. Il y a les robins des bois, ils volent, mais pour donner un coup. Alors, ils tuent beaucoup Donald Trump. Ils tuent quelqu'un qui est dangereux pour la planète. En France, je peux avoir les hommes politiques, mais c'est dans l'idée de la justice. C'est-à-dire qu'on vole, on tue pour la justice. Ou on tue, on vole pour soi. Mais une fois qu'on a tous ces exemples de transgression au tableau, après, tu leur dis, mais pourquoi tout ça, c'est interdit ? Vous êtes bien d'accord, tout ça, c'est interdit. Pourquoi dans le monde dans lequel on vit, on ne peut pas faire ça, on ne peut pas faire ça, on ne peut pas faire ça ? Si vous aviez la possibilité de faire, est-ce que vous le feriez quand même ? Est-ce qu'on va aller forcément voler, tricher, espionner, si on est sûr de ne pas être pris ? Oui ? Non ? et à quoi ressemblerait un monde où il n'y aurait aucune loi, aucune règle ? Ce serait souhaitable, pas souhaitable ? t'enchaînes sur des questions sur la liberté, sur la morale, sur la justice. Et donc là, typiquement, c'est une fiction, un mythe, une histoire, dans laquelle on va se plonger, grand laboratoire de l'imaginaire, et ensuite on va pouvoir réfléchir sur des questions qui sont très concrètes. Le rapport à la loi, le rapport aux interdits, le rapport à la règle, le rapport aux obligations. Pour les enfants, c'est des questions qui sont hyper quotidiennes. Et donc d'interroger est-ce que la liberté, c'est n'avoir aucune loi, aucune règle. Et on va déconstruire tout ça.
- Speaker #1
C'est trop bien.
- Speaker #0
Et dans la littérature de jeunesse contemporaine, il y a des centaines de milliers d'expériences de pensée comme ça, où on va rencontrer des dilemmes moraux, où on va pouvoir se mettre à la place des personnages. Donc on peut travailler sur une histoire, on peut travailler sur des extraits de films aussi, on peut passer un extrait de film avec des ados. La vérité est-elle toujours préférable à l'illusion ? Matrix.
- Speaker #1
Oui, oui.
- Speaker #0
Et ça, c'est que j'aime bien leur dire, ça marche super bien, c'est vous êtes le meilleur ami du personnage. La pilule rouge, la pilule bleue, alors s'il la prend, je ne sais plus laquelle, s'il prend la bleue, il reste dans l'illusion, mais il est heureux. Et s'il prend l'autre, il connaît la vérité, mais il ne sait pas ce qu'il attend. Au risque du malheur. Vous êtes le meilleur ami de Néo. Il vous appelle, il vous appelle. Après, prendre la pilule, je fais souvent ça. Il vous appelle. Et tu peux même faire des camps avec les élèves. Vous, vous allez lui conseiller de rester dans l'illusion. Vous, vous allez lui conseiller d'aller dans la vérité. Ils doivent trouver des arguments. Puis après, on revient en grand groupe. Et puis après, on amène. Avec des plus grands, on peut amener des références de philosophes aussi. Bien sûr.
- Speaker #1
Oui, après, tu peux.
- Speaker #0
Après, tout est possible. Mais là, ce que tu vois là, c'est que les fictions, elles vont vraiment servir d'un grand laboratoire pour aller vivre des dilemmes moraux, des situations que le réel ne nous offre pas, mais pour aller ensuite interroger des questions qui sont très concrètes. qui sont des questions de la philosophie.
- Speaker #1
Tu parles un peu de la posture de l'animateur ou l'animatrice. Est-ce qu'il faut nécessairement que cette personne ait une formation solide en philo ? Et ensuite, quel est son rôle, selon toi, pendant l'atelier ? Parce que je crois qu'il y a des débats, justement, sur comment mener un atelier philo avec les enfants. Tout le monde n'est pas d'accord.
- Speaker #0
Bien sûr.
- Speaker #1
Il y a plusieurs pratiques. Est-ce que tu peux nous en parler un petit peu ?
