Speaker #0François Bayrou, une philosophie de l'opportunisme. Avant de commencer, je voulais vous dire un mot important. Ce podcast est totalement gratuit, indépendant et sans publicité. Et il ne survit que grâce à vos dons. Alors, si vous voulez soutenir mon travail, vous pouvez faire un don ponctuel ou récurrent en cliquant sur la page indiquée en description. Merci d'avance pour votre soutien. Et maintenant, place à l'épisode ! La saga politique continue avec la nomination du nouveau Premier ministre. Et pas n'importe qui. Un homme que nous connaissons toutes et tous depuis maintenant plusieurs décennies, François Bayrou. Bayrou, un homme qui a fait sa carrière politique au centre et qui était parvenu à rassembler plus de 18% des voix lors de l'élection présidentielle de 2007. Depuis, il n'a plus vraiment réussi à exister sur la scène politique française et il a choisi de devenir un allié proche d'Emmanuel Macron. Celui-ci pourtant n'avait pas prévu de le nommer Premier ministre. Macron aurait appelé Bayrou le 13 décembre à 5h du matin pour l'informer qu'il ne serait pas chef du gouvernement. Et là, le sang de Bayrou n'a fait qu'un tour. Il a débarqué dans le bureau du président pour lui poser un ultimatum. Soit il sera Premier ministre, soit il quittera la majorité présidentielle. Macron, déjà considérablement affaibli et minoritaire à l'Assemblée nationale, n'a eu d'autre choix que de nommer Bayrou Premier ministre. Cette histoire illustre bien la personnalité politique de François Bayrou, quelqu'un qui s'est toujours présenté comme un homme de la modération et de l'intérêt général, et qui, en fait, ne vit que pour son propre intérêt. Cela porte un nom, l'opportunisme. Alors aujourd'hui, je vous propose une philosophie de l'opportunisme. On va parler Troisième République, Gambetta, modération, philosophie d'Aristote, et bien sûr, opportunisme. Je suis Alice de Rochechouart et vous écoutez Le Phil d'Actu, le podcast engagé qui met la philosophie au cœur de l'actualité. Et pour des informations exclusives, abonnez-vous à mon compte Instagram lephildactu.podcast. D'où vient le terme opportunisme ? Vous allez voir que l'histoire est assez intéressante. Nous sommes en 1870. Napoléon III, empereur des Français, a perdu la guerre contre la Prusse et vient d'être capturé lors de la bataille de Sedan. Et en gros, tout le monde s'en fiche, voire s'en réjouit. Deux jours à peine après la capture de Napoléon III, des députés se rendent à l'hôtel de ville de Paris et proclament la Troisième République. Parmi ces députés, un certain Léon Gambetta. D'abord élu de l'extrême-gauche, il va petit à petit glisser vers la modération et le centre. Sa stratégie, c'est de ne jamais brusquer l'opinion, qui n'est pas encore très républicaine. Il faut dire que depuis la révolution de 1789, la France est un peu hésitante, avec une succession de plusieurs régimes. République, empire, monarchie, république et à nouveau empire. Pour Gambetta, la priorité est de consolider la croyance en la république. Car dans les campagnes, notamment, on aime encore beaucoup l'empereur. Alors Gambetta veut y aller doucement et conquérir l'opinion. Son objectif, c'est de rendre la République consensuelle, incontestable, afin d'éviter le retour d'un roi ou d'un empereur. Pour cela, il évite toute mesure radicale. Il sera le chef des républicains modérés. Il n'hésite pas à faire alliance avec le centre-gauche et même à négocier avec les conservateurs monarchistes. Il parvient à mettre en place certaines grandes mesures de la gauche, comme l'enseignement primaire, obligatoire et laïque, mais au prix de certains renoncements, notamment les mesures les plus sociales. Patience répond Gambetta. Il ne cesse de répéter qu'il attend le moment opportun pour appliquer chacun des points de son programme. L'un des adversaires politiques de Gambetta, c'est Clemenceau. A l'époque, Clemenceau est encore très à gauche, même s'il finira sa carrière politique largement à droite, surtout après la Première Guerre mondiale. Mais dans les années 1870, Clemenceau est encore à gauche et il fustige Gambetta pour sa stratégie du compromis et du moment opportun. Il invente le terme