Speaker #0En ce moment, deux lois sont examinées à l'Assemblée nationale. Une sur les soins palliatifs et l'autre sur l'aide à mourir, euthanasie ou suicide assisté. Cette loi, qui sera votée le 27 mai, divise le champ politique, y compris au sein de la gauche, traditionnellement en faveur de l'euthanasie. Alors, que penser de cette loi ? Est-ce un progrès social ou une loi validiste qui méprise le handicap ? On en parle avec les philosophes François Gallichet. et Charlotte Puiseux. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Fil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Ce podcast est totalement indépendant et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don, ponctuel ou récurrent, en cliquant sur la page indiquée en description. Merci pour votre soutien. Il y a un an, le gouvernement a présenté un projet de loi sur les soins palliatifs et l'aide à mourir, issu des réflexions de la Convention citoyenne sur la fin de vie de 2023. C'est cette loi qui est en ce moment examinée à l'Assemblée. On pourrait avoir recours à une aide à mourir si on est âgé d'au moins 18 ans, qu'on est de nationalité française et qu'on est atteint d'une affection grave et incurable en phase avancée ou terminale, entraînant des souffrances psychiques ou psychologiques. Cette loi divise. A l'origine, la droite s'opposait à l'euthanasie pour des raisons religieuses et la gauche y était favorable par progressisme social. Mais aujourd'hui, le débat est plus complexe. Car à gauche aussi, il y a des opposants à l'aide à mourir. Le débat sur la fin de vie s'organise autour de la notion de dignité. Le problème, c'est que cette notion est mobilisée par les deux camps pour défendre des positions exactement inverses. Les partisans de l'aide à mourir évoquent le droit à la dignité pour choisir sa mort. Quand le patient estime que ses conditions de vie sont devenues indignes, c'est son droit le plus inaliénable de pouvoir choisir comment il veut mourir. De l'autre côté, les opposants rétorquent que toutes les vies sont égales en dignité. Le mourant n'est jamais indigne, c'est l'absence d'accompagnement approprié qu'il l'est. Il faudrait donc plutôt s'orienter vers les soins palliatifs pour soulager les souffrances. C'est pour concilier ces deux positions que les deux lois sont votées en même temps. D'un côté, augmentation des soins palliatifs avec 100 millions d'euros par an supplémentaires pour mieux prendre en charge des souffrances. De l'autre, législation de l'aide à mourir pour les cas où la souffrance serait impossible à soulager. L'objectif, c'est d'assurer à la fois des conditions de vie dignes tout en accordant une liberté dans la mort. Mais vous allez voir, la solution n'est peut-être pas si simple. Le philosophe François Gallichet est partisan de l'aide à mourir. Mais pour échapper aux impasses du concept de dignité, il préfère réfléchir en termes de liberté. Et plutôt que les termes euthanasie et suicide, qui font écho à des imaginaires violents, il propose le terme de mort délibérée, qui met l'accent sur la volonté du patient, sur le processus de délibération. Là où le suicide fait référence à l'impulsivité et le désespoir, la mort délibérée va dans le sens d'une prise de décision calme et rationnelle dans le temps long. Gallichet nous dit « C'est une manière d'affirmer que la mort fait partie de notre liberté, qu'elle en est le dernier acte. » Nous allons tous mourir, c'est inévitable. Plutôt que de s'en cacher, d'être terrifié par la mort, nous pouvons tenter de l'apprivoiser. Alors, la mort délibérée n'est pas un échappatoire, bien au contraire, elle est un exercice de notre liberté. Selon Galichet, la mort délibérée conduit même à une éthique conviviale de la mort. L'expression peut surprendre. Mais il s'agit de pouvoir accompagner, entourer celui ou celle qui choisit de mourir. La mort délibérée, c'est le contraire du suicide, qui se fait seul et de manière parfois violente. Pouvoir mourir délibérément, à l'inverse, Ça se fait chez soi, sans souffrance ni violence, entouré des siens, sans avoir à partir à l'étranger. Voilà ce qu'est pour Galichet une éthique de la fin de vie. La particularité de François Galichet, c'est qu'il a accompagné des malades en fin de vie au sein d'une association. Au terme d'un protocole, il leur a procuré des substances létales, illégales en France mais autorisées en Belgique et en Suisse. Or, il raconte qu'un grand nombre de patients à qui il a fourni le médicament ne l'ont pas utilisé. Conformément au protocole de l'association, ils ont rendu le barbiturique au bout de trois mois, sans s'en être servis. Les patients racontent que la possibilité de mourir de la manière qu'ils ont choisi les a apaisés, même s'ils n'ont pas passé le cap. Cela leur a permis d'apprivoiser la mort, de l'adoucir, de l'accepter doucement. Quant à celles et ceux qui ont franchi le cap, d'après les récits de François Galichet, ils et elles l'ont fait avec sérénité, en ayant pleinement conscience du caractère irrémédiable et de la gravité de leurs décisions, prises souvent au terme d'une réflexion de plusieurs années. Alors résume-t-il, la mort délibérée ne vise pas à préserver une dignité qui lui serait extérieure et antérieure, elle est cette dignité en acte. Mais le danger des législations sur l'aide à mourir, c'est de laisser de côté l'accompagnement dans la maladie pour mettre seulement l'accent sur le moment de la mort. C'est ce qu'expliquent plusieurs mouvements de gauche antivalidistes. comme par exemple le collectif Les Dévalideuses. Le validisme, c'est le système qui domine les personnes handicapées, qui considère que leur vie est moins digne d'être vécue que celle des personnes valides. Le validisme est source