- Speaker #0
Oui, il y a des pratiques où l'animateur, ce n'est pas toujours l'enseignant, ça peut se faire en bibliothèque, est plus ou moins présent, plus ou moins interventionniste. Moi, je suis dans une position où on est plutôt interventionniste, parce que moi, mon travail en tant que prof de philo, c'est de travailler à la didactique de ma discipline. Attention, gros mot, c'est comment on enseigne. Donc, pour moi, il faut que ça reste de la philo. Et donc, ce qui compte, ça va être aussi ce qu'on va transmettre d'un point de vue disciplinaire.
- Speaker #1
D'accord. Oui, donc c'est l'apprentissage de la philo avec un P majuscule aussi. Et donc,
- Speaker #0
il y a un traitement philosophique du bonheur, il y a un traitement philosophique de la liberté, il y a un traitement philosophique de la justice. C'est-à-dire qu'il y a des distinctions, par exemple, qui sont incontournables. Le légal, le légitime. par exemple. On ne peut pas traiter la question de la justice si à un moment donné, avec les élèves, on n'aborde pas cette distinction-là. Il y a du vocabulaire. qu'on va apporter aux enfants. Il y a des distinctions, il y a des problèmes spécifiques, il y a un vocabulaire spécifique. Et pour moi, l'atelier philo, c'est un moment de transmission de ce traitement spécifique. Et donc, ça nécessite, du point de vue de l'animateur, de l'animatrice, qu'il soit enseignant, bibliothécaire, une conscientisation de ce traitement-là. Ça veut dire une préparation en amont. Et ça, c'est vraiment ce que je dis en formation, et notamment envers les professeurs des écoles. Ils enseignent les sciences. Ils enseignent l'histoire, ils enseignent les arts, ils enseignent l'anglais, sans avoir eux-mêmes fait des études de science et d'enquête. La philo, c'est pareil. C'est ni plus, ni moins. C'est-à-dire que si on décide de faire une séquence, c'est-à-dire qu'on va passer un mois sur la question du bonheur, la première étape pour l'enseignant, c'est d'aller voir comment philosophiquement traite le bonheur. On va aller voir un manuel de philo de terminale, on va lire le chapitre. Il y a une super collection qui s'appelle « Toute la philo en BD » Tchiii ! pour les lycéens, pour réviser le bac. Et c'est vraiment tout le programme de Terminal. T'as l'État, la justice, le bonheur, l'art et le beau. Des petits livres qui sont super bien faits, avec des auteurs, avec des distinctions, avec des problèmes. C'est vraiment pour les lycéens. Je dis aux animateurs.
- Speaker #1
Lisez ça, quoi.
- Speaker #0
Lisez ça. Toute la philo en BD, un manuel de philo de Terminal. Soyez au clair sur le traitement philosophique. Et puis ensuite, vous irez trouver l'album jeunesse, l'extrait de film, la chanson qui permet avec vos élèves ils ont 5 ans, ils ont 12 ans, ils ont 15 ans, de soulever ce problème, de faire cette distinction, et éventuellement, de connaître ces auteurs-là.
- Speaker #1
Oui, et puis toi, en plus, il existe aussi des ressources.
- Speaker #0
Il y a plein de manuels que j'ai faits, où là, justement, on a des séances qui sont toutes faites. Donc, la difficulté pour les animateurs d'ateliers philo, s'ils n'ont pas fait des études de philo, ce n'est pas tellement d'aller trouver des séances qui sont toutes faites. J'ai cité GGS, par exemple, ou Cyrano. Ils vont les trouver dans les manuels. La difficulté, c'est plus au moment de l'animation, de rebondir, de catégoriser, d'écrire au tableau.
- Speaker #1
C'est intimidant aussi, j'imagine.
- Speaker #0
Mais pas plus, pas moins qu'une autre discipline. Je pense qu'il faut vraiment reconsidérer ces ateliers de film comme des pratiques ordinaires. Moi, si on me demandait d'aller animer une séance de science en CM2, je serais intimidée. Je serais intimidée parce qu'aller enseigner ce que c'est que les volcans, je vais avoir un petit peu de boulot. Je vais m'y remettre aussi en science. Ou si je devais enseigner une séance en histoire, je vais devoir m'y remettre aussi. C'est pas possible. plus et c'est pas moins. Et il faut le reconsidérer comme une pratique ordinaire. Ce qui est étrange avec la philosophie, mais c'est pas étrange si on pense à sa place dans le système éducatif, c'est qu'elle est intimidante. Elle est intimidante parce que justement, on n'en a fait que quelques semaines, que souvent ça a pu être l'objet d'une déception, qu'on a trouvé ça trop difficile, que les textes qui nous arrivaient comme ça, comme on n'était pas préparés, l'exercice de la dissertation, l'exercice du commentaire, on a eu des mauvaises notes. Parce qu'il y a un habitus de la notation si en philo les notes sont quand même très basses. Donc, on a une représentation de la discipline qui est élitiste, abstraite, difficile, inaccessible. Et il y a beaucoup de gens qui ne se sentent pas légitimes. Alors qu'il faut la considérer en discipline comme une autre. Et si on arrive à désacraliser un peu la philosophie, mais tout en gardant l'exigence et la rigueur, alors là, on peut se lancer. Et là, je dis vraiment à tous les enseignants et les enseignantes, vous avez toutes les ressources. pour vous lancer, il y a des manuels, il y a des super podcasts de philosophie pour se remettre à la philo. Il y a quand même plein de ressources qui existent aujourd'hui. Oui,
- Speaker #1
c'est vrai que ça revient depuis quelques années.
- Speaker #0
Et puis pour les enfants, il y a des manuels, il y a la littérature de jeunesse, ils vont tout trouver.
- Speaker #1
Tu cites cette phrase, je voulais quand même la dire, de Canguilhem, qui est absolument magnifique. Tu dis « La philosophie n'est pas un temple, mais un chantier
- Speaker #0
Exactement.
- Speaker #1
Magnifique. L'idée que justement, ce n'est pas un temple sacré dans lequel on rentre avec déférence, mais qu'au contraire, c'est un chantier.
- Speaker #0
Un chantier à vie.
- Speaker #1
On met son casque et on y va.
- Speaker #0
Comment tu expliques que la France, parce qu'il y a des pays, si je ne me trompe pas, qui sont un petit peu plus avancés. C'est toujours les pays scandinaves, en gros, qui s'interrogent un peu sur une refonte de l'école. Pourquoi la France est si réfractaire à tout ça ?
- Speaker #1
C'est vraiment, on traîne une histoire comme un peu un poulet. Cette histoire, notamment de l'enseignement de la philo qui couronne, qui est à la fin, qui est réservée à l'élitiste. Et on a du mal à sortir de ce paradigme-là, même si ça bouge. Il y a quand même une option, la HL. CP en première, où certains lycéens peuvent faire de la philo avant la terminale. En lycée professionnel, c'est proposé en option. Je crois qu'il y a 1% des lycéens professionnels qui suivent l'option philo. Mais c'est déjà bien, il y a déjà... Je pense que les jeunes enseignants aussi ont moins de représentations un peu méprisantes envers toutes les pratiques philosophiques, et notamment la philo avec les enfants. Je pense que c'est des pratiques qui gagnent peu à peu en reconnaissance, comme la littérature de jeunesse est de moins en moins... Un genre qui est méprisé. Ça reste toujours un peu de la paralittérature, ça reste toujours un peu de la paraphilosophie. Mais il ne faut pas être complètement défaitiste et pessimiste. Je pense qu'on gagne des batailles de reconnaissance quand même, tranquillement. Et cette chaire UNESCO qui est créée depuis 2016, on en est assez fiers parce que c'est quand même une reconnaissance internationale en disant que c'est un sujet sérieux, sur lequel il est important de travailler et que c'est important de le soutenir.
- Speaker #0
On peut en tant que... parents, parce que j'imagine qu'il y a beaucoup de parents qui nous écoutent et qui rêvent que d'une chose, c'est qu'il y ait des ateliers philo dans l'école de leurs enfants. Comment est-ce qu'on peut faire pour essayer de mettre ça en place ? Est-ce que c'est possible ? À qui il faut s'adresser ?
- Speaker #1
Déjà, avec les parents, je ne parlerais pas vraiment d'atelier philo, dans le sens tu vois, on ne va pas être dans une pratique un peu scolaire où on va demander à l'enfant « Ah bon, tu peux donner un exemple ? » On va aborder, on va discuter et à partir d'une histoire. Je pense que la médiation de l'histoire, elle est ultra importante aussi avec les familles. surtout quand les questions que nous renvoient nos enfants sont angoissantes, sont déstabilisantes, où on n'a soi-même pas la réponse. Et donc les histoires, elles vont créer un cocon, elles vont créer une médiation, un lieu, où on va pouvoir se réfugier pour aller aborder cette question de la mort, de l'amour, de la violence, du bonheur aussi, il n'y a pas que des questions tristes. Mais ça, la lecture des histoires, c'est une médiation absolument formidable pour les parents.
- Speaker #0
Et donc dans ces cas-là ?
- Speaker #1
Aborder les questions philosophiques. peut-être que si les parents sont profs de philo, on peut aller un peu plus les travailler. On parlait tout à l'heure de l'enseignant du bibliothécaire qui, dans son institution, va proposer des ateliers philo de façon collective. C'est public, les enfants ne se connaissent pas forcément. Il va y avoir un travail. Tu vois, je parlais du travail. Donc, il faut préparer sa séance. Pour un parent, tu ne vas pas aller préparer ton atelier philo avant. Pourquoi pas ?
- Speaker #0
Parce que, justement, je trouve ça difficile quand tu lis des livres de littérature jeunesse avec ton enfant, d'avoir tout d'un coup... coup un regard très analytique, c'est-à-dire là je pense que voici les questions que tu soulèves. Ça me paraît très compliqué. Mais par contre, tu pourrais très bien te dire, je m'appuie sur par exemple un de tes livres ou les autres livres qui existent de ressources en disant, je vais faire lire ce livre à mon enfant en ayant en tête, ou ce corpus de livres en ayant en tête derrière qu'on va discuter de ça, ça, ça.
- Speaker #1
Là tu vois bien que tu t'adresses à des parents qui ont un certain bagage culturel.
- Speaker #0
Oui, c'est vrai. C'est forcément déjà un peu élitiste dans la pratique.
- Speaker #1
Et puis alors là c'est pareil, c'est de l'éducation populaire, faire rentrer les livres dans les familles. et puis pas n'importe quel livre on parle de livres aussi où il y a de l'implicite où il y a de la poésie on n'est pas en train de parler de Martine c'est ce que j'allais dire on évite Martine quoi c'est un enfer quel ennui c'est un enfer après c'est des livres c'est ce que je dis toujours la littérature il y a deux grandes fonctions de la littérature c'est un peu schématique mais disons et c'est deux fonctions qui sont ultra importantes et qu'on hiérarchise pas forcément il y a une fonction et là tout le monde va s'y reconnaître de divertissement C'est-à-dire qu'on va se plonger dans la fiction pour se vider la tête. On est fatigué. le réel est dur, il y a des soucis, c'est terrible, et bien juste on va rentrer chez soi et on va aller regarder une connerie à la télé, on va ouvrir un livre et on sait que ce livre-là il ne va pas nous faire réfléchir. C'est la fonction de Martine et de Choupi, c'est con, c'est con mais ça divertit, ou alors ça informe sur prendre le train, aller chez le dentiste, on sait que c'est une connerie mais on va s'y réfugier parce qu'on a besoin, et c'est un vrai besoin, de se divertir et de se vider la tête. Ça c'est une première fonction et il ne faut pas la dénigrer, elle est importante. Et on va regarder une série sur Netflix. Et on sait que c'est con. Mais on en a besoin. Et puis, il y a une autre fonction, qui est une fonction où on ne va pas aller plonger dans la littérature pour oublier le réel, mais on va plonger dans la littérature, au contraire, pour mieux l'éclairer et mieux le connaître. Et là, on a du Claude Ponty. On a du Grégoire Solotareff. On a du Kitty Crozer. On a la littérature qui va aborder des grandes questions. Parce qu'on ne meurt pas dans Martine. Il n'y a pas la violence dans Martine. C'est des ouvrages qu'on... complètement édulcorée. Ce n'est pas du tout réaliste. Par contre, il y a des ouvrages, il y a des œuvres qui vont nous parler de ces grandes questions humaines, universelles et qui vont les aborder pas de façon moralisatrice, édifiante, explicite, mais avec plein de poésie. Avec plein d'implicites. Et évidemment, c'est ces ouvrages-là dont on a besoin pour comprendre le réel. Vous voyez bien qu'adultes, ados, enfants, on a besoin des mêmes choses en termes de fiction. Des fictions qui nous divertissent, des fictions qui, au contraire, vont nous permettre d'éclairer le réel. Et les enfants très jeunes ont besoin des deux. Oui à Martine, mais oui à Claude Ponty.
- Speaker #0
Oui, tout le temps, effectivement, dans une vertu, tout n'est pas à viser éducatif aussi. Il faut avoir des moments pour se divertir,
- Speaker #1
pour s'informer. Pour savoir,
- Speaker #0
parce que... Vraiment, très concrètement, tous ces livres dont tu parles, alors Claude Conti, moi je le connais, mais je ne connaissais pas les autres dont tu as parlé. Est-ce qu'il y a un site ? Livrepropiceadelafilo.com Comment est-ce qu'on fait ?
- Speaker #1
Mon manuel que tu as cité tout à l'heure, il y a plein, plein, plein de références. C'est un manuel pour les enseignants, mais je sais qu'il y a plein de parents, voire de grands-parents qui l'achètent parce que tu as des bibliographies thématiques sur grandir, sur la mort, sur l'amour, sur les autres, sur la liberté. Donc, il y a bibliographie. Puis après, si vous allez sur les sites des maisons d'édition, souvent il y a des recherches thématiques. L'école des loisirs, le Seuil, Thierry Magnet, des grandes maisons d'édition très qualitatives. Vous avez des recherches thématiques. Donc si jamais avec vos enfants, vous voulez aborder la question de la différence, la question de la mort, la question du bonheur, sur les sites des maisons d'édition, vous avez des bibliographies qui sont proposées. Les librairies, les bibliothécaires aussi sont évidemment des lieux de ressources.
- Speaker #0
Et donc là, parce qu'effectivement, il y a un atelier philo de parents à enfants, c'est particulier parce que ton enfant a un rapport particulier. Donc, c'est vrai que le cadre éducatif, le cadre scolaire, en fait, est formidable pour ça. S'il n'y en a pas dans notre école, j'imagine que ce n'est pas forcément simple de mettre ça en place. Tu dis qu'on peut en trouver dans des bibliothèques ?
- Speaker #1
Oui, ça se fait quand même de plus en plus. Il y a beaucoup de bibliothèques qui proposent des goûters philo. Les musées, si c'est les sciences de la ville, je suis dans le comité scientifique. il y a plein de lieux où ça existe. Il faut parfois forcer la porte avec les enseignants de ses propres enfants. Oui,
- Speaker #0
tu penses que tu peux aller voir l'enseignant et lui demander aussi.
- Speaker #1
Est-ce que vous connaissez ces pratiques-là ? Les parents ne sont pas prescripteurs de ce qui se fait à l'école. C'est les enseignants, mais bien sûr qu'on peut intermer un dialogue en disant, j'ai entendu cette émission de radio, des ateliers philo, je trouve ça super, est-ce que vous en avez, est-ce que vous en proposez ? Le problème des enseignants, et ça c'est un problème qui... politique, c'est la formation continue. La formation continue a disparu. Il faut le savoir. Les enseignants n'ont plus de moment d'oasis de pensée, dont on parlait tout à l'heure, pour sortir de la classe et se former en philo et même dans toutes les autres disciplines. Et ça, c'est une catastrophe politique. Parce qu'ils sont soumis à l'urgence du quotidien et ils n'ont plus ces temps pour se former à des pratiques nouvelles, à des pratiques innovantes. Et aller bousculer eux aussi, justement, leur habitude et aller découvrir ces nouvelles façons de faire, et notamment les ateliers philo. Ça, c'est un problème politique.
- Speaker #0
Et alors, une question, on a un petit peu effleuré, mais pourquoi la philosophie, plus que les autres, est capable d'apporter ce rapport d'émancipation ? Alors, tu as parlé du fait que ça interrogeait toutes les disciplines. Tu as dit aussi que ça donnait un autre rapport au temps.
- Speaker #1
Elle est globalidente, on dit. Elle interroge tout.
- Speaker #0
Tu parlais aussi du rapport au temps, tu parles de l'oasis de pensée, tu parles de suspension, de lenteur face à l'accélération. Tu expliques dans ton livre que les enfants entendent tout le temps « dépêche-toi, dépêche-toi, dépêche-toi » , que là, enfin, on respire.
- Speaker #1
La pause.
- Speaker #0
Et il y a autre chose aussi que je trouve très intéressant, c'est que tu expliques que ça donne un autre rapport au savoir, parce que ça réhabilite l'ignorance et l'erreur. Des choses qui n'ont pas leur place à l'école et qui sont très fortement réprimées et punies. Est-ce que tu veux développer ça un peu, ce rapport à l'ignorance et à l'erreur ?
- Speaker #1
C'est ce que j'appelais tout à l'heure la vulnérabilité. Quand on arrive dans un atelier philo, dans un café philo, on arrive avec nos préjugés, nos idées toutes faites, nos opinions, on les met sur la table et on va les travailler. Et c'est normal de se tromper quand on n'a pas pris le temps de réfléchir. Et c'est normal de changer d'avis. C'est normal de reconnaître qu'on s'est trompé. Ça, c'est quand même une sacrée qualité. C'est précieux d'apprendre ça. en démocratie, en politique D'ailleurs, c'est pour ça que quand on appelle des débats politiques, ce ne sont jamais des vrais débats. Parce qu'il n'y a aucun homme politique qui sort du débat en disant « Tu m'as convaincu » .
- Speaker #0
Il n'y a pas de volonté de co-construire. C'est du catch. Oui,
- Speaker #1
c'est des sophistes. Il n'y a aucune possibilité d'être convaincu. par les arguments de l'autre.
- Speaker #0
Aucune. Ce n'est pas le but.
- Speaker #1
Tu te rends compte, ce serait génial un show de la présidentielle comme ça et puis tout d'un coup, tu en as un qui dit « En fait,
- Speaker #0
t'as raison. » Non, mais t'as raison.
- Speaker #1
« En fait,
- Speaker #0
t'as raison. » Mais attendez, le capitalisme, en fait, c'est pas ouf.
- Speaker #1
« En fait, l'autre pour toi. » Ça n'arrivera le jour où ça arrive.
- Speaker #0
Alors là... Ce sera peut-être dans un de tes ateliers. Tu ne parles pas des ateliers philo avec les minutes ?
- Speaker #1
J'adore, j'adore. Mais tu sais, il y a beaucoup... para-verbal aussi dans les ateliers philo avec les enfants, donc on est en podcast, ça se voit pas mais les enfants qui hongent de la tête qui osent des épaules qui froncent des sourcils, j'adore il y a un truc qui se joue ça fait un peu le billard dans leur tête c'est incroyable et ça c'est un moment philosophique c'est vrai que ça déstabilise la philo, mais vous voyez on va le faire avec des supports, avec la littérature on s'imagine invisible comme juge c'est rigolo C'est Montaigne qui disait que la philosophie devait être folâtre. C'est difficile, c'est compliqué, c'est complexe, mais c'est folâtre. Et franchement, pour moi, c'est vraiment un objectif presque pédagogique. Il faudrait que l'école soit comme ça. Il faudrait que l'école soit un moment où on dit c'est difficile, on apprend, il faut des efforts. Mais qu'est-ce que c'est joyeux.
- Speaker #0
Mais c'est ce que tu rappelles aussi, en rappelant que le savoir a la même provenance étymologique que la saveur.
- Speaker #1
Saveur des savoirs. Oui,
- Speaker #0
saveur des savoirs. Et c'est vrai que, mais quand tu poses la question à des gens, je me souviens d'un ami qui me posait la question, je lui disais, mais t'as déjà pensé, tu trouves pas ça incroyable que l'école soit un endroit où on est si malheureux ? Pourquoi l'école ne nous rendrait pas heureux aussi ?
- Speaker #1
Pas toujours, quand même. Pas toujours.
- Speaker #0
Mais il y a beaucoup de malheur à l'école.