d'opportuniste, qui sonne à ses oreilles comme une insulte. Pas de problème pour Gambetta, qui se réapproprie le terme et se revendique républicain opportuniste Le groupe des républicains opportunistes formera désormais le centre de l'Assemblée nationale. Ils sont ceux qui cherchent à faire converger les différents idéaux de la République. Ils cherchent le consensus autour de valeurs comme la propriété, la liberté de conscience, l'ordre public et la famille. À la fois des valeurs progressistes et des valeurs conservatrices. Le centre, c'est le refus du système idéologique au profit d'une méthode pragmatique. Il n'y a pas un problème, mais des problèmes, qui requièrent chacun une solution différente. Plutôt que d'imposer un programme monolithique, les républicains opportunistes progressent par petits pas. Ils se saisissent de toutes les opportunités, quitte à faire alliance avec les opposants. En 1881, Gambetta devient président du Conseil, l'équivalent de Premier ministre, et il veut constituer un gouvernement d'union républicaine, en nommant des hommes de gauche et des conservateurs. Mais les grandes figures de gauche déclinent son offre. Voilà Gambetta à la tête d'un gouvernement plus conservateur qu'il ne l'aurait souhaité. Il ne parvient pas à convaincre l'opinion et l'Assemblée, il doit démissionner au bout d'à peine 73 jours. L'échec du gouvernement Gambetta entraîne le déclin progressif du mouvement des républicains opportunistes, qui disparaît totalement à la fin du XIXe siècle. Le terme opportuniste, lui, survit et redevient péjoratif. Il qualifie désormais celles et ceux qui tirent parti de toutes les situations, quitte à sacrifier leurs principes. Je trouve ça particulièrement intéressant que l'histoire du terme opportuniste soit très liée au centrisme politique. Car c'est un soupçon qui pèse sur les centristes depuis toujours. Sont-ils modérés, mous ou même opportunistes ? Le centre est un courant politique qui apparaît dès la Révolution. Il est composé de ceux qui ne se reconnaissent ni dans le monarchisme conservateur, ni dans la Révolution radicale, et souhaitent plutôt une monarchie constitutionnelle modérée. C'est en réalité le groupe le plus nombreux à l'Assemblée nationale. Comme ils siègent au milieu et en bas, ils seront surnommés la Plaine. ou parfois, de manière péjorative, le marais, un lieu où l'on s'enlise et où rien ne se passe. Cette critique du centre perdure jusqu'à nos jours. Et cela n'échappe pas à François Bayrou. En 2012, il relevait que le centre subit les mêmes soupçons que la modération en philosophie politique. La modération. Voilà une des vertus centrales dans la philosophie antique grecque. Dans la philosophie antique grecque, et en particulier chez Aristote, on pense la morale à partir des vertus de l'individu et non à partir de grands principes. C'est ce qu'on appelle l'éthique des vertus. Ça signifie qu'on insiste sur le caractère d'une personne et non sur des grandes règles universelles. Dans l'éthique des vertus, on va par exemple encourager la sagesse de l'individu, son sens de la justice, sa générosité ou encore sa bravoure. plutôt que de chercher une règle universelle de type il ne faut jamais mentir Et l'une des vertus centrales de la philosophie grecque, c'est bien la modération, ou encore la tempérance. Celle-ci consiste au départ à contrôler ses propres désirs, notamment les désirs physiques, en évitant de tomber d'un côté dans l'excès et de l'autre dans l'indifférence. La tempérance ou modération, c'est ce qui permet l'harmonie, l'équilibre. entre nos parties rationnelles et nos parties irrationnelles. Cet équilibre individuel, vertueux, contribuera de manière plus large à l'équilibre de la vie collective et du cosmos, le monde. Dans ce cas, la modération n'est pas du tout un opportunisme, c'est au contraire une voie vertueuse et juste. Quand François Bayrou se réclame de la modération aristotélicienne, il fait référence à cet équilibre entre les passions, qui permettrait la construction d'une harmonie politique. Cela consiste selon lui à admettre qu'il puisse y avoir en moi une partie des autres, une partie de droite et une partie de gauche. Et Bayrou n'hésite pas à se définir