Speaker #0Élections américaines, une philosophie de l'Amérique. Avant de commencer, je voulais vous dire un mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien. Et maintenant, place à l'épisode ! Au moment où vous écoutez cet épisode, nous connaissons les résultats de l'élection présidentielle américaine. À moins que nous soyons dans une incertitude chaotique avec une accusation de trucage des élections. Alors, qui est le nouveau ou la nouvelle président des États-Unis ? Donald Trump ou Kamala Harris ? Les conséquences de cette élection seront considérables et je serais bien incapable de les prédire. Pour cet épisode, j'ai préféré me poser une autre question. Comment se fait-il que ces élections aient autant d'importance pour nous ? Oui, les États-Unis sont la première puissance économique mondiale. Mais comment expliquer qu'ils dictent à ce point l'ordre mondial ? Aujourd'hui, je vous propose une philosophie de l'Amérique. On va parler indien, colonisation, liberté, impérialisme, philosophie de Osamu Nishitani et bien sûr, d'Amérique. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez le Fil d'Actu. Le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram, lefildactu.podcast. En 1492, Christophe Colomb découvre l'Amérique. Il débarque au Bahamas, mais il est convaincu qu'il vient d'arriver en Asie et nomme les habitants locaux les Indiens. Christophe Colomb ne saura jamais qu'il a découvert un continent jusque-là inconnu. C'est l'explorateur Amerigo Vespucci qui, le premier, émet cette hypothèse après son exploration de la Patagonie en 1502. En 1507, un cartographe lorrain nomme le continent Amérique en l'honneur d'Amerigo Vespucci. Le continent est peu à peu colonisé par les Espagnols, les Français et les Anglais. En 1607 est fondée la première colonie britannique en Amérique du Nord et en 1620, des Anglais protestants, persécutés chez eux pour leurs croyances religieuses, débarquent à bord du navire le Mayflower. Tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, des Européens émigrent dans les colonies britanniques d'Amérique du Nord. Dans les années 1770, les colons américains se révoltent contre la couronne britannique et le 4 juillet 1776, L'indépendance est proclamée, c'est la naissance des États-Unis d'Amérique. Les États-Unis d'Amérique se pensent alors comme un empire, l'empire de la liberté, selon l'expression de Thomas Jefferson, principal rédacteur de la Déclaration d'indépendance américaine. Un empire de la liberté doté d'une mission presque religieuse, hérité de la pensée des pères fondateurs, persuadés d'être des élus de Dieu, guidés par la Providence et arrivant... sur une terre promise. C'est ce qu'on appelle la doctrine de la destinée manifeste, qui est un élément central, fondateur dans la culture américaine. Les Américains auraient une mission, celle de construire un pays qui deviendra un guide moral et religieux pour toute l'humanité et devra se déployer sur tout le continent américain, quitte à massacrer les Amérindiens au nom de la liberté. Le philosophe japonais Osamu Nishitani écrit en 2022 un livre intitulé L'impérialisme de la liberté en référence à l'expression de Thomas Jefferson. Nishitani se demande pourquoi les États-Unis sont le seul pays à être désigné par le nom du continent. Pourquoi dit-on l'Amérique ou les Américains pour parler d'un seul pays parmi tous ceux qui constituent ce double continent ? Selon Nishitani, cela s'explique par la fondation même du pays. Quand les pères pèlerins débarquent dans ce nouveau monde, ils sont convaincus de porter une mission divine, providentielle, et d'arriver sur une terre vierge, sur une terre totalement libre. L'Amérique, c'est le nom de ce mythe, c'est le nom de la liberté, de la fondation d'une civilisation radicalement nouvelle, délivrée de la tutelle et de la persécution de l'ancien monde. L'Amérique, c'est cette terre imaginaire, cette idée, qui n'est pas tout à fait l'entité politique, institutionnelle, fédérale que sont les États-Unis. L'Amérique, c'est la liberté, the land of the free comme le dit l'hymne national. Mais quelle est cette liberté américaine ? Selon Nishitani, il s'agit d'une liberté définie comme propriété privée, dans la lignée de philosophes comme John Locke, pour qui le droit de propriété est un droit fondamental de l'être humain. L'empire de la liberté, c'est la liberté individuelle, la liberté de posséder et de suivre ses désirs. Un nouveau monde où seules les choses qui font l'objet d'un droit de propriété ont de la valeur. Où les lois du marché et de l'économie dérégulées sont semblables à la providence divine. Où toute la terre et toute la vie sont converties en propriété, en biens. Ce qui permet rapidement aux États-Unis de devenir le pays le plus riche du monde. Or, cette conception de la liberté se heurte à celle des Amérindiens, pour qui la propriété, et en particulier la propriété de la terre, est inconcevable. Qu'à cela ne tienne, les Indiens sont massacrés, éradiqués. Le mythe de l'Amérique est fondé sur un péché originel, l'anéantissement des premiers habitants au nom de la liberté. Comment expliquer ce paradoxe ? Comment l'Amérique peut-elle s'ériger en civilisation morale, en modèle du monde civilisé, qui définit ce qui est juste et ce qui ne l'est pas, quand sa fondation même repose sur un massacre ? Selon Nishitani, l'État américain a toujours combattu dans des guerres dans lesquelles il désignait un ennemi à abattre afin de se construire et de se développer lui-même. L'adversaire était toujours un hors-la-loi, ou alors un État voyou, quand ce n'était pas un peuple barbare, sans foi ni loi. Les États-Unis ont toujours déshumanisé leurs