- Speaker #1
Oui, mais c'est encore, une fois, c'est des questions politiques, c'est qu'est-ce qu'on fait de ces lieux où sont nos enfants ? Oui. même en termes d'architecture, d'accueil, d'hospitalité. Est-ce qu'on a vraiment envie de passer six heures dans ces murs-là ? Comment on est accueilli ? Par la beauté des lieux ? Ça devrait être un objectif, que les écoles soient belles, accueillantes, chaleureuses, colorées, le mobilier scolaire. Bien sûr, il y a plein de chercheurs, d'architectes, d'urbanistes qui travaillent sur ces questions. Mais malheureusement, et là c'est des questions aussi, c'est qu'est-ce qu'on fait du savoir des chercheurs ? Par exemple, les classes de niveau, on en parlait tout à l'heure. Toutes les recherches montrent que ça ne marche pas. On s'en fout, en fait. Quand des urbanistes travaillent aussi sur les lieux scolaires, comment devrait être l'espace de la classe, le mobilier scolaire, ça n'a aucune application. Quand moi, qui suis chercheure, disais que la philo avec les enfants, ça devrait être un péranique, tout le monde s'en fout. Je parle politiquement. De toute façon,
- Speaker #0
la politique se fait... Les ministres ne prennent absolument pas en compte la vie de...
- Speaker #1
et de la recherche de ce qui se dit en philosophie en sciences de l'éducation ou même en psychologie de l'enfant le collège par exemple c'est vrai mais comment c'est possible de commencer si tôt d'avoir un cloisonnement des disciplines même nous adultes moi je ne suis pas sûre d'être capable de rester comme ça assise sur une chaise 6 heures et puis une heure je fais des maths une heure je fais du français une heure je fais de l'histoire et ça c'est un problème politique c'est comment on traite l'enfance Oui.
- Speaker #0
De toute façon, l'enfance est totalement déconsidérée. On en a déjà parlé dans le podcast plusieurs fois, mais l'enfance est déconsidérée, voire méprisée.
- Speaker #1
L'indifférence.
- Speaker #0
C'est au-delà de l'indifférence, j'ai l'impression. Parce que toutes les réflexions sur sortir les enfants des lieux publics, les enfants sont des nuisances. Enfin, c'est plutôt ça. Mais d'ailleurs, moi, je me suis rendue compte de ça quand j'ai eu mon fils. Je me suis rendue compte à quel point, avant, les enfants n'existaient pas dans ma vie. Je n'en avais pas du tout, pas beaucoup autour de moi. Et comme moi-même, je déconsidérais l'enfance et ça a été un bouleversement, ça a été vraiment bouleversant, la parentalité pour ça. Parce que tout d'un coup, je me suis rendu compte à quel point les enfants étaient invisibilisés, méprisés, pas pris en considération.
- Speaker #1
Il y a une grande lutte politique, ce qu'on appelle l'infantisme. C'est une nouvelle lutte politique, le racisme, le féminisme. Et là, ce bac pour une reconsidération de l'enfant en tant que personne à parentière. L'enfant vit dans le même monde que les adultes. Il y a des spécificités. bien évidemment, ils restent mineurs, majeurs, on a des responsabilités, on a des devoirs envers eux, mais il ne faut pas que ce rapport de responsabilité devienne un rapport de domination. Et ça, c'est vraiment quelque chose qui va mettre beaucoup, beaucoup, beaucoup de temps dans les mœurs, ça encore à changer. Et la philosophie avec les enfants, pour moi, elle contribue à cette lutte politique.
- Speaker #0
Et d'ailleurs, dans ton livre, tu parles de, comme tu fais la philosophie de terrain, tu nous en as parlé là, tout au long de l'interview, mais tu racontes ton bilan d'une année de philosophie en grande section et c'est super émouvant parce que tu racontes comme tu vois les enfants, et en prison aussi de la même manière, tu en parlais tout à l'heure, comment les corps se redressent et comment les enfants ont les yeux qui brillent et tout d'un coup les enfants qui ne parlaient moins, qui étaient parfois muets, qui n'osaient pas, prennent confiance, prennent la parole, tout d'un coup la réflexion s'affine et tout ça, c'est très émouvant.