comme conservateur, voire comme réactionnaire, mais aussi comme progressiste. Grand admirateur d'Henri IV, qui était parvenu à mettre fin aux guerres de religion qui enflammaient la France, François Bayrou se rêve en pacificateur de la France, en incarnation de la modération, en figure de l'Alliance républicaine. Mais Bayrou est-il un centriste modéré ou un opportuniste ? Quand on regarde son parcours politique, on se rend vite compte que la modération n'est que deux façades. Et qu'en réalité, il n'a aucune conviction politique, si ce n'est la conviction de sa propre destinée. C'est ce que remarquait déjà Simone Veil dans ses mémoires publiées en 2007. Voici ce qu'elle disait alors de François Bayrou. Il est capable en quelques jours d'énoncer avec la même assurance une chose et son contraire, uniquement préoccupé de son propre avenir qui, depuis sa jeunesse, ne porte qu'un nom, l'Élysée. Le personnage demeure incompréhensible si on ne tient pas compte de cette donnée essentielle. Il est convaincu qu'il a été touché par le doigt de Dieu pour devenir président. C'est une idée fixe, une obsession à laquelle il est capable de sacrifier principe allié ami. Et comme tous ceux qui sont atteints de ce mal, il se figure les autres à son image, intriguant et opportuniste. Ces phrases de Simone Veil frappent fort. Mais c'est vrai que ce qui est saisissant chez Bayrou, c'est son absence totale d'idées. Son programme pour l'élection présidentielle de 2007, c'est d'ailleurs l'incarnation du vide. Quelques mesurettes ça et là, et des propositions de mener des consultations populaires ou des référendums. Comprenez, je ne propose rien et j'accepterai tout ce que vous me direz de faire, pourvu que vous me donniez le pouvoir. Au fil de sa carrière politique, il s'est déclaré de centre droit, héritier du catholicisme social, puis de centre-gauche, puis ni de droite ni de gauche, puis un peu de droite et un peu de gauche. En 2009, il reconnaissait avoir changé d'orientation, je cite, pas par goût du mouvement, mais par nécessité du temps Bayrou confesse lui-même qu'il ne fait que suivre le sens du vent, girouette plutôt que boussole. On ne peut donc pas vraiment parler de modération chez Bayrou, puisqu'il est totalement immodéré dans sa propre ambition. Sa crise de colère et son chantage dans le bureau de Macron en témoignent, mais aussi cette scène honteuse où il avait giflé un enfant qui soi-disant lui faisait les poches. On est bien loin de la tempérance d'Aristote. En réalité, Bayrou n'est pas centriste, mais auto-centriste. Et donc totalement opportuniste. Cela l'a conduit à tenter de s'attirer les faveurs du Rassemblement national, en accordant son parrainage de maire à Marine Le Pen pour l'élection présidentielle de 2022, afin qu'elle puisse se présenter. Peu de temps après, il contribuait à la normalisation du RN en se demandant si le parti était vraiment d'extrême droite. Et il y a quelques semaines, il a soutenu Marine Le Pen lors de son procès pour détournement de fonds publics en criant à l'injustice. Forcément, il est lui-même empêché dans une affaire judiciaire semblable. Depuis sa nomination, François Bayrou a déjà montré à quel point son opportunisme est aussi grand que son incompétence. Alors que Mayotte a subi une catastrophe climatique terrible, Bayrou a préféré se rendre au conseil municipal de Pau, dont il est maire, plutôt que d'aller à Mayotte. Et à la sortie du conseil municipal, il a immédiatement déclaré qu'il était favorable à une réautorisation du cumul des mandats, ce qui est interdit depuis 2014, afin de rester maire de Pau tout en étant Premier ministre. Sa priorité, c'est lui. Gambetta n'était resté Premier ministre que deux mois et demi. Il reste à voir si Bayrou battra le record ou si son opportunisme lui permettra de manœuvrer jusqu'à la prochaine dissolution. La saga continue. C'est la fin de cet épisode. On se retrouve très bientôt pour un nouvel épisode du Phil d'Actu. Et un grand merci à Bastien, Jean-Charles, Bruno, Jules, Juan, Franck, Mathieu, Anne et Mathilde. Ils, avec leurs dons, soutiennent l'aventure du Phil d'actu. Vous aussi, vous pouvez donner en allant sur la page dédiée. Merci et à bientôt !