d'exclusion et de précarité. Les personnes handicapées, qui représentent pourtant 20% de la population, sont exclues de l'emploi, du logement, et ils n'ont pas toujours les moyens de vivre dignement. Le validisme, c'est une organisation sociale qui génèrent des violences et de la souffrance. Un système et une représentation que nous intériorisons toutes et tous individuellement, en nous disant par exemple « Ah, si j'étais handicapée comme cette personne, je préférerais mourir » . Alors quand on parle de mort délibérée, il faut se poser la question. La décision de mourir n'est-elle pas largement influencée par le contexte social validiste qui augmente les souffrances plutôt qu'il ne les soulage ? Une décision de mourir est-elle vraiment délibérée si le système de soins à bout de souffle ne parvient pas à soulager les malades ? En légalisant l'aide à mourir, ne construisons-nous pas une société où la vulnérabilité serait considérée comme indigne, où l'euthanasie risquerait d'être de plus en plus banalisée et où les vies seraient de plus en plus hiérarchisées ? La philosophe Charlotte Puiseux, elle-même handicapée et membre du collectif Les Dévalideuses, défend ainsi un modèle social du handicap, où celui-ci ne serait plus pensé de manière individuelle, médicale, mais plutôt de manière sociopolitique. Dans ce cas, l'urgence, ce serait plutôt de créer les conditions pour que les personnes handicapées puissent vivre le mieux possible. Si on ne craint pas d'être un poids pour son entourage, si on sait qu'on ne sera pas seul et que sa souffrance sera prise en charge, si le regard sur la vulnérabilité et la dépendance change, Peut-être qu'une loi sur l'aide à mourir n'est pas vraiment nécessaire. D'ailleurs, dans la très grande majorité des cas, les patients qui réclament de mourir changent d'avis une fois qu'ils reçoivent des soins palliatifs. Or aujourd'hui, l'offre a certes beaucoup augmenté, mais elle est encore largement insuffisante. Une personne sur deux n'a pas accès aux soins palliatifs dont elle aurait besoin et seulement 3% des personnes souffrant de douleurs chroniques sont prises en charge dans des centres spécialisés. L'augmentation de financement proposée par la loi sur les soins palliatifs ne suffira pas à couvrir des besoins, qui augmentent avec le vieillissement de la population. Pour les membres du collectif Les Dévalideuses, il est donc impératif de prendre en compte le validisme structurel avant d'adopter cette loi sur la fin de vie, sous peine d'ouvrir la voie à un eugénisme bienveillant, facilitant la mort des personnes fragiles au lieu de se préoccuper de leur bien-être. Ce qu'il faut craindre, c'est que l'aide à mourir devienne progressivement une injonction à mourir. Si vous écoutez le fil d'actu depuis longtemps, vous aurez peut-être remarqué que j'ai déjà fait un épisode sur cette loi il y a un an. J'y défendais le projet de loi, à condition que l'aide à mourir s'accompagne véritablement d'une augmentation des soins palliatifs et que le suicide assisté ne remplace pas les soins et le soulagement de la souffrance. Un an plus tard, j'ai un peu évolué sur la question. Ou plutôt, je suis un peu plus inquiète et un peu plus pessimiste. Je crains que le développement des soins palliatifs soit largement insuffisant dans un contexte de casse de l'hôpital public et que l'aide à mourir connaisse rapidement des dérives comme dans de nombreux pays ayant adopté des lois similaires. Je me suis également rendu compte que j'avais un angle mort sur la question du validisme, contre lequel j'essaie de lutter aujourd'hui. Les dévalideuses montrent que la loi sur l'aide à mourir risque d'ouvrir la porte à un eugénisme qui ne dit pas son nom, où les critères seraient constamment élargis, comme aux Pays-Bas ou en Belgique. Le risque, c'est que la vulnérabilité soit en elle-même considérée comme indigne, si bien que l'euthanasie ne serait plus une demande individuelle, exceptionnelle, mais une attente sociale. Les personnes vulnérables seraient gentiment priées d'avoir recours à l'euthanasie. J'ai toujours été en faveur du suicide assisté. Et dans l'absolu, je reste pour. Mais je pense que je ne prenais pas assez en compte les conditions matérielles et la réalité sociale, que je n'avais pas conscience du validisme. En fait, ma posture théorique se heurte au réel. Comme l'expliquent les dévalideuses, dans un monde idéal, il faudrait en effet avoir le choix d'une mort délibérée. Si tout le monde avait véritablement accès aux soins, si les souffrances étaient soulagées, si les personnes handicapées n'étaient pas discriminées, alors l'aide à mourir serait souhaitable. Mais dans une société qui déteste la défaillance, qui cherchent la performance et la productivité et précarisent de plus en plus les personnes vulnérables, ce n'est peut-être pas le bon choix. Le risque est peut-être trop grand. Peut-être que dans un système capitaliste, l'aide à mourir ne peut que mal tourner. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très vite pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. En attendant, pour des infos exclusives et parfois des petites blagues, vous pouvez me suivre sur Instagram sur mon compte Alice de Rochechouart. Et un grand merci à toutes celles et ceux qui, grâce à leurs dons, me permettent de continuer sereinement le podcast. Merci à Lucie, Élodie, Alix, Bruno, Alexandre, Étienne, Philippe, Cédric, Augustin, Laurent, Thomas, Mathieu, Clément, Louis-Michel, Grégoire, Isabelle, Olympe, Antoine. Franck, Alain, Célia, José, Juliette, Gauthier, Florence, Bastien, Florian, Béatrice, Charles, Alé, Jean-Marc, Sophie et Luc, Nicolas et Tristan. Vous aussi, vous pouvez rejoindre l'aventure du fil d'actu. Merci et à très vite !