opposants et leur ont dénié toute légitimité, en en faisant des ennemis plutôt que des adversaires légitimes. En Europe, dans l'Ancien Monde, le principe géopolitique était celui de la reconnaissance de la souveraineté et de l'égalité des États. C'est ce qu'on appelle le système westphalien, du nom des traités de Westphalie signés au XVIIe siècle. Les États-Unis, quant à eux, s'éloignent de l'ordre westphalien et refusent de reconnaître la souveraineté et la légitimité de leurs adversaires. Ils se présentent comme les seuls légitimes face à des hordes de sauvages déshumanisés. Selon Nishitani, c'est ce qui leur a permis de maintenir une ambiguïté, de se comporter comme un pays souverain sur le monde entier, tout en prétendant ne pas faire preuve d'impérialisme, et même d'être un pays anticolonialiste. La colonisation territoriale devient, dans le vocabulaire américain, expansion, croissance naturelle, et la guerre devient lutte contre la barbarie, ou plus récemment, contre le terrorisme. L'essence de l'Amérique, c'est un sentiment d'exception, déjà remarqué par le philosophe Alexis de Tocqueville dans son ouvrage De la démocratie en Amérique paru au début du XIXe siècle. L'exceptionnalisme américain, c'est la croyance profonde que l'Amérique est un état démocratique exceptionnel, la première démocratie moderne, en dépit de l'anéantissement des Amérindiens et de l'esclavage. L'Amérique serait une exception permanente. ce qui lui permet de s'extraire de l'ordre juridique international. Selon Osamu Nishitani, c'est ce dont témoigne l'emploi permanent du terme de terrorisme. Au milieu du XIXe siècle, ce mot est employé pour désigner des actions exercées contre l'État et peu à peu, il est élevé au rang de vocable politique officiel sur la base duquel on dessine une carte du monde opposant les pays civilisés aux terroristes. Ce terme est par ailleurs intimement lié à l'histoire coloniale. Ceux qui se rebellent contre l'Empire sont qualifiés de terroristes, ce qui permet de réprimer sévèrement toute résistance. Aux États-Unis, après les attentats du 11 septembre 2001, le président George W. Bush nomme les campagnes militaires War on Terror Guerre contre le terrorisme Le concept de terrorisme traverse en réalité toute l'histoire de l'Amérique. Depuis l'extermination des Amérindiens, jusqu'aux opérations américaines au Moyen-Orient. Nishitani fait d'ailleurs remarquer que lors des missions pour assassiner Osama Ben Laden, l'organisateur des attentats du 11 septembre, celui-ci avait pour nom de code Géronimo, du nom du chef des Apaches, qui avait orchestré la résistance amérindienne contre les Américains à la fin du XIXe siècle. Pour Nishitani, le concept de terrorisme permet de créer, je cite, une catégorie d'êtres dont ils n'étaient pas. pas nécessaire de reconnaître les droits humains. Une catégorie de non-humains que l'on pouvait tuer sans être puni, et dont le meurtre pouvait même être recommandé. Et cela, bien sûr, en dépit de la reconnaissance universelle des droits de l'homme. Tout cela a subverti le langage politique vers un langage déréglé, bon, comme le dit Nishitani, pour les truands et les gangsters, comme en témoigne l'élection d'un personnage comme Donald Trump. En se présentant comme la Terre nouvelle, comme l'empire de la liberté et de la justice, tout en fermant les yeux sur ses propres exactions, L'Amérique a finalement balayé la logique des droits humains et de la démocratie. L'Empire est devenu impérialisme. Aujourd'hui, de plus en plus de voix s'élèvent contre cet impérialisme de la liberté. Au niveau géopolitique, de nombreux pays comme la Chine, l'Inde, la Turquie ou encore des pays d'Amérique latine refusent ce mythe de l'Amérique. Selon Nishitani, le monde est enfin sur le point d'apprendre que l'ère américaine est terminée. Mais les États-Unis ne l'accepteront évidemment pas. C'est justement là la raison pour laquelle le monde contemporain est en ébullition. Le cas d'Israël en particulier clive de plus en plus la communauté internationale. Alors que l'ONU et la Cour pénale internationale dénoncent les actions génocidaires de Netanyahou, Les États-Unis s'affichent encore et toujours comme un soutien inconditionnel d'Israël. Kamala Harris a d'ailleurs réaffirmé son soutien à plusieurs reprises pendant la campagne présidentielle, ce qui lui a fait perdre un certain nombre de voix. Tout cela montre que l'Amérique est loin d'avoir rompu avec son péché originel. D'ailleurs, Osamu Nishitani a écrit un article dans lequel il dresse un parallèle entre la fondation des États-Unis et la fondation d'Israël. La création d'un État ayant une mission providentielle et quasi divine sur une terre censément promise et vierge, au prix pourtant de l'oppression des populations autochtones. Tout comme les États-Unis, Israël se définit comme un État d'exception, la seule démocratie du Moyen-Orient, ayant l'armée la plus morale du monde. Alors, selon le philosophe japonais, les États-Unis n'ont pas le choix que de soutenir Israël, car ils défendent par là leur propre mythe démocratique. Au moment où j'enregistre cet épisode, je ne sais pas encore qui a gagné l'élection. Et j'espère évidemment très fortement que le terrifiant Donald Trump a perdu. Et si c'est Kamala Harris qui l'a emportée, j'espère que l'Amérique sera se réinventer, pour rompre avec son impérialisme de la liberté. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Fil d'Actu. Et un grand merci à Anouk, Vincent, Jean-François, Louise, Étienne, Francisco, Corinne et Johan qui, avec leur don, soutiennent l'aventure du Fil d'Actu. Vous aussi, vous pouvez donner en allant sur la page dédiée. Merci et à bientôt !