- Speaker #1
Bien sûr qu'il y a des effets, il y a des effets si ces pratiques-là elles sont régulières, etc. Et moi ce qui me... Ce qui fascine vraiment, la chance que j'ai avec la chaire UNESCO, c'est de pouvoir aller dans plein de coins du monde et dans des écoles, dans des contextes économiques, sociaux. très, très différent. J'ai beaucoup en Afrique de l'Ouest, dans des écoles publiques où il y a 80 élèves, dans des écoles beaucoup plus favorisées, dans les lycées français de New York, où c'est quand même un autre public, etc. Et moi, je trouve qu'il y a une très, très grande universalité dans la façon dont les enfants s'emparent des questions. Ça, c'est vraiment magnifique. C'est vraiment les problèmes qu'ils posent, les distinctions qu'ils font, les exemples qu'ils donnent. Franchement, il y a beaucoup, beaucoup plus de ressemblances que de différences contextuelles. Ce qui n'efface pas les inégalités qu'il y a entre ces enfants-là, bien sûr. Mais il y a quand même, et c'est pour ça que je parle d'une belle universalité finalement, qui est un mot qui peut être très critiqué, parce qu'il a fait aussi l'objet, justement, il a été instrumentalisé pour la domination. Mais c'est quand même un idéal d'un idéal de fraternité. Et les questions et les récits qu'on se raconte, justement, on se rend compte qu'on se pose les mêmes questions. Parfois même, on se salante les mêmes histoires.
- Speaker #0
On parlait de l'actualité, mais on n'a pas parlé de Bétarame, l'affaire Bétarame.
- Speaker #1
Et puis là aussi, de la part du Premier ministre, ce mépris, cette indifférence, cette mauvaise estimation de la souffrance des enfants, comme s'ils foutaient une claque. C'est grave que... Et ça, on revenait à ce qu'on a dit tout à l'heure sur le rapport anthropologique à ce que c'est qu'une éducation. Une bonne éducation, ça peut être une éducation qui passe par le châtiment corporel. C'est toujours cette espèce de redressement ou d'invisibilisation de la souffrance des enfants.
- Speaker #0
J'espère, enfin, je n'y crois pas trop vu le gouvernement qu'on a, mais que Bétarame et toutes les autres affaires, parce qu'il y a plein d'autres lycées, écoles qui commencent...
- Speaker #1
C'est long, je pense que c'est comme les luttes féministes. Et puis, il y a des retours de bâton. Et moi, je pense quand même qu'il y a des retours de bâton. De la même façon qu'il y a des retours de bâton sur le féminisme, il y a des retours de bâton aussi sur les droits des enfants. Comme si, à un moment donné, on siffle la fin de la récré. Ouais. Ouais, c'est bon, quoi. C'est bon, les femmes, c'est bon, vous avez l'égalité. Et les enfants, c'est bon, vous avez les droits de l'enfant. Donc maintenant, on revient aux choses sérieuses, à l'autorité, à la discipline, à la bonne vieille nature masculine. et tout ça, ça va prendre du temps parce qu'on voit bien, c'est une philosophie du monde, c'est une philosophie de l'existence c'est une philosophie politique et il va nous falloir aussi des leviers politiques pour faire passer ce message-là et que les gens non seulement l'entendent et merci encore de m'avoir invitée parce que ça permet de faire entendre ce message-là mais qu'il soit diffusé approprié et puis avoir un jour bien évidemment des effets qui soient politiques et concrets et qu'on ait de la philo pour les enfants dans les programmes ça serait tellement bien mais ouais on va y arriver on va y arriver on y croit mais en tout cas merci Edwige pour tout ce que tu as fait pour cette oasis de pensée c'est vraiment une très belle expression et voilà j'espère que vous toutes et tous vous avez envie de faire de la philo avec les enfants avec vos enfants que ça vous a inspiré ?
- Speaker #0
pour ce beau modèle de société que tu nous proposes.
- Speaker #1
Merci à toi.
- Speaker #0
Vous venez d'écouter un entretien du fil d'actu. J'espère que l'épisode vous a plu. Et avant de se quitter, je voulais vous dire un petit mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien. Et on se retrouve mercredi. pour un nouvel épisode du Fil d'actu. En attendant, n'hésitez pas à me suivre sur Instagram, sur mon compte Alice de Recherchoir. À